RÉFORME DU SERVICE NATIONAL
Suite de la discussion
et adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, portant réforme du service national.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dulait.
M. André Dulait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je
souhaiterais, au cours de cette discussion générale du projet de loi portant
réforme du service national, vous faire part de quelques réflexions que m'ont
inspirées mes rencontres avec des jeunes de mon département venus me faire part
de leur souhait plus ou moins légitime d'être dispensés de ce qui est encore,
pour les classes d'âge nées avant 1979, une obligation légale.
En effet, lequel d'entre nous n'a jamais rencontré un jeune homme qui, malgré
les reports d'incorporation, n'avait pu terminer ses études, ou risquait de
perdre à son retour du service militaire l'emploi qu'il avait trouvé, ou,
encore, allait devoir quitter l'exploitation de ses parents sur laquelle il
travaillait comme aide familial, ce qui allait nuire à la bonne marche de la
ferme ?
Bien sûr, les textes en vigueur sont clairs et les principaux cas de figure
ont été envisagés. Toutefois, personne ne niera l'évolution très sensible des
mentalités en ce qui concerne le service national.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais appeler
tout particulièrement votre attention sur les commissions régionales de
dispense et rendre hommage à leurs membres qui accomplissent avec sérieux un
travail difficile, étant donné la situation intermédiaire dans laquelle se
trouvent aujourd'hui les jeunes concernés.
Les cas de dispense sont parfaitement codifiés et les commissions ont en
charge de les appliquer. Si elles savent bien entendu prendre en compte
l'aspect humain des dossiers, elles éprouvent néanmoins, aujourd'hui, de
sérieuses difficultés face aux jeunes concernés qui demandent, par
anticipation, l'application de la future loi.
J'ajoute que, dans quelques cas particuliers, le recours du ministère face au
rejet décidé par la commission régionale, dans le respect des textes, d'une
demande de dispense ne peut qu'aggraver le sentiment de malaise des
commissaires : ils peuvent en effet se voir désavouer alors qu'ils avaient pris
une décision leur paraissant juste et équitable.
Je comprends les arguments plaidant en faveur d'une égalité de traitement des
jeunes face au service national et j'y souscris, même si, dans les faits, ces
principes d'égalité sont battus en brèche depuis de nombreuses années.
Je souhaiterais d'ailleurs, à ce sujet, connaître les statistiques du
ministère de la défense concernant le nombre de dispenses accordées pour chaque
classe d'âge au cours des trois ou quatre dernières années.
Il faut ajouter à cela les possibilités offertes à certains jeunes, en nombre
limité certes, d'effectuer leur service au titre de la coopération, mais
également les autorisations accordées avec facilité à ceux qui sollicitent le
statut d'objecteur de conscience, ce qui écarte encore un certain nombre de
jeunes du service national.
Il nous est proposé, pour tenir compte des situations particulières des jeunes
disposant d'un contrat de travail, d'accorder des reports d'incorporation, tout
d'abord pour les heureux bénéficiaires d'un contrat à durée indéterminée puis,
plus tard, pour les jeunes ayant un contrat à durée déterminée.
Je m'interroge, comme M. le rapporteur, sur l'impact éventuel des prochaines
mesures pour l'emploi des jeunes sur cette disposition qui ne pourra
qu'accroître les différences de traitement entre les jeunes d'une même classe
d'âge.
Par ailleurs, le report d'incorporation peut également masquer l'éventuelle
augmentation du nombre de jeunes qui vont tenter de ne pas effectuer leur
service militaire au cours des deux prochaines années. Mais vous nous avez
rassurés sur ce point ce matin, monsieur le ministre, en indiquant que ce
nombre n'avait pas augmenté.
L'annonce de la suppression du service national pour les jeunes nés à partir
du 1er janvier 1979 ne peut que donner le sentiment à leurs aînés d'être nés un
peu trop tôt !
Je voudrais, pour conclure ces quelques réflexions, monsieur le ministre,
évoquer l'obligation du recensement prévu pour le service national
universel.
Selon certaines informations que j'ai pu recueillir auprès des maires et de
leurs services, il semblerait que l'annonce prochaine de la suppression du
service militaire ait conduit beaucoup de jeunes à négliger le recensement,
malgré le caractère obligatoire légal de ce dernier.
Un problème se pose à mon avis à cet égard : à dix-sept ans, le jeune aura
l'obligation de se faire recenser et, à dix-huit ans, il sera automatiquement
inscrit sur les listes électorales puisque le texte prévoit qu'il n'y a plus
d'obligation à se faire inscrire. Nous sommes donc en présence, certes à un an
près, d'une ambiguïté qu'il sera certainement nécessaire de lever de façon à
accorder soit le caractère obligatoire, soit le caractère facultatif aux deux
opérations. Nous devrons débattre de ce point.
Le texte proposé par ce projet de loi pour l'article L. 113-4 du code du
service national prévoit d'ailleurs que tous les jeunes doivent être en règle
avec l'obligation de recensement pour être autorisés à s'inscrire aux examens
et concours soumis au contrôle de l'autorité publique.
Il apparaît donc nécessaire de bien compléter l'information sur ce point
précis de la loi afin que l'obligation de recensement ne soit pas négligée
volontairement ou involontairement par les jeunes.
J'ajoute que les mairies se trouvent aujourd'hui confrontées à la nécessité
d'organiser la recherche de ces jeunes, dont certains ont déménagé, afin de
procéder au recensement d'office. De telles recherches, outre le surcroît de
travail, représentent un coût négligeable pour les communes.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
les quelques remarques que je souhaitais faire sur ce texte. Comme M. le
président de la commission et M. le rapporteur, j'adopterai une attitude de
vigilance, souhaitant, à l'instar de l'un de nos collègues de la commission des
affaires étrangères, que le rendez-vous citoyen, qui ne donnait pas
satisfaction au sein de cette assemblée, et l'appel de préparation à la défense
ou la Rencontre armées-jeunesse ne soient pas un jour suivis, pour tout contact
des jeunes avec l'armée, d'une simple poignée de main citoyenne !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la
quatrième fois depuis moins de deux ans que nous sommes réunis pour un débat
consacré à la réforme du service national.
Nous le faisons sans lassitude, car il s'agit d'un problème qui touche de très
près tous les Français, d'un changement qui modifie des habitudes acquises
enracinées depuis très longtemps dans notre communauté nationale, bref d'une
véritable réforme de société, à laquelle la plus grande attention doit être
apportée.
Au début de ce siècle, un grand écrivain, qui avait d'ailleurs été
bibliothécaire au Sénat pendant quatorze ans, Anatole France, écrivait : « Il
faut toucher avec respect aux choses sacrées. Et s'il y a dans la société
humaine, du consentement de tous, une chose sacrée, c'est l'Armée ».
Le 22 février 1996, dans une intervention télévisée, puis dans un discours
prononcé le lendemain à l'Ecole militaire, le Président de la République s'est
très clairement et sans ménagements exprimé sur l'avenir du service national :
« Nous n'avons plus besoin d'appelés. Le service tel que nous le connaissons
aujourd'hui sera aboli. » En entendant ces déclarations, nombreux ont été ceux,
surtout parmi les jeunes, qui en ont conclu, sans doute hâtivement, que toute
forme de service militaire serait supprimée.
La réalité est différente. Loin de n'avoir qu'une apparence négative, la
réforme projetée présentait un aspect très positif : la professionnalisation de
nos armées, le maintien d'une force d'intervention et de combat supposant
l'accord et la participation du pays tout entier.
C'est dans cette double perspective que le Gouvernement - les gouvernements
successifs - et le Parlement ont travaillé ensemble à l'élaboration des mesures
qu'imposait ce changement. Tous deux ont exprimé le souci que la remise en
cause du service obligatoire ne conduise pas à supprimer les liens entre la
jeunesse et l'armée.
C'est dans cet esprit qu'il a été décidé, premièrement, de maintenir le
recensement obligatoire des jeunes ayant l'âge de servir - et même d'y inclure,
dans un certain délai, les jeunes filles - puis, deuxièmement, qu'a été
instauré ce qu'on a appelé « le rendez-vous citoyen », et, troisièmement, que
l'on a établi le principe du volontariat pour remplacer les appelés dont on ne
pourrait plus disposer.
Ces trois grands axes, qui figuraient dans le projet de loi présenté par M.
Charles Millon - texte que la majorité du Sénat comme celle de l'Assemblée
nationale de 1996 ont voté - demeurent présents dans le projet que nous
étudions aujourd'hui. Nous n'aurons donc pas à nous déjuger en l'approuvant.
Il existe cependant quelques divergences que nous devrons examiner, et la
commission des affaires étrangères et des forces armées nous propose quelques
modifications à cet égard.
Les divergences, d'abord, se trouvent dans l'esprit qui sous-tend le projet de
loi et dans les raisons que peut avoir le Gouvernement d'inciter au
volontariat.
La logique du précédent projet relevait du souci de ne pas se priver de
l'héritage du service national et de l'idée - très belle- que le dévouement
des jeunes et leur désir de servir pourraient être utilisés dans des missions
d'intérêt général comme le soutien scolaire dans les quartiers difficiles,
l'aide aux personnes dépendantes, la participation à des tâches de sécurité
routière ou citadine et, surtout - point capital pour nous, Français de
l'étranger - la coopération au développement international, les aides
humanitaires, la contribution à l'action de la France dans le monde.
Alors que le volontariat relevait, selon l'ancien projet, d'une logique de
services rendus à la collectivité, le présent projet de loi se fonde en grande
partie sur la notion d'emploi. A beaucoup d'égards, il ressemble au projet «
emplois-jeunes » que nous avons examiné et, d'ailleurs, considérablement
modifié, voilà quelques jours.
Dans cette trop grande ressemblance, le présent projet pourrait faire l'objet
des mêmes critiques que certaines de celles qui ont été exprimées ici même la
semaine dernière.
Mais il faut aussi souligner les grandes convergences qui existent entre le
projet de l'an passé et celui, monsieur le ministre, qui va sans doute porter
votre nom. En effet, vous y confirmez la nécessité de maintenir, en le
renouvelant, le lien entre l'armée et la nation. A la place du « rendez-vous
citoyen », vous proposez l' « appel de préparation à la défense », mais vous
n'en changez pas fondamentalement l'économie.
Destiné à sensibiliser et informer les jeunes Français sur les questions de
sécurité et de défense, cet « appel » est conçu dans la continuité de
l'enseignement public et devrait même être introduit prochainement, ce qui est
tout à fait nouveau, dans les programmes de scolarité. En même temps, il
s'adresse à une population particulièrement jeune, située entre seize et
dix-huit ans, alors que le « rendez-vous citoyen » pouvait être accompli entre
dix-huit ans et vingt-cinq ans, voir trente ans pour certains cas
exceptionnels.
Cette obligation concerne également les jeunes Français résidant à l'étranger,
ce qui doit être particulièrement souligné ici, au Sénat, seule assemblée
parlementaire où sont représentés nos compatriotes établis hors de France. Le
désir du Gouvernement de les placer dans les conditions de droit commun est
évident dans la rédaction proposée pour le nouvel article L. 114-7 du code du
service national.
Cependant, les difficultés auxquelles pourraient être confrontés nos jeunes
compatriotes de l'extérieur vis-à-vis des autorités locales, notamment s'ils
sont nés à l'étranger et ont donc, qu'ils le veuillent ou non, la double
nationalité, n'ont pas échappé aux rédacteurs du projet : il a été prévu que
cet article pourrait être « aménagé en fonction des contraintes de leur pays de
résidence ».
Nous constaterons ainsi, lors de la discussion de l'article en question, que
la commission propose, par amendement, d'y ajouter, sur la suggestion de
plusieurs d'entre nous, cette indication : « ... après avis du Conseil
supérieur des Français de l'étranger », ce qui est tout à fait judicieux.
Mais ce n'est pas là le principal changement proposé par notre excellent
rapporteur, M. Serge Vinçon. L'expression « appel de préparation à la défense »
- en abrégé APD - ne lui a pas plu, pas plus qu'à nous, pour des raisons
évidentes. Il propose : « rencontre armées-jeunesse ». Nous préférons cela à
APD, bien que le mot « rencontre » ait quelque chose de fortuit, qu'il s'y
trouve une idée de hasard.
On pourrait objecter aussi qu'une rencontre peut être un choc, un
affrontement, un combat, une bataille. Mais il est vrai qu'une rencontre peut
être également une réunion bien préparée, paisible, utile et fructueuse. Nous
espérons, bien entendu, qu'il en sera ainsi, et nous en reparlerons au moment
de la discussion de l'amendement en question.
Mais, mon temps de parole venant de s'écouler, je dois terminer maintenant mon
propos, même si, naturellement, je me réserve la possibilité de reprendre la
parole lors de l'examen des articles.
Je conclurai par une citation de Martin du Gard, extraite de
Jean
Barois,
écrit à la veille de la guerre de 1914-1918 : « Aussi différents
que soient les opinions et les points de départ, il y a une hauteur où tous les
élans se rencontrent et se confondent. » Il faut espérer que c'est à cette
hauteur que se produiront les rencontres entre nos armées et les jeunes !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet
qui nous est présenté aujourd'hui ne remet pas en cause le choix de la
professionnalisation des armées, mais il ne répond pas à l'un des nombreux
défis qui en découlent, à savoir le maintien d'un lien fort entre l'armée et la
nation.
Dans votre lettre analysant le projet de budget pour 1998, vous affirmez,
monsieur le ministre, que cette réforme, votée par l'ancienne majorité et
contestée à l'époque par la gauche, est « la novation la plus essentielle qui
aura touché notre appareil de défense depuis la Révolution ». Ce changement
d'opinion de la part du parti socialiste est, me semble-t-il, un ralliement à
une idée de bon sens qui donne à la France les moyens de s'adapter aux nouveaux
impératifs de sécurité. Cela prouve que l'arrivée au pouvoir offre souvent
l'occasion de prendre conscience de certaines données, souvent ignorées dans
l'opposition.
En revanche, monsieur le ministre, je dois vous avouer ma déception à la
lecture de votre texte dans sa partie consacrée à la diffusion de l'esprit de
défense chez les jeunes, mais j'y reviendrai. Dans un premier temps, mes
critiques porteront essentiellement sur trois aspects du texte : la suppression
du rendez-vous citoyen au profit d'une journée que je qualifierai presque
d'inutile ; la fragilisation du processus de la professionnalisation avec la
multiplication des reports et des dispenses ; le rôle du Parlement dans cette
affaire. Ces trois points révèlent l'état d'esprit dans lequel le Gouvernement
aborde les questions de défense : c'est surtout l'état d'esprit d'un
expert-comptable.
J'évoquerai tout d'abord l'appel de préparation à la défense.
Une telle révolution de notre outil de défense aurait dû être accompagnée de
la mise en place d'un système qui assure la rénovation du lien armée-nation et
la refondation de l'esprit de défense.
Le projet de M. Millon comportait, je vous le rappelle, le rendez-vous citoyen
d'une semaine, idée qui émanait des travaux des commissions parlementaires. A
l'époque, il fut critiqué à gauche et à droite.
Sans répondre à toutes les attentes en la matière, le rendez-vous citoyen
venait parachever une instruction civique dispensée à l'école, une sorte de
rendez-vous marquant le passage du jeune à la citoyenneté. Une semaine, cela
permettait de mener à peu près à bien, sans trop les bâcler, les missions qui
lui était assignées : l'information sur la défense nationale, la présentation
des volontariats et l'établissement d'un bilan sanitaire et social des jeunes,
que je juge toujours indispensable.
Son organisation maintenait en activité douze casernes, pour un coût d'environ
un milliard de francs par an.
Ayant critiqué ce projet, les socialistes décident non pas de le supprimer
complètement - ce que j'aurais compris - mais de le réduire à une journée, à un
ersatz de rendez-vous citoyen. Quand on sait que cette journée mobilisera
autant de personnels, répartis dans plusieurs dizaines de centres, pour une
économie ridicule, on ne peut que regretter une attitude trop dogmatique sur un
tel dossier.
J'en viens à la fragilisation du processus de la professionnalisation,
deuxième point de mon intervention.
En offrant la possibilité aux titulaires d'un contrat à durée déterminée de
pouvoir repousser de deux ans leur incorporation, l'amendement Quilès ouvre, à
mes yeux, la voie à de nombreux abus, accentuant l'aspect inégalitaire du
service national moribond et ébranlant la période transitoire qui doit mener à
la professionnalisation.
Les armées ont une réforme difficile à mettre en place. Il leur faudra un
certain nombre d'appelés pour la réaliser, notamment des diplômés, des
ingénieurs, des informaticiens, des étudiants en médecine. Ce n'est pas en
l'amputant de plusieurs dizaines de milliers de jeunes qu'on l'y aidera !
Quant aux fumeux emplois de Mme Aubry, les garçons qui les décrocheront seront
tout simplement dispensés du service national. Ces petits boulots seront
occupés par des diplômés de l'enseignement supérieur, puisque la sélection est
rude et qu'il faut avoir bac + 2 ou bac + 4 pour espérer être porteur de
serviette.
(Murmures sur les travées socialistes.)
M. André Rouvière.
C'est excessif !
M. Nicolas About.
Il y aura donc deux catégories de jeunes : les diplômés, installés à l'abri
dans la nouvelle sous-fonction publique, les sursitaires, les chanceux et les
petits malins, et il y aura les autres, moins chanceux, qui n'auront droit ni à
ces emplois Aubry ni à la dispense du service national.
M. Josselin de Rohan.
Eh oui !
M. Nicolas About.
Le message adressé aux jeunes sans qualification est clair : ils n'intéressent
pas le Gouvernement.
Monsieur le ministre, quel jeune diplômé préférera un service national
rémunéré à 500 francs par mois à un emploi de Mme Aubry à 5 000 francs par mois
? Le choix est évident ! J'aimerais bien savoir comment vous comptez réussir le
passage à la professionnalisation en trois ans en enlevant ces appelés aux
armées.
La réussite de la transition vers la professionnalisation n'est pas qu'une
histoire d'argent ; elle concerne aussi des être humains.
On aurait pu imaginer que les emplois de Mme Aubry ne soient accessibles
qu'aux jeunes ayant satisfait aux obligations militaires. Tel n'a pas été le
cas.
Ma troisième remarque porte sur le rôle du Parlement. Je tiens à vous dire,
monsieur le ministre, combien je déplore l'attitude du Gouvernement à l'égard
du travail des parlementaires sur ces dossiers de défense. Non seulement on
semble ignorer le travail des commissions sur la réforme du service national,
mais vous vous apprêtez même à ne pas respecter la loi de programmation
militaire que le Parlement a votée en 1996. Je reconnais que cette attitude ne
vous est pas propre.
M. Claude Estier
Tout de même !
M. Nicolas About.
Mais, lorsque les coupes budgétaires imposées aux armées servent à financer
les dérives de la dépense publique, c'est plus qu'intolérable.
Bien sûr, vous avez maintenu le financement de la professionnalisation. Mais
que vaut une armée professionnelle sans matériel moderne, sans équipement pour
s'entraîner ?
Enfin, le coût social de votre amputation pour les industries de défense ne
sera certainement pas compensé par les emplois de Mme Aubry. Les armées et les
industries de défense se rappelleront qu'elles ont fait les frais d'un
programme gouvernemental qui comportait de nombreuses promesses onéreuses et
anti-économiques.
La deuxième partie de mon intervention consiste en une réflexion plus générale
sur le lien indispensable qui doit être maintenu entre l'armée, bientôt
professionnelle, et la nation, désormais « libérée » de l'obligation militaire.
Mon propos s'articule autour de la refondation de notre esprit de défense.
Jusqu'à présent, le système de défense français reposait sur une certaine
conception de la nation, celle de la volonté de vivre ensemble, et le partage
de valeurs communes. La participation du citoyen à la défense, par le biais du
service national, contribuait à son intégration et à cette appartenance à cette
communauté nationale. La suppression du service national obligatoire lui ôtera
un attribut de sa citoyenneté. Cette disparition remet inéluctablement en cause
le lien, déjà fragile, qui existe entre l'armée et la nation.
En France, l'esprit de défense signifie que chaque citoyen, conscient de son
appartenance à la communauté nationale et solidaire avec celle-ci, est
convaincu qu'elle peut être défendue collectivement. Il est également
inséparable de l'éducation du citoyen, car la défense est l'affaire de tous
mais sa survie est liée à la conscience des menaces par le citoyen.
Qu'adviendra-t-il de cet esprit de défense après la suppression du service
national obligatoire ?
La société française vit actuellement une crise morale qui affecte notre
esprit de défense et le civisme. Déjà faible, l'implication du citoyen dans la
défense risque d'être inexistante dans les années à venir si l'on ne maintient
pas un lien entre l'armée et la nation. L'armée serait alors considérée comme
un simple service public.
Les fondements de notre esprit de défense sont remis en cause puisque l'idée
même d'une nation de citoyens égaux en droits et en devoirs est ébranlée par la
crise économique et certains discours politiques. La menace de voir les
citoyens français se désintéresser totalement de la défense des intérêts
nationaux et des questions militaires est donc latente et comporte le risque
d'une nation fragilisée par la disparition du sentiment de l'appartenance à une
communauté de valeurs et d'intérêts qu'ils seront incapables de défendre, soit
par désengagement soit par égoïsme.
Devant un tel défi, il est à craindre que l'institution d'une journée
d'information ne soit pas suffisante pour remplir la mission civique du service
national. L'Etat doit désormais penser à associer davantage les citoyens,
hommes et femmes, à l'esprit de défense ; c'est un impératif démocratique.
Il serait malsain de laisser se creuser le fossé qui existe potentiellement
entre l'institution militaire et la société civile. Elles doivent rester
ouvertes l'une sur l'autre et multiplier les ponts, par exemple en développant
les journées « portes ouvertes » dans les casernes. Tous les moyens possibles
seront bons pour essayer d'assurer le maintien de l'attachement à l'idéal
républicain au sein des armées. De son côté, la société civile doit se sentir
investie de responsabilités en matière de défense nationale.
C'est à ce prix que l'on maintiendra cet indispensable lien entre la nation et
l'armée, sans lequel la défense de la France n'offrirait pas toutes les
garanties. Quel pays peut en effet assurer la défense de son territoire, de son
patrimoine et de ses intérêts économiques vis-à-vis de l'extérieur si, en son
sein, il n'y pas cohésion nationale ?
L'instauration du rendez-vous citoyen pour chaque jeune homme et chaque jeune
fille allait dans le bon sens ; c'était en effet offrir aux autorités
politiques et militaires un instrument au service de la refondation de notre
esprit de défense. Cette refondation implique une meilleure participation de la
nation à notre politique de défense.
Cela exige également un travail important de pédagogie de la défense auprès
des citoyens, en particulier des jeunes. L'école doit redevenir la machine à
fabriquer des citoyens telle que l'avait conçue Jules Ferry. La défense de la
République et de ses valeurs faisait partie intégrante de son éducation civique
; le patriotisme en fut le plus beau des symboles. Jean Jaurès, neveu
d'officiers, en avait si bien conscience qu'il considérait que l'école et le
régiment remplissaient les mêmes missions civiques, au service du patriotisme
républicain. L'école a perdu aujourd'hui cette fonction. Quant à la notion de
patrie, elle a été diabolisée par la gauche, qui en a oublié le sens
républicain
(Exclamations sur les travées socialistes),
abandonnée par la droite et
récupérée par l'extrême-droite.
Des cours d'initiation et d'information sur la défense, portant sur son
organisation, ses missions en France et dans le monde, et l'analyse des
différentes menaces pour notre sécurité doivent être dispensés dans les
collèges et les lycées dans le cadre d'un enseignement civique plus général.
Sur ce point, je trouve votre intention louable, monsieur le ministre, mais je
crains certaines résistances chez les enseignants.
M. Michel Caldaguès.
Bien sûr !
M. Nicolas About.
Pour ma part, je pense que l'on devrait associer les officiers à cette
instruction à l'école. Enseignants et militaires doivent se rencontrer, mieux
se connaître et oeuvrer ensemble à l'édification d'un nouveau modèle
républicain de citoyenneté. Il faut généraliser les protocoles d'accord
défense-éducation nationale, comme y encourage le recteur de l'académie de
Nice, M. Dumont, à la suite de son expérience.
Le soldat-citoyen du xxie siècle ne pourra plus correspondre à celui de Valmy
ou au « Poilu ». C'est à l'école, désormais, que se construira cette
citoyenneté ; les militaires y ont donc toute leur place. Si l'on veut faire de
notre armée professionnelle une armée ouverte, elle doit avoir des contacts
avec l'école de la République.
Je tiens, enfin, à souligner mon soutien à la proposition de notre rapporteur,
que je félicite pour son rapport, sur l'instauration d'un Haut Conseil pour
assurer le suivi de cet enseignement de la défense à l'école. Refuser cette
participation parlementaire serait montrer trop peu de considération pour notre
travail.
Cette initiation doit être spécialisée au niveau supérieur en mettant l'accent
tout particulièrement sur les nouveaux enjeux en matière de défense que
constituent l'intelligence économique et les nouvelles technologies.
L'étude récente de M. Breton, chargé de recherche au CNRS, sur les systèmes de
valeur des informaticiens montre combien cette communauté n'a même pas
conscience des dangers que peut représenter l'outil informatique pour une
entreprise.
Les futurs cadres dirigeants français doivent être initiés à certaines notions
comme la sécurité informatique et l'intelligence économique. La nouvelle
bataille que se livrent actuellement les grands ensembles régionaux est de
nature économique et technologique. Il importe donc que la France sensibilise
ses citoyens à la défense de ses intérêts vitaux.
C'est dans cette optique que l'on doit aussi envisager le développement des
activités de l'IHEDN - l'Institut des hautes études de défense nationale,
notamment au niveau régional, afin qu'il fasse bénéficier de son enseignement
un public plus élargi qu'aujourd'hui. L'IHEDN peut devenir un précieux outil
pour la formation de ces futurs citoyens-soldats dont les meilleures armes
seraient le civisme et la responsabilité.
Depuis qu'il a été élu à la présidence de la République, Jacques Chirac a su
tirer judicieusement les leçons de la nouvelle donne géostratégique en lançant
la plus grande réforme que notre outil de défense ait jamais connue.
Il reste désormais à entreprendre la refondation de notre esprit de défense
afin qu'il remplisse à nouveau sa mission première : la formation civique du
citoyen, dans un contexte de mondialisation et de mutations sociales
internes.
Pour conclure, je résumerai mon propos en quatre questions, monsieur le
ministre.
Pourquoi avoir supprimé le rendez-vous citoyen pour le remplacer par une
journée qui n'a aucun intérêt et quel sera le coût réel d'une telle
organisation ?
Avez-vous la volonté d'associer le Parlement au travail de mise en place de ce
nouveau service national et de l'instauration de l'enseignement de la défense à
l'école ?
Pourquoi, au risque de mettre en échec la transition vers la
professionnalisation, renforcer le caractère inégalitaire du service national
dans ses dernières années d'existence ?
Enfin, pensez-vous réellement que l'esprit de défense sera diffusé par
l'éducation nationale alors que celle-ci n'est même plus capable de dispenser
l'instruction civique et la morale ?
(Exclamations sur les travées socialistes. - Très bien ! et applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi que nous examinons marque un passage obligé sur la voie de la
professionnalisation, sujet dont nous avons déjà largement débattu.
C'est la conséquence directe de la décision prise par M. le Président de la
République en février 1996, ce qui relativise, d'ailleurs, un certain nombre de
critiques que je viens d'entendre.
Pour ma part, je n'avais jamais contesté l'objectif. En revanche, dès ce
moment-là, j'avais exprimé des inquiétudes et des réserves sur la méthode
employée.
Toutefois, je comprends parfaitement que le projet de loi qui nous est
présenté aujourd'hui soit logiquement en conformité avec la décision prise par
le Président de la République.
En outre, il m'apparaît légitime qu'en période de cohabitation les questions
de défense nationale soient abordées dans un esprit qui tende vers le
consensus. Or, les décisions antérieures laissent peu de marge de manoeuvre.
Je prends donc acte, ici, du fait que le Gouvernement, par souci républicain
et par sens de l'équilibre démocratique, a eu le courage d'assumer la
continuité.
Ainsi, l'appréciation que je vais porter s'intègre dans le cadre réel que je
viens de décrire et qui s'impose à nous tous, moi compris.
L'examen de ce projet de loi n'a effectivement d'intérêt que dans le cadre
général des objectifs de la défense.
Votre texte, monsieur le ministre, a le mérite de partir d'une approche
globale de la question. Le souci de garantir la possibilité d'une
reconstitution des forces et la place promise à la réserve en témoignent.
En effet, à partir des connaissances que nous avons actuellement du contexte
stratégique, nul ne peut contester des éventualités selon lesquelles, dans les
vingt prochaines années, pourraient apparaître de nouvelles menaces, menaces
extérieures majeures, proches du territoire européen, ou graves crises
intérieures. Vous avez su tirer les conséquenes de ces possibles évolutions et
prendre les mesures conservatoires nécessaires.
Des progrès ont incontestablement été accomplis par rapport à l'approche de
votre prédécesseur. En effet, une remontée en puissance des effectifs
demanderait des délais et ne pourrait être improvisée au dernier moment. C'est
pourquoi nous approuvons la mise en place, en temps de paix, d'une préparation
militaire pour un grand nombre de jeunes, ainsi que la constitution d'une
réserve importante. Cette réserve doit reposer sur une organisation adaptée,
mise en état de veille et susceptible d'être facilement et rapidement
activée.
Ainsi, monsieur le ministre, le fait même d'avoir abordé la question de la
réserve dès le débat sur le service national prouve que, dans l'élaboration de
votre projet de loi, c'est bien de manière globale que vous avez traité les
besoins de la défense.
Parmi ces besoins, je veux particulièrement insister sur le concept de défense
du territoire national, qui doit, selon moi, demeurer une priorité de notre
politique de défense.
Dans une société moderne et démocratique comme la nôtre, l'armée a des
missions importantes. Au-delà de ses missions classiques de défense du
territoire, elle doit toujours être en mesure de mener des missions de service
public : la mise en place de sections en armes du type de celles qui sont
utilisées par Vigipirate, mais celle aussi des unités qui en cas de catastrophe
pourraient assumer un certain nombre de missions, par exemple de secours
d'urgence, ou des opérations de génie. Les réservistes doivent être
susceptibles, dans ce même cadre, de rendre des services à la collectivité.
Autre éventualité : une menace terroriste organisée, sur notre territoire,
assimilable à une menace militaire. La gendarmerie est-elle en mesure, à elle
seule, de remplir la mission de défense du territoire qui lui a été assignée ?
En a-t-elle réellement les moyens ? Ce sont des questions importantes
auxquelles il nous faudra répondre rapidement.
Pourtant, cette notion de défense du pays, de la collectivité nationale et de
ses valeurs doit être réintroduite de manière primordiale dans les objectifs de
défense, qui ont pu être perçus, à un certain moment, comme trop exclusivement
orientés vers la projection. Elle pourrait, en outre, constituer un élément de
réponse non négligeable aux doutes des militaires, qui se questionnent parfois
sur le sens de leur mission.
En effet, si nous n'y prenons garde, nous serons confrontés à un vrai problème
de motivation de l'armée, problème qui risque de se répercuter sur la qualité
du recrutement.
Pour y remédier, au coeur de la motivation des futurs militaires, au coeur du
rôle de l'armée et de l'officier, il doit y avoir la défense du territoire
national et de nos intérêts vitaux.
En confiant de nouvelles missions aux forces armées - telles que
l'organisation de l'appel de préparation à la défense, des préparations
militaires, mais aussi de la réserve - vous allez dans cette direction. Vous
leur permettez de s'impliquer, malgré la suspension de la conscription dans la
vie collective.
Poursuivant notre réflexion sur l'évolution de la société dans l'ensemble
économique, politique, culturel européen, nous sommes tous amenés à préciser
notre pensée. Pour ma part, j'adhère complètement aux propos tenus par le
Premier ministre lors de la session de l'Institut des hautes études de défense
nationale, l'IHEDN, le 4 septembre dernier, selon lesquels « l'intensification
de la coopération en matière de sécurité et de défense s'impose dans la
construction européenne. Des pays qui vont jusqu'à battre ensemble monnaie ne
sauraient avoir durablement des politiques de défense disjointes ».
C'est pourquoi, partageant ce sentiment, je souhaite que nous puissions
traduire ces principes, dès ce projet de loi, par des amendements que je
proposerai et que la commission a retenus à l'unanimité, portant à la fois sur
l'enseignement des objectifs de défense à l'école et sur ce que nous
diffuserons comme message au cours de la journée de préparation à la
défense.
Bien sûr, élaborer un nouveau projet de loi relatif au service national part
des objectifs tels qu'ils sont évalués pour les années à venir. Mais, au-delà,
la fin du service militaire obligatoire provoque nécessairement chez nous une
autre interrogation. Pendant des décennies, nous avons vécu sur le fait que le
lien armée-nation était constitué essentiellement par la période que chaque
jeune Français passait sous les drapeaux. Il s'agit donc maintenant de
réinventer la relation entre les préoccupations de défense et l'ensemble des
membres de la collectivité nationale.
Dans une société moderne, dès lors que nous avons une armée de professionnels,
quels rapports existera-t-il entre la nécessité de prévoir des menaces, de se
défendre, et la conscience qu'aura chaque citoyen que cette défense est assurée
pour lui, pour sa sécurité, pour la sécurité de sa famille, pour la sécurité de
la collectivité nationale, mais aussi pour la défense d'un certain type de
société, une société qui porte des valeurs démocratiques ? Cette exigence est
d'autant plus importante que la France, comme les autres grandes démocraties
européennes, souffre déjà d'une crise d'identité.
Il faut donc recréer un nouvel esprit de défense, car celle-ci ne s'opère pas
uniquement les armes à la main. Elle est globale et dépasse le simple cadre
militaire pour concerner les domaines culturel, économique ou social. Elle doit
demeurer la préoccupation de l'ensemble de nos concitoyens et être le fruit
d'une adhésion collective. Chaque Français doit prendre conscience que, même
avec une armée de professionnels, la sécurité du pays est l'affaire de tous.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai pas
été très enthousiaste à l'idée de supprimer complètement l'obligation
militaire. Je disais d'ailleurs lors du précédent débat, au mois de mars de
cette année, que ce service n'était pas parfait dans sa composante militaire et
qu'il devait être réformé.
Mais puisque nous supprimons un service inadapté, non rénové, au moins
profitons de cette occasion pour tenter de créer chez les jeunes, un nouveau
sentiment, un sentiment qui casse l'idée selon laquelle la défense serait
quelque chose d'inutile ou qui ne les concerne pas. N'est-ce pas le moment de
modifier l'image que l'armée avait à leurs yeux ?
A cet égard, je me réjouis de l'élaboration d'un nouveau protocole «
éducation-défense », que j'avais d'ailleurs appelé de mes voeux, destiné à
sensibiliser l'ensemble de la jeunesse à ces questions. Je reste persuadé qu'il
s'agit là d'un des moyens privilégiés pour refonder le lien armée-nation.
Pour autant, nous pouvons nous demander s'il n'est pas possible d'aller plus
loin que ce qui est prévu dans le projet de loi et d'imaginer que, dans un
avenir relativement proche, l'essentiel des objectifs de l'appel de préparation
à la défense puissent être atteints dans le cadre scolaire. Vous-même, monsieur
le ministre, le 20 août dernier, vous n'avez pas exclu que, dans l'avenir, cet
appel soit davantage intégré au système éducatif.
A ce moment de mon propos, je tiens à aborder, quitte à déranger un peu - et
je sais que ce sera le cas - un sujet qui semble encore faire problème dans
certains milieux dont parfois je me sens très proche. Les militaires
peuvent-ils aller dans les établissements scolaires pour contribuer à cette
formation de défense ? Peuvent-ils venir expliquer les cycles de préparation
militaire, la possibilité de souscrire à un volontariat ou encore l'adhésion à
la réserve ? Personnellement, j'y suis favorable.
Mais, pour y parvenir, il faut à tout prix réussir à vaincre les préventions
des uns et des autres, d'autant plus que je ne suis pas sûr que le débat soit
très bien orienté. Ce qui est parfois ressenti comme une intrusion du militaire
dans l'école et dans la vie quotidienne permettrait, en fait, un meilleur
contrôle citoyen sur une armée professionnelle. Une « ghettoïsation » de
l'armée, un enfermement de cette dernière sur elle-même serait ô combien plus
néfaste pour l'ensemble de la société.
M. Jean-Luc Bécart.
Très bien !
M. Bertrand Delanoë.
Mais je crois que cette idée commence à faire son chemin. En témoigne la
déclaration de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, estimant
qu'il pourra être envisagé qu'à un certain niveau d'enseignement des officiers
viennent faire des exposés sur tel ou tel sujet.
Je pense même que le protocole « éducation-défense » devrait concerner aussi
les études supérieures. Il nous faut, en effet, réfléchir au lien entre l'armée
et les futurs décideurs dans la société. Il ne serait pas mauvais que ceux-ci
possèdent de sérieuses connaissances en matière de défense. De la même manière
que les élèves des cycles supérieurs de l'université ou des grandes écoles vont
faire des stages en entreprise, serait-il aberrant qu'ils aillent en faire au
sein de l'armée ?
Je ne pense évidemment pas à une obligation, mais c'est un champ nouveau qu'il
me paraîtrait intéressant d'explorer.
Autre remarque : lorsque les jeunes Français passaient au moins dix mois sous
les drapeaux, il n'était pas du tout choquant que l'institution militaire, dans
le cadre de la défense nationale, se charge de leur bilan de santé et de
l'évaluation de leurs connaissances scolaires. Mais à partir du moment où ils
n'y passent plus qu'une journée, ces missions, tout à fait importantes, ne
peuvent plus être de la responsabilité de l'armée, selon moi. La médecine
scolaire et l'éducation nationale doivent y pourvoir. C'est pourquoi je
souhaiterais que la journée d'appel de préparation à la défense soit recentrée
essentiellement sur les questions de défense.
Malgré sa durée limitée, cet appel constitue une occasion de sensibiliser la
jeunesse à son devoir de défense. Il contribuera ainsi à lui rappeler
l'implication de tous les citoyens dans la défense du pays. Toutefois, une
attention particulière devra être apportée à sa mise en oeuvre : au niveau des
modalités de son organisation, dans la définition du contenu des enseignements
et du choix des intervenants. Lorsque l'expérience aura duré suffisamment, je
crois que nous devrions procéder à une évaluation de ses résultats, puis les
comparer aux objectifs que nous nous étions fixés.
Au-delà de toutes les innovations que nous venons d'évoquer - mais qui ne
concernent que les jeunes de notre pays - et parce que les citoyens dans leur
totalité ne passeront plus une longue période sous les drapeaux, la refondation
du nouveau lien armée-nation doit concerner les Français de tout âge et, donc,
se concevoir au moyen d'un dispositif beaucoup plus large.
A l'ère de la communication et dans un esprit démocratique, le sentiment de
défense peut être nourri par de grands moments d'information, de
sensibilisation, d'échange sur les besoins et les moyens de notre sécurité.
Pourquoi ne pas créer aussi des occasions de rencontre entre les citoyens,
l'armée et les préoccupations de défense ? Par l'organisation de manifestations
comme des journées « portes ouvertes » dans les casernes, à l'instar de ce qui
se fait lors des journées du patrimoine ; par la mise en oeuvre de
démonstrations de matériels militaires ou de manoeuvres ; mais aussi par un
ensemble d'initiatives qu'il nous reste à inventer. Le but est, en effet,
d'établir un contact direct et profond entre la nation et l'armée.
D'ailleurs, la possibilité est donnée aux femmes d'accéder aux préparations
militaires, à la réserve et aux volontariats, mais aussi l'obligation de
participer à l'appel de préparation à la défense, y contribueront
pleinement.
Cette ouverture de l'armée professionnelle sur l'ensemble de la société doit
s'accompagner, en toute logique, de la recherche d'un cadre adapté et
spécifique afin que les militaires puissent s'exprimer. Mais je suis conscient
que je touche là à un autre débat, difficile, qui méritera que l'on y revienne
plus longuement ensemble.
Le lien armée-nation est un des grands chantiers qui attendent la société
française à l'aube du troisième millénaire. De la façon dont nous réussirons à
relever ce défi dépendra pour longtemps l'organisation de notre défense et la
sécurité du pays.
La réforme en cours est suffisamment importante pour que nous prenions le
temps, au fur et à mesure de sa réalisation, de l'adapter, à la fois pour que
les objectifs de notre défense nationale correspondent bien aux besoins de
sécurité et pour que cette professionnalisation ne conduise pas à couper
l'armée du pays.
Monsieur le ministre, votre projet de loi nous fait franchir une nouvelle
étape. C'est une nouvelle étape pour que, dans la définition des missions de
nos armées, au-delà de la mobilité, de la souplesse, de l'efficacité, la
défense du territoire national et de nos intérêts vitaux restent bien au centre
de notre préoccupation de défense. C'est une nouvelle étape pour adapter
l'armée aux besoins de notre sécurité. C'est une nouvelle étape pour la
refondation du lien armée-nation. Votre projet de loi nous met sur le bon
chemin pour atteindre ces objectifs. C'est pourquoi nous l'approuverons.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
J'informe le Sénat que la commission des affaires étrangères, de la défense et
des forces armées m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la
désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la
réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur le
projet de loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
En intervenant sur ce projet de loi portant réforme du service national, je ne
vous cacherai pas, monsieur le ministre, la perplexité qui est la mienne et
celle de mes amis du groupe communiste républicain et citoyen.
Vous le savez, nous avions constesté et combattu l'objectif, annoncé par le
Président de la République en février 1996 et mis en oeuvre par le gouvernement
précédent, d'effectuer la professionnalisation complète de nos forces armées
d'ici à 2002.
Depuis, nous avons réaffirmé à chaque occasion notre préférence pour l'armée
mixte et pour le maintien d'une conscription fortement rénovée.
Notre prévention vis-à-vis de l'armée de métier ne vient pas d'une méfiance
envers les cadres militaires professionnels. Si cela pouvait être le cas voilà
quelques décennies, vis-à-vis de certains cadres formés à l' « école » des
guerres coloniales, il faut dire et répéter que, dans la majorité des cas,
l'attachement des cadres militaires d'aujourd'hui aux valeurs républicaines ne
saurait être mis en doute.
Nous, nous sommes pour l'armée mixte de par notre conception de la
citoyenneté, parce que nous sommes attachés au principe républicain du devoir
de défense, parce que nous pensons essentiel de favoriser la prise de
conscience, la responsabilisation de chaque citoyen vis-à-vis de son devoir de
défense de la communauté nationale.
« L'arme la plus efficace cesse de l'être quand le bras qui la soutient
devient défaillant », a dit un stratège pertinent.
Nous appréhendons le domaine de la défense dans sa globalité, dans ses
dimensions certes militaires, mais aussi politiques et sociologiques, que ce
soit au regard de la cohésion nationale ou du niveau de conscience civique et
dans une vision à long terme.
Que ce soit dans l'engagement d'opérations extérieures ou en cas de menace
intérieure - terroriste ou autres - le niveau de conscience civique, la
solidité morale de la population, le lien entre les citoyens et leurs forces
armées sont aussi importants que la valeur de nos armes et de ceux qui les
mettent en oeuvre.
Avec la suppression de la conscription - certes, le projet de loi parle de «
suspension » - le risque est réel, selon nous, de constater dans l'avenir un
désintérêt, une déresponsabilisation de notre société quant à sa défense. Je
dis cela sans sous-estimer
a priori
l'impact du volontariat et la future
organisation des réserves.
Nous ne versons pas non plus dans la nostalgie et la défense d'une conception
périmée du service militaire « à la papa ».
Faute d'avoir été réformé à temps, l'actuel service national a perdu beaucoup
de son efficacité et de sa crédibilité. La montée à son égard des sentiments
d'inutilité, de perte de temps, d'inégalité était arrivée, malheureusement, à
un niveau sensible.
Mais sa suppression fera apparaître au grand jour l'une de ses propriétés les
plus fortes : son caractère social.
Le service national permettait encore, même si c'était beaucoup plus vrai
autrefois, un certain brassage des milieux sociaux et des terroirs. Il
permettait aux jeunes Français issus de l'immigration de franchir une étape
dans leur intégration dans la communauté nationale.
Des exemples ont ainsi montré qu'il avait agi chez de nombreux jeunes
défavorisés issus de l'immigration maghrébine comme un antidote à l'égard de
l'intégrisme religieux.
En cette époque, qui pousse plus à l'individualisme qu'à la solidarité, le
service national, même avec ses défauts, restait pour nombre de jeunes la
première expérience de vie communautaire.
Avec de plus en plus de lourdeurs et de moins en moins de moyens, il limitait
certains dégâts de la fracture sociale. Il contribuait aussi à maintenir la
cohésion nationale, pilier essentiel de la force d'un pays.
Si la fracture sociale n'est pas un problème concernant directement la
défense, à l'analyse, elle apparaît comme une des menaces insidieuses, mais
majeures, pour notre pays.
Enfin, le service national, singulièrement dans sa dimension militaire,
sacralisait d'une certaine façon l'armée dans l'esprit de nos concitoyens.
Au lieu d'examiner un projet de suppression, nous aurions préféré, vous le
savez, que soit ouvert un autre chantier, celui de la modernisation du service
national, de son adaptation à la société d'aujourd'hui, à la situation
stratégique actuelle et prévisible à court terme, aux aspirations et aux
besoins des jeunes de notre époque, prenant en compte le fait qu'il n'est plus
nécessaire de maintenir sous les drapeaux toute une classe d'âge pendant près
d'un an.
Nous aurions préféré que soit envisagée, par exemple, l'instauration d'une
période de formation civico-militaire courte et digne de ce nom, prolongée par
des stages dans des unités.
Nombre d'organisations politiques, syndicales, associatives, préconisaient
l'an dernier, vous le savez, des solutions alternatives de ce type.
L'association des anciens auditeurs de l'IHEDN parlait même d'un « rendez-vous
du soldat citoyen » de deux mois.
S'il est vrai que la professionnalisation de bon nombre d'unités est une
nécessité que nous comprenons parfaitement, il est non moins vrai que chaque
jeune Français a besoin, pour devenir un citoyen accompli - et pas seulement un
consommateur - d'une formation civique et militaire de base.
Cela dit, monsieur le ministre, je mesure bien la grande difficulté qu'il y
aurait eu à ouvrir le chantier de la modernisation de la conscription.
Je suis bien conscient de la position délicate dans laquelle le Gouvernement
était placé, dans le flot du courant d'une réforme déjà très engagée.
L'annonce par M. Chirac, dans les conditions que l'on sait, et que nous avions
dénoncées, de l'arrêt du service national obligatoire, a eu, en février 1996 et
dans des mois qui ont suivi, un impact réel, même si le bénéfice électoral n'a
pas été évident en juin dernier.
Avec le temps, qui, il faut bien le dire, ne jouait pas et ne joue pas en
faveur des partisans d'une circonscription certes rénovée mais maintenue, une
part croissante de l'opinion considérait déjà cette suppression de l'obligation
comme un acquis et, pour certains, comme un « avantage acquis », comme la fin
d'une contrainte pesante.
C'est l'une des raisons pour lesquelles, bien que m'étant opposé, en son temps
et sans hésitation, au projet de loi de votre prédécesseur, je ne voterai pas
contre votre projet de loi.
Malgré cette divergence de fond, d'autres raisons m'incitent, monsieur le
ministre, à considérer votre projet de loi avec un regard intéressé.
Je trouve qu'il apporte quatre améliorations sensibles à celui de votre
prédécesseur, notamment pour essayer de pallier le déficit de l'esprit de
défense et du lien entre la société et les forces armées.
Tout d'abord, votre projet de loi valorise le volontariat en en améliorant les
conditions matérielles. Calqués, pour une durée maximale, sur le dispositif
emplois-jeunes, les postes de volontaires verront leur rémunération mensuelle
portée de 2 000 francs au SMIC.
Ces mesures incitatives calment un peu certaines interrogations que l'on peut
se poser quant au fonctionnement des armées, notamment de l'armée de terre, en
cas de difficultés de recrutement d'engagés.
Certains de nos collègues de la majorité sénatoriale ont exprimé des
réticences à l'égard de la longueur du volontariat, craignant qu'une certaine
confusion puisse aussi exister entre le contrat d'engagé dans sa durée la plus
courte et le contrat de volontariat, les rémunérations étant finalement assez
voisines.
Je ne pense pas que cette éventuelle confusion, si confusion il y a vraiment,
puisse être un obstacle qui contrebalance les avantages de l'attractivité et de
la diversité que vous avez introduites.
Monsieur le ministre, je pense qu'il serait utile de mettre en place, au cours
de ces volontariats, des formations qualifiantes, en particulier pour ceux qui
auront opté pour les durées les plus longues.
Par ailleurs, il serait bien de permettre aux volontaires de cotiser à
l'assurance chômage, là aussi peut-être pour les durées les plus longues, afin
qu'ils bénéficient des ASSEDIC en cas de chômage après leur période de service
dans les armées.
Ensuite, votre projet de loi, et ce n'est pas la moindre de ses qualités,
institue, dans l'éducation nationale, un véritable enseignement des questions
de défense et de sécurité à l'intérieur des formations en histoire, instruction
civique, géographie et économie dans les collèges et les lycées.
Cette disposition peut s'avérer capitale pour endiguer le risque de décalage
entre le pays et ses forces armées.
Tout en faisant confiance à l'esprit de responsabilité des enseignants, je
mesure bien la difficulté de la mise en oeuvre de cette disposition pour la
rentrée prochaine.
Je pense également qu'en complément du travail des enseignants la prestation
d'intervenants extérieurs serait utile en la matière : cadres d'active de
l'armée - je rejoins ici M. Delanoë - cadres d'active de la gendarmerie,
réservistes, anciens résistants, auditeurs de l'IHEDN, conseillers de défense
et - pourquoi pas ? - parlementaires. Il ne manque pas de personnalités dans ce
pays qui, à moindres frais ou bénévolement, seraient d'accord pour faire
partager leurs convictions à notre jeunesse et aider à sa prise de conscience
dans ce domaine.
Troisième disposition améliorant l'ancien dispositif, la réapparition d'une
préparation militaire ouverte à tous après l'appel de préparation à la défense
et ouvrant l'accès aux forces de réserve.
A cet égard, nous aurons le même sentiment qu'à l'égard de la disposition
précédente, même si nous attendons des précisions sur la durée, le contenu et
les objectifs de cette préparation militaire « nouvelle formule » que nous
approuvons dans son principe.
Enfin, quatrième bonne nouvelle par rapport au projet ancien, l'annonce d'une
future réorganisation des réserves qui rompt avec la logique de décrépitude
instaurée depuis plusieurs années.
Ouvrir la réserve aux volontaires et à ceux qui auront suivi la préparation
militaire, lui donner un rôle actif et de soutien direct à certaines missions
de l'armée, tout cela va dans le sens que nous souhaitons, à savoir, notamment,
là encore, limiter le décalage entre l'armée et la nation.
Le temps qui m'a été imparti ne me permet pas d'aborder d'autres points, par
exemple le service national adapté ; je ne peux, à ce propos, qu'attirer par
avance votre attention sur ce qu'en dira excellemment tout à l'heure, dans la
discussion des articles, mon ami Paul Vergès, sénateur de la Réunion.
Monsieur le ministre, j'ai tenté d'exprimer mon embarras et celui des
sénateurs de mon groupe à l'égard du présent projet de loi.
Notre sentiment est mitigé : si nous ne sommes pas convaincus du bien-fondé de
la suppression du service national et de la non-mise en chantier de sa
modernisation, nous reconnaissons vos efforts, d'une part, pour relancer, sous
d'autres formes, la prise de conscience des citoyens quant à leur devoir de
vigilance en vue de la défense de la communauté nationale et, d'autre part,
pour assurer la pérennité du lien entre la société et ses forces armées.
Nous nous abstiendrons donc.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis deux
siècles, le service national a contribué efficacement à notre défense et a
constitué un lieu de brassage social. Toutefois, il est devenu au fil des
années inégal dans ses conditions d'exécution comme dans son recrutement.
En raison de l'évolution des menaces et des technologies, les besoins de nos
armées appellent une réforme profonde de leur composition.
En annonçant, le 22 février 1996, leur professionnalisation en 2002, en
application de la loi de programmation militaire 1997-2002 votée au mois de
juin 1996, le Président de la République a suscité un vaste débat sur le
nécessaire maintien d'un lien fort entre l'armée et la nation.
Une préférence pour un service fondé sur le volontariat s'est dégagée en même
temps que pour l'organisation, au terme d'un recensement obligatoire, d'un
rendez-vous citoyen, universel et égalitaire, réunissant garçons et filles,
donnant lieu principalement à une évaluation médicale et scolaire, à une
sensibilisation à la défense et à la vie civique, à des actions en faveur de
l'insertion et de l'orientation.
Le projet de loi déposé par le gouvernement d'Alain Juppé le 28 novembre
dernier développait ainsi un ensemble de mesures visant notamment à dresser un
bilan sanitaire, scolaire et socioprofessionnel qui devait permettre aux jeunes
de mieux connaître leurs aptitudes et d'identifier les difficultés auxquelles
ils peuvent être confrontés.
L'appel de préparation à la défense, ce simple cours d'instruction civique
d'une journée qui nous est proposé aujourd'hui, ne peut nous satisfaire. Il
s'agit là d'une mascarade destinée à dissimuler l'abandon par le Gouvernement
socialiste d'un projet fort et cohérent de mobilisation civique. Cette journée,
que nous préférons appeler Rencontre armées-jeunesse, doit être dense. En
l'état, elle paraît insuffisante pour répondre efficacement à notre attente, en
préservant les missions traditionnelles de prévention et d'évaluation.
Peut-on miser, comme il est suggéré dans le texte qui nous est soumis, sur le
relais de l'éducation nationale ? En effet, celle-ci est déjà sollicitée sur de
multiples fronts et impuissante à faire face, faute de moyens ou de
mobilisation suffisante, à l'échec scolaire chronique.
L'éducation nationale est-elle capable, compte tenu des réticences de nombreux
enseignant, sur les principes de notre défense nationale - M. le ministre de
l'éducation lui-même les a évoquées - de sensibiliser les élèves aux besoins de
nos armées ?
A une époque où l'effondrement de nombreuses structures familiales, où la
précarité économique et sociale, frappent de larges couches de la population,
engendrant pour quantité de jeunes mineurs de seize à dix-huit ans une
situation dangereuse sur le plan tant éducatif que médical, il paraît plus que
jamais nécessaire que le rendez-vous de cohésion nationale qui est proposé
donne lieu à une réelle détection des cas de carence.
Ce fut jusqu'ici la grandeur de notre service national de pallier les
dysfonctionnements du système éducatif en combattant l'illettrisme, en
concourant utilement à la formation professionnelle de base et en assurant le
suivi médical de nombreux appelés n'ayant pas bénéficié jusqu'alors de
traitements appropriés à leurs pathologies.
Certes, et fort heureusement, cela concernerait peut-être une minorité de
jeunes, mais en un temps où la situation de très nombreux adolescents se
dégrade, peut-on se désintéresser de cet aspect des choses, secondaire
apparemment par rapport à l'objectif du présent texte, mais dont l'abandon
constituerait une régression majeure par rapport à ce qui se pratiquait
antérieurement ?
La médecine scolaire, qui est déjà saturée, n'est nullement en mesure de jouer
le rôle qu'avait l'armée en matière de prévention. Dans sa sagesse, et
consciente des responsabilités qui nous incombent, la commission de la défense
du Sénat a réintroduit dans le projet de loi du Gouvernement des dispositions
visant à préserver ce bilan sanitaire et scolaire indispensable.
La réforme du service national est profonde et marque, à n'en pas douter, une
rupture radicale avec l'esprit même de la conscription qui mobilisait depuis la
Révolution française les jeunes hommes pour sauver la patrie en danger.
Cette rupture, inéluctable, intervient à un moment où la jeunesse doute de son
avenir tant le chômage rend aléatoire son insertion professionnelle. Aussi
devons-nous nous interroger ici sur le sens de la période d'incorporation qui
va être demandée aux dernières classes d'âge d'ici à 2002.
Je partage le souci de ne pas accentuer le caractère inégalitaire des
dispenses ou des reports, et je comprends la nécessité pour l'armée de gérer
des effectifs tout au long de la phase de transition. Mais il me semble tout
aussi injuste de placer des jeunes, diplômés ou non, dans les quatre ans qui
viennent, dans la situation de se voir refuser un emploi sous prétexte qu'ils
n'ont pas accompli des obligations militaires dont la disparition est
programmée à brève échéance. Au-delà des principes républicains, il me semble
que la réalité sociale doit être prise en compte avec pragmatisme et que les
commissions régionales de dispenses doivent pouvoir examiner de manière
appropriée les situations individuelles qui leur sont soumises.
En tant que maire, je constate le problème que pose à de nombreux jeunes et à
leurs parents cette perspective vécue comme une contrainte insupportable, alors
même qu'ils ont eu la chance, ou simplement le mérite, par leur détermination,
de trouver un emploi en contrat à durée indéterminé avant d'avoir effectué leur
service national.
Il est nécessaire aussi de s'interroger sur les conséquences, pour de petites
entreprises souvent à caractère familial, du départ d'un jeune, diplômé ou non,
devenu l'élément indispensable d'un marché ou d'une labellisation dont
l'interruption risque de porter un coup fatal au développement économique de
l'entreprise.
Nous sommes engagés dans une réforme sans précédent depuis l'an II de la
République pour adapter notre système aux réalités du monde d'aujourd'hui.
C'est sans nostalgie que nous devont opérer cette mutation, sûrs que nous
sommes de sa justification ; mais notre volonté est de déboucher sur une
implication plus grande de la communauté nationale tout entière en renforçant
le sens civique des jeunes Français.
Cela va de pair avec le rôle fondamental de la nation de dresser, en cette
circonstance capitale, un état des caractéristiques d'une classe d'âge,
permettant les remises à niveau et le développement d'une véritable prévention,
sans distinction d'origine sociale.
C'est, en demeurant fidèle à ce principe, respecter un des idéaux fondateurs
de la République française.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le ministre, nous examinons aujourd'hui votre projet de loi portant
réforme du service national. Ce texte s'inscrit dans une démarche engagée en
1996 et dont vous n'êtes pas l'auteur : c'est en effet M. le Président de la
République, Jacques Chirac, qui a décidé la professionnalisation de nos
armées.
Au cours des discussions que nous avons eues avec votre prédécesseur, M.
Charles Millon, j'ai regretté à plusieurs reprises que le destin du service
national se traite en dernier ; je voulais dire par là que les décisions
antérieures du Parlement concernant la professionnalisation et la loi de
programmation militaire conduisaient, en fait, à la disparition du service
national.
Je pensais, et je pense encore, que cette disparition est une grave erreur.
Il était alors possible de transformer et ainsi d'adapter le service national
aux exigences nouvelles des conflits et des agressions multiformes, et de
répondre en même temps aux besoins d'intégration de notre société ainsi qu'aux
aspirations de notre jeunesse.
La volonté du Gouvernement précédent, sa méthode de progression vers une armée
de métier ne l'ont pas permis. Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous êtes
prisonnier de cette situation. L'héritage est lourd ; il représente un parcours
d'obstacles dans lequel votre marge de manoeuvre est étroite.
En dépit de ce passage exigu, vous introduisez de la cohérence, du bon sens et
de la mesure. Contrairement à ce qu'affirmait notre collègue Nicolas About, il
ne s'agit pas de ralliement, il s'agit de réalisme ! Pour vous, monsieur le
ministre, il n'était pas question de ballotter nos armées d'une réforme avancée
à une nouvelle réforme. Je suis convaincu que les militaires, auxquels je rends
hommage, y seront sensibles.
Votre projet de loi n'est donc pas une rupture. Il constitue une adaptation à
une situation dont les contraintes multiples et parfois contradictoires
limitent, voire rendent impossibles les choix que vous auriez voulu nous
proposer. Il était bon de le rappeler car ceux qui, hier, ont créé cette
situation ont déjà commencé aujourd'hui à vous le reprocher. Je leur dis très
cordialement que ce sont eux qui ont édifié l'espace étroit dans lequel
l'actuel ministre de la défense doit oeuvrer.
En dépit de cet environnement défavorable, monsieur le ministre, votre projet
de loi s'inscrit dans la cohérence. Trois exemples suffiront à le démontrer.
Premièrement, vous poursuivez la marche vers la professionnalisation des
armées avec la double préoccupation de votre prédécesseur, à savoir la
disponibilité et la mobilité des armées. Le volontariat, d'une part, et la
réserve, d'autre part, compléteront notre dispositif militaire. D'ici à 2002,
le volontariat rassemblera plus de 27 000 jeunes garçons et jeunes filles, dont
plus de 16 000 seront affectés dans la gendarmerie au niveau des
départements.
Monsieur le ministre, les gendarmes volontaires seront-ils logés comme le sont
les titulaires ? Cette réforme devrait permettre, me semble-t-il, de mettre un
terme à un transfert de charges trop pratiqué, qui consiste, encore
aujourd'hui, à demander aux communes de loger les gendarmes auxiliaires venant
en renfort dans leur brigade.
Deuxièmement, vous préparez la disparition de l'actuel service national tout
en gardant la possibilité pour le Parlement de réactiver l'appel sous les
drapeaux.
Troisièmement, vous entendez poursuivre l'effort de réduction des dépenses
entamé, je le rappelle, par vos prédécesseurs. Cette démarche cohérente porte
la marque du bon sens.
Le rendez-vous citoyen est remplacé par l'appel de préparation à la défense.
D'un rendez-vous de cinq jours, nous passons à un appel d'une journée.
Je n'ignore pas que la suppression du rendez-vous citoyen risque d'être mal
perçue par les villes - je pense à Nîmes, dans le Gard - qui devaient
l'organiser. Il est probable que des compensations d'activité seront demandées,
monsieur le ministre. Pour ma part, elles me paraîtraient très opportunes.
Malgré cela, votre proposition procède du bon sens. En effet, à beaucoup
d'entre nous, et de tout horizon politique, le rendez-vous citoyen apparaissait
comme un outil inutilisable, car ingérable, inadapté et financièrement
lourd.
Dans les rangs même de l'ancienne majorité, c'est-à-dire de la majorité
actuelle du Sénat, parmi d'éminents spécialistes des questions militaires, M.
Philippe de Gaulle disait avec clairvoyance et réalisme du haut de cette
tribune, lors de notre séance du 4 mars 1997 : « Dans le domaine pratique, ou
pragmatique, si vous voulez, je propose que le "rendez-vous citoyen",
qui est une idée louable, soit plutôt appelé le "recensement
national" et qu'il s'en tienne à ce qu'on appelle couramment "les
trois jours", c'est-à-dire à une seule journée effective, comme le système
en est bien rodé maintenant. » Il est alors précisé, dans le compte rendu
intégral des débats du Sénat :
« (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.) »
Oui, il s'agit bien de réalisme !
Certains continueront à affirmer qu'un seul jour est insuffisant et que l'on
pourrait donc le supprimer. Ce serait une nouvelle erreur, car il constitue un
signal fort du lien armées-nation.
Le contenu de cette journée est certes important, mais la signification
qu'elle porte en elle est encore plus importante, car elle concrétise l'idée de
devoir envers la nation.
Ce lien armées-nation est encore renforcé par le recensement obligatoire et
par la relation nouvelle, opportune, armées-école : « Les programmes scolaires
incluent une initiation des adolescents aux principes de la défense. » Et c'est
à la lumière de cette modification des programmes scolaires que la journée, la
seule journée, prend toute sa signification.
Tout cela est cohérent, tout cela procède du bon sens et aussi de la mesure ;
de la mesure, c'est-à-dire de l'équilibre.
Vos propositions visent à atteindre l'efficacité au moindre coût. Trois
exemples peuvent illustrer cette affirmation.
Premièrement, s'agissant de l'appel de préparation à la défense, dans un souci
louable de perturber le moins possible le travail, les études, les
programmations, les jeunes pourront choisir parmi trois dates au moins. Pour
ceux qui travaillent, cet appel fera l'objet d'une autorisation exceptionnelle
d'absence, sans réduction de rémunération.
Deuxièmement, les jeunes nés avant le 1er janvier 1979 et soumis à l'appel
sous les drapeaux pourront bénéficier d'un allongement du report
d'incorporation ainsi que d'un assouplissement des dispenses des obligations
militaires.
Troisièmement, l'employeur ne pourra pas résilier un contrat de travail en
raison du service national.
Ces propositions sont en parfaite cohérence avec les emplois que le
Gouvernement de Lionel Jospin veut proposer aux jeunes. Elles témoignent aussi
de votre préoccupation, monsieur le ministre, de rendre compatibles les
exigences de notre défense et les préoccupations, les intérêts de notre
jeunesse.
Au moment où le Gouvernement met en place les emplois-jeunes, il aurait été
difficile de comprendre qu'un appel sous les drapeaux en voie de disparition
prive systématiquement un jeune de son emploi. Les mesures que vous proposez,
si elles sont accompagnées d'un peu de compréhension lors de leur application,
devraient éviter l'apparition de situations pénalisantes.
Malgré la situation difficile laissée par vos prédécesseurs, votre projet,
monsieur le ministre, apporte des solutions simples et réalistes. Le groupe
socialiste le soutiendra.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi pour certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mardi 4
mars 1997, j'intervenais à cette tribune lors du débat sur le projet de loi
portant réforme du service national pour démontrer que, même si les intentions
pouvaient être louables, leurs effets déboucheraient sur un échec compte tenu
d'une totale impossibilité pratique de mettre en oeuvre de semblables
décisions.
Et je disais alors : « En cinq jours, qui ne seront que quatre, de par
l'accueil à l'arrivée et les formalités de départ, en dix centres, d'autres
peut-être dans le futur, en quarante semaines au maximum, comment peut-on
penser que l'on puisse, de manière sérieuse, faire le bilan de santé des
participants, leur donner une information dans ce domaine, dresser avec eux un
bilan de leur situation - personnelle, scolaire, universitaire et
professionnelle - rappeler le fonctionnement des institutions de la République
et de l'Union européenne - vaste programme - expliquer les enjeux de la
défense, conforter l'esprit d'appartenance à une communauté nationale et
présenter les différentes formes du volontariat ? »
Mon exposé mettait en évidence « qu'on ne peut pas faire tenir un tonneau dans
une bouteille d'un litre, sauf quand elle est cassée ». Je n'envisageais par
ailleurs qu'en une phrase les répercussions financières d'un tel rendez-vous de
cinq jours tant je songeais à l'incapacité de le réaliser.
L'utopie peut être pavée de bonnes intentions, mais les échéances électorales
le sont parfois de trompeuses propositions. Une remise en ordre était donc
indispensable, d'autant qu'un tel rendez-vous, où tout devrait se faire et où
rien ne serait réellement accompli, coûtait néanmoins une semaine à chaque
jeune citoyen, sans oublier les entreprises, et à l'Etat une prise en charge
dont nous ne connaissions pas le montant.
Un nouveau projet de loi nous est présenté, comportant un recensement - la
nation en a besoin - et une rencontre d'un seul jour avec l'armée, informatrice
et républicaine, suffisante en soi, géographiquement et temporellement répartie
pour éviter des files d'attente et des pertes de temps, en privilégiant
l'efficacité. Voilà donc un point de ma précédente controverse positivement
résolu.
J'en avais soulevé un second, celui d'une discrimination qui excluait, pour un
temps certes - mais nous savons tous la durée du temporaire - nos jeunes filles
d'un accès, identique à celui de nos garçons, aux différentes possibilités de
coopération proposées et à un engagement volontaire. J'aimerais, monsieur le
ministre, que les délais d'attente soient écourtés afin de permettre à celles
qui en feraient la demande d'accéder à ces postes.
Monsieur le ministre, votre projet répond, je pense, aux questions que j'avais
posées, et mon vote sera donc positif.
Mais je n'aurais pas eu de raisons de venir dire seulement mon approbation à
cette tribune si je n'avais pas cru nécessaire d'exprimer d'autres
préoccupations.
La première a trait à la période de transition. Comme souvent, un flou demeure
en ce qui concerne les générations intermédiaires, alors qu'en matière
d'emploi, en particulier d'emploi des jeunes, nos décisions ne doivent surtout
pas gêner cette tranche d'âge.
Je désire, monsieur le ministre, attirer votre attention sur l'importance de
plusieurs facteurs. Il me semble tout d'abord primordial de respecter autant
que faire se peut le principe d'égalité étant donné la différence majeure
qu'induira inévitablement la réforme entre les classes d'âge.
Ensuite, il faut prendre en compte les difficultés économiques auxquelles ces
jeunes sont confrontés dans la période actuelle et veiller à ne pas faire
obstacle aux opportunités professionnelles dont ils pourraient bénéficier. Je
vous demande donc d'atténuer l'impact de la loi sur les jeunes qui seront
concernés pendant cette période transitoire.
Il est bien entendu par ailleurs, monsieur le ministre, qu'en cas de danger
pour la nation l'ensemble des Français et Françaises recensés pourront être
normalement appelés à défendre la République. Les derniers conflits dans
différents pays ont bien montré la valeur d'une telle mobilisation générale
associée à l'action d'une armée de métier.
Enfin, j'aborderai un dernier point : on exige des sociétés des bilans
financiers, je demande à la société des bilans humains.
En préambule, monsieur le ministre, je déclare partager votre opinion. Ces
bilans ne relèvent pas de votre ministère. Alors, pourquoi en parler
aujourd'hui ? Simplement parce que ces problèmes, hors débat, ont néanmoins
suscité des interventions et des discussions assez houleuses à l'Assemblée
nationale et que nous ne saurions ici les passer sous silence, non pour en
débattre maintenant, mais pour demander une prise en compte de ces questions
par le Gouvernement.
Il me semble évident que le rôle de l'armée nouvelle et moderne n'est pas de
réaliser un bilan de santé ou un bilan personnel, scolaire, universitaire,
professionnel, ou encore d'expliquer les institutions de la République et de
l'Union européenne. Serait-ce même démocratiquement raisonnable ?
Je sais cependant que, au-delà des compétences de votre ministère, vous avez
des opinions sur les moyens de répondre à ces lacunes qui demeurent en suspens
et dont vous avez certainement discuté au sein du Gouvernement. Je vous demande
non pas de les développer, puisqu'elles dépassent le cadre de vos fonctions,
mais au moins de les effleurer devant notre assemblée, que vous connaissez bien
et dont vous savez la sagesse, pour apaiser quelques inquiétudes.
Me permettrez-vous, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, de lancer quelques idées ? Elles ne sont pas originales, je le sais,
mais encore est-il bon de les répéter sans cesse.
Dans le domaine de la santé, un bilan ne pourrait-il pas être instauré par la
médecine scolaire à l'âge de seize ans ? Cette suggestion a déjà été faite.
J'ajoute que, si les salariés bénéficient chaque année d'une consultation
médicale et s'ils ont droit tous les cinq ans à un bilan plus complet, il n'en
est pas de même pour nos autres concitoyens : l'égalité n'est pas respectée.
Je soulève là, je le sais, une vieille controverse entre la prévention et les
soins. Qui va payer ? J'entends déjà des objections. Ne serait-ce pas folie que
de surcharger ainsi les dépenses de notre système de santé ?
A cela, je réponds que la solution est d'engager, avec tout le sérieux et le
temps nécessaires, des réflexions, des discussions avec tous les partenaires
concernés par ce sujet primordial, pour aboutir à une vue commune et à des
accords qui ne se limitent pas à des timbres-poste, mais recouvrent l'ensemble
d'un système de santé que nous voulons sauvegarder, alors qu'il s'enlise dans
des déficits au risque de disparaître.
En ce qui concerne le bilan personnel, scolaire, universitaire et
professionnel, qui mieux que nos enseignants pourrait le faire ? Ils
connaissent leurs élèves ! Beaucoup s'y emploient déjà à titre personnel.
Certes, quelques erreurs d'appréciation demeurent possibles, mais elles sont
corrigeables. Et ces mêmes enseignants sont aptes à expliquer le fonctionnement
de la République et de l'Union européenne.
Un autre point important touche à l'information. Puis-je suggérer que des
textes, simples à lire et à comprendre, soient distribués à nos jeunes, soit
lors de leur recensement, soit avant leur appel à la préparation à la défense,
afin qu'ils puissent poser leurs questions sur un éventuel volontariat et qu'un
dialogue s'instaure.
Il me semble également nécessaire d'utiliser aujourd'hui à bon escient des
méthodes modernes de diffusion multimédias. Notre jeunesse est de plus en plus
à l'écoute des informations ainsi fournies. L'armée ne tirerait que profit à
dire ce qu'elle propose.
Enfin, en ma qualité de sénateur, je suis allé, comme vous, mes chers
collègues dans des écoles où j'ai expliqué ce qu'était notre assemblée et où,
devant des professeurs, j'ai répondu à un feu d'interrogations posées par les
élèves. L'armée pourrait faire de même avec, j'en suis persuadé, plaisir et
intérêt, car elle est toute désignée pour expliquer ce qu'elle est, ce qu'elle
fait et risque malheureusement d'avoir à entreprendre, en faisant une
description en direct qui passionnerait sans doute nombre de nos jeunes.
Autrement dit, je crois possible de réaliser ces bilans et cet enseignement
sans rien abandonner, en utilisant des moyens adaptés. Dans un tel engagement
social, chacun jouerait son rôle en fonction de ses compétences et dans
l'intérêt de notre jeunesse.
Monsieur le ministre, je vous prie d'excuser cette intrusion « hors sujet »,
mais il s'agit d'un sujet qui me tient à coeur.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quoi
s'agit-il ? Quelle défense voulons-nous pour la France du début du troisième
millénaire ? Quelles missions, quelles ambitions, quelles responsabilités
seront les siennes en Europe, dans le bassin méditerranéen et dans le monde
entier, missions, ambitions et responsabilités liées bien entendu à notre
géographie, à notre histoire, à notre culture et aux intérêts vitaux de notre
pays, mais aussi, et de plus en plus, à nos engagements internationaux dans le
cadre de l'ONU, de l'OTAN, de l'UEO et des traités bilatéraux qui nous lient
encore avec certains pays ?
Si elle veut continuer à afficher ses ambitions et à assumer l'ensemble des
missions et responsabilités qui en découlent, la France se doit d'avoir une
vision de l'évolution du monde. Avoir une vision, c'est faire preuve de
discernement et c'est opérer des choix stratégiques dans un certain nombre de
domaines. Cela signifie avoir une politique étrangère - ou plutôt une politique
des relations extérieures - et une politique de sécurité extérieure et
intérieure qui en découle. Cela implique un niveau de forces suffisant, donc
pertinent, pour être en mesure de dissuader tout éventuel agresseur, de le
réduire en cas d'attaque et de participer aux missions de paix sous mandat
international.
Les forces, ce sont les armements, toute une panoplie d'armes et de systèmes
d'armes servis par des hommes et des femmes en nombre suffisant et dotés de
qualifications adaptées aux besoins du moment.
Ce dispositif doit être continu, adaptable. Il doit pouvoir, quasiment sans
délai, monter en puissance, changer de format et de posture.
M. le président de la commission et M. le rapporteur ont abordé ces questions
de façon très pertinente.
La réduction du format de nos forces, donc de nos armées, nous
permettra-t-elle de continuer à afficher nos ambitions et à assumer l'ensemble
des missions qui en découlent sans un appel permanent dès le temps de paix et à
plus forte raison en temps de crise aux réservistes et aux unités de réserve ?
Je crois que tout le monde ici conviendra que la réponse est négative. C'est
sans doute un premier point sur lequel nous serons d'accord, monsieur le
ministre.
Les réserves sont appelées à faire partie à part entière du dispositif
permanent de défense, en tout temps, en tout lieu, en toute circonstance, et
souvent de façon immédiate.
Dès lors, il faut mettre sur pied un système de réserves adapté aux réalités
d'aujourd'hui en termes de statut militaire et professionnel, de budget, de
doctrine d'emploi. C'est donc non pas d'un changement de degré, mais d'un
changement de nature qu'il s'agit. Ce matin, au cours d'un entretien, vous êtes
d'ailleurs convenu qu'il faudrait peut-être trouver une autre appellation que
celle de « réserves » ; ce ne peut être bien entendu « garde nationale ». Il
faudra, dans ce domaine, faire preuve d'imagination.
L'oeuvre entreprise ne pourra être menée à bien que si elle est accompagnée -
c'est là sans doute que réside la difficulté - d'une révolution culturelle dans
les milieux politiques - je sais que certains appréhendent que l'on fasse appel
aux réservistes, notamment, j'y reviendrai aussi, dans le cadre des unités de
gendarmerie - mais aussi au sein des armées, chez les employeurs civils et
publics, ainsi que dans l'opinion publique.
L'abandon du concept de « rendez-vous citoyen », sur lequel je ne pleurerai
pas, devrait renforcer mon argumentation tendant à prendre en considération au
niveau où je la place, c'est-à-dire au même niveau que les autres ressources
humaines de nos forces armées actuelles, la composante indispensable qu'est
l'unité de réserve.
En effet, après la mise entre parenthèses du service national, il ne nous
restera plus que les réservistes pour maintenir un certain lien entre l'armée
et la nation, entre l'armée et la société civile. Les réserves seront alors
l'unique véritable cordon ombilical entre les armées et la nation, entre nos
forces et le peuple de France. Mais, pour cela, il nous faudra rapidement -
c'est, je crois, ce à quoi vous vous employez, monsieur le ministre - se poser
deux questions essentielles et répondre à ces deux questions.
La première question porte sur l'emploi des unités de réserve. Il sera
nécessaire de mettre au point une doctrine d'emploi. C'est primordial pour
répondre aux questions que se posent souvent les militaires : pourquoi,
comment, avec qui et avec quoi ?
La seconde question est celle du statut. Nous devons en effet doter les
réservistes d'un statut militaire et social digne de ce nom, à la hauteur de ce
que nous attendons d'eux.
Pour illustrer mes propos, je m'appuierai sur l'exemple d'une des composantes
de nos forces que je crois connaître un peu : la gendarmerie.
La gendarmerie, à mon sens, doit avoir une place à part dans cette réforme, en
temps de paix comme en temps de crise, et quelle que soit la gravité de cette
crise.
La gendarmerie, force de sécurité intérieure polyvalente, doit pouvoir
s'appuyer sur une réserve entraînée, présélectionnée et disponible, en tout cas
pour certains de ses éléments, quasi instantanément.
Essentielle pour la sécurité individuelle et collective, la gendarmerie doit
être dotée de tous les moyens en personnels nécessaires pour faire face à
l'ensemble de ses missions et pour assurer la montée en puissance non pas des
autres forces, comme c'était souvent le cas jusqu'à présent, mais de son
dispositif permanent de défense, en temps de paix et, à plus forte raison, en
temps de crise.
Imaginons le cas d'un plan Vigipirate d'une très grande ampleur ou d'une crise
quasi insurrectionnelle. N'aurions-nous pas, alors, besoin de ces gendarmes
?
A mes yeux, deux questions se posent. D'abord, comment la gendarmerie
recrutera-t-elle demain ses volontaires et gendarmes auxiliaires sous contrat
en temps de paix ? Ensuite, la gendarmerie pourra-t-elle continuer à assurer,
après la réforme du service national, ses missions en période de crise, en tous
lieux, en tous temps, en toutes circonstances, tout de suite, sans faire appel
aux réservistes, et, dans le cas contraire, de quels réservistes s'agira-t-il
puisque la source de recrutement sera en partie tarie ?
Sur le premier point, la loi de programmation militaire a fait de
l'augmentation du nombre des volontaires la seule ressource supplémentaire
accordée à la gendarmerie pour faire face à l'accroissement de ses missions. En
dépit d'une forte déflation du nombre de sous-officiers de gendarmerie, la
cohérence de ce format reposait sur une structure d'effectifs comprenant 16 232
volontaires engagés pour vingt-quatre mois et bénéficiant d'une rémunération de
70 000 francs par an.
Depuis, les choses ont évolué. Il serait intéressant, monsieur le ministre,
que vous puissiez nous dire où nous en sommes exactement et ce que les
militaires d'active de la gendarmerie sont en droit d'espérer.
La définition du volontariat telle qu'elle avait été retenue prévoyait
notamment un régime de rémunération peu attractif, en retrait par rapport au
montant arrêté dans la loi de programmation.
Alors que chacun s'accorde à reconnaître que les gendarmes auxiliaires
constituent actuellement une ressource d'excellente qualité, apportant un
concours extrêmement précieux dans l'exécution quotidienne d'un très grand
nombre de missions de sécurité publique, il y a tout lieu de redouter que les
futurs volontaires - ou toute autre formule semblable - n'offrent ni les mêmes
garanties ni les mêmes possibilités.
Même si les personnels d'active sont un peu rassurés depuis l'été dernier, ils
demeurent inquiets, monsieur le ministre. Des commandants de brigade ou des
chefs de peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie doivent
être sûrs de leurs personnels hors statut de la gendarmerie, car ceux-ci n'en
sont pas moins étroitement associés à des missions souvent complexes et
délicates, requérant parfois l'usage de la force ouverte.
La direction générale de la gendarmerie nationale étudiait naguère la
possibilité - je ne sais si des conclusions de cette étude ont été tirées -
sous le plafond des 16 200 volontaires prévus par la loi de programmation
militaire, de faire cohabiter des volontaires au sens strict avec une nouvelle
catégorie de militaires sous contrat, qui pourraient représenter, à terme,
environ les deux tiers de l'effectif. Là encore, qu'en est-il exactement ?
Peut-on considérer que les avancées qui ont été annoncées au cours de l'été
sont définitives ?
L'amalgame de ces militaires sous contrat, assimilables à des
semi-professionnels, suppose toutefois que leur soit attribuée une rémunération
qui devrait se situer entre 5 000 et 6 000 francs mensuels ; les dotations
budgétaires inscrites dans la loi de programmation autorisent cette mesure.
J'en arrive à la question de savoir si la gendarmerie pourra continuer à
afficher ses ambitions et à assurer ses missions dès le temps de paix et, à
plus forte raison, en temps de crise, en tous temps, en tous lieux et en toutes
circonstances. Comme pour ce qui concerne l'ensemble des armées, la réponse est
encore non, je le crains.
C'est ce que j'affirmais déjà dans un rapport de 1994 intitulé
Les réserves, un deuxième souffle pour les armées.
Avec la réforme des
armées qui est intervenue entre-temps, c'est encore plus vrai.
Les réservistes sont, en effet, appelés à intégrer à part entière le
dispositif permanent du service public de sécurité que met en place le
directeur général de l'armée dans le cadre du plan d'action « Gendarmerie 2002
». Ce plan vise à mettre les activités de l'armée en harmonie avec la loi
d'orientation relative à la sécurité et avec la circulaire gouvernementale de
juillet 1995 sur la réforme de l'Etat. Jusqu'ici, me semble-t-il, ni M. le
Premier ministre ni vous-même, monsieur le ministre, n'êtes revenus sur les
dispositions de cette circulaire.
Je ne pense pas, d'ailleurs, monsieur le ministre, que vous soyez en rupture
totale avec votre prédécesseur sur nombre de ces points.
Le changement en cours est radical. Il ne s'agit plus d'une question de degré
; il s'agit d'un changement dans la nature même de la conception et de l'emploi
des réservistes dans la gendarmerie nationale.
Ainsi, les réservistes seront employés, pour certaines missions spécifiques de
la gendarmerie, en qualité de professionnels à temps partiel, mais ils seront
une composante à part entière de la gendarmerie nationale et seront associés
dès le temps de paix à certaines missions de l'armée.
Nous avions réalisé, il y a trois ans, des expérimentations qui se sont
révélées parfaitement concluantes. Je sais que depuis, donc en temps de paix,
dans tous les groupements de gendarmerie, on utilise les réservistes, pour
effectuer certaines missions liées, par exemple, à la concentration de
population ; cela permet de soulager les militaires de l'armée, dont les
compétences propres sont ainsi mieux utilisées.
Monsieur le ministre, quels moyens budgétaires prévoyez-vous pour poursuivre
ces expérimentations et assurer une montée en puissance de l'utilisation des
réservistes de l'armée ?
Les réserves de la gendarmerie deviendront de la sorte l'indispensable facteur
de souplesse, le seul peut-être, pour que la gendarmerie puisse réagir
efficacement à une situation de crise, localisée ou généralisée, en tous temps
et en toutes circonstances.
Par ailleurs, comment s'articulent, dans le cadre de la réforme des armées, la
loi de programmation militaire, le plan d'action « Gendarmerie 2002 », les
missions assignées, en temps de crise, à la gendarmerie, qui devra, faut-il le
rappeler, faire un appel massif aux réservistes, et la réforme du service
national, qui va tarir considérablement la source de recrutement des réserves
?
Monsieur le ministre, c'est le parlementaire et l'élu local qui vous pose
cette question, mais c'est aussi le réserviste de la gendarmerie que je suis.
En tout cas, nombreux sont ceux qui attendent des réponses précises sur ce
point.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, je me permettrai d'en
appeler à l'indulgence des intervenants, car je vais m'efforcer de leur
répondre brièvement, étant entendu que j'aurai l'occasion d'apporter les
précisions souhaitées lors de la discussion des articles, que le Sénat
souhaite, je le sais, aborder sans tarder. Je regrouperai mon propos autour de
quelques thèmes qui ont été abordés de manière récurrente par les uns et par
les autres.
A M. le rapporteur, je dirai d'abord que je partage un certain nombre des
préoccupations essentielles qu'il a exprimées.
Je pense en particulier au rôle qu'il souhaite voir l'éducation nationale
tenir dans le renforcement de l'esprit de défense et dans la préparation d'un
rappel possible d'effectifs plus importants, que prévoit effectivement le
présent projet.
En exposant les différences avec le projet de loi précédent, M. le rapporteur
à appelé l'attention du Sénat sur la question du bilan de santé. Je sais qu'il
s'agit d'une question clé pour beaucoup de membres de cette assemblée. Le
Gouvernement doit en effet rechercher des solutions qui tiennent compte de
l'expérience acquise, mais qui soient aussi assurément applicables.
En ce qui concerne le volontariat, il a défendu une logique différente de la
nôtre. A partir du moment où le Gouvernement, dans la cohérence de sa
politique, souhaite fournir aux jeunes de nouvelles possibilités d'insertion
professionelle en définissant un équilibre entre les obligations auxquelles ils
doivent se soumettre et les possibilités - y compris en termes de statut social
minimal - qui leur sont offertes par la société, à savoir un emploi avec un
contrat de travail et avec une rémunération égale au SMIC, il ne serait pas
réaliste d'affirmer que le seul secteur dans lequel des jeunes devraient, par
principe, obtenir un statut social et une rémunération plus limités serait
celui de la défense de notre pays.
Bien sûr, on peut être radicalement opposé au schéma de l'emploi des jeunes,
mais je crois avoir noté que telle n'était pas l'approche du Sénat puisqu'il a
souhaité examiner pleinement le projet de loi présenté par Mme Martine Aubry,
mais en l'amendant parfois dans le sens d'un élargissement de son champ
d'application.
Autant j'admets parfaitement la distinction intellectuelle qui est faite entre
le volontariat selon l'ancien système et le volontariat tel que nous le
proposons, autant je mets en garde contre une distinction morale qui
consisterait à soutenir qu'un volontariat rémunéré à 2 000 francs serait
l'expression d'une générosité et qu'un volontariat payé à 3 500 francs et 4 000
francs représenterait une sorte d'embourgeoisement qui lui retirerait toute
valeur.
Il y a bien une différence, mais ce n'est pas un abîme.
A partir du moment où une nouvelle priorité - on peut la contester, mais elle
a sa logique et elle répond, je le crois, à l'attente d'un très grand nombre de
nos concitoyens, jeunes et moins jeunes - a été définie, il est logique de
mettre en cohérence le statut social du jeune volontaire et celui du jeune
occupant un emploi d'utilité publique dans d'autres secteurs, sans qu'on puisse
pour autant parler d'assistance ni d'affadissement des missions de défense.
Le président de Villepin a très utilement rappelé les finalités de défense
autour desquelles s'organise ce projet de loi, comme elles étaient d'ailleurs
également au centre du projet de loi précédent.
Je veux répondre d'emblée à une question importante qu'il m'a posée : je
considère comme nécessaire d'établir, dans les mois qui viennent, un nouveau
protocole éducation nationale-défense.
Nous souhaitons en effet demander à l'éducation nationale d'instruire, comme
elle le faisait dans un lointain passé, les jeunes sur la défense de leur pays,
et beaucoup ont bien voulu approuver cette démarche. Cela suppose des
collaborations nouvelles, une complémentarité entre notre appareil de défense
et l'éducation nationale.
Il y a donc lieu de définir, dans un document majeur, les missions des uns et
des autres et la manière dont les moyens seront répartis.
M. de Villepin a bien voulu noter l'impact positif que pourrait avoir la
relance des préparations militaires, qui constitue l'une des originalités de ce
projet de loi par rapport au précédent.
Il a également appelé l'attention du Sénat sur les différences existant entre
l'ancienne formule du rendez-vous citoyen et la nouvelle formule de l'appel de
préparation à la défense, expression dont le sigle heurte sa sensibilité.
(Sourires.)
A cet égard, il a estimé - et l'on sait que le choix des
adjectifs est toujours chose délicate - que le rendez-vous citoyen était
ambitieux et que l'appel de préparation à la défense était modeste. J'accepte
tout à fait ces qualificatifs, avec toutes les implications qu'ils
emportent.
M. Vigouroux a évoqué, voilà quelques instants, les risques que comportait
l'instauration du rendez-vous citoyen, dont étaient conscients de nombreux
sénateurs. M. About a affirmé que l'on aurait dû courir ces risques et
apprécier ensuite la situation, mais après avoir pris l'attache des
représentants de tous les groupes, notamment ceux du Sénat, le Gouvernement a
pensé que ceux-ci étaient excessifs par rapport à l'efficacité que l'on pouvait
attendre du rendez-vous citoyen. Ce dispositif était en effet ambitieux, et
cette ambition nous paraissait imparfaitement servie par les moyens
envisagés.
M. de Villepin a enfin insisté sur la nécessité de légiférer à propos des
volontariats civils. Je ne peux faire ici qu'une annonce, mais elle engage bien
sûr le Gouvernement : celui-ci devra déposer, au cours des prochains mois, un
projet de loi fixant le statut des volontariats civils, en cohérence, comme l'a
suggéré M. le président de la commission, avec le statut des volontaires
militaires. Le ministère de la défense s'était organisé pour préparer très
rapidement - nous y avons travaillé essentiellement pendant l'été - un nouveau
texte répondant à l'urgence puisque, comme chacun ici se le rappelle, l'absence
de convocation, depuis le début de l'année 1997, des jeunes appelés nés après
le 1er janvier 1979 créait une incertitude juridique qu'il importait de lever
rapidement.
En ce qui concerne le statut des volontaires civils, les ministères chargés de
veiller à l'emploi et aux conditions sociales et économiques faites aux jeunes
gens concernés sont principalement celui des affaires étrangères, le
secrétariat d'Etat à la coopération, le secrétariat d'Etat au commerce
extérieur, et éventuellement certains ministères d'action intérieure ; tout en
leur fournissant un appui logique dans le débat interministériel, il m'a paru
souhaitable de leur laisser un peu de temps, après qu'aura été défini en
particulier le champ d'application de ces nouveaux volontariats, pour élaborer
des propositions législatives qui devront être soumises au Parlement dans les
prochains mois.
Je voudrais confirmer à M. Marini qu'un équilibre délicat est à trouver dans
l'application de la grande réforme de la professionnalisation des armées. Comme
il a bien voulu le rappeler, cette réforme a été engagée voilà déjà un an et
demi ; nombre de ses conséquences ont été tirées, et la transition difficile,
qui concerne l'ensemble des services du ministère de la défense, notamment la
direction du service national, limite la marge de manoeuvre. D'autres orateurs
l'ont également souligné.
Quand M. Marini me demande de lui permettre de regretter certains des effets
de la professionnalisation, je ne peux, bien entendu, qu'accéder à son souhait.
Cela étant, comme l'a très bien relevé M. le président de la commission, le
Gouvernement s'est trouvé confronté à une situation qu'il se devait d'assumer.
Il n'était pas responsable d'envisager de revenir sur le principe de la
professionnalisation, et nous devrons par conséquent prendre en compte toutes
les conséquences de celle-ci.
Je partage également l'opinion de M. Marini sur l'importance des réserves, et
j'y reviendrai en répondant à d'autres orateurs. Elles feront l'objet de la
prochaine réforme décisive dans la mise en place du nouveau système de défense,
et j'espère que celle-ci mobilisera autant le Sénat que notre débat
d'aujourd'hui.
Par ailleurs, puisque M. Marini a souligné quelques problèmes budgétaires, je
tiens à m'excuser auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce que,
soucieux de ne pas alourdir notre discussion, je n'engage pas dès maintenant le
débat budgétaire, avec les conséquences financières qu'a ce projet de loi. Il
n'en demeure pas moins que j'ai bien entendu pris note très scrupuleusement des
questions budgétaires auxquelles la Haute Assemblée s'est montrée sensible.
Je rejoins enfin M. Marini pour constater que la recherche, au travers de
l'instauration de l'appel de préparation à la défense, d'une répartition
territoriale beaucoup plus fine du dispositif sur l'ensemble des départements,
au lieu de la concentration sur une dizaine de sites majeurs prévue dans
l'optique de la mise en place du rendez-vous citoyen, crée une relation
nouvelle avec les collectivités. En effet, certaines d'entre elles pouvaient
espérer qu'un centre de rendez-vous citoyen viendrait compenser la perte
d'autres activités militaires. Comme M. Marini le sait, la concertation a déjà
été engagée avec l'ensemble des collectivités concernées, mais il a bien fait
de noter que, outre la question des pertes d'emplois pouvant résulter d'une
telle évolution, se posait un problème urgent en matière d'aménagement urbain
pour certains sites couvrant plusieurs dizaines d'hectares, qui ne peuvent être
complètement désertés. Nous devrons en débattre de façon confiante avec les
collectivités.
M. Dulait, pour sa part, a centré son propos, avec un grand souci du concret,
sur la situation des jeunes et sur la difficulté de concilier l'appel sous les
drapeaux de ceux d'entre eux qui sont nés avant 1979 avec les impératifs
professionnels auxquels ils sont éventuellement soumis.
Ce point me préoccupe également, et c'est d'ailleurs l'une des raisons pour
lesquelles j'ai souhaité que le texte soit approuvé le plus rapidement
possible, afin qu'il puisse entrer en vigueur. En effet, comme M. Dulait l'a
noté avec beaucoup de bon sens, la difficulté d'expliquer le régime de
transition aux jeunes et à leur famille, ainsi qu'aux employeurs, contribue à
rendre précaires les situations.
M. Dulait a également bien fait de rendre hommage au travail des membres des
commissions régionales de dispense, qui se penchent sur un certain nombre de
ces questions. Je rappelle, à ce propos, que le taux des dispenses rapporté à
l'ensemble de la classe d'âge est relativement stable, puisqu'il se situe entre
4 % et 5 % pour ces trois dernières années. En outre, environ 55 % des
dispenses prononcées répondent à des motifs économiques - il s'agit notamment
de la situation classique dite de « soutien de famille » -, tandis que quelque
40 % concernent des binationaux qui ont excipé de leur état.
S'agissant de l'obligation de recensement, je suis tout à fait d'accord pour
que nous diffusions rapidement une meilleure information. C'est la raison pour
laquelle, suivant en cela le texte préparé par nos prédécesseurs, nous avons
choisi de fixer l'âge de recensement à seize ans. En effet, il nous semble que
la continuité sera ainsi assurée entre la mission dévolue à l'éducation
nationale en matière de sensibilisation des jeunes - avant seize ans, par
définition, tous les jeunes sont soumis à l'obligation scolaire - et
l'obligation de recensement. Cela est d'autant plus nécessaire que nous avons
l'intention, à partir de l'année prochaine, d'étendre cette dernière aux jeunes
filles, lesquelles n'y sont pas du tout préparées psychologiquement
aujourd'hui. Par conséquent, il faudra intensifier l'effort d'information.
M. Habert, quant à lui, a rappelé l'évolution historique qui a mené de la
décision première de professionnaliser les armées au projet de loi actuel.
Je voudrais à nouveau insister sur le fait que le volontariat reste orienté
vers un service à la collectivité, même si les jeunes volontaires bénéficient
d'un statut social comparable à celui des jeunes relevant du plan emplois
jeunes.
Je crois que M. Habert a eu raison de souligner la continuité qui doit exister
entre l'appel de préparation à la défense et le rôle rempli par l'éducation
nationale.
De plus, il a bien noté que le projet de loi prévoyait d'appliquer l'ensemble
des obligations, qu'il s'agisse du recensement ou de l'appel de préparation à
la défense, aux jeunes Français de l'étranger, en ménageant des adaptations de
bon sens. Sur ce point, le Gouvernement continuera bien entendu à se tenir à
l'écoute des parlementaires représentant les Français de l'étranger.
M. About, pour sa part, a exprimé, comme cela est parfaitement légitime dans
le débat politique, une attitude critique face aux choix du Gouvernement.
Il a ainsi souligné que nous faisions le choix de la professionnalisation.
Certes, il est parfaitement libre de nous le reprocher, mais qu'il me permette
de relever que, si nous avions effectué le choix inverse, il nous l'aurait
également reproché. Par conséquent, nous ne pouvons qu'implorer son
indulgence.
Quant au caractère prétendument dogmatique du choix de substituer l'appel de
préparation à la défense au rendez-vous citoyen, je tiens tout d'abord à
souligner - c'est un autre point sur lequel il n'y a pas tout à fait
convergence de vues, me semble-t-il, entre M. About et le Gouvernement ! - que
nous croyons, pour notre part, au rôle qu'aura à jouer l'éducation nationale
dans l'approfondissement de la connaissance, par les jeunes, du système de
défense.
Je préfère le dire avec une certaine franchise : si des élus de ce pays
pensent que l'éducation nationale n'est pas en mesure,...
M. Emmanuel Hamel.
Ce n'est pas une question de mesure !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
... comme elle l'a fait depuis un siècle, de
transmettre aux jeunes les notions de civisme, de responsabilité collective et
d'amour de leur pays, alors ils doivent en tirer bien d'autres conséquences que
le simple rejet d'un article de ce projet de loi, et s'interroger sur un
ensemble de responsabilités politiques qui, dans l'histoire récente de notre
pays, ont été, c'est le moins que l'on puisse dire, équitablement partagées.
Personnellement, je préfère exprimer un choix de volonté politique et de
confiance, qui est, me semble-t-il, un choix de rassemblement.
M. Hubert Haenel.
Vous avez raison !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je voudrais essayer de convaincre M. About du
fait que le travail effectué par le Parlement au cours des deux dernières
années a été largement pris en compte dans le texte du Gouvernement. La preuve
en est que, sur des articles complets, le projet du Gouvernement a repris, au
mot près, la rédaction du texte issue de la navette, en particulier sur le
point sensible des reports et des dispenses.
Je crois enfin que l'esprit de défense doit être développé aussi largement que
possible au travers d'une collaboration entre l'éducation nationale et les
personnels de la défense. J'ai bien l'intention de veiller, avec mon collègue
de l'éducation nationale, à ce que des progrès concrets soient faits dans ce
sens.
M. Emmanuel Hamel.
Puissent-ils l'être !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je voudrais maintenant rendre hommage à la grande
richesse de l'intervention de M. Delanoë, qui a relevé la cohérence de
l'ensemble des décisions politiques qui ont suivi la déclaration initiale de M.
le Président de la République.
Par ailleurs, la préoccupation, même si elle paraît lointaine, d'assurer une
reconstitution de nos forces en cas de nécessité constitue l'un des fils
conducteurs de ce projet de loi. Bien entendu, il n'appartient pas au ministre
de la défense d'évoquer de façon plus ou moins responsable, devant une
assemblée parlementaire, telle ou telle hypothèse stratégique qui pourrait, le
moment venu, dans dix ou quinze ans, justifier une remontée en puissance des
effectifs de notre défense. Toutefois, la fonction que j'exerce m'oblige à
faire preuve d'un peu de pessimisme et à prévoir les situations les plus
difficiles. De nombreux Français sont tout à fait disposés à le comprendre, et
le Parlement n'a pas besoin de longues explications, me semble-t-il, pour faire
ce choix de prudence. La préparation militaire constitue l'une des mesures
conservatoires : en effet, un élément clé de la cohérence de notre dispositif
réside dans le fait que la remontée en puissance supposerait un changement de
dimension de nos forces armées.
Je rappelle les chiffres : le format de nos armées à l'horizon 2002 est d'un
peu plus de 400 000 hommes, personnels civils compris, auxquels s'ajouteraient
100 000 réservistes. Si l'on devait renforcer ces effectifs, ne serait-ce que
par la moitié d'une classe d'âge, nous devrions gérer un pourcentage
d'augmentation très important.
En ce qui concerne le potentiel d'encadrement - et c'est le rôle des
réservistes -, les dotations en matériel et le maintien d'un certain nombre
d'emprises, nous devons avoir cette perspective à long terme. Cela donnera bien
évidemment lieu à des critiques, par exemple lors de certaines discussions
budgétaires.
On pourrait reprocher au ministère de la défense de vouloir conserver, parmi
les emprises qui étaient traditionnellement les siennes, des camps
d'entraînement ou des casernements très vastes alors que, à court terme, il a
peu d'unités à y loger. Mais si nous devions gérer une remontée en puissance,
il ne serait plus temps de chercher des espaces adaptés, des possibilités
d'accueil et des capacités d'encadrement. C'est donc bien une cohérence à long
terme qui a guidé le Gouvernement.
Par ailleurs, je rejoins l'approche de M. Bertrand Delanoë à propos de la
place que doit avoir la défense du territoire national. La réflexion nouvelle
sur la situation stratégique née de la chute du mur de Berlin, en 1989, et
l'orientation dominante de la professionnalisation ont conduit à mettre
essentiellement l'accent sur l'un des objectifs énoncés dans le Livre blanc, à
savoir la projection, terme auquel je m'efforce de préférer le plus souvent les
termes de « mobilité » et de « disponibilité ».
Le Livre blanc comporte quatre objectifs centraux, parmi lesquels figure la
protection. En anticipant un peu sur la réponse que je dois à M. Hubert Haenel,
je dirai que le renforcement des effectifs de la gendarmerie et l'importance
des réservistes qui lui sont affectés, c'est-à-dire la moitié de l'effectif,
correspondent en effet à une relève, à un changement de pied dans cette gestion
de la défense du territoire : la gendarmerie deviendra de plus en plus l'arme
de la défense à l'intérieur du territoire.
Enfin, je veux relever, parmi les nombreux éléments particulièrement
intéressants de l'intervention de M. Bertrand Delanoë, le besoin d'étendre la
connaissance de la défense et l'esprit de défense à l'ensemble de la
société.
La nature du texte que nous examinons porte évidemment sur les obligations des
jeunes et concentre notre attention à court terme essentiellement sur le lien
entre la jeunesse et la défense. Cependant, si nous voulons que notre défense
et nos choix de politique de sécurité soient compris par la population et
soient assumés, notamment dans les périodes difficiles - ce n'est pas dans les
périodes calmes que se vérifie l'esprit de défense - il faut que les nécessités
de la défense et ses enjeux soient compris de l'ensemble de la société.
Par conséquent, cet approfondissement des préoccupations de défense dans
l'ensemble des générations et des couches sociales est un sujet majeur de
réflexion pour le Gouvernement. Il me paraît être la contrepartie nécessaire du
choix de la professionnalisation. Il est de notre devoir de continuer à
échanger, vous, parlementaires, et nous, Gouvernement, pour progresser vers cet
objectif général.
Je saisis l'occasion de ma réponse à M. Bertrand Delanoë pour souligner que
cette professionnalisation marque le franchissement d'une étape positive dans
la place des femmes au sein de notre appareil de défense, place qui, je veux y
insister, est de mieux en mieux comprise par les militaires eux-mêmes. La
culture, la conception de la défense qui est la leur comprend aujourd'hui de
façon positive l'apport des femmes dans la grande majorité des fonctions qui
sont offertes à nos militaires. Comme le Sénat le souhaite, je ferai en sorte
que la participation des femmes à l'appel de préparation à la défense ou à la
convocation de défense - le nom sera choisi par accord général - soit la plus
précoce possible avec, surtout, la possibilité pour les jeunes femmes de suivre
une préparation militaire.
A M. Jean-Luc Bécart, je veux dire le respect que j'ai pour les interrogations
qu'il a exprimées au nom de son groupe et mon assentiment pour le rappel des
principes qu'il a fait, notamment la place du citoyen formé dans une défense
républicaine. La période que nous traversons conduit, en fonction d'arguments
importants fondés sur une analyse géostratégique, à suspendre le service
national. Si cette question avait été abordée voilà huit ou dix ans, la marge
des choix qui se présentent aujourd'hui au Gouvernement aurait sans doute été
plus large ; cela n'a pas été le cas et il n'est pas dans mon intention d'en
faire reproche à qui que ce soit. Simplement, la nouvelle situation nous
impose, comme l'a dit très justement M. Bécart, de veiller particulièrement à
la cohésion sociale, qui est une des bases de l'esprit de défense, et de
maintenir ou de relever le niveau de la conscience civique, qui permettra au
moins à nos concitoyens de mieux percevoir les efforts qui sont nécessaires
pour l'ensemble de la société afin d'assurer sa défense.
M. André Rouvière.
Très bien !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
M. Bécart a noté les améliorations que comporte
ce projet de loi au regard, en particulier, du rôle du volontariat, consolidé
sur le plan social et assorti d'une formation.
Il a noté aussi le rôle nouveau de l'éducation nationale. A cet égard, je le
rejoins, les professeurs pourront être appuyés par une pluralité d'intervenants
expérimentés, qu'il s'agisse de militaires ou d'autres personnes ayant une
expérience des questions de défense.
Il a enfin noté notre souhait de dynamisation des réserves. Cela devrait
permettre de poursuivre un dialogue constructif sur cette évolution.
M. Calmejane, lui aussi, a indiqué qu'en fonction des choix antérieurs il
aurait préféré le maintien du rendez-vous citoyen. La journée de convocation de
défense doit être dense, a-t-il dit. Sur ce point, nous nous rejoignons, et le
Gouvernement tiendra compte, lorsqu'il adoptera les dispositions concrètes que
M. Vinçon a rappelées ce matin, des recommandations et observations faites par
les parlementaires.
Ce dispositif n'est pas figé. Nous nous efforcerons de l'adapter au mieux. A
cet égard, je reviens d'un mot à une recommandation de M. de Villepin : il est
sûr que nous ne pouvons pas maintenir dans le cadre législatif une incertitude
sur la durée puisqu'il s'agit d'une sujétion prévue par l'article 34 de la
Constitution. Je crois que nous ne pouvons pas renvoyer au pouvoir
réglementaire le soin de choisir la durée de la convocation. Nous serons bien
obligés de fixer une convocation d'un jour ou de deux jours, si telle est
l'alternative.
Je tiens à dire, en répondant à M. Calmejane et à M. de Villepin, que ce choix
d'une journée a été fait pour des raisons pratiques parce que nous voyons de
sérieux inconvénients et de sérieux risques de dérapage dans la formule
d'hébergement collectif qui assortissait la convocation de plusieurs jours et
que, à l'expérience, il faut en effet pouvoir s'adapter et donc réviser ce
dispositif.
A M. Calmejane, je veux dire aussi que la détection des manques, des déficits
sanitaires des jeunes est un devoir qui s'impose au Gouvernement. Ce n'est pas
par la forme de la convocation militaire que nous entendons le remplir. En
répondant à la commission sur l'article concerné, je serai amené à indiquer
comment nous réfléchissons à une formule qui permette, avant l'appel de
préparation à la défense, d'avoir une véritable détection des risques
sanitaires majeurs auprès des jeunes. Sur ce point, il y a, sinon sur les
modalités, du moins sur le principe, un souci de rencontre.
Je veux bien convenir avec M. Calmejane, s'agissant de l'approche pragmatique
qu'il a bien voulu défendre du problème des reports liés à l'évolution
professionnelle des jeunes, qu'il y a une situation particulière pour les très
petites entreprises. Elle est d'ailleurs prise en compte pour le jeune qui est
lui-même chef d'entreprise. Il est vrai que l'incorporation d'un jeune qui,
dans une petite entreprise, a un rôle pratique important peut compromettre la
vie de cette entreprise.
M. Calmejane a bien voulu noter le rôle positif des commissions régionales de
dispense. Je crois que c'est essentiellement par le pouvoir d'appréciation de
ces commissions, auxquelles nous pouvons, les uns et les autres, faire
confiance, qu'il pourra être répondu à ces difficultés.
M. Rouvière a eu le mot juste en parlant de parcours d'obstacles à propos du
processus de professionnalisation. Je voudrais, en le remerciant de cette
approche solidaire, le rassurer quant au moral des militaires dans la conduite
de ce processus. Ils ont bien compris ses objectifs et sa profonde
justification en matière d'efficacité. Ils ont aussi compris la préoccupation,
la vigilance des autorités civiles, qu'il s'agisse du Parlement ou du
Gouvernement. Je crois pouvoir vous dire que les militaires se sentent soutenus
et compris dans les multiples efforts d'adaptation auxquels ils sont conduits
et qu'ils gardent une profonde détermination à réussir collectivement cette
réforme.
Je veux aussi confirmer à M. Rouvière que le réalisme et le souci de stabilité
de l'outil de défense pendant toute la période de transition sont un impératif
dont le Gouvernement reconnaît la charge.
En ce qui concerne la situation des gendarmes volontaires, je souhaiterais
préciser les intentions du Gouvernement.
Ces gendarmes volontaires, ayant un statut militaire - même si nous pouvons
discuter de façon très pragmatique des propositions de la commission quant à
l'étendue des dispositions du statut militaire qui s'appliqueront à eux -
seront dans la même situation de logement que les militaires sous-officiers
gendarmes. Autrement dit, leur logement sera assumé selon les deux formules
classiques, c'est-à-dire soit, lorsque les locaux le permettent, dans des
gendarmeries appartenant domanialement à l'Etat, soit dans des locaux qui sont
la propriété de collectivités locales et pour lesquels l'Etat assurera le
versement du loyer fixé conventionnellement par les Domaines.
M. André Rouvière.
C'est très important !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Les compensations pour le rendez-vous citoyen
sont prises en compte dans le cas de Nîmes comme dans le cas de Compiègne - M.
Rouvière n'en aurait pas attendu moins.
Je veux convenir avec lui que le maintien du contrat de travail des jeunes
appelés pendant la période de transition est une réforme importante. Elle
donnera aux commissions régionales de dispense une réelle liberté
d'appréciation pour vérifier si l'insertion professionnelle d'un jeune est
effectivement compromise par son incorporation ou si cette garantie du maintien
du contrat de travail est suffisante pour refuser la décision de report.
M. Robert-Paul Vigouroux a rappelé ses avertissements quant aux ambitions
peut-être disproportionnées du rendez-vous citoyen, et il a bien voulu
reconnaître le caractère pratique de l'appel de préparation à la défense.
Il a également souligné, et c'est important, l'approche moderne que doivent
avoir les armées pour communiquer avec les jeunes. Les méthodes d'information
qui sont traditionnellement les nôtres - je pense notamment à la
sensibilisation des jeunes à la nécessité du recensement - doivent être
remplacées par une méthode beaucoup plus directe, beaucoup plus « dialoguante
», à laquelle aujourd'hui, et c'est une bonne chose, les jeunes sont
habitués.
La préoccupation d'égalité devra être la plus forte possible pour la gestion
des reports à but professionnel pendant la période de transition. Nous en
débattrons lors de l'examen des articles.
S'agissant du bilan de santé, je confirme à M. Vigouroux que l'une des
solutions consiste en effet, pendant la période scolaire, à faire appel à la
médecine scolaire. Cela pose bien entendu des problèmes de moyens - j'aurai à
m'en expliquer - mais c'est sans doute l'une des bonnes formules pour redresser
la situation sanitaire de certains jeunes dont la santé est négligée.
Enfin, monsieur Haenel, je veux répondre positivement sur l'objectif qui
consiste à définir une véritable doctrine d'emploi des réserves. Le projet de
loi qui devrait vous être soumis dans quelques mois, normalement au cours de la
présente session, portera essentiellement sur le statut et sur la mise en
cohérence, dans la nouvelle formule, beaucoup plus ambitieuse, des obligations
des réservistes et de leur situation professionnelle ou sociale. J'espère - en
tout cas le Gouvernement oeuvrera en ce sens - que ce débat sera d'abord une
occasion de soumettre au législateur les objectifs nouveaux de la réserve,
élément clé de l'équilibre d'une défense professionnalisée, comme, d'ailleurs,
dans les autres pays professionnalisés dont l'expérience a nourri, entre autres
documents, le rapport rendu par M. Haenel voilà trois ans.
Certes, des réticences ou des hésitations doivent être vaincues, parce qu'il
s'agit d'une vraie réforme. C'est la raison pour laquelle j'envisage, comme je
le lui ai confié ce matin, de rechercher un nouveau terme pour caractériser
cette force. Il est en effet d'usage, dans notre pays, que les réserves
militaires soient aujourd'hui fort peu actives et qu'il leur soit demandé peu
de périodes de service.
L'objectif, à l'avenir, est que les réservistes soient en relation directe
avec des unités constituées, qu'ils aient fréquemment des périodes actives et
que la variété des missions qui leur sont fixées permette d'en faire un appui
efficace à l'armée d'active dans l'ensemble de ses missions.
La part de la réserve affectée à la gendarmerie devrait être de l'ordre de 50
000 unités, dont 13 000 en réserve dite principale, avec des missions
particulièrement imbriquées dans celles de la gendarmerie : elles seraient «
projetables » et pourraient être associées aux missions de la gendarmerie sur
des théâtres extérieurs, comme il s'en produit fréquemment.
Cela suppose un accroissement du nombre des volontaires et des réservistes de
la gendarmerie en raison du rôle de protection du territoire qui deviendra
principalement le sien.
Des crédits sont prévus dans la loi de programmation. Comme vous pourrez vous
en rendre compte lors de l'examen du projet de loi de finances, « l'annuité »
1998 du budget de la défense comportera une première montée en charge des
moyens matériels attribués à la réserve de la gendarmerie.
Pour conclure, je voudrais saluer l'état d'esprit du Sénat dans cette
discussion générale ainsi que la très grande qualité des interventions et de la
réflexion pour préparer notre outil de défense à la nouvelle étape qu'il va
franchir. L'esprit constructif qui a animé l'ensemble des intervenants nous
prépare un dialogue législatif particulièrement fructueux lors de l'examen des
articles, que nous allons aborder maintenant.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE. - M. Haenel applaudit également.)
M. Emmanuel Hamel.
C'est un choix destructeur !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
PREMIÈRE PARTIE
Article 1er