M. le président. Par amendement n° 46, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose, avant le dernier alinéa du texte proposé par l'article 3 pour l'article 232-2 du code de procédure pénale, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'appel de l'accusé peut, par mention portée sur la déclaration prévue à l'article 232-18, être limité à la décision sur la peine. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. La commission des lois a en effet déposé cet amendement, qu'elle a approuvé et qui appelle de nombreuses réflexions. Je vais laisser au président de la commission, qui a été l'un des inspirateurs de cette disposition, le soin de la présenter !
M. le président. La parole est donc à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. J'endosse très volontiers cette paternité et je remercie mon ami Jean-Marie Girault, en sa qualité de rapporteur, de rappeler que cet amendement a effectivement reçu l'approbation de la commission des lois, et a même été déposé en son nom.
En apparence, cet amendement est relativement anodin. En fait, il ne l'est pas et je préfère le reconnaître immédiatement, car je n'avais pas l'intention du tout d'en faire un texte anodin.
Nous mesurons tous le grave encombrement de notre justice pénale. Nous savons très bien que, dans l'état actuel des choses, notre justice pénale est engorgée. Nous savons très bien que les procureurs qui font tout de même extraordinairement bien leur métier, plutôt que de ne pas pouvoir juger, en viennent à classer sans suite 75 % des affaires - et je parle d'exemples extrêmement précis - même des affaires à auteurs identifiés.
M. Philippe Marini. Oui !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous avions tenté quelque chose. Malheureusement, nous nous sommes fait rappeler à l'ordre par le Conseil constitutionnel. Ce que nous avions tenté, c'était la médiation pénale, c'est-à-dire l'intervention du procureur qui convoquait la victime et l'auteur et qui, de ce fait, parvenait à régler rapidement la question.
Le Conseil constitutionnel nous a dit, dans sa très haute sagesse, qu'un procureur n'avait pas le droit de faire cela, ce qui introduisait indéniablement un doute.
Je n'ai pas personnellement à porter d'appréciation sur la qualité de magistrat qui - il ne faut pas oublier - s'attache à la situation des procureurs. Qu'importe, la décision du Conseil constitutionnel est là et il n'y a pas lieu d'y revenir, tout au moins actuellement. Peut-être un jour changera-t-il de jurisprudence, mais pour l'instant la question ne se pose pas.
Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est purement et simplement la procédure du plaidoyer-coupable, tout au moins l'amorce du plaidoyer-coupable et il est dans mon intention, avec toutes les précautions d'usage et plus tard, d'étendre la technique du plaidoyer-coupable, la concevant comme un des moyens d'accélérer le cours de la justice pénale.
Monsieur le garde des sceaux, je vous ai écouté avec attention : vous nous mettez en garde contre la contagion anglo-saxonne.
Je n'y crois pas parce que nous pouvont très facilement nous en préserver. Quel est le système américain en la matière ? Il est bien connu, c'est le système du plea bargaining : il consite à convoquer et à ouvrir en effet une négociation qui porte, non seulement sur le quantum éventuel de peines, mais également sur la qualification des faits. C'est cela.
Or il n'est pas question d'instituer un système de ce genre. Il est simplement question de demander à la cour d'assises de vérifier le quantum de la peine qui aura été infligée.
Monsieur le garde des sceaux, même si nous n'en avons pas eu réellement conscience, nous rejoignons ainsi votre intention générale, car ce texte est un texte d'avenir.
L'ensemble des propositions que vous nous soumettez vise très justement à modifier dans bon nombre de domaines la pratique pénale pour la simplifier, la clarifier, la rendre plus compréhensible par l'opinion publique. Or je crois que celle-ci comprendrait parfaitement que, dans l'avenir, on convienne de cette solution très simple : le jugement à l'égard de la personne qui se reconnaît coupable est plus rapide. Nous réussirions ainsi à accélérer le cours de la justice et à répondre à une attente essentielle de l'opinion publique.
En effet, si l'on veut essayer de satisfaire l'opinion publique, il faut le faire dans tous les domaines. Or il est bien certain que l'un des motifs essentiels de son insatisfaction est soit la lenteur de la justice pénale, soit, même, et c'est encore plus grave, l'absence de toute justice.
Que signifient ces classements sans suite quand l'auteur est connu, dont nous connaissons tous l'existence et dont nous vivons la pratique - nous entendons « nos » procureurs nous en parler ? Cela signifie une absence de justice !
Au lieu d'un classement sans suite, je préférerais que l'on aboutisse, un jour, à un système simple dans lequel on associerait reconnaissance de la culpabilité et sanction immédiate.
Vous avez parfaitement compris, monsieur le garde des sceaux, que mon intention est bien celle-là et que je ne la dissimule pas du tout : il s'agit bien d'amorcer ce système, et de le faire avec toutes les garanties qui l'entoureront au niveau de la cour d'assises.
J'y vois un intérêt pour la disposition elle-même, mais également par l'éclairage qu'elle donne pour l'avenir, et l'un des moyens d'aboutir enfin à cette amélioration du fonctionnement quotidien de la justice pénale à laquelle nous aspirons tous.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je présenterai au président et aux membres de la commission des lois, au nom de laquelle il vient de présenter l'amendement, deux séries d'observations. Les unes, que j'énoncerai tout à l'heure, me conduisent à penser qu'il ne faut pas adopter cet amendement. En revanche, les autres, qui portent sur ce que vient de dire M. Jacques Larché, c'est-à-dire l'idée du « plaider coupable », sont d'une nature tout à fait différente.
Je pense que l'idée du « plaider coupable » peut se révéler fructueuse pour notre procédure pénale dans le cadre de sa refonte d'ensemble. Donc, je le dis tout de suite, et peut-être me suis-je, sur ce point, mal exprimé mardi dans mon exposé liminaire lors de la discussion générale : je ne récuse pas l'amendement n° 46 essentiellement parce qu'il introduirait, par un biais, mais en toute clarté, le principe du « plaider coupable ». Je pense en effet que cette proposition, sur le fond, dans l'organisation du procès pénal, mérite tout à fait d'être prise en considération.
C'est si vrai que, personnellement, à différentes occasions lorsque j'étais parlementaire, j'ai soutenu des idées proches ou analogues.
Par conséquent, il est tout à fait clair que, si je dis maintenant à votre assemblée que je ne souhaite pas que l'amendement n° 46 soit adopté, ce n'est pas parce que je veux fermer la porte au « plaider coupable ».
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Vous l'avez dit l'autre jour à la tribune !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est pour cela, monsieur Jacques Larché, que je me permets de reprendre très précisément les choses, considérant que je me suis mal exprimé l'autre jour à la tribune.
Je pense simplement que, si cet amendement était adopté, il aurait, dans le cadre de cette procédure d'appel du tribunal d'assises, des conséquences qui ne me paraissent pas être celles que vous souhaitez voir advenir.
D'abord, faire appel uniquement de la peine, c'est mettre en cause ce que sera, à la cour d'assises d'appel, le débat, la mission de cette cour consistant à reprendre le dossier en entier, la totalité des faits, selon une procédure - nous en discutons depuis quarante-huit heures pour le tribunal, et nous le verrons également pour la cour d'assises - totalement orale, conformément au principe traditionnel de la procédure criminelle.
Il est important, pour la qualité de la décision rendue en appel, pour la cohérence de celle-ci, qu'en appel on reprenne la totalité des faits même dans l'hypothèse où un accusé - c'est le système que propose M. Jacques Larché - reconnaît sa culpabilité en ne faisant appel que de la peine qui lui est infligée, s'il estime que cette peine est trop sévère. La cour d'assises doit pourtant pouvoir procéder à un examen attentif des faits, de tous les faits, et ce pour apprécier leur gravité, et se prononcer en fonction du contexte sur la lourdeur de la peine infligée.
Il n'y a pas, vous le savez très bien, que des éléments de personnalité qui justifient le niveau de la peine, il y a aussi, purement et simplement, l'appréciation qui est portée sur la gravité des faits.
Par conséquent, c'est ma première observation, j'ai tendance à penser qu'il y a contradiction entre cet amendement et ce qu'est le débat en appel devant la cour d'assises. Il est indicutable qu'en réduisant l'appel à la peine on changerait en quelque sorte la nature de la mission de la cour d'assises d'appel, ce qui serait préoccupant par rapport à ce que tout le monde accepte aujourd'hui - M. le rapporteur l'a dit encore tout à l'heure en donnant son avis sur l'amendement n° 289 - par rapport à ce qui est acquis aujourd'hui, c'est-à-dire les deux degrés de juridiction : un procès en première instance et un procès en appel sur l'ensemble du dossier.
Par ailleurs, monsieur le président, je crois que l'adoption de l'amendement n° 46 présenterait des inconvénients graves pour une autre raison.
Il peut exister des hypothèses - fréquentes ou non, je n'en sais rien, mais même s'il n'y en avait qu'une, cela poserait indiscutablement un problème - dans lesquelles un accusé se reconnaît coupable et ne fait appel, comme vous le demandez, que de la peine. Mais la cour d'assises décide, elle, après avoir examiné le dossier, de le déclarer innocent. Si vous limitez l'appel à la peine, la cour ne pourra pas décider qu'il n'est pas coupable alors qu'il est innocent.
Elle ne pourra que réduire la peine, voire décider une exemption de peine. Néanmoins, l'accusé restera coupable alors que la cour d'appel a conclu qu'il devait être déclaré innocent. Cette hypothèse n'est pas du tout impossible.
Je ne pense pas, bien entendu, que M. Jacques Larché souhaite que des personnes innocentes soient néanmoins déclarées coupables. C'est pourtant le résultat que l'on obtiendrait si un tel amendement était adopté.
En effet, et je terminerai sur ce point, la révision de la décision de la cour d'assises serait dans ce cas exclue puisque l'élément nouveau qui est nécessaire pour la révision et qui justifierait l'acquittement serait intervenu au cours des débats et non pas depuis la décision de la cour d'appel.
Tels sont les points qui me paraissent contre-indiquer très clairement l'adoption de l'amendement n° 46.
Je répète, pour résumer, que je ne suis pas hostile à cet amendement parce qu'il ouvre la porte au « plaider coupable ». Je dirais que c'est le côté qui me séduirait le plus par l'innovation qu'il engage et sur le principe de laquelle je ne suis pas hostile. En revanche, sur les trois points que je viens de citer, à savoir, transformer la mission de la cour d'appel, risquer de ne pas pouvoir reconnaître innocent quelqu'un qui a été déclaré coupable en première instance et bloquer la procédure de révision éventuellement, la proposition de la commission ne doit pas être retenue.
Je pense, monsieur le président de la commission des lois, que nous pourrons avoir bien d'autres occasions, lors de l'examen d'autres textes qui pourront venir en discussion devant le Sénat, que ce soit des propositions ou des projets de loi, d'ouvrir une brèche, comme vous le souhaitez, en faveur du « plaider coupable ».
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 46.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je rejoindrai à cet égard la position de M. le garde des sceaux, peut-être pas complètement pour les raisons qu'il a exposées, mais aussi pour d'autres.
Je dis d'emblée à M. le président de la commission des lois que la préoccupation qu'il a exprimée est légitime : il est évident qu'il faut explorer maintenant la possibilité d'inscrire dans notre procédure pénale le fait de plaider coupable, avec les conséquences qui peuvent s'y attacher.
Mais il est évident aussi que ce n'est, ni en cet instant, ni à cette occasion, que nous pouvons prendre en considération et inscrire dans un texte une telle possibilité. Ce n'est pas le moment, parce que nous traitons, en effet, du double degré de juridiction en matière criminelle et que le problème posé n'est pas du tout spécifique à cette instance-là - il est d'ailleurs évident qu'il faudrait poser la question pour les deux niveaux de juridiction en matière criminelle - et pas de cette façon-là.
A ce propos, j'ai eu l'occasion, dans mon exposé liminaire, de rappeler qu'il aurait été souhaitable d'éclaircir ce qu'était la position retenue et, éventuellement, d'étudier les projets concernant la question du « plaider coupable » avant d'examiner le texte d'aujourd'hui. Cependant, les choses étant ce qu'elles sont, la discussion à cet égard ne peut être engagée par voie incidente.
Monsieur le président de la commission, vous avez posé la question, cela est bien, mais il est certain que la réponse ne peut pas être donnée, ici, ce soir, au détour d'un amendement, et alors que nous ne sommes, sauf erreur de ma part, que quelques-uns des héros survivants de la longue discussion de la journée. En effet, introduire dans notre procédure pénale, par la voie d'un amendement, le « plaider coupable » en matière de juridiction criminelle appelle un débat plein et entier sur une question qui est la plus complexe qui soit.
Aux propos de M. le garde des sceaux, que l'on me permette d'ajouter qu'aux possibilités de reconnaître ensuite l'innocence de celui qui se serait déclaré coupable, avec les conséquences que cela entraîne pour la procédure de révision, s'adjoint également le problème, qui peut toujours survenir, d'une appréciation par la cour d'assises de l'absence d'éléments juridiques de nature à fonder la condamnation. Nous serions à ce moment-là en présence d'une situation d'une complexité sur laquelle je n'ai pas besoin d'insister.
Donc, rien de tout cela ne peut être réellement abordé sans qu'il soit procédé à des éudes préalables approfondies, afin d'en mesurer toutes les conséquences.
J'indique à ce propos qu'à la fin de l'année 1984 et en 1985, avec le premier président du tribunal de Paris, M. Dray, nous avions entrepris la mise en oeuvre, au niveau cette fois-ci des comparutions immédiates, d'une procédure de cet ordre, dont les résultats se sont révélés infiniment intéressants. Mais il est évident que s'il faut explorer cette piste, ce n'est pas ce soir que nous pouvons prendre en considération comme il le convient le problème que vous avez posé, à juste titre cependant, monsieur le président de la commission des lois.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. A titre personnel, je serais assez partisan de cet amendement.
Tout d'abord, je crois en effet que ce texte ne préjuge pas du tout les positions que nous pourrions prendre sur le « plaider coupable ». A ce sujet, je remercie M. le garde des sceaux des propos qu'il a tenus et qui m'ont intéressé.
Ses propos m'ont beaucoup intéressé parce que je suis de ceux qui ont eu à rapporter, dans la loi quinquennale de M. Méhaignerie, un dispositif qui tendait à instituer ce qu'on pouvait appeler la transaction, l'injonction pénale, le « plaider coupable » dirais-je. Il s'agissait alors de réduire la masse des affaires qui sont classées sans suite.
Nous nous sommes alors heurtés à la grande sagesse du Conseil constitutionnel, qui nous a fait observer qu'un principe de valeur constitutionnelle voulait que les procureurs ne tranchent pas les questions de fond, les questions pénales.
Je reconnais volontiers, en toute humilité, que, dans sa responsabilité à lui, qui est de maintenir les principes, le Conseil constitutionnel avait raison.
Mais dans notre responsabilité à nous, qui est d'essayer de résoudre sur le terrain les problèmes concrèts, ce système, finalement, n'était qu'une variante du classement sous conditions que le procureur pratique quotidiennement mais qui, sans doute, n'a jamais été soumis à la haute juridiction.
Nous étions chacun dans notre logique, mais nous avions nos raisons ; elles étaient, je crois, tout à fait intéressantes et c'est une idée qu'il faudrait essayer de reprendre.
Il a fallu que M. Michel Dreyfus-Schmidt, qui à ce moment-là ne présidait pas mais guerroyait contre nous, comme il le fait d'habitude,...
M. Emmanuel Hamel. Avec talent !
M. Pierre Fauchon. ... déferre cette décision au Conseil constitutionnel au lieu d'avoir la sagesse de la laisser passer et de se rendre compte que le plus grand des maux, c'est tout de même le trop grand nombre de classements sans suite.
M. Robert Badinter. Il ne peut pas répondre !
M. Pierre Fauchon. Cela contribue à créer ce climat d'insécurité qui caractérise notre société et qui explique par ailleurs tant d'événements auxquels nous sommes particulièrement sensibles cette semaine. A la clé de ces classements sans suite, il y a aussi cela.
Quoi qu'il en soit, je reviens, si j'ose dire, à mes moutons ! (Sourires.)
J'ai bien entendu les analyses savantes de M. le garde des sceaux et de M. Badinter, qui nous ont dit qu'on ne peut pas prendre une telle décision dans la précipitation d'une fin d'après-midi. Mais cet après-midi en a vu d'autres et peut-être de plus graves ! On aurait pu quand même se proncer parce que, enfin, nous essayons d'oeuvrer en faveur de l'accusé !
M. le rapporteur nous a rappelé très justement, car on en n'est pas toujours conscient, que pour arriver à condamner quelqu'un il faut vraiment qu'il ait tué père et mère et que ce soit évident avec ces très fortes majorités !
Nous essayons de faire en sorte que la justice n'accable pas celui qui est accusé. Il me semle que lui donner la faculté de ne pas rejouer sa chance, ce qui après tout est bien compréhensible et peut tenter beaucoup de gens condamnés en première instance, est raisonnable tout simplement parce que c'est humain et équitable.
Alors que cela ne soit pas conforme au principe juridique, ce n'est pas si clair et, en ce qui me concerne, je voterai volontiers cet amendement.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Bien que n'étant pas très familier de ces sujets, j'ai tâché de comprendre quelle était la teneur du débat et de me faire une opinion sur les arguments échangés.
Vous nous dites, monsieur le garde des sceaux, que, créant le double degré de juridiction, vous mettez en place deux jurys souverains et que vous ne voulez pas aliéner la liberté d'appréciation sur tous les éléments du procès de la part du jury d'appel.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est le principe de l'appel.
M. Philippe Marini. Selon vous, si l'appel est limité à la seule peine, le jury d'appel se trouvera dans une situation quelque peu ambiguë, puisqu'il réexaminera toutes les données de l'affaire et que, dans certains cas de figure, peut-être exceptionnels mais qui peuvent se produire, il n'aura pas entière liberté pour en tirer toutes les conséquences. C'est ce que j'ai compris de votre argumentation très technique.
J'ai donc le sentiment que cette mesure, dont je comprends bien qu'elle a été inspirée par un souci de bonne administration de la justice - cela me semble incontestable - doit être quelque peu remaniée, pour que nous soyons en mesure de donner naissance à une notion nouvelle, notion à laquelle nous avons fait allusion les uns et les autres, qui est celle du plaidoyer coupable, ou du plaider coupable, mais qui n'est pas spécifique aux affaires criminelles, si j'ai bien compris et si l'objectif poursuivi est celui d'une justice bien rendue et bien administrée.
Tout en ayant, naturellement, beaucoup de considération pour les analyses et la position prise par la majorité de la commission, je vais vous suivre, monsieur le garde des sceaux, espérant que cette interprétation que j'ai donnée de vos propos n'est pas inexacte ou trop béotienne.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je dois dire que j'ai, avec une certaine satisfaction, enregistré un exemple pratique de ce que l'on pourrait appeler le plaider coupable, de la part du garde des sceaux puisqu'il vient de nous dire qu'il regrettait, en quelque sorte, les propos qu'il avait tenus dans son discours introductif, dans lequel il avait condamné très sévèrement le principe du plaider coupable, nous indiquant que tout cela était venu du droit américain, qu'il y avait une tentation de bargaining et qu'il fallait donc lui prêter une extrême attention.
Je retiens déjà, monsieur le garde des sceaux, un extraordinaire progrès, mais nous en avons tellement accomplis au cours de ce débat que celui-là ne me surprend pas ! Si j'ai bien compris, nous reviendrons un jour sur cette affaire.
Cependant, cet amendement doit être maintenu pour marquer clairement ce qui a été mon intention, cela d'autant plus que j'ai été sensible - c'est le jeu du débat parlementaire - à l'un de vos arguments.
Je vais donc rectifier mon amendement en conséquence pour préciser : « L'appel de l'accusé peut, par mention portée sur la déclaration prévue à l'article 232-18, être limité à la décision sur la peine, sans préjudice de la possibilité pour la cour d'assises de le déclarer non coupable. »
M. Pierre Fauchon. Bravo !
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 46 rectifié, présenté par M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, et tendant, avant le dernier alinéa du texte proposé par l'article 3 pour l'article 232-2 du code de procédure pénale, à insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'appel de l'accusé peut, par mention portée sur la déclaration prévue à l'article 232-18, être limité à la décision sur la peine, sans préjudice de la possibilité pour la cour d'assises de le déclarer non coupable. »
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Que M. le président de la commission des lois veuille bien m'excuser de lui dire que, si j'ai plaidé coupable pour les propos que j'ai tenus avant-hier, lui plaide coupable pour son amendement n° 46 ! (Sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Pas du tout !
M. Pierre Fauchon. Oui, mais la cour vous absout l'un comme l'autre !
M. Philippe Marini. En fait, vous vous rejoignez !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Cela signifie très exactement que l'intéressé plaidera coupable, mais que la cour d'appel ne prendra pas en considération,...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Si elle le souhaite !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... si elle le souhaite, ce plaider coupable.
M. Pierre Fauchon. C'est surréaliste !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je veux dire par là que la première partie de l'amendement est annulée par la seconde, celle que vous venez de proposer, monsieur le président de la commission des lois.
Dans ces conditions, je ne suis pas du tout hostile, sur le plan du principe, à ce que l'on adopte l'amendement que vous proposez, sachant que cela veut dire très clairement que l'intéressé fera appel sur la peine et que la cour d'appel pourra examiner sa culpabilité.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Elle fera ce qu'elle voudra !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est exactement ce que la cour d'assises d'appel doit faire en vertu de la procédure.
Dans ces conditions je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. Emmanuel Hamel. Et nous voilà soulagés ! (Sourires.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 46 rectifié.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je voterai contre cet amendement parce que je ne suis pas favorable à l'introduction de la possibilité du plaider coupable.
M. Philippe Marini. Parce que c'est américain !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Parce que c'est capitaliste !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 46 rectifié, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 220, MM. Badinter et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter, in fine, le dernier alinéa du texte présenté par l'alinéa 3 pour l'article 232-2 du code de procédure pénale, par les mots : « sous réserve du dernier alinéa de l'article 232-6. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. La partie civile peut demander, en vertu du second alinéa de l'article 232-6, des dommages et intérêts, ce qui aggrave le sort de l'accusé. Il faut évidemment restreindre cette portée au seul aspect des intérêts civils.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je ne suis pas favorable à cet amendement pour une raison simple : l'article 232-2 ne porte que sur l'appel relatif à l'action publique. La réserve qui est proposée par M. Badinter et qui s'applique à l'article 232-6 relatif à l'appel sur l'action civile n'a donc aucun sens dans cet article 232-2.
M. Robert Badinter. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 220 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 232-2 du code de procédure pénale.

(Le texte est adopté.)
Mes chers collègues, la suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

3