M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Arrivés au terme de ce débat, efforçons-nous de dégager à la fois ce que furent ses temps forts et ce que peuvent être ses enseignements.
Les temps forts, j'en distinguerai deux.
Je laisse de côté, en cet instant, les développements juridiques, les problèmes concernant la lisibilité d'une législation devenue illisible et les difficultés que je perçois encore dans l'article 8. Nous reprendrons tout cela en deuxième lecture.
Le premier temps fort, ce fut lorsque nous avons débattu du certificat d'hébergement. En effet, s'agissant de l'obligation d'aller dénoncer à l'autorité municipale le départ de celui ou celle que l'on a reçu, j'ai eu un instant, un instant seulement, le sentiment que l'on comprenait que le bénéfice ne pouvait être qu'illusoire au regard de la lutte contre les filières ou contre les trafiquants de travail clandestin aussi bien qu'en matière de terrorisme. Vous pensez bien que, dans de tels cas, ce n'est pas en faisant des déclarations auprès des municipalités que l'on procède.
Quoi qu'il en soit, j'ai eu le sentiment qu'on avait compris que cette mesure pèserait en fait sur ceux qui sont établis sur notre sol, qu'il s'agisse des Français ou des étrangers installés régulièrement en France. Ceux-là ne demandent qu'une chose : recevoir leurs parents, leurs amis, leurs proches.
Mais la réponse a été non !
Le deuxième temps fort, ce fut à propos de ce qui constituait l'objectif nécessaire du texte, c'est-à-dire la régularisation de ces situations créées par les défauts de la loi elle-même.
On a parlé de la force injuste des lois. Celles de 1993 nous en ont donné l'illustration.
Il était impossible de maintenir pareille situation : celle qui fait que des étrangers sont à la fois non régularisables et non éloignables.
Il fallait donc régulariser, et j'ai cru que ce qui était la logique même allait s'imposer, c'est-à-dire qu'on allait les régulariser tous.
Eh bien, non ! Il a fallu encore trier, il a fallu encore sérier. On s'est obstiné à ne pas faire droit à la fois à la raison et au coeur. A cet égard, l'essentiel du problème a été méconnu.
J'en viens à la législation contre l'immigration clandestine. A cet égard, on ne peut pas dire que les dispositions font défaut ! Je me souviens, monsieur le ministre, des déclarations tonitruantes de votre prédécesseur sur ce sujet ; c'était il y a seulement deux ans !
Ce qui demeure l'essentiel à cet égard, je le répéterai toujours, c'est la nécessité profonde de l'intégration de tous ceux qui vivent sur notre sol et qui, à aucun prix - je pense en particulier aux jeunes gens - ne doivent se sentir, de quelque façon que ce soit, exclus, différenciés, mis à l'écart, soupçonnés au sein de la communauté nationale.
Voilà l'enjeu clé. Et cet enjeu-là, vous l'avez méconnu.
Je vous ai dit, monsieur le ministre, au début de ce long parcours, que je ne mettais pas en doute vos intentions. Mais je crois que vous n'avez pas choisi le bon chemin. Il aurait suffi d'accepter la régularisation logique et humaine que nous vous proposions. Pour le reste, nous avons le temps de reconstruire comme il convient la législation sur les étrangers.
Ce qu'on nous a proposé et qui va être voté, même si de légers progrès ont été accomplis au Sénat, va à l'encontre de l'essentiel : cela méconnaît l'intégration. C'est pourtant elle qui, lorsque nous légiférons dans cette matière, doit à tout moment demeurer notre premier objectif.
J'en ajouterai un second, qu'il faut également conserver toujours présent à l'esprit.
Nous sommes une grande nation, et j'utilise à dessein les termes qui sont nés au moment de la Révolution française. Si nous sommes une grande nation, ce n'est pas seulement par les moyens matériels dont nous disposons. C'est aussi à cause de l'idée que, dans le monde entier, on se fait de la France. Cette idée-là, pour les jeunes étudiants étrangers, pour tant de populations étrangères, pour tant de coeurs d'étrangers qui nous sont acquis au-delà de nos frontières, gardons-nous, pour une simple législation de bureau, de la remettre en cause.
Cela fait partie de notre patrimoine le plus précieux, qui a été si difficilement conquis, tant de fois remis en cause dans l'histoire de la République, mais que la République a toujours su maintenir.
N'oublions jamais cela et, même à travers des dispositions très techniques, conservons toujours clairement devant nous ces objectifs. Ils valent bien, croyez-moi, ceux d'une législation de police et de soupçon. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront résolument contre ce projet de loi, qui relève, dans le droit-fil des lois Pasqua, du matraquage législatif.
L'étranger est en effet une nouvelle fois montré du doigt comme responsable de tous les maux dont souffre la société française. Ce texte est le reflet juridique des fantasmes xénophobes qui désignent l'immigration comme source du chômage, de la violence et même du déficit de la sécurité sociale.
Renforcement policier de la pratique des certificats d'hébergement, mesures de confiscation des passeports, création de fichiers des empreintes digitales, fouilles dans les véhicules, visites domiciliaires inopinées chez les hébergeants, interventions policières dans les entreprises, accélération des procédures de reconduite à la frontière, restrictions importantes apportées aux possibilités de régularisation, assimilation permanente de l'étranger à une menace contre l'ordre public : cette liste non exhaustive montre bien le caractère profondément autoritaire et sécuritaire de ce projet de loi par lequel vous cédez de fait, monsieur le ministre, et quoi que vous en disiez, à la pression de la propagande du Front national.
Nous n'acceptons pas cette surenchère dans l'instauration de mesures répressives, mesures qui bafouent les valeurs de la République.
Comment accepter cette politique gouvernementale qui généralise la précarité, se résigne à l'extension du chômage et au développement de la crise, privilégie la loi de l'argent, au détriment du respect de la dignité humaine, et qui, pour masquer ses effets dévastateurs en matière économique et sociale, fait de la lutte contre l'immigration son cheval de bataille, à la grande joie de ceux qui en font leur thème de campagne ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n'acceptent pas que la mondialisation soit érigée en triomphe du libéralisme et perçue comme l'outil et le moyen d'une circulation sans entrave des capitaux et d'une mise en concurrence des peuples.
Nous préférerions de beaucoup parler de coopération, plutôt que de ce concept de mondialisation, qui rime avec profit et exploitation.
Or, de coopération et d'un véritable essor de celle-ci, la majorité n'a pas voulu entendre parler, pas plus d'ailleurs que de la convention internationale de Genève.
Il n'y aura pourtant pas de développement harmonieux de l'humanité sans un investissement déterminé et considérable dans l'aide aux pays en difficulté.
Ce projet de loi ne réglera rien, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité. Il accentuera au contraire les incompréhensions, les divisions, les peurs et les haines, et il favorisera, je le répète, l'essor de l'extrême droite.
Nous voterons donc contre ce projet de loi, et nous appelons tous ceux qui, dans cet hémicycle, ont la démocratie et la République au coeur à faire de même.
Mes amis du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même sommes fiers d'avoir donné de la France, à l'occasion de ce débat, le visage d'un pays humaniste, attaché à la coopération et aux valeurs humaines, d'une terre d'accueil qui respecte le droit d'asile, d'une nation d'hommes et de femmes courageux, épris de leur pays et de la liberté universelle.
Les intellectuels algériens, les femmes algériennes, assassinés par des fanatiques, sont en ce moment même des défenseurs exemplaires de cette liberté, et leur combat fera date dans l'histoire. Un hommage sera d'ailleurs rendu demain soir, à Charonne, à ceux qui sont tombés dans leur combat pour la liberté de l'Algérie, et nous associerons dans cet hommage celles et ceux qui, par centaines, sont aujourd'hui victimes de forces occultes.
Nous continuerons, mesdames, messieurs de la majorité, dans le respect de chacun et pour le bonheur de tous, à oeuvrer avec cette France qui mène le combat pour sauver notre industrie nationale, pour créer des emplois, pour faire en sorte que les jeunes aient à nouveau confiance dans l'avenir, pour que tous ses habitants vivent mieux. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe des Républicains et Indépendants se félicite de ce dispositif destiné à corriger certains dysfonctionnements, et il complimente le Gouvernement d'avoir pris, malgré maints obstacles, cette initiative.
Il approuve les dispositions que contient le texte, dans la forme qu'elles revêtent au terme de cette discussion. Elles lui paraissent en effet donner aux pouvoirs publics plus de moyens pour lutter efficacement contre l'immigration irrégulière, tout en prévoyant les garanties qui s'inscrivent dans le droit-fil de nos traditions d'hospitalité et sans sombrer pour autant dans un angélisme qui, par une sorte de fatalisme, a toujours nourri la xénophobie.
Chacun aura compris que le groupe des Républicains et Indépendants dans son ensemble votera le projet de loi. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si depuis mardi nous légiférons, c'est pour maintenir le cap de la politique d'immigration suivie depuis 1993, puisque les orientations fixées alors, après des années de laxisme, demeurent plus que jamais pertinentes pour l'avenir. Si nous légiférons, c'est parce qu'il est apparu que certaines procédures en vigueur devaient être aménagées.
Le débat qui s'est engagé depuis plusieurs jours a été argumenté, riche et fructueux.
Cependant, nous ne pouvons que regretter que ce projet de loi, destiné uniquement à freiner l'immigration clandestine, ait été, dès le début, frappé d'anathème ; il est devenu l'objet de passions partisanes et, parfois, de procès d'intention. Nous le déplorons.
En effet, les dispositions de ce texte respectent les principes rappelés par notre rapporteur, Paul Masson, qui a accompli un travail remarquable, chacun en convient, et à qui nous tenons à rendre hommage. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Le premier de ces principes, c'est le droit, pour chaque pays, d'organiser sa politique d'immigration, de faire appliquer, à l'encontre des étrangers en situation irrégulière, des mesures d'éloignement, et de contrôler l'immigration régulière. C'est le devoir de l'Etat.
L'élaboration des mesures proposées a également obéi à un second principe : celui du respect des droits fondamentaux, qui ont valeur constitutionnelle, de tous ceux qui résident sur notre territoire, quel que soit leur statut, ce qui est l'honneur de la France.
Enfin, nous avons voulu assurer, en tous lieux, l'ordre public, notion trop souvent oubliée et qui, pourtant, est le garant de la paix publique. Il est temps de rejeter l'éthique de la complaisance et de la fausse humanité, dont souffrent les Français les plus pauvres et les immigrés exploités, déracinés et trop souvent victimes de profiteurs de toutes sortes.
Par ailleurs, je tiens, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, à exprimer ma reconnaissance aux forces de police et de gendarmerie engagées, dans des conditions souvent difficiles, dans la lutte contre l'immigration clandestine, et dont nous pouvons mesurer chaque jour l'efficacité. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) La nation tout entière leur doit son soutien.
En votant ce texte, monsieur le ministre, le groupe du RPR approuve sans réserve votre politique courageuse, dont nous pouvons déjà mesurer les résultats très positifs au bénéfice de la France.
Cette politique ne nous surprend pas, nous qui connaissons votre lucidité courageuse, votre détermination et votre sens de l'Etat. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. La législation sur l'entrée et le séjour en France des étrangers n'a, comme on l'a rappelé plusieurs fois, cessé d'être reprise, quelquefois ravaudée, suivant d'ailleurs l'évolution, depuis 1945, de l'immigration.
Le texte, tel qu'il résulte des travaux de la Haute Assemblée, n'apporte pas, monsieur le ministre, comme je l'avais prédit, une révolution du droit existant. Il se contente d'améliorer et de rendre applicables certaines procédures.
A cet égard, je ne comprends guère que l'on puisse à la fois affirmer que l'on doit lutter contre l'immigration illégale et incontrôlée et refuser de se donner les moyens de le faire.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, il faut veiller au respect des droits des immigrés, qui doivent notamment pouvoir prouver leur bonne foi, et le rôle de l'opposition est sans doute de nous le rappeler. Encore que les parangons de vertu et les donneurs de leçons soient parfois un peu excessifs et un peu fatigants...
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. Mais rien, dans les procédures prévues par le projet de loi, ne paraît devoir justifier la méfiance et la suspicion permanentes qui pèsent sur les services de l'Etat, quels qu'ils soient, dont la tâche est parfois si difficile et qui se sentent souvent bien découragés. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Jacques Hyest. Les débats sur l'immigration laissent souvent un goût amer, tant ils semblent faire de l'étranger, et même des enfants, un ennemi à combattre, source de tous nos maux, alors qu'il faut d'abord tout faire pour permettre à ceux qui se trouvent régulièrement sur notre sol de mener une vie sûre et tranquille - s'ils respectent nos lois - et pour favoriser leur intégration.
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas ce projet de loi qui le permettra !
M. Jean-Jacques Hyest. Mais l'intégration, c'est une question non pas de textes, mais de volonté de la nation dans son ensemble. On peut élaborer tous les textes que l'on veut, c'est un pays fort qui peut intégrer les étrangers, et non pas un pays peureux. (« Très bien ! » sur les travées de l'Union centriste.)
Monsieur le ministre, loin d'être liberticide, votre texte vise à remédier aux dysfonctionnements constatés, sources de difficultés, d'incompréhensions et de réactions malsaines.
Il faut affirmer que toute nation, en fonction de sa situation économique et sociale, a non seulement le droit, mais le devoir de contrôler les flux migratoires. Il faut lutter résolument contre les tricheurs et ceux qui exploitent les plus pauvres. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
Notre devoir vis-à-vis des demandeurs d'asile - et il est vrai qu'il existe des cas difficiles - et de ceux que tant de liens familiaux ou autres rattachent à notre pays ne saurait nous dispenser de mettre en oeuvre une politique d'immigration claire, cohérente et efficace. C'est ce que nous propose le Gouvernement.
Souhaitons que ce projet de loi, que le groupe de l'Union centriste votera tel qu'il a été amendé, notamment grâce au travail de notre rapporteur, dont la compétence juridique, la sagesse et l'humanité sont à souligner particulièrement, puisse contribuer à résoudre ce problème lancinant de l'immigration clandestine, que certains s'ingénient à grossir pour mieux attenter aux libertés des étrangers, et demain aux libertés de tous. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Au moment où s'achève ce débat, je voudrais, moi aussi, dire quelques mots.
Si je pense beaucoup aux immigrés, je voudrais m'arrêter un instant sur ceux à qui ce projet de loi risque de donner des illusions, c'est-à-dire à nos concitoyens qui connaissent de grandes difficultés, les chômeurs, les RMIstes et ceux qui ont un emploi précaire, ces personnes qui vivent actuellement comme si elles étaient en trop, comme si elles étaient superflues, ces personnes à qui on ne demande plus de s'acquitter de quelque tâche que ce soit, qui perdent leur place dans le chaînon symbolique des générations, ces personnes à qui on demande finalement de se faire oublier, de se faire petites.
Peut-on contraindre des femmes et des hommes à l'oubli de soi, sans qu'ils se demandent, au bout d'un certain temps, ce qu'ils ont fait pour mériter ce sort ? Alors, chacun de ceux qui les fréquentent intimement - je crois que c'est mon cas, je le dis sans forfanterie - sait quelle déconsidération d'eux-mêmes leur vient, déconsidération allant parfois jusqu'à la haine, d'abord haine de soi, puis haine de l'autre, ressentiment à l'égard de l'autre, et ils vivent cela dans la douleur. Eh bien ! à ce moment-là si l'étranger est montré du doigt - et le Front national sait ce qu'il fait ! - il étourdit la douleur par la passion.
Tout à l'heure, je me suis permis de citer Nietzsche, je veux y revenir : « Le trait fondamental de la volonté humaine, c'est qu'elle a besoin d'un but et, plutôt que de ne rien vouloir, elle veut le rien. L'homme ainsi est sauvé, il a un sens, il cesse d'être comme une feuille dans le vent, jouet de l'absurde, de la privation de sens, il peut désormais vouloir quelque chose, et ce qu'il veut, pourquoi et par quoi il le veut importe peu. Sa volonté elle-même est sauve. L'homme aime mieux vouloir le néant que ne pas vouloir. » Je le répète, à ce moment-là, le Front national joue le rôle d'organisateur de la vengeance imaginaire. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, laisser parler M. Ralite. C'est un moment important de ce projet de loi.
M. Jack Ralite. Si, donc, dans mes interventions, j'ai pu marquer quelque passion, c'est que ça, c'est ma vie quotidienne de maire d'une grande ville de banlieue de la région parisienne.
M. Alain Gournac. Vous n'êtes pas le seul !
M. Philippe François Il y en a d'autres qui sont maires !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ecoutez-le !
M. Jack Ralite. Je ne dis que personne personne n'a la même expérience, j'explique une expérience sociale qui, les élections de Vitrolles le montrent, débouche sur des événements très graves.
M. Philippe François. C'est vous qui les provoquez !
M. le président. Monsieur François, je vous en prie. Il s'agit d'un texte important ; il convient d'en achever l'examen dans le calme et la courtoisie.
M. Alain Gournac. Eh bien, votons !
M. Philippe François. L'important, c'est de voter, et non pas d'écouter du baratin !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Ralite.
M. Jack Ralite. J'ajoute que c'est malheureusement une tradition historique quand il y a crise et difficultés de désigner l'étranger.
A la fin du xixe siècle, au moment de la grande dépression, des parlementaires, déjà, rivalisaient d'ingéniosité pour décourager les étrangers de demeurer dans un pays au développement industriel duquel ils n'avaient pourtant pas peu contribué.
A la fin de l'année 1889, dix parlementaires réclamaient des taxes exceptionnelles, un livret pour les étrangers, où tout serait noté de leurs déplacements et de leurs emplois, trois ans de service obligatoire dans la légion, etc.
J'ai noté, dans une thèse de 1898, sur la police des étrangers, la phrase suivante : « Bien que la statistique des sans travail n'ait jamais été faite, il est incontestable que le nombre des ouvriers français sans travail est de beaucoup inférieur à celui des étrangers qui sont employés dans notre pays. En conséquence, nous nous trouvons en face de cette constatation brutale : s'il n'existait pas d'étrangers en France, il y aurait du travail pour tous nos nationaux. » C'est la première remarque fondamentale que je voulais faire.
J'en formulerai deux autres, et je vous prie de m'en excuser.
M. Alain Gournac. Oh...
M. Jack Ralite. Ce matin, a été publié le rapport de l'INED, l'institut national d'études démographiques. Je pense qu'il faut y réfléchir.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Jack Ralite. Il ne s'agit pas d'un petit document.
Quand il précise qu'au 1er janvier 1986 la France métropolitaine n'aurait compté que 45 millions d'habitants s'il n'y avait pas eu d'immigration étrangère, cela veut dire qu'une force énorme de notre importance nationale et citoyenne tient, bien sûr, aux Français de souche, mais aussi à ces immigrés.
Il ajoute : « On ne peut réfléchir à la maîtrise de l'immigration qu'en gardant cet état de fait à l'esprit. » Il conclut ainsi : « L'insatisfaction récurrente de l'opinion publique sur la gestion de l'immigration étrangère n'est donc pas justifiée par les faits, mais elle se nourrit d'objectifs politiques peu réalistes dont l'immigration zéro est une des figures malheureuses. » Non, nous sommes un pays qui, par son histoire,...
M. Dominique Braye. Vous auriez dû aller jusqu'au bout de ce texte et ne pas le tronquer !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Arrêtez !
M. Jack Ralite. Il est très long ! En tout cas, ce que je cite, c'est la vérité ! Vous pouvez d'ailleurs le vérifier. Je ne falsifie pas les textes !
M. Dominique Braye. Si !
M. Jack Ralite. Ce pays, notre France, il s'est formé, c'est comme ça, d'une mêlée au cours des siècles.
Je ne veux pas être malicieux, mais lors du débat de 1984, au cours duquel tous ensemble, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, nous avions voté un texte intéressant,...
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Jack Ralite. ... M. Jean Foyer, qui ne partage pas mes idées, déclarait : « Mais l'histoire nous révèle que tous les grands peuples ont été en réalité le résultat d'un mélange qui, un beau jour, s'est juridiquement définitivement affirmé et consolidé par l'attribution d'une citoyenneté ou d'une nationalité commune. »
M. Alain Gournac. Eh oui ! Et ce n'est pas à vous de le dire !
M. Jack Ralite. Il poursuivait ainsi : « Cela a été l'histoire de la France, qui est faite de composants ethniques extraordinairement nombreux. Et ce que la nation française a réussi à réaliser, la façon dont elle a réussi à se faire pendant des siècles, c'est ce que notre époque aura à accomplir en intégrant des composants nouveaux, afin de mériter - je l'espère - ce compliment que le vieux poète latin adressait à l'antique Rome : "De nations diverses, tu as fais une patrie unique". »
M. Emmanuel Hamel. A force de se mélanger, on se détruit !
M. Jack Ralite. Voilà ce que je voulais dire. Et je ne quitte pas cet hémicycle en étant pessimiste, même si ce qui va être voté me semble grave. On a beaucoup cité Braudel : c'est un immense monsieur. Mais il y a un autre immense français qui a parlé de la Méditerranée, c'est Jacques Berque, qui disait : « J'appelle à des Andalousies toujours recommencées dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'inlassable espérance. » Les décombres, nous les avons nommés ; l'inlassable espérance, nous aurions pu tous en faire le tour. Nous l'avons fait de ce côté-ci de l'hémicycle. C'est cela l'avenir de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. Pauvre France, si c'est cela son avenir !
M. le président. La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi simplement, à cette heure, de préciser que, soucieux de soutenir le Gouvernement dans ses efforts pour lutter contre l'immigration clandestine, source de misère pour nombre d'hommes et de femmes, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, dans sa majorité, votera le texte qui nous est soumis.
Il tient à remercier et à féliciter M. le rapporteur de l'excellent et important travail qu'il a réalisé sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le président de la commission des lois, M. Jacques Larché, n'étant pas des nôtres ce soir par suite d'un empêchement impérieux, je suis amené à improviser quelques mots au nom de la commission.
D'abord, et c'est tellement justice, je veux remercier M. le rapporteur, qui, vous l'avez tous constaté, a apporté la démonstration d'une connaissance approfondie de ce dossier, tout de même très complexe techniquement. Au long des méandres, qui n'étaient pas toujours faciles à suivre, de ce texte, il a fait preuve d'une sérénité, d'une clarté et d'une indépendance de jugement auxquelles, je crois, nous pouvons tous rendre hommmage. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe François. Bravo, monsieur le gouverneur ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. Ensuite, je voudrais, bien sûr, remercier la majorité, qui a bien voulu généralement, et sauf circonstances exceptionnelles (Nouveaux sourires) faire confiance à la commission. Comme vous l'avez dit, cher collègue Ceccaldi-Raynaud, les circonstances exceptionnelles ne comptent pas. Donc, je considère que la commission a constamment bénéficié d'une grande confiance.
Je voudrais aussi remercier l'ensemble de notre assemblée, car nombreux étaient les sénateurs présents lors de ces débats, lesquels se sont tout de même déroulés sur plusieurs jours, ce qui n'a sans doute pas été confortable pour tout le monde.
Ces débats ont connu ce qu'il faut de moments de tension, ce qu'il faut de moments d'humour. Au total, me semble-t-il - et moi qui ne suis pas intervenu dans le débat, je crois pouvoir en porter témoignage -, ont prévalu une grande sérénité et une grande conscience des responsabilités, des enjeux. Au-delà des décisions immédiates, de toutes les conséquences de ces textes, notre assemblée a prouvé qu'elle était une assemblée de réflexion, au sens le plus noble du terme.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir suivi vous-même ce débat, en dépit d'un tempérament que nous sentons dynamique et fougueux - et Dieu merci ! dans les fonctions qui sont les vôtres - avec sérénité, parfois avec une sorte de détachement et distanciation, de manière à nous laisser libres de nos choix et à quasiment nous donner l'impression que ce projet de loi était le nôtre tout autant que le vôtre. Ainsi avons-nous travaillé, je crois pouvoir le dire, excellemment. Nous pouvons, les uns et les autres, en être satisfaits.
Cela étant, je n'ai pas le sentiment - je reprends un instant mon rôle de porte-parole de la majorité - que nous ayons à nous faire quelque reproche que ce soit, même si ce sont des reproches que j'ai cru percevoir dans les réflexions des uns ou des autres.
Cher collègue et ami Badinter, nous n'avons à aucun moment eu le sentiment d'agir dans un esprit - je crois vous citer - de police et de soupçon. Je ne sais à qui vous pensiez, mais ce ne pouvait être à nous, permettez-moi de vous le dire fermement.
Madame Luc, vous vous êtes référée à l'humanisme et M. Ralite nous a ému, comme toujours, et avec le talent que chacun lui connaît et auquel je suis heureux de rendre hommage. Cependant, nous avons le sentiment que l'humanisme, comme la générosité, est largement réparti sur toutes les travées de notre assemblée.
Il ne s'agit pas nécessairement du même humanisme. Le nôtre est peut-être nourri de plus de réalisme et sans doute d'un peu plus de lucidité que le vôtre, mais il n'en est pas moins sincère, et j'ai la faiblesse, que dis-je, j'ai la force de croire que plus lucide, il est plus utile et plus fécond à la société. Il s'inscrit dans les meilleures traditions du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de remercier les présidents de séance - notamment vous-même -, qui ont dirigé nos débats avec autorité et impartialité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Merci !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je voudrais exprimer également ma reconnaissance non pas à titre exceptionnel, mais à titre permanent, à M. Paul Masson. Sa compétence, sa disponibilité et sa modération se sont imposées à tous. Merci ! monsieur le rapporteur.
Je voudrais vous remercier, mesdames et messieurs les sénateurs. Lorsque l'on observe avec recul ces trois jours, on constate que notre débat a été un débat de qualité, où chacun a pu, avec son tempérament, sa passion, son « détachement », exposer en toute sérénité son point de vue.
Je me souviens d'une phrase d'Anatole France, qui doit marquer notre conscience, surtout dans ces débats difficiles : « Heureux ceux qui n'ont qu'une vérité. Plus heureux et plus grands ceux qui, ayant fait le tour des choses, ont assez approché la vérité pour savoir qu'on n'atteindra jamais la vérité. »
Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre présence.
Merci d'abord à vous, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, qui avez, en très grand nombre, suivi, accompagné le Gouvernement pendant ces trois jours. Vous partagez la volonté du Gouvernement de mieux lutter contre l'immigration irrégulière afin de mieux intégrer les étrangers en situation régulière.
Cette législation est faite non pas contre telle ou telle idée extrémiste, contre telle ou telle idéologie laxiste, mais en fonction de la certaine idée de la France que nous portons tous en nous, quelle que soit notre place dans cet hémicycle.
Cette certaine idée de la France, c'est celle d'une France accueillante, hospitalière, bienveillante à l'égard de celles et de ceux qui veulent partager, comme disait Renan, « notre communauté de destins », une France qui s'impose à tout le monde parce qu'elle sait, chez elle, faire respecter la loi.
La lutte contre l'immigration irrégulière suppose que les masques tombent, que l'on écarte les faux-semblants, les illusions et que l'on assume ses responsabilités. Nous assumons les nôtres non par des paroles, mais par des dispositions équilibrées et avec des procédures conformes à notre tradition juridique.
Nous avons su, je le crois, trouver progressivement un équilibre entre la défense des libertés individuelles, qui sont indispensables dans une grande nation comme la France, et la capacité de l'Etat à se défendre contre celles et ceux qui violent ou ne veulent pas respecter les lois de la République.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, en matière d'immigration, le Gouvernement garde son cap. Oui, la France est une grande nation, une nation qui sait, dans de tels débats, écarter la passion - en tout cas pour certains ! - sortir de la facilité, de la fausse générosité, de l'hypocrisie et des illusions et qui pose comme règle absolue une certaine idée de la démocratie, c'est-à-dire un régime où ont leur place toutes celles et tous ceux qui, quels que soient la couleur de leur peau, leur religion et leur itinéraire passé, ont fait de la loi votée par le Parlement leur dogme, une nation qui assume en ce domaine ses responsabilités avec humanité, mais aussi avec fermeté.
Je remercierai enfin les sénateurs du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen, que nous avons écoutés avec attention et intérêt. Si nous ne partageons pas les mêmes vérités, ils ont néanmoins pu exprimer les leurs avec sincérité. Je ne leur ai jamais fait de procès d'intention et je les remercie de ne pas m'en avoir fait.
Mesdames et messieurs les sénateurs du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen, je tiens enfin à vous remercier de votre présence tout au long de ces débats, présence qui tranche - permettez-moi de le dire - avec l'absence remarquée des députés socialistes et communistes à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le résultat est exactement le même !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 105:

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 316
Majorité absolue des suffrages 159
Pour l'adoption 220
Contre 96

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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