PLANS D'ÉPARGNE RETRAITE
Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition
de loi (n° 179, 1996-1997), adoptée avec modifications par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, créant les plans d'épargne retraite. [Rapport
(n° 190, 1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, en ouvrant cette discussion, en deuxième lecture, de
la proposition loi relative à la création de fonds d'épargne retraite, je veux
d'abord adresser mes compliments et mes remerciements à la commission des
finances du Sénat et à son rapporteur, M. Philippe Marini, pour le travail
considérable qu'ils ont accompli.
Ma conviction est que les fonds d'épargne retraite constituent un élément
extrêmement positif qui contribue directement au bien de notre collectivité
nationale.
Contrairement aux craintes exprimées çà et là, les fonds d'épargne retraite ne
menacent pas nos retraites par répartition, qu'il s'agisse tant des régimes de
base que des régimes complémentaires. La répartition - cela doit être bien
clair - doit rester et restera le socle de nos retraites.
M. Paul Loridant.
Paroles !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Je me permets d'affirmer cela
avec d'autant plus de force que je suis convaincu que les fonds d'épargne
retraite vont même consolider nos régimes de base de retraite par
répartition.
En effet, en abondant les fonds propres de nos entreprises, ils favoriseront
leur développement, engendrant ainsi des emplois nouveaux qui eux-mêmes
offriront des assiettes de cotisation pour les régimes de retraite par
répartition. Autrement dit, il n'y aura que des gagnants dans cet enchaînement
dynamique ; ce point est capital.
Notre discussion va par ailleurs nous permettre de régler les dernières
questions encore en suspens sur ce projet.
Notre premier sujet de débat concerne le mode de gestion des futurs fonds. Ces
fonds seront gérés dans un cadre assurantiel, puisque leur objet est de servir
une rente aux épargnants lorsqu'ils atteindront l'âge de la retraite. Cela
implique un mode de gestion des actifs en fonction d'objectifs à long terme et
non de rentabilité immédiate.
C'est la raison pour laquelle la gestion de ces fonds est soumise aux règles
prudentielles et de contrôle du code des assurances. Si nous avons fait ce
choix, c'est aussi parce que ces règles ont déjà fait la preuve de leur
efficacité, notamment en termes de sécurité pour les épargnants.
Dans ces conditions, vous comprendrez que je ne sois pas favorable à l'idée
d'imposer aux fonds d'épargne retraite une obligation de délégation de la
gestion des actifs, comme le propose la commission.
Je partage pleinement les objectifs de sécurité et de contrôle qui fondent son
amendement, mais je considère que ces exigences seront bien prises en compte
sans qu'il soit besoin de déléguer la gestion des actifs.
Avec le dispositif que nous mettons en place, l'épargne retraite sera isolée
des autres gestions d'actifs puisque les fonds d'épargne retraite ne pourront
exercer que cette seule activité. Nous mettons ainsi en place une véritable «
muraille de Chine » qui garantira la sécurité des placements.
Que cela soit bien clair : le système que nous instaurons permet d'éviter tout
conflit d'intérêts.
J'ajoute que la délégation de la gestion des actifs présenterait d'autres
inconvénients qu'on ne saurait négliger.
Elle entraînerait, tout d'abord, une obligation de dissociation des gestions
d'actif et de passif, et donc la nécessité de recourir à des gestionnaires
d'actif rémunérés. Il en résulterait nécessairement des coûts supplémentaires
de gestion, qui
in fine
réduiraient le rendement des fonds pour les
salariés.
Elle se traduirait, ensuite, par un dédoublement du contrôle entre la
commission de contrôle des assurances et la commission des opérations de
bourse. Les risques de dysfonctionnements qui résulteraient d'une telle
situation me paraissent ne pas devoir être négligés.
Je crois donc qu'il faut laisser le soin aux futurs gestionnaires d'apprécier
l'opportunité de déléguer ou non la gestion des actifs des fonds d'épargne
retraite. Dans les cas où une telle délégation serait mise en oeuvre, la
gestion des fonds serait, bien entendu, soumise au contrôle de la commission
des opérations de bourse dans le cadre de ses compétences.
Dans le même ordre d'idées, je proposerai au Sénat de ne pas retenir l'idée
d'une filialisation obligatoire de la gestion pour compte de tiers. En effet,
vous le savez, je travaille à la préparation d'un texte de loi sur la gestion
collective, où cette question trouvera naturellement sa place. Ce sujet mérite,
en outre, un approfondissement de la concertation avec la place.
En ce qui concerne la question de la division des risques, nous devons
parvenir à concilier au mieux nos objectifs prudentiels et d'abondement des
fonds propres des entreprises. M. le rapporteur a beaucoup travaillé sur ce
sujet. Je m'en remettrai donc à la sagesse de la Haute Assemblée sur cette
question.
Le dernier point que je souhaite évoquer est celui de l'adhésion individuelle
aux futurs fonds d'épargne retraite. Nous sommes parvenus, je le crois, à un
bon compromis sur cette question avec M. le rapporteur, et cela me réjouit
pleinement.
La priorité, vous le savez, est de tout faire pour que la mise en place des
futurs fonds d'épargne retraite soit réalisée dans le cadre de la négociation
collective. Toutefois, afin que personne ne reste en attente sur le bord du
chemin, nous avons souhaité qu'une possibilité d'adhésion individuelle soit
ouverte dans les cas où cette négociation collective n'aura pu aboutir.
Je donnerai donc mon accord à l'amendement de votre commission autorisant
l'adhésion individuelle d'un salarié si, plus d'un an après la promulgation de
la loi, un plan d'épargne retraite ne lui a toujours pas été proposé.
De la même manière, un employeur pourra prendre une décision unilatérale de
même nature si, un an après son ouverture, la négociation collective n'a
toujours pas abouti.
Je pense que, avec ce dispositif, nous avons trouvé un bon équilibre entre la
nécessité de préserver la priorité de la négociation collective et celle de
permettre à tous les salariés d'avoir accès à ces produits nouveaux.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principaux points que je vous propose d'examiner aujourd'hui. Le Parlement et
le Gouvernement ont, jusqu'à présent, su faire preuve d'imagination et
d'efficacité collective dans la conduite de ce projet. Nous sommes maintenant
dans la dernière ligne droite : gardons le cap que nous nous sommes fixé.
C'est l'intérêt des salariés, c'est l'intérêt des retraités de demain, c'est
l'intérêt de l'économie française. Nous allons ainsi pouvoir mieux diriger
l'épargne des Français vers l'économie productive, contribuant à la croissance
et à la création d'emplois.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, je ferai quelques brèves remarques, si vous le
permettez, au moment où nous abordons cette deuxième lecture.
Certaines des modifications que nous avons apportées en décembre ont été
validées par l'Assemblée nationale.
Je citerai, à ce titre, le principe consistant à accorder la possibilité pour
un salarié d'une entreprise qui n'aurait pas pu ou pas voulu instituer un fonds
d'épargne retraite d'adhérer à un plan d'épargne retraite existant. Certes,
l'Assemblée nationale a validé notre texte sous réserve de certains
aménagements qui en limitent la portée, mais notre apport est significatif car
il est réellement intéressant que ce nouveau système s'adresse à tous et que le
principe d'égalité soit bien respecté à cet égard.
En deuxième lieu, l'Assemblée nationale a confirmé l'amendement Cantegrit,
favorable à nos concitoyens installés hors de France.
En troisième lieu, disposition de portée plus générale, elle a reconnu la
possibilité pour un souscripteur de plan d'épargne retraite de changer de
contractant au moins une fois tous les cinq ans.
Enfin, les dispositions fiscales et les dispositions incitatives en matière de
charges sociales ont été adoptées conformes par l'Assemblée nationale, en
particulier l'amendement « Fourcade » sur lequel nous nous étions longuement
expliqués lors de la première délibération.
Au terme de cette première navette, il demeure toutefois, monsieur le
ministre, un nombre substantiel de points de désaccord.
Le premier porte sur l'interdiction que nous avons voulu poser de la formule
dite « des contrats à prestations définies ». Nous aurons l'occasion de nous
expliquer sur ce point lors de l'examen de l'article 9.
Le deuxième désaccord - vous venez d'en faire état - concerne la question de
la délégation de la gestion des actifs des fonds d'épargne retraite. Nous
souhaitions la rendre obligatoire ; l'Assemblée nationale n'évoque qu'une
simple possibilité. Là encore, nous échangerons les arguments de fond lors de
la discussion de l'article 11
bis.
Troisième désaccord : l'Assemblée nationale ne nous a pas suivis en ce qui
concerne l'obligation pour un gestionnaire de fonds d'épargne retraite
d'exercer les droits de vote attachés aux titres détenus en portefeuille, qu'il
s'agisse du gestionnaire ou du fonds lui-même. Nous nous en expliquerons lors
de l'examen de l'article 11
ter.
Surtout, en ce qui concerne les
dispositions prudentielles et de répartition des actifs, l'Assemblée nationale
a souhaité rétablir son texte de première lecture. Ainsi, les fonds d'épargne
retraite pourraient, si on la suivait, investir jusqu'à 10 % de leurs actifs
dans les titres d'une même société cotée, et ce dans la limite de 40 % de leur
portefeuille, soit quatre fois 10 %.
S'agissant des titres de sociétés non cotées, les ratios actuels ont de
nouveau été doublés, permettant ainsi aux fonds d'épargne retraite d'investir
jusqu'à 10 % de leurs actifs dans de tels titres, et ce dans la limite de 1 %
par émetteur.
Mes chers collègues, ces dispositions ne me semblent pas pouvoir être
confirmées par le Sénat, car il s'agit véritablement d'une question de principe
touchant à la confiance que les épargnants, les souscripteurs pourront avoir
dans ces nouveaux produits. C'est réellement un sujet sur lequel la commission
des finances du Sénat a exprimé, par son amendement, une conviction très forte.
Mais nous en reparlerons à l'article 23.
Enfin, l'Assemblée nationale a supprimé la possibilité pour le salarié de
transférer ses droits, indépendamment de toute rupture du contrat de travail ;
nous évoquerons cela à l'article 8.
A la vérité, et au-delà des apparences techniques, les divergences -
d'approche, mais non pas d'objectif - qui traduisent la nature de notre
bicamérisme, ont trait à quelques aspects substantiels du texte. Une question,
essentielle, à mon avis, se pose : les fonds de pension doivent-ils, comme
l'affirment nos collègues députés, avoir simultanément plusieurs objectifs, ces
objectifs étant d'assurer, de favoriser le développement des marchés d'actions
et d'inciter à la négociation collective ?
Quand je considère l'approche des députés, j'ai l'impression qu'ils mettent
sur le même plan chacun de ces trois objectifs. Encore une fois, les fonds
d'épargne retraite doivent-ils poursuivre, à la fois, plusieurs objectifs de
nature différente ou bien doivent-ils avoir un seul objectif d'un côté et en
tirer les conséquences de l'autre ? L'objectif, et le seul, comme nous l'avions
affirmé en première lecture, ici, au Sénat, c'est de payer des pensions.
M. Jean Chérioux.
Très juste !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Au-delà de cet objectif, bien sûr, par le fait même que l'on
encourage et que l'on met en place ce mécanisme, ...
M. Paul Loridant.
Prétexte !
Mme Joëlle Dusseau.
Nous ne sommes pas dupes !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... des effets économiques sont à attendre, ...
Mme Joëlle Dusseau.
C'est sûr !
M. Jean Chérioux.
Exactement !
M. Philippe Marini,
rapporteur...
effets qu'il faudra optimiser. Mais il ne faut pas
confondre les effets et la cause, les conséquences et l'objectif.
C'est sur ce thème, mes chers collègues, que nous demanderons, au nom de la
commission des finances, au Sénat de se prononcer.
Je voudrais également insister sur le fait que sur un certain nombre de
points, sans amour propre d'auteur - la commission n'en a aucun en la matière -
nous vous demanderons de confirmer vos votes de première lecture.
Tout en indiquant que dans le courant du débat nous trouverons sans doute les
formules adéquates, dans la tradition de notre maison, je profite de cette
intervention pour évoquer un point qui, outre de nombreuses interrogations dans
les milieux professionnels, a soulevé quelques inquiétudes. Ce point qui, à mon
avis, n'est pas traité dans le texte, mérite sans doute d'être relevé, au moins
dans les limites d'un échange de propos avec le Gouvernement.
Il est entendu que, selon le texte actuel, les fonds d'épargne retraite,
personnes morales, ne pourront pas obtenir le remboursement de l'avoir fiscal.
Cette situation risque, me semble-t-il, d'être, à terme, défavorable aux
investissements en actions françaises.
Ce point mérite l'attention et une réponse de la part du Gouvernement. A vrai
dire, dès lors que les fonds d'épargne retraite seront dotés de la personnalité
juridique, dès lors qu'ils auront nécessairement à se mettre en place et qu'ils
dégageront sans doute des résultats comptables négatifs les premières années,
les avoirs fiscaux liés à la détention d'actions de sociétés françaises ne
pourront pas, par définition, être apportés en compensation d'une dette d'impôt
sur les sociétés.
Je suppose donc - c'est ce que de nombreux professionnels m'ont dit - que,
pendant la période de « montée en puissance », marquée par des investissements
commerciaux et, vraisemblablement, des résultats comptables négatifs, on
relèvera sans doute, pour cette seule raison mécanique, peu d'investissements
en actions françaises et plus d'investissements en actions étrangères cotées
sur d'autres marchés que la place de Paris. Telle est, du moins, l'inquiétude
qui a été manifestée par certains professionnels. A cet égard, je souhaiterais
connaître l'opinion du ministre.
Le second point de nature fiscale qui me semble aussi nécessiter un échange
entre nous concerne l'interprétation de la disposition qui, elle, figure, bien
sûr dans le texte, disposition relative à la déductibilité par le salarié des
versements effectués sur un plan épargne retraite de son revenu imposable.
En effet, certaines organisations, notamment représentatives de salariés, se
sont émues de l'interprétation qu'il convient de faire de l'article 25, article
adopté conforme.
Cet article dispose que les versements des salariés et les contributions
complémentaires de l'employeur sont déductibles du revenu imposable du salarié
à l'impôt sur le revenu dans une certaine limite fixée par le texte.
Doit-on, monsieur le ministre, faire masse des deux versements et les
soustraire du revenu imposable, ou considérer - ce qui a toujours été
l'interprétation de la commission des finances du Sénat - que seules les
cotisations de salariés sont déductibles, les versements effectués par
l'employeur n'étant pas ajoutés au salaire ? Prenons l'exemple d'un salarié
dont le revenu brut s'éleverait à 200 000 francs et qui effectuerait un
versement de 2 000 francs sur un plan d'épargne retraite sur lequel l'employeur
déposerait également 8 000 francs. Son revenu imposable serait-il de 198 000
francs ou de 190 000 francs ?
Je suis quelques peu confus de citer, au cours de la discussion générale, un
exemple chiffré mais, monsieur le ministre, il me semble important que vous
puissiez nous préciser, lors de ce débat, quelle interprétation est, à vos
yeux, la bonne. J'ai exposé la démarche de la commission des finances ; cette
interprétation est judicieuse mais il faudrait que vous puissiez la confirmer
si telle est votre opinion. Bien entendu, les partenaires sociaux seront
particulièrement attentifs à la réponse que vous apporterez.
Tels sont les quelques propos liminaires que je souhaitais vous livrer avant
que nous abordions l'examen des articles. Cette proposition de loi, nous
l'avons souvent indiqué, est importante. Elle a été l'objet, comme il est
normal, de quelques tiraillements, chacun souhaitant y apporter sa marque
propre mais, comme je l'ai indiqué, le Sénat n'a pas d'amour-propre d'auteur ;
il souhaite simplement rechercher les meilleures solutions de fond, avec en
particulier le souci de protéger l'épargnant et d'assurer la transparence et la
sécurité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
abordons en deuxième lecture l'examen d'une proposition de loi qui ne
concernera en réalité qu'une très petite partie de la population salariée. En
effet, les avantages fiscaux et sociaux attachés à cette proposition de loi
font que ce dispositif baptisé « plans d'épargne retraite » intéresserait
principalement les dirigeants de PME et les cadres supérieurs de grandes
entreprises.
Personnellement, j'attache beaucoup d'importance au vocabulaire : je suis donc
toujours étonné d'entendre M. le ministre, dans ses déclarations, ses
interviews, parler de « tous les salariés qui le veulent ». Il est vrai que la
volonté est une condition nécessaire, mais elle n'est pas une condition
suffisante. En effet, le dispositif concernera les salariés qui le veulent,
certes, mais seulement ceux qui le peuvent, et ceux-là seront peu nombreux.
A ce titre, l'exemple pris par M. le rapporteur d'un salarié percevant 200 000
francs par an est assez révélateur. Permettez-moi de vous rappeler - mais
peut-être êtes-vous complètement coupé des réalités ! - qu'un tel salaire n'est
pas fréquent.
Je souhaite revenir un instant sur les articles 25 et 26 qui, votés conformes
par l'Assemblée nationale, ne reviendront pas en discussion lors de l'examen
des articles.
L'avantage fiscal, qui a été voté sans l'ombre d'une hésitation, n'a pas été
mesuré. Nous attendons toujours que vous nous indiquiez quel sera son impact
sur le budget de l'Etat.
Je conçois qu'il soit difficile de le chiffrer, puisque personne ne peut
savoir avec précision combien de personnes souscriront à ces plans d'épargne
retraite. Mais vous auriez pu faire une estimation et indiquer au Parlement
s'il fallait compter en centaines de millions ou en milliards de francs.
Vous prétendez être des apôtres de la rigueur budgétaire la plus absolue.
Force est de constater que, lorsqu'il s'agit de favoriser les catégories les
plus aisées de la population, curieusement, votre rigueur devient plus
accommodante.
L'avantage social conçu est encore plus injustifié. Voilà quelques semaines,
dans cette enceinte, s'est tenu un débat que je considère comme totalement
surréaliste. Vous vous êtes demandé en effet s'il fallait ou non accorder un
avantage social aux salariés qui gagnent plus d'un million de francs par an,
débat à la fois consternant et révoltant, particulièrement dans le contexte
actuel !
Si j'ai bien suivi vos échanges, vous avez finalement estimé qu'il ne fallait
pas aller trop loin. Permettez-moi de vous rappeler, car vous semblez
l'ignorer, que la rémunération moyenne des salariés, dans ce pays, est de six à
sept fois inférieure au seuil auquel vous vous êtes arrêtés. Il serait temps
que vous retrouviez le sens des réalités !
Le sens des réalités, monsieur le ministre, mes chers collègues, si vous me
permettez de faire état de mon expérience de sénateur de province, je le trouve
lors des permanences au cours desquelles je reçois régulièrement nos
concitoyens.
A ces occasions, je constate, que, de plus en plus souvent, nous recevons des
travailleurs qui éprouvent des difficultés toujours plus grandes à assumer les
charges de la vie quotidienne.
J'ai ainsi en mémoire une récente visite d'un couple. Le mari, ouvrier chez
Renault, m'a montré sa fiche de paie et ses charges, et il m'a dit : il va
falloir que nous retirions notre fils de l'université.
Si j'avais proposé à ce monsieur votre produit d'épargne retraite, ou bien il
aurait rigolé, s'il était de bonne humeur, ou bien il m'aurait massacré !
Qu'en est-il, dans votre dispositif, des salariés qui passent les dernières
années de leur vie professionnelle dans la précarité, des travailleurs qui, de
quarante-cinq ans jusqu'à soixante ans, travaillent par intérim ? Je vous ai
posé cette question voilà quelques semaines, et vous ne m'avez pas répondu.
En matière sociale donc, tout a été décidé sans le moindre chiffrage, aussi
bien pour la sécurité sociale que pour les régimes complémentaires de l'ARRCO
et de l'AGIRC. Des estimations ont circulé, vous n'avez cependant pas jugé
utile de donner vos propres prévisions.
Vous avez fait adopter la loi de financement de la sécurité sociale. Si vous
adoptez demain la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui, vous
aurez transformé la première loi de financement de la sécurité sociale en une
loi de déséquilibre de la sécurité sociale.
Quelles que soient les prévisions du Premier ministre - il annonçait, au mois
de novembre 1995, un excédent des comptes de la sécurité sociale de 17
milliards de francs, et, quelques semaines plus tard, il envisageait un déficit
de 30 milliards de francs toujours pour 1997 - le fond du discours reste le
même : il faut maîtriser les dépenses et augmenter les recettes.
Pourtant, quelques mois plus tard, vous nous présentez un texte dont les
conséquences seront d'amputer les recettes de la sécurité sociale ! Bel
exemple, parmi d'autres, de l'incohérence de la politique gouvernementale.
Pour en revenir à des remarques plus générales sur ce texte, je poursuivrai
mon exposé en reconnaissant que M. le ministre et les deux promoteurs de la
proposition de loi, MM. Thomas et Marini - à dire vrai, le premier plus que le
second ! - s'emploient à nous expliquer que cette proposition de loi intéresse
de vastes catégories de la population, qu'elle ouvre, pour les partenaires
sociaux, un nouveau champ à la négociation collective d'entreprise et qu'elle
ne menace en aucune manière la sécurité sociale et les grands régimes de
retraite complémentaire des salariés. Ce n'est pas vrai, et je vais m'attacher
à le démontrer.
Pour demander au Parlement de légiférer, il faut une bonne raison.
Existe-t-elle dans le cas particulier ? Je ne le crois pas !
Les entreprises ont aujourd'hui la possibilité de mettre en place, au profit
de leurs salariés, des systèmes de retraite susceptibles de compléter les
prestations servies par la sécurité sociale et les régimes complémentaires.
Le statut fiscal et social des cotisations servant à financer ces régimes à
caractère supplémentaire n'est, en outre, nullement désavantageux pour les
salariés concernés, les risques de réintégration d'assiette n'apparaissant que
pour des salaires se situant entre 800 000 francs et un million de francs.
Lorsque l'entreprise décide de mettre en place un tel système, c'est après
discussion ou négociation avec ses salariés ou leurs représentants, dans un
cadre obligatoire.
C'est ce dispositif que vous avez décidé de mettre à mal en invoquant des
arguments fallacieux.
Les assureurs vous ont fait savoir qu'ils avaient du mal à vendre des contrats
de retraite par capitalisation aux PDG des petites et moyennes entreprises ou
aux dirigeants des grandes entreprises. Soucieux des intérêts des uns et des
autres, vous vous empressez de leur donner satisfaction.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Image d'Epinal !
M. Jean Chérioux.
C'est véritablement regarder par le petit bout de la lorgnette !
M. Marc Massion.
Le dispositif antérieur, dont ils profitent largement, est maintenu, et un
nouveau mécanisme vient s'y ajouter. Pour un salaire de million de francs par
an, ce sont 50 000 francs de cotisations à un plan d'épargne retraite qui vont
s'ajouter aux 250 000 francs qui étaient déjà déductibles, soit 20 % de mieux.
Ce n'est pas mal !
Vous avez essayé de faire la même chose en matière de cotisations de sécurité
sociale, mais M. Fourcade vous en a empêché. Je ne m'en plaindrai pas, même si,
par ailleurs, comme nous l'avons montré en première lecture, l'avantage ainsi
accordé coûtera cher aux régimes de protection sociale.
Le caractère obligatoire des régimes de retraite supplémentaire vous gênait.
Il est contraire à l'idéologie libérale que vous professez au nom de la
mondialisation de l'économie. Vous avez donc opté pour des systèmes facultatifs
ou, plus exactement, facultatifs et individuels, même lorsqu'ils sont mis en
place dans le cadre de l'entreprise.
Le salarié doit être libre ou, plutôt, il doit avoir l'illusion de l'être ! Le
problème, c'est que, pour se constituer un complément de retraite correct, il
faut cotiser pendant des durées très longues : vingt, trente, quarante ans !
Or, personne ne le fait volontairement. Les incitations sociales et fiscales ne
suffiront pas non plus. Restent donc les entreprises ! Financeront-elles très
largement - c'est-à-dire au maximum que vous avez prévu, 80 % de la cotisation
- et en tout cas longuement vos plans d'épargne retraite ? Rien n'est moins
sûr.
Que ce soit en France, pour les non-salariés ou les fonctionnaires, ou à
l'étranger, l'expérience montre que les systèmes facultatifs ne touchent qu'une
faible partie de la population potentielle : sans doute 10 % au maximum.
Le cadre que vous avez choisi est celui de l'assurance. M. le ministre nous a
répété à chaque article combien il est satisfaisant. Je n'en suis pas aussi
convaincu que lui. Gérer des engagements de très longue durée suppose la
constitution de réserves très importantes. Exception faite des régimes gérés
comme celui de la PREFON, le code des assurances ne prévoit nullement la
constitution de ces réserves qui doivent permettre de faire face aux évolutions
de la démographie du groupe assuré, à l'accroissement constant de l'espérance
de vie et aux fluctuations des marchés financiers.
Etes-vous si certains que les taux d'intérêt réels seront encore positifs dans
trente ou quarante ans ? Lorsque l'on sait que vous avez prévu ou déjà inscrit
dans la loi de déroger à certaines des règles prudentielles de l'assurance,
dans un sens évidemment laxiste, il est permis de douter de la solidité du
dispositif technique que vous proposez.
Restent les salariés et leurs représentants, c'est-à-dire les partenaires
sociaux. Craignant sans doute leur réaction, qui est forte et unanime, vous
vous êtes efforcés de leur faire une place dans votre proposition de loi. Mais
cette place, très modeste, se réduit à chaque lecture. L'individuel apparaît
désormais très clairement comme étant l'une des modalités importantes de
souscription d'un plan d'épargne retraite.
Bien sûr, vous discutez encore du délai de grâce que vous allez accorder aux
partenaires sociaux. M. Thomas leur laissait deux ans pour signer un accord
national interprofessionnel. M. Marini nous proposera, dans un instant, de
réduire ce délai à un an dans le cadre de l'entreprise. Si, dans ce délai,
l'employeur et les organisations syndicales ne se sont pas mis d'accord,
l'employeur pourra agir seul et les salariés pourront adhérer individuellement
au plan de leur choix.
Restent les assurés. Vous avez prévu qu'ils soient représentés au travers de
conseils de surveillance dont ils éliront les représentants. Comme vous ne
voulez pas des partenaires sociaux, vous vous êtes dit que ce serait un bon
moyen de les contourner. Mais vous en êtes restés au stade des intentions, car
vos conseils de surveillance n'auront ni moyens ni pouvoirs.
Le seul véritable pouvoir que vous leur reconnaissez, c'est, en cas de carence
du fonds, celui de saisir un juge ! De qui se moque-t-on ? Permettez-moi de
vous faire remarquer que vous êtes, en ce domaine, très loin des dispositifs
prévus en matière d'intéressement des salariés ou de plans d'épargne
d'entreprise. Mais, là encore, il ne fallait pas trop contraindre les assureurs
qui sont les véritables instigateurs du texte et qui souhaitent en être les
bénéficiaires réels...
Réservé aux catégories très aisées de la population salariale, coûteux pour
les finances publiques et la sécurité sociale, dirigé contre les régimes
collectifs d'entreprise gérés par les partenaires sociaux, techniquement
imprudent, renforçant les prérogatives des assureurs face aux assurés, votre
texte est un très mauvais texte auquel je souhaite courte vie. Tel sera en tout
cas son devenir si le sort des urnes nous est favorable dans un peu plus d'un
an.
M. Denis Badré.
On peut toujours rêver !
M. Marc Massion.
Sur le fond, ce texte est le pur produit d'une idéologie qui sacrifie la
solidarité du plus gand nombre aux privilèges de quelques-uns.
Sans trop le dire, vous êtes en train de changer profondément notre système de
protection sociale. Vous voulez remplacer Bismarck par Beveridge, autrement dit
privilégier la minorité, ceux qui ont les moyens, au détriment de l'immense
majorité, ceux qui ont des besoins.
Les régimes obligatoires, qui sont les seuls, soit dans un cadre national,
soit dans le cadre de l'entreprise, à exprimer la solidarité d'un groupe, vous
souhaitez, sinon les faire disparaître, du moins en réduire fortement la
place.
Face aux régimes obligatoires, dont le rendement baisse, dont le niveau de
couverture se réduit progressivement, vous proposez aux salariés de se
débrouiller par eux-mêmes. Il s'agit d'une gigantesque tromperie, car vous
savez bien que l'on ne cotise pas volontairement pendant longtemps et qu'au
titre de leurs efforts individuels les salariés ne se constitueront pas des
droits importants. J'excepte, bien sûr, le cas des dirigeants d'entreprise qui,
en général, ne sont pas trop dépourvus pour faire valoir leurs droits.
Dans quinze ou vingt ans, lorsque la baisse de rendement des régimes
obligatoires se fera très sérieusement sentir, vos plans d'épargne retraite
risquent fort, pour la majorité de nos compatriotes, de ne représenter qu'un
complément nul ou insignifiant.
Il faut donc cesser de proclamer votre attachement à la répartition et aux
grands régimes obligatoires, alors qu'en fait vous confirmez leur déclin sans
proposer de véritable solution alternative aux entreprises et à de très larges
catégories de salariés.
Comme nous l'avons fait en première lecture, nous allons, au cours de cette
deuxième lecture, affirmer notre opposition déterminée à cette proposition de
loi.
Ce texte étant, à nos yeux, à la fois inégalitaire pour les citoyens et
dangereux pour l'avenir de la sécurité sociale, nous saisirons le Conseil
constitutionnel.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole et à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que
nous abordons la deuxième lecture de la proposition de loi sur les plans
d'épargne retraite, trois questions fondamentales me paraissent toujours en
suspens.
Beaucoup de bruit a été fait autour du manque à gagner des caisses du régime
général et des régimes complémentaires, beaucoup de chiffres contradictoires
ont été avancés. Les confédérations syndicales ont évalué ce manque à 18
milliards de francs par an pour le régime général et on a parlé de 7 milliards
à 8 milliards de francs pour les régimes complémentaires.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Et pourquoi pas 50 milliards de francs ?
Mme Joëlle Dusseau.
M. Jean-Pierre Thomas, se référant à une étude qu'il qualifie de sérieuse,
évoque une perte supérieure à 2 milliards de francs.
Dès la première lecture, notre collègue Alain Vasselle, qui n'est pas suspect
d'être de gauche
(Sourires.)...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est un excellent sénateur !
Mme Joëlle Dusseau.
... avant l'amendement Fourcade, avait évoqué un chiffre de 8 milliards à 13
milliards de francs pour les pertes de recettes,...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Vous sortez ses propos de leur contexte !
Mme Joëlle Dusseau.
Non, pas du tout !
... en prenant en compte les seules cotisations déplafonnées du régime
général, et à 3,5 milliards de francs les pertes de l'AGIRC.
Le vote de l'amendement Fourcade, qualifié de « cautère sur une jambe de bois
» par le président de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, n'aurait
réduit que modérément le « manque à gagner » potentiel pour la retraite de base
de la sécurité sociale, toujours chiffré à 6 milliards de francs.
Au-delà des chiffres que l'on pourra toujours opposer les uns aux autres,
cette proposition de loi illustre une philosophie qui est préjudiciable à
l'esprit même de la répartition, c'est-à-dire de la solidarité, principe établi
à la Libération et qui fonde notre cohésion sociale.
Depuis quelques années se sont multipliées, avec la bénédiction des pouvoirs
publics, des rémunérations ou des sources de revenus pour des salariés
échappant aux cotisations sociales, que ce soit l'intéressement, la
participation ou les plans d'épargne entreprise. Certains estiment que, par ce
biais, 33 milliards de francs échappent aux cotisations sociales.
Je vous pose donc une première question, monsieur le ministre, monsieur le
rapporteur. Au moment où le nombre de cotisants s'amenuise par rapport au
nombre de retraités, ...
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Hélas !
Mme Joëlle Dusseau.
... au moment où le chômage dévore par les deux bouts l'existence du salarié
qui commence à travailler plus tard, qui est jeté comme inutile ou non
performant plus tôt, est-il bien opportun de développer et de continuer à
développer une série de dispositifs, immédiats ou différés, qui sont exonérés
des charges sociales ? Est-ce bien ainsi que vous espérez réduire la fracture
sociale ?
Vous affirmez que vous ne voulez pas remettre en cause les retraites par
répartition. Admettez qu'une telle conclusion, au vu de vos propositions, est
pourtant bien tentante.
Ma deuxième préoccupation concerne les salariés. Après tout, permettre à un
certain nombre de personnes qui en ont la capacité financière de se constituer
des fonds de retraite facilitant leurs vieux jours n'est pas
a priori
scandaleux, mais, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, qu'en
est-il des autres ?
Qu'en est-il des petits salaires, de ceux qui ne pourront pas épargner et qui
tirent le diable par la queue, si je puis dire, pour arriver à la fin du mois
?
Qu'en est-il des femmes, qui sont, à qualification égale, payées un tiers de
moins que les hommes, qui sont pour l'essentiel les « bénéficiaires » du temps
partiel et donc des salaires partiels ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Après deux septennats socialistes, madame !
Mme Joëlle Dusseau.
Chacun aura compris le sens de ces guillemets.
Qu'en est-il des chômeurs ? Il y aurait donc deux catégories : ceux qui
peuvent payer, qui profiteraient des dégrèvements d'impôts et bénéficieraient
des apports des entreprises - avec « prime » aux plus favorisés - et les autres
!
Et vous continuez à dire que vous ne voulez pas mettre en place une retraite à
deux vitesses ! Si l'on a des doutes, il suffit de lire les propos de
Jean-Pierre Thomas - encore lui ! - qui est tout de même au fait de ces
propositions ; quand il évoque les catégories concernées, il parle
exclusivement des cadres ! Monsieur le ministre, le salariat français n'est-il
composé que de cadres ?
Parlons-en donc, de ces heureux, de ces priviligiés de la retraite, pour qui,
paraît-il, cette proposition de loi serait une solution. A bien y regarder,
leur situation ne serait pourtant pas si idéale.
En effet, il sera tentant, pour le patron, de limiter les augmentations de
salaires sur lesquelles il paierait des charges, en échange d'un fonds
d'épargne, sans cotisation sociale. Et, au cas où il n'aurait pas bien compris,
on le lui dit.
Je cite encore Jean-Pierre Thomas, s'exprimant ainsi à l'Assemblée nationale :
« si 10 % des augmentations des salaires des cadres allaient à l'épargne
retraite ». La phrase se passe de commentaires ! On passe d'une augmentation
immédiate avec charges sociales à une augmentation différée sans charges
sociales et moyennant des avantages pour les entreprises.
Mais, surtout, quelle somme faudrait-il que le salarié investisse ? Pour
combien de temps ? Avec quels résultats ? Avec quelles garanties ? Pour des
fonds d'épargne retraite, ce sont bien là des questions essentielles. Avouez
que ce ne sont pourtant pas les questions esentielles qui ont été l'objet des
débats auxquels nous avons assisté !
Certains organismes ont fait des estimations : pour avoir 1 % supplémentaire
de retraite, il faudrait consacrer 1 % de ses revenus salariaux à des fonds de
retraite à partir de quarante-deux ans.
Si l'on commençait à vingt ans et que l'on versait sans discontinuer, on
atteindrait un taux de 2,54 % au moment de la retraite. Si l'on commençait à
cinquante-cinq ans, on atteindrait seulement 0,2 %. Ce dispositif ne serait
réellement intéressant que pour des gens âgés de vingt à quarante ans et
cotisant sur une longue période. Mais à vingt ans, vingt-cinq ans, vingt-huit
ans, monsieur le ministre, même quand on est qualifié, même quand on est futur
cadre, on enchaîne les petits boulots et les stages bidons, et on vit avec
l'aide de ses parents. On n'a pas vraiment les moyens de se payer un plan
d'épargne retraite ! Dans ces conditions, pour qui cette disposition est-elle
prise ? On le voit bien, la peau de chagrin continue à se rétrécir.
Quelle garantie aura le salarié, le cadre, dans vingt ans, dans trente ans, au
moment de sa retraite ? Qui, sur les bancs des assemblées, peut s'engager,
affirmer avec certitude que les salariés retrouveront bien l'argent qu'ils ont
investi ? On connaît tous les scandales des fonds de pension dans d'autres
pays, aux Etats-Unis, au Japon - avec des pertes de 940 milliards de francs des
fonds de pension - en Grande-Bretagne avec l'affaire Maxwell, en Allemagne avec
l'affaire AEG.
A ces risques s'ajoute le débat sur le type des contrats liant assureur et
assuré, contrats en francs ou en unités de compte. Le Sénat a nettement opté
pour le contrat en unités de compte, celui auquel préfèrent recourir les
assureurs. C'est en fait ce type de contrat qui, en cas de crise économique ou
d'erreur de gestion, fait supporter les pertes au souscripteur, alors que les
contrats en francs garantissent à la personne, à l'issue du contrat, la
restitution des fonds, éventuellement augmentés des intérêts dont le taux
minimum est garanti. En faisant le choix des contrats en unités de compte, on
fait prendre le risque au salarié.
Cependant, je vous parle, monsieur le ministre, de garanties de revenus pour
des salariés ou d'inégalité devant la retraite, de précarisation de la
solidarité. C'est vous dire mon incroyable naïveté, car ce n'est pas de cela
qu'il s'agit ici !
D'ailleurs, si la question de fond avait été celle des retraités, on aurait
laissé cela à la commission des affaires sociales. Mais on parle ici d'une
chose beaucoup plus importante : on parle d'argent, et c'est la commission des
finances qui rapporte.
Son rapporteur écrivait en décembre : « le maintien de la capacité compétitive
de la place de Paris en Europe dépend largement du succès de cette réforme
»...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Parce que vous souhaitez que la place de Paris ne soit pas
compétitive ?
Mme Joëlle Dusseau.
Est-ce la question quand on parle d'une chose aussi importante que les
retraites ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est la question ! La place de Paris fait travailler des
milliers de salariés !
M. le président.
Monsieur le rapporteur !
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le rapporteur, je prends acte ici que, pour vous, l'objet de cette
proposition de loi...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ne travestissez par les choses ! J'ai parlé de son objet tout
à l'heure à la tribune !
M. le président.
Monsieur le rapporteur, vous avez toujours la parole, mais pas pour
interrompre en permanence un orateur !
Mme Joëlle Dusseau.
Votre argument, monsieur le rapporteur, illustre tout à fait l'état d'esprit
dans lequel vous vous trouvez et dans lequel, malheureusement, se trouve aussi
le Gouvernement !
Vous répétez, dans le second rapport que vous venez de nous présenter, que «
Les fonds de pension ont pour objet de verser des pensions. » C'est bien le
moins ! « Leur existence a pour effet de renforcer le marché des actions et
donc le financement en fonds propres de nos entreprises. »
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Parce qu'il ne faut pas renforcer le financement en fonds
propres des entreprises ?
Mme Joëlle Dusseau.
Même réponse, monsieur le rapporteur !
M. le président.
Je ne voudrais pas que la discussion s'engage de cette façon à l'occasion de
l'intervention de Mme Dusseau !
Monsieur le rapporteur, vous avez la possibilité d'intervenir à tout moment :
après la réponse de M. le ministre, je vous donnerai la parole pour répondre,
si vous le souhaitez, mais je vous demande, pour l'heure, de laisser Mme
Dusseau terminer son intervention.
Mme Joëlle Dusseau.
Je vous remercie, monsieur le président.
Les interruptions assez peu courtoises de M. le rapporteur illustrent
parfaitement son état d'esprit à l'égard de cette proposition de loi.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Très bien !
Mme Joëlle Dusseau.
D'un bout à l'autre du texte, comme d'ailleurs d'un bout à l'autre de la
discussion - nous venons d'en avoir encore un exemple très concret - nous
voyons bien que le débat tourne autour des problèmes des assurances, des fonds
propres des entreprises et de la compétitivité de la place de Paris.
Je ne discute pas de l'importance de ces questions ! Je dis simplement, mais
fortement, que développer tout un débat, important, sur le thème des
difficultés pour la société de payer les retraites dans les décennies à venir,
laisser de côté l'ensemble des personnes trop démunies pour payer des fonds de
pension, inciter les autres à s'engager dans cette opération, dont nul ne sait
vraiment, ici ou ailleurs, ce qu'elle donnera effectivement dans vingt ou
trente ans, tout cela, pour en réalité redonner des fonds propres aux
entreprises, relève de l'escroquerie morale !
M. Jean Chérioux.
Si c'était vrai, oui ! Mais ce n'est pas vrai !
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur Chérioux, il faudrait vous mettre d'accord avec M. le rapporteur !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Nous sommes parfaitement d'accord !
Mme Joëlle Dusseau.
Il y a là une discussion interne à la majorité que je trancherai pas !
M. Jean Chérioux.
Votre interprétation est inexacte ; elle est fallacieuse !
M. le président.
Ne vous laissez pas interrompre, madame Dusseau ! Poursuivez.
Mme Joëlle Dusseau.
J'en ai terminé, monsieur le président.
Les sénateurs radicaux-socialistes du groupe du Rassemblement démocratique et
social européen voteront contre cette proposition de loi.
Je tiens d'ores et déjà à préciser que M. Vigouroux m'a fait savoir que,
contrairement à ce qu'il avait fait en première lecture, il souhaitait
s'abstenir sur ce texte.
(Applaudissements sur certaines travées socialistes
et du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'examen
de cette proposition de loi portant sur la mise en place de fonds d'épargne
retraite, je dois avouer bien humblement ma peine à discerner dans ce texte le
véritable ordre de priorité.
M. Alain Lambert.
Ah !
M. Paul Loridant.
La priorité affichée est-elle la retraite ? N'est-ce pas plutôt la
consolidation des marchés financiers ?
M. Jean Chérioux.
Non !
Mme Joëlle Dusseau.
Si !
M. Paul Loridant.
Rappelons-nous, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, monsieur le
ministre, que, lors de la première lecture, le président Fourcade, au nom de la
commission des affaires sociales, avait balayé l'argument que nous avancions
quant à la nécessité, eu égard à la situation de la sécurité sociale, de
saisir, au moins pour avis, la commission des affaires sociales, qu'il préside,
en indiquant que le texte présent ne concernait que « des problèmes financiers
relevant des questions de l'assurance ».
Quel ne fut pas notre étonnement de constater ensuite que le ministre des
finances parlait, lui, d'un texte répondant à un problème majeur pour les
Français, leur retraite, propos que M. le ministre vient de réitérer à
l'instant.
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Eh oui !
M. Paul Loridant.
Ainsi donc, avec un président de la commission des affaires sociales parlant
de finances, et un ministre des finances parlant d'affaires sociales, nous nous
trouvions devant un abîme de perplexité,...
M. Alain Lambert.
Mais c'est la France qui compte !
M. Paul Loridant.
... dont deux lectures à l'Assemblée nationale et ici même nous ont,
toutefois, tirés grâce au rôle joué par notre rapporteur.
Oui, décidément, cette proposition de loi sur l'épargne retraite est conçue,
dans son essence, comme un texte clairement financier.
M. Jean Chérioux.
Non !
M. Paul Loridant.
Elle vise à draîner vers les marchés boursiers une part croissante de la
richesse des salariés en favorisant le marché des actions. Telle est la vérité
!
Si ce texte a effectivement des implications sociales, c'est, d'abord, parce
qu'il soumet à la loi d'airain de l'argent-roi une partie des relations de
solidarité entre les générations, des relations sociales dans l'entreprise et
vise à vassaliser encore un peu plus la création d'emplois et le travail à la
courbe d'évolution des indices boursiers.
M. Jean Chérioux.
Ce sont des mots tout cela. Ça n'a pas de sens !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Supprimez la Bourse !
M. Paul Loridant.
Ce texte est un texte financier...
M. Jean Chérioux.
Faites-moi de bonnes finances, je vous ferai de bonnes retraites !
M. le président.
Veuillez laisser s'exprimer l'orateur.
M. Paul Loridant.
Ce texte est un texte financier, dévolu aux acteurs des marchés, un outil
destiné à leur offrir une nouvelle marge de manoeuvre ou la source de nouvelles
recettes.
Un certain nombre des caractères fondamentaux du texte illustrent cet aspect
de la question.
Il consacre d'abord le rôle déterminant des compagnies d'assurance, acteurs
fondamentaux des marchés obligataires et qui ont besoin de nouvelles facilités
pour intervenir sur les marchés d'actions. Il n'y a pas de honte à l'avouer.
Les compagnies d'assurance le disent elles-mêmes.
Cela correspond à un débat qui agite depuis quelque temps la majorité
parlementaire actuelle, les différents instituts économiques, le CNPF et ses
fédérations professionnelles.
Ce débat, c'est celui de la priorité à accorder en matière de fiscalité de
l'épargne, en vue d'orienter cette épargne vers des placements en actions.
Toute mesure en ce sens n'est conçue qu'assortie de dispositions fiscales ou
sociales avantageuses qui servent de « produits d'appel ».
Nous en avons une remarquable illustration avec les articles 25 et 26 que,
suprême subtilité, nos collègues députés de la majorité ont adoptés conforme,
ce qui fait qu'on ne peut plus discuter ces très importants articles, qui
créent un véritable abcès de fixation sur les comptes des régimes
complémentaires appelés à grossir, tandis que la défiscalisation au titre de
l'impôt sur le revenu s'apparente, au moins pour les plus hauts revenus, à une
resucée du régime des
stock options,
qui avait lui-même été réglementé
et moralisé.
Dans notre histoire fiscale, il en a toujours été ainsi. De la rente Pinay à
l'emprunt Balladur en passant par l'emprunt Giscard indexé sur l'or, on a
toujours fait assaut d'imagination pour optimiser, fiscalement parlant,
certains placements des particuliers.
Le débat sur le choix entre actions et obligations rebondit d'ailleurs sur la
qualité des engagements que pourront souscrire les fonds de pension tels que
définis à l'article 23.
Il reste en effet un débat sur le niveau d'engagement des fonds en termes de
souscription d'actions de sociétés non cotées, de parts de fonds communs de
placements innovation ou encore de parts de capital détenues dans une même
société ou dans un même groupe.
Cela signifie-t-il que les fonds deviendront, avec le temps, des actionnaires
de référence exigeant une rémunération conséquente de leurs engagements,
rémunération qui, finalement pèsera sur l'emploi et les salaires ? L'expérience
des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans ce domaine est édifiante et,
monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, elle est inquiétante.
Car là est le noeud du problème : socialement parlant, les fonds de pension se
positionnent clairement à l'encontre de la tradition sociale de notre pays, et
cela dès l'origine.
Il demeure encore possible aujourd'hui, aux termes de la loi, de battre en
brèche la négociation collective et de mettre l'employeur en situation
d'imposer à ses salariés l'adhésion à un fonds de pension.
Que soient éventuellement posés des délais à la mise en oeuvre de cette
procédure dite « démocratique », mais unilatérale, ne nous permet pas d'oublier
l'essentiel.
Dans certaines entreprises françaises, il y a carence des institutions
représentatives du personnel ou, lorsque celles-ci existent, il est parfois
extrêmement difficile d'engager la négociation sur les vraies questions :
salaire, emploi, production, stratégie d'entreprise.
Cette volonté d'aboutir coûte que coûte à faire participer des salariés au
financement des fonds de pension est, en fait, à l'instar de celle qui a
présidé à l'élaboration d'autres textes que nous avons examinés, conçue comme
une nouvelle remise en cause des droits et garanties collectifs que les
salariés de notre pays ont obtenus au cours d'années de luttes syndicales.
Autre aspect fondamental : la souscription à un fonds de pension est
clairement posée comme un choix individuel, volontaire, du salarié ; autrement
dit, pour reprendre la terminologie de M. Thomas, il s'agirait d'une option
libérale.
Notons que, parmi les aiguillons utilisés pour favoriser cette adhésion,
figure la possibilité pour les employeurs d'abonder les versements des salariés
jusqu'à quatre fois leur montant, celui-ci étant plafonné, il est vrai.
Notons aussi que les administrateurs salariés des caisses d'assurance maladie
ou des régimes complémentaires obligatoires ne seraient probablement pas en
désaccord avec ce principe du rapport 20 %-80 % entre cotisations des salariés
et cotisations des employeurs.
Sur le fond, comme le plafond est situé très haut, cette invitation à la
souscription aux fonds de pension - le fameux troisième pilier - risque à terme
de peser sur les deux autres piliers, contrairement aux affirmations répétées
de vous-même, monsieur le ministre, et de MM. Thomas et Marini. La difficulté
n'est pas pour aujourd'hui, mais vous verrez dans dix ans !
Il y a peu de doute à avoir sur l'arbitrage qui résultera de telles
dispositions.
Les employeurs ont souvent tendance à procéder à un partage de la valeur
ajoutée entre emploi et salaire, une fois déduite évidemment la rémunération du
capital.
Demain, on ajoutera les fonds de pension à cet arbitrage, fonds qui pèseront
donc sur l'emploi et les salaires, c'est-à-dire sur ce qui sert d'assiette aux
ressources des régimes obligatoires de base ou complémentaires, mais aussi de
fondement au développement de la consommation des ménages, donc de la
croissance.
Je suis désolé de dire cela, mais c'est aussi en termes de récession
économique, parce que l'on va mobiliser sur les fonds des ressources qui
n'auront plus d'utilisation immédiate en faveur de l'emploi et des salaires,
que nous nous devons d'analyser les effets de l'application des dispositions
prévues par cette proposition de loi.
On nous demande, en effet, de substituer une épargne bloquée - jusqu'à l'âge
de soixante ans, au moins - à la croissance de la masse salariale et aux
ressources de la protection sociale, dont la liquidité est tout de même plus
clairement établie.
Le fonds de pension est en effet une épargne bloquée, aucune possibilité de
déblocage anticipé n'étant offerte aux adhérents avant l'âge légal de départ à
la retraite. Que ne le dites-vous plus fort, monsieur le ministre, monsieur le
rapporteur !
Sur cette question de l'âge et de la durée de cotisation qui en découle, nous
nous devons de relever certaines données.
Les analyses en matière de fonds de pension sont claires : compte tenu de
l'inflation, il faudrait aujourd'hui cotiser dix-huit ans à un fonds de pension
pour obtenir une rente stabilisée en francs courants et vingt-cinq ans pour
neutraliser les effets de l'inflation sur la valeur des prestations servies.
Faites le compte : tout salarié âgé de plus de quarante-deux ans aujourd'hui
perdra de l'argent dans cette affaire, sauf à travailler jusqu'à soixante-sept
ans. Il faut le dire aux futurs cotisants !
Quant aux salariés âgés d'au moins trente-cinq ans, comme le disait ma
collègue Mme Dusseau, ils semblent avoir intérêt à cotiser dès maintenant. Mais
le peuvent-ils ? Est-ce à cet âge, lorsqu'on est soit à la recherche d'un
emploi, soit chargé de famille avec des enfants en bas âge, que l'on peut
vraiment cotiser à une caisse d'épargne retraite ?
Le fait de reverser en rente ou en capital le produit des placements ne change
pas grand-chose à l'affaire : les fonds de pension, en quelque sorte, sont
l'instrument de détérioration des liens de solidarité entre générations qui
fondent aujourd'hui nos régimes de protection sociale.
Il s'agit d'un choix de société, choix qui procède sans doute de la logique
que nous connaissons depuis longtemps, qui vise à alléger la fiscalité du
capital et à privatiser les entreprises publiques, à chasser la dépense
publique, à favoriser l'initiative privée ou encore à mettre un terme à
l'économie mixte pour que le marché, dans sa grande bonté, daigne résoudre la
fracture sociale résultant du désordre naturel qui règne dans notre pays. Il en
est des fonds de pension comme de bien d'autres domaines.
Ce qui met aujourd'hui la retraite des salariés sous la coupe des marchés
financiers relève de la logique qui tend à faire éclater la SNCF, à ouvrir à la
concurrence les services publics ou à banaliser le financement du logement.
Et tant pis si cette financiarisation de la protection sociale, déjà bien
entamée avec la CADES, qui va servir en treize ans près de 200 milliards de
francs d'intérêt aux marchés financiers, casse les solidarités et mine,
progressivement, les régimes obligatoires de base et les régimes
complémentaires !
M. Alain Lambert.
Vous voulez transférer cette dette aux générations futures, peut-être !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Ce serait un emprunt gratuit !
M. Paul Loridant.
L'essentiel, c'est bien connu, c'est que les marchés financiers se portent
bien et que, tout à fait accessoirement, certaines PME disposent de nouveaux
moyens de financement.
A ce propos, force est de constater que le problème de la répartition des
risques conduira probablement les gestionnaires des fonds à souscrire des parts
de sociétés cotées, c'est-à-dire, le plus souvent, de celles qui ont moins
besoin de fonds que les PME mais qui ont plutôt besoin de trésors de guerre
utilisables pour quelques OPA ou opération de prise de contrôle, toujours
coûteuse en emplois, finalement.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Supprimez les marchés !
M. Paul Loridant.
Le choix qui nous est offet est clair : ou l'on développe les solidarités
entre générations et l'on répond aux besoins sociaux, ou l'on crée des fonds
d'épargne retraite qui répondent peut-être aux préoccupations des salariés les
mieux lotis et des cadres dirigeants, mais sûrement aux besoins en fonds
propres des entreprises faisant appel au marché financier.
Nous disons non à cette proposition de loi faussement présentée comme un texte
à caractère social, mais qui, finalement, vise à consolider le marché des
actions et fera des fonds d'épargne retraite des actionnaires de référence
jouissant d'un poids déterminant dans les conseils d'administration des
entreprises.
J'imagine volontiers la situation d'un employeur disant à ses salariés : « Je
ne peux augmenter les salaires car je dois servir de solides dividendes aux
actionnaires de référence, donc aux fonds de pension ». Ce serait le stade
suprême du dialogue social que de procéder de la sorte ! C'est ce qui se passe
aux Etats-Unis, c'est ce qui se passe en Grande-Bretagne, et, monsieur le
minsitre, monsieur le rapporteur, nous n'en voulons pas pour la France.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyens, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui est parvenue au stade de la
dernière lecture avant que la commission mixte paritaire n'en soit saisie. Je
souhaiterais, à cette occasion, très simplement et très brièvement, présenter
quelques observations d'ordre général, afin de bien marquer les convictions de
la commission des finances, merveilleusement exprimées par M. Philippe Marini,
son rapporteur.
Quelles que soient les embûches de la démarche entreprise - et elles ne
manquent pas - nous ne devons pas donner l'impression de consentir du bout des
lèvres à un texte dont la portée est à terme très importante. Bien au
contraire, nous devons unir nos forces pour l'introduire dans notre
législation, imprégné de la sagesse sénatoriale, et lui donner ainsi toutes les
chances d'une réussite éclatante.
La France ne saurait, à l'évidence, rester à l'écart de mécanismes d'épargne
retraite qui ont fait leurs preuves dans les autres pays, pays qui sont aussi,
ne l'oublions pas, nos concurrents économiques. Nos entreprises, grandes et
moyennes, si nous n'y prenions garde, se verraient, demain, imposer des
décisions dangereuses pour notre économie, pour nos emplois, si ne demeuraient
présents sur le marché que les énormes fonds de pension anglo-saxons. Quelques
exemples récents illustrent parfaitement que mon propos ne relève nullement
d'une quelconque fiction.
La nécessité de nous fixer des objectifs ambitieux en la matière ne doit pas
nous conduire pour autant à manquer de vigilance.
Dans un pays comme la France, par tradition peu familier de ces mécanismes
financiers, le moindre échec - voire le moindre incident - rencontré par un
fonds, fût-il de taille modeste, pourrait ruiner la confiance nécessaire à
l'existence de ces fonds. Nous devons donc mes chers collègues, en les
instituant, nous assigner la plus haute exigence pour leur sécurité. Les
propositions de M. Philippe Marini, au nom de la commission des finances, en
matière de ratios prudentiels me paraissent participer de cette volonté de
sécurité financière. Bien sûr, il est toujours possible d'argumenter pour
quelques dixièmes de point en plus ou en moins. Là n'est pas le débat.
En réalité, la vraie mesure de l'enjeu nous impose de satisfaire, dès
l'origine, à des exigences prudentielles élevées.
On pourra toujours, dans l'avenir, fort de l'expérience acquise, assouplir le
dispositif si c'est nécessaire. A l'inverse, chacun le sait, il est
pratiquement toujours impossible, ou au moins extrêmement délicat, de revenir
en arrière.
Cette première constatation de bon sens me semble en entraîner une autre. Les
fonds de pension, quelle que soit la dénomination retenue, ont un objectif et
un seul : garantir les intérêts des assurés et des épargnants en contribuant,
pour partie, à la recherche d'une solution au problème démographique gravissime
de la pyramide des âges, problème dont nos compatriotes et, parfois, la
représentation nationale ne semblent pas mesurer toute l'ampleur. Il m'arrive
de frémir à l'idée du jugement que l'histoire portera sur l'imprévoyance de
notre génération à l'endroit de celles qui suivront, au regard tant de notre
endettement que des retraites. Toute notre réflexion doit donc être commandée
par cet impératif, qui appelle des meures d'application dénuées de toute
faiblesse, de tout souci de concilier des objectifs contradictoires.
Ces mesures d'application sont diverses, et je ne reviendrai pas sur le détail
des propositions faites par notre commission des finances, qui ont été très
clairement exposées par notre rapporteur. Je me limiterai donc à des
considérations de simple bon sens.
Ce bon sens suggère que la Commission des opérations de bourse puisse exercer
la plénitude de ses compétences, que les gérants des fonds d'épargne retraite
ne s'assignent qu'un seul objectif, celui de la défense des intérêts des
épargnants, et que la transparence soit recherchée à tous le niveaux des
structures de gestion.
J'ai le sentiment que, en permettant l'information détaillée du public, en
motivant les gestionnaires des fonds et en recherchant la transparence la plus
absolue, nous aurons choisi la voie de la sagesse et élaboré la meilleure
législation possible.
Si, comme j'en ai la conviction, cette proposition de loi participe de
surcroît à la dynamisation du tissu économique par le renforcement des fonds
propres de nos entreprises, alors, nous pourrons être légitimement fiers du
succès de cette initiative parlementaire, succès auquel, monsieur le ministre,
le Sénat n'aura pas été étranger.
A ce propos, je tiens à rendre à notre collègue Philippe Marini l'hommage
qu'il mérite. Depuis plusieurs années maintenant, il travaille à ce dispositif
des fonds de retraite avec autant de compétence que de détermination.
Pour conclure, j'insisterai sur l'exigence qui doit être la nôtre de réunir
soigneusement, dès l'origine, les conditions du succès des plans d'épargne
retraite. Elle correspond à l'idée que je me fais de l'intérêt supérieur de
notre pays : garantir la solidartité du pacte social par la réussite de notre
économie, qui passe par celle de nos entreprises et par la création
d'emplois.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.).
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
J'ai, bien entendu, été attentif
aux observations qui ont été exprimées à cette tribune par les différents
intervenants.
M. le rapporteur m'a d'abord interrogé sur le remboursement des avoirs
fiscaux. Il convient de noter que les compagnies d'assurance n'ont pas la
capacité d'obtenir ce remboursement.
En tout état de cause, nous savons bien que le niveau des dividendes versés
par les sociétés n'est pas considérable par rapport à la valeur des actions.
Dès lors, l'attention des investisseurs se porte probablement plus sur
l'appréciation du titre liée à la mise en réserve des bénéfices desdites
sociétés. Il y a là, aussi, une façon de participer au financement du
développement de ces sociétés.
Je vous promets néanmoins de mener à son terme la réflexion sur ce sujet. Il
nous faut procéder à des évaluations. Ces entités seront soumises à l'impôt sur
les sociétés. Nous verrons dans quelle mesure elles peuvent, dans ces
conditions, opérer l'imputation de l'avoir fiscal.
Je ne suis pas sûr qu'il y ait là un problème, mais je m'engage à ce que soit
menée une étude, dont je vous rendrai naturellement compte.
J'ajoute que, aujourd'hui, un certain nombre d'investisseurs étrangers sont
présents sur le marché français sans que, pour autant, ils aient la faculté de
récupérer l'avoir fiscal. C'est aussi un élément au regard duquel nous devons,
sur le plan technique, aller jusqu'au bout de nos investigations.
S'il apparaît que, en cette matière, nous sommes confrontés à des difficultés,
à un frein, je vous ferai une proposition. Nous pourrons faire le point à
l'occasion de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier, qui viendra en discussion au Sénat dans quelques
semaines.
Vous m'avez interrogé ensuite, monsieur Marini, sur la déduction par le
salarié de sa contribution à l'épargne retraite. Sur le plan fiscal, il n'est
pas douteux que le versement qui est fait par le salarié vient en déduction de
son revenu imposable dans la mesure où, avec l'abondement de l'entreprise, il
n'excède pas la limite de 5 %.
Sur le plan social, dans la mesure où l'article 26 rappelle un principe
d'exonération, les sommes qui seront versées au titre de l'abondement, dans la
limite de 85 % du plafond de la sécurité sociale n'entreront pas dans
l'assiette des cotisations.
C'est seulement dans l'hypothèse où l'employeur verserait un abondement
au-delà de 85 % que ce versement prendrait la forme d'un supplément de
rémunération, avec toutes les conséquences qui s'y attachent. Le salarié, dans
ces conditions, ne pourrait pas déduire l'intégralité.
Autrement dit, dans la limite fixée par les dispositions de l'article 26, qui
s'appuient sur la règle des 85 % du plafond de la sécurité sociale, il n'y a
pas de problème. Si l'abondement va au-delà de ce que prévoient ces
dispositions, il y a supplément de rémunération.
M. Massion s'est livré à une démonstration qu'il a voulue convaincante. C'est
le choc de deux conceptions !
Cependant, puis-je vous rappeler, monsieur le sénateur, que ne participeront
que les salariés qui le souhaitent ?
M. Marc Massion.
Qui le peuvent !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Ce n'est pas plus une obligation,
que dans le cas de la PRÉFON ou du FONPEL, le fonds de pension des élus locaux
!
M. Emmanuel Hamel.
La PRÉFON existe et vous n'êtes pas contre, monsieur Massion !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Je n'ai pas connaissance que tous
les fonctionnaires participent à la PRÉFON. Vous ne vous êtes pas élevés contre
la PRÉFON et le FONPEL, mais dois-je comprendre que vous entendez mettre un
terme à ces dispositifs ?
M. Marc Massion.
La PRÉFON concerne 2 % des fonctionnaires !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Peut-être constaterez-vous demain
que les plans d'épargne retraite ne concernent qu'une partie des salariés,
puisque c'est une faculté.
Dès lors, il est très difficile de procéder à une évaluation précise de ce
qu'il en coûtera au budget de l'Etat. En tout état de cause, il en coûtera peu
sur le budget de 1997, le dispositif devant se mettre en place progressivement
en 1997 ; il n'aura donc pas d'impact budgétaire immédiat.
Permettez-moi de vous inviter à une démarche prospective. Si nous suscitons
les plans d'épargne retraite, c'est pour mobiliser une épargne et l'orienter
vers d'autres objets que le financement des déficits publics. J'ai en effet bon
espoir qu'au fil des années ceux-ci disparaîtront. Dans ces conditions, les
épargnants devront chercher d'autres affectations pour leur épargne.
C'est tout de même, convenons-en, une étrange situation que la nôtre, qui voit
l'épargnant consacrer ses fonds disponibles au financement des déficits publics
!
Les contrats d'assurance vie comprennent sans doute une masse considérable de
bons du Trésor et d'OAT. Ainsi, on hypothèque l'avenir en finançant les
déficits présents de la collectivité. Une telle situation pourrait vous
inquiéter, monsieur Massion...
Il est, en vérité, urgent de faire disparaître les déficits publics et de
mobiliser une plus grande part de l'épargne en faveur de l'économie
productive.
Qu'est-ce qui permettra, demain, d'assurer la perpétuation du système de
retraite par répartition, sinon les salaires qui seront alors versés ? Or la
masse des salaires dépendra du nombre des entreprises. Si nous ne sommes pas
capables aujourd'hui de mieux mobiliser nos ressources pour régénérer le tissu
productif, dites-moi, monsieur Massion, où nous trouverons les salaires et donc
les cotisations qui permettront de financer les retraites par répartition.
Je vous l'ai dit, nous sommes, comme vous, attachés à ce socle de solidarité,
mais, selon nous, il ne faut pas empêcher ceux qui le souhaitent de se
constituer un supplément de retraite.
Evitons aussi d'opposer, comme vous le faites, ceux qui entreprennent, qui
bénéficieraient de tous les avantages, et ceux qui, malheureusement,
n'entreprennent pas.
M. Alain Lambert.
Notre pays manque d'entrepreneurs !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Notre société doit retrouver une
culture d'entreprise. Existerait-il une richesse providentielle dont nous
pourrions disposer sans que certains de nos concitoyens aient pris des risques
à un moment donné ?
Etes-vous conscients que nous ne réussirons que si nous retrouvons un sens du
risque ?
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les trois millions de chômeurs, ils en prennent des risques !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Oui, madame, mais permettez-moi
de vous dire que le modèle que vous nous proposez est une machine à fabriquer
des chômeurs, la démonstration, je pense, en a été suffisamment faite !
Retrouvons donc le sens de l'entreprise, le sens de l'initiative, de la
responsabilité et de l'investissement ! Il ne sert à rien de demander à l'Etat
de tout payer. On l'a vu, cela ne sert qu'à multiplier les déficits publics.
Est-ce là votre ambition ? Est-ce cela qui redonnera de l'espérance à nos
compatriotes ? Je ne le crois pas.
Enfin, je comprends mal, monsieur Massion, le procès que vous faites aux
dispositions que nous avons retenues puisqu'elles sont parfaitement conformes
aux souhaits exprimés, le 10 décembre, dans une lettre adressée à M. le Premier
ministre par les responsables de la CGT, de Force ouvrière, de la CGC et de la
CFTC.
En adoptant l'amendement de M. Fourcade, le Sénat n'a fait que transcrire
cette préoccupation.
Et voilà qu'aujourd'hui les positions ont changé : vous exprimez une violente
opposition à cette proposition de loi.
Je voudrais vous convaincre, monsieur le sénateur, que ces craintes ne sont
pas fondées et qu'elles sont marquées par quelque dogmatisme, un dogmatisme que
semble d'ailleurs partager Mme Joëlle Dusseau dans l'expression de son
opposition à ce texte.
Je crois, madame, que tous les excès sont insignifiants.
Vous vous demandez si c'est bien le moment de développer l'épargne retraite.
Oui, assurément, si l'on veut construire l'avenir. La politique n'a pas
seulement pour fonction d'apporter des réponses pour l'immédiat. Nous avons
trop souffert, précisément, de ne pas suffisamment anticiper, de ne pas assez
inscrire dans la durée nos initiatives et nos propositions.
S'agissant de la politique salariale, je ne crois vraiment pas que la mise en
place de plans d'épargne retraite soit de nature à la perturber. Il s'agit de
conventions passées à l'échelon d'une entreprise, d'un groupe d'entreprises ou
d'une branche professionnelle. Il s'agit d'enrichir le dialogue et d'affecter
une partie de la valeur ajoutée à la constitution d'une épargne qui va vivifier
l'économie française.
Permettez-moi, madame Dusseau, de vous dire que votre vision de l'entrée dans
la vie active est un peu « tristounette ». Vous affirmez que les jeunes sont
condamnés à des « petits boulots ».
Mme Joëlle Dusseau.
Ce n'est pas ma vision, c'est la réalité !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Ce n'est quand même pas une
fatalité ! Nous héritons d'une situation ; nous y mettons bon ordre. Nous
retrouvons une dynamique et nous ne voulons pas nous abandonner à cette
fatalité.
Mme Joëlle Dusseau.
Bien sûr que ce n'est pas une fatalité ! Mais c'est la manière dont les gens
vivent, les chiffres en témoignent !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est la réalité !
M. le président.
Je vous prie de ne pas interrompre M. le ministre !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
C'est le constat que nous faisons
aujourd'hui. Peut-être est-ce la conséquence d'une gestion publique qui a
prévalu hier et avant-hier.
MM. Jean Chérioux et Pierre Fauchon.
Hélas !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Il faut maintenant en sortir,
aller de l'avant. Il faut considérer que la vie n'est pas une fatalité. Nous
avons autre chose à offrir à nos enfants, madame le sénateur, que la
perspective de petits boulots pour entrer dans la vie active et d'avoir, dans
le futur, à payer une masse de dettes publiques que leurs aînés n'auraient pas
su assumer parce que, à un moment donné, ils auraient voulu perpétuer une
solidarité sans en répartir le coût et en faisant systématiquement appel à
l'émission d'emprunts, parce qu'ils auraient laissé aux générations à venir,
pourtant moins nombreuses, le soin de prendre en charge leurs propres
carences.
Enfin, madame Dusseau - et je m'adresse également à M. Loridant - il est temps
de renoncer à cette vision manichéenne qui oppose la finance et le social.
Le Gouvernement n'a-t-il pas quotidiennement le souci de mettre l'économie et
les finances au service de l'homme et de la solidarité ?
Mme Joëlle Dusseau.
Non !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
A quoi sert-il, madame Dusseau,
de vouloir séparer ainsi le social et l'économique ?
La société est faite de cohérence, et vous n'aurez pas de bonne politique
sociale sans prospérité économique. De même, la réussite suppose la
confiance.
Or certains parmi vous contestent les marchés. Qu'ils nous disent alors
jusqu'où ils comptent aller ! Souhaitent-ils les supprimer ? Expliquez cela,
monsieur Loridant, aux salariés des banques, y compris à ceux de la Banque de
France !
(Sourires.)
Je voudrais que vous alliez jusqu'au bout de votre
démonstration. Avez-vous si peu d'égards pour les salariés des places
financières ?
M. Paul Loridant.
Je n'ai jamais dit cela !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Non, mais vous dites que les
marchés sont dévastateurs.
Ce qu'il faut faire prévaloir, c'est sans doute une autre vision, une
meilleure articulation entre l'exigence sociale et l'exigence des marchés, pour
ne plus constater l'appréciation subite d'un titre le jour où l'on décide
d'engager un plan de restructuration.
M. Alain Lambert.
Eh oui !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Une telle coïncidence est assez
difficilement compréhensible, mais elle est due au fait que, pendant trop
longtemps, l'entreprise concernée n'a pas su mettre en oeuvre les réformes
nécessaires, et que, à un moment donné, il faut bien restructurer pour assurer
l'avenir.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Avec l'argent public !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Pour cela, des fonds sont
nécessaires, qui sont apportés par les épargnants.
Envisagez-vous d'interdire l'épargne ? Pour ma part, j'estime que son
existence est bénéfique et qu'elle doit pouvoir être mise à la disposition de
ceux qui veulent investir. Le marché y contribue, et l'on n'a pas trouvé de
meilleure formule, dès lors que l'on a défini des principes de transparence et
des règles prudentielles. C'est ainsi que nous maintiendrons la solidarité, et
je m'étonne donc de ce procès.
Par ailleurs, l'épargne peut faire l'objet de mises à disposition anticipées,
monsieur Loridant, et ce dans des conditions bien précises : l'article 2 l'a
prévu.
Vous vous êtes élevé contre la CADES.
M. Paul Loridant.
C'était un exemple !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Puis-je vous faire remarquer,
monsieur Loridant, que s'il a fallu assurer le financement de cet organisme,
c'est parce que les gouvernements que vous avez soutenus n'ont pas pris les
décisions opportunes pour mettre bon ordre dans les finances sociales ?
Il était donc indispensable de mettre fin au financement un peu hypocrite
qu'assurait la Caisse des dépôts et consignations jusqu'au 31 décembre, date à
laquelle, au terme d'une opération magique, la dette disparaissait pour
renaître dès le 2 janvier ! Est-ce là la transparence que vous prônez ?
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Vous faites la même chose, monsieur le ministre !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Est-ce là une politique de vérité
et de sincérité ? Je ne le crois pas. Cette attitude ne correspond certainement
pas à vos convictions, monsieur Loridant. Je vous connais suffisamment pour ne
pas vous faire ce procès.
(M. Lambert sourit.)
En matière de retraite, ce qui compte, c'est la démographie. Or un Livre
blanc - les gouvernements socialistes n'étaient pas avares de littérature -
faisait apparaître que l'on compterait, pour un retraité, trois cotisants en
1981, 2,7 cotisants en 1995 et deux en 2015. C'est cela qui devrait vous
inquiéter, car comment assurera-t-on le financement des retraites ?
Mme Joëlle Dusseau.
C'est votre réponse, monsieur le ministre ?
M. Emmanuel Hamel.
C'est la question à laquelle il fallait répondre !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances
Mais oui, madame Dusseau, car si
nous régénérons le tissu économique, nous serons en mesure de créer des
emplois. Or, qui dit emplois dit salaires, donc élargissement de l'assiette des
cotisations et capacité de faire face à l'obligation de solidarité.
Par conséquent, je vous invite à ne pas vous enfermer dans une vision statique
de la société et dans une sorte de résignation, en matière de retraites, qui
évoque celle des naufragés du
Radeau de la Méduse.
Voilà ce que je
voulais affirmer.
Je remercie enfin M. Lambert, qui a bien défini le champ de nos travaux et de
nos réflexions. Je pense qu'il a eu raison d'insister sur la nécessité de
déterminer des ratios prudentiels pertinents. Si l'Assemblée nationale a cru
pouvoir déplacer légèrement le curseur, c'est parce qu'elle souhaitait mettre
l'accent sur l'impératif d'affecter une fraction du produit de l'épargne
retraite aux petites et moyennes entreprises. Je sais que ce n'est pas facile
sur le plan technique, mais nous devons avoir, les uns et les autres, le souci
permanent de veiller à ce qu'une part de cette épargne puisse favoriser la
création d'entreprises qui, dans vingt ans, emploieront sans doute des
personnels nombreux, ce qui permettra d'assurer la pérennité de la retraite par
répartition.
M. Lambert a également posé, dans toute sa dimension, la problématique de la
retraite, et je tiens à souligner que le Gouvernement souscrit totalement à son
analyse.
Telles sont les réponses que je souhaitais faire aux différentes observations
qui ont été formulées au cours de cette discussion générale. Je ne doute pas
que le Sénat contribuera lui aussi à enrichir ce texte, et je n'oublie pas que
M. Marini était lui-même l'auteur d'une proposition de loi similaire qui avait
été conçue au sein de la commission des affaires sociales, avant d'être reprise
par la commission des finances. Par conséquent, je crois que c'est le Sénat
tout entier qui doit s'approprier ce texte.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité