SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Candidature à une commission
(p.
1
).
3.
Démission de membres de commissions et candidatures
(p.
2
).
4.
Accord de partenariat et de coopération entre les Communautés européennes, la
Moldavie, la Kirghizie, le Kazakhstan, la Russie et l'Ukraine.
- Adoption de cinq projets de loi (p.
3
).
Discussion générale commune : MM. Jacques Godfrain, ministre délégué à la
coopération ; Xavier de Villepin, président de la commission des affaires
étrangères ; Mme Danièle Pourtaud, MM. Jacques Habert, François Lesein.
M. le ministre délégué.
Clôture de la discussion générale commune.
Adoption des articles uniques des cinq projets de loi.
5.
Nomination de membres de commissions
(p.
4
).
6.
Pourvois devant la Cour de cassation.
- Adoption d'une proposition de loi (p.
5
).
Discussion générale : MM. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la
justice ; Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois ; Mme Nicole
Borvo, MM. Robert Badinter, Pierre Fauchon.
Clôture de la discussion générale.
M. le garde des sceaux.
Article additionnel avant l'article 1er (p. 6 )
Amendement n° 1 de la commission. - MM. le rapporteur, le garde des sceaux. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article 1er (p. 7 )
Amendements n°s 2 à 4 de la commission. - MM. le rapporteur, le garde des
sceaux. - Adoption des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.
Articles 2 et 3. - Adoption (p.
8
)
Vote sur l'ensemble (p.
9
)
M. Michel Rufin.
Adoption de la proposition de loi.
7.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
10
).
8.
Ordre du jour
(p.
11
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
CANDIDATURE À UNE COMMISSION
M. le président.
J'informe le Sénat que le groupe du Rassemblement pour la République a fait
connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la
commission des affaires étrangères en remplacement de M. Yves Guéna, dont le
mandat sénatorial a cessé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à
l'article 8 du règlement.
3
DÉMISSION DE MEMBRES DE COMMISSIONS
ET CANDIDATURES
M. le président.
J'ai reçu avis des démissions de M. Sosefo Makapé Papilio comme membre de la
commission des affaires culturelles, Mme Lucette Michaux-Chevry comme membre de
la commission des affaires économiques et du plan et M. Jean Bizet comme membre
de la commission des affaires sociales.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats
proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et la nomination aura lieu conformément à
l'article 8 du règlement.
4
ACCORD DE PARTENARIAT ET DE COOPÉRATION ENTRE LES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, LA
MOLDAVIE, LA KIRGHIZIE, LE KAZAKHSTAN, LA RUSSIE ET L'UKRAINE
Adoption de cinq projets de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 137, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération entre
les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la
République de Moldova, d'autre part [rapport n° 158 (1996-1997)] ;
- du projet de loi (n° 138, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération entre
les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la
République kirghize, d'autre part [rapport n° 158 (1996-1997)] ;
- du projet de loi (n° 139, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération entre
les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la
République du Kazakhstan, d'autre part (ensemble trois annexes, un protocole et
un acte final) [rapport n° 158 (1996-1997)] ;
- du projet de loi (n° 140, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération entre
les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la
Fédération de Russie, d'autre part [rapport n° 158 (1996-1997)] ;
- du projet de loi (n° 141, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant la ratification de l'accord de partenariat et de coopération entre
les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et l'Ukraine,
d'autre part [rapport n° 158 (1996-1997)].
La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion
générale commune de ces cinq projets de loi.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué à la coopération.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, les cinq projets de loi qui sont aujourd'hui soumis à
votre examen ont pour objet d'autoriser la ratification des accords de
partenariat et de coopération conclus entre les Communautés européennes et
leurs Etats membres, d'une part, et la Russie, l'Ukraine, la Moldavie, le
Kazakhstan et le Kirghizistan, d'autre part.
Ces accords peuvent être qualifiés d'actes fondateurs, et cela à bien des
égards.
Ils ont d'abord vocation à remplacer l'ancien « accord de coopération
commerciale » conclu par la Communauté avec l'Union soviétique en 1989. Ils
instaurent également de vastes domaines de coopération politique, économique,
commerciale et culturelle.
Ils entérinent aussi l'existence d'une « nouvelle génération » d'instruments
juridiques au service des relations extérieures de l'Union européenne.
Ce nouveau type d'accords s'étend bien au-delà du champ d'application des
traditionnels « accords de commerce et de coopération », sans pour autant
impliquer une adhésion de ces Etats à l'Union, et cela contrairement aux «
accords d'association » conclus avec les pays d'Europe centrale et baltes.
D'autres traités de même nature ont été négociés depuis lors avec des Etats du
Caucase et d'Asie centrale, témoignant ainsi de l'attraction forte qu'exerce
l'Union, bien au-delà de ses frontières.
Plus encore, ils prouvent que l'Union européenne a pleinement pris la mesure
de cette nouvelle Europe qui s'est dessinée après l'effondrement de l'Union
soviétique.
L'Union a conçu ce partenariat avec les Etats de la CEI comme le complément
indispensable de son élargissement futur aux pays d'Europe centrale et
orientale. Il importe donc de ne pas isoler nos partenaires de la CEI, mais de
les associer à ce processus afin qu'ils ne le perçoivent pas comme étant
créateur d'une nouvelle division en Europe.
Conscients de la portée politique de ces accords, leurs négociateurs ont eu à
coeur de poser les fondements d'un partenariat global, conciliant la double
nécessité d'accueillir ces Etats au sein des nations démocratiques et de
soutenir leur intégration dans l'économie mondiale, tout en gardant bien
présent à l'esprit en termes de paix et de sécurité l'avenir de notre
continent. C'est là tout le sens de la conclusion du rapport de M. Guéna, qui
soulignait très justement « l'influence décisive qu'aura le développement de
ces pays sur la sécurité et la stabilité de notre continent ».
Permettez-moi de commencer par un historique et de retracer brièvement les
étapes qui ont présidé à la négociation de ces accords depuis le 16 décembre
1991, date à laquelle les ministres des Douze ont adopté les lignes directrices
pour la reconnaissance des nouveaux Etats issus de l'Union soviétique. C'est
alors que la Commission a pu engager, au printemps 1992, des contacts
exploratoires avec ces Etats afin de préparer la renégociation de « l'accord
sur la coopération commerciale et économique » signé entre la Communauté et
l'Union soviétique le 18 décembre 1989. Des directives de négociation ont ainsi
pu être adoptées le 5 octobre 1992.
La Russie et l'Ukraine ont, vous le savez, figuré en tête des Etats avec
lesquels l'Union a souhaité renouveler ses relations. La signature, le 24 juin
1994, à Corfou, de l'accord de partenariat avec la Russie, au terme de huit
cycles de négociations parfois difficiles, a jeté les bases d'un partenariat
stratégique. Neuf Etats membres de l'Union l'ont aujourd'hui ratifié. La Douma
d'Etat et le Conseil de la Fédération l'ont également approuvé.
Cette « puissance de l'Est » souhaite instaurer un « partenariat entre égaux »
avec l'Union ; elle possède incontestablement les atouts pour y parvenir. Si de
nombreux progrès restent à accomplir, force est de reconnaître l'ampleur du
chemin parcouru, en cinq ans, en termes de transition démocratique et de
réformes économiques.
L'accord avec l'Ukraine, négocié selon un mandat très proche de celui qui a
été retenu pour la Russie et signé le 14 juin 1994, a été ratifié par les
autorités ukrainiennes, de même que par sept de nos partenaires. L'accord
intérimaire, reprenant les dispositions commerciales de l'accord, est entré en
vigueur le 1er février dernier, au même moment que celui qui a été conclu avec
la Russie.
Un schéma semblable a prévalu pour la négociation, puis la signature d'un
accord avec la Moldavie, le 28 novembre 1994. Un accord intérimaire a été
conclu et est entré en vigueur le 1er mai 1996.
Quant aux accords signés avec le Kazakhstan le 23 janvier 1995, puis avec le
Kirghizistan le 9 février 1995, s'ils ne prévoient pas la possibilité
d'instaurer une zone de libre-échange, ils n'en ouvrent pas moins la voie à une
coopération politique, économique et culturelle à grande échelle.
Les dispositions contenues dans ces accords de partenariat présentent un
caractère similaire, notamment en raison des difficultés de nature souvent
semblable que connaissent ces Etats. Toutefois, les spécificités de chacun
n'ont pas été ignorées.
Pour l'essentiel, ces accords s'articulent autour de trois grands axes.
Il y a, d'abord, l'instauration d'un dialogue politique régulier à tous les
niveaux et formalisé, notamment, par la création de conseils et de comités de
coopération ; des commissions parlementaires de coopération réuniront des
représentants du Parlement européen et des parlements nationaux des Etats
indépendants.
Sur le plan politique, le respect des principes démocratiques et des droits de
l'homme sont considérés comme un élément essentiel des accords, dont la
violation peut entraîner la suspension de l'application des traités.
Il y a, ensuite, un approfondissement de la coopération qui passe notamment
par un renforcement de l'assistance technique dans de nombreux domaines.
Votre rapporteur a relevé à cet égard l'extrême diversité des domaines de
coopération concernés ; il souligne, à juste titre, que les coopérations
culturelle et législative sont des outils privilégiés de la coopération
bilatérale.
En réalité, les négociateurs ont souhaité tenir compte des besoins énormes de
ces pays, tout en garantissant une large diffusion des modes de culture
européens, qu'il s'agisse des canaux bilatéraux ou communautaires. Le programme
TACIS en est, bien entendu, l'un des instruments.
Certes, la présence française pour ce programme suscite certaines
interrogations. Le ministre des affaires étrangères, dans une lettre adressée
au printemps dernier à M. Santer, a demandé que cessent certaines pratiques
visant à privilégier une seule langue et pénalisant nombre d'opérateurs ; afin
que l'égalité des langues officielles soit garantie, il a proposé de consacrer
ne serait-ce que 1 % des crédits PHARE et TACIS à la couverture des frais de
traduction.
Enfin, lors de l'examen des présents projets de loi à l'Assemblée nationale,
le ministre délégué aux affaires européennes s'est engagé à saisir les
autorités de la Commission de cette question.
Permettez-moi toutefois de rappeler que nous bénéficions, au titre du
programme TACIS, d'un taux de retour non négligeable - 120 % - et que nous
sommes passés au premier rang, devant le Royaume-Uni, dans la catégorie des
contrats supérieurs à 300 000 écus.
J'évoquerai enfin les engagements de nature commerciale. Les accords
intérimaires, qui reprennent les dispositions commerciales des accords de
partenariat, sont entrés en vigueur avec la Russie, l'Ukraine et la Moldavie ;
nos échanges commerciaux avec ces Etats se sont accrus significativement.
Si la Communauté n'envisage nullement d'entamer des négociations sur la
création d'une zone de libre-échange, elle a en revanche pris un rendez-vous
pour 1998 avec la Russie, l'Ukraine et la Moldavie, afin d'examiner la
possibilité d'instaurer une zone de libre-échange.
Quelles sont les évolutions récentes des relations de l'Union européenne avec
les Etats de la Communauté des Etats indépendants ?
Alors même que ces accords ne sont pas entrés en vigueur, l'Union s'est
efforcée de développer, mais surtout d'améliorer, les mécanismes régissant ses
relations avec ces pays, en tenant compte des « imprécisions » que peuvent
comporter ces accords et que vous avez d'ailleurs relevées. Aussi ne peut-on
que se féliciter des récentes initiatives prises par le Conseil pour définir
les axes prioritaires de ses relations avec ces Etats, et plus particulièrement
avec la Russie et l'Ukraine.
Les « plans d'action » adoptés par le Conseil en faveur de ces deux Etats
réaffirment la nécessité de se conformer aux principes démocratiques, aux
normes du Conseil de l'Europe et de l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité et
la coopération en Europe, tout en poursuivant les réformes vers l'économie de
marché. Ils prévoient également de développer les contacts entre les parlements
nationaux, le Parlement européen et les parlements des Etats de la CEI. Ce
renforcement constant du partenariat permettra à l'Union de réfléchir, avec ses
partenaires, et notamment avec la Russie, à l'élaboration d'un modèle européen
de sécurité pour le xxie siècle.
Avec la Russie, un dialogue politique régulier, et appliqué par anticipation
depuis juin 1995, doit être mis en oeuvre à tous les niveaux et dans de
nombreuses enceintes, telles l'ONU et l'OSCE.
Le plan d'action Russie vise notamment à renforcer les programmes conjoints
TACIS - Conseil de l'Europe, à soutenir des actions visant à assainir
l'environnement économique et le climat des investissements, lesquels, nous le
savons, doivent être améliorés.
Le prochain comité mixte, qui se tiendra à Moscou le 27 février prochain,
examinera, et c'est là son rôle, l'état des relations commerciales entre la
Communauté et la Russie, de même que le cadre réglementaire mis en place en
Russie.
Par ailleurs, le Conseil s'est prononcé en faveur d'une coopération accrue
dans les secteurs de la sécurité nucléaire et de l'environnement, ainsi que
dans le domaine de la justice et des affaires intérieures - immigration
clandestine, criminalité, drogue.
Permettez-moi à cet égard de rappeler les conclusions du Conseil européen de
Dublin relatives à la lutte contre la drogue. Prises notamment sur l'initiative
du Président de la République, elles visent à renforcer la coopération avec la
Russie en cette matière et recommandent de venir en aide aux républiques d'Asie
centrale, par le biais du programme TACIS, pour combattre le transit et la
production de drogue. Ces initiatives sont incontestablement d'une importance
capitale pour la sécurité des citoyens européens.
Pour sa part, le plan d'action en faveur de l'Ukraine met l'accent sur les
mesures à prendre en matière d'agriculture et d'environnement, ainsi que sur la
mise en oeuvre d'une coopération transfrontalière impliquant une meilleure
articulation des programmes PHARE et TACIS. Surtout, il préconise un dialogue
politique plus régulier et à tous les niveaux, proche du dispositif prévu pour
la Russie. Enfin, la France a tenu à ce que les impératifs de la réforme du
secteur énergétique et nucléaire soient dûment pris en compte.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principales observations qu'appellent les accords de partenariat et de
coopération signés par les Communautés européennes et leurs Etats membres d'une
part, la Fédération de Russie, l'Ukraine, la Moldavie, le Kazakhstan et le
Kirghizistan d'autre part, qui font l'objet des projets de loi aujourd'hui
soumis à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, j'ai l'honneur de remplacer aujourd'hui notre excellent ancien
collègue M. Yves Guéna, appelé à d'autres fonctions, pour présenter cinq
projets de loi autorisant la ratification de cinq accords de partenariat et de
coopération conclus entre l'Union européenne et cinq pays membres de la
Communauté des Etats indépendants : Russie, Ukraine, Kirghizistan, Kazakhstan
et Moldova.
Ces textes constituent une nouvelle famille d'accords, destinés à se
substituer à celui qui avait été conclu, en 1989, entre les Communautés
européennes et l'URSS. Le but est désormais, en effet, d'inscrire les relations
entre Bruxelles et nos nouveaux partenaires issus de l'effondrement de l'URSS
dans un cadre juridique rénové et plus adapté au défi de la reconstruction
d'économies et de sociétés engagées, à des degrés variables, dans un effort de
transition considérable.
C'est ainsi que la notion de partenariat illustre les principes et objectifs
qui caractérisent les relations entre l'Union européenne et ces pays : respect
des principes démocratiques et des droits de l'homme ; établissement progressif
d'économies de marché.
Par le biais du partenariat, ces accords visent donc à soutenir l'intégration
des nouveaux Etats indépendants dans l'économie mondiale et le maintien des
relations internationales sur la base des principes de droit international,
plus particulièrement de l'OSCE, l'Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe.
En dépit des spécificités qui caractérisent certains de ces accords de
partenariat et de coopération, ceux-ci forment une catégorie juridique
cohérente, dont le contenu peut être ainsi défini.
Notons tout d'abord une différence de portée essentielle entre, d'une part,
les accords de partenariat et de coopération et, d'autre part, les accords
d'association qui lient Bruxelles à l'Europe centrale, orientale et
baltique.
Les accords de partenariat et de coopération n'ont pas pour objectif
l'adhésion de ces pays à l'Union européenne, pas plus qu'ils ne visent à
instaurer avec cette région une zone de libre-échange, même si certains de ces
accords prévoient une clause de rendez-vous en 1998 pour réexaminer cette
question.
Un dialogue politique régulier est instauré entre Bruxelles et les nouveaux
pays indépendants afin de renforcer les liens entre ces pays et la communauté
des nations démocratiques, et d'augmenter la stabilité et la sécurité. Ce
dialogue politique se fonde sur différentes institutions mises en place par les
accords de partenariat et de coopération. A cet égard, M. Yves Guéna avait
particulièrement regretté, devant la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées, que les parlements nationaux ne soient pas
associés aux commissions parlementaires de coopération, réservées au Parlement
européen et aux parlements des pays signataires.
Trois raisons auraient justifié une telle association.
D'une part, les accords conclus avec les nouveaux pays indépendants sont des
accords mixtes, qui intéressent les compétences nationales. D'autre part,
l'extension de ces commissions parlementaires à des représentations nationales
contribuerait très certainement et très opportunément au rapprochement
politique souhaité par ces accords. Enfin, notre pays contribuant très
substantiellement aux soutiens financiers accordés par l'Union européenne à nos
partenaires issus de l'ancienne Europe communiste, qu'il s'agisse des
programmes PHARE ou TACIS, il n'est pas inopportun de rappeler l'importance des
efforts que la France a consentis à ces pays. Dans ce contexte, les
institutions communautaires ne sauraient avoir le monopole du dialogue
politique avec ceux-ci.
Sur le plan commercial, les accords de partenariat et de coopération sont
fondés sur le traitement de la nation la plus favorisée, tout en permettant que
soit accordé, à titre transitoire, aux Etats de la CEI un régime dérogatoire
jusqu'au 31 décembre 1998 ou jusqu'à l'adhésion de ces pays au GATT.
Les accords de partenariat et de coopération visent également la suppression
de toute restriction quantitative aux échanges, à laquelle échappe toutefois le
commerce des produits textiles, des produits agricoles et des produits couverts
par le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
Par ailleurs, des accords intérimaires assurent l'entrée en vigueur, par
anticipation, des clauses commerciales des accords de partenariat, celles-ci
relevant de la seule compétence de la Communauté.
C'est ainsi que sont en vigueur, depuis le 1er février 1996, les accords
intérimaires conclus avec la Russie et l'Ukraine et, depuis le 1er mai 1996,
l'accord passé avec la Moldova.
Ces accords intérimaires peuvent constituer un élément de pression sur les
Etats partenaires, dans le cadre d'éventuels différends politiques, comme l'a
montré la signature, en juillet 1995, de l'accord intérimaire avec la Russie,
signature subordonnée à l'accès des organisations humanitaires à la population
tchétchène, ainsi qu'à l'ouverture de la Tchétchénie à une mission de
l'OSCE.
Enfin, les accords de partenariat et de coopération comportent un important
volet de coopération dont le financement s'appuie sur le programme TACIS. Le
rapport de M. Yves Guéna est suffisamment précis sur les interventions de TACIS
dans les pays concernés pour que je me borne aujourd'hui à renvoyer à ce
rapport afin de concentrer mon propos sur les secteurs ouverts à la coopération
par les accords de partenariat.
En ce qui concerne les aspects économiques de cette coopération, je dirai que
la liste établie par les accords a pu être qualifiée d'inventaire à la Prévert,
se caractérisant par une accumulation étonnante de secteurs très disparates et,
surtout, d'importance très variable.
En effet, compte tenu de l'urgence que revêt la restructuration de ces
économies sinistrées par plusieurs décennies de communisme, il est étonnant
qu'aient été mis sur le même plan la coopération en matière d'information et de
communication ou de science économique et des aspects aussi cruciaux pour la
transition postcommuniste que l'agriculture, l'énergie, les transports et
l'environnement.
Même au sein de la rubrique « environnement » on relève la présence de sujets
aussi dénués d'intérêt que l'éducation et la sensibilisation écologiques ou la
réhabilitation de l'environnement, aux côtés d'objectifs indispensables, comme
la sécurité des installations industrielles, la qualité de l'eau, la protection
des forêts ou le recyclage des déchets.
N'aurait-il pas été plus productif de cibler la coopération entre l'Union
européenne et ces pays, où la protection de l'environnement revêt une
importance cruciale, sur des secteurs précis et circonscrits, plutôt que de
mentionner des rubriques floues et redondantes ? En d'autres termes, on peut se
demander si une approche plus modeste et plus pratique de la coopération avec
nos partenaires de la CEI n'aurait pas été plus conforme aux intérêts de
ceux-ci.
De même, il n'est pas très évident que l'intérêt de ces pays soit d'intégrer
la coopération culturelle - vous l'avez dit, monsieur le ministre - à des
accords dont l'objet doit être prioritairement d'aider des pays sinistrés par
plusieurs décennies de tutelle soviétique à réussir leur transition économique.
Comparée à l'urgence que revêtent les aspects économiques et environnementaux
de la transition postcommuniste, la coopération culturelle ne semble pas
justifiée par une absolue nécessité.
Par ailleurs, il n'est pas exclu que la coopération culturelle s'accommode
mal, par définition, d'un cadre multilatéral, de surcroît susceptible
d'encourager davantage encore la pénétration de la langue anglaise dans une
région où notre coopération linguistique est soumise à une très âpre
concurrence.
N'est-il pas plus constructif d'envisager ce type de coopération sous un angle
bilatéral, plutôt que de la diluer dans un ensemble trop hétérogène ?
Ce cadre général ne permet toutefois pas d'occulter les spécificités qui
distinguent entre eux les accords de partenariat et de coopération. En effet,
ceux-ci consentent à la Russie et, dans une moindre mesure, aux autres Etats
européens de la CEI, un traitement relativement privilégié.
Tout d'abord, le dialogue politique prévu par ces accords est plus ou moins
substantiel. Seuls les accords avec la Russie et l'Ukraine prévoient un
dialogue politique « au plus haut niveau ».
La conditionnalité politique dont sont assortis ces accords est nuancée selon
les pays. Ainsi l'accord avec la Russie est-il le seul à ne pas se référer
expressément, en dehors du préambule, à l'obligation de respecter les principes
de l'économie de marché, alors que cette obligation s'impose au Kirghizistan,
par ailleurs qualifié de « pays en développement et enclavé ».
Ces constatations conduisent à s'interroger sur la portée de la « clause
d'urgence spéciale », qui permet de suspendre éventuellement ces accords quand
le pays signataire ne satisfait pas aux critères énoncés par ceux-ci,
c'est-à-dire le respect des droits de l'homme, du droit international, des
principes de la démocratie et de l'économie de marché.
C'est en vertu de cette clause qu'a été gelée par les institutions
communautaires l'application anticipée des stipulations commerciales de
l'accord de partenariat et de coopération conclu avec la Biélorussie.
L'évolution du régime biélorusse se trouve à l'origine de la suspension de la
ratification de l'accord de partenariat et de coopération avec la Biélorussie,
sur l'initiative de l'Assemblée nationale.
A cet égard, on peut admettre que l'Europe ait hésité à prendre le risque de
soutenir le régime de Loukatchenko mais il serait naïf de prétendre, si peu de
temps après l'effondrement du communisme, que tous les systèmes politiques
héritiers de l'URSS puissent d'ores et déjà recevoir leur brevet de démocratie.
Dans ces circonstances, tous les accords de partenariat et de coopération
doivent-ils être suspendus ? Ou bien devons-nous admettre que tous nos
partenaires de la CEI ne sont pas égaux devant la conditionnalité politique et
que certains pourront être moins respectueux des principes démocratiques que
d'autres sans que l'accord qu'ils ont conclu soit pour autant remis en cause
?
Les différences entre les pays ex-soviétiques signataires des accords de
partenariat et de coopération ne se bornent pas à la sphère politique. Sur le
plan commercial, seuls les accords de partenariat et de coopération avec la
Russie, l'Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie - mentionnons cet accord pour
mémoire - prévoient une clause de révision permettant de réexaminer, en 1998,
l'hypothèse d'ouverture de négociations en vue d'instaurer une zone de
libre-échange avec l'Union européenne.
Il est clair, en effet, que l'état des économies des républiques d'Asie
centrale ne permettait pas d'envisager à un terme aussi proche l'instauration
d'une zone de libre-échange entre ces pays et l'Union. On peut néanmoins se
demander si les économies moldave et biélorusse semblaient, au moment de la
négociation de ces accords, assez avancées pour que la clause de « rendez-vous
» en 1998 paraisse crédible ; l'est-elle seulement maintenant ?
Dans ces conditions, pourquoi n'avoir pas mentionné, dans chacun de ces
accords, la possibilité d'un réexamen des clauses commerciales, à une date
indéterminée, en fonction des progrès économiques accomplis par chaque pays
signataire ? Une telle stipulation aurait probablement été perçue comme un
signe de bonne volonté de la part de l'Union européenne, sans pour autant lier
celle-ci à des engagements malaisément tenables. Cette solution aurait permis
de ne pas introduire une telle différence de traitement entre le Kazakhstan et
la Moldavie.
Les conclusions du rapport de M. Yves Guéna sur les accords de partenariat et
de coopération sont donc nuancées.
Au passif de ces accords, il avait relevé la trop grande diversité du champ
ouvert à la coopération entre l'Union européenne et les pays signataires et il
s'était interrogé sur la pertinence de l'extension de cette coopération aux
secteurs culturel et législatif, auxquels le cadre bilatéral paraît plus
adapté.
M. Yves Guéna avait également estimé qu'une doctrine européenne cohérente en
matière de conditionnalité politique devait être arrêtée, sous peine de
conduire à une interprétation aléatoire des clauses politiques contenues dans
ces accords. La Biélorussie doit-elle être la seule à faire les frais de cette
conditionnalité ?
J'aborderai enfin un point qui revêt une grande importance à nos yeux,
monsieur le ministre.
La domination
de facto
de la langue anglaise dans le fonctionnement du
programme TACIS, sur lequel s'appuient les accords de partenariat et de
coopération en vue du financement de la coopération avec les pays de la CEI, a
été tout particulièrement déplorée par notre rapporteur compte tenu, d'une
part, de l'importance des contributions de notre pays au budget de TACIS et,
d'autre part, du fait que nos partenaires ex-soviétiques ne doivent pas
assimiler l'espace européen au règne exclusif de la pensée anglo-saxonne. La
réhabilitation de la langue française dans le cadre de TACIS est donc une
priorité, d'autant que la Moldavie fait officiellement partie de l'espace
francophone.
En dépit de ces défaillances, notre rapporteur est conscient que les accords
de partenariat et de coopération sont susceptibles de contribuer à rapprocher
la Russie, l'Ukraine, la Moldavie, le Kazakhstan et le Kirghizistan du marché,
mais aussi, plus indirectement, de la culture et des modes de pensée européens,
tout en confirmant la part déterminante prise par les financements
communautaires dans le développement de pays qui seront appelés à exercer une
influence décisive sur la sécurité et la stabilité de notre continent.
C'est pourquoi, mes chers collègues, votre commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées vous invite à adopter ces cinq projets de
loi, tout en sachant que les accords de partenariat et de coopération ne
sauraient, à eux seuls, relever les défis de l'après-communisme.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe
socialiste approuve les cinq accords de partenariat et de coopération qui nous
sont aujourd'hui proposés.
Plusieurs de ces accords prolongent d'ailleurs des accords intérimaires, cela
vient d'être rappelé à l'instant par M. le président de la commission.
Cependant, la discussion générale commune décidée par notre assemblée ne doit
pas cacher les différences sensibles qui existent entre ces cinq accords.
On peut, sans caricature, affirmer que l'accord signé avec la Russie est - et
de loin - celui qui prévoit à la fois la coopération la plus poussée et les
obligations les plus légères. M. de Villepin vient de souligner l'un des
aspects les plus cocasses de cette situation.
En effet, aucun autre accord ne prévoit un niveau aussi élevé de dialogue
politique puisque c'est deux fois par an qu'auront lieu les réunions du
président de la Fédération de Russie, d'une part, du président de l'Union et du
président de la Commission, d'autre part.
Cet accord avec la Russie comporte, en fait, des modalités analogues à celles
que contiennent les accords d'association qui existent avec les autres pays
d'Europe centrale et orientale.
Certes, cela se justifie par l'importance économique, commerciale, culturelle
et militaire de la Russie. Aujourd'hui, plus que jamais, nous nous devons
d'offrir à la Fédération de Russie cet ancrage européen pour l'aider à rebâtir
son économie et pour établir avec elle un dialogue indispensable à sa stabilité
interne et externe.
Cela se justifie aussi par le besoin commun à l'Union européenne et à la
Russie d'entretenir entre elles de bonnes relations,
a fortiori
depuis
que ces deux entités disposent d'une frontière commune par l'intermédiaire de
la Finlande.
Grâce à cet accord, les relations entre l'Union européenne et la Russie vont
prendre un tour plus stable et, souhaitons-le, plus prévisible. D'ailleurs, la
stabilité même de l'Union européenne est-elle envisageable sans une Russie
elle-même prévisible ?
Cependant, cet accord doit entraîner d'autres initiatives, en particulier en
matière de sécurité. L'Alliance Atlantique va prochainement définir son
calendrier pour de nouvelles adhésions. Celles-ci doivent être, à notre avis,
choisies en concertation avec tous : on ne saurait, en effet, assurer sans
dommage la sécurité des uns en inquiétant les autres.
J'aimerais revenir un instant sur l'accord qui nous intéresse plus
particulièrement aujourd'hui, celui qui concerne la Russie.
Qui dit dialogue dit, au minimum, écoute et, si possible, même dans le champ
diplomatique, franchise. Or, si l'on peut se féliciter de la signature de cet
accord, force est de reconnaître qu'il est fort peu contraignant pour ce qui
est des droits de l'homme. A ce titre, la situation en Russie n'est, selon
nous, pas toujours rassurante. Nous devrions pouvoir en discuter au plus haut
niveau, nous semble-t-il, avec nos alliés et amis russes.
Je ne reviendrai pas en détail sur les autres accords, signés avec la
Moldavie, la Kirghizie, le Kazakhstan et l'Ukraine. Globalement, je relèverai
tout de même que le volet politique n'a peut-être pas atteint un niveau
satisfaisant. Par ailleurs, la coopération y est parfois réduite, disons, pour
ne pas être trop négatifs, à l'essentiel.
Je soulignerai également combien il est intéressant d'avoir inclus les aspects
culturels et législatifs dans ces accords. C'est peut-être dans ces domaines
que les choses peuvent progresser le plus vite et que se créent, en quelque
sorte, les conditions de la réalisation de la coopération dans les autres
domaines.
Néanmoins, cette formule
a minima
de la coopération et du dialogue, en
particulier en ce qui concerne le Kazakhstan et la Kirghizie, ne répond
qu'imparfaitement à l'attente de ces pays à l'égard de l'Europe.
Certes, ces deux Etats sont les seuls qui ne posséderont pas de frontière
commune avec l'Union européenne, au cas où celle-ci accueillerait effectivement
en son sein les pays d'Europe centrale, orientale et baltbaltes. En outre, ils
ne sont pas des acteurs essentiels des relations internationales. Mais est-ce
une raison pour les en exclure un peu plus ?
Pour conclure, je reviendrai, comme nos collègues de l'Assemblée nationale et
comme M. le président de Villepin à l'instant, sur un problème récurrent
concernant le programme TACIS.
Le recours systématique à la langue anglaise pour les appels d'offre nous
semble inacceptable. L'Europe ne doit pas être l'Europe d'une seule langue :
cela serait contraire à la philosophie même de toute la construction européenne
; vous-même l'avez souligné, monsieur le ministre. Nous espérons que le
Gouvernement français saura le répéter haut et fort et, mieux encore, se faire
entendre.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de reconnaître que,
malgré les quelques imperfections que j'ai signalées, ces accords sont
susceptibles de constituer un point de départ pour des relations plus vivantes
entre ces Etats et l'Union européenne. C'est sous le bénéfice de cette analyse
que le groupe socialiste approuvera ces cinq projets de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. François Lesein applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi tout d'abord de souligner l'originalité des projets de loi que
nous étudions aujourd'hui.
En effet, lorsque nous examinons le texte de conventions ou d'accords, dans
cette enceinte comme au sein de la commission des affaires étrangères, il
s'agit le plus souvent d'accords bilatéraux signés par la France avec des Etats
étrangers. Or il s'agit cette fois de ratifier des accords de partenariat et de
coopération signés par une autorité qui n'est pas nationale, à savoir les
Communautés européennes, avec un certain nombre d'Etats. C'est là un élément
tout à fait intéressant et nouveau, dont il est bon de souligner l'originalité.
C'est la première fois que nous examinons de tels textes dans cet environnement
juridique, mais ce ne sera certainement pas la dernière, loin de là.
Je voudrais maintenant formuler quelques observations.
Tout d'abord, pourquoi commencer par conclure des accords avec ces cinq Etats
? On peut en être surpris, car l'Union européenne avait engagé des négociations
avec les douze Etats issus de l'éclatement de l'Union soviétique. Nous
comprenons bien sûr que figurent dans ce premier groupe des pays aussi
importants que la Fédération de Russie ou l'Ukraine, mais nous sommes plus
étonnés de compter, au sein de celui-ci, des pays plus éloignés, tels que le
Kazakhstan et le Kirghizistan.
En effet, on aurait pu croire que les projets de loi concernant ces pays
lointains, plus asiatiques qu'européens et qui n'ont aucune frontière commune
avec des Etats de l'Union européenne, seraient examinés plus tard : après tout,
Alma-Ata ou Bichkek sont les capitales d'Etats beaucoup plus proches de la
Chine que des Champs-Elysées ! Et, bien qu'ayant appartenu à l'URSS, ils n'ont
que de très lointains rapports avec l'Europe.
En revanche, certains pays, comme la Moldavie, sont vraiment européens, et
nous avons des affinités avec d'autres, tels que l'Arménie ou la Géorgie.
D'ailleurs, l'Arménie et la Moldavie ont toutes deux demandé à faire partie de
la communauté francophone.
Or je relève que les négociations avec ces derniers pays, qui se veulent
francophones, ont été menées entièrement en langue anglaise, et je rejoins là
une observation qui a été faite par les intervenants, notamment, et avec
beaucoup de pertinence, par M. le ministre, ce dont je le remercie, et qui a
été exprimée avec force dans le rapport de M. Guéna, lequel a été repris et
exposé par le président de notre commission, M. de Villepin.
Dans le domaine culturel, il est difficile de travailler utilement sur le plan
multinational. Les accords doivent être, de préférence, bilatéraux. N'oublions
pas en effet que nous serons pratiquement seuls, au sein de l'Union européenne,
pour défendre le français. L'anglais serait-il devenu la seule langue
officielle de l'Europe, pour que les autorités de Bruxelles négocient
exclusivement en anglais, comme cela a été le cas, je le répète, même avec des
Etat désireux de rejoindre la communauté francophone ?
A ce sujet, on pourrait d'ailleurs évoquer la situation particulière des trois
Etat baltes, dont il n'a pas été question. Ceux-ci, pour leur part, relèvent
d'accords d'association proprement dits.
Pour plusieurs de ces pays, il est urgent de conclure des accords bilatéraux
dans le domaine culturel, car des problèmes se posent.
En Ukraine, par exemple, une communauté française d'une certaine importance
s'est établie. Une petite école a été créée à Kiev, qui fonctionne sans être
rattachée a été à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, dont vous
exercez la cotutelle, monsieur le ministre. Kiev frappe à la porte de cette
agence depuis déjà trois ans ; l'école fonctionne, mais elle n'a pas pu encore
être conventionnée et elle rencontre de grandes difficultés.
On comprend que les autorités de Bruxelles ne se soucient pas le moins du
monde d'une telle question. C'est à nous, Français, qu'il appartient de la
traiter. Il faut encourager la création d'établissements français dans les
grandes villes des anciens pays de l'Union soviétique - il existe déjà un lycée
français à Moscou - et les aider à se développer.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
les quelques observations que je voulais formuler à l'occasion de la discussion
de ces textes. Cela dit, tout en restant très attentifs à l'action des
autorités de Bruxelles, nous voterons les projets de loi autorisant la
ratification des accords de partenariat et de coopération entre les Communautés
européennes et les cinq pays concernés, dont la Russie et l'Ukraine, de
l'ancienne Union soviétique.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de
l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
Je voudrais d'abord me réjouir de l'examen par notre assemblée de ces accords.
En tant que président du groupe d'amitié France-Ukraine, j'en remercie les
promoteurs, mais je tiens aussi à formuler quelques réflexions critiques,
monsieur le ministre.
On sent bien, à travers l'excellent rapport de notre ancien collègue Yves
Guéna, la préférence dont bénéficie la Russie. L'Europe a-t-elle toujours peur
de la tête pensante de l'ex-URSS ?
J'affirme ici, mais je l'ai toujours soutenu dans d'autres circonstances et M.
de Villepin l'a bien laissé entendre, que les conditions consenties à la Russie
sont tout de même plus confortables que celles dont bénéficient les quatre
autres nouvelles républiques.
J'évoquerai ainsi les problèmes liés à l'environnement, à propos desquels on
adresse des reproches, par exemple, à l'Ukraine. Sans vouloir raviver une fois
de plus de mauvais souvenirs, permettez-moi de m'interroger : qui, dans ces
républiques, en particulier en Ukraine, a exigé la création de centrales
nucléaires qui, aujourd'hui, connaissent de graves défaillances ? La Russie n'a
jamais proposé à qui que ce soit de participer et elle demande à l'Union
européenne et à la communauté internationale de tout faire pour effacer ses
erreurs.
Quel contraste entre le rôle joué autrefois par la Russie, qui était le coeur
de l'URSS, et le comportement que nous avons aujourd'hui quant à la
non-exigence de réparation !
Voilà un problème qui reste pendant et qui, pendant très longtemps encore,
nous conduira à ne pas admettre ces pays dans le concert européen, comme ils le
souhaiteraient, tant qu'ils ne seront pas en règle dans le domaine de
l'environnement.
En ce qui concerne la Biélorussie, je pense, monsieur le président de la
commission, que les choses seront plus simples. Vous avez certainement lu comme
moi, dans le
Bulletin quotidien
d'avant-hier, que M. Eltsine avait sorti
la tête de sa tente à oxygène
(Sourires.)
pour annoncer qu'une coopération allait s'instaurer avec la
Biélorussie et qu'un vote, peut-être un référendum, serait organisé pour
intégrer demain ce pays à la Russie. Ainsi, lorsque, comme nous sommes en train
de le faire, on concède un avantage à la Russie - rassurez-vous, je voterai le
texte - on l'accorde aussi à la Biélorussie, dont l'actuel président représente
vraiment un danger.
J'en viens maintenant, comme plusieurs orateurs, au problème du non-respect de
l'utilisation de la langue française comme langue officielle de l'Union
européenne.
Comme vous le savez, mes chers collègues, les contributions au budget européen
des pays qui y participent déjà financièrement resteront identiques, tandis que
celle de la Russie, qui y participera pour la première fois cette année, même
si c'est en y allant à reculons, servira à financer d'autres actions. Il est
question en particulier d'introduire une troisième langue de travail. Or
peut-être faudrait-il déjà que l'usage du français soit aujourd'hui respecté,
en tant que langue officielle de l'Union européenne, dans tous nos rapports
avec ces républiques nées de l'éclatement de l'ex-URSS.
J'ajouterai quelques mots à propos de la bilatéralité. Je suis d'accord avec
M. de Villepin et avec les conclusions du rapport de M. Yves Guéna pour estimer
que la multilatéralité ne permet pas d'exercer des contrôles suffisants, alors
que, au contraire, si les accords étaient bilatéraux, d'autres contrôles
seraient possibles, en particulier sur ceux qui sont chargés de la mise en
oeuvre des programmes TACIS.
En effet, si M. Guéna le laisse bien entendre dans son rapport et si M. de
Villepin l'a signalé lui-même à la tribune, j'aimerais à mon tour, pour
enfoncer un peu plus le fer dans la plaie, rappeler à ces personnes qu'elles
sont chargées de promouvoir le développement de la culture et la formation dans
ces républiques pour y créer des emplois, et non pas pour s'assurer un volume
d'activité. Il ne faudrait tout de même pas inverser la finalité des programmes
TACIS !
J'en terminerai par la culture, pour relever, monsieur le président de la
commission, que je ne suis pas entièrement d'accord avec vous. Jean Monnet,
quand il s'est retourné sur son enfant, a dit : « Si c'était à refaire, je
commencerais par la culture. »
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je voudrais très rapidement évoquer deux points qui ont été soulevés
par certains des orateurs.
Le premier point est d'ordre linguistique.
En effet, certains propos témoignaient d'une inquiétude face à la place
grandissante tenue par la langue anglaise dans les discussions et dans les
appels d'offre.
Je voudrais vous rappeler que, à l'Assemblée nationale, le ministre délégué
aux affaires européennes a indiqué qu'il entreprendrait une démarche à ce sujet
auprès des autorités européennes compétentes. Ces propos ont été pleinement
confirmés et renforcés par ceux du ministre des affaires étrangères, qui a
écrit à M. Santer afin qu'environ 1 % du budget dévolu aux programmes TACIS
soit consacré aux traductions. Des précautions ont donc été prises et nous
resterons bien entendu vigilants, mais il est bon que cette exigence ait été
clairement exprimée lors du débat au Sénat. Nous espérons qu'elle sera entendue
par les autorités compétentes.
Le second point concerne, monsieur Lesein, l'importance que revêt l'accord
signé avec la Russie par rapport à ceux qui ont été conclus avec d'autres
républiques. Elle s'explique par l'histoire contemporaine, car la Russie est
une puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations
unies, qui participe aux réunions du G7-G8.
Toutefois, le champ des autres accords pourra être étendu. On peut déjà le
constater, tout particulièrement en ce qui concerne l'Ukraine, qui pourra,
progressivement, participer, tout comme la Russie, à des réunions politiques et
à des commissions. Cela montre l'importance que nous attachons à d'autres pays
que la Russie.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
ACCORD AVEC LA RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 137.
« Article unique
. _ Est autorisée la ratification de l'accord de
partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et leurs Etats
membres, d'une part, et la République de Moldova, d'autre part, fait à
Bruxelles le 28 novembre 1994, et dont le texte est annexé à la présente loi.
»
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
ACCORD AVEC LA RÉPUBLIQUE KIRGHIZE
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 138.
« Article unique
. _ Est autorisée la ratification de l'accord de
partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et leurs Etats
membres, d'une part, et la République kirghize, d'autre part, fait à Bruxelles
le 9 février 1995, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
ACCORD AVEC LA RÉPUBLIQUE DU KAZAKHSTAN
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 139.
«
Article unique.
_ Est autorisée la ratification de l'accord de
partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et leurs Etats
membres, d'une part, et la République du Kazakhstan, d'autre part, fait à
Bruxelles le 23 janvier 1995 (ensemble trois annexes, un protocole et un acte
final), et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
ACCORD AVEC LA FÉDÉRATION DE RUSSIE
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 140.
« Article unique
. _ Est autorisée la ratification de l'accord de
partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et leurs Etats
membres, d'une part, et la Fédération de Russie, d'autre part, signé à Corfou
le 24 juin 1994, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
ACCORD AVEC L'UKRAINE
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 141.
« Article unique.
_ Est autorisée la ratification de l'accord de
partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et leurs Etats
membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part, fait à Luxembourg le 14 juin
1994, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
5
NOMINATION DE MEMBRES
DE COMMISSIONS
M. le président.
Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement pour la République a
présenté une candidature pour la commission des affaires culturelles, une
candidature pour la commission des affaires économiques et du Plan, une
candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées et une candidature pour la commission des affaires sociales.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- M. Gérard Fayolle membre de la commission des affaires culturelles, en
remplacement de M. Sosefo Makapé Papilio, démissionnaire ;
- M. Jean Bizet membre de la commission des affaires économiques et du Plan,
en remplacement de Mme Lucette Michaux-Chevry, démissionnaire ;
- Mme Lucette Michaux-Chevry membre de la commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Yves Guéna, dont le
mandat sénatorial a cessé ;
- M. Sosefo Makapé Papilio membre de la commission des affaires sociales, en
remplacement de M. Jean Bizet, démissionnaire.
6
POURVOIS DEVANT LA COUR DE CASSATION
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 11,
1996-1997), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'examen des pourvois
devant la Cour de cassation. [Rapport n° 160 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je connais vos préoccupations à l'égard des
difficultés que rencontre la Cour de cassation dans son fonctionnement
quotidien et je sais tout l'intérêt que vous portez aux remèdes qui doivent
être recherchés pour remédier à une situation désormais inquiétante.
A vrai dire, un consensus s'est dégagé ces dernières années pour établir le
diagnostic du mal qui frappe la Cour judiciaire suprême.
L'encombrement chronique dont elle souffre a été souvent décrit. Je rappelle
que le nombre des pourvois a fortement progressé de 1975 à 1995, passant de 7
633 à 20 169, soit une croissance de 165 %.
Comme l'a d'ailleurs fort justement rappelé le premier président M. Pierre
Truche vendredi dernier, à l'occasion de la rentrée solennelle de la Cour de
cassation, les causes de cet engorgement sont multiples. Il a bien montré, en
particulier, l'absence de relation entre le nombre important de pourvois et, si
j'ose dire, l'efficacité du travail de la Cour de cassation et du contrôle
qu'elle exerce sur les décisions des cours d'appel.
Certaines causes de cet engorgement tiennent au fonctionnement général de
l'institution judiciaire. Elles ont été dernièrement expertisées par la mission
d'information de la commission des lois du Sénat, chargée d'évaluer les moyens
de la justice. Permettez-moi, à cet égard, de souligner le remarquable travail
effectué par son président, M. Pierre Fauchon, et par son rapporteur, M.
Charles Jolibois, qui est également rapporteur - ce n'est une coïncidence - de
la présente proposition de loi, et dont l'intérêt pour la justice ne se dément
pas.
Vous savez que, pour ma part, j'ai confié, voilà dix-huit mois, au président
Coulon une mission de réflexion et de propositions sur la procédure civile.
Le rapport qui vient de m'être remis constitue la première étape d'une
ambitieuse réforme, que je veux pragmatique et rapide. Les propositions
concrètes et réalistes du président Coulon nous permettront d'adopter
rapidement un certain nombre de mesures importantes.
Mais la situation si particulière de la Cour de cassation au sein de
l'institution judiciaire appelle, à n'en pas douter, une réflexion propre et
des réponses spécifiques.
Cette réflexion, qui a été engagée par mon prédécesseur, voilà près de trois
ans, avait donné lieu à un débat très riche devant votre Haute Assemblée.
Mais, vous vous en souvenez, à défaut d'un consensus sur des solutions de
nature à remédier aux dysfonctionnements de la Cour de cassation, la réforme
alors envisagée n'avait pu aboutir.
A l'époque, certains parlementaires avaient redouté une mutation de notre Cour
de cassation en une cour suprême de type anglo-saxon uniquement chargée de
juger des affaires exemplaires, et donc difficilement accessible à tous les
justiciables.
Depuis lors, chacun s'est convaincu qu'une réforme s'imposait dans le respect
de notre conception classique du rôle de la Cour de cassation. Je voudrais dire
tout simplement le mérite, de ce point de vue, des actuels dirigeants de la
Cour de cassation, le premier président, le procureur général, les présidents
de chambre, et de tous ceux qui se sont efforcés de réaliser la synthèse des
positions, notamment certains responsables de la Chancellerie et, en
particulier, de la direction des affaires civiles, ainsi que le président de la
commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Pierre Mazeaud, lequel est
l'auteur de la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale.
Ce texte se fonde sur une idée judicieuse qui s'est dégagée lors des travaux
de l'Assemblée national et selon laquelle si tous les pourvois méritent une
égale attention, ils n'appellent pas tous un mode de traitement identique.
Il s'agit, en pratique, d'étendre les attributions de l'ancienne formation
restreinte au sein de chacune des chambres de la Cour de cassation pour
permettre un traitement rapide des affaires simples et favoriser
l'approfondissement des dossiers les plus complexes.
Désormais, cette formation restreinte composée de trois conseillers connaîtra
l'ensemble des affaires distribuées après dépôt des mémoires, sous réserve du
pouvoir du premier président ou des présidents de chambre de renvoyer
directement la cause à l'audience de la chambre.
Le principe du contradictoire, auquel vous avez toujours manifesté votre
attachement, est ainsi pleinement respecté.
Cette formation examinera les moyens des parties pour déterminer si la
solution du pourvoi s'impose d'évidence.
Dans ce cas, elle statuera elle-même, quel que soit le sens de la décision,
cassation ou rejet.
Au contraire, lorsque la solution du pourvoi lui paraîtra plus complexe, elle
renverra l'affaire à l'audience de la chambre.
La commission des lois du Sénat a reconnu la pertinence de ce traitement
différencié des pourvois selon leur degré de complexité. Elle propose
toutefois, au terme d'un examen technique tout particulièrement approfondi, des
amendements qui précisent opportunément le sens et la portée du texte.
Alors que la proposition adoptée par l'Assemblée nationale tendait à
s'appliquer tant aux chambres civiles qu'à la chambre criminelle, la commission
des lois du Sénat propose d'en revenir pour cette dernière au droit actuel et
de réserver le nouveau dispositif aux chambres civiles.
Devant la chambre criminelle, le principe resterait que le pourvoi est examiné
par au moins cinq conseillers, et, par exception, si l'affaire est
particulièrement simple, par une formation restreinte de trois conseillers.
Cette proposition me paraît devoir être approuvée pour plusieurs raisons, qui
sont d'ailleurs excellemment rappelées par M. Jolibois dans son rapport. Je n'y
reviendrai donc pas en détail.
Pour ces différentes raisons, j'émettrai un avis favorable sur les amendements
n°s 2 et 4 présentés par la commission.
Par ailleurs, la commission propose de modifier l'alinéa 2 de l'article 1er
pour lever toute ambiguïté sur la compétence de la formation chargée de
l'examen des pourvois.
En effet, elle a relevé que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale et
reprise de l'article L. 131-6 actuel du code de l'organisation judiciaire
pouvait désormais apparaître maladroite.
La commission estime que les termes « lorsque la solution du pourvoi lui
paraît s'imposer » laissent croire que la Cour de cassation peut être amenée à
statuer sur le fondement d'une simple apparence.
Ainsi que l'a souligné M. le rapporteur, la formulation de l'article L. 131-6
actuel fonde une simple mesure d'administration judiciaire d'orientation d'un
dossier. Cette rédaction peut sembler inadaptée, dès lors qu'il s'agit de
redéfinir un pouvoir juridictionnel.
C'est pourquoi il me paraît possible de retenir la rédaction proposée par la
commission des lois du Sénat et de dire que la formation statuera lorsque la
solution du pourvoi s'impose.
Enfin, la commission des lois propose d'adopter un article additionnel tendant
à réduire le quorum de l'assemblée plénière en ramenant de deux à un le nombre
de conseillers de chaque chambre.
J'approuve cet amendement, qui, tout en allégeant le fonctionnement de la Cour
de cassation, ne portera pas pour autant atteinte à la nécessaire solennité de
cette formation qui, d'une part, restera la formation la plus large de la Cour
de cassation, avec dix-neuf membres, et, d'autre part, associera les plus hauts
magistrats de la Cour.
En conclusion, comme chacun peut le constater, la réforme de la Cour de
cassation rencontre désormais un réel consensus et je m'en félicite.
Si l'économie du texte adopté par l'Assemblée nationale mérite largement
d'être approuvée, je tiens à saluer les avancées réalisées par la commission
des lois du Sénat sous l'impulsion de son rapporteur, à qui j'exprime tous mes
remerciements pour la qualité de son travail d'analyse.
Cela étant dit, je ne m'exprimerai pas longuement lors de la discussion des
articles, puisque le Gouvernement accepte les amendements présentés par la
commission. Ainsi, notre débat sera plus simple et plus clair.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux ans après l'adoption
par le Sénat d'un projet de loi portant réforme de l'organisation de la Cour de
cassation et qui n'avait pas été adopté par l'Assemblée nationale, le Sénat est
à nouveau saisi d'un texte - il s'agit, en l'occurrence, non pas d'un projet de
loi, mais d'une proposition de loi - qui a le même objet, à savoir remédier à
l'encombrement de la juridiction suprême de l'ordre judiciaire.
Le système adopté par l'Assemblée nationale et que nous examinons aujourd'hui
diffère à la fois de la proposition de loi initiale et du projet de loi initial
de 1994. En effet, il ne s'agit plus de créer une formation d'admission dans
chaque chambre de la Cour de cassation, chargée de rejeter les pourvois
manifestement irrecevables. Aux termes de ce nouveau texte, les affaires
viendraient toutes devant une formation de trois magistrats chargée de statuer
immédiatement, c'est-à-dire de rejeter le pourvoi ou de casser la décision
soumise.
D'une certaine manière, le nouveau texte est plus simple, et son application
devrait être plus efficace, puisque, en cas d'admission des dossiers, il évite
l'examen de ces derniers par deux instances au sein de la Cour : une fois
admis, les dossiers devaient en effet être réexaminés pour, éventuellement,
casser la décision.
Nous avions souligné dans notre précédent rapport l'urgence d'une solution
qui, en chiffres actualisés, se résume au constat suivant : en dépit de
l'augmentation substantielle, en treize ans, des affaires jugées, la Cour de
cassation jugeait par an 15 813 arrêts en 1982 et 27 843 en 1995. Malgré cet
effort et le nombre des arrêts rendus, le stock des affaires restant à juger
par la Cour de cassation avait plus que doublé : de 17 856 en 1982, il était
passé à 36 208 en 1995.
Malgré une légère éclaircie en 1995, les chiffres des trois premiers
trimestres de l'année 1996 sont caractérisés par une reprise de l'augmentation
du stock des affaires à juger.
Dans mon rapport de 1994, j'avais expliqué cette situation par le caractère de
plus en plus contentieux de notre société, par l'importance quantitative des
recours dispensés du ministère d'avocat et par l'importance croissante des
décisions rendues en premier et dernier ressorts, sans possibilité d'appel.
Dans ce dernier cas, les plaideurs ont tendance à assimiler la Cour de
cassation à un second degré de juridiction.
Il faut rappeler en outre que, malgré le doublement du nombre des pourvois en
treize ans, les effectifs des magistrats ont légèrement diminué, comme vous
pourrez le constater à la page 7 du rapport de la commission des lois.
Depuis plusieurs années, des réformes sont intervenues pour essayer d'enrayer
cette augmentation des stocks et de trouver une solution, sans jamais proposer
de revenir à l'ancienne chambre des requêtes, qui alourdirait la procédure.
A cet égard, la loi du 6 août 1981 se trouve, au fond, à l'origine de la
réforme qui vous est soumise aujourd'hui, mes chers collègues. Cette loi avait
en effet créé les formations restreintes de trois magistrats et dérogé à la
règle minimale des cinq magistrats nécessaires pour rendre un arrêt.
Le renvoi à la formation restreinte était décidé par le Premier président de
la Cour de cassation ou le président de la chambre concernée.
Cette première importante réforme n'avait pas suffi à endiguer le flot des
pourvois et, surtout, à limiter les retards accumulés chaque année.
Le système qui vous est maintenant proposé, mesdames, messieurs les sénateurs,
va renverser, en quelque sorte, une partie de la proposition de loi de 1981 :
la règle ordinaire deviendrait, si vous acceptez ce nouveau système, le
jugement par une formation restreinte de trois magistrats, qui pourront décider
eux-mêmes du renvoi à la chambre, composée de cinq membres ou plus.
Enfin, le Premier président de la Cour de cassation ou le président de la
chambre concernée peuvent, par une sorte de droit d'évocation, décider le
renvoi à la chambre sans passer par la formation restreinte ; la demande de
renvoi à la chambre peut être faite d'office ou être formulée soit par le
procureur général, soit par l'une des parties.
Enfin et surtout, la formation restreinte peut non seulement rejeter le
pourvoi, mais aussi prononcer la cassation, ce qui évite un réexamen, après
l'admission du dossier, par la formation qui, elle, jugerait en cas
d'admission.
Je signale au passage que, lors de mes auditions, je me suis aperçu que ce
système serait beaucoup plus rapide que celui qui est en vigueur au Conseil
d'Etat, système dans lequel la formation d'admission ne peut pas juger ; cela
explique que, lorsque le dossier est admis au Conseil d'Etat, une nouvelle et
très longue procédure est nécessaire avant le jugement.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Raoul Béteille, qui est un peu, à
la vérité, l'inventeur du système actuel, a, à mon avis, parfaitement présenté
l'économie de ce dispositif : « Ce que je vous propose, c'est non pas de créer
une nouvelle formation chargée de filtrer les recours ensuite jugés en
formation restreinte ou ordinaire, mais de poser en principe dans la loi
l'examen de toutes les affaires distribuées à une chambre par une formation
restreinte de trois magistrats, qui existe déjà, le renvoi à la chambre
composée au moins de cinq magistrats étant désormais l'exception. »
La commission des lois a approuvé cette réforme. Elle a fait remarquer que
cette dernière allait pleinement dans le sens recommandé par l'excellent
rapport de notre collègue M. Fauchon, présenté au nom de la mission « justice »
créée par la commission des lois.
Elle a toutefois fait trois propositions d'amendements, outre des amendements
de coordination, et une suggestion, qui résultent de toutes les consultations
et auditions auxquelles elle a procédé à l'occasion non seulement de ce
rapport, mais aussi de celui que j'avais eu l'honneur de rédiger en 1994.
J'aimerais vous exposer maintenant l'objet de ces trois amendements, mes chers
collègues.
Premièrement, la commission des lois a souhaité la prise en compte de la
spécificité de la chambre criminelle. Pour cette dernière, il semble préférable
à la commission que la formation restreinte ne soit saisie que de manière
exceptionnelle, et non pas de manière ordinaire. C'est pourquoi l'amendement a
pour objet de maintenir, pour cette chambre, le système exceptionnel de la
formation restreinte.
Deuxièmement, la commission des lois a estimé qu'il fallait dire que la
formation restreinte statuerait lorsque la solution s'imposera, et non pas «
lorsqu'elle paraît s'imposer ».
En effet, les mots « paraît s'imposer » ne pouvaient s'appliquer qu'au cas où
le président, qui ne jugeait pas mais décidait de renvoyer à la formation
restreinte, prenait une simple décision d'administration de la justice. C'est
pourquoi la formule « paraît s'imposer », qui était appropriée dans le système
prévu par le texte de 1981, ne l'est plus dans le nouveau système.
Troisièmement, la commission des lois propose un allégement de l'assemblée
plénière, en ramenant le nombre de magistrats qui la composent de 25 à 19.
J'ai été heureux d'apprendre, monsieur le garde des sceaux, que vous
approuviez ces trois amendements.
Outre ces trois amendements, la commission des lois m'a chargé d'exprimer un
voeu, qui pouvait difficilement faire l'objet d'un amendement puisque son objet
est de nature réglementaire.
Il faudrait exiger - cela me paraît possible - non pas le ministère
obligatoire de l'avocat en matière civile, mais l'examen du pourvoi,
préalablement à son dépôt, par un avocat à la Cour de cassation.
Seules la France et l'Irlande, au sein de l'Union européenne, ont une
législation permettant la présentation du pourvoi à la cour suprême sans
avocat.
Cette réforme de nature réglementaire est souhaitée non seulement par les
magistrats du bureau de la Cour de cassation, mais également par une grande
organisation syndicale qui, dans une lettre officielle, considère que le
demandeur devrait avoir un avocat à la Cour de cassation, sous réserve d'une
réforme du droit à l'aide juridictionnelle.
La commission des lois espère que le texte de l'Assemblée nationale, modifié
par les trois amendements proposés, ainsi que l'accueil favorable que vous
réserverez, comme nous le souhaitons, monsieur le garde des sceaux, au voeu que
nous vous adressons seraient de nature à améliorer la situation d'encombrement,
hélas ! constatée, et ce assez rapidement.
Ainsi serait sauvegardée pour notre pays l'indispensable et précieuse nature
de notre juridiction suprême, dont la jurisprudence est non seulement
unificatrice mais aussi créatrice de droits.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Robert
Badinter applaudit également.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà deux
ans, le Parlement examinait un projet de loi portant réforme de l'organisation
de la Cour de cassation présenté par le garde des sceaux de l'époque, M.
Méhaignerie.
Le texte, qui visait à remédier au problème chronique de l'encombrement de la
juridiction suprême de l'ordre judiciaire, avait alors soulevé un tollé quasi
unanime de la part des professionnels concernés.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'en étaient fait
l'écho et avaient défendu, à cette occasion, une motion tendant à opposer
l'exception d'irrecevabilité, qui fut bien évidemment rejetée.
Quand ce projet de loi vint à l'Assemblée nationale pour y être débattu, les
députés, avec en tête M. Mazeaud, ont rejeté les principaux articles du texte,
contraignant ainsi le garde des sceaux à retirer celui-ci en séance.
Pour notre part, nous avions émis de nombreuses réserves, que je me permets
d'évoquer ici brièvement.
Le projet de loi initial de 1994 visait à créer dans chaque chambre une
commission d'admission de trois magistrats chargée de rejeter sans motivation
les pourvois paraissant irrecevables et ne reposant sur aucun moyen sérieux.
Si ce système, qui visait à instituer un double examen pour une même affaire,
avait été retenu, il aurait eu notamment pour conséquence d'allonger la durée
de la procédure et d'aboutir à des « cassations lentes » et des « rejets
rapides ».
Par ailleurs, les magistrats affectés dans les commissions d'admission
auraient été pris sur l'effectif des chambres, ce qui, en termes de moyens,
n'aurait pas été sans conséquences sur le fonctionnement de ces services.
De plus, la réforme inachevée de 1994, avec le filtrage des pourvois, avait
l'inconvénient de figer la jurisprudence, étant entendu que les moyens
novateurs, contraires à la jurisprudence, auraient été écartés au motif qu'ils
n'étaient pas « sérieux ».
En fait, cette réforme se serait à terme révélée inutile, car, d'une part, le
gain de temps pour traiter les affaires n'aurait certainement pas été effectif
et, d'autre part, l'existence au sein de la Cour de cassation des « formations
restreintes » pour les affaires dites « simples » devait suffire.
Les dispositions du texte de 1994 étaient dangereuses car, outre le fait
qu'elles créaient un second degré d'admission, elles auraient nécessairement
empiété sur les droits fondamentaux des justiciables. Je veux parler ici de
l'atteinte au principe de l'égalité des citoyens devant la justice, de la
remise en cause du droit d'agir en justice, du respect des droits de la
défense, du droit à un procès équitable, du droit au recours en cassation et,
enfin, du principe fondamental de voir sa cause soumise au moins à une voie de
recours.
A vrai dire, notre position de principe de l'époque reste valable pour la
nouvelle version signée, cette fois-ci, de M. Mazeaud.
Cependant, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 3
octobre 1996 se distingue du texte adopté par le Sénat en 1994, et donc du
texte initial de la proposition de loi de M. Mazeaud.
En effet, il s'agit non plus de créer une formation d'admission de trois
magistrats chargée, au sein de chaque chambre civile, comme cela vient d'être
dit, de rejeter les pourvois manifestement irrecevables ou dépourvus de moyens
sérieux de cassation, mais de renvoyer les affaires à une formation de trois
magistrats chargée, au sein de chaque chambre, de statuer immédiatement, en
rejetant mais aussi en cassant les pourvois dont la solution lui paraît
s'imposer.
Avec cette proposition de loi, la formation ordinaire est celle de trois
membres, et l'exception, la formation élargie à cinq membres. Toutes les
affaires seront donc examinées par la formation de trois membres, et non plus
seulement celles qui sont transmises par le Premier président ou par le
président de chambre.
Toutefois, le Premier président ou le président de la chambre concernée, ou
leurs délégués, d'office ou à la demande du procureur général, ou de l'une des
parties, peuvent renvoyer directement l'affaire à l'audience de la chambre par
décision non motivée.
Certes, la réforme engagée traduit la volonté de remédier à l'engorgement
toujours croissant de la juridiction : le nombre de pourvois a augmenté de 165
% de 1975 à 1995.
Cela étant, le nombre de décisions des tribunaux et des cours d'appel s'élève
constamment, et, corrélativement, la proportion des pourvois qui en résultent
demeure constante ou inférieure : sur vingt ans, de 1974 à 1994, les recours en
cassation croissent proportionnellement moins que les appels et les premières
instances. C'est ce qui ressort du rapport de M. Fauchon qui a été cité
plusieurs fois.
De plus, les statistiques révèlent une diminution de la proportion des
pourvois que l'on peut qualifier de téméraires et une augmentation constante de
pourvois issus de jugements et d'arrêts entachés d'erreurs de procédure, voire
de droit.
La résolution des problèmes de surcharge de travail de la Cour de cassation
résultant de l'augmentation des contentieux, en particulier au civil, implique
de donner les moyens budgétaires suffisants pour que la justice de notre pays
puisse assumer sa mission dans des conditions satisfaisantes.
Or c'est une diminution des effectifs de magistrats que l'on constate depuis
1991.
En réalité, le texte qui nous est proposé confirme une situation existante,
celle du recours très important à la formation restreinte créée par les lois du
3 janvier 1975 et du 6 août 1981, qui fonctionne depuis plusieurs mois
maintenant en vitesse de croisière, puisque près des deux tiers des affaires y
sont jugées ainsi.
Dès lors, nous sommes en droit de nous interroger sur l'intérêt qu'il y a à
légiférer en la matière et de nous demander s'il ne s'agit pas simplement d'un
coup d'épée dans l'eau.
Je rappelle que de nombreuses réformes concernant la Cour de cassation sont
intervenues et que force est de constater qu'elles n'ont pas eu les effets
escomptés.
Le système qui nous est présenté est, dans les faits, inopérant et sans grand
intérêt, puisqu'il consacre la pratique actuelle sans rien apporter de plus au
fonctionnement de la Cour de cassation.
Aussi dois-je avouer ne pas comprendre pourquoi le Sénat tient séance sur un
texte qui ne change rien à la situation actuelle. La session unique, notamment
la journée d'initiative parlementaire, pourraient être mieux employées !
Par ailleurs, la rédaction même des articles de la proposition de loi se
révèle trop vague.
Par exemple, l'article 1er prévoit que « les affaires sont examinées par une
formation de trois magistrats ». Quels sont-ils ? Les conseillers référendaires
sont-ils concernés ?
Quant à l'article 2, vise-t-il une véritable audience publique, au cours de
laquelle les avocats s'expriment oralement et où le ministère public fait
valoir ses observations ?
D'une façon plus générale, d'autres questions demeurent quant au respect du
débat contradictoire et des droits de la défense.
Peut-on accepter une généralisation du recours à la formation restreinte,
alors que nous estimons, pour notre part, qu'il est au contraire nécessaire
d'adapter les moyens à la justice et non pas d'adapter la justice aux moyens
?
Ces observations et interrogations conduiront mon groupe à s'abstenir sur ce
texte.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est
toujours une excellente occasion lorsque le moment vient, comme aujourd'hui, de
rendre témoignage à la Cour de cassation. Non seulement pour la qualité de ses
travaux lorsqu'elle assume sa fonction régulatrice de notre droit, non
seulement pour les progrès toujours intéressants, parfois même audacieux,
qu'elle imprime à notre jurisprudence, mais aussi, ce qui est plus mal connu,
pour l'éclat avec lequel elle soutient la réputation de notre justice en dehors
de nos frontières : la Cour de cassation, à cet égard, représente, bien au-delà
de l'Hexagone et au-delà même de l'Union européenne, une sorte de modèle
juridictionnel ; j'ai eu l'occasion de le mesurer bien souvent à l'Est de
l'Europe. C'est dire à quel point nous devons à ses magistrats reconnaissance
et combien nous devons être attachés à lui conserver les moyens de son
fonctionnement.
Je le dis d'emblée, le groupe socialiste votera le projet de loi qui nous est
soumis aujourd'hui, cela va de soi. Nous savons qu'il a été élaboré en étroite
concertation avec les magistrats, notamment avec les présidents de chambre de
la Cour de cassation, et nous savons que ces derniers souhaitent que le projet
soit voté en l'état. Nous n'aurions aucune raison, par conséquent, de nous y
dérober.
J'ajoute qu'il est en quelque sorte naturel, s'agissant des règles de
fonctionnement interne de notre juridiction suprême, que l'on s'en remette
d'abord à l'initiative de ceux qui portent la lourde responsabilité de son
fonctionnement.
Cela étant, nous voterons ce texte sans aucune réserve, même s'il demeure, de
notre part et sans doute de la part de quelques-uns d'entre nous, un certain
scepticisme sur les fruits d'une réforme dont nous prenons la mesure, au regard
du passé récent, avec une certaine mélancolie.
Notre excellent rapporteur, M. Jolibois, a bien voulu rappeler l'importance,
dans l'évolution de la Cour de cassation, de la loi du 6 août 1981. Vous me
permettrez, à cet égard, une confidence personnelle : j'étais très jeune dans
la fonction de garde des sceaux - je ne l'exerçais que depuis six semaines -
lorsque j'ai présenté ce projet de loi en conseil des ministres. J'y ai alors
été accueilli plus que fraîchement : le Président de la République, notamment,
m'a fait remarquer, dans un style élégant, qu'il s'étonnait quelque peu et que,
dans le climat de l'été 1981, l'on attendait autre chose du nouveau garde des
sceaux qu'un texte concernant la composition des formations de la Cour de
cassation. L'urgence n'apparaissait pas extrême aux yeux de mes interlocuteurs,
auxquels j'ai répondu que la Cour de cassation était... Bref, je ne vais pas
reprendre l'antienne que j'ai développée voilà un instant devant vous.
Je constate que, depuis lors, le législateur - la commission des lois, le
Sénat, l'Assemblée nationale, les gardes des sceaux successifs, M. Toubon étant
le sixième depuis cette période - n'a pas ménagé sa peine. Cependant, quelles
que soient les réformes intervenues, la plupart suggérées par la Cour de
cassation, on constate - il suffit pour cela de lire l'excellent rapport de
notre ami M. Fauchon - que la situation ne s'est pas éclaircie.
Je note ainsi avec quelque mélancolie, quinze ans plus tard, que les propos
tenus à l'époque par le jeune ministre que j'étais sont toujours d'actualité :
je disais alors que « notre plus haute juridiction connaît un encombrement
alarmant ». M. le rapporteur n'a-t-il pas fait tout à l'heure le même constat
?
En 1810, le nombre de décisions rendues par la Cour de cassation s'élevait à
environ 250 par an - ô temps heureux ! - mais il est passé à 2 000 en 1920 et à
10 000 en 1975. Il dépassait 15 000 en 1981 et, sauf erreur de ma part, nous en
sommes à 27 843 en 1995.
M. Christian Bonnet.
Avec le même nombre de magistrats !
M. Robert Badinter.
Le nombre de pourvois, au cours de la même période, est passé de 16 000 à 26
000. Le moins que l'on puisse dire est que la Cour de cassation n'a pas ralenti
son effort mais que le stock des affaires a continué de croître : le nombre
d'affaires restant à juger est en effet passé de 17 856 en 1982 à 36 208
aujourd'hui.
C'est ce constat qui explique notre inévitable scepticisme. En vérité, la Cour
de cassation fait tout ce qu'elle peut, et nous devons lui en rendre
témoignage, mais chacun conçoit que la nécessaire réforme d'aujourd'hui ne
résoudra pas la question. Elle facilitera le traitement des pourvois, elle
permettra peut-être d'aller plus vite, sinon d'améliorer la situation, mais
notre juridiction suprême demeurera confrontée à deux lois que tous ceux qui
s'intéressent au fonctionnement de la société actuelle et de notre institution
judiciaire connaissent bien : la première est la loi de l'inflation dans des
sociétés hyper-réglementées et conflituelles - rien ne pouvant s'opposer à la
diminution du nombre des conflits dans notre société, je suis convaincu qu'il
ne cessera de croître - tandis que la seconde, qui est une caractéristique plus
affirmée encore à notre époque qu'auparavant, est que les plaideurs vont
jusqu'au terme, la plupart du temps, des voies de recours qui leur sont
offertes, pour de multiples raisons.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Pourquoi s'en empêcheraient-ils ?
M. Robert Badinter.
En présence de ces deux facteurs, la multiplication des conflits et l'ardeur
des plaideurs à mener jusqu'à leur terme les recours possibles, il est évident
que la réflexion doit s'exercer en profondeur et que les réformes doivent être
menées en conséquence.
Des pistes ont été ouvertes et vous nous annoncez, monsieur le garde des
sceaux, un rapport de M. Coulon, excellent magistrat. Nous l'attendons avec
beaucoup d'intérêt et nous souhaitons que la commission des lois soit
étroitement associée aux travaux qui en découlent, même s'il s'agit du domaine
réglementaire.
Il demeure - je ne cesserai de le répéter au risque de paraître fastidieux -
que la question se jouera en amont de l'institution judiciaire. Ou bien nous
repenserons les modes de solution des conflits hors de l'institution judiciaire
à l'intérieur de la société civile, ou bien continuera cette course perdue
d'avance entre le nombre de litiges et les moyens dont nous disposerons.
Cela étant, il est évident que nous voterons aujourd'hui le projet de loi qui
nous est présenté.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la
modestie de ce texte n'incite certainement pas à des débats fiévreux, et
l'ambiance de cette séance le montre bien : elle incite plutôt à quelques
réflexions qui peuvent néanmoins être utiles.
Je me bornerai donc à formuler deux ou trois observations.
La première, sur le mode un peu humoristique, pour regretter, après Mme Borvo,
qu'il ait fallu tant de marches et de contremarches pour en arriver à
enregistrer formellement une pratique constante depuis déjà bien des années de
la Cour de cassation. Je n'en ferai pas davantage le commentaire, mais nous
n'avons pas le sentiment, monsieur le garde des sceaux, il faut bien l'avouer,
de nous situer ici dans la politique des grandes réformes.
J'espère, en tout cas, que nous n'amorçons pas le syndrome du « turbot de
Domitien ».
(Sourires.)
Je fais ici allusion à cette épisode de l'Antiquité où
l'empereur Domitien, qui a d'ailleurs laissé un détestable souvenir, consultait
le Sénat sur des questions qui pourraient apparaître comme subalternes,
notamment sur la meilleure façon d'apprêter le turbot.
Si je prends le risque d'évoquer le turbot sans craindre de faire offense à la
Cour de cassation, c'est que je considère que la haute juridiction se situe à
un degré d'excellence dans l'ordre des juridictions comparable à celui du
turbot dans l'ordre des poissons.
(Sourires.)
Sinon, je ne me risquerais pas à de telles comparaisons, qui
pourraient être mal comprises.
Ma deuxième réflexion tempère peut-être un peu la première. Il semble, en
effet, que cette procédure en zig-zag, ou en forme de tango - on avance, on
recule... - nous conduise tout de même, avec l'aide de M. Béteille et comme l'a
rappelé notre excellent collègue M. Jolibois, à une solution qui est
probablement, quelques années s'étant écoulées, la plus réaliste. Car il est
bien vrai que les chambres d'admission, auxquelles nous avions pensé dans notre
innocence et dans un premier temps, sont sujettes à critiques et à soupçons, à
tort ou à raison, et que le principe général du traitement des recours civils
par une formation réduite, sauf renvoi devant une formation plus complète si
l'affaire paraît spécialement complexe, est au fond une solution plus saine et
moins contestable.
Elle se situe d'ailleurs dans la ligne de ce que nous faisons par ailleurs :
de même qu'au niveau de l'instance, et de plus en plus à la cour d'appel, les
affaires sont étudiées par un juge unique - ce qui est d'ailleurs peut-être
parfois peu heureux - on réduit le nombre des magistrats. Nous sommes bien dans
ce processus : nous n'avons pas assez de magistrats, donc nous réduisons leur
nombre à l'instance.
Je dois dire qu'il me paraît raisonnable de procéder ainsi car, à la
différence de ce qui se passe pour d'autres juridictions, ce ne serait pas une
bonne chose que de multiplier les magistrats et les chambres à la Cour de
cassation. En effet, nous aurions alors un émiettement de la jurisprudence,
alors que la vocation principale de la Cour de cassation est de concentrer
celle-ci.
Nous nous situons ici dans une problématique qui est bien différente de celle
des juridictions de première instance ou d'appel. Après M. le rapporteur et
d'autres intervenants, je pense qu'il est réaliste et raisonnable d'approuver
ce qui, encore une fois, correspond à la pratique actuelle.
Ma troisième réflexion portera sur ce qui a été le thème principal développé
par mon prédécesseur à cette tribune, notre excellent collègue M. Badinter. Il
s'agit de l'inflation du contentieux à laquelle nous assistons.
En procédant à une analyse plus fine, on s'aperçoit que cette inflation pose
le problème de la fonction même de la Cour de cassation. Je me permets de
rappeler que, pour ses concepteurs, la juridiction suprême avait pour rôle
essentiel de dire le droit, d'en trancher les difficultés, d'unifier la
jurisprudence et, éventuellement, d'apporter des solutions nouvelles à des
problèmes dont le législateur ne s'était pas encore préoccupé.
On s'aperçoit toutefois que, parallèlement à cette mission proprement
juridique, qui est ou, plutôt, qui était l'essentiel du rôle de la Cour de
cassation, apparaît maintenant de plus en plus une mission en quelque sorte
disciplinaire qui consiste tout simplement à corriger les jugements, les
insuffisances ou les incohérences des motifs, le défaut de base légale, le
défaut de réponse à des conclusions ou encore les dénaturations manifestes de
documents.
Dans toutes ces hypothèses, on ne dit pas le droit, on ne censure pas le
juriste, on censure le système judiciaire parce qu'il en a besoin et parce que,
en réalité, disons-le, les arrêts semblent de plus en plus sujets à critiques
dans leur technique même, par manque d'analyse juridique cohérente.
Cela montre que nous sommes en présence d'un problème de fond, qui caractérise
l'évolution la plus récente de notre justice et qui est d'ailleurs le
contrecoup de cette inflation au niveau de la première instance et de l'appel,
et des mesures que nous prenons pour la traiter, à savoir la réduction du
nombre de magistrats, de sorte que les arrêts sont de moins en moins conformes
à l'idée qu'on peut s'en faire. Je n'en dirai pas plus !
La statistique qui m'impressionne le plus, c'est celle selon laquelle la Cour
de cassation censure une décision de cour d'appel sur trois. C'est considérable
! Il n'est pas normal qu'une décision déférée sur trois soit censurée, la
plupart du temps pour des raisons qui relèvent de cette discipline judiciaire
dont je parlais à l'instant.
Cette réflexion sur les problèmes que connaît la Cour de cassation nous
conduit ainsi à remonter, comme on nous y invitait tout à l'heure, aux
difficultés de notre justice à traiter la masse du contentieux et, plus
spécialement, ce fameux contentieux de masse, dont le traitement occupe
tellement les magistrats qu'ils n'ont plus le temps de traiter de manière
convenable ce que j'appellerai le contentieux classique.
Se pose ainsi de nouveau un problème que nous avons déjà évoqué à plusieurs
reprises et sur lequel nous divergeons probablement un peu, celui de la
nécessité de trouver un mode de traitement du contentieux de masse. Nous
l'imaginons, en ce qui nous concerne, interne au système judiciaire ; cela ne
paraît pas possible à notre collègue M. Badinter. On peut en débattre.
En tout cas, nous pensons l'un comme l'autre qu'il faut trouver un mode de
traitement adapté de ce contentieux de masse, de manière à libérer les
magistrats si bien formés que nous avons maintenant, qui sont très supérieurs
aux magistrats d'il y a un demi-siècle. Ainsi, les magistrats pourront, dans
l'ordre du contentieux classique, disposer du temps nécessaire pour rendre des
décisions qui, du fait de leur qualité, notamment au niveau des cours d'appel,
seront moins souvent susceptibles d'être déférées à la Cour de cassation.
Nous touchons là du doigt le problème essentiel. Nous en reparlerons, monsieur
le garde des sceaux, en d'autres circonstances, dans le courant de l'année,
lors de l'examen du texte que vous tirerez des propositions de M. Coulon, bien
sûr, mais peut-être aussi lorsque seront rendues les conclusions de la mission
que l'on est en train de mettre sur pied.
Puis-je, saisissant cette occasion, vous demander, monsieur le garde des
sceaux, si, dans votre esprit, cette mission se limite aux questions de la
préservation du secret, de la présomption d'innocence et du statut du parquet
ou si, comme je l'avais compris dans les déclarations du chef de l'Etat, elle
s'étend aussi aux problèmes, disons de la justice ordinaire, dont M. Jacques
Chirac, dans son intervention, a tenu à parler, encore que la presse, qui,
naturellement, s'y intéresse fort peu, ne l'y ait guère encouragé.
Nous, gens de province, ancrés dans le quotidien, nous nous y intéressons
beaucoup, car c'est, à nos yeux, le principal problème de notre justice.
Si vous pouvez nous éclairer sur ce point, monsieur le garde des sceaux, je
vous en saurai gré.
Dans l'immédiat, en votant un texte qui entérine les pratiques actuelles de la
Cour de cassation et qui pour cette raison n'a aucune chance d'apporter des
améliorations substantielles, nous entendons surtout témoigner à la juridiction
suprême, à la suite de ce qui a été dit tout à l'heure, pour la qualité de son
travail et pour son sens des responsabilités, notre estime et notre
confiance.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je souhaite répondre brièvement à deux questions qui
viennent de m'être posées.
La première, soulevée à l'instant par M. Fauchon, porte sur l'étendue de la
mission de la commission de réflexion sur la justice.
Monsieur Fauchon, M. le Président de la République aura l'occasion, lorsqu'il
installera lui-même cette commission, qu'il a appelée de ses voeux le 12
décembre dernier, d'en fixer exactement la mission.
Ce que je peux d'ores et déjà dire, c'est que cette mission ne portera pas sur
les questions de l'organisation, du fonctionnement et des moyens de la justice,
questions pour lesquelles M. le Président de la République - il l'a également
dit le 12 décembre - a donné priorité au Gouvernement, qui en traitera dans
l'exercice normal de ses fonctions.
La seconde question, posée par MM. Jolibois et Badinter, concerne l'accès à la
Cour de cassation, notamment l'obligation ou la dispense du ministère
d'avocat.
A cet égard, je ferai deux observations.
D'abord, le rapport Coulon est, de manière générale, favorable au
rétablissement du ministère d'avocat dans un certain nombre de cas où il a été
à une époque supprimé et où, manifestement, les résultats ne sont pas à la
hauteur des espérances, si je puis dire.
Ensuite, pour ma part, je suis favorable au fait qu'on envisage le recours au
ministère d'avocat devant la chambre sociale de la Cour de cassation, à
condition, naturellement, que par ailleurs on prévoie un certain nombre de
mesures pour que le bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation
fonctionne conformément à cette nouvelle procédure.
C'est certainement l'une des dispositions que nous étudierons, dans les
semaines qui viennent, de manière à alléger les procédures.
Je vais donc dans le sens de ce qui a été dit par la mission Jolibois-Fauchon
il y a quelques semaines, et par M. Badinter lui-même au cours de la séance
d'adoption du rapport de cette mission.
Telles sont les réponses que je souhaitais apporter aux intervenants, monsieur
le président.
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président.
Par amendement n° 1, M. Jolibois, au nom de la commission, propose d'insérer,
avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le second alinéa de l'article L. 121-6 du code de l'organisation
judiciaire, les mots : "ainsi que deux conseillers" sont remplacés
par les mots : "ainsi qu'un conseiller pris au sein". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement tend à réduire de vingt-cinq à dix-neuf le
nombre des magistrats composant l'assemblée plénière.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Il confirme qu'il est favorable à cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.
Mme Nicole Borvo.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, avant l'article 1er.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - L'article L. 131-6 du code de l'organisation judiciaire est
ainsi rédigé :
«
Art. L. 131-6
. _ Après le dépôt des mémoires, les affaires sont
examinées par une formation de trois magistrats appartenant à la chambre à
laquelle elles ont été distribuées.
« Lorsque la solution du pourvoi lui paraît s'imposer, cette formation statue
immédiatement. Dans le cas contraire, elle renvoie l'examen du pourvoi à
l'audience de la chambre.
« Toutefois, le premier président ou le président de la chambre concernée, ou
leurs délégués, d'office ou à la demande du procureur général ou de l'une des
parties, peuvent renvoyer directement une affaire à l'audience de la chambre
par décision non motivée. »
Par amendement n° 2, M. Jolibois, au nom de la commission, propose, dans le
premier alinéa du texte présenté par cet article pour l'article L. 131-6 du
code de l'organisation judiciaire, après les mots : « les affaires », d'insérer
les mots : « soumises à une chambre civile ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement vise à insérer les mots : « soumises à une
chambre civile » à un endroit qui correspond à l'exclusion de la chambre
criminelle du nouveau mécanisme des chambres restreintes. Je m'en suis déjà
expliqué.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Il y a des raisons de retenir la solution proposée. Le
Gouvernement est donc favorable à cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 3, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de rédiger
comme suit la première phrase du deuxième alinéa du texte présenté par
l'article 1er pour l'article L. 131-6 du code de l'organisation judiciaire :
« Cette formation statue lorsque la solution du pourvoi s'impose. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il s'agit de la substitution des mots « s'impose » aux mots «
paraît s'imposer ». Ce qui était normal dans le cadre de l'administration
judiciaire - pouvoir exercé par le président - ne l'est plus lorsqu'une
formation statue en matière juridictionnelle.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 4, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de
compléter
in fine
le texte présenté par l'article 1er pour l'article L.
131-6 du code de l'organisation judiciaire par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la solution d'une affaire soumise à la chambre criminelle lui paraît
s'imposer, le premier président ou le président de la chambre criminelle peut
décider de faire juger l'affaire par une formation de trois magistrats. Cette
formation peut renvoyer l'examen de l'affaire à l'audience de la chambre à la
demande de l'une des parties ; le renvoi est de droit si l'un des magistrats
composant la formation restreinte le demande. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement est en quelque sorte un amendement de
coordination.
On maintient le système ancien pour la chambre criminelle. Il faut bien
consacrer un paragraphe particulier à cette chambre criminelle puisque les
chambres civiles ont maintenant des chambres restreintes.
Le présent amendement consiste donc à maintenir le texte ancien pour la
chambre criminelle.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Articles 2 et 3
M. le président.
« Art. 2. _ Il est inséré, dans le même code, un article L. 131-6-1 ainsi
rédigé :
«
Art. L. 131-6-1
. _ A l'audience de la chambre, au moins cinq de ses
membres ayant voix délibérative sont présents. » -
(Adopté.)
« Art. 3. _ Il est inséré, dans le même code, un article L. 131-6-2 ainsi
rédigé :
«
Art. L. 131-6-2
. _ Les chambres mixtes et l'assemblée plénière ne
peuvent siéger que si tous les membres qui doivent les composer sont présents.
En cas d'empêchement de l'un de ces membres, il est remplacé par un conseiller
désigné par le premier président ou, à défaut de celui-ci, par le président de
chambre qui le remplace. » -
(Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Rufin pour explication de vote.
M. Michel Rufin.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la
Cour de cassation, malgré la célérité et la compétence de ses magistrats, se
trouve menacée d'asphyxie, comme l'ont brillamment souligné à la fois M. le
garde des sceaux et M. Jolibois, notre sympathique et dévoué rapporteur.
Certes, les pouvoirs publics se sont efforcés d'écarter les pourvois
dilatoires par les moyens du retrait du rôle, en vertu de l'article 1009-1 du
nouveau code pénal, ou de la condamnation pour recours abusif, conformément à
l'article 628 du nouveau code de procédure civile. Cependant, ces mesures n'ont
pas suffi ; l'encombrement de la Cour de cassation, quelle que soit la chambre
saisie, ne cesse d'augmenter, comme en témoignent les chiffres qui nous ont été
fournis par M. le rapporteur.
Les raisons en sont multiples : le caractère de plus en plus contentieux de
notre société ; l'importance quantitative des recours dispensés du ministère
d'un avocat, mais aussi des décisions rendues en premier et en dernier lieu
ressort sans possibilité d'appel ; le fait que certains justiciables, dont le
nombre va croissant, considèrent la Cour de cassation comme un troisième degré
de juridiction.
Cet ensemble de raisons ne sont, bien entendu, pas étrangères à ces recours
presque courants devant la Cour de cassation.
Le dispositif que nous venons d'examiner présente une grande originalité au
regard des projets élaborés en 1994.
Se fondant sur une expérience menée au sein de la première chambre civile, il
pose le principe que toutes les affaires seront examinées par une formation de
trois magistrats, qui aura le pouvoir soit de rejeter le pourvoi en cassation,
soit de prononcer la cassation.
Le renvoi devant une chambre composée d'au moins cinq magistrats, qui était
auparavant la règle, deviendra l'exception, la décision prise en formation
restreinte devenant le droit commun.
Le groupe du RPR se réjouit de cette solution, qui consacre une pratique déjà
éprouvée et qui permettra d'éviter l'encombrement excessif de la Cour de
cassation.
Par ailleurs, nous approuvons la prise en compte de la spécificité de la
chambre criminelle, la délimitation de la compétence des formations
restreintes, qui statueront - c'est important - quand la solution s'imposera,
ainsi que la modification de la composition de l'assemblée plénière, jugée
actuellement trop lourde.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que le groupe du RPR, auquel j'ai
l'honneur d'appartenir, votera ce texte.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Mme Nicole Borvo.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(La proposition de loi est adoptée.)
7
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale, facilitant la création d'établissements
publics locaux.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 180, distribuée et renvoyée
à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
8
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 21 janvier 1997, à seize heures :
Discussion du projet de loi (n° 35, 1996-1997) portant création de
l'établissement public « Réseau ferré national ».
Rapport (n° 177, 1996-1997) de M. François Gerbaud, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 178, 1996-1997) de M. Hubert Haenel, fait au nom de la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 20 janvier 1997, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 20 janvier 1997, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATION DE MEMBRES
DE COMMISSIONS PERMANENTES
Gérard Fayolle membre de la commission des affaires culturelles, en
remplacement de M. Soséfo Makapé Papilio, démissionnaire ;
M. Jean Bizet membre de la commission des affaires économiques et du Plan, en
remplacement de Mme Lucette Michaux-Chevry, démissionnaire ;
Mme Lucette Michaux-Chevry membre de la commission des affaires étrangères, de
la défense et des forces armées, en remplacement de M. Yves Guéna, dont le
mandat sénatorial a cessé ;
M. Soséfo Makapé Papilio membre de la commission des affaires sociales, en
remplacement de M. Jean Bizet, démissionnaire.
NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
Jean-Jacques Robert a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 154 (1996-1997) de MM. Philippe Marini, Robert Calmejane et Jean-Jacques Robert relative à la protection des consommateurs en matière de location avec option d'achat.
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES
André Dulait a été nommé rapporteur du projet de loi n° 168 (1996-1997)
autorisant l'approbation de l'accord concernant la protection de l'Escaut.
M. André Dulait a été nommé rapporteur du projet de loi n° 169 (1996-1997)
autorisant l'approbation de l'accord concernant la protection de la Meuse.
M. André Dulait a été nommé rapporteur du projet de loi n° 170 (1996-1997)
autorisant l'approbation de la convention sur la protection et l'utilisation
des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux.
COMMISSION DES FINANCES
Joël Bourdin a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 103 (1996-1997)
de M. Philippe Marini relative à la création d'un établissement public d'Etat à
caractère industriel et commercial « Haras nationaux ».
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Réforme du permis de construire
536. - 16 janvier 1997. - M. André Vezinhet souhaite obtenir de M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme des informations concernant un projet de réforme en préparation dans ses services, qui s'inscrirait dans le cadre de la réforme de l'Etat, viserait à la simplification des documents d'urbanisme et aboutirait à un projet de loi portant réforme du permis de construire. Il fait part au ministre de l'émotion qu'a suscitée, auprès des architectes et de leur ordre, cette nouvelle qu'ils ont apprise avec stupéfaction par voie de presse, en l'absence de toute consultation et concertation préalables de leur profession par le ministère de l'équipement. En outre, il indique au ministre qu'à l'occasion du changement de tutelle, l'ordre des architectes a repris le dialogue avec le ministre de la culture et que, depuis l'automne 1996, se sont régulièrement tenues des réunions bipartites entre la direction de l'architecture et la profession, en vue de modifier la loi du 3 janvier 1977 et, en particulier, de supprimer les seuils de recours obligatoire à l'architecte. Or, il apparaît que l'avant-projet de loi du ministère de l'équipement, sous couvert d'une simplification des rapports du citoyen avec l'administration, prévoit notamment d'exclure du champ d'application du permis de construire les constructions neuves inférieures à 250 mètres carrés ainsi que les travaux de rénovation. Une telle orientation irait donc totalement à l'encontre de ce que souhaitent les architectes, qui ont manifesté leur totale désapprobation sur le fond et sur la méthode utilisée, exprimée par le Conseil national de l'ordre des architectes et les conseils régionaux, dont celui du Languedoc-Roussillon. Il demande donc au ministre de bien vouloir lui apporter tous les éclaircissements nécessaires qui soient de nature à répondre aux doutes et au mécontentement de la profession des architectes.