LOI DE FINANCES POUR 1997
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 1997,
adopté par l'Assemblée nationale. [N°s 85 et 86 (1996-1997)]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre de l'économie et des finances, mes chers collègues, l'examen de la loi
de finances pour 1997 s'engage dans un contexte de rénovation qui me conduit,
comme il conduira tous les rapporteurs au cours de la discussion, à m'exprimer
à la tribune de notre Haute Assemblée avant le Gouvernement.
Cette heureuse modification dans nos procédures parlementaires résulte de la
volonté des plus hautes autorités de l'Etat. Je m'en réjouis, et je sais que
nous devons à l'action déterminée du président de la commission des finances,
M. Christian Poncelet, mais aussi à l'opiniâtreté du président du Sénat, M.
René Monory, le fait que nos débats se déroulent désormais de cette manière.
Nous pouvons nous réjouir, mes chers collègues, de l'honneur ainsi rendu à
notre assemblée - fût-ce à titre symbolique - par ce retour à sa vocation
constitutionnelle première, à savoir le consentement à l'impôt. Gardons
toujours à l'esprit l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme, qui
confère aux représentants de la nation que nous sommes le droit de « constater
la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement et d'en
suivre l'emploi ».
Il est heureux que cette rénovation de la discussion budgétaire voie le jour
avec ce projet de loi de finances pour 1997. Celui-ci présente en effet un
caractère historique puisque du succès de son exécution dépendra ou non le
passage à la monnaie unique en 1999.
Ce budget revêt une autre spécificité forte : il est la traduction fidèle des
engagements pris au printemps dernier, lors du débat d'orientation
budgétaire.
Ce budget, mes chers collègues, est aussi le nôtre, dès lors que nous en avons
approuvé les principales lignes de force à l'occasion de ce débat.
Monsieur le ministre, vous nous aviez, à l'époque, posé une question claire :
« Souscrivez-vous à l'objectif que nous nous sommes donné pour la loi de
finances de 1997, c'est-à-dire reconduire en francs courants notre niveau de
dépenses, à savoir 1 552 milliards de francs ? » Notre réponse fut « oui », et
le projet de budget pour 1997 en tire les conséquences.
Avant d'examiner ce budget en recettes et en dépenses, je veux dire aussi
qu'il est sincère et courageux. C'est tout à l'honneur du Gouvernement, et
c'est aussi tout à votre honneur, monsieur le ministre.
Il est sincère dans la mesure où le cadrage macro-économique qui le fonde est
très proche du consensus des instituts de prévision nationaux et
internationaux. Ce n'est certes pas une garantie contre l'erreur, mais c'est,
en tout cas, le meilleur gage de votre totale bonne foi.
Ce budget est sincère aussi, au sens où les dépenses inscrites répondent aux
nécessités, à une ou deux exceptions près que je signalerai tout-à-l'heure.
Le budget est sincère, mais il est également courageux. En effet, la dérive
des charges est enfin contenue. Après avoir connu une augmentation de 5,5 % par
an entre 1988 et 1995, les dépenses sont stabilisées en francs courants, quel
que soit l'indicateur retenu, après donc sept années ininterrompues de
progression.
Certes, le courage engendre souvent l'impopularité, mais il faut savoir la
braver lorsque la cause est juste, M. le président René Monory nous le
rappelait récemment.
Mes chers collègues, peut-on laisser dire, peut-on laisser croire qu'il est
possible d'augmenter les dépenses en réduisant le déficit et l'endettement ?
L'atonie durable de la croissance de nos recettes nous condamne à réviser, et
de façon drastique, nos habitudes de dépenses, qui sont devenues totalement
incompatibles avec la faiblesse de nos ressources, sauf à choisir la fuite en
avant, c'est-à-dire l'endettement.
Le rôle central des recettes publiques dans la politique budgétaire doit,
aujourd'hui, être reconnu : elles sont non pas une variable d'ajustements, mais
au contraire un élément déterminant. Or l'activité économique est encore
insuffisante pour fournir les recettes nécessaires à l'Etat. La fiscalité doit
donc se mettre au service de la croissance, et non pas seulement en récolter
les fruits !
Tout serait tellement plus facile si la reprise était au rendez-vous ! Le
partage de ce qu'il est convenu d'appeler « les fruits de la croissance »
rendrait moins pénibles les rééquilibrages indispensables.
Hélas ! notre économie, si l'on écarte l'effet des variations de stocks, reste
depuis 1991 sur une pente de croissance faible, entre 1,5 % et 1,9 %, ce qui
est préoccupant dans la mesure où nous évoluons durablement au-dessous du
niveau de notre croissance potentielle, qui est généralement estimée à 2,5 %
l'an. Malgré une tendance à l'amélioration, le rythme de l'activité reste peu
dynamique, et il est insuffisant pour contenir le chômage.
Nous disposons donc de potentialités en travail et en capital qui demeurent
sous-employées. Tout doit être remis en oeuvre pour les mobiliser. La réforme
fiscale, notamment la baisse de l'impôt sur le revenu, doivent y contribuer.
Elles y contribueront, mais il importe, mes chers collègues, de convaincre nos
compatriotes de consacrer les 25 milliards de francs de réduction d'impôt à la
consommation et à l'investissement pour stimuler la reprise.
La baisse des prélèvements, plus précisément celle de l'impôt le plus
symbolique, c'est-à-dire l'impôt sur le revenu, doit revivifier l'esprit
d'entreprise et susciter la création d'emplois productifs. Mobilisons-nous pour
que ces 25 milliards de francs n'accroissent pas davantage encore l'épargne de
précaution, et pour qu'ils soient au contraire directement injectés dans
l'économie, au service de l'emploi.
Cela m'amène, au passage, à regretter l'amalgame injuste qui est fait entre
cette baisse et le prélèvement supplémentaire opéré l'année dernière. Le
chiffre cité complaisamment de 120 milliards de francs supplémentaires est
parfaitement fantaisiste ; le prélèvement supplémentaire réel s'est élevé à 63
milliards de francs. Il a été consacré à réduire les charges sur les bas
salaires. Qui le regrette ? Il a été consacré à financer le déficit de la
sécurité sociale. Qui le regrette ? On regrette le déficit, mais il a bien
fallu le combler !
Mes chers collègues, il est indispensable, il est urgent même de créer dans
notre pays un enchaînement vertueux de croissance, et ce en donnant aux
Français non seulement les encouragements mais aussi les moyens d'un soutien à
l'économie. C'est le meilleur gage du redressement de l'emploi et de nos
finances.
La commission des finances, vous l'aurez compris, approuve pleinement le volet
fiscal du projet de loi de finances soumis à notre examen. Elle suggère
simplement pour l'avenir, monsieur le ministre, que les grands choix de
politique fiscale soient, eux aussi, effectués dès le débat d'orientation
budgétaire.
Pour terminer sur la réforme fiscale, j'ajouterai deux remarques.
Premièrement, la variante qui vise à substituer à l'allégement de l'impôt sur
le revenu une diminution de la TVA n'offre pas, pour l'activité et pour
l'emploi, un avantage très convaincant, surtout si l'on sait, d'une part, que
la répercussion par les entreprises de la baisse de la TVA est toujours
aléatoire et, d'autre part, que la TVA est le seul impôt qui frappe
pareillement les produits importés et ceux qui sont fabriqués en France, sans
affecter nos exportations.
Deuxièmement, je relève le « scepticisme fiscal » de nos concitoyens, qui
considèrent toujours les hausses comme acquises, même lorsqu'elles ne sont
qu'envisagées, et tiennent les baisses pour peu crédibles, même lorsqu'elles
sont votées.
Nous avons donc une démarche pédagogique à mener pour convaincre nos
compatriotes du bien-fondé de la réforme fiscale engagée pour les cinq années à
venir.
Avant d'en terminer sur les recettes, le moment me semble bien choisi pour
inviter le Sénat à une réflexion d'ensemble sur notre fiscalité et, plus
généralement, sur les prélèvements obligatoires.
Pour adapter l'impôt aux réalités économiques du monde moderne - nous avons
beaucoup de travail à faire en ce sens - la commission des finances a ouvert,
avec le Gouvernement, trois pistes de réflexion, que j'énumère avant de les
reprendre une à une plus en détail. Il s'agit de rendre notre système de
prélèvements obligatoires plus lisible, de revoir notre système de dépense
fiscale et de rendre notre système de prélèvements obligatoires plus
compétitif.
Il faut donc, première piste de réflexion, rendre notre système de
prélèvements obligatoires plus lisible.
Il n'existe plus de limite claire entre les cotisations sociales et les impôts
d'Etat, plus de lignes de partage tranchées entre ces impôts d'Etat et les
impôts locaux. Pire encore, nul citoyen n'est plus en mesure de juger des
prestations qui lui sont fournies en échange de ses contributions.
De cette double confusion naît un sentiment de malaise qui mine le
consentement à l'impôt et l'esprit civique. Le sentiment général est de
beaucoup payer et de recevoir peu, ce qui est un paradoxe dans un pays où la
dépense publique représente plus de 55 % du PIB, ce qui est un paradoxe dans le
pays qui redistribue le plus, comparativement à ses principaux compétiteurs.
Mes chers collègues, disons-le ! Mes chers collègues, expliquons-le !
Le système fiscal, en effet, s'il ratisse large, redistribue aussi
beaucoup.
Il convient également, et c'est la deuxième piste de réflexion, de remettre à
plat notre système de dépense fiscale.
Un des aspects les plus méconnus de notre système de prélèvements obligatoires
est le poids de la dépense fiscale. Comme vous le savez, la dépense fiscale
représente le coût, pour le budget de l'Etat, des mesures fiscales
dérogatoires. Elle n'est pas visée dans la réduction programmée des charges
publiques, alors qu'elle influence très directement le déficit budgétaire.
Depuis longtemps, nous cédons - Parlement ou Gouvernement - à la tentation de
créer de multiples incitations fiscales, qui n'augmentent pas statistiquement
les dépenses, qui diminuent même les prélèvements obligatoires, mais qui
accroissent les pertes de recettes, et donc le déficit. Nous avons ainsi
dénombré 445 mesures tendant à créer une dépense fiscale, pour un montant qui
se chiffre en centaines de milliards de francs.
Ces mesures sont coûteuses, sans qu'il soit toujours possible d'en apprécier
l'efficacité économique. Le Gouvernement et le Parlement portent chacun une
part importante de responsabilité. N'est-il pas en effet plus aisé de minorer
l'assiette que de réduire les taux qui, eux, revêtent souvent une dimension
symbolique forte ? La réforme de l'impôt sur le revenu est la première réponse
courageuse à cette dérive ; elle en appelle d'autres.
La troisième piste de réflexion sur laquelle je voudrais plus encore retenir
votre attention, mes chers collègues, concerne la compétitivité de notre
système de prélèvements obligatoires en ce qu'elle détermine, selon la
commission des finances, la compétitivité économique de notre pays.
Il s'agit, là encore, d'un sujet extrêmement important. Il est en cours
d'expertise, tant à l'OCDE qu'à la Commission de Bruxelles. Le Parlement, en
particulier le Sénat, ne saurait se soustraire à cette réflexion. La libre
circulation des personnes et des capitaux conduit à des migrations fiscales qui
n'en sont aujourd'hui, du moins peut-on le craindre, qu'à leur début. Nous
avons, mes chers collègues, à anticiper sur les conséquences graves qui vont en
résulter : les vedettes de spectacle - c'est bien connu ! - les sportifs de
haut niveau, les
traders,
les détenteurs de patrimoines délocalisables
ne sont-ils pas les premiers émigrants qui en annoncent d'autres ? Demain, si
nous n'y prenons garde, ce sont les activités de services financiers, les
sièges sociaux et les centres de décision des grandes entreprises
internationales qui feront de même.
Il serait malhonnête - et je veillerai à ne pas l'être - de forcer le trait et
de dramatiser la menace, mais restons vigilants pour apprendre à mieux mesurer
et à mieux évaluer la compétitivité de notre système fiscal.
C'est en gardant à l'esprit ces forces et ces faiblesses de notre fiscalité
que nous devons voter l'impôt, avant de consentir aux dépenses de l'Etat.
S'agissant donc maintenant des dépenses, j'insisterai tout d'abord, comme je
l'ai dit en introduction, sur l'effort de réduction engagé par le Gouvernement.
Pour la première fois dans l'histoire budgétaire de la Ve République, les
dépenses de l'Etat se stabilisent.
Cet effort mérite d'être encouragé, car il est difficile et terriblement
ingrat. Il est pourtant incontournable et, mes chers collègues, notre
solidarité ne doit pas manquer au Gouvernement.
Si notre tâche, à ses côtés, est ingrate, il nous appartient, à nous,
parlementaires, d'appeler la nation, d'appeler nos compatriotes à la plus
urgente et à la plus vive prise de conscience des enjeux ; il y va de l'avenir
de nos enfants.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Ils me semblent particulièrement
éclairants.
Pour seulement stabiliser le poids de la dette de l'Etat dans le PIB en 1997,
il aurait fallu réaliser 161 milliards de francs d'économies supplémentaires,
soit davantage que l'ensemble des dépenses pour l'emploi ! Hors charges de la
dette et dépenses de personnel, au sens strict, ce montant représente une
baisse de 22 % de toutes les autres dépenses.
En 1997, le besoin de financement de l'Etat pourrait atteindre 690 milliards
de francs. Si l'on neutralise l'effet exceptionnel de l'emprunt dit « Balladur
», ce besoin s'établit à 590 milliards de francs.
Toutes les semaines - mes chers collègues, prévenez vos concitoyens - l'Etat
empruntera 11 milliards de francs sur les marchés. A la fin de l'année, chaque
Français se sera endetté d'un million de centimes supplémentaire. Comment
remboursera-t-il ?
Ces seuls chiffres - je pourrais, hélas ! en citer bien d'autres, mais je n'ai
pas voulu vous accabler - doivent renforcer encore notre conviction qu'il n'est
pas de salut dans le déficit et dans la dette. Bien au contraire, il y a péril
grave pour la nation. C'est la raison pour laquelle la commission des finances
- je parle sous le contrôle de son président - ne ménagera pas son soutien au
Gouvernement dans son action courageuse pour la maîtrise de la dépense
publique.
Certes, les déficits obligent à des arbitrages difficiles, voire périlleux.
J'entends dire parfois que la marge de manoeuvre du Parlement serait trop
faible et la discussion budgétaire presque inutile. Mes chers collègues, ce
n'est pas seulement la marge de manoeuvre du Parlement qui est faible, c'est
aussi celle du Gouvernement - je parle ici sous son contrôle - et plus encore
celle du pays tout entier. Ainsi, nous sommes condamnés à des arbitrages
difficiles, sur l'investissement, sur certaines priorités et sur certaines
dotations.
S'agissant de l'investissement, tout d'abord, le projet de budget pour 1997
s'inscrit, hélas ! dans la lignée des précédents en ce qu'il prévoit une
diminution des dépenses d'investissement. Deux exemples suffisent à illustrer
ce déclin tendanciel : l'investissement global, d'une part, et le logement,
d'autre part.
En ce qui concerne l'investissement global, entre 1986 et 1997, la part des
dépenses civiles en capital dans l'ensemble des dépenses de l'Etat a
pratiquement diminué de moitié ; pendant le même temps, les dépenses de
fonctionnement ont crû de 60 %. Ces chiffres montrent bien le recul global
préoccupant, qui, hélas ! persistera tant que nous ne maîtriserons pas mieux
nos dépenses de fonctionnement.
En ce qui concerne le logement, entre 1990 et 1997, la part des aides à la
personne est passée de 40 % à 57 % de toutes les aides budgétaires ; pendant le
même temps, les aides à la pierre, donc à l'investissement, ont diminué,
passant de 39 % à 31 %.
Cette nécessité de préserver l'investissement apparaît encore mieux à travers
la présentation du budget dans les formes de la comptabilité des collectivités
locales, qui constitue un réel progrès. Nous vous le devons, monsieur le
ministre, et nous vous en remercions. Elle retient tout particulièrement notre
attention d'élus locaux. En 1997, cela ne vous a pas échappé, mes chers
collègues, le montant du déficit de fonctionnement financé par l'endettement
augmentera encore de 6 milliards de francs, passant ainsi, par rapport à l'an
dernier, de 109 milliards de francs à 115 milliards de francs, largement en
raison, il est vrai, de la réforme de l'impôt sur le revenu.
J'en viens maintenant aux priorités.
Certaines priorités antérieures sont, par la force des choses, atténuées ou
ajournées, qu'il s'agisse de l'étalement des contrats de plan Etat-région ou de
certaines lois de programmation. Ces étalements ne seraient pas autrement
préoccupants s'ils ne traduisaient notre difficulté collective à redéfinir le
rôle de l'Etat. En reportant les crédits, nous nous contentons de différer les
solutions au problème, alors qu'il convient, comme vous l'avez parfaitement
rappelé en ces termes à la tribune de l'Assemblée nationale, monsieur le
ministre de « lutter contre notre propre culture d'extension de la sphère
publique au détriment de l'initiative et de la responsabilité privées ».
S'agissant, enfin, des dotations, une analyse approfondie des dépenses
inscrites pour 1997 laisse apparaître quelques risques de tension. J'en retiens
trois.
S'agissant des aides à la réduction du temps de travail, 800 millions de
francs seront-ils suffisants pour un dispositif en plein essor ?
Pour ce qui est de la marge de manoeuvre pour financer les négociations
salariales dans la fonction publique, 2 milliards de francs permetteront-ils de
mener à bien une telle négociation ?
Enfin, quant à la recapitalisation des entreprises publiques alimentée par des
recettes de privatisation, 27 milliards de francs pourront-ils permettre de
faire face aux besoins qui, hélas ! s'accumulent ?
Sur ces trois points, la commission des finances vous entendra, avec beaucoup
d'intérêt, monsieur le ministre.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, le budget soumis à votre examen
n'est pas un budget de facilité, mais, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il
est un budget de courage.
Le péril des déficits, le péril de la dette exigeaient des arbitrages ; ils
ont été opérés non sans discernement. Par loyauté et par souci d'objectivité,
j'ai exposé à l'instant les préoccupations qu'ils pouvaient susciter, aussi
puis-je maintenant vous présenter la synthèse des résultats obtenus dans la
maîtrise des dépenses.
La stabilisation des dépenses, la réduction des déficits et la baisse des
prélèvements obligatoires qu'opère le budget est sans précédent. De surcroît,
ce budget s'attache à des priorités clairement affichées, au service de la
cohésion sociale et du progrès économique. Ainsi, les dépenses budgétaires pour
l'emploi s'accroissent de 8 % et les dépenses en faveur du logement de 1,5 %.
Par ailleurs, plusieurs budgets connaîtront des hausses, ceux du travail, de la
justice, de l'éducation nationale, de la recherche, de l'action sociale et de
la solidarité, notamment.
Malgré des contraintes fortes, près de 60 milliards de francs d'économies sont
réalisées, la croissance inquiétante de la charge de la dette et des dépenses
de personnel sont infléchies.
Les engagements pris lors du débat d'orientation budgétaire sont tenus.
Le ministre de l'économie et des finances et le ministre délégué au budget
nous présenteront le détail de toutes ces mesures dans un instant.
Je souhaiterais, pour conclure, délivrer quatre messages.
Premier message : le Gouvernement, malgré ses difficultés, engage la réforme
fiscale et la baisse de l'impôt sur le revenu ; son courage mérite d'être
salué.
Deuxième message : prenons conscience que le système de prélèvements
obligatoires français et très redistributif, mais aussi qu'il est miné par la
dépense fiscale et qu'il doit au plus vite relever le défi de la compétitivité
internationale.
Troisième message : inscrivons notre effort dans la durée. Des réformes de
structure lourdes sont en cours, qu'il s'agisse de la réduction des effectifs
de la fonction publique, qui annonce une vraie réforme de l'Etat, ou de la
révision des interventions publiques, qui vise à redistribuer les
responsabilités entre tous les acteurs de la vie économique. Il faut les
poursuivre, quelles que soient les difficultés.
Quatrième et dernier message : nous n'avons pas le droit, à l'égard des
générations futures, de céder au doute, à la tentation du renoncement.
La France traverse une période difficile, précisément parce qu'elle doute
d'elle-même.
Une croissance ininterrompue et l'inflation pendant de longues périodes ont
engourdi notre vigilance dans le passé, en corrigeant sans douleur nos
erreurs.
Il en est aujourd'hui tout autrement : la nécessité d'une réduction brutale de
nos dépenses publiques et sociales nous rappelle à la dure et incontournable
réalité.
Les sacrifices pourtant indispensables nous paraissent parfois trop lourds à
supporter.
Des voix imprudentes, quand ce n'est pas inopportunes, parfois même
inciviques, laissent croire que l'effort n'est pas nécessaire.
Chaque groupe social est tenté de se figer sur ses positions et jalouse les
autres ; l'unité de la nation se défait.
Mais la France, mes chers collègues, n'est jamais aussi forte que lorsqu'elle
reprend l'initiative, qu'elle se rassemble, qu'elle unit ses forces.
Elle dispose d'un potentiel considérable : ses hommes, son génie inventif, sa
jeunesse, sa technologie. Il ne lui manque aujourd'hui que l'audace.
L'audace, qui appelle une nation à chasser sa peur de l'avenir, à dominer ses
doutes pour reprendre confiance en elle, en son destin. C'est, mes chers
collègues, le message que ce budget nous invite à délivrer tous ensemble à la
France.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre de
l'économie et des finances, monsieur le ministre délégué au budget, mes chers
collègues, d'emblée, je veux vous dire, sans fioriture oratoire et au risque de
mettre prématurément un terme à un suspense insoutenable, que je considère ce
projet de loi de finances pour 1997 comme un budget particulièrement
courageux.
Courageux, ce projet de budget l'est assurément car, à l'évidence, il relève
deux défis, en apparence contradictoires, d'une part, engager une décrue de la
dépense publique et, d'autre part, amorcer un reflux des prélèvements
obligatoires.
La décrue de la dépense publique est au coeur du projet de loi de finances
pour 1997 qui la déclenche, en amplifiant l'oeuvre d'assainissement de nos
finances publiques entreprise depuis avril 1993 par une stabilisation, en
francs courants, des dépenses de l'Etat.
Le respect de cet objectif vertueux a imposé au Gouvernement un effort sans
précédent d'économies, qui représente plus de 60 milliards de francs.
Après l'excellente analyse à laquelle vient de procéder le rapporteur général,
M. Alain Lambert, avec la compétence, la rigueur et le talent que nous lui
reconnaissons tous, je me bornerai à rappeler que cet exceptionnel effort
d'économies, qui n'a pas d'équivalent dans l'histoire budgétaire de la Ve
République, s'inscrit dans le droit-fil du débat d'orientation budgétaire du
printemps dernier, débat dont l'initiative revient à la Haute Assemblée. Nous
avions été alors presque unanimes pour insister les uns et les autres sur
l'ardente obligation et l'impérieuse nécessité de maîtriser la dépense
publique.
La maîtrise de la dépense publique est, en effet, une oeuvre de salut public,
car la France ne peut impunément continuer à vivre au-dessus de ses moyens avec
une dépense publique qui représente 55 % de la richesse nationale.
A ce niveau, la dépense publique, loin de soutenir l'activité et de contenir
le chômage, alimente les déficits budgétaires, gonfle la dette de l'Etat,
nourrit la hausse des prélèvements obligatoires, asphyxie l'initiative privée
et, en définitive, étouffe notre économie.
Par ailleurs, je voudrais insister sur le fait que cet effort d'économies ne
s'est pas traduit par des abattements uniformes, arbitraires et aveugles. Il a
procédé d'une réflexion sur les missions de l'Etat, comme en témoigne la
sanctuarisation des crédits de la défense et la préservation des budgets de la
justice, de l'éducation nationale et de la recherche, qui augmenteront en 1997
conformément aux priorités fixées par le Gouvernement.
Toutefois, permettez-moi, messieurs les ministres, d'insister sur la nécessité
de faire porter la recherche d'économies sur les dépenses de fonctionnement et
les dépenses d'intervention, en épargnant, dans toute la mesure possible, les
dépenses d'investissement.
A cet égard, je ne peux m'empêcher de laisser percer une pointe d'inquiétude
lorsque je constate que les dépenses d'investissement, civiles et militaires,
ne représentent plus que 10,2 % des dépenses de l'Etat contre 14 % en 1992.
Cette érosion des dépenses d'investissement - je pense surtout aux dépenses
civiles - ne saurait se poursuivre sans risquer de sacrifier l'avenir. Ce
danger est d'autant plus réel que les budgets des collectivités locales sont de
plus en plus hypothéqués par les dépenses de fonctionnement, en particulier les
dépenses sociales, au détriment de l'investissement local. Cette dérive est
constatée par la plupart, pour ne pas dire l'unanimité, des responsables
locaux.
En outre, il est à craindre, messieurs les ministres, que cet effort
d'économies ne rencontre bien vite ses limites à structures étatiques
inchangées. Dans ces conditions, le budget de 1998 risque d'être encore plus
difficile à élaborer que celui de 1997, si l'effort d'économies réalisé pour le
budget de 1997 n'est pas relayé, pour la construction du budget de 1998, par la
recherche d'économies structurelles qui ne peuvent résulter que d'une réforme
de l'Etat, tant sollicitée et tant attendue.
Au-delà de la nécessaire amélioration des relations entre les citoyens et leur
administration, la réforme de l'Etat doit se traduire par une nouvelle
délimitation de son périmètre d'intervention et par une nouvelle définition de
ses modalités d'action.
Il s'agit de recentrer l'Etat sur ses missions régaliennes, ses fonctions de
prescripteur et son rôle irremplaçable de garant de l'unité, de la cohésion et
de la solidarité nationales.
Il s'agit également de dépouiller l'Etat des missions dont il s'acquitte bien
mal, comme celle d'actionnaire. Il est donc indispensable de poursuivre jusqu'à
son terme le processus de privatisation de toutes les entreprises publiques du
secteur concurrentiel, même si ces privatisations s'avèrent de moins en moins «
rentables » pour le budget de l'Etat, en raison des recapitalisations
préalables à la vente de ces entreprises.
Il s'agit, enfin et surtout, de relancer la décentralisation, qui est en
quelque sorte aujourd'hui au milieu du gué, en ouvrant aux collectivités
locales de nouveaux territoires d'intervention.
L'objectif est d'étendre à de nouveaux domaines de compétences les bienfaits
de la gestion de proximité qui découlent de la connaissance du terrain. Je
pense à l'emploi des jeunes, qui fait l'objet d'initiatives locales nombreuses
et bien souvent couronnées de succès, comme en témoignent notamment les
expériences conduites par le conseil général de la Vienne - je parle sous le
contrôle de son président, M. René Monory - et par le conseil général des
Vosges, que j'ai l'honneur de présider.
Il va de soi que de nouvelles avancées dans le sens de la décentralisation ne
pourront avoir lieu que si l'Etat respecte un code de bonne conduite financière
avec les collectivités locales, comme cela est sans cesse réclamé.
A ce propos, je me félicite que ce projet de budget, une fois épuré de la
disposition relative à l'amputation de la compensation de la réduction de la
taxe professionnelle pour embauche et investissement, ne comporte plus de
turpitudes pour les finances locales.
Le satisfecit que je vous délivre, messieurs les ministres, ne doit pas pour
autant vous inciter à tenter de la rétablir, ici au Sénat même, sous une forme
édulcorée. Le grand conseil des collectivités territoriales de France ne
pourrait, me semble-t-il, vous suivre dans cette voie, qui serait sans
issue...
Au-delà de cette péripétie, force est de constater que le pacte de stabilité
est respecté. Ce pacte de stabilité, qui résulte d'une initiative du Sénat,
l'Assemblée des maires de France a bien voulu le reconnaître et en prendre
acte.
M. Paul Loridant.
C'est un marché de dupes !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Certes, ce pacte ne constitue
pas un pactole, puisque les concours de l'Etat rassemblés au sein de «
l'enveloppe normée » ne progressent qu'au rythme de l'inflation.
M. René Régnault.
Et encore !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Mais, si le pacte n'est pas un
pactole, il représente cependant pour les collectivités locales un filet de
sécurité et un instrument de lisibilité quant à l'évolution de leurs
ressources, et cela a été ce matin publiquement reconnu par la plupart des
maires.
Mme Hélène Luc.
Pas par tous !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Par ailleurs, l'année 1997
apparaîtra, messieurs les ministres, comme un sursis sur le front de la hausse
des cotisations à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités
locales, hausse qui est, disons-le, différée d'un an grâce à la mobilisation
des réserves du fonds des allocations temporaires d'invalidité.
En définitive, l'effort d'économies réalisé par le projet de budget n'aggrave
pas les difficultés financières des collectivités locales.
Au-delà de cet exceptionnel effort de maîtrise de la dépense publique, le
projet de loi de finances pour 1997 se caractérise également par l'amorce d'un
reflux des prélèvements obligatoires, conformément à la demande exprimée ici,
au printemps dernier, dans le cadre du débat d'orientation.
Le Gouvernement a choisi de commencer par l'impôt sur le revenu au motif, je
vous cite, monsieur le ministre de l'économie et des finances, que cet impôt «
tient la première place dans notre imaginaire collectif ».
Le Gouvernement a donc décidé d'engager une réforme quinquennale de l'impôt
sur le revenu qui va se traduire, dès 1997, par un allégement de 25 milliards
de francs du poids de cet impôt et, à l'horizon 2001, par une diminution totale
de 75 milliards de francs, qui représente près de 1 % du PIB et plus du quart
du produit de cet impôt. C'est une somme qui, à l'évidence, n'est pas
négligeable.
Ce résultat sera obtenu par une baisse progressive de tous les taux du barème,
par la suppression de la décote et par un relèvement du seuil d'imposition.
En outre, le coût de cet allégement sera partiellement financé par la
suppression ou l'aménagement de certains avantages ou « niches fiscales » qui
furent, dans le passé, tant et tant dénoncés.
Cette réforme de l'impôt sur le revenu n'a pas manqué de soulever deux séries
de questions qui tiennent, l'une, à la pertinence du choix de l'impôt sur le
revenu et, l'autre, à l'impact de la mesure.
Selon certains, il aurait été préférable d'utiliser les 25 milliards de francs
disponibles pour réduire le taux normal de la TVA, après la hausse de deux
points intervenue en août 1995.
A cet égard, force est de répondre que la hausse de la TVA n'a pas été
intégralement répercutée sur les prix de vente des biens et des services. Par
ailleurs, la relative modicité des sommes susceptibles d'être consacrées à
cette baisse n'aurait permis, en raison de la rigueur budgétaire, qu'une
diminution homéopathique du taux de la TVA, dont personne, hélas ! ne se serait
rendu compte.
D'autres voix se sont élevées pour contester l'impact de la réforme en faisant
valoir que l'allégement de 25 milliards de francs en 1997 serait insuffisant
pour provoquer un choc psychologique propice à une reprise de la
consommation.
En réponse, il convient de rappeler que cette somme de 25 milliards de francs
est considérable au regard de la situation de nos finances publiques, fortement
dégradée par l'héritage des « années cigale » de la gestion socialiste.
M. Philippe de Bourgoing.
Très bien !
M. Paul Loridant.
Et l'emprunt Balladur, vous l'oubliez ?
M. Josselin de Rohan.
Tiens, M. Loridant est redevenu socialiste !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
De plus, l'augmentation des
revenus induite par la baisse de l'impôt sera perceptible dès le versement du
premier tiers provisionnel, en février 1997.
Par ailleurs, certains opposants ont déclaré que le Gouvernement, après avoir
prélevé 120 milliards de francs sur l'ensemble des Françaises et des
Français...
M. René Régnault.
Eh oui !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... à l'été 1995, se bornait à
en rendre 25 milliards de francs aux plus riches.
Ce procès d'intention, qui relève de la pure polémique politicienne,...
M. Paul Loridant.
Non !
M. Claude Estier.
Pas vous !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... est injuste pour deux
raisons principales.
En premier lieu, le chiffrage de 120 milliards de francs est erroné. En
réalité, les prélèvements supplémentaires supportés par les ménages ont atteint
un peu plus de 60 milliards de francs, dont 20 milliards de francs au titre de
l'institution de la contribution au remboursement de la dette sociale.
En second lieu, l'allégement du poids de l'impôt sur le revenu bénéficiera
principalement aux contribuables modestes et aux familles, en raison de la
suppression de la décote et de l'élargissement substantiel de la tranche à taux
zéro.
A cet égard, on peut regretter, messieurs les ministres, que cette réforme se
traduise par la sortie de l'impôt de plusieurs centaines de milliers de
contribuables. Il m'aurait semblé préférable de « responsabiliser » le plus
grand nombre de nos concitoyens en procédant - c'est une idée que j'ai déjà
développée - à une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG élargie, afin
d'aboutir à l'institution d'une première tranche équivalant à un « impôt
civique de solidarité » que tout citoyen devrait verser et sur lequel se serait
greffée une surtaxe progressive en fonction des revenus.
M. Jacques Delong.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Mais je n'insiste pas.
Enfin, il convient de faire litière de l'assertion selon laquelle le
Gouvernement reprendrait d'une main ce qu'il donne de l'autre puisque
l'allégement de l'impôt sur le revenu serait annulé par l'alourdissement de la
fiscalité locale.
M. René Régnault.
De combien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des fianances.
Le chiffrage est là encore
excessif puisque, selon les dernières statistiques disponibles, la hausse des
impôts locaux en 1996 s'est élevée à 18 milliards de francs, et non pas à 25
milliards de francs comme cela a été dit et écrit.
Compte tenu de l'incidence de la hausse des prix, de la place occupée par la
taxe professionnelle au sein des impôts locaux et de l'impact des dégrèvements,
le surcroît de fiscalité ne s'élève plus, pour les ménages, qu'à 5 milliards de
francs. On est loin du montant de l'allégement de l'impôt sur le revenu qui,
pour 1997, est de 25 milliards de francs.
De plus, il n'est pas convenable, c'est un euphémisme, de rendre, par un
amalgame spécieux, le Gouvernement responsable de la pression fiscale locale
qui dépend de 40 000 décideurs locaux et de la qualité de leur gestion.
En définitive, mes chers collègues, nous n'avons pas à rougir de cette réforme
qui devrait contribuer à soutenir l'activité. Mais surtout, ce desserrement de
l'étau fiscal constitue un signal fort de la volonté du Gouvernement de réduire
les prélèvements obligatoires dont le montant « quasi confiscatoire » entrave
l'initiative privée, hypothèque la compétitivité de notre économie et bride la
croissance.
Il me semble même que le Gouvernement devrait s'engager encore plus résolument
dans la voie de la réduction des prélèvements obligatoires et accélérer le pas
: il s'agirait d'accroître, par exemple, la réduction de l'impôt sur le revenu,
prévue pour 1998, en finançant cet allégement supplémentaire par la suppression
de nouvelles « niches fiscales ».
Au total, ce projet de budget met en oeuvre la seule politique possible, celle
de l'assainissement de nos finances publiques par une maîtrise de la dépense,
tout en commençant à concrétiser la finalité de l'effort consenti, à savoir la
réduction des prélèvements obligatoires.
Mes chers collègues, Maastricht ou pas Maastricht, monnaie européenne ou pas,
il n'y a pas d'autre politique possible, n'en déplaise aux tenants d'une
politique alternative et aux partisans d'un programme d'alternance.
M. Xavier de Villepin.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est ainsi que « l'autre
politique », conçue comme une alternative à la politique conduite par le
Gouvernement, semble relever davantage de l'incantation que de la réalité. Tout
se passe comme si le vocable même d'« autre politique », qui s'apparente à un
slogan, résumait son objet et épuisait son contenu.
A défaut de recueillir des indications précises de la bouche même des hommes
politiques qui incarnent, disent-ils, « l'autre politique », nous sommes
contraints de nous référer aux indiscrétions de la presse qui se fait l'écho
des travaux des experts qui ont mis leur savoir au service de ce mythe.
La première des priorités résiderait, nous dit-on, dans un changement de cap
de la politique monétaire, par une « ouverture du verrou monétaire ». Très bien
! Mais ces experts oublient - la nostalgie n'est plus ce qu'elle était - que la
Banque de France, dont dépend la fixation des taux directeurs, est désormais
indépendante.
M. Paul Loridant.
Hélas !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Veulent-ils revenir sur cette
avancée qui a conféré à notre pays un surcroît de crédibilité ?
M. Xavier de Villepin.
Il ne le faut sûrement pas !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Je leur pose la question.
En admettant qu'ils s'accommodent de l'indépendance de la Banque de France,
les champions de l'autre politique doivent savoir que, dans une économie «
libéralisée » et mondialisée, les taux d'intérêt sont déterminés, qu'on le
veuille ou non, par les marchés financiers. Qu'on le veuille ou non, j'y
insiste, car c'est un fait, qu'on l'accepte ou qu'on le regrette.
Ils doivent également savoir que c'est précisément la politique
d'assainissement de nos finances publiques, conduite courageusement par le
Gouvernement actuel et amplifiée sans cesse, qui a permis, grâce à la
disparition de la prime de risque, cette baisse historique des taux
d'intérêt.
C'était même le pari du Gouvernement : durcir la politique budgétaire pour
pouvoir assouplir la politique monétaire, afin de promouvoir une décrue des
taux d'intérêt qui serait le prélude à une relance de l'activité.
Aujourd'hui, le résultat est à la hauteur de nos espérences, puisque les taux
longs sont inférieurs à 6 %. Il y a un an et demi, qui en aurait fait le pari ?
Je pose la question. Mais encore faut-il que cette baisse se diffuse à
l'ensemble de l'économie et que les banques, nonobstant leur état de santé
vacillant - vous l'avez souligné tout à l'heure, monsieur le rapporteur général
- en fassent bénéficier les petites et moyennes entreprises.
Un autre point fort de cette autre politique, souvent invoquée, mais jamais
revendiquée ni explicitée, consisterait, nous dit-on, à « faire un peu
d'inflation », comme si, en l'occurrence, un tel dosage était possible !
Préconiser une telle lubie, c'est accepter de « gruger » le salarié, le
retraité et surtout l'épargnant, en préconisant le retour d'une monnaie
qualifiée en d'autres temps de « monnaie de singe ». Veut-on vraiment
renouveler l'expérience du passé ? Je me pose, je vous pose et je leur pose la
question !
Un autre « avatar » de l'autre politique résiderait dans un décrochage du
franc par rapport au mark
(Exclamations sur les travées socialistes)
afin d'offrir à notre devise un espace de respiration, au-delà des marges de
fluctuation du système monétaire européen.
Il s'agirait là, ni plus ni moins, de nous mettre en quelque sorte en congé de
l'Europe, de rompre les amarres de l'Union européenne et de renoncer à la
monnaie européenne.
(Bravo ! sur les travées de l'Union centriste.)
M. Paul Loridant.
Pourquoi pas ?
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Claude Estier.
Des noms !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Les conséquences d'un tel
scénario seraient particulièrement néfastes pour notre pays avec une flambée de
l'inflation alimentée par le renchérissement des produits importés, une hausse
des salaires qui handicaperait la compétitivité de nos entreprises, une forte
hausse des taux d'intérêt et, à terme, un ralentissement de l'activité et une
progression du chômage.
En définitive, préconiser « l'autre politique », c'est céder à la tentation
d'un « lâche soulagement » - l'expression a été utilisée par Léon Blum, à
propos de l'accord de Munich
(Murmures sur les travées socialistes)... -
M. Claude Estier.
Cela n'a rien à voir !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... et préférer une bouffée
d'oxygène éphémère et illusoire à une oeuvre courageuse, persévérante,...
M. Jean-Pierre Fourcade.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... oeuvre d'assainissement de
notre économie qui constitue le préalable à l'instauration d'une croissance
durable.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Quant au projet de programme
préparé par le parti socialiste en vue de l'alternance,...
M. René Régnault.
Une étape vers autre chose !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... il m'apparaît, lui aussi,
comme empreint de nostalgie et prisonnier du passé.
Certes, nous devons nous réjouir du retour du débat politique, car la
banalisation du « politiquement correct » nourrit le extrêmes. Il faut, là,
être vigilant.
Mais, pour autant, le débat ne saurait se résumer à « un retour des vieilles
lunes ».
A cet égard, soyons sincères, la proposition d'une réduction de la durée du
travail à trente-cinq heures par semaine, sans diminution de salaire, me semble
constituer l'archétype de la mauvaise mesure.
M. Claude Estier.
Mais non !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Je ne suis pas le seul à le dire
; même dans les rangs des intéressés, cela est dit !
En effet, le précédent de 1981 nous a appris que procéder par voie légale et
uniforme, sans tenir compte de la réalité des branches et des entreprises,
constituait le meilleur moyen de priver la réduction de la durée du travail de
tout effet positif sur l'emploi. Cela a été vérifié !
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. Claude Estier.
Vous n'avez pas lu nos propositions !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
En définitive, nous partageons
tous, mes chers collègues, au-delà de nos différences de sensibilité politique,
la même interrogation qui est au coeur de nos préoccupations : comment faire
pour renouer avec une croissance soutenue, durable et riche en emplois ?
M. René Régnault.
Il faut la confiance !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Pour ma part, je suis convaincu
que la politique conduite par le Gouvernement est la seule possible, car le
retour de la croissance passe par une réduction de la dépense publique, qui
permet un allégement des prélèvements obligatoires.
Des exemples étrangers nous enseignent qu'une politique de réduction de la
dépense publique, loin de contrarier la croissance, lui donne un élan nouveau.
Tout se passe comme si les acteurs économiques anticipaient les incidences sur
leurs revenus de la baisse des prélèvements obligatoires, rendue possible par
la maîtrise de la dépense publique.
Il serait donc particulièrement inopportun de changer aujourd'hui de cap,
après avoir accompli la majeure partie d'un chemin difficile et semé
d'embûches.
Renoncer aujourd'hui à l'oeuvre d'assainissement conduite courageusement par
le Premier ministre serait d'autant plus condamnable que notre vertu économique
sera récompensée, dans 770 jours, par notre participation à la monnaie
européenne.
Avec l'euro, nous avons rendez-vous avec l'histoire. Ne laissons pas s'enfuir
cette chance, car un échec de l'euro - je pèse mes mots - assurerait
inéluctablement le triomphe d'une zone mark élargie et la consécration d'une
monnaie unique de fait : le deutschemark.
(M. de Villepin applaudit.)
En revanche, l'avènement de la monnaie européenne renforcera notre
souveraineté monétaire : nous participerons à la gestion de la devise
européenne au lieu de subir, plus ou moins passivement comme aujourd'hui, les
décisions de la Bundesbank.
Par ailleurs, la création de la monnaie européenne devrait se traduire par une
plus grande stabilité monétaire en raison de la diminution des possibilités de
dévaluations, dites compétitives, entre les monnaies des pays membres de
l'Union européenne.
En outre, dans un monde caractérisé par la puissance, sans contrepoids, des
Etats-Unis et par l'irrésistible ascension de l'Asie, la monnaie européenne, si
elle n'est pas surappréciée par rapport au dollar, deviendra l'instrument d'une
politique commerciale plus dynamique.
De plus, la monnaie européenne est le gage d'un espace économique caractérisé
par de faibles taux d'intérêt propices à une croissance soutenue.
Mes chers collègues, en définitive, la monnaie européenne n'est certes pas
l'avatar moderne du veau d'or ; mais elle constitue aujourd'hui un moyen au
service de la prospérité économique de notre pays, de son poids politique et de
son rayonnement culturel.
Elle représente pour nous un formidable espoir ; ne le laissons pas
échapper.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Faisons taire nos querelles et mobilisons-nous pour lui donner vie.
N'oublions pas que le général de Gaulle comparait la construction européenne à
une cathédrale et qu'il estimait qu'« en marchant vers l'unité de l'Europe on
marche dans le sens de l'Histoire ».
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le ministre de l'économie et des finances.
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, l'ouverture de la discussion budgétaire au Sénat revêt
pour moi, vous le comprendrez bien, une particulière importance, et je tiens à
vous dire combien je suis heureux d'être ici aujourd'hui.
Tout d'abord, je remercierai M. le rapporteur général et M. le président de la
commission des finances de l'analyse qu'ils viennent de présenter du projet de
loi de finances pour 1997.
Ils ont mis en perspective ce projet de budget, et les appréciations
extrêmement positives qu'ils ont formulées à son sujet nous vont droit au
coeur.
Naturellement, l'assainissement des finances publiques n'est pas en soi un
projet politique. Mais il n'est pas de projet politique qui fasse l'économie
d'un assainissement des finances publiques.
Notre projet politique, c'est de contribuer à la croissance, à l'emploi et
ainsi à lutter efficacement contre le chômage et pour la cohésion sociale.
Pour le mener à bien, nous devons, avec détermination, tenir les dépenses
publiques, dont le niveau faisait courir un risque d'asphyxie à notre
économie.
En fait, nous devons répondre à trois impératifs : maîtriser la dépense
publique, réduire le déficit public et alléger le poids de l'impôt.
Si nous sommes confrontés à des contraintes budgétaires, nous sommes également
liés par des contraintes monétaires et, à cet égard, j'ai entendu avec intérêt
les observations de M. le président de la commission des finances.
Quelles sont les bonnes parités ? Comme je l'exprimais voilà tout juste une
semaine devant la commission des finances, la commission des affaires
économiques, la commission des affaires étrangères et la délégation du Sénat
pour l'Union européenne réunies, pour moi, la bonne parité est celle qui nous
apporte les taux d'intérêt les plus faibles. C'est la condition du
développement économique et, donc, de la création d'emplois.
Comme l'a rappelé M. Poncelet, les taux d'intérêt à dix ans sont inférieurs à
6 %, puisqu'ils s'établissent aujourd'hui à 5,82 % en France et à 5,83 % en
Allemagne. Qui peut dire, dans ces conditions, qu'il serait nécessaire de
décrocher le franc par rapport au mark ?
Nous sommes dans une communauté et toute modification des parités ne peut donc
être désormais qu'une décision collective.
Depuis un an, le dispositif de passage à la monnaie unique s'est
considérablement accéléré : il ne saurait donc être question de prendre une
décision unilatérale.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
M. le Premier ministre et M. le
chancelier Kohl ont réaffirmé cet après-midi qu'il n'y avait pas matière à
modifier la parité actuelle du franc et du mark.
La question de la parité peut se poser par rapport au dollar.
Il est vrai qu'aujourd'hui le dollar dispose de marges d'appréciation. Pour ma
part, je n'ai cessé de le dire depuis un an. Mais, si l'économie française
peut, en effet, souffrir de ces marges d'appréciation du dollar, c'est parce
que les entreprises françaises qui exportent sont, la plupart du temps,
obligées de libeller leurs factures dans cette monnaie. Et voilà pourquoi il
nous faut nous doter le plus rapidement possible d'une monnaie unique reconnue
sur le plan mondial : l'euro. Les entreprises françaises pourront alors
libeller leurs factures dans la même unité monétaire que celle qui rémunère le
coût du travail et l'ensemble des facteurs de production.
En outre, avec l'euro, nous neutraliserons l'aléa monétaire pour les deux
tiers de nos échanges extérieurs, puisque nos échanges avec les pays de l'Union
économique et monétaire représentent les deux tiers de notre commerce
extérieur.
Ainsi, avec l'euro, nous nous donnons les moyens de la stabilité monétaire,
nous pouvons mettre en perspective les investissements. Les bonnes conditions
sont alors réunies pour l'investissement, la croissance et l'emploi.
Voilà donc les raisons qui, me semble-t-il, nous font obligation de tenir le
cap. Nous sommes dans la bonne direction parce que nos taux d'intérêt n'ont
jamais été aussi bas.
Sans doute le temps de l'argent cher est-il révolu. Ainsi, les Français, tous
les Français, pourront accéder au crédit...
M. Paul Loridant.
Avec les bas salaires ?
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
... dans des conditions qui leur
permettront de réaliser des acquisitions, d'investir et d'aller de l'avant.
M. Paul Loridant.
Quand on s'endette, il faut pouvoir rembourser !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Oui, je le répète : le cap choisi
est le bon, nos taux d'intérêts n'ont jamais été aussi bas.
M. Josselin de Rohan.
C'est vrai !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Comme je l'ai dit tout à l'heure,
la bonne parité est celle qui nous donne les taux les plus faibles.
M. Paul Loridant.
Ce ne sont pas les taux réels !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
J'ai constaté, à chaque fois que
le franc se dépréciait, qu'immédiatement les taux d'intérêt augmentaient.
Est-ce cela que nous voulons pour l'avenir ? Certainement pas. Il fut un temps
où, certes, l'inflation accompagnait notre progression économique. Mais nous
sommes définitivement sortis de l'inflation et nous avons besoin des taux
d'intérêt les plus faibles qui soient.
Le débat monétaire ne saurait dissimuler l'exigence de réformes structurelles.
Notre préoccupation première, dans une économie qui s'est aujourd'hui largement
globalisée, mondialisée, c'est la compétitivité. Or, peut-on douter de la
compétitivité des entreprises françaises ? Non, si l'on en juge par l'excédent
commercial dégagé.
En 1996, selon toute vraisemblance, notre excédent atteindra un niveau record,
de l'ordre de 120 milliards de francs. En fait, nos problèmes de compétitivité
découlent de la difficulté que nous avons à procéder à des réformes. Nous
devons accepter de réformer nos structures économiques pour devenir plus
compétitifs et être en mesure d'utiliser au mieux toutes nos chances. Nous
devons ensuite engager résolument la décrue fiscale pour libérer les
initiatives et créer des emplois.
Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme économique serait
inopérante sans une profonde réforme de l'Etat. Nous devons recentrer l'Etat
sur ses missions essentielles, sur ses missions régaliennes. C'est une dérive
fâcheuse qui a conduit, ces dernières années, à élargir la sphère publique, et
il faudra en conséquence conduire les privatisations à leur terme. L'Etat n'a
pas vocation à être l'actionnaire d'entreprises du secteur marchand. Certes,
les privatisations que nous devons réaliser deviennent difficiles parce que les
entreprises en cause ont souffert d'un actionnaire qui ne participait pas au
financement de leur développement, qui a laissé s'accumuler les pertes et qui
n'a pas toujours procédé aux restructurations destinées à améliorer la
compétitivité. Il faut lucidement, courageusement procéder à ces privatisations
en expliquant bien ces démarches, afin que nos compatriotes les comprennent et
les assument.
Nous devons être en mesure de répondre à une question toute simple : combien
coûte tel service public, combien coûte le fonctionnement de telle
administration, de tel département ministériel ? Nous avons à lutter contre
toutes les formes d'opacité et à privilégier la transparence.
J'ai ouvert le chantier de la gestion patrimoniale pour qu'enfin la
représentation nationale puisse mieux appréhender la réaliter de ce patrimoine
et que le budget ne laisse pas prise à telle ou telle suspicion d'utilisation
d'éléments du patrimoine pour contribuer à l'équilibre. Nous devons tous avoir
une vision sincère du patrimoine collectif.
M. Philippe Marini.
Vaste chantier !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Nous devons en outre oeuvrer pour
la simplification, pour la déconcentration la plus large possible car c'est sur
le terrain que la transparence est totale, alors que la remontée systématique
d'un trop grand nombre de dossiers dans les administrations centrales est
facteur d'inertie, d'incompréhension et, parfois, de perte d'énergie et de
gâchis.
Nous avons engagé des réformes dans les établissements publics ; je pense à la
SNCF, à France Télécom, aux industries d'armement. Nous voulons également
assurer la pérennité de nos grandes institutions ; je pense à la sécurité
sociale et aux armées.
Si la réforme des structures est une priorité absolue, nous devons aussi
veiller à libérer les énergies.
Le premier grand chantier qu'a ouvert à cette fin le Premier ministre, et
auquel participent tous les membres du Gouvernement, c'est celui qui consiste à
offrir les conditions de la réussite aux petites et moyennes entreprises : par
l'allégement des charges, par la simplification des formalités, par une plus
grande sécurité juridique et fiscale - je pense aux procédures de rescrit que
vous avez proposées au printemps dernier, lors de l'examen du projet de loi
portant diverses dispositions économiques et financières - par l'allégement du
coût de transmission des entreprises - c'était l'objet d'amendements présentés
par le rapporteur général à l'occasion de l'examen du même projet de loi - par
la constitution d'une banque de développement pour les PME, afin de favoriser
leur essor et de faciliter le financement des entreprises nouvelles.
Deuxième grand chantier pour libérer les énergies : la réforme de l'impôt sur
le revenu, afin que ceux qui travaillent ne subissent pas une sorte de
confiscation du fait du poids de cet impôt.
Au cours des dernières années, on avait, d'une certaine façon, déplacé le
curseur en allégeant l'impôt frappant les revenus de la rente, les revenus des
placements, au détriment du travail. Eh bien, il s'agit aujourd'hui d'alléger
l'impôt qui pèse sur les revenus du travail, les revenus des salariés, des
travailleurs indépendants, de ceux qui entreprennent, qui investissent, qui
vont de l'avant, qui contribuent à la croissance et à la création d'emplois.
Le troisième chantier, c'est l'institution de fonds d'épargne retraite. Dans
presque tous les grands pays modernes, de tels fonds permettent de drainer une
masse d'épargne considérable.
Le débat parlementaire sur cette question s'est ouvert à l'Assemblée nationale
le 30 mai dernier, avec l'examen d'une proposition de loi. Il aurait pu, au
demeurant, s'ouvrir au Sénat, puisque M. Marini et quelques-uns d'entre vous
avaient déposé un texte pratiquement identique. Quoi qu'il en soit, il n'a pas
été possible de mener cette discussion à son terme lors de la précédente
session. Elle a repris voilà tout juste deux heures.
J'ai bon espoir que, dès ce soir, l'Assemblée nationale aura achevé la
première lecture de cette proposition de loi et que nous disposerons ainsi
bientôt d'un texte mettant bien en évidence la profonde convergence qui existe
entre le Gouvernement et le Parlement, ainsi que l'exemplarité de leur travail
de concertation.
Grâce à ce texte, nous pourrons apporter un surcroît de sécurité aux salariés,
dans la perspective de leur retraite, et, en même temps, nous permettrons à des
fonds d'épargne de contribuer au financement des entreprises, c'est-à-dire de
l'économie productive.
Il s'agit bien là d'une innovation majeure, qui a précisément pour objet de
libérer les énergies.
M. Philippe Marini.
Excellente réforme !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
L'assainissement des finances
publiques a suscité quelques incompréhensions en 1995. Mais il a fallu, si
j'ose dire, mettre les pendules à l'heure...
(M. le président de la commission et M. le rapporteur général sourient.)
Tant M. Lambert que M. Poncelet ont rappelé les données de cette problématique,
faisant justice de mauvais procès : il s'agissait de ramener le niveau des
prélèvements à sa juste mesure.
Il convenait tout d'abord d'alléger les charges sociales pesant sur les
salaires les plus modestes, pour contribuer au développement de l'emploi et à
l'amélioration de la compétitivité dans les secteurs économiques où les
salariés sont nombreux et donc menacés par des opérations de délocalisation.
Il fallait également remettre à niveau les comptes sociaux ; c'était une
nécessité vitale pour la pérennité de notre système de protection sociale.
Il était non moins impératif de réduire le déficit de l'Etat. Puis-je rappeler
que celui-ci a atteint, en 1994, 5,6 % de la richesse nationale ? En 1995,
grâce aux mesures qui ont été prises au cours de l'été, cette proportion a été
ramenée à un peu moins de 5 %, ce qui nous permet d'espérer qu'elle se situera
à 3 % en 1997.
Bien sûr, cela fait planer le risque d'une altération de la croissance et
d'une restriction de la consommation. C'est pourquoi différentes dispositions
ont été prises au cours de l'année 1996 pour alléger l'impôt en faveur de ceux
qui investissent, de ceux qui consomment, de ceux qui contribuent à la création
d'un parc de logements locatifs. Il s'agit de mesures de soutien à
l'activité.
De la même façon, en 1997, si vous le voulez bien, nous allons débloquer 15
milliards de francs, correspondant à des primes accumulées sur des plans
d'épargne populaire ouverts en 1990. Ce sont donc 15 milliards de francs qui
seront mis à la disposition de foyers modestes. Je rappelle que 1,7 million de
foyers sont exonérés d'impôt sur le revenu. Ces 15 milliards de francs ne
dégraderont pas le déficit budgétaire puisqu'il s'agit de sommes provisionnées
au fil des exercices budgétaires.
Tout cela nous place dans de bonnes perspectives de croissance.
Certes, le premier semestre a été décevant, mais le second fait apparaître des
signes très encourageants et les statisticiens tablent sur une tendance de
croissance moyenne de 2 %, ce qui conforte la prévision que j'ai retenue pour
1997, à savoir 2,3 %.
La réforme de l'impôt, ce sont 75 milliards de francs d'allégements sur cinq
ans - et je rappelle que l'impôt sur le revenu « rapporte » 300 milliards de
francs par an -, dont 25 milliards de francs dès 1997.
Le choix qui a été opéré est socialement juste et économiquement efficace. Il
doit nous permettre de convaincre les contribuables français que notre système
n'est pas une « centrifugeuse » qui risquerait de conduire à une délocalisation
des assiettes fiscales et, quelquefois, des activités.
Ce dispositif est favorable au travail, aux familles, en particulier aux
familles nombreuses. C'est donc une mesure qui va dans la bonne direction, et
j'ai été particulièrement sensible aux appréciations qu'ont portées MM.
Poncelet et Lambert à ce sujet.
Pouvions-nous aller plus vite ? Certes, nous voudrions alléger l'impôt plus
massivement encore, mais nous devons respecter l'objectif de réduction du
déficit. Si les années qui viennent font apparaître des marges d'allégement des
impôts, nous aurons ensemble à en débattre. M. Lambert a souhaité que, à
l'occasion du débat d'orientation budgétaire, puisse s'engager une discussion
sur les grandes orientations fiscales ; ce sera le cas dès le printemps
prochain.
MM. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, et Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Nous pourrons alors évoquer
d'autres impôts qu'il conviendrait d'alléger, des impôts sur la consommation,
notamment.
Dans le projet de loi de finances tel qu'il vous est soumis, le solde
budgétaire s'élève à 284,8 milliards de francs. La discussion à l'Assemblée
nationale s'était ouverte avec un solde de 283,7 milliards de francs. Je compte
sur le Sénat pour nous aider à revenir à l'objectif initial. Je ne doute pas
que les discussions qui vont s'ouvrir permettront de tendre vers cet objectif.
Le Gouvernement se prêtera de bonne grâce à toutes les actions qui pourront
contribuer à l'atteindre.
A ce stade de mon intervention, je souhaite rendre hommage à une initiative de
M. le rapporteur général : il est bon, en effet, que chacun ait constamment à
l'esprit ce que représente la dépense fiscale, de manière à se montrer
éventuellement plus prompt à faire disparaître tel ou tel élément de dépense
fiscale qui aurait perdu de son utilité. C'est parce que nous réduirons la
dépense fiscale que nous pourrons faire baisser les barèmes d'impôt ; c'est
dans ces conditions que nous aurons des impôts plus simples, plus
compréhensibles et que, sans doute, nous obtiendrons une meilleure adhésion
civique à l'impôt.
M. le rapporteur général s'est interrogé sur le niveau des crédits de
rémunérations et il s'est demandé s'ils seraient suffisants.
Les crédits de rémunérations et de pensions ont été évalués, dans le projet de
budget pour 1997, en fonction de la valeur du point en vigueur, soit 322,44
francs.
Ils permettront une progression de la rémunération moyenne des personnels en
place, avant toute mesure générale de revalorisation des traitements dans la
fonction publique, de 2,8 % en 1997, soit un gain de pouvoir d'achat de 1,5 %,
compte tenu de l'incidence des protocoles catégoriels pluriannuels, qui
représentent 0,6 point, et de l'effet des avancements et des promotions, qui
représentent 2,2 points.
Il faut souligner que ce gain de pouvoir d'achat est d'ores et déjà supérieur
à celui qui a été enregistré au cours de la majorité des années quatre-vingt.
L'extraordinaire ralentissement de l'inflation ne doit pas nous faire perdre de
vue que l'avancement automatique et les promotions prennent désormais une part
prépondérante des gains de pouvoir d'achat des agents publics.
Le financement de l'augmentation des rémunérations dans la fonction publique
en 1997 pourra également être assuré par des provisions inscrites au budget
général et au budget de la défense.
Je peux rassurer le Sénat : les moyens de financer à leur juste niveau les
rémunérations des fonctionnaires figurent bien dans le projet de budget pour
1997.
Vous avez également évoqué, monsieur le rapporteur général, les incertitudes
qui planent sur le coût budgétaire de la mesure d'allégement des charges
sociales tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction du
temps de travail, en application de la loi de Robien. Huit cents millions de
francs sont inscrits à ce titre dans le projet de budget pour 1997.
Il est exact que de nombreuses entreprises semblent intéressées par le
dispositif qu'a institué la loi du 11 juin 1996. Des accords ont d'ores et déjà
été signés avec les responsables syndicaux. Néanmoins, les négociations
continuent au sein des entreprises et il est difficile de vous indiquer
aujourd'hui le nombre exact d'accords qui seront signés en 1997.
La dotation inscrite permet de financer un nombre substantiel d'accords. Les
engagements de l'Etat seront tenus et il n'est pas question de remettre en
cause ce dispositif.
S'agissant des recettes de privatisation, le projet de loi de finances pour
1997 prévoit l'inscription de 27 milliards de francs de produits de cession, au
titre, notamment, de l'ouverture du capital de France Télécom, qui devrait
constituer, et de loin, la principale source des recettes de cession de titres
de l'Etat. Il ne s'agit là, je le souligne, que d'une prévision : les produits
attendus de cette opération dépendront de la quotité des titres vendus et de la
valorisation de l'entreprise, qui, bien entendu, ne sont pas définies ni même
clairement évaluées aujourd'hui.
Je confirme que ces opérations de mise sur le marché devraient intervenir au
printemps prochain.
La situation difficile des entreprises du secteur public justifie que
l'ensemble des recettes de cession attendues en 1997 soit affecté à leur profit
; elles en ont, croyez-moi, bien besoin ! A ce titre devraient notamment être
bénéficiaires de dotations et avances d'actionnaires de l'Etat l'établissement
public Réseau ferré national, RFN, lorsqu'il aura été créé par la loi,...
M. Jean-Pierre Masseret.
Ce n'est pas encore fait !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
... Charbonnages de France,
GIAT-Industries et les structures de défaisance du Crédit Lyonnais et du
Comptoir des entrepreneurs.
Il n'est pas possible d'être aujourd'hui plus précis sur la répartition de ces
sommes, mais naturellement, dès que je disposerai d'éléments d'information, je
ne manquerai pas de les tenir à votre disposition.
Certains peuvent s'interroger sur le point de savoir si ces dotations seront
suffisantes pour faire face aux besoins en fonds propres auxquels sont
aujourd'hui confrontés les entreprises publiques. Je voudrais souligner que
jamais l'effort consenti pour les entreprises publiques n'aura été aussi
important : en incluant les dotations envisagées pour 1997, au total, près de
120 milliards de francs y auront été consacrés sur la période 1993-1997, dont
plus de la moitié en 1996 et 1997.
Si l'Etat est prêt à faire cet effort, c'est soit pour assurer dans de bonnes
conditions le transfert de certaines entreprises publiques du secteur public au
secteur privé, soit pour accompagner d'autres entreprises publiques dans leurs
efforts de redressement.
Enfin, si l'Etat remplit ainsi son devoir d'actionnaire, il ne faut pas
oublier que, en cette période de ressources budgétaires rares, les entreprises
qu'il aide ainsi doivent également être bien gérées et qu'elles sont tenues à
la compétitivité pour contribuer au développement de l'économie de notre
pays.
Vous avez également souhaité des détails, monsieur le rapporteur général, sur
les 60 milliards de francs d'économies réalisées par le Gouvernement. Le
ministre délégué au budget, Alain Lamassoure, développera tout à l'heure les
mesures que nous avons prises pour parvenir à ce résultat.
Je dirai simplement que le Premier ministre a dû faire preuve, comme chacun
des membres du Gouvernement, - aucun secteur n'a été écarté - d'un grand
volontarisme politique, tout en dégageant quelques priorités telles que
l'emploi.
S'agissant des réformes structurelles, le nombre d'agents civils de l'Etat
sera réduit l'an prochain de 5 600, tous les départs d'agents de l'Etat à la
retraite n'étant pas compensés.
En ce qui concerne la défense, le plan de professionnalisation des armées nous
conduit à des créations de postes en contrepartie de la réduction du nombre
d'appelés.
J'entends dire que nous n'avons pas fait assez, mais souvenez-vous que c'est
la première fois depuis dix ans qu'un gouvernement procède à des réductions
d'effectifs dans la fonction publique.
En fait, si nous voulons maîtriser les dépenses d'administration générale,
nous devons maîtriser les dépenses liées à la fonction publique qui
représentent plus de 600 milliards de francs, soit 40 % du budget.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement propose un effort étalé sur
plusieurs années en faveur d'une amélioration de la productivité de
l'administration par une réduction des effectifs dans les secteurs où une telle
réduction est possible. Ainsi, 5 600 suppressions d'emplois civils sont prévues
en 1997. A ce sujet, permettez-moi d'apporter quelques précisions
complémentaires.
Tout d'abord, le ministre de la fonction publique a négocié avec les syndicats
de fonctionnaires un accord qui permettra des embauches en contrepartie du
départ anticipé à la retraite de certains fonctionnaires. Ainsi, 15 000 emplois
seront concernés. Dans ces conditions, le nombre des recrutements de jeunes
pourra, en 1997, être maintenu au niveau de 1996, en dépit de la réduction des
effectifs.
Enfin, je souhaite répondre aux interrogations de M. le président de la
commission des finances à propos des collectivités locales. Depuis près de
vingt ans, la taxe professionnelle est, comme on dit, un sujet qui fâche et qui
altère les relations entre les élus et les entreprises. Nous devons donc nous
mettre au travail et constituer un groupe de réflexion pour discerner ce qu'il
est possible de faire et ce qui ne l'est pas.
Au fil des années, nous avons imaginé des abattements, des écrêtements et des
réductions. Ces mesures ont eu des effets limités et souvent pervers. Certes,
rien ne vaut une croissance plus élevée et une maîtrise des dépenses publiques
locales par la réforme afin de faire baisser le montant des impôts que nous
devons mettre en recouvrement pour équilibrer les budgets.
Nous devrons mettre à profit l'année prochaine pour présenter des propositions
et, surtout, mettre un terme à certains débats qui ouvrent de fausses fenêtres
ou créent de vaines espérances. Permettez-moi de rappeler l'importance des
compensations qui sont versées par l'Etat et qui instituent en quelque sorte
une confusion des genres.
Les règles du jeu - il faut insister sur ce point - doivent être
transparentes. Tel est l'esprit dans lequel nous avons conclu le pacte de
stabilité budgétaire, et je vous remercie d'avoir bien voulu confirmer que nous
tiendrons, en 1997, l'engagement que nous avions pris.
Nous avons dû diminuer la dépense publique, tout en maintenant la progression
des crédits transférés aux collectivités territoriales.
L'inclusion dans le projet de loi de finances initial pour 1997 d'une mesure
tendant à limiter le versement de l'Etat aux collectivités locales au titre de
la réduction pour embauche et investissement traduisait assez clairement les
difficultés auxquelles M. Lamassoure et moi-même avons été confrontés pour
équilibrer le projet de budget.
Notre initiative n'ayant pas été accueillie favorablement à l'Assemblée
nationale, nous aurions pu être tentés de la reprendre dans une configuration
allégée.
M. René Régnault.
Vous n'auriez pas été mieux traités !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Mais, après avoir écouté M. le
président de la commission des finances, je crois que le Sénat, en sa qualité
de grand conseil des communes de France, n'aurait pas accepté une telle
proposition. Je vous confirme donc que le Gouvernement n'a pas l'intention de
reprendre l'initiative en la matière.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Tant mieux !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Nous voulons respecter
intégralement le pacte de stabilité financière conclu entre l'Etat et les
collectivités territoriales.
M. René Régnault.
Elles ne l'ont pas signé !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
L'Assemblée nationale a proposé
une revalorisation de 1,1 % des bases foncières des impôts locaux. Si les élus
veulent bien maintenir les taux de 1996 en 1997, le produit fiscal progressera
de 1 %.
Je confirme, par ailleurs, que le Gouvernement a bien l'intention de
poursuivre la concertation avec le Comité des finances locales afin de proposer
une révision des valeurs cadastrales.
Compte tenu du temps nécessaire pour mener à son terme ce travail législatif
et maîtriser les difficultés techniques, notamment informatiques, l'échéance la
plus probable se situera au 1er janvier 1999. Si tout se réalise dans les
meilleures conditions, nous serons donc en mesure de mettre en oeuvre cette
réforme le 1er janvier 1999.
M. Philippe Labeyrie.
Vous ne serez plus là !
(Sourires.)
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Enfin, la baisse des taux
d'intérêt permettra d'alléger de 6 500 millions de francs la charge de la dette
qui pèse sur l'ensemble des collectivités territoriales. Il s'agit d'une
première étape. En effet, au fil des années, les emprunts seront renégociés ;
ceux qui ont été conclus à des taux élevés disparaîtront progressivement et
nous tirerons les pleins effets de cette réduction des taux d'intérêt.
Dans un souci de transparence, j'ai souhaité que le budget de l'Etat soit
dorénavant présenté en distinguant les sections de fonctionnement et
d'investissement.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
On pourrait croire qu'il s'agit
là d'une simple question de forme. Mais il est des questions de forme qui
permettent de traiter des questions de fond. C'est en identifiant clairement la
nature de nos déficits que nous pourrons le plus efficacement les conjurer.
A cet égard, nous devons être attentifs au niveau du déficit de
fonctionnement. Il est plus facile de renoncer à une dépense d'investissement
que de remettre en cause les dépenses de fonctionnement. Or, prenons garde ! Si
nous ne sommes pas capables de conduire efficacement cette réforme
structurelle, nous risquons d'altérer le niveau de nos investissements.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Et l'avenir !
M. Jean Arthuis,
ministre de l'économie et des finances.
Certes ! Il est donc urgent de
faire disparaître le déficit de fonctionnement et de prélever sur les sections
de fonctionnement les ressources nécessaires au remboursement des emprunts
contractés antérieurement et venant à échéance. En agissant ainsi, nous mettons
un terme à ce que Jacques Rueff aurait appelé nos « péchés budgétaires ».
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je
tenais à vous dire aujourd'hui sur ce projet de budget pour 1997, que j'ai
qualifié de tournant, et ce n'est pas un exercice de style. Je tiens à saluer
les initiatives prises par le Sénat en matière de réforme, qu'il s'agisse de la
procédure budgétaire, entamée dès le printemps devant le Parlement, ou de la
discussion générale du projet de loi de finances puisque le rapporteur général
et le président de la commission des finances sont intervenus avant le
Gouvernement, permettant ainsi à celui-ci de répondre à leurs observations.
On pourra toujours nous objecter qu'il était possible de faire mieux en
matière budgétaire. Je pense, quant à moi, que nous sommes allés aussi loin que
nous le pouvions sans perdre de vue le développement économique et la cohésion
sociale.
Ce budget vient à l'appui d'un projet : nous voulons remettre l'économie
française sur les bons rails. A cette fin, nous n'avons pas d'autres moyens que
de ramener nos déficits à de plus justes proportions et d'organiser pour nos
concitoyens la décrue fiscale qu'ils attendent avec tant d'impatience.
Ainsi, nous créons les conditions d'une confiance véritable et nous nous
mettons en bonne position pour la monnaie unique qui est une chance immense
pour notre économie car elle écartera les risques de fluctuations monétaires
que nous subissons aujourd'hui.
Je voudrais, pour conclure, insister de nouveau sur la solidité des
engagements que nous venons de prendre.
En 1995, notre objectif était de contenir le besoin de financement des
administrations en deçà de 5 % du produit intérieur brut. Cet objectif a été
tenu. Cette année, notre objectif est de 4 %. La loi de finances rectificative
qui vous sera soumise dans quelques semaines confirmera cet objectif, qui sera
tenu.
En 1997, nous souhaitons passer sous la barre des 3 % de déficit. Le cap est
fixé ; nous ferons tout pour le tenir car c'est le cap de la confiance, de la
croissance et de l'emploi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, M. le ministre de l'économie et des finances vous a présenté le
cadre macro-économique de ce projet de loi de finances pour 1997, ainsi que les
principales orientations de la réforme fiscale et les grands choix budgétaires
que reflète ce texte.
Pour ma part, comme l'ont souhaité M. le rapporteur général et M. le président
de la commission des finances, je passerai rapidement en revue les principaux
choix politiques en matière de dépenses.
Lors du débat d'orientation budgétaire qui s'est instauré au printemps, vous
nous aviez invités à chercher des gisements d'économies susceptibles
d'équilibrer le budget de l'Etat. Nous en avons identifié une demi-douzaine et
nous avons essayé, suivant vos conseils, de dépenser moins et de dépenser
mieux.
Le premier gisement d'économies réside dans la dette. Grâce à la baisse des
taux d'intérêt, mais aussi à une gestion plus dynamique de la dette de l'Etat,
qui avait été souhaitée par plusieurs d'entre vous, notamment par M. le
président de la commission des finances, M. le rapporteur général et M.
Fourcade, nous allons pouvoir économiser 12 milliards de francs par rapport aux
prévisions que nous avions faites au printemps dernier.
Ainsi, nous avons inscrit dans le projet de budget pour 1997, au titre de la
dette, 232 milliards de francs. Cette somme est élevée mais, je le répète, elle
est moins importante que nous ne l'avions prévu.
Le deuxième gisement d'économies réside dans la contribution de la France au
budget européen. Grâce à une relative sous-exécution de ce budget en 1996, et,
surtout, au vote, en deuxième lecture, par le Conseil des ministres européen
et, en première lecture, par le Parlement européen d'un projet de budget pour
1997, qui tend à reconduire purement et simplement les dépenses de 1996, nous
pourrons réduire de 9 milliards de francs notre contribution au budget
européen. Celle-ci s'élèvera donc, l'année prochaine, à 87 milliards de
francs.
Le troisième gisement d'économies réside dans la politique de défense.
Plusieurs années après nos principaux partenaires, en particulier nos
principaux alliés de l'OTAN, nous avons tiré les enseignements de la fin de la
guerre froide. Nous avons donc modifié notre politique de défense, y compris
notre service national, et réduit de quelque vingt milliards de francs nos
dépenses militaires annuelles par rapport à la période précédente.
Cela dit, et je tiens à insister sur ce point, monsieur le président de la
commission des affaires étrangères, la France n'abaisse pas sa garde. En effet,
si nous nous référons aux chiffres de l'OTAN et si nous comparons le budget de
1987 avec le projet de budget pour 1997, nous constatons que la part des
dépenses militaires par rapport au produit intérieur brut passera, en France,
de 3,9 % à 3 %. Dans le même temps, elle est passée de 4,5 % à 3 % en
Grande-Bretagne, de 3 % à 1,7 % en Allemagne - les dépenses militaires de cet
Etat sont deux fois moins élevées que les nôtres - et de 6,5 % à 3,7 % aux
Etats-Unis.
Ainsi, d'une manière peut-être paradoxale, la France consacre aujourd'hui à la
défense relativement plus de moyens que ses alliés.
Les économies que nous réalisons ne nous empêchent toutefois pas de maintenir
nos dépenses d'équipement à un haut niveau, puisqu'elles atteignent 89
milliards de francs dans le projet de budget pour 1997.
M. Emmanuel Hamel.
Ce n'est pas assez !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
S'agissant de la force nucléaire stratégique, nous
pourrons, après la mise en service cet automne du
Triomphant,
financer,
l'année prochaine, deux autres sous-marins nucléaires lance-engins de nouvelle
génération, le
Téméraire
et le
Vigilant,
le développement du
futur missile M 51 et du futur ASMP. Nous pourrons également livrer
trente-trois chars Leclerc et assurer quarante-quatre commandes de ce char.
Nous pourrons, enfin, affecter 3,6 milliards de francs au programme Rafale tout
en poursuivant l'industrialisation de l'hélicoptère Tigre et le développement
de l'hélicoptère de transport NH 90.
Dans le même temps, nous mettrons en place le fonds de professionnalisation de
la défense auquel sera affecté 9 milliards de francs.
Comme l'indiquait M. le ministre de l'économie et des finances, la réforme de
notre système militaire se traduira, l'année prochaine, par la suppression de
32 000 emplois d'appelé, de 1 500 emplois de sous-officier et de 850 emplois
civils. En contrepartie, 7 500 emplois d'engagé seront créés, ainsi que 67
emplois d'officier.
(MM. Genton et de Villepin applaudissent.)
En même temps sont mis en oeuvre les moyens financiers pour contribuer à la
réindustrialisation des bassins d'emploi touchés par ces économies : une
vingtaine de régiments seront dissous l'année prochaine et huit bâtiments de
surface seront désarmés, mais, en contrepartie, des dispositifs permettront
d'aider à la création d'emplois ; je veux parler du fonds de restructuration
des entreprises de défense, le FRED, à hauteur de 950 millions de francs, ainsi
que des crédits européens, à savoir les 100 millions de francs du programme
CONVER et les 100 millions d'écus versés au titre de l'objectif II européen qui
pourront être spécialement affectés aux régions touchées par la restructuration
et la reconversion de nos activités de défense.
Les aides à la création d'emplois constituent un autre gisement d'économies.
C'est un sujet dont nous avions longuement discuté lors du débat sur les
orientation budgétaires et à propos duquel il y avait et il y a toujours
unanimité chez les partenaires sociaux, depuis la CGT jusqu'au CNPF, pour
considérer que les systèmes d'aides à l'embauche et à l'emploi sont trop
nombreux - on en compte quarante-quatre au total - trop coûteux et
insuffisamment efficaces.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
Nous avons pris un certain nombre de mesures, soit de
suppression - je pense à l'aide au premier emploi des jeunes - soit de
concentration des aides sur les personnes qui en ont le plus besoin - je pense
à l'aide à la création d'entreprises par les chômeurs, au contrat
initiative-emploi, à l'allocation formation-reclassement et à l'allocation de
soutien spécifique pour les chômeurs en fin de droits, de manière à réaliser 20
milliards de francs d'économies par rapport à la tendance spontanée du
budget.
Enfin, le dernier grand gisement d'économies concerne les dépenses
d'administration générale.
Bien entendu, parmi ces dépenses figurent d'abord les frais de fonctionnement
et ce que l'on appelle familièrement le train de vie de l'Etat. Rien n'est plus
populaire, dans un débat public, que de s'en prendre au train de vie de l'Etat
! Dans ce domaine, nous réduisons de 5 % en francs courants les moyens de
fonctionnement ordinaires, qui ne représentent cependant que 40 milliards de
francs sur un budget de 1 550 milliards de francs. Comme les gouvernements
précédents s'étaient également engagés dans un effort de réduction, en réalité,
cela n'apporte pas grand-chose.
La clé de la maîtrise du budget de l'Etat, c'est la maîtrise des dépenses de
personnels, qui représentent 600 milliards de francs, soit 40 %.
Dans un premier temps - l'année dernière - nous avons eu recours à une méthode
qui a consisté à geler le point de la fonction publique. Pour autant, les
dépenses de la fonction publique ont augmenté de plus de 3 %.
Aujourd'hui, nous nous proposons d'entrer dans une logique différente : l'Etat
doit participer aux efforts de productivité qui ont été accomplis par les
collectivités locales et, depuis longtemps, par les services administratifs des
entreprises.
En contrepartie de la réduction des effectifs, non pas aveugle et forfaitaire
dans l'ensemble des administrations et des ministères, mais étudiée au cas par
cas dans chacune de ces administrations, nous proposons d'intéresser, en
quelque sorte, les agents aux dividendes des progrès de productivité en
augmentant leur rémunération au fur et à mesure que ces progrès se
manifestent.
Tandis que 5 600 emplois civils seront supprimés l'année prochaine, M. Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation, engagera des négociations avec les organisations syndicales
sur le niveau des rémunérations en 1997. Ces différents gisements d'économies
nous ont permis d'économiser, au total, 60 milliards de francs par rapport à ce
qu'aurait été la tendance spontanée des dépenses. C'est l'objectif que nous
nous étions fixé, vous vous en souvenez, le 22 mai dernier, lors du débat
d'orientation budgétaire. En effet, si nous voulons maintenir nos dépenses en
francs courants - ce que nous parvenons à faire dans ce projet de budget compte
tenu des augmentations automatiques de certaines masses budgétaires - nous
sommes obligés de trouver ailleurs 60 milliards de francs d'économies. Voilà
qui est fait !
Il faut dépenser moins, mais, en même temps, comme l'a souhaité le Sénat, le
22 mai dernier, il faut s'efforcer de dépenser mieux. A cet égard, je citerai
quelques exemples pris dans les principaux secteurs d'intervention de l'Etat
montrant que nous avons essayé de dépenser mieux avec un budget qui n'augmente
pas globalement.
En premier lieu, la priorité doit être donnée, naturellement, à la politique
de l'emploi et à la politique de cohésion sociale.
S'agissant tout d'abord de la politique de l'emploi, 150 milliards de francs y
sont consacrés dans le projet de budget pour 1997, dont 47 milliards de francs
pour le traitement économique du chômage, notamment pour la réduction des
charges sociales sur les bas salaires, c'est-à-dire sur le travail peu
qualifié.
Je souhaite insister quelque peu sur ce point : 47 milliards de francs, cela
représente l'équivalent du budget de l'enseignement supérieur. Voilà quatre
ans, aucun crédit ne figurait sous cette rubrique ! Autrement dit, en quatre
ans, nous avons inscrit dans le budget, malgré tous les efforts d'économies que
j'ai décrits, un nouveau poste budgétaire équivalent à celui de l'enseignement
supérieur, afin de faire prendre en charge par l'Etat une partie des charges
sociales afférente aux salaires : elle est comprise entre 1 et 1,33 SMIC, ce
qui repésente pour l'entreprise un allègement de 1 160 francs au niveau du
SMIC, soit 13 % du coût du travail pour un travail à temps plein et de près de
20 % pour un travail à temps partiel.
Tous les économistes estiment que c'est l'action la plus efficace que l'on
peut entreprendre pour un traitement économique du chômage. On évalue à environ
200 000 le nombre d'emplois qui ont été, soit créés, soit sauvés par cette
politique, à laquelle nous consacrons donc des moyens très importants.
Sous la rubrique traitement économique du chômage figurent également
l'application de la loi de Robien, dont a parlé M. Arthuis, ainsi que
l'augmentation importante des moyens consacrés à la formation de jeunes : les
crédits affectés à l'apprentissage s'élèvent à 9,5 milliards de francs, ce qui
repésente une augmentation de 50 %, et notre objectif est de signer en 1997 220
000 contrats d'apprentissage et 130 000 contrats de qualification.
Dans le même temps, les aides lourdes seront recentrées sur les publics qui ne
pourraient pas trouver d'emploi sans des aides exceptionnellement élevées ; je
veux parler des contrats initiative-emploi, des contrats emploi-solidarité, des
contrats consolidés et des emplois de ville, qui sont des emplois non
marchands, financés par l'impôt.
S'agissant, ensuite, de la politique de cohésion sociale, grâce aux efforts
d'économies qui ont été consentis, les dotations d'actions importantes ont pu
croître de façon substantielle. A titre d'exemple, je citerai les moyens
affectés à l'allocation aux adultes handicapés : 22 milliards de francs y
seront consacrés, soit une augmention de 7 % en 1997. Par ailleurs - je le
disais tout à l'heure en réponse à une question d'actualité posée par Mme
Beaudeau - l'aide médicale aux plus démunis croîtra de 17 %. Au total, les
crédits consacrés à l'aide sociale augmenteront de 10,5 milliards de francs,
soit 5 % de plus par rapport à 1996.
Toujours au titre de la politique de cohésion sociale, les moyens financiers
affectés aux nouveaux développements de la politique de la ville croîtront de
30 % : ils représenteront un peu plus de treize milliards de francs l'année
prochaine.
Cette politique comporte la mise en oeuvre de moyens différenciés sur
l'ensemble du territoire : vous êtes maintenant familiarisés avec les 744 zones
urbaines sensibles, les 350 zones de redynamisation urbaine et les 43 zones
franches.
Elle comporte également la création de 100 000 emplois de ville, financés
essentiellement par l'Etat à raison de 25 000 emplois dès 1996, 25 000 emplois
en 1997 et 25 000 emplois pour les deux années suivantes.
Le second objectif du Gouvernement est de dépenser mieux pour soutenir
l'activité économique.
M. le rapporteur général et M. le président de la commission des finances ont,
à juste titre, critiqué le fait que nos choix budgétaires ont malheureusement
amputé l'investissement. C'est la raison pour laquelle M. Arthuis a expliqué
qu'il souhaitait que, désormais, à l'image de ce que nous faisons depuis
longtemps pour les collectivités locales, le budget de l'Etat distingue une
section de fonctionnement et une section d'investissement.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est bien !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
Néanmoins, nous avons consenti des efforts importants
pour soutenir l'investissement. A cet égard, je tiens à rappeler les principaux
efforts accomplis en matière d'investissement civil.
Tout d'abord, 53 milliards de francs seront consacrés au logement en 1997,
avec une réforme du financement de l'accession à la propriété : le prêt à taux
zéro. Après un an d'application de cette réforme, 131 000 prêts à taux zéro ont
été distribués, contre 55 000 prêts d'accession à la propriété, distribués en
1995, dernière année d'application du système précédent.
Nous proposons également d'engager une réforme très profonde - il s'agira en
même temps d'une simplification - des prêts locatifs aidés, les PLA : en 1997,
leur nombre restera inchangé par rapport à 1996, soit 80 000, mais la prime
sera supprimée et, en contrepartie, le taux de TVA applicable diminuera ;
désormais, la construction de logements locatifs sociaux bénéficiera du taux
réduit de TVA.
Dans le même temps, nous augmentons les aides personnelles au logement, tout
en les réformant pour les rendre plus équitables : 30 milliards de francs y
seront consacrés, soit 8 % de plus que l'année précédente.
Nous veillons également à soutenir l'emploi dans l'artisanat du bâtiment, en
particulier au travers de l'une des dispositions importantes de la réforme de
l'impôt sur le revenu : celle-ci permettra aux contribuables de déduire une
partie des sommes qu'ils consacrent à l'amélioration ou aux grosses réparations
de leur habitation principale.
Les dotations de 120 000 PALULOS de l'Agence nationale d'amélioration pour
l'habitat permettront aussi de soutenir l'activité de l'artisanat du
bâtiment.
Sous la même rubrique investissement, je citerai également l'aménagement du
territoire, un sujet que vous avez évoqué, monsieur le président de la
commission. Sur ce point, le « bleu » de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de
l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration, ne paraît pas
particulièrement bien fourni.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il n'est pas satisfaisant !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
C'est peut-être l'un des points dont nous pourrons
discuter et sur lequel des améliorations sont possibles. Le Premier ministre
vous a donné quelques indications à cet égard, me semble-t-il.
Je vous rappelle que, à côté du « bleu » du ministère de l'aménagement du
territoire, de la ville et de l'intégration, l'ensemble des ministères
consacrent 63 milliards de francs à la politique d'aménagement du territoire,
auxquels s'ajoutent les crédits européens. Je rappelle, en particulier, que
pour ce que l'on appelle les zones d'objectif II, c'est-à-dire les zones
urbaines touchées par la reconversion industrielle, nous bénéficierons, entre
1997 et 1999, d'un montant de crédits de 13 milliards de francs, soit une
augmentation de 17 % par rapport à ce qui était prévu jusqu'à l'année
dernière.
Au titre de l'investissement et des activités de soutien à l'économie, je
voudrais évoquer aussi, bien entendu, l'agriculture. Le projet de budget de
l'agriculture s'élève à 35 milliards de francs. Le Sénat sait que, en matière
agricole, c'est le budget européen, par l'intermédiaire du Fonds européen
d'orientation et de garantie agricole, le FEOGA, qui est le plus important. A
cet égard, 56 milliards de francs provenant du FEOGA bénéficieront aux
agriculteurs français l'année prochaine.
Naturellement, c'est le secteur de la viande bovine qui est la première
priorité, compte tenu de la crise que nous connaissons. Au total, ce sont 7,5
milliards de francs sur financement communautaire ou national qui auront été
consacrés en 1996 et 1997 à soutenir le revenu des éleveurs bovins.
M. le ministre de l'agriculture a eu d'autres priorités. D'abord,
l'enseignement agricole - auquel, je le sais, le Sénat est très attaché -
bénéficiera de crédits qui progresseront deux fois plus que la hausse des prix.
En effet, à la différence de ce qui se passe dans l'enseignement général, les
effectifs croissent dans l'enseignement agricole, qui donne une formation de
qualité et qui débouche sur de véritables emplois. Quatre-vingt-sept créations
d'emplois d'enseignant dans l'enseignement public agricole sont prévues l'année
prochaine.
L'installation des jeunes constitue également une autre priorité pour M. le
ministre de l'agriculture, conformément aux conclusions de la charte nationale
d'installation des jeunes que M. le Premier ministre avait signée en novembre
1995. Les crédits des stages préparatoires à l'installation augmentent d'un
tiers.
Une autre priorité est la mise aux normes des installations agricoles pour
protéger l'environnement et des bâtiments d'élevage, ce que l'on appelle la
PMPOA. Les aides aux investissements concernant les bâtiments d'élevage
augmenteront de 27 % l'année prochaine.
Enfin, un effort de 300 millions de francs est fait pour les retraites dans
l'agriculture. De même, un effort de 170 millions de francs est effectué au
profit de l'Office national des forêts, pour l'aider dans la gestion des forêts
des collectivités locales.
Il faut dépenser mieux aussi pour les fonctions traditionnelles de l'Etat,
c'est-à-dire ses fonctions régaliennes.
J'ai évoqué précédemment la défense, je n'y reviens pas. Je saluerai l'effort
d'économies réalisé par le ministère de l'intérieur. Ces économies concernent
le personnel, notamment administratif. Elles permettent non seulement
d'améliorer l'informatisation, mais également de moderniser la flotte
d'hélicoptères de la sécurité civile.
(Exclamations et sourires sur les
travées socialistes.)
M. René Régnault.
Intra-hexagonale !
Plusieurs sénateurs socialistes.
En France !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
J'ai parlé en effet de la sécurité civile.
De plus, a été prévue une augmentation des moyens du ministère de la justice :
24 milliards de francs y seront consacrés et le ministère va économiser 88
millions de francs sur ses moyens de fonctionnement ordinaires. En
contrepartie, il pourra ainsi financer des créations d'emplois dont nous avons
besoin : 46 emplois de magistrats, 108 emplois dans les greffes, 35 emplois en
ce qui concerne l'éducation surveillée et 170 emplois dans l'administration
pénitentiaire, notamment 130 emplois pour la mise en service du centre
pénitentiaire de Rémiré-Montjoly en Guyane.
Je n'évoquerai pas le budget des collectivités locales, que M. le ministre de
l'économie et des finances a traité de manière précise.
Il s'agit aussi de dépenser mieux pour la préparation de l'avenir. Je voudrais
naturellement citer, je terminerai par là, les montants importants que nous
consacrons à l'éducation nationale, à l'enseignement supérieur et à la
recherche.
M. René Régnault.
Vous supprimez des postes !
M. Alain Lamassoure,
ministre délégué.
Le budget de l'éducation nationale, de l'énseignement
supérieur et de la recherche s'élèvera à 342 milliards de francs. Il comporte
des choix budgétaires, des choix politiques qui n'ont pas été faciles. Priorité
est donnée à l'enseignement supérieur puisque, dans ce secteur, les effectifs
continuent d'augmenter. Ainsi, on prévoit 13 500 étudiants supplémentaires à la
rentrée 1997. Dans l'enseignement supérieur, seront créés 2 700 postes : 1 500
postes d'enseignant, 1 000 postes d'IATOS - ingénieurs, administratifs,
techniciens, ouvriers de service - et 200 postes de bibliothécaires.
Pour commencer la mise en place de la réforme de l'enseignement supérieur,
nous proposons d'affecter 250 millions de francs à l'expérimentation du
tutorat, et une somme identique pour améliorer le statut social des étudiants,
notamment pour faire évoluer le régime des bourses. Enfin, 5,5 milliards de
francs seront consacrés aux investissements dans l'enseignement supérieur.
En contrepartie, des économies sont réalisées sur l'enseignement primaire et
secondaire. En effet, compte tenu de la baisse de la natalité, le nombre
d'enfants inscrits dans le primaire et le secondaire diminue de 50 000 chaque
année. Aussi, nous réduirons corrélativement de 5 000 le nombre des enseignants
du primaire et du secondaire à la rentrée prochaine. Cette mesure n'empêchera
ni de maintenir l'ensemble des écoles en milieu rural, conformément aux
engagements qui ont été pris, ni d'accroître le taux d'encadrement en zone
urbaine, en particulier dans les zones d'éducation prioritaire. Dans le même
temps, seront créés 150 emplois de maître d'internat dans les zones
urbaines.
Enfin, le budget de la recherche augmente également et 50 milliards de francs
sont prévus. Là aussi, un effort de redéploiement important a été réalisé, avec
la suppression de 500 postes administratifs dans les grands organismes de
recherche. Cela a permis de créer quatre-vingts postes de chercheur et
d'augmenter de plus de 4 % les moyens de fonctionnement des bibliothèques
universitaires.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques
exemples des efforts que nous vous proposons de faire pour dépenser moins et
pour dépenser mieux. Ce n'est pas un exercice politiquement facile et, à partir
de jeudi prochain, vous examinerez chacun des « bleus », chacun des budgets
ministériels. Vous pourrez constater que, sur les trente-huit budgets qui
seront soumis à votre vote, vingt-six sont en baisse et douze seulement en
augmentation.
Il s'agit d'une politique que notre pays a besoin et qui avait été depuis trop
longtemps différée. Si nous voulons soulager l'activité économique, lui
redonner du dynamisme, permettre à nos entreprises de créer des emplois, si
nous voulons à la fois réduire l'endettement - donc les déficits - et, surtout,
la pression fiscale, tout commence par la maîtrise de la dépense. Cela exige du
courage. C'est de courage que notre pays a le plus besoin, et c'est ce qui fait
le moins défaut à la majorité sénatoriale. C'est pourquoi le Gouvernement se
réjouit à l'avance du vote qu'elle émettra.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel.
Belle prestation, mais funestes choix !
(Sourires.)
M. Alain Gournac.
Très belle prestation, en effet !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 103 minutes ;
Groupe socialiste, 85 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 70 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 54 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 33 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 25 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
15 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
L'attention soutenue, et par instant un peu passionnée, avec laquelle vous
avez été écoutés, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la
commission des finances, ainsi que vous-mêmes, messieurs les ministres, est une
illustration de ce que nous ressentons tous. Ce budget, qui se situe à
mi-chemin entre l'élection présidentielle et la prochaine grande consultation
des Français, laquelle coïncidera pratiquement avec l'arrivée de la monnaie
unique, se doit de clore une époque en en ouvrant une autre.
Il s'agit de clore l'époque du glissement inconscient des Français et de la
France, d'ailleurs insuffisamment assumé par ses dirigeants, vers le gouffre
d'un surendettement créé sur des dépenses courantes. Je vous remercie,
messieurs les ministres d'avoir les premiers exposés, en termes simples et par
conséquent compréhensibles pour l'ensemble des Français, la réalité de ce
phénomène.
M. Xavier de Villepin.
C'est vrai !
M. Paul Girod.
Cependant, époque à clore pour époque à clore, pourquoi continuons-nous à
penser ou à faire comme si existait des réponses administratives à des
problèmes économiques ? J'aurai l'occasion d'y revenir lorsque nous examinerons
le budget du commerce extérieur, mais tous ceux qui tentent désespérément
d'entreprendre ou même simplement d'aubaucher pourraient en parler encore mieux
que moi s'ils n'étaient trop souvent découragés et parfois écoeurés par la
paperasse et la suspicion
a priori.
M. Roland du Luart.
Effectivement !
M. Paul Girod.
Mais époque à clore pour époque à clore, comment être certain de la prise de
conscience au plus haut niveau de la nécessité d'arrêter la spirale lorsqu'on
continue, de texte en texte, à ajouter des contraintes chaque jour plus
dispendieuses en matière de normes ou d'organisation à des collectivités
locales dont on laisse trop de responsables fustiger l'évolution fiscale sans
se rendre compte qu'on tarit ainsi la dernière et majeure source
d'investissement public civil dans notre pays ?
La même réflexion vaut d'ailleurs pour bien des entreprises dont les ambitions
positives se trouvent de ce fait trop souvent tronquées, voire découragées.
Il reste, selon moi, bien des réflexions à mener sur le choix des priorités.
Le feu financier est à la maison France. C'est tristement vrai, et vous n'en
portez pas la responsabilité. Mais quand la maison brûle, pense-t-on à
l'embellir ? Ne faut-il pas d'abord songer à la sauver ?
Pour ce faire, messieurs les ministres, ouvrant une nouvelle époque, vous
cherchez, dans la clarté, avec honnêteté et courage, à amener les Français à
reprendre l'initiative, en commençant à alléger les charges obligatoires qui
pèsent sur eux. Vous avez raison. C'est le seul moyen de faire revenir la
confiance chez ceux qui peuvent relancer la machine ou cesser de la détériorer,
et je pense ici à l'« émigration » fiscale.
Mais au-delà des querelles de chiffres, avec 25 milliards de francs en moins
ici et quelques milliards supplémentaires là, ce qui alimentent les
conversations et les discours éminents des experts, me vient cette réflexion :
pourquoi n'y croyez-vous pas plus ou, ce qui en politique est la même chose,
pourquoi donnez-vous le sentiment de ne pas y croire davantage ?
Pourquoi ne pas accélérer les choses et les rendre plus irréversibles encore ?
En effet, partant de votre conviction, que vous avez encore réaffirmée voilà
quelques instants, messieurs les ministres, de l'efficacité de cette
orientation, vous ne semblez pas en escompter d'effets bénéfiques à moyen terme
sur l'activité puisqu'une bonne part des hypothèses sur lesquelles vous avez
construit votre budget n'intègrent pas, semble-t-il, les conséquences
éventuellement positives des décisions que nous allons prendre ensemble.
Ou alors, n'y a-t-il pas ailleurs un autre obstacle, psychologique ou
monétaire, dont vous n'admettez pas qu'il est plus difficile à lever et qui est
peut-être l'une des véritables raisons de nos blocages et de nos difficultés
?
Un éminent chef d'entreprise qui, de surcroît, se pique non sans raison
d'économie me disait un jour que la lutte contre l'inflation en France était
d'autant plus nécessaire et difficile que les Français, peuple intelligent et
pas toujours pour son bien, assimilaient si bien le phénomène par leurs
réflexes d'anticipation qu'ils le rendaient incontrôlable. Malheureusement, la
même constatation vaut en sens inverse : dans le doute, dans la peur du
lendemain, ce même peuple, transformé en peuple de fourmis, bloque, sans s'en
rendre compte, sa propre économie.
Monsieur le ministre du budget, je voudrais vous livrer en toute franchise une
réflexion qui ne fera peut-être pas plaisir à M. le ministre de l'économie et
des finances : l'argument des taux bas n'a pas de sens ou, à tout le moins, a
une importance extraordinairement relative si l'investisseur hésite ou a peur.
Je crains que nous ne soyons, pour une bonne part, dans cette situation.
Si vous voulez que l'obstacle psychologique, qui, pour l'instant, freine trop
de choses dans ce pays, s'allège, si vous voulez que la machine reparte, que
les Français, qui sont les seuls à décider de la réalité de notre avenir
économique, consomment ou investissent, libérez davantage leurs initiatives,
croyez à ce que vous mettez en place, n'écoutez pas ceux qui, à Bercy ou
ailleurs, vous inspirent plus de prudence que d'audace, tout en pensant
d'ailleurs, comme sur l'affaire de la caisse nationale de retraite des agents
des collectivités locales, que l'on résout un problème en le retardant !
Un sénateur socialiste.
Très juste !
M. Paul Girod.
Si gouverner, c'est prévoir, c'est aussi oser. Qui aurait cru, en avril 1958,
que l'économie était à la veille de l'expansion qu'on a connue dans les années
qui ont immédiatement suivi ? Qui n'a pas eu le souffle coupé devant l'audace
de la République fédérale d'Allemagne légitimant d'un seul coup et contre tout
raisonnement monétaire classique la valeur du mark oriental ?
Monsieur le ministre, très honnêtement, si je reconnais - et je ne suis pas le
seul dans le groupe auquel j'ai l'honneur d'appartenir - la bonne direction
générale dans laquelle va votre projet de budget, je regrette néanmoins
beaucoup qu'elle ne vous ait pas inspiré plus d'audace optimiste. Ce projet de
budget ouvre à mon avis trop timidement les bonnes portes. Je constate que ses
priorités à l'éducation, à la solidarité, à la sécurité, à la justice, que vous
venez d'ailleurs de rappeler, sont une bonne appréciation des relativités de
l'heure.
J'aborderai donc avec mes collègues la discussion dans un esprit constructif,
en gardant bien entendu l'espoir d'en améliorer ici ou là le contenu,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Vous l'espérez !
M. Paul Girod.
... même si cet espoir est un peu bridé par la Constitution de la Ve
République et l'ordonnance relative aux lois de finances.
Mais, messieurs les ministres, je ne voudrais pas quitter cette tribune sans
vous redire ce que je pense profondément : si vous avez raison dans vos
orientations, vous n'y croyez cependant pas assez, vous manquez un peu
d'audace. Je souhaite donc que vous en ayez davantage et que les mesures que
vous prendrez se révèlent efficaces pour notre pays afin que, dans le courant
de l'année, nous soyons amenés à constater ensemble qu'on peut aller un peu
plus vite que vous ne le croyez, un peu plus loin que vous ne l'espérez et que,
la machine étant repartie, nous ayons devant nous des années d'intégration
européenne qui dépasseront ce que l'on peut en attendre.
Voilà, je crois, le grand service que l'on peut rendre à notre pays ; mais,
encore une fois, pour l'amour du ciel, osez !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au risque
de nuire au suspense, je dirai que, comme la majorité de mes collègues non
inscrits, je voterai en faveur du projet de budget qui nous est soumis.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
Je le ferai, car je pense qu'il va dans la bonne direction, qu'il s'inspire de
bons principes, et, surtout, qu'il essaie de faire au mieux dans un contexte
difficile. Est-ce pour autant qu'il nous donne entière satisfaction ? Non, et
j'aurai l'occasion d'y revenir.
Ce projet de budget s'inspire de bons principes, car, comme vous l'avez
souligné, monsieur le ministre, les dépenses y sont contenues pour la première
fois, ce qui permet de stopper la dérive des déficits publics. Mais, s'il
arrête la dérive, il ne la réduit pas, ce qui veut dire que, l'an prochain,
l'endettement sera non plus de 3 500 milliards de francs, mais de 3 800
milliards de francs.
Il va dans la bonne direction : en effet, monsieur le ministre, en amorçant la
réforme fiscale, vous indiquez très nettement votre volonté de diminuer le
montant des prélèvements, handicaps à notre compétitivité, témoins criants des
rigidités d'un pays suradministré.
Il essaie de faire au mieux dans un contexte difficile : je trouve
extraordinaire l'absence de mémoire ou l'aveuglement de tous ceux qui ne voient
pas que vous êtes obligé de régler les problèmes que vos prédécesseurs, par
négligence, par calcul ou par manque de courage politique, n'ont pas réglés,
repoussant toujours à plus tard le moment fatidique où il faudrait affronter la
réalité et « faire le ménage ».
Alors, me direz-vous, compte tenu de ces attendus positifs et de ces jugements
favorables, pourquoi émettre quelques réserves ?
D'emblée, je tiens à vous dire que ces réserves et les réflexions qui les
sous-tendent se veulent constructives et s'adressent tout autant au
Gouvernement qu'aux parlementaires que nous sommes et à tous les Français.
Les bons principes auraient voulu, monsieur le ministre, que le déficit soit
encore réduit d'une centaine de milliards de francs, même s'il avait fallu,
pour cela, « tailler dans le vif » et diminuer les aides en tous genres que
tout le monde critique, mais que chacun s'ingénie, ensuite, à vouloir maintenir
en faveur de son secteur.
M. Charles Descours.
Bien sûr !
M. Philippe Adnot.
Monsieur le ministre de l'économie et des finances, nous vous devons d'avoir
rendu la lecture du budget de l'Etat plus facile et plus claire ; mais cela ne
rend que plus cruel le constat : chaque année, l'Etat emprunte pour couvrir des
déficits de fonctionnement : 109 milliards en 1996, 115 milliards en 1997, soit
près de 40 % du déficit total de 284 milliards de francs. Il n'y a donc aucun
autofinancement des investissements ! Tel est le défi que l'Etat doit relever.
Il serait intéressant, à cet égard, de calculer, dans le stock de 3 500
milliards de francs, quelle somme est due à la couverture de ce déficit cumulé
de la section de fonctionnement.
Le niveau d'endettement n'est pas, pour moi, le critère majeur. A quoi a servi
cet endettement ? Telle est la vraie question. Un jeune ménage qui a construit
sa maison est plus endetté qu'un couple locataire de son appartement. Ce n'est
pas grave. Le drame de la France est qu'elle est endettée, mais que la maison
est loin d'être terminée.
Compte tenu de ce qui précède, je m'interroge, monsieur le ministre, sur
l'opportunité qu'il y avait de baisser les impôts dès cette année, d'autant que
je ne suis pas certain que tous les ministères aient compris que la baisse des
prélèvements n'a de sens que si elle est globale.
Ce qui nuit à la compétitivité de la France, au pouvoir d'achat des Français,
à la capacité de nos entreprises à gagner des parts de marché, donc des
emplois, ce sont les charges de structure de la « Maison France ». Cela suppose
que, si vous faites un effort louable pour maîtriser votre budget et vos
prélèvements, cela n'a de sens que s'il n'y a pas transfert de charges vers les
collectivités locales, les entreprises ou les particuliers.
Or, force est de constater que, sur le terrain, la chasse est ouverte : les
administrations essaient de récupérer leur relative diminution de moyens. Les
exemples sont légion, et je les tiens à votre disposition.
Les crédits du patrimoine sont insuffisants ? Qu'à cela ne tienne ! Les
échafaudages des bâtiments classés, jusqu'ici à la charge du ministère de la
culture, seront intégralement à la charge des communes. Le service des mines
manque d'emplois ? Qu'à cela ne tienne ! On fera remplir l'ensemble des
formulaires administratifs par les entreprises.
Nous avons pu constater un étalement du rythme des investissements dans de
nombreux secteurs. Mais, plus que l'étalement, ce sont les choix qui comptent.
Or, nombre d'entre eux, par le passé, se sont révélés terriblement coûteux en
fonctionnement. Il faut impérativement rompre avec cette fâcheuse tradition
contre-productive.
Le combat pour la baisse des coûts de fonctionnement doit tous nous mobiliser.
J'ai été très heureux de constater, monsieur le ministre, que, pour la première
fois, presque tous les ministères avaient compris qu'un bon budget est non pas
nécessairement celui qui augmente, mais celui qui utilise mieux l'argent
public.
Cet effort, nous devons tous y participer : les Français, en ne demandant pas
toujours plus ; nous-mêmes, parlementaires, en ne proposant aucune dépense
nouvelle qui ne soit gagée, non pas par une hausse de prélèvements, mais par un
redéploiement de crédits.
Si nous savons nous imposer cette discipline, nous pourrons alors consacrer
nos efforts à l'investissement : non pas à n'importe quel investissement, mais
à celui qui provoque la création de richesses, condition indispensable à la
relance de notre pays.
L'équilibre du budget est non pas une fin en soi, mais la condition
indispensable à la transformation de notre société. Aux inconditionnels de la
suradministration, aux nostalgiques des temps perdus, à ceux qui ne rêvent qu'à
la répartition de la pénurie, nous devons opposer une société de projets, de
progrès et de mouvement.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
Je suis convaincu, monsieur le ministre, que telle est votre volonté. Je ne
méconnais pas l'ampleur de la tâche dans la situation actuelle de la France.
Mais je suis certain que, si vous vous appuyez sur tous, ce sera possible. Je
vous le souhaite.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste. - M. Habert applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, analyser
un projet de budget, c'est porter un jugement sur la gestion de l'Etat et lui
affecter les ressources nécessaires à son bon fonctionnement.
Ce jugement, pour être convaincant, se doit d'être nuancé. Aussi avons-nous
pris pour habitude de commenter des inflexions minimes, de discuter gravement «
de chiffres après la virgule », de considérer comme un bouleversement ce qui
n'apparaîtrait dans un autre pays que comme un ajustement à la marge.
Pendant que nous sacrifions, avec convenances et politesse, au « politiquement
correct », le monde autour de nous évolue à vitesse accélérée. Je prendrai donc
la liberté de citer dans notre débat d'aujourd'hui quelques expériences
étrangères, pour tenter de mettre en lumière certains défis de l'«
économie-monde ».
L'ensemble des concours publics de toutes natures à la SNCF représentera 50
milliards de francs en 1997, soit 10 milliards de plus que le total des
dépenses de fonctionnement de l'Etat. Vous nous avez d'ailleurs indiqué les
chiffres, monsieur le ministre du budget. C'est un montant considérable, qui
représente deux fois le budget de la justice.
La réforme indispensable de la SNCF, pourtant déjà modeste, est repoussée.
Dans le même temps, la Bundesbahn accomplit une véritable révolution : l'Etat,
qui lui a repris l'intégralité de ses dettes, met à sa disposition l'ensemble
des 220 000 fonctionnaires au prix du marché du travail privé et s'engage sur
173 milliards de francs d'investissements en cinq ans. Au terme de la réforme,
la Bundesbahn n'aura plus besoin des concours de l'Etat. Qu'en sera-t-il dans
cinq ans de notre SNCF ? Luttera-t-elle à armes égales ? Faudra-t-il lui
consacrer alors trois fois le budget de la justice ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Eh oui !
M. Roland du Luart.
En matière de fonction publique, je constate - pour m'en réjouir - qu'une
politique plus moderne de gestion des effectifs semble se dessiner. J'ai trop
regretté les créations nettes d'effectifs en 1996 pour ne pas saluer
aujourd'hui l'amorce d'une déflation de ceux-ci en 1997.
Dans ce domaine également, si nous tournons un instant nos regards vers
l'étranger, nous mesurons mieux la timidité de nos réformes : en
Grande-Bretagne, le nombre des fonctionnaires est passé de 732 000 en 1979 à
493 000 en 1996 ; 125 agences publiques y emploient 70 % de ces fonctionnaires
et sont gérées comme des entreprises, auxquelles des objectifs de performance
et des enveloppes financières adéquates sont affectées. A population égale,
c'est moitié moins que nous, hors éducation nationale.
La gestion publique connaît, dans toutes les démocraties industrialisées, des
mutations considérables. La Nouvelle-Zélande vend ses forêts domaniales à des
opérateurs japonais, le Canada privatise les services du contrôle aérien,
l'Allemagne et les Etats-Unis remettent en cause les éléments fondamentaux de
l'Etat providence et certains systèmes de protection sociale y sont ouverts à
la concurrence.
Je ne sais pas si ces expériences, dont nous mesurons mal l'ampleur et
l'accélération, constituent des modèles que nous devons copier.
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Oh non !
M. Roland du Luart.
En revanche, je suis persuadé, d'une part, qu'elles renforceront la
compétitivité des pays qui les pratiquent, d'autre part, que nous ne devons pas
nous bercer de trop d'illusions sur la durabilité de ce qu'il est convenu
d'appeler l'« exception française ». Créer un commissariat à la réforme de
l'Etat, fort bien ! mais pour quels résultats ?
Après cette brève incursion hors de nos frontières, je souhaiterais maintenant
présenter quelques observations techniques sur le projet de budget soumis à
notre appréciation.
Comme l'a fort bien dit notre rapporteur général, c'est un budget « réaliste,
sincère et courageux ». Le groupe des Républicains et Indépendants ne peut donc
que lui apporter son soutien.
Mais, comme l'a dit aussi, je crois, notre rapporteur général, les efforts
qu'il traduit doivent s'inscrire dans la durée. Pour ma part, j'ajouterai
qu'ils doivent être mieux expliqués aux Français.
Expliquer mieux, c'est d'abord prendre la mesure de la psychologie collective
de nos compatriotes. A cet égard, je regrette que le message sur la réduction
de l'impôt sur le revenu ait été troublé par la hausse, assurément minime, des
taxes sur l'essence. Il eût mieux valu baisser l'impôt sur le revenu de 22
milliards de francs plutôt que de 25 et ne pas augmenter la taxe intérieure sur
les produits pétroliers, la TIPP.
Présenter une stabilité des taxes sur l'essence et de la redevance
audiovisuelle aurait sans doute permis de mieux convaincre les Français de la
réalité de la baisse de l'impôt.
Rééquilibrer la taxation relative du gazole et du super est un autre défi, que
nous devrons bien relever un jour. Notre incapacité à le faire aujourd'hui
témoigne des blocages structurels de notre société.
Expliquer mieux, c'est aussi répondre de manière plus incisive à la critique
malvenue sur les 120 milliards de francs de prélèvements nouveaux. C'est,
enfin, ne pas céder à certaines pressions visant à revenir sur les points
essentiels de la réforme entreprise.
Cette réforme est bonne dans son principe, et le groupe des Républicains et
Indépendants l'approuve.
Il s'interroge toutefois sur les conséquences de la mondialisation accélérée
de l'économie : pouvons-nous prendre la mesure des pressions fiscales qui vont
peut-être s'amplifier ?
Avec un taux maximum d'impôt sur le revenu de 47 % dans cinq ans, la France
sera toujours significativement au-dessus du taux maximum de ses principaux
concurrents.
En étant bientôt le seul pays de l'Union européenne à être doté d'une
imposition directe sur le patrimoine, la France doit-elle se féliciter de sa
spécificité ?
En augmentant régulièrement les prélèvements libératoires sur l'épargne, ne
risquons-nous pas de provoquer des délocalisations d'assiette ?
Je sais bien que la compétitivité globale d'un pays ne se résume pas à sa
compétitivité fiscale. Mais je sais aussi que l'harmonisation européenne nous a
déjà conduits - les chiffres que je vais citer datent de 1993 - à consentir 250
milliards de francs de désarmement fiscal en neuf ans. Je sais enfin que, dans
une économie où circulent librement et rapidement les hommes, les entreprises
et les capitaux, il faut cesser impérativement de porter des jugements moraux
sur la fiscalité et les remplacer par des réflexions économiques.
C'est une sorte de révolution culturelle à laquelle nous ne pourrons pas
échapper. La retarder, je le crains, ne fera que la rendre plus brutale.
Par la force des choses, la contrainte sur les recettes nous conduit à une
réflexion sans concession sur le niveau des dépenses, et donc sur les missions
de l'Etat.
L'Etat doit-il « faire les fins de mois » des entreprises en multipliant les
aides à l'emploi et les dépenses fiscales ? L'Etat doit-il continuer à porter
le fardeau d'entreprises publiques du secteur concurrentiel en les
recapitalisant sans cesse ? L'Etat doit-il continuer à être le financier
majoritaire de la politique culturelle ?
Je formule à dessein ces questions de manière abrupte, car j'ai la conviction
que les réponses que nous y apporterons conditionnent la compétitivité future
de notre économie.
Si l'Etat n'arbitre pas entre ses missions, il n'en exercera aucune de manière
pleinement efficace. Il me semble donc qu'une réflexion s'impose sur l'exercice
de ses missions régaliennes.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Roland du Luart.
Comme le dit avec sa fougue coutumière notre collègue M. Christian Bonnet, «
un Etat omnipotent est un Etat impotent ». Ses missions régaliennes doivent
être financées sans défaillance, qu'il s'agisse du ministère de la justice, du
ministère de l'intérieur ou du ministère de la défense. Ce n'est qu'après avoir
convenablement doté ces départements ministériels que nous pouvons répartir
l'enveloppe restante.
Si l'Etat impécunieux, poussé par la contrainte des déficits et de
l'endettement, continue à arbitrer à la baisse la dépense d'investissement,
alors il ne prépare pas l'avenir dans les meilleures conditions.
A cet égard, le projet de budget qui nous est soumis se situe dans la ligne
des budgets précédents. Si des économies plus substantielles étaient réalisées
dans les dépenses de fonctionnement, nous pourrions être plus dynamiques, tant
sur le logement que sur les grands travaux.
Comme mon collègue M. Cléach, je regrette qu'il ait été mis fin aux prêts à
taux zéro avec faible quotité de travaux. Cette mesure, excellente pour
relancer le secteur du logement ancien, a été stoppée pour des raisons
d'économie budgétaire, alors qu'elle me paraît
a priori
au moins aussi
efficace que d'autres mécanismes d'incitation fiscale.
Comme mon collègue M. Fourcade, qui s'exprimera sur ce sujet avec l'autorité
que nous lui connaissons, je considère que des économies sur le fonctionnement
nous auraient permis plus d'audace pour les contrats de plan et pour certains
grands travaux d'infrastructure.
Je ne doute pas que cette analyse soit partagée par le Gouvernement, mais je
sais aussi que la majorité a hérité d'une situation budgétaire gravement
compromise, comme l'ont indiqué à la fois notre rapporteur général et le
président de la commission des finances. Tout n'est donc pas possible tout de
suite, et nous devons impérativement reconquérir des marges de manoeuvre.
C'est tout le sens de la stratégie qui nous a été exposée lors du débat
d'orientation budgétaire, stratégie que le groupe des Républicains et
Indépendants estime judicieuse.
Mais, si le Gouvernement a besoin de nos félicitations pour ce qu'il a déjà
accompli - 60 milliards de francs d'économie, c'est un chiffre remarquable, que
certains d'entre nous pouvaient même juger trop ambitieux il y a quelques mois
- il a besoin tout autant de nos encouragements pour inscrire son action dans
la durée.
Il doit poursuivre son action pour rendre plus performante notre fonction
publique en récompensant mieux les mérites, en modernisant les procédures, en
supprimant les activités qui seraient mieux gérées par l'initiative privée.
Pour 1997, je constate, avant transformation et transferts, que les créations
nettes d'effectifs militaires - en raison de la professionnalisation des armées
- compensent, à quelques unités près, les suppressions nettes d'effectifs
civils. Hors appelés du contingent, il n'y a donc qu'une diminution modeste,
mais symbolique, du total des emplois budgétaires.
Dans cette perspective, je ne puis qu'être profondément choqué par certains
programmes politiques qui envisagent de recréer des postes dans la fonction
publique afin de lutter contre le chômage.
(Très bien ! sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
C'est une politique de Gribouille qui supprimera à terme plus d'emplois
dans les entreprises qu'elle n'en créera dans les ministères.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Cette illusion ne serait pas autre chose que ce qu'elle est si elle ne
réussissait à convaincre les jeunes de sa pertinence.
M. Charles Descours.
De sa perversion !
M. Roland du Luart.
Faire croire à notre jeunesse que son avenir réside dans la création d'emplois
publics est une attitude que, pour ma part, je ne puis que désapprouver
fermement.
M. Charles Descours.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
S'il n'y avait que cela !
M. Roland du Luart.
Aller plus loin dans la modernisation de la fonction publique est une première
attente du groupe des Républicains et Indépendants. Aller plus loin dans le
recalibrage des politiques d'aide à la création d'emplois, dans le recentrage
de la politique d'aide au logement sur l'aide à la pierre et dans la
redynamisation d'une politique réaliste d'aménagement du territoire en
constituent trois autres.
Je salue les progrès qui ont déjà été réalisés par le Gouvernement. Il a opéré
des arbitrages courageux, ce dont témoignent de manière éloquente les regrets
et les récriminations dont notre courrier parlementaire abonde. Ce courage et
cette imagination nous laissent espérer qu'ils ne constituent pas un point
d'arrivée, mais un point de départ.
En conclusion, je dirai que nous mesurons tous ici l'étroitesse de la marge de
manoeuvre d'un gouvernement responsable. Nous sommes sur la bonne voie en ce
qui concerne la réduction de nos déficits publics. Il s'agit d'une tâche
ambitieuse et, si nous y parvenons, ce sera grâce à la ténacité du ministre
délégué au budget et du ministre de l'économie et des finances, ce dernier
faisant preuve, à ce poste, des mêmes compétences que lorsqu'il était
rapporteur général de la commission des finances de la Haute Assemblée.
Messieurs les ministres, nous vous apporterons notre soutien tout au long de
l'examen de ce projet de loi de finances pour 1997.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a un
an exactement, nous examinions le premier budget de ce septennat.
A cette même tribune, je vous exprimais alors, monsieur le ministre de
l'économie et des finances, le soutien de mes collègues du groupe de l'Union
centriste, soutien franc et massif face à la montée des déficits financiers et
sociaux.
Qu'en est-il un an après ?
Je tiens au préalable à rendre hommage à ce gouvernement, qui parvient, dans
un contexte économique international délicat, à réaliser, en quelque sorte, la
« quadrature du cercle », c'est-à-dire la stabilisation des dépenses de l'Etat,
la réduction du déficit budgétaire, l'allégement de l'impôt, sans oublier, bien
sûr, un effort sans précédent en faveur du redressement des comptes sociaux :
tel était l'objet du débat qui s'est déroulé la semaine dernière au Sénat, sous
les auspices de notre ami Jacques Barrot.
Le projet de budget qui nous est présenté pour 1997 vise à mettre fin à un
véritable cercle vicieux : toujours plus de dépenses pubiques, donc plus de
prélèvements obligatoires, donc, finalement, plus de déficit et de chômage.
Cette spirale absorbe depuis plusieurs années le dynamisme de notre économie,
réduisant d'autant la croissance et, par là même, la possibilité de créer des
emplois.
Notre pays est donc résolument engagé dans la voie de la raison. Tel était le
sens de la déclaration du Président de la République, le 26 octobre 1995.
Je débuterai mon propos par un rapide descriptif des principaux maux dont
souffre ce pays depuis de trop nombreuses années.
La France est le pays où le taux de dépenses publiques rapportées au produit
intérieur brut est le plus élevé des nations du G 7, dépassant désormais
l'Italie, loin derrière l'Allemagne et les Etats-Unis.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est exact !
M. Xavier de Villepin.
Or on peut aujourd'hui constater que la croissance constante des dépenses et
de l'emploi publics n'est pas, ou n'est plus, un soutien efficace à la
croissance et une solution au problème du chômage.
En outre, cette progression constante des dépenses est une des causes de
l'augmentation des prélèvements obligatoires, qu'ils ont servi à financer.
En effet, ces derniers ont atteint un taux record de 45,6 %, en 1996, ce qui
correspond à un taux supérieur tant à la moyenne de l'OCDE qu'à celle de
l'Union européenne.
Une telle pression fiscale a incontestablement un effet négatif sur
l'activité, sur le dynamisme des acteurs susceptibles d'investir et de créer
des emplois : son augmentation va de pair avec l'augmentation dramatique du
chômage.
Par ailleurs, avec l'effort particulier demandé, en 1996, en matière
d'imposition, nos concitoyens sont nombreux à aspirer à une baisse de la
pression fiscale.
Nous devons également accentuer notre effort de réduction du déficit public,
réduction engagée dès 1993, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, il nous faut assainir et moderniser notre économie face aux
mutations que connaît l'environnement international ; pour les marchés
financiers, toute politique laxiste est interprétée comme un signe de faiblesse
de l'économie.
M. Jacques Chaumont.
Très bien !
M. Xavier de Villepin.
On me rétorquera que cette mondialisation de l'économie est une menace pour
l'indépendance de notre pays. Or, il est clair qu'il n'y a pas de souveraineté
nationale dans le déficit et l'endettement, vous l'avez dit tout à l'heure
monsieur le ministre de l'économie et des finances.
Au contraire, loin d'être un signe de « renoncement national » et de
soumission à un quelconque diktat étranger, une politique d'assainissement
financier est seule à même de consolider le franc par rapport au mark et de
faire baisser les taux d'intérêt.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Xavier de Villepin.
La baisse des taux est aujourd'hui essentielle pour notre économie - vous
l'avez également rappelé, monsieur le ministre - dans la mesure où c'est un
moyen à la fois de favoriser l'investissement privé et de réduire la charge de
la dette.
La réduction du déficit est nécessaire, en second lieu, pour respecter les
critères qui nous permettront de réaliser la monnaie unique. Il faut affirmer
que cette dernière constitue une chance pour l'Europe et pour notre pays, et ce
pour plusieurs raisons ; vous l'avez rappelé, monsieur le président de la
commission des finances, et je partage complètement votre point de vue.
L'euro est un gage de stabilité monétaire, aujourd'hui si nécessaire à la
croissance et à la lutte contre le chômage. Il constituera, en effet, une
protection contre les dévaluations qui créent des inégalités de concurrence,
comme lors de la dévaluation de la lire, de la peseta ou de la livre sterling.
Il conférera à l'Europe un statut international réellement en rapport avec son
poids économique. Il permettra de réaliser des économies importantes en termes,
notamment, de coûts de transaction, à hauteur de 150 milliards de francs
environ.
Enfin, l'Union économique et monétaire est une étape essentielle de la
construction européenne, à laquelle l'Union centriste est très attachée.
Certains esprits chagrins tablaient, ces derniers mois, sur l'échec de la
réalisation de l'Union économique et monétaire.
M. Emmanuel Hamel.
Pas chagrins, lucides !
M. Xavier de Villepin.
Or, il semble bien que le cercle des pays répondant aux critères de
convergence sera plus large que prévu au 1er janvier 1999. Ainsi, les projets
de budget de douze de nos partenaires européens annoncent un déficit public
inférieur ou égal à 3 % en 1997.
Au-delà des tendances politiques des uns et des autres, l'ensemble des pays de
l'Union sont en effet d'accord pour mener une politique d'assainissement des
finances. Il en va ainsi pour l'Allemagne, notre principal partenaire, pour
l'Espagne, dirigée par un gouvernement de centre droit, ou l'Italie, dont la
plupart des ministres appartiennent actuellement à l'ex-parti communiste.
Pour caractériser cette loi de finances, je dirai qu'elle allie rigueur et
équité, autant de vertus auxquelles mes collègues et moi sommes
particulièrement attachés.
La rigueur, en premier lieu. L'aspect majeur de ce budget est, bien entendu,
la maîtrise des dépenses.
Grâce aux économies, qui ont limité la progression dite « naturelle » des
dépenses d'une année sur l'autre, celles-ci devraient, cette année, reculer en
francs constants. Cet exercice n'était pas évident compte tenu, notamment, du
montant du service de la dette et de la masse salariale de la fonction
publique. Ce budget met ainsi fin à une véritable explosion des dépenses depuis
quinze ans, et nous pouvons nous réjouir, messieurs les ministres, que vous
soyez parvenus à atteindre cet objectif.
Certains secteurs primordiaux pour l'avenir voient cependant leurs crédits
augmenter. C'est le cas de l'éducation nationale, de la justice ou encore du
travail et des affaires sociales.
Je me réjouis également, monsieur le ministre du budget, du strict respect de
la loi de programmation militaire dans ce projet de budget, et je tiens à vous
exprimer beaucoup de reconnaissance pour ce que vous avez dit sur notre défense
nationale.
Dépenses réorientées, préservées ; ce sont des points positifs.
Il y a cependant des aspects inquiétants dans la partie dépenses de ce budget.
Ainsi, les dépenses d'équipement connaissent, cette année encore, des
réductions importantes, à hauteur de 7,75 %, alors que les dépenses de
fonctionnement continuent d'augmenter d'environ 2,5 %. Si l'on peut comprendre
qu'en période de maîtrise des dépenses il est plus aisé pour le Gouvernement de
diminuer les dépenses en capital que les dépenses de fonctionnement, nous
pensons néanmoins que tous les efforts doivent être entrepris pour améliorer
les coûts de gestion de l'administration.
Selon les calculs de l'OCDE, le poids de la dépense publique en France est
essentiellement lié à deux postes : la rémunération des agents publics et les
transferts sociaux. La part de l'emploi des administrations publiques
françaises dans l'emploi total est l'une des plus élevées dans la zone de
l'OCDE : environ 23 %, contre 15 % en Allemagne et aux Etats-Unis.
Le Gouvernement a décidé une courageuse baisse des effectifs, puisque le
projet de budget comporte une réduction nette de près de 6 000 postes,
principalement grâce au non-remplacement des fonctionnaires partant à la
retraite.
De façon plus générale, c'est l'ensemble du secteur « abrité », le secteur
public et parapublic, qui a besoin d'une remise en ordre dans notre pays. On
doit avoir le courage de s'attaquer aux corporatismes et aux conservatismes.
Faut-il rappeler, par ailleurs, que, sur la période 1989-1995, le pouvoir
d'achat des salariés du secteur public a augmenté de 11,1 % en moyenne, alors
que, pendant la même période, cette augmentation était de 6,3 % dans le secteur
privé ?
L'autre caractéristique de ce budget est le souci de l'équité.
Alors que les sacrifices consentis par les Français vont, comme nous
l'espérons, bientôt porter leurs fruits, le Gouvernement doit orienter son
effort, en priorité, en faveur des plus défavorisés. C'est le sens du
recentrage d'aides à l'emploi comme le contrat initiative-emploi. Il en est de
même pour la remise en cause de la progressivité trop rapide de l'impôt sur le
revenu, s'agissant des revenus les plus modestes. Cette progressivité est,
jusqu'à présent, un obstacle à la réinsertion dans le monde du travail pour les
bénéficiaires du RMI ou les chômeurs de longue durée. Ces derniers hésitent, en
effet, à occuper un emploi peu rémunéré, qui leur fait perdre les avantages
d'aides diverses.
Je souhaite aborder, à ce propos, la réforme fiscale, l'une des clés de voûte
du projet, réforme qui constitue une réponse essentielle aux problèmes de notre
pays, en particulier le très haut niveau de la pression fiscale.
Le Gouvernement a décidé de réformer et de baisser l'impôt sur le revenu. Nous
approuvons une telle décision, que nous avions appelée de nos voeux lors des
précédents débats budgétaires, compte tenu du caractère relativement archaïque
et injuste de cet impôt. L'impôt sur le revenu n'a rapporté, en 1996, que 312
milliards de francs, contre 730 milliards de francs pour la TVA. De plus, le
nombre de contribuables soumis à l'impôt sur le revenu a progressivement
diminué, pour ne plus représenter aujourd'hui que la moitié des contribuables
français. Cette situation est due, en particulier, à l'accumulation des
avantages fiscaux, pour un montant de plus de 60 milliards de francs.
Le début de remise à plat des déductions et exonérations, ainsi que la
diminution sensible des tranches du barème constituent indéniablement un
progrès. Plus que jamais, l'équité la plus élémentaire doit nous amener à
remettre en cause, de préférence, toutes les « niches fiscales », réellement
inacceptables dans la conjoncture que nous connaissons.
La réforme fiscale incluse dans ce budget est un premier pas dans le sens de
la refonte et de l'allégement de notre système d'imposition. Il faut poursuivre
dans cette direction.
L'emploi, la lutte contre le chômage sont donc vos priorités, monsieur le
ministre, et je m'en félicite.
Ainsi, 42,8 milliards de francs vont être consacrés à l'allègement du coût du
travail, notamment pour les bas salaires. Nous soutenons ce choix, car le coût
du travail en France est plus élevé que dans la plupart des pays
industrialisés, mis à part l'Italie. C'est, en particulier, un obstacle pour le
développement des PME, dont on sait qu'elles sont aujourd'hui les plus
susceptibles de créer des emplois.
A ce propos, un grand quotidien du soir s'est ému, à juste titre, d'un
phénomène inquiétant de délocalisations d'entreprises françaises vers la
Grande-Bretagne, où les charges patronales sont beaucoup moins élevées. Il est
donc grand temps de réagir.
Concernant tout particulièrement les PME, une autre mesure positive de ce
projet de budget consiste en une réduction de 33,33 % à 19 % du taux de l'impôt
sur les sociétés pour la fraction des bénéfices qu'une société inccorpore à son
capital. C'est un premier pas important vers un impôt sur les sociétés
progressif, à taux réduit.
Un autre chantier mériterait probablement d'être poursuivi : la réforme de la
taxe professionnelle. Une disposition du projet a d'ores et déjà une portée
significative, celle qui institue un plafonnement des taux votés par les
départements et les régions. Mais je crois qu'il faut aller plus loin, en
abaissant le coût global de la taxe pour les industries de main-d'oeuvre et en
atténuant la dispersion des taux.
Par ailleurs, les choix de ce projet de budget nous paraissent être confortés
par les éléments encourageants de la conjoncture. Le projet de loi de finances
repose, en effet, sur des hypothèses économiques prudentes et justes. Le
contexte économique est déjà relativement sain pour ce qui est de l'inflation
et du commerce extérieur. L'année 1997 devrait être, en outre, celle de la
reprise de l'investissement, le niveau de la consommation se maintenant. Les
prévisions de croissance, entre 2,1 % et 2,3 %, semblent raisonnables - cela
n'a pas toujours été le cas - et, surtout, une amélioration de l'environnement
international, conjuguée avec la maîtrise des dépenses publiques contenue dans
ce budget, devrait entraîner une baisse des taux d'intérêt, si nécessaire pour
l'activité.
Monsieur le ministre, les réformes que vous nous proposez sont de grande
ampleur, qu'il s'agisse de la réforme fiscale ou de la lutte contre les
déficits, et il était grand temps de les entreprendre.
Ces efforts sont nécessaires afin d'adapter notre pays aux mutations que
connaît aujourd'hui notre époque. La mondialisation des échanges, les
changements dans la façon de produire les richesses, l'émergence de nouveaux
pays industrialisés comportent à la fois d'immenses opportunités et des
difficultés certaines.
Il est donc essentiel de réformer nos structures économiques et sociales,
issues d'un autre temps, pour permettre à notre pays de disposer d'un maximum
d'atouts dans ce nouveau contexte. Le projet de loi de finances que vous nous
présentez vous en offrait l'opportunité ; vous l'avez saisie, et nous vous en
félicitons.
La réduction des déficits publics et sociaux, l'instauration de la monnaie
unique européenne sont assurément les étapes essentielles de ces changements,
qui permettront à la France de maintenir sa position dans le monde et de
manifester sa cohésion.
Sous le bénéfice de ces observations, et après avoir rendu hommage à
l'excellent travail réalisé par notre commission des finances, son président et
son rapporteur général, notre ami Alain Lambert, le groupe de l'Union centriste
votera le projet de loi de finances pour 1997.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi
que sur certaines travées du RDSE).
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous
sommes tous conscients, dans cette assemblée, du contexte difficile dans lequel
se déroule la discussion du projet de loi de finances pour 1997.
Une croissance faible, une augmentation du chômage qui mine le moral des
Français, la crispation d'un grand nombre de catégories sociales ou
professionnelles devant les efforts qui leur sont demandés, l'ampleur des
réformes nécessitées par des structures « budgétivores » et sclérosées, la
difficulté de rétablir les comptes de l'Etat, de la sécurité sociale et des
entreprises publiques, tous ces facteurs expliquent le scepticisme ou la
morosité auxquels se heurte le Gouvernement.
Il est vrai qu'être pessimiste n'engage à rien. Quand l'avenir contredit leurs
sombres prédictions, l'euphorie fait oublier les Cassandre. Au contraire,
lorsque ceux qui ont annoncé les malheurs voient leur accomplissement, ils en
retirent la satisfaction de passer pour des prophètes.
Pourtant, un certain nombre de signes donnent à penser que l'année 1997 sera
plus porteuse que l'année 1996.
La croissance aux Etats-Unis, au Japon et dans les pays du Sud-Est asiatique
demeure soutenue.
En Europe, la baisse des prix industriels constatée depuis plusieurs mois est
maintenant enrayée. Le déstockage va donc s'arrêter et les carnets de commande
des entreprises vont se gonfler à nouveau. Dans le secteur des biens
intermédiaires, où la stabilisation des prix et le renversement du cycle des
stocks jouent un rôle majeur, les perpectives de production se redressent.
Nos partenaires allemands ont affiné à 2,5 % de taux de croissance de leur
économie leurs prévisions pour 1997.
Le taux de croissance de 2,3 % que vous avez retenu, messieurs les ministres,
pour établir le projet de loi de finances, et qui est corroboré par l'OCDE et
divers institut, de conjoncture, semble réaliste.
L'économie de la France présente tous les signes de la compétitivité, avec une
inflation toujours modérée en 1996 et en 1997, des échanges extérieurs
fortement excédentaires et des taux d'intérêt dont le niveau est historiquement
bas.
Comment ne pas se féliciter que les taux d'intérêt à court terme, qui
s'élevaient à 7,5 % en mai 1995, soient descendus au-dessous de 3,5 %
aujourd'hui, atteignant ainsi le niveau le plus bas depuis les années
soixante-dix ?
Comment ne pas se réjouir pour notre économie que les taux à long terme, qui
servent de base aux emprunts immobiliers contractés par nos compatriotes
désirant devenir propriétaires et par les chefs d'entreprise, soient
aujourd'hui inférieurs à 6 % ?
Nous sommes au même niveau que nos voisins allemands. Le temps de l'argent
cher est révolu dans notre pays. La baisse des taux d'intérêt a également des
effets très positifs - ne l'oublions pas - sur l'évolution de la charge de la
dette de l'Etat et sur les politiques d'investissement des collectivités
locales.
Cependant, si nous voulons bénéficier de la reprise qui s'esquisse, il nous
faut moins que jamais relâcher notre effort, en dépit des sirènes de la
démagogie ou de la facilité qui se conjuguent pour nous appeler à la
renonciation.
Dépenser moins, dépenser mieux, alléger les charges qui frappent les
particuliers, tels sont les objectifs de projet de loi de finances, telles sont
les priorités qui recueillent notre assentiment.
En 1997, les dépenses de l'Etat reculeront de 1,5 % en francs constants par
rapport à 1996. Pour la première fois, la France n'est plus condamnée à une
progression inexorable de ses dépenses, année après année.
Notre pays honore ses engagements puisque, après avoir limité le déficit
budgétaire à 5 % du PIB en 1995 et à 4 % en 1996, il le fixe à 3 % pour
1997.
Les marchés financiers ont vu dans cette politique un signe évident de notre
volonté de rompre avec les erreurs du passé. La bonne tenue du franc et la
détente des taux d'intérêt témoignent du crédit dont nous disposons auprès des
investisseurs internationaux.
En réduisant de 6,5 % ses dépenses de fonctionnement, l'Etat peut sembler
n'accomplir qu'un effort modeste, mais il faut saluer l'innovation capitale que
représente la suppression de près de 6 000 emplois civils qui est, nous voulons
le croire, l'amorce d'une nouvelle gestion de notre fonction publique.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Nous nous réjouissons également de l'allégement de 9 milliards de francs de
notre contribution au budget de l'Union européenne, permis par la bonne
exécution du budget de 1996 et par l'action très ferme du Gouvernement auprès
des instances communautaires.
Dépenser moins, c'est désendetter l'Etat. Désendetter l'Etat, c'est diminuer
la ponction fiscale, car c'est l'impôt qui assure le service de la dette. C'est
ensuite permettre aux entreprises de trouver sur le marché financier les
ressources nécessaires à leurs investissements qui, jusqu'à présent, étaient
presque intégralement mobilisés par l'Etat pour ses propres besoins.
C'est enfin éviter que les prêteurs ne se couvrent contre les risques d'une
mauvaise gestion des finances publiques en recourant à des taux élevés.
Dépenser mieux, c'est recentrer l'Etat sur ses fonctions régaliennes ; c'est
évaluer l'efficacité de la dépense avant de l'engager ; c'est remettre en cause
les actions et les interventions qui n'ont pas produit les résultats
espérés.
Nous ne pouvons que nous réjouir de l'initiative du ministre de la fonction
publique, qui propose aux agents publics de lier un surcroît de rémunération à
l'amélioration de la productivité des administrations. En effet, nous avons
tous en mémoire l'augmentation qui, accordée par M. Jospin aux enseignants sans
aucune contrepartie, a alourdi durablement les charges de l'Etat depuis six
ans.
M. Christian de La Malène.
Très juste !
M. René Régnault.
Ce n'est pas raisonnable ! C'est du sectarisme primaire !
M. Josselin de Rohan.
Les 150 milliards de francs consacrés à l'emploi dans le projet de loi de
finances pour 1997 représentent une progression de 8 % par rapport à 1996.
Ainsi, 47 milliards de francs seront consacrés à la prise en charge par l'Etat
des cotisations sociales pesant sur les bas salaires, ce qui devrait concerner
cinq millions d'actifs, singulièrement dans les PME.
Les contrats initiative-emploi ont été revus, et le nombre des contrats
emploi-solidarité sera également réduit, afin de marquer la priorité en faveur
des emplois marchands.
Le logement - on l'a souligné - a fait l'objet d'un effort méritoire dans un
contexte de rigueur.
Pour 1997, ce sont 120 000 prêts à taux zéro qui sont programmés. Ce chiffre
souffre sans contestation possible la comparaison avec le nombre d'anciens PAP,
qui n'était que de 50 000 en 1995.
Sur la période 1993-1996, ce sont 350 000 logements sociaux qui ont été
construits avec l'aide de l'Etat. Pour 1997, les chiffres clés qui illustrent
le mieux la priorité que donne le Gouvernement au secteur du logement sont les
suivants : 25 000 prêts locatifs aidés, ou PLA ; 30 000 prêts locatifs aidés
très sociaux, ou PLATS ; 120 000 primes à l'amélioration des logements à usage
locatif et à occupation sociale, ou PALULOS.
En 1997, les crédits de l'éducation nationale progresseront de 2 %, en dépit
du recul des effectifs scolarisés dans le primaire et dans le secondaire, et
malgré une progression ralentie dans l'enseignement supérieur.
Il convient de reconnaître à M. le ministre de l'éducation nationale le mérite
d'avoir résisté aux sollicitations des groupes de pression qui ne connaissent
que la logique du « toujours plus ».
Les économies réalisées grâce aux diminutions intervenues dans l'enseignement
primaire et secondaire ont permis des créations de postes dans l'enseignement
supérieur, la réforme du régime des bourses et la mise en place du tutorat.
Je considère que c'est un progrès dans la manière d'administrer ce département
ministériel.
M. Xavier de Villepin.
Bravo !
M. Christian de La Malène.
Tout à fait !
M. Josselin de Rohan.
Alléger les charges constitue un impératif pressant pour notre économie. La
France figure désormais parmi les pays où les taux des prélèvements
obligatoires sont les plus élevés.
Comme l'a souligné très légitimement et avec beaucoup de force M. le
rapporteur général, trop d'impôt démotive les particuliers, décourage les
initiatives, fait fuir les capitaux et conduit à la délocalisation des
entreprises.
M. Xavier de Villepin.
C'est vrai !
M. Josselin de Rohan.
L'allégement d'impôt de 25 milliards de francs pour ce qui est de l'impôt sur
le revenu et de 41 milliards de francs pour ce qui est des charges représente
un signal politique fort et constitue la première étape d'une réforme en
profondeur de notre fiscalité qui devra être réalisée en cinq ans.
Il importera, à terme, de diminuer les tranches et de distinguer, dans
l'imposition des personnes physiques, comme le demande M. le président de la
commission des finances avec une vigueur que nous saluons, un impôt progressif
et un impôt proportionnel qui simplifieront le dispositif actuel et diminueront
le nombre d'impositions existantes dont la complexité est aussi décourageante
que rebutante.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Exactement !
M. Josselin de Rohan.
Sur les cinq années qui nous séparent de l'an 2001, l'allégement global de
l'impôt sur le revenu atteindra 75 milliards de francs ; la première tranche de
37,5 milliards de francs sera d'ores et déjà perceptible par nos compatriotes
dès l'imposition acquittée en 1998.
La réforme de notre fiscalité passe aussi par la suppression ou la limitation
de certains avantages spécifiques pour renforcer l'équité du système
d'imposition.
Chacun doit comprendre que, dans la situation difficile de notre économie, il
n'est pas possible que chaque catégorie sociale ou professionnelle se barricade
derrière ses droits acquis sans considération pour la collectivité.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
La suppression ou la limitation de certains des avantages spécifiques octroyés
aux personnes assujetties à l'impôt sur le revenu a pour effet l'élargissement
de l'assiette et la simplification de l'impôt. De plus, elles contribuent au
financement de l'allégement du barème de l'impôt sur le revenu et limitent son
impact sur les ressources budgétaires.
Je tiens à souligner également la cohérence du projet soumis à notre examen
avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale que la Haute
Assemblée examinait il y a quelques jours.
Le basculement de 1,3 point des cotisations de maladie des salariés sur 1
point de cotisation sociale généralisée élargie allège le poids des
prélèvements sociaux sur l'ensemble des revenus d'activité, quelle que soit la
situation du contribuable au regard de l'impôt sur le revenu.
Tels les quêteurs du Graal, de bons esprits appellent de tous leurs voeux une
autre politique. Leurs souhaits ont été exaucés, car voici qu'après bien des
mois de gestation douloureuse le parti socialiste a donné le jour à un
programme.
Je qualifierai d'écologique cet ahurissant catalogue, car il prévoit le
recyclage des déchets et le rechapage des rebus du programme commun ou des
fameuses 110 propositions.
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
C'est élégant !
M. Josselin de Rohan.
Soyons reconnaissants aux socialistes de sortir le grand jeu et de se révéler
tels qu'en eux-mêmes ; l'éternité les change !
Rien ne manque à la panoplie !
Le retour au dirigisme le plus authentique avec l'obligation pour les
entreprises d'embaucher 350 000 jeunes.
M. Jean-Pierre Masseret.
Cela plaît !
M. Josselin de Rohan.
... avec l'obligation pour l'Etat de recruter de nouveaux agents « en liaison
» avec les collectivités locales, dit-on de manière euphémique, ce qui est une
manière déguisée de leur forcer la main, et ce au moment même où nos collègues
dénoncent, et avec quelle force, des transferts de charges de l'Etat vers les
collectivités locales !
M. René Régnault.
Hélas ! Vous n'avez rien compris.
M. Josselin de Rohan.
Aux contraintes pour l'Etat et les collectivités locales s'ajouteront celles
qui pèsent sur les entreprises. L'abaissement généralisé de la durée légale du
travail sans perte de salaire leur sera imposé, sans aucun souci des
conséquences sur la productivité, les coûts de production et la compétitivité
des entreprises.
L'Etat - tenez-vous bien ! - orchestrera les hausses de salaires, qui seront «
négociées », mais après coup !
(M. Charmant s'exclame)
.
Cette fois, la dépense publique n'est plus réhabilitée, elle est débridée.
Pour le logement, l'éducation nationale, l'aménagement du territoire, il n'y
aura plus de limitation.
Dans le domaine social, ce sera l'âge d'or, grâce à la couverture maladie
universelle, à l'organisation - par l'Etat bien sûr - des emplois de
service.
L'industrie et l'artisanat ne seront pas oubliés, puisque l'Etat
subventionnera les entreprises et même - comble de sollicitude - créera des
petites entreprises à capital public.
(M. de Raincourt sourit.)
Gardons-nous d'omettre les nationalisations, qui ont si bien réussi à
notre pays. On nous en promet de nouvelles, telles les entreprises de
distribution de l'eau.
Il fallait s'y attendre ! Ces largesses seront financées par un accroissement
sensible de la fiscalité sur les sociétés et par la CSG et l'ISF. La TVA sera
abaissée. Quant aux déficits possibles, on ne les mentionnera pas. Cette notion
même est réactionnaire.
(Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
L'endettement ? Point d'affaire, on trouvera toujours des prêteurs !
M. René Régnault.
Vous vous y connaissez !
M. Josselin de Rohan.
L'évasion des capitaux, les délocalisations d'entreprise, la fuite des
cerveaux ? Chimères !...
Quant à nos engagements européens, on n'en parlera pas.
Comme le note M. Alain Minc
(Exclamations sur les travées socialistes),
un observateur qui voyait autrefois l'opposition actuelle avec les yeux de
Chimène : « François Mitterrand avait sacrifié maints dogmes socialistes à la
construction européenne ; ses héritiers, eux, préfèrent sacrifier l'Europe à la
résurrection des dogmes. »
Certes, mais ils n'ont pas le courage d'avouer que, sauf à faire preuve de la
plus totale incohérence, leur conception de l'Etat providence suppose un retour
au protectionnisme, au contrôle des changes et des prix et une renonciation aux
perspectives de l'union monétaire.
Il paraît que ces effarantes propositions seraient plébiscitées par le peuple
français !
M. Michel Sergent.
C'est exact !
M. Josselin de Rohan.
Tant qu'il s'agit de demander moins au contribuable et plus à l'impôt, de
diminuer sans contrepartie la durée du travail, de faire luire la perspective
de la sécurité de l'emploi garantie, de faire payer les « gros » en épargnant
les « petits » et de promettre l'âge d'or, on se rend populaire à peu de
frais.
M. Marcel Charmant.
Et Chirac, qu'a-t-il fait ?
M. Josselin de Rohan.
Gageons que nos compatriotes, qui sont plus avisés que ne le croient les
démagogues ou les vendeurs d'orviétan, sauront mesurer ce que ces promesses ont
de fallacieux et, plus encore, de dispendieux.
En tout cas, nous aurons été avertis. Nous avions cru les socialistes guéris,
ou tout au moins assagis, ils ont au contraire fait une grave rechute.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Il est vrai qu'ils ne sont pas tous satisfaits de leur enfant, puisque M.
Emmanuelli, en votant contre un projet dont il est l'auteur, ne veut pas le
reconnaître, que M. Mélenchon se refuse à entendre parler du monstre et que
notre excellent collègue M. Michel Charasse, pour qui deux et deux font encore
quatre, souffre en silence.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
On peut compter sur nous pour dessiller les yeux de nos compatriotes et
leur montrer à quelles dérives et à quelles pénitences ils s'exposent, si par
malheur ils cédaient aux mirages de cet extravagant programme.
Nous leur faisons confiance pour éviter le « grand bon en arrière », pour
reprendre l'expression heureuse de M. Balladur, qui, cette fois, porterait un
coup mortel à notre économie.
M. Jacques Delong.
Vous allez choquer Jospin !
M. Josselin de Rohan.
Le projet de loi de finances est sérieux, sincère et rigoureux. Il témoigne de
la volonté du Gouvernement d'assainir nos finances publiques et d'attaquer le
mal à la racine en réformant des structures inadaptées ou périmées.
La voie que nous empruntons est d'autant plus dure que nous avons trop différé
les remises en ordre nécessaires. Mais ce que nous avons entrepris, d'autres
l'ont réalisé avant nous et parfois de manière plus brutale.
Je pense aux Pays-Bas, à la Suède ou à l'Allemagne, pour ne pas parler du
Royaume-Uni, qui a conduit, il y a plusieurs années, une véritable révolution,
sans commune mesure avec les efforts que nous poursuivons. Et pourtant, en
Grande-Bretagne, l'opposition travailliste n'entend pas remettre en cause
fondamentalement l'héritage conservateur si elle accède au pouvoir.
M. René Régnault.
Parlez-nous de la France !
M. Josselin de Rohan.
Vérité au-delà de la Manche, erreur en deçà.
En dépit des turbulences, des critiques acerbes et, parfois, des faux pas, la
France a changé.
Le déficit des finances publiques en 1996 a été contenu. Le commerce extérieur
a enregistré des excédents sans précédent. La France a résisté à tous les
remous. Les taux d'intérêt ont baissé. Les télécommunications ont changé de
statut sans drame. La réforme de notre système de sécurité sociale, de nos
industries de l'armement a été engagée, celle de la SNCF est en préparation.
Ces mutations sont indispensables si nous voulons que la France aborde avec
des atouts sérieux l'inévitable compétition entraînée par la mondialisation de
l'économie.
Chaque fois que notre économie a affronté le grand large, elle a résisté ;
chaque fois qu'elle s'est repliée sur elle-même, à l'abri de protections
souvent illusoires, elle a régressé.
Au coeur de la politique économique, il y a l'emploi.
M. René Régnault.
Il est temps d'en parler !
M. Josselin de Rohan.
Ne nous le dissimulons pas, nous avons dans ce domaine enregistré des
mécomptes et des échecs, comme nos prédécesseurs d'ailleurs. Nous devons revoir
les procédures inopérantes, rechercher sans nous lasser les formules les plus
adaptées pour relancer l'embauche en n'excluant aucune initiative, aucune
expérimentation.
Mais nous devons résister à la tentation des recettes démagogiques et
dirigistes qui ont fait preuve de leur nocivité et échoué partout où elles ont
été utilisées.
Il n'y aura pas de reprise de la croissance exploitable, pas de relance de
l'emploi durable, si nos finances publiques et notre système de sécurité
sociale ne sont pas gérés avec sérieux et rigueur, si la France s'isole de par
ses comportements de l'Europe et du monde.
Ce choix suppose du courage et de la volonté, il nous expose parfois à
l'incompréhension et à l'impopularité, mais il est le seul possible.
Soyez assurés, messieurs les ministres, de notre entier soutien dans la tâche
difficile qui est la vôtre et de notre volonté inébranlable de concourir au
succès de votre politique.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je monte
à la tribune les jambes molles, après l'intervention de M. de Rohan !
M. Christian de La Malène.
L'excellente intervention !
M. Jean-Pierre Masseret.
Mais je suis ragaillardi, à l'idée que 63 % des Français sont d'accord avec le
projet socialiste.
M. Josselin de Rohan.
Attendez un peu !
M. Henri de Raincourt.
Ne vous réjouissez pas trop tôt !
M. Jean-Pierre Masseret.
Dès lors, si je vous dis, messieurs les ministres, que votre politique,
comparée aux engagements et aux réalités, est un échec, vous ne serez pas
surpris.
Je ne fais pas ce constat de gaîté de coeur, parce que votre échec met en
difficulté des millions de Françaises et de Français, qui sont en situation de
précarité !
Votre échec, c'est aussi l'échec de la France, qui est aujourd'hui soumise à
la pensée unique.
Au moment précis où nous sommes confrontés à une nouvelle civilisation, qui
s'organise autour des nouvelles technologies de communication et de
l'information, la France devrait être à la pointe de cette réflexion pour
passer d'une société de massification à une société de démassification.
Croyez bien que ce n'est pas en fondant cette société sur l'argent roi ou sur
la soumission à Hans Tietmeyer que l'on trouvera les bonnes réponses ! C'est
d'un projet construit sur des valeurs que nous avons besoin aujourd'hui.
Votre échec aboutit au discrédit de la politique et de la fonction politique.
Nous le savons, la démocratie ne peut fonctionner que sur la confiance bâtie
entre les citoyens et les élus.
Si la confiance manque, comme aujourd'hui, c'est la démocratie qui est en
péril. Toutes les aventures sont alors possibles et nous approchons de la zone
dangereuse.
Dès lors, monsieur le ministre, quand je vous entends dire que ce budget est
historique, je mesure le fossé qui sépare cette expression de la réalité
quotidienne, et je sais que les Français pensent comme moi.
Quand je vous entends dire qu'il n'y a pas d'autre politique possible, je
sais, et le pays sait, que ce propos impose une politique qui exalte les
intérêts privés au détriment du sens et de l'intérêt collectifs.
Quand j'entends M. le Président de la République dire que le seul problème du
Gouvernement est un problème de communication pour expliquer sa politique, je
sais, et le pays sait, que cette expression consacre l'échec de sa politique au
regard des engagements pris.
Pour M. Juppé, cela doit tinter comme un avertissement, parce que c'est le
premier étage d'une série de critiques, qui en appellent sûrement d'autres et
dont on connaît le point d'arrivée.
Echec donc, non pas par rapport aux objectifs réels mais cachés de votre
politique, mais par rapport aux engagements, par rapport à la réalité.
S'agissant des promesses non tenues, permettez-moi de faire deux rappels.
M. Chirac a été élu pour réduire la fracture sociale, monsieur de Rohan. Mais
le pays sait que la fracture sociale s'est élargie depuis mai 1995 et continue
à s'élargir.
Par ailleurs, quand M. le Président de la République était candidat, la
feuille de paie n'était pas l'ennemi de l'emploi. On connaît la suite ! Le pays
sait que la politique du Gouvernement consiste à faire pression sur les
salaires, à remettre en cause la protection sociale, à peser sur le pouvoir
d'achat.
L'échec par rapport à la réalité, maintenant.
Si l'inflation est maîtrisée, les gouvernements socialistes n'y sont pas pour
rien. En 1981, monsieur le président de la commission des finances, le taux
d'inflation était élevé - 13 % à 14 % - et ce sont les gouvernements
socialistes qui, les premiers, se sont efforcés de le réduire.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Et d'augmenter le chômage !
M. Jean-Pierre Masseret.
Nous pourrons en parler, n'ayez crainte, monsieur le président. Ce sujet fait
partie de mon propos.
Si la balance commerciale et la balance des paiements présentent l'une et
l'autre des soldes positifs, notre économie perd des parts de marché, ce qui
n'est pas très bon.
La bourse, elle, se porte bien. C'est normal, compte tenu de la politique
fiscale et financière qui est menée.
En revanche, malgré la masse d'impôts prélevés sur les catégories moyennes,
malgré les cotisations sociales majorées régulièrement, malgré les pressions
exercées sur les rémunérations et les prestations sociales, les déficits
sociaux continuent d'augmenter, la dette s'est envolée et le déficit budgétaire
est artificiellement contenu.
L'autre réalité, c'est précisément le chômage, monsieur Poncelet. Ce sont 3,5
millions de demandeurs d'emploi, ce sont nombre de nos concitoyens au RMI, ce
sont nos concitoyens acceptant les « petits boulots », ce sont des millions de
Français en situation de précarité, de désespérance, de doute et
d'inquiétude.
Telle est la réalité. C'est le déclin social, mais, peut-être aussi et, c'est
plus grave encore, le déclin de la France tout court.
Pourquoi en est-on là ? J'ai entendu notre collègue M. de Rohan dire que
c'était la faute des Français, qui étaient manifestement trop exigeants, la
faute des salariés, qui étaient manifestement trop protégés, la faute des
syndicats, qui étaient sans doute trop revendicatifs, la faute de la gauche
aussi, naturellement.
Permettez-moi de rappeler qu'au cours des dix dernières années, très
exactement du 1er janvier 1986 au 30 novembre 1996, votre majorité aura
gouverné ce pays pendant 71 mois et l'opposition pendant 60 mois, ce qui limite
singulièrement la question de l'héritage ! En fait, si la gauche est coupable,
mes chers collègues, c'est de croire aux valeurs de la République,...
(M.
Régnault applaudit.)
M. Jacques Delong.
Moi, je crois aux valeurs tout court !
M. Jean-Pierre Masseret.
... c'est de croire que la société se construit non pas sur l'argent roi, mais
sur la liberté, l'égalité, la fraternité et la laïcité. Et ce n'est pas au
moment où les cendres d'André Malraux vont être transportées au Panthéon qu'on
doit oublier ces principes !
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Il ne faut pas chercher ailleurs que dans vos convictions idéologiques
les raisons de l'échec de notre pays aujourd'hui.
Le choix dont tout découle est un choix dont les conséquences sont tragiques,
mais un choix voulu : c'est le choix de la thèse libérale de l'offre, thèse
qui, dans une économie mondialisée, privilégie le niveau des coûts de
production et dont le seul objectif est de produire moins cher que ses
concurrents sans se soucier du reste, sans se soucier de la redistribution,
sans se soucier du pouvoir d'achat et de la demande intérieure. En fait, elle
repose sur une erreur de principe car, dans le cadre d'une production de masse
mondialisée, la demande intérieure des pays riches est non seulement source de
croissance pour ces pays, mais également source de croissance à l'échelon
mondial et source de justice sociale.
M. Marcel Charmant.
Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret.
L'atonie de la demande intérieure explique la faiblesse de nos
investissements, qui ne peuvent pas être uniquement tirés par les exportations.
On ne peut donc que constater l'échec d'une politique engagée par M. Balladur,
poursuivie aujourd'hui par M. Juppé. Les ponctions sociales et fiscales que le
pays supporte depuis trois ans ont cassé la croissance, brisé la consommation
et aggravé les inégalités.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret.
Ainsi, la baisse des salaires, la réduction des emplois, la remise en cause de
la protection sociale, l'indifférence au pouvoir d'achat de la masse, la
multiplication des exonérations de charges sociales, la flexibilité de
l'emploi, la réduction de la fiscalité sur les placements financiers, la
privatisation à n'importe quel prix sont autant d'instruments de votre
politique.
Au nom de quoi peut-on prétendre que le rôle de l'Etat n'est pas de mettre
parfois son grain de sel dans des entreprises d'intérêt général à caractère de
service public ? En vertu de quel principe, de quel texte l'Etat devrait-il
s'interdire de s'engager dans l'organisation de notre vie économique, de
prendre sa part de responsabilité.
Cette conception, qui est la vôtre, pourrait même être considérée comme
contraire à la Constitution, en tout cas contraire au préambule de la
Constitution de 1946, auquel la Constitution de 1958 fait référence.
M. Jean-Jacques Hyest.
Et le Crédit Lyonnais !
M. Jean-Pierre Masseret.
Oh, s'agissant du Crédit Lyonnais, on pourrait rapprocher les 130 milliards
dont on parle beaucoup au haut de bilan qui atteignait 2 000 milliards de
francs. Cela relativiserait un certain nombre de propos !
(Murmures sur les
travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
Voilà, disais-je, les instruments de votre politique, les instruments de la
pensée libérale qui, pour nous, sont inadaptés aux besoins de notre société.
Ce n'est pas seulement ma voix qui condamne votre politique : le pays, me
semble-t-il, a forgé son opinion ou est en train de le faire. Le pays sait que
le moment est décisif. De lourdes responsabilités attendent vos successeurs
car, quand une politique échoue, il faut en changer, et je crois que les
Français ont tranché. Ils attendent une autre politique dont le socle sera
constitué par la volonté d'apporter des réponses à l'emploi.
J'ai entendu, cet après-midi, parler à plusieurs reprises du projet
socialiste...
M. Jean-Jacques Hyest.
Parce qu'il y en a un ?
M. Jean-Pierre Masseret.
... et j'ai eu parfois le sentiment qu'il était singulièrement caricaturé,
comme cela vient d'être le cas, à l'instant, par M. de Rohan.
Son objectif est l'emploi, l'amélioration du pouvoir d'achat pour engendrer la
croissance. Des mesures en faveur de l'emploi sont nécessaires, monsieur le
ministre, parce que, même avec un taux de croissance de 2 % l'an, le nombre de
chômeurs ne diminuera pas.
M. Jean Chérioux.
Il fallait les mettre en oeuvre quand vous étiez au pouvoir !
M. Jean-Pierre Masseret.
Même avec une croissance de 3 % ou 4 %, il faudrait vingt ans pour arriver à
un résultat. Or le pays ne peut pas attendre vingt ans pour obtenir les
réponses qu'il attend à la question centrale de l'emploi dont tout découle dans
notre société.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Quelle réponse y avez-vous donné, vous ? Aucune.
M. Jean-Pierre Masseret.
En 1981, l'inflation était de 14 % ; aujourd'hui, elle est de 2 % et les
conditions sont différentes.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Et le chômage !
M. Jean-Pierre Masseret.
Tout à l'heure, vous avez cité en exemple la Grande-Bretagne. Mais ce pays
appartient-il encore au système monétaire européen ?
(Ah ! sur les travées
de l'Union centriste.)
Croissance et augmentation du pouvoir d'achat, plus de justice sociale et de
justice fiscale sont nécessaires à notre pays ; des mesures pour l'emploi
doivent être prises d'urgence.
Quant à l'Europe, ce n'est qu'un instrument dont on peut faire un bon ou un
mauvais usage. Aujourd'hui, les libéraux veulent se saisir de l'Europe pour
peser sur les salaires, sur la protection sociale, remettre en cause un certain
nombre d'acquis qui constituent la civilisation européenne et notamment le
modèle social français.
Mais l'Europe, ce n'est pas que cela : il faut en faire un autre usage et
avoir comme priorité l'emploi, la cohésion sociale, le développement, les
grands travaux, c'est-à-dire faire participer l'Europe à la croissance
économique,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Pourquoi ne l'avez-vous pas
inscrit dans le traité de Maastricht que vous avez rédigé ?
M. Jean-Pierre Masseret.
... au développement du pouvoir d'achat et de l'emploi.
Personne ne nous oblige aujourd'hui à accepter le
diktat
de M.
Tietmeyer en matière de monnaie unique.
Le débat qui s'engage sur ce point, y compris, me semble-t-il, dans votre
propre camp, est intéressant. En effet, un certain nombre de voix se font
entendre, et non des moindres : je ne crois pas en effet qu'un ancien Président
de la République française soit un personnage anodin sur l'échiquier politique
de notre pays.
Le débat existe ; il est bon qu'il soit posé, parce que l'on ne peut pas
s'engager dans la parité euro-dollar dans n'importe quelles conditions. En
effet, si on le faisait sur une base libérale qui accepterait une surévaluation
du dollar, je vous garantis que les vingt prochaines années seraient
redoutables pour l'Europe occidentale et pour ses travailleurs.
C'est une erreur à ne pas commettre : une responsabilité extraordinaire pèse
aujourd'hui sur nous en ce qui concerne la construction de cette Europe. Elle
ne peut pas être réalisée dans n'importe quelles conditions.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Elles ont été posées par vous,
les conditions !
M. Jean-Pierre Masseret.
Nous en avons posé quatre, monsieur Poncelet.
Monsieur le ministre, votre politique est un véritable échec pour la France et
pour les Français. J'ai le sentiment que nos compatriotes sont déterminés à
résister. Ils le montrent ; ils l'ont déjà montré, il y a un an notamment, par
une série de grèves. Cela continue. Ce n'est pas que les Français soient
incapables de comprendre la modernité, mais ce qu'ils veulent, c'est trouver
une juste place dans la construction de la société : cela veut dire de la
dignité, cela veut dire du travail, cela veut dire des salaires, cela veut dire
des logements, cela veut dire aussi un avenir pour leurs enfants ; cela veut
dire tout simplement une meilleure répartition de la richesse. Il est anormal
que notre pays, qui est plus riche au 31 décembre qu'au 1er janvier, compte
toujours plus d'exclus.
Les Françaises et les Français veulent travailler ; ils veulent une meilleure
répartition de la richesse, à la création de laquelle ils participent
grandement. C'est tout leur message, et je crois que vous devriez le
transmettre à M. le Premier ministre.
Je conclurai par un mot un peu dur : cher Jean Arthuis, dites à M. Juppé que
sa politique ne « vaut pas un clou » et que les Français n'en peuvent plus !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les reprendra à vingt-deux
heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-deux
heures.)