ÉLOGE FUNÈBRE DE JACQUES SOURDILLE
SÉNATEUR DES ARDENNES

M. le président. Mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Jacques Sourdille. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
« Là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Cette maxime, que Jacques Sourdille a fait sienne durant les heures sombres de l'Occupation, animera une vie entière de courage et de détermination.
La maladie dont nous le savions atteint a eu raison de ses forces. Jacques Sourdille, sénateur des Ardennes, nous a quittés le 8 juillet dernier.
C'est avec une vive émotion que j'évoque aujourd'hui un destin exceptionnel.
Jacques Sourdille naît à Nantes le 19 juin 1922, dans une famille de médecins. Après des études secondaires au lycée Georges-Clemenceau, le jeune bachelier s'apprête à suivre la même voie que son père, professeur, chercheur et membre de l'Académie de médecine, lorsque la guerre éclate. Sa vie et ses projets vont être bouleversés. « Septembre 1939, écrira-t-il plus tard, c'est la découverte pour beaucoup qu'il n'est plus le temps des choix individuels lorsqu'on s'est laissé acculer à la guerre ».
L'exode le conduit avec sa famille dans le Sud-Ouest, jusqu'au Pays basque. A l'annonce de l'armistice, répondant à l'appel de ceux qui refusent la défaite, il tente de s'embarquer pour la Grande-Bretagne. Mais l'enthousiasme de ses dix-sept ans est déçu : le jeune homme ne peut quitter le port de Saint-Jean-de-Luz. Revenu à Nantes, il entreprend ses études de médecine. La ville sera bientôt sous l'émotion du drame des « fusillés de Châteaubriant », représailles aveugles qui font suite à l'assassinat d'un officier de la Kommandantur. Le martyr de ces otages le révolte profondément et l'appelle à la résistance : « Acteurs ou victimes, ce sera notre choix désormais, »
Jacques Sourdille rejoint Paris et l'hôpital Saint-Louis en 1942. En troisième année de médecine, sous l'emprise de la nécessité, il devient chirurgien dans la capitale occupée, marquée par la pénurie.
Réfractaire au STO, il entre dans la clandestinité comme agent de renseignements dans un réseau anglais, confirmant, à vingt ans, son refus de toute soumission à l'occupant. Suit alors une inlassable mais dangereuse quête de renseignements. Le mur de l'Atlantique, le moral des troupes ennemies et même un site de fusées « V 1 » sont les sujets d'observation du jeune résistant. Recruté par les hommes du général de Gaulle, il devient lieutenant des forces françaises combattantes.
Arrêté à Flers en 1944 par la Gestapo, il est déporté au camp de concentration de Neuengamme. De cette période terrible, qu'il appelait la « sale guerre », il n'aimait pas parler.
A la Libération, Jacques Sourdille est l'un des trois survivants sur les quarante-sept hommes que comptait son commando. Cinq années de sanatorium seront nécessaires au rétablissement d'un homme physiquement brisé, qui ne pèse plus que trente-trois kilos, mais dont la volonté est intacte.
Jacques Sourdille reprend sa formation médicale, qu'il conduira brillamment jusqu'à l'internat, puis l'agrégation. Médecin hospitalier à Paris, spécialisé en ophtalmologie, il s'engage dans l'action syndicale et sera membre du conseil fédéral de la Confédération générale des cadres. Directeur d'enquête à l'INSERM, il enseignera à l'université de Dakar, puis à Paris VII. Ophtalmologiste expert auprès de l'Organisation mondiale de la santé en 1974, il participera, en tant que professeur détaché à l'UNESCO, au programme de formation de santé publique de l'Afrique de l'Ouest, de 1983 à 1986.
L'intérêt passionné de Jacques Sourdille pour les questions médicales et pour les pays en voie de développement ne le quittera pas durant toute sa carrière parlementaire.
Il entre en politique en 1968, à la demande de Georges Pompidou, qui lui suggère de présenter sa candidature pour les élections législatives dans les Ardennes. Il est élu. Membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, puis de la commission des finances, le député des Ardennes travaille beaucoup, et sur des domaines variés : la santé, la recherche, l'éducation nationale, la dette des pays en voie de développement. Il siège au Parlement européen, ainsi qu'à l'assemblée du Conseil de l'Europe. Il occupe les fonctions de secrétaire national de l'UDR pour les affaires sociales, puis de secrétaire adjoint du mouvement en 1973 et en 1974.
En mars 1977, Jacques Sourdille est appelé au Gouvernement par Raymond Barre, qui lui confie le secrétariat à la recherche. Il retrouve son siège de député de 1978 à 1981, puis de 1986 à 1988.
Elu sénateur des Ardennes en 1989, Jacques Sourdille n'oubliera pas ses responsabilités de médecin. Rapporteur pour la commission des lois de textes importants, sur la protection juridique des malades et des handicapés ou sur la lutte contre le travail clandestin, il intervient aussi longuement dans la discussion du projet de loi réprimant le trafic illicite de stupéfiants.
Surtout, Jacques Sourdille se distingue par la détermination et l'autorité avec lesquelles il préside la commission d'enquête sur le système transfusionnel français, entre 1991 et 1992. Attentif à la situation de personnes promises à une mort programmée, Jacques Sourdille partage « la révolte de ceux que des perfusions de sang ou des produits sanguins ont contaminés dans la confiance ». Il conduit les auditions de la commission d'enquête avec une grande rigueur, soucieux de mettre à jour la vérité dans un contexte peu propice à une investigation sereine.
Mais bien d'autres sujets nourrissent la réflexion et les travaux du sénateur Sourdille. Rapporteur, au nom de la commission des lois, de textes relatifs aux collectivités locales, il prend en charge le budget de l'aménagement du territoire à la commission des finances, qu'il a rejointe en 1992. Membre de l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques tout au long de son mandat, il est l'auteur d'une étude sur la coopération avec les pays de l'Est, publiée en 1994.
Si sa carrière d'élu national est particulièrement féconde, Jacques Sourdille reste très attaché à sa circonscription, dans laquelle il s'est solidement implanté.
D'abord élu conseiller général des Ardennes en 1970, puis conseiller municipal de Sedan en 1973, il siège aussi au conseil régional de Champagne-Ardenne, qu'il préside de 1974 à 1981.
Jacques Sourdille participe avec enthousiasme au processus de décentralisation, défendant ardemment les prérogatives de l'échelon départemental. Elu à la présidence du conseil général en 1982, il soutient la cause des Ardennais avec pugnacité.
Luttant pour le développement des infrastructures, il s'attache également au chantier de dépollution de la Meuse. En 1993, il succède à Pierre Messmer à la tête du comité de bassin Rhin-Meuse, défend le principe du « pollueur-payeur » et développe la coopération internationale pour la protection de la Meuse et de l'Escaut.
Victime en 1995 d'un grave accident cérébral, Jacques Sourdille renonce à la présidence du conseil général. Lucide sur son état, profondément affecté par le décès de son fils Jérôme, il ne se sentait plus capable d'assumer pleinement l'exécutif départemental.
La vie entière de Jacques Sourdille illustre le refus de la soumission.
Cette attitude constante lui a valu de conserver toujours une liberté de ton certaine et une grande indépendance, allant de pair avec une fidélité jamais démentie au gaullisme et à l'esprit de résistance.
Au nom du Sénat tout entier, j'assure de notre émotion ses collègues du groupe du RPR et tous ceux à qui Jacques Sourdille était cher. J'adresse à son épouse, à ses enfants, à toute sa famille, le témoignage de notre vive affliction.
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour, et au nom du Gouvernement, je voudrais rendre un dernier hommage à Jacques Sourdille, qui fut un grand patriote et un grand serviteur de la République.
Sa vie fut, en effet, une véritable leçon de volonté, de courage et de dévouement.
Sur l'essentiel, Jacques Sourdille n'a jamais transigé. A vingt ans, en 1942, il entre en clandestinité et rejoint les rangs de la Résistance.
Il n'hésite pas à s'exposer et risque sa vie avec beaucoup de courage et d'audace dans de nombreuses opérations.
Arrêté par la Gestapo en 1944, il connaît les conditions de détention épouvantables du camp de concentration de Neuengamme. Il lui faut une volonté à toute épreuve et un acharnement hors du commun pour y survivre. A son retour en France, il sera hospitalisé pendant cinq années dans un sanatorium.
Jacques Sourdille n'aimait pas parler de sa guerre. Par modestie, bien sûr, mais plus sûrement parce qu'il considérait qu'il n'avait fait là que son devoir envers son pays et ses concitoyens.
C'est cette force d'âme, cette attention aux autres qui l'engagent à reprendre ses études de médecine interrompues par la guerre. Il se spécialise en ophtalmologie, domaine dans lequel il ne tarde pas à devenir une autorité reconnue, particulièrement en ce qui concerne la cécité des enfants.
Jacques Sourdille, dont l'apparente rudesse dissimulait bien mal une grande sensibilité, est très préoccupé par les retards sanitaires des pays en développement. Il enseigne en Afrique et travaille à l'UNESCO sur des programmes de formation de santé publique.
Il aurait sans doute consacré sa vie entière à l'ophtalmologie si on ne lui avait demandé de servir à nouveau son pays.
C'est à la demande du Président Pompidou qu'après la dissolution de l'Assemblée Nationale en mai 1968 il se présente aux élections législatives dans les Ardennes. Il est élu député et entame ainsi une nouvelle et grande carrière au service de la République. Son sens de l'Etat, sa grande intelligence très intuitive lui permettront d'exercer des responsabilités nationales en qualité de secrétaire d'Etat chargé de la recherche dans le gouvernement deM. Raymond Barre.
Lui qui a su convaincre si vite les électeurs ardennais est rapidement conquis par sa nouvelle région d'adoption. Il s'y consacre entièrement. Conseiller général deGrandpré, il devient tour à tour président du conseil régional de Champagne-Ardenne, puis du conseil général des Ardennes.
Avec une incontestable réussite, il met sa force de travail et son enthousiasme au service du département, plaidant inlassablement dans les ministères les dossiers qui lui tiennent à coeur, comme le désenclavement et le développement économique.
En 1989, Jacques Sourdille est élu sénateur.
L'homme de coeur, qui est aussi un homme de conviction et de droiture, sait se faire apprécier de tous ses collègues. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, il a présidé avec beaucoup de compétence et beaucoup d'impartialité une commission d'enquête sur la transfusion sanguine.
Jacques Sourdille manquera à votre Haute Assemblée, car c'est un homme de bien qui s'en va, un grand patriote, un humaniste toujours au service des autres et de son pays.
Au nom du Gouvernement, j'adresse à son épouse, à ses enfants, à sa famille, à ses collègues du groupe du RPR, à tous ceux - et il sont nombreux - qui l'ont apprécié et aimé mes plus sincères condoléances.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants en signe de deuil.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.)