B. UNE CONCERTATION PARFOIS TROP FORMELLE
Posé par la loi du 29 juillet 1982 pour
l'élaboration
du plan régional préalable au contrat de plan, et
précisé par un arrêt du tribunal administratif de
Montpellier (cf. encadré page 22), le principe de la
consultation,
par la Région
, des collectivités locales, du Conseil
économique et social régional et des partenaires
économiques et sociaux de la Région, avait été
vigoureusement réaffirmé par la circulaire du Premier ministre du
31 mars 1992 relative à la préparation des
troisièmes plans régionaux et des troisièmes contrats de
plan, après que la préparation de la deuxième
génération de contrats de plan se fut
révélée décevante à cet égard.
La plupart des Régions se sont ainsi efforcées de consulter,
selon diverses modalités, les collectivités locales, le Conseil
économique et social régional, les milieux économiques et
les citoyens de la région, soit en amont, lors de l'élaboration
du plan régional, soit pour la préparation du contrat de plan
proprement dit. Ces consultations ont été mises en oeuvre
parallèlement à celles conduites par l'Etat pour la
définition de sa stratégie, puis du mandat de négociation
du préfet.
LE
CALENDRIER D'ÉLABORATION DU TROISIÈME CONTRAT DE PLAN
POUR LA
RÉGION PAYS DE LA LOIRE
Octobre 1992
: Approbation des priorités
régionales pour le XIe Plan par l'Assemblée du Conseil
Régional.
Avril 1993
: Première phase de réunion entre l'Etat
et la Région. Présentation de l'esquisse chiffrée du SGAR
aux services de la Région.
Mai 1993
: Première réunion du Comité
consultatif de planification avec les collectivités partenaires.
Présentation des grandes priorités de la Région (non
chiffrées).
Mai-juin-juillet 1993
: Réunion des commissions du Conseil
régional pour discuter des priorités du Contrat de Plan.
Juillet 1993
: CIAT définissant les mandats de
négociation des Préfets de région.
Septembre 1993
: Comité Consultatif de planification avec
l'annonce du mandat de l'Etat par le Préfet de Région et
présentation d'une esquisse des propositions de la Région.
Octobre 1993
: Comité Consultatif de planification :
les élus se prononcent sur les arbitrages par grand secteur
d'investissement et les élus des autres collectivités
négocient pour faire inscrire leurs opérations prioritaires.
Décembre 1993
: Obtention de dotations
complémentaires de l'Etat et négociation entre le Préfet
et le Président sur les dossiers-clés (enseignement
supérieur, routes, opérations de recherche -bassin des
carènes, laboratoire central des ponts et chaussées-, politique
de la ville, zones fragiles).
Janvier 1994
: Comité Consultatif de planification :
discussion entre la Région et les collectivités associées
sur les clés de financement et projets cofinancés à partir
d'un projet détaillé du Contrat de Plan.
Février-mars 1994
: Formalisation de l'accord des
collectivités partenaires sur un programme d'opérations qu'elles
accepteront de cofinancer (échanges de courriers).
Avril 1994 :
Vote du CPER par le Conseil Régional.
18 avril 1994
: Signature du Contrat de Plan.
1. La concertation avec les autres collectivités locales
Une
concertation approfondie avec les autres collectivités locales
s'imposait d'autant plus que les dispositions des contrats de plan
investissaient de plus en plus les
compétences
des
Départements et des Villes. En particulier, les
contrats de ville
devaient être intégrés aux contrats de plan
Etat-Région.
S'agissant de la concertation en amont, la Région Lorraine a ainsi mis
en place un dispositif étendu (cf. encadré ci-dessous).
LE
DISPOSITIF D'ÉLABORATION DU TROISIEME PLAN LORRAIN
38(
*
)
L'ensemble du dispositif de préparation du plan
régional a été défini par le Conseil
régional dans sa délibération du 29 juin 1992. Il
s'articulait essentiellement autour de trois structures auxquelles ont
été confiées des missions précises :
Les 14 groupes techniques de planification.
Ces groupes visaient à associer très largement l'ensemble des
" forces vives " de la Lorraine à l'élaboration du plan
régional. Présidés par le Vice-Président du conseil
régional délégué, ils rassemblaient trois
représentants du Conseil régional, deux représentants du
Conseil économique et social régional, le Directeur
général des services de la Région, les Présidents
des quatre Conseils généraux de Lorraine, les Maires des villes
chefs-lieux de département, les représentants des services
régionaux de l'Etat, des organisations professionnelles et des chambres
consulaires, ainsi que des personnalités qualifiées.
Ces groupes avaient pour mission de proposer une stratégie
régionale dans le domaine qui leur avait est confié (industrie de
base et énergie ; développement économique, PMI et
artisanat ; agriculture et forêt ; formation professionnelle et
emploi, etc.). Mis en place en octobre 1992, ils ont rendu leurs rapports
définitifs à l'automne 1993.
La conférence régionale de planification
.
Il s'agissait d'une instance de concertation informelle, mise en place le 10
juin 1993, pour associer les grands partenaires de la Région
(Départements, CESR, villes) et coordonner les démarches de
planification entreprises dans la région. Ses travaux ont abouti
à l'adoption en octobre 1993 du protocole d'orientation commun
prévu par la circulaire du 31 mars 1992.
La commission du plan du Conseil régional.
Cette commission, instance de cohérence interne du plan régional,
a préparé les décisions du Conseil régional,
notamment les délibérations relatives aux orientations
stratégiques de la Région, au protocole d'orientation commun avec
les autres grandes collectivités, enfin le contrat de plan avec l'Etat
et ses procédures d'application.
S'agissant plus particulièrement de la concertation relative à la
préparation des contrats de plan proprement dits :
- En Basse-Normandie, la Région a adressé des
questionnaires
détaillés à près de 140
personnes morales (Départements, Communes chefs-lieux, Communes de plus
de 20 000 habitants, groupements de communes, organismes consulaires),
dont 40 ont répondu.
- En Rhône-Alpes, des représentants des Départements, des
Villes, du Conseil économique et social régional, des organismes
consulaires et des associations ont été intégrés
aux 5
commissions
de préparation du contrat de plan.
- En Bretagne, le Conseil régional a organisé des réunions
d'information et de consultation dans chacun des territoires bretons à
l'occasion d'un tour de Bretagne, qui ont permis de recueillir un
" catalogue du souhaitable " ; la consultation écrite de
l'ensemble des partenaires à l'occasion de la définition des
orientations de la Région ; la diffusion du programme
d'études prospectives préalables. Par ailleurs, les 10 groupes de
travail préparatoires, présidés par un conseiller
régional désigné par le Président, ont
rassemblé des représentants des Conseils généraux,
des grandes villes, du Conseil économique et social régional, des
services déconcentrés de l'Etat et des chambres consulaires,
ainsi que des experts, notamment des universités, des organisations
professionnelles et des associations.
- En Poitou-Charentes, la préparation du contrat de plan s'est
effectuée dans le cadre d'une
conférence des
exécutifs
rassemblant notamment les Présidents des Conseils
généraux et le Président du Conseil régional.
- En Alsace fut mise en place dès juillet 1992 une
"
Conférence
intercollectivités
",
co-présidée par le Préfet de région et le
Président du Conseil régional, et réunissant le
Préfet du Haut-Rhin, les Présidents des deux Conseils
généraux, les Maires des villes de Strasbourg, Haguenau,
Selestat, Saverne, Wissembourg, Mulhouse, Colmar, Guebwiller, Saint-Louis et
Altkirch, deux maires de communes rurales et le Président du Conseil
économique et social régional. A la demande de cette
conférence intercollectivités furent mis en place 12 groupes
techniques, animés par les services de l'Etat et de la Région, et
réunissant des techniciens des Départements, des villes de
Colmar, Mulhouse et Strasbourg et des chambres consulaires. Enfin, durant toute
la période des négociations, des représentants des deux
Conseils généraux ont été associés aux
réflexions des commissions thématiques du Conseil régional
portant sur le contrat de plan.
Dans deux régions (Alsace et Franche-Comté), les
Départements seront non seulement associés tout au long de la
procédure, mais " associés " à la signature du
contrat de plan aux côtés de la Région. En Alsace, les
trois "
métropoles régionales
" (Colmar,
Mulhouse et Strasbourg) seront également cosignataires. Ces initiatives
ressortent toutefois de configurations particulières (faible nombre de
départements, et, pour l'Alsace, contributions des collectivités
infra-régionales excédant les engagements financiers de la
Région elle-même).
Malgré les efforts de certaines Régions, force est ainsi de
constater que la concertation avec les autres collectivités locales fut
dans l'ensemble inégale, et souvent frustrante pour les
Départements et les grandes Villes, alors même que les engagements
financiers des collectivités infrarégionales, estimés
" officiellement " à 22 milliards de francs,
représentaient une part croissante des contrats de plan.
Comme le résume le rapport CHÉRÈQUE
39(
*
)
, "
les Départements ont
été globalement peu satisfaits de la méthode
d'élaboration, qui leur donnait parfois un strapontin
" et
l'Association des présidents de Conseils généraux (APCG) a
élevé une protestation vigoureuse.
En effet, certaines Régions se seraient contentées de
"
vagues consultations
" à l'occasion de
"
grandes
messes
", où le temps de parole des
uns et des autres était réduit et où le fond des dossiers
n'était pas réellement abordé, mais qui donnaient lieu
ensuite à des appels à contributions.
Dans certains cas, les contributions des collectivités
infra-régionales n'ont d'ailleurs donné lieu à aucune
publicité ; dans d'autres cas, les engagements notifiés de
la Région ont pu englober plus ou moins à leur insu les
participations attendues des autres collectivités
40(
*
)
, ce qui n'est pas sans
conséquence pour la
portée
des
engagements
inscrits
dans les contrats de plan.
Au total, de partenaires, les Départements et les Villes se sont sentis
souvent réduits au rang de "
financeurs
", parfois
"
non consentants
" : la concertation avait
été trop formelle.
Certaines dispositions des contrats de plan, comme l'humanisation des hospices,
dont l'Etat avait fait l'une de ses priorités, ont en outre
été à l'origine de
malentendus
41(
*
)
, certains Départements
craignant, lorsque les Régions participaient au financement de ce
programme, qu'elles ne s'immiscent de manière excessive dans leurs
compétences en matière sociale.
Par surcroît, les difficultés de certaines collectivités
locales à se faire entendre ont pu être aggravées par le
faible rôle dévolu aux
préfets
de
département
, aux sous-préfets et aux directions
départementales de l'Etat, qui sont les interlocuteurs habituels des
Départements et des Communes, et parfois par les mésententes ou
le manque de coordination entre les Préfets de Région et les
directeurs régionaux des administrations déconcentrées
d'une part, les Préfets de Département, les Sous-Préfets
et les directeurs départementaux, d'autre part.
La combinaison de ces facteurs explique d'ailleurs le souhait de certains
Conseils généraux de négocier directement avec les
préfectures de région, à parité avec les
Régions.
Les "
frustrations
" souvent causées par les
méthodes de concertation retenues procèdent-elles d'un
péché de jeunesse de Régions en mal d'affirmation vis
à vis de collectivités plus anciennes et budgétairement
plus importantes ? D'un manque de maturité de la procédure,
qu'il conviendrait, selon la circulaire du Premier ministre du 31 juillet 1998,
"
d'approfondir
" ? ou bien d'une
difficulté
plus
structurelle
pour les Régions,
à l'instar de l'Etat, à concilier le principe de
subsidiarité avec leur mission de mise en cohérence ?
Idéalement, l'élaboration des contrats de plans
Etat-Région devrait en effet incarner l'avènement d'une
"
démocratie procédurale
", où les
décisions publiques seraient plus justes, plus lisibles et plus
rationnelles, parce que longuement discutées, argumentées et
soumises à la délibération d'une pluralité
d'acteurs recherchant l'accord le plus large possible
42(
*
)
.
Mais cet idéal semble à certains illusoire. En effet, les
intérêts locaux demeurent fragmentés, et la recherche d'un
consensus est de ce fait ardue. Par ailleurs, il sera toujours difficile aux
Conseils généraux et aux Villes de faire entendre leur voix dans
des forums ou des commissions inévitablement pléthoriques lorsque
les régions comprennent une, voire plusieurs dizaines de
départements et de villes moyennes.
De plus, certaines collectivités locales, notamment les petites
Communes, n'ont pas toujours l'expertise suffisante pour préparer des
projets susceptibles de s'inscrire dans le cadre parfois contraignant des
contrats de plan.
Enfin, comme le soulignait
43(
*
)
en 1998 le rapport de Mme MENGIN pour le Conseil économique et social
"
la démarche nécessairement très institutionnelle
des contrats de plan peut enfermer les acteurs locaux dans des phases rigides
très éloignées de leur temps propre
".
Certains exemples suggèrent toutefois que ces difficultés, qui ne
sont pas nouvelles, ne sont pas pour autant insolubles, sous réserve
que :
- la méthodologie d'élaboration des propositions de la
Région soit définie clairement et en concertation avec les
principales collectivités infrarégionales ;
- les
critères
de contractualisation retenus par la Région
soient véritablement négociés ;
- enfin, que ces critères soient
affichés
suffisamment
tôt pour que les autres collectivités, éventuellement
aidées par les services de la Région et de l'Etat pour la
préparation des dossiers, puissent effectivement y inscrire leurs
projets prioritaires. Il conviendrait notamment que les
sous-préfets
se voient confier une mission de coordination et de
préparation des dossiers pour les projets territoriaux.
Sous ces conditions, les propositions de la Région s'appuient
réellement sur un relatif consensus et sur des démarches locales
de projets, ce qui renforce sa position dans la négociation des contrats
de plan.
Notons que ces trois conditions (négociation sur la procédure,
élaboration conjointe des critères de contractualisation,
lisibilité et annonce précoce de ces critères) sont
d'ailleurs aussi bien les conditions d'une concertation réussie des
Régions avec les autres collectivités, que celles d'une
négociation équilibrée des contrats entre l'Etat et les
Régions.
En définitive, comme le concluait déjà notre
collègue Georges MOULY dans son rapport sur la deuxième
génération de contrats de plan "
le résultat des
démarches de concertation dépend bien de l'inégale
volonté des régions de prendre en compte les avis des
départements
".