Sécurité sanitaire : état des lieux et perspectives en France et en Europe
DELANEAU (Jean)
RAPPORT D'INFORMATION 445(1999-2000) - Commission des Affaires sociales
Rapport au format Acrobat ( 370 Ko )Table des matières
- AVANT-PROPOS
-
INTRODUCTION
PAR MM. CHARLES DESCOURS ET CLAUDE HURIET-
I. LE POINT DE VUE DES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA
VEILLE ET DE LA SÉCURITÉ SANITAIRES
- A. AUDITION DE M. MARTIN HIRSCH, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS (AFSSA)
- B. AUDITION DE M. PHILIPPE DUNETON, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS DE SANTÉ (AFSSAPS)
- C. AUDITION DE M. JACQUES DRUCKER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT DE VEILLE SANITAIRE (IVS)
- II. LE POINT DE VUE DES CONSOMMATEURS
-
III. LE POINT DE VUE DES INDUSTRIELS
- A. AUDITION DE M. PIERRE LE SOURD, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SCIENTIFIQUES, PHARMACEUTIQUES ET MÉDICALES DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE (SNIP)
- B. AUDITION DE M. JACQUES DUMONT, PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES MÉDICALES (SNITEM)
- C. AUDITION DE M. VICTOR SCHERRER, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES (ANIA)
- IV. LE POINT DE VUE DES JOURNALISTES
-
V. LE POINT DE VUE DES EXPERTS
- A. AUDITION DE M. MARC ELOIT, MEMBRE DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL SUR LES ENCÉPHALOPATHIES SPONGIFORMES SUBAIGUËS TRANSMISSIBLES, MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L'AFSSA
- B. AUDITION DE M. GEORGES BORIES, PRÉSIDENT DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DE L'ALIMENTATION ANIMALE, COMMISSION EUROPÉENNE - DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ ET DE LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS
- VI. LE POINT DE VUE DES MINISTRES
- VII. LE POINT DE VUE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
-
I. LE POINT DE VUE DES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA
VEILLE ET DE LA SÉCURITÉ SANITAIRES
-
ALLOCUTION DE CLÔTURE DE
M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT
N°
445
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 juin 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la sécurité sanitaire après la loi du 1 er juillet 1998 : état des lieux et perspectives en France et en Europe,
Par M.
Jean DELANEAU,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.
Santé publique. |
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AVANT-PROPOS
Le
travail du législateur ne s'arrête pas avec la promulgation de la
loi : telle est la philosophie qui inspire le travail de la commission des
Affaires sociales. Il convient en effet, une fois la loi votée, de
s'assurer qu'elle est appliquée, que sa mise en oeuvre satisfait aux
objectifs qui en avaient inspiré l'adoption et que, lorsque des
crédits budgétaires sont nécessaires, qu'ils sont bien
inscrits en loi de finances.
Ce travail revêt une signification particulière lorsque, comme
c'est le cas avec la loi n° 98-535 du 1
er
juillet 1998
relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la
sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme,
le texte législatif trouve son origine dans une proposition de loi.
Dans ce cas, la responsabilité du législateur dans son travail de
contrôle est encore plus importante, non seulement pour des raisons
" affectives " résultant de la " paternité "
d'un texte, mais parce qu'ayant étudié bien en amont les raisons
qui motivaient une réforme, il dispose d'éléments
pertinents pour en apprécier la mise en oeuvre.
L'intérêt de la commission des Affaires sociales pour les
questions sanitaires est ancien : il s'est manifesté, en 1993, avec
l'adoption d'un amendement instituant l'Agence du Médicament et, en
1994, avec celle d'un amendement sur l'Etablissement français des
greffes. Il s'est également traduit par l'adoption d'un rapport
d'information sur les thérapies génique et cellulaire, par celles
de dispositions législatives concernant ces thérapies dans le
cadre de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses dispositions
d'ordre sanitaire, social et statutaire et, enfin, par l'adoption d'un rapport
d'information et le dépôt de la proposition de loi sur le
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle sanitaire des produits
destinés à l'homme.
Dès qu'ont été publiés les décrets
d'application de la loi n° 98-535 précitée permettant
l'installation de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire
des Produits de Santé, de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments et de l'Institut de Veille
Sanitaire, la commission des Affaires sociales a procédé, le
5 mai 1999, à l'audition de leurs responsables.
Un an plus tard, le 25 mai 2000, elle a souhaité poursuivre ce
travail en organisant une journée d'auditions publiques
consacrées à l'application de la loi et, plus largement, à
l'état des lieux et aux perspectives dans le domaine de la
sécurité sanitaire, en France et en Europe.
Elle a manifesté l'intention de connaître, à cette
occasion, le point de vue des agences, celui des producteurs, des
consommateurs, des experts, des journalistes spécialistes de ces
questions, des responsables ministériels concernés ainsi que
celui du Commissaire européen chargé de la protection de la
santé et des consommateurs.
Le présent rapport d'information livre le compte rendu de cette
journée d'auditions, introduite par MM. Charles Descours et Claude
Huriet et clôturée par M. Christian Poncelet,
Président du Sénat, à laquelle ont participé de
nombreux sénateurs appartenant à toutes les commissions
permanentes du Sénat et assisté un large public.
Le contrôle de l'application de la loi, de même que son
élaboration, doit en effet se dérouler dans des conditions
favorisant la transparence des débats et l'expression de toutes les
parties concernées.
INTRODUCTION
PAR MM. CHARLES DESCOURS ET CLAUDE HURIET
M. LE
PRÉSIDENT
-
Mesdames, Messieurs, mes chers collègues,
j'ai plaisir à vous accueillir pour cette journée d'auditions,
que la commission des Affaires sociales considère comme très
importante, consacrée à la sécurité sanitaire :
état des lieux et perspectives, en France et en Europe.
M. Christian Poncelet, Président du Sénat, a accepté
de clôturer cette journée. Il nous rejoindra dès qu'il aura
terminé de présider la séance publique consacrée
aux questions au Gouvernement.
Avant de donner la parole à MM. Claude Huriet et Charles Descours,
qui sont les " pères " de la loi du
1
er
juillet 1998 et qui vont introduire notre débat, je
vous rappelle que nous avons une journée chargée, avec de
multiples intervenants, qui se déroulera donc à un rythme rapide.
Le dernier intervenant sera M. David Byrne, Commissaire européen
chargé de la protection de la santé et des consommateurs. Ces
auditions feront l'objet d'un compte rendu intégral.
M. Charles DESCOURS
-
Je vais commencer par faire un
historique de cette loi sur la sécurité sanitaire qu'avec Claude
Huriet, nous avons aidé à faire voter par le Parlement.
Il faut bien comprendre que la commission des Affaires sociales du Sénat
s'est intéressée depuis très longtemps à ces
problèmes. En 1992, lorsque l'on nous avait présenté le
projet de loi sur l'Agence Française du Sang, Claude Huriet avait
demandé par amendement la création de l'Agence du
Médicament. En 1994, avec un gouvernement qui avait entre-temps
changé, nous avions également créé, dans les lois
bioéthiques, l'Etablissement Français des Greffes.
En 1996, nous avons créé une mission d'information
consacrée à la sécurité sanitaire ; je tiens
à dire que c'était avant l'épisode
" médiatique " de l'encéphalopathie spongiforme bovine
plus communément appelée la
vache folle
. Ce n'était
donc pas par un effet de mode que la commission des Affaires sociales du
Sénat avait créé cette mission d'information que j'ai eu
l'honneur de présider, et dont Claude Huriet était le rapporteur.
Cette mission s'est rendue aux Etats-Unis en 1996 ; nous sommes
allés voir le fonctionnement de la Food and Drugs Administration (FDA)
et des Centers for Disease Control (CDC) à Atlanta et nous avons
rencontré les parlementaires plus particulièrement
intéressés par les questions de sécurité sanitaire.
Nous avons eu ensuite des contacts, pendant trois ou quatre ans, avec la FDA
qui est venue nous voir ici par l'intermédiaire d'un ou deux de ses
responsables, ces contacts nous ont aidés.
Le rapport de Claude Huriet a été publié au cours de
l'hiver 1996, ainsi que la proposition de loi qui en était issue. Sous
la V
e
République, peu de propositions de loi d'origine
parlementaire sont définitivement adoptées. Nous avons tous
cosigné cette proposition de loi et celle-ci a reçu le soutien du
gouvernement de l'époque, qui était celui d'Alain Juppé.
Elle a eu notamment le soutien actif d'Hervé Gaymard et -ce qui a
été plus difficile parce que l'adhésion n'a pas
été immédiate- du ministre de l'Agriculture de
l'époque, Philippe Vasseur.
Après le changement de gouvernement, le nouveau Premier ministre,
M. Lionel Jospin, a évoqué la création d'une Agence
de Sécurité Sanitaire dans sa déclaration de politique
générale au Parlement. D'ailleurs, pendant que nous
présentions notre proposition de loi sous le gouvernement
précédent, notre ami Bernard Kouchner avait écrit un
article dans lequel il défendait la création d'une seule agence,
alors que nous en proposions deux.
Nous avons écouté ce que disait M. Jospin et, le 12
août, des conseillers de M. Jospin ont demandé à nous
rencontrer pour parler de cette affaire. Cela montre qu'au-delà des
affrontements normaux en démocratie, de grandes questions transcendent
les courants politiques.
Le cabinet du Premier ministre nous a indiqué que notre proposition de
loi figurerait à l'ordre du jour du Parlement.
Ils nous ont cependant suggéré de créer une agence
plutôt que deux. Nous leur avons dit :
" Vous allez voir que
faire une agence est plus compliqué que ce que vous croyez. Si vous
arrivez à faire une agence nous n'en faisons pas une affaire de
paternité, nous voulons bien n'en faire qu'une, mais vous verrez que
vous serez obligés d'en faire deux."
La proposition de loi a été discutée au Sénat et
à l'Assemblée. Les échanges avec les industriels ont
été intéressants, notamment sur les dispositifs
médicaux. Nous avons rencontré quelques réticences de la
part du ministère de l'Agriculture pour créer l'Agence de
Sécurité des Aliments. La loi a été
promulguée le 1
er
juillet 1998.
Nous organisons aujourd'hui cette journée d'auditions parce que nous
voulons vérifier -comme c'est le rôle du Parlement- la
façon dont fonctionnent les agences et la façon dont
évolue la sécurité sanitaire dans notre pays et en Europe,
puisque la présidence française de l'Union européenne sera
peut-être l'occasion de la création d'une agence européenne
de sécurité alimentaire.
M. Claude HURIET
-
Monsieur le Président, mes chers
collègues, Mesdames, Messieurs, l'objet de cette journée
d'auditions publiques consiste à faire le point de la situation et
à avancer quelques réflexions prospectives.
La commission des Affaires sociales, dont Charles Descours vient de rappeler
l'engagement constant en faveur de la sécurité sanitaire, est
très attentive à exercer les missions que les institutions
confient au Parlement, à savoir le contrôle, mais aussi le suivi
et les conditions d'application des textes législatifs votés par
le Parlement.
En effet, nous considérons que le travail du législateur ne
s'arrête pas le jour où la loi a été adoptée.
Quelles que soient les conditions du vote, nous exerçons cette vigilance
et le suivi dans l'application des lois en ce qui concerne le contenu des
textes d'application et les délais de leur publication. Sans doute
aurons-nous l'occasion, au cours de cette journée, d'interroger les
Directeurs Généraux des agences pour savoir où en est la
préparation des textes d'application de la loi non encore
publiés.
Nous n'avons aucune suspicion à l'encontre des Directeurs
Généraux des agences ou du fonctionnement des agences ; le
législateur peut aussi contribuer à les aider dans leur
tâche difficile, car, au fond, une des caractéristiques de cette
loi de juillet 1998 est qu'il s'agit d'un texte innovant.
En effet, nous ne nous sommes pas contentés de procéder à
des ajustements des structures existantes mais nous avons bâti, à
partir des matériaux qui existaient, un ensemble dont chacun
reconnaît qu'il a acquis davantage de cohérence, de
lisibilité et d'efficacité. Nous sommes, là aussi, comme
des partenaires de ceux qui ont à appliquer la loi.
Ces auditions se situent également dans un contexte national et un
contexte européen évolutif. Le contexte national correspond
à la création en cours, telle que l'Assemblée nationale
l'a souhaitée, d'une Agence de Sécurité Sanitaire
Environnementale sur laquelle des questions pourront être posées.
Il semble cependant que le Gouvernement n'envisage pas d'inscrire ce texte
à l'ordre du jour du Sénat avant l'automne. Je crois que nous
évoquerons peut-être les relations éventuelles entre les
agences existantes et l'organisme dont la création est envisagée,
mais je souhaite que ces digressions ne bouleversent pas le bon
déroulement de la journée.
Dans l'évolution du contexte national, je ne peux pas ne pas
évoquer l'explosion du principe de précaution. C'est un sujet
d'une actualité brûlante et peut-être ne serait-il pas
souhaitable d'y consacrer trop de temps. Je voudrais souligner, dès le
départ, qu'il y a pour nous une certaine contradiction entre les efforts
accomplis par le législateur et les responsables de l'organisation
nouvelle, et une application de plus en plus large du principe de
précaution.
C'est pour le moment plus une réflexion qu'une interrogation, mais
à quoi bon renforcer les dispositifs de sécurité de veille
sanitaire si c'est pour amener les décideurs à appliquer le
principe de précaution en oubliant un des critères qui
était inscrit dans la loi Barnier de 1995, à savoir la
proportionnalité de la réponse par rapport au risque réel
ou supposé ?
Le contexte international aussi a évolué, plus
particulièrement en ce qui concerne l'Europe, d'où
l'intérêt d'auditionner à la fin de cette journée un
Commissaire européen qui pourra nous faire connaître le climat
dans lequel évolue la sécurité sanitaire.
J'ai la conviction -et j'espère qu'elle est largement partagée-
que les dispositions législatives françaises et la loi de 1998
ont contribué à faire évoluer les choses en Europe. Je
voudrais prendre deux exemples, la
vache folle
dont nous parlerons tout
à l'heure, et un point qui a été beaucoup plus
délicat concernant les dispositifs médicaux, ce point sera
également évoqué plus loin.
La plupart des interlocuteurs sont d'accord sur le fait que nous devons
considérer que la législation française du 1
er
juillet 1998 avait été mal ressentie par l'industrie des
dispositifs médicaux en France, ce que nous comprenons ; cela avait
aussi fait l'objet de réserves de la part de la Commission. Il semble
désormais que la position française traduisant la
détermination du législateur a contribué à aider la
Commission à s'interroger sur la pertinence et l'efficacité, par
exemple, des organismes notifiés dans les différents pays de
l'Union européenne.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui, les textes d'application
relatifs aux agences sont presque tous publiés, l'organisation est en
place, elle fonctionne bien, j'espère que les Directeurs
Généraux pourront le confirmer. Cependant comme vous pourriez les
taxer d'être de parti pris, nous avons souhaité la participation
d'autres intervenants !
Il nous appartient désormais de voir avec vous, non seulement si nous
avons des motifs de satisfaction, mais aussi quels sont les progrès
à accomplir pour que l'organisation nouvelle puisse connaître sa
pleine efficacité pour répondre aux attentes des consommateurs,
quelquefois raisonnables, quelquefois excessives, face à cette
société sans risque à laquelle ils aspirent. Nous sommes
bien conscients que tous les efforts doivent être faits pour
réduire la proportion des risques, mais que le chemin à parcourir
est encore long. Cette journée pourra peut-être constituer,
grâce à vous, une étape importante dans la recherche de
l'amélioration constante des résultats.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur Huriet. Maintenant, je vais
donner la parole aux différents intervenants. Nous allons tout d'abord
aborder le point de vue des institutions de veille et de sécurité
sanitaires : interviendront successivement M. Martin Hirsch,
Directeur Général de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments, M. Philippe Duneton,
Directeur Général de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé et
M. Jacques Drucker, Directeur Général de l'Institut de
Veille Sanitaire.
Nous entendrons ensuite le point de vue des consommateurs, des industriels, des
médias, des experts, des ministres et de la Commission
européenne.
I. LE POINT DE VUE DES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA VEILLE ET DE LA SÉCURITÉ SANITAIRES
A. AUDITION DE M. MARTIN HIRSCH, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS (AFSSA)
M. Martin HIRSCH - Mesdames et Messieurs les
sénateurs, je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler les
compétences et le rôle de l'Agence, vous les connaissez mieux que
quiconque. Elle a été conçue comme un organisme public
d'évaluation des risques destiné à éclairer le
Gouvernement par l'appui technique qu'elle apporte, les avis qu'elle rend, les
recommandations qu'elle formule, les expertises qu'elle fournit et les
recherches qu'elle mène, avec, pour toutes ces missions, une
finalité unique : la contribution à l'amélioration de la
santé sanitaire.
La sécurité sanitaire est devenue un objectif prioritaire et non
plus une préoccupation subordonnée à la satisfaction
d'autres contraintes d'ordre supérieur. C'est pourquoi l'activité
d'une agence comme la nôtre se situe toujours dans ce chemin
étroit entre l'insuffisance de précautions et l'excès de
précautions, avec leurs effets néfastes, où il faut n'en
faire, ni trop, ni trop peu. C'est pourquoi, avant d'en venir aux principes qui
ont guidé les premiers pas de l'Agence et aux perspectives qui peuvent
être entrevues à ce stade, je ferai quelques remarques sur le
contexte dans lequel se situe cette activité.
Tout d'abord, c'est un contexte dans lequel on attend tout de l'expert, sauf
qu'il se substitue aux politiques et on attend tout d'une agence d'expertise,
sauf qu'elle se substitue aux gestionnaires de risque. Cela impose de rendre
des avis suffisamment clairs, des avis qui ne lient pas l'autorité qui
décide mais l'éclairent.
Par ailleurs, un organisme comme l'AFSSA ne se fonde que sur des
considérations d'ordre sanitaire et scientifique ; toutefois, il
n'est pas neutre d'avoir à rendre un avis lorsque des
conséquences sociales, économiques et diplomatiques lourdes
peuvent en résulter. Si ceci ne conduit pas l'Agence à transiger
avec les risques, cela lui impose, comme l'enjeu sanitaire lui-même, une
particulière rigueur sur la façon dont elle travaille.
Par ailleurs, la science comme les réglementations sanitaires ont
rarement des frontières qui coïncident avec celles des Etats. Cette
dimension internationale est de plus en plus forte, au moment même
où plusieurs pays, dont la France, renforcent leur organisation
nationale dans le domaine de l'évaluation et de la gestion des risques.
De plus, nous attendons des évaluateurs de risques et des organismes
comme l'Agence, de plus en plus de réponses précises et
définitives dans un univers de connaissances de plus en plus incertain,
avec la nécessité de pouvoir conjuguer le temps de la
décision et celui de l'acquisition de la connaissance.
Nous cherchons à réduire les risques, nous cherchons à
traquer le risque évitable alors même que, selon la formule
rituelle, le risque zéro n'existe pas, cette formule rituelle ne devant
d'ailleurs pas être prétexte à considérer que tout
risque est une fatalité. Il n'est pas toujours facile d'expliquer qu'il
est nécessaire de porter une attention soutenue à une
bactérie qui, dans les conditions actuelles de sa maîtrise, ne tue
pas plus en un an que la route en un week-end de mai. C'est dans ce contexte
qu'évolue l'Agence qui a été mise en place avec comme
viatique la loi du 1
er
juillet 1998 et son décret
d'application.
Nous nous sommes efforcés de placer ses premiers pas en respectant
quatre règles cardinales :
- indépendance,
- transparence,
- excellence scientifique de nos experts,
- rapidité.
Ceci tout en nous efforçant de construire une jurisprudence permettant
de guider notre activité et de forger des repères utiles à
l'avenir. Pour cela, l'activité s'est organisée selon les quatre
priorités suivantes :
- Développer d'emblée une capacité à
répondre aux demandes adressées à l'Agence en situation de
crise afin de permettre aux Pouvoirs Publics de fonder leur décision sur
une analyse scientifique des risques.
Cela a été le cas à de nombreuses reprises depuis un an,
qu'il s'agisse, pour citer les plus connues, de la crise de la Dioxine, de la
crise du Coca Cola, de la crise de l'ERIKA. A chaque fois, cela nous a conduits
à rendre plusieurs avis successifs en essayant d'expliquer -en fonction
des connaissances que nous avions au moment où la crise survenait, en
fonction des premières données qui nous étaient
transmises- les premiers éléments d'évaluation du risque
et à préciser les choses dans des avis ultérieurs -lorsque
je dis ultérieurs cela peut être la semaine suivante ou le mois
suivant- pour permettre de prendre des mesures proportionnées.
- Harmoniser les conditions dans lesquelles étaient produits les
avis. Sur les neuf premiers mois de 1999, 180 avis ont été rendus
par l'Agence, dont deux tiers au titre des instances préexistantes dont
nous assurons le secrétariat, et un tiers dans les conditions nouvelles
de saisine de l'Agence.
Nous avons rendu ces avis en nous efforçant de satisfaire aux exigences
de la loi, c'est-à-dire mettre en place une rationalisation de
l'expertise afin de créer, d'ici l'été, les nouveaux
comités d'experts spécialisés qui se substitueront aux
anciennes commissions. A la lumière d'un an d'expérience, nous
avons pu voir quels pouvaient être les avantages et inconvénients
des différentes formules, avec des comités très
hétérogènes dans leur composition, leur mode de
fonctionnement, leur mode de saisine, etc.
- Pouvoir mener des travaux de fond au-delà des réponses
ponctuelles. C'est le cas de travaux qui s'étalent sur huit mois ou un
an, comme ceux sur l'évaluation de l'ensemble des risques sur la
filière alimentation animale, comme le travail sur les apports
nutritionnels conseillés, celui récemment rendu sur la
listéria monocytogenèse, et les dix sujets que nous avons soumis
à notre conseil scientifique pour être lancés en l'an 2000
et ceci en fonction des priorités sanitaires.
- Pouvoir définir des lignes directrices pour les travaux des
laboratoires, qu'il s'agisse des axes thématiques à
développer en relation avec les enjeux sanitaires actuels ou des
conditions dans lesquelles les activités de ces laboratoires
s'inscrivent dans un environnement nouveau.
Nous avons eu à coeur, dès la création de l'Agence, de
faire de celle-ci, malgré l'origine diverse de ses compétences,
un établissement unique fonctionnant comme tel avec des instances
communes, avec des règles directrices communes et des modifications
à apporter à des règles de partenariat. A
côté de ces quatre priorités, il nous a fallu rendre
publics tous les avis de l'Agence, ainsi que la loi l'exige.
Les premiers enseignements qui peuvent en être tirés sont
peut-être les suivants :
- Le rassemblement, dans un même établissement, d'instances
d'évaluation et de laboratoires est un atout très important pour
assurer l'assise scientifique de l'Agence et développer sa
capacité de veille et sa réactivité.
C'est aussi une source de difficultés, cela impose de nouvelles
règles de fonctionnement mais nous nous apercevons, et en particulier
dans les discussions que nous avons avec d'autres instances d'autres pays, de
l'intérêt de pouvoir compter directement sur cette capacité
d'expertise, d'appui technique et de recherche existant dans les laboratoires.
- Les procédures de transmission d'informations prévues par
la loi sont essentielles pour que les travaux de l'Agence ne soient pas
déconnectés des réalités de terrain.
A plusieurs reprises, nous nous sommes fondés sur des résultats
d'enquêtes, des résultats d'inspections, dont nous avons tenu
compte en plus des connaissances scientifiques, pour adapter telle ou telle
date, telle ou telle recommandation, telle ou telle pratique qui, sinon, aurait
fait l'impasse sur des difficultés qu'il pouvait y avoir dans
l'application d'une réglementation.
- Il était important de mettre en chantier une
réorganisation des comités d'experts. Lorsque les experts nous
indiquent que le soutien qu'ils peuvent désormais avoir, que les
relations qu'ils peuvent avoir avec les scientifiques de l'Agence leur
permettent de mieux exercer leur fonction difficile, c'est pour nous un sujet
de satisfaction.
- La publicité des travaux de l'Agence pratiquement en temps
réel est un changement important pour l'ensemble des acteurs dans ce
processus de démocratie sanitaire que vous avez évoqué
tout à l'heure.
Je terminerai par les perspectives. L'Agence a été soumise
à un rythme de travail particulièrement soutenu et nous ne nous
attendons pas à bénéficier d'un répit dans les
années qui viennent, mais nous pensons qu'à la lumière de
ces premiers pas, nous pourrons renforcer notre fonctionnement avec trois
perspectives principales qui sont pour nous autant d'exigences.
- La première est d'être capable d'anticiper les risques.
Nous sommes dans un domaine où des risques nouveaux, des maladies
nouvelles émergent, de nouveaux contaminants sont identifiés.
Nous avons cité la
vache folle
tout à l'heure, mais il y a
aussi certaines maladies moins connues comme la maladie amaigrissante du
porcelet, l'entérocolite du lapin, la maladie de Borna : des
interrogations s'élèvent concernant leurs conséquences
éventuelles.
Il est essentiel de développer une méthodologie permettant
à chaque fois, avec la même rigueur, de se poser des questions.
Ces maladies sont-elles ou non transmissibles à l'homme ? Si elles
l'étaient, les mesures que nous prenons pour éviter d'exposer
l'homme par la voie alimentaire ou parfois par d'autres voies, sont-elles
adaptées à une évolution des connaissances scientifiques
qui irait dans le mauvais sens ?
Il nous faudra travailler, dans les mois qui viennent, dans ce domaine, tant
par les axes de recherche en laboratoire que par les méthodes
d'évaluation.
- La deuxième perspective est la nécessité de pouvoir
maintenir une capacité à développer des travaux
approfondis. Si nous voulons bien guider l'action des Pouvoirs Publics, il faut
pouvoir lancer des réflexions de fond mettant en perspective les
risques, les vulnérabilités, les enjeux.
Il n'y a aujourd'hui aucune situation de crise dans certains domaines où
nous pensons qu'il faut quand même mettre à plat un certain nombre
de sujets : c'est ce que nous faisons par exemple pour l'agriculture
biologique, en nous disant que la situation est suffisamment précoce
pour que l'on soit capable de faire une analyse objective. Si nous n'avions pas
les moyens de mener ces travaux de fond, si tous les moyens étaient
obérés par la réponse aux crises, nous serions revenus
à la case départ.
- La troisième et dernière perspective consiste à se
préparer au nouveau contexte communautaire et international. La
silhouette de l'Autorité alimentaire européenne, telle qu'elle se
dessine dans le Livre blanc de la Commission, présente de très
nombreuses similitudes avec l'AFSSA. Celle-ci doit donc se préparer
à pouvoir être l'un des piliers d'un système d'expertise
fonctionnant en réseaux, et l'expérience que nous aurons acquise
d'ici la mise en place de l'Agence ou de l'Autorité européenne
sera très précieuse dans ce cadre.
Telles sont les principales remarques que je souhaitais faire. J'espère
avoir clairement souligné que le système issu de la loi du
1
er
juillet 1998 était porteur de changements réels et
de nombreuses potentialités dans notre domaine.
L'Agence représente près de 800 personnes et des centaines
d'experts qui se mobilisent pour mettre en oeuvre ce qui est écrit dans
la loi.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur
Général. Je donne la parole à M. Philippe Duneton,
Directeur Général de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé.
B. AUDITION DE M. PHILIPPE DUNETON, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS DE SANTÉ (AFSSAPS)
M.
Philippe DUNETON - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je
voudrais en quelques mots rappeler le contexte de la création de
l'AFSSAPS, puisque l'Agence Française de Sécurité
Alimentaire a des particularités que n'a pas l'Agence Française
de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, cette
dernière ayant été bâtie sur les bases de l'Agence
du Médicament. L'AFSSAPS a des compétences plus larges que
l'AFSSA puisque, au-delà de l'évaluation du risque, elle a aussi
en charge la gestion du risque, y compris le contrôle et l'inspection de
l'ensemble des produits de santé.
Après avoir rappelé quelques éléments de
l'environnement et du fonctionnement de l'Agence, je voudrais donner quelques
éclairages en fonction des différents produits. Le
sénateur Huriet m'a notamment invité à faire le point sur
certains textes d'application de la loi.
Je parlerai d'orientations et de perspectives concernant la mise en place d'une
organisation en termes de guichets, de points d'entrée, que j'ai mise en
place au sein de l'Agence, et ensuite du contexte européen.
De façon très schématique, j'ai pris l'habitude de
présenter l'Agence à partir de trois métiers plus un. Les
trois métiers sont l'évaluation, les contrôles et
l'inspection. Le quatrième est un moyen d'action, c'est un
métier, j'y reviendrai lorsque je parlerai des vigilances : il
concerne l'information, c'est-à-dire l'information à la fois
ascendante et descendante chez les professionnels de santé, les
professionnels industriels et évidemment au sein du public.
Mais sans vouloir faire du chiffre trois un chiffre clé de l'Agence,
nous évoluons aussi dans un monde en trois dimensions :
- le premier est l'évaluation scientifique sur le plan du
bénéfice/risque,
- le deuxième que l'Agence assure pour le médicament et
prochainement pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, est
l'évaluation médico-économique avec à la fois
l'évaluation du service médical rendu et la proposition du taux
de remboursement,
- le troisième est évidemment indépendant de l'Agence
puisqu'il concerne la prise de décision en la matière, qui
relève de la compétence des ministres.
Sans trop entrer dans le détail des chiffres, je dirai que l'Agence
compte 833 personnes, dont une centaine sur les dispositifs
médicaux, qui exercent des métiers, d'évaluation, de
contrôle et d'inspection ; c'est aussi un budget de
579 millions de francs , dont 40 % de subvention de l'Etat. Il faut
savoir remarquer que l'accroissement des missions de l'Agence s'est fait par le
biais de l'accroissement de la subvention de l'Etat, qui lui permet de prendre
en charge les nouveaux produits entrant dans son champ de compétences.
Il s'agit aussi de 15 commissions, et de plus de 1.000 experts qui
contribuent à assurer l'évaluation interne sur la base d'une
expertise externe proche du terrain et en particulier du milieu
hospitalo-universitaire.
L'Agence s'est bâtie sur l'Agence du Médicament, c'est toujours
une donnée importante à garder en mémoire. Je rappelle
que, y compris au moment de la création de l'Agence, elle a
continué et a accentué ses travaux dans le domaine des
médicaments et d'autorisation de mise sur le marché, avec un
point plus particulier concernant le développement des
génériques, puisque c'est un axe très important de la
politique du médicament du Gouvernement.
En particulier, nous avons établi un répertoire, bâti sur
les principes de santé publique et ceux du droit de la substitution,
comprenant 800 spécialités, dont 400 inscrites en 1999. En
plus des évaluations, l'Agence a procédé au contrôle
en laboratoire de l'ensemble des spécialités inscrites au
répertoire, ceci était un des premiers objectifs pour 1999.
Un des points importants était bien sûr ce que j'ai
évoqué sur l'évaluation médico-économique
puisque nous allons réaliser, en moins d'un an, la
réévaluation du service médical rendu de l'ensemble des
spécialités inscrites au remboursement, c'est-à-dire 4.000
spécialités. Dans les prochaines semaines nous terminerons la
deuxième vague qui représentera plus des trois quarts du travail
qui restera à accomplir ; nous espérons terminer à la
rentrée.
Pour revenir à des préoccupations de sécurité
sanitaire, je voudrais rappeler le contexte concernant les dispositifs
médicaux et rappeler quelques temps forts.
Comme je l'ai indiqué, les dispositifs entrent désormais dans le
champ de compétences de l'Agence. L'Agence a
bénéficié d'un transfert d'équipes qui
étaient auparavant à la Direction des hôpitaux ; en
effet, l'organisation et la sécurité reposent beaucoup sur des
aspects de vigilance, donc de surveillance après la mise sur le
marché.
En moins de cinq ans, la France a su, en matière de vigilance des
dispositifs médicaux, rejoindre le plus haut niveau européen. Il
y a eu le transfert des équipes, la création d'une inspection
spécifique des dispositifs médicaux, la préparation et la
mise en place de la nouvelle organisation.
Nous travaillons avec les industriels concernant les dispositifs d'alerte et,
grâce au travail mené avec la Direction des hôpitaux, nous
pouvons contacter en moins d'une heure l'ensemble des établissements
publics de santé. Nous avons utilisé ces moyens dans le cadre du
dispositif mis en place pour le passage à l'An 2000.
Mais il est clair que la diversité des types de dispositifs et des
publics concernés, fait que nous avons un chantier, que nous
espérons voir aboutir au cours de cette année, pour adapter les
dispositifs d'alerte à cette diversité de nos publics.
La mise en place d'une commission spécifique est actuellement en cours
et nous allons mettre en place une commission d'évaluation concernant le
service médical rendu. Une troisième commission sera
placée au sein de l'Agence et s'occupera plus spécifiquement de
l'évaluation en termes de sécurité sanitaire et de
contrôle du marché.
Avant même la mise en place de cette commission, qui est plutôt un
groupe de travail, j'ai souhaité que nous travaillions plus
précisément sur les dispositifs implantables qui sont parmi ceux
qui posent le plus de problèmes, puisqu'ils sont à l'origine de
75 % des accidents sérieux. En particulier, des groupes
d'évaluation seront mis en place sur les prothèses de hanches et
les endoprothèses aortiques, des travaux sont d'ailleurs
déjà en cours.
J'ai cité l'inspection, mais il y a aussi le contrôle des
organismes notifiés qui sont contenus dans les directives
européennes transposées en droit français ;
l'inspection de l'organisme notifié français, le GEMED, est en
cours actuellement. Tout cela sera réalisé et terminé dans
quelques semaines.
De la même façon que pour les dispositifs médicaux, le
secteur des réactifs de laboratoire a fait l'objet de différentes
réévaluations. Nous travaillons, là encore, à
regarder comment nous pouvons notifier un organisme pour prendre en charge et
enregistrer, puisque la nouvelle directive entrera en application le 7 juin
prochain.
L'approche française, qui a été très largement
développée et défendue par le Sénat, consistait
à tenir compte d'un certain nombre de particularités, de
l'environnement européen, mais aussi à montrer qu'en
matière de sécurité sanitaire, des avancées
contenues dans la loi devaient être faites.
Cela m'amène à parler de deux textes qui sortiront prochainement,
et qui feront l'objet d'une consultation auprès des professionnels et
auprès de la Commission européenne, puisqu'il est vrai que les
autres Etats membres étaient particulièrement "sourcilleux" sur
cette approche française.
Le texte concernant les dispositifs à risques particuliers est
prêt, il pourra être notifié à la Commission. J'avais
donné consigne aux équipes en charge des dispositifs
médicaux dans mon service, d'aller expliquer -ce qui a été
fait plusieurs fois par mois depuis que l'Agence existe- que ces dispositions
se situaient dans le cadre de l'approche communautaire, et qu'elles
présentaient la particularité de prévoir une notification
de trois mois avant la mise sur le marché de dispositifs particuliers.
Elles constituent une mesure de vigilance, un facteur clef de
sécurité et non pas une entrave à la mise sur le
marché.
Autant il y avait beaucoup de scepticisme, de crainte vis-à-vis des
dispositions prévues dans la loi de juillet 1998, autant maintenant je
pense que la position française est mieux comprise, voire presque
défendue, par la Commission. C'est un changement important et notable
qui a été obtenu en quelques mois, il reste à passer
à l'acte.
De la même manière, un autre décret important pourra
être publié dans les toutes prochaines semaines concernant
l'assurance qualité des dispositifs médicaux.
Cela n'épuise pas le débat parce que bien d'autres enjeux en
matière de dispositifs médicaux sont devant nous. En particulier,
vous connaissez tous les différences d'évaluation clinique qui
existent entre le médicament et les dispositifs médicaux, ceci
à juste titre, puisque la diversité des dispositifs donne lieu
à des risques extrêmement diversifiés, ce qui pose un
certain nombre de problèmes.
Par ailleurs, la Directive prévoit le contrôle des organismes
notifiés. La France fait son travail, il faut s'assurer que, dans
l'ensemble des autres Etats membres, le travail est fait de la même
façon. Nous avons déjà eu des échanges avec les
Etats membres et, dans le cadre de la présidence française,
l'AFSSAPS a pris l'initiative d'organiser au mois de juillet à Paris une
rencontre avec les Etats membres et la Commission sur les problèmes
posés par l'évaluation clinique et le contrôle des
organismes notifiés, point qui est un enjeu important auquel nous serons
tous sensibles.
Je voudrais aussi parler d'autres produits. Je passerai sur les produits
sanguins pour lesquels le transfert s'est fait au premier jour et s'est
développé sans difficulté.
Cela m'amène aux produits biologiques, qui représentent une autre
dimension importante de l'acuité de l'Agence, maintenant
compétente pour exercer les missions d'évaluation, de
surveillance et de contrôle. Nous avons organisé l'inspection des
produits biologiques, mais nous nous sommes trouvés face à un
certain nombre de difficultés quant à la prise des textes
prévus par la loi de 1998.
Concernant les thérapies génique et cellulaire, qui faisaient
déjà l'objet de dispositions législatives de 1996 reprises
dans le cadre de la loi de 1998, nous avons réussi à
préparer un texte d'application. Nous avons rencontré des
difficultés sur la définition des différents types de
produits, en particulier des produits cellulaires -puisqu'il y avait plusieurs
définitions en fonction de leur origine- des produits sanguins, des
produits placentaires et des produits issus de la moelle.
Peut-être faudra-t-il revoir la définition des produits mais, de
mon point de vue, il n'est pas nécessaire d'attendre quoi que ce soit
pour publier les textes d'application puisque nous avons désormais
retenu une approche qui me paraît cohérente.
Malgré la gêne évidente résultant de l'absence des
textes d'application de la loi, l'Agence s'en est préoccupée sans
attendre.
D'une part, cela a permis d'éviter les dérives que nous avons pu
constater sur le continent Nord américain et qui ont été
rappelées par l'actualité le mois dernier et, d'autre part, cela
a malgré tout permis de ne pas bloquer la recherche, comme en
témoignent les avancées notables réalisées au cours
des dernières semaines à Paris avec le professeur Fischer.
Je voudrais terminer sur l'inspection.
J'ai déjà évoqué l'inspection spécifique sur
les produits biologiques et les dispositifs médicaux. Je voudrais citer
un point concernant l'articulation de nos travaux avec ceux des autres
administrations : nous avons ainsi été amenés
à passer une convention avec la Direction Générale de la
Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes.
Même si les frontières sont repoussées, elles existent
toujours, il existe donc des interfaces dans nos champs de compétences
pour lesquelles nous avons à travailler et à définir des
procédures.
De la même façon, en matière d'inspection, nous avons
travaillé avec les services déconcentrés du
ministère de la Santé, et défini un programme d'inspection
qui a été mis en oeuvre avec une circulaire dès le 11 mai
1999.
J'ai évoqué la mise en place de réseaux et de guichets, je
citerais aussi la coordination des vigilances qui est très importante
puisque nous avons huit vigilances différentes. Cela répond
à un objectif de fonctionnement transversal de l'établissement,
c'est-à-dire qu'à partir du moment où une question se
pose, il faut être sûr que les mêmes décisions
puissent être prises, le cas échéant, sur l'ensemble des
produits concernés.
Un autre point important de cette coordination des vigilances est le point
d'entrée avec les autres institutions et agences, en particulier l'AFSSA
; nous avons travaillé de façon concertée sur un certain
nombre de projets.
Je terminerai en évoquant la future présidence française
de l'Union européenne. J'ai rappelé l'importance, en
matière de dispositifs médicaux, des enjeux qui s'attachent
à la bonne compréhension et la bonne intervention
concertée avec les autres Etats membres et la Commission.
J'espère que les positions françaises qui sont
répétées, qui traduisent la volonté du Parlement et
du Gouvernement, seront reprises, en tout cas en Europe.
Dans le domaine du médicament aussi, il existe un enjeu important de la
présidence française : le système d'enregistrement
des médicaments doit en effet être révisé l'an
prochain. Au cours de sa présidence, la France sera donc amenée
à faire des propositions avec les autres Etats membres pour voir comment
nous pouvons améliorer le système d'enregistrement
européen, puisqu'il existe actuellement deux procédures, l'une
centralisée avec l'Agence européenne à Londres et l'autre
dite de reconnaissance mutuelle. De toute façon, les deux
procédures sont basées sur l'expertise qui est faite par les
différentes agences nationales.
Voilà en quelques mots un premier bilan de la mise en place de l'Agence
Française de Sécurité Sanitaire des Produits de
Santé.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur
Général. Je passe la parole à Jacques Drucker, Directeur
Général de l'Institut de Veille Sanitaire.
C. AUDITION DE M. JACQUES DRUCKER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT DE VEILLE SANITAIRE (IVS)
M.
Jacques DRUCKER
-
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Mesdames, Messieurs, je souhaitais dans le cadre de cette audition publique
faire le point avec vous, un an après la création de l'Institut
de Veille Sanitaire, sur son organisation, son fonctionnement et les moyens
dont il est doté.
Puis, nous aborderons bien entendu sa production au cours de cette année
et enfin les enseignements que nous pouvons tirer de cette année de
fonctionnement, sans complaisance, en insistant aussi sur les écueils,
puisque c'est souvent très enrichissant pour l'avenir, et en
dégageant les perspectives de développement de l'Institut.
Je rappelle pour mémoire que les décrets d'application de
l'Institut de Veille Sanitaire sont sortis en mars 1999, et que, d'une
façon générique, la mission de l'Institut de Veille
Sanitaire est d'assurer la coordination de la surveillance et l'observation de
la santé de la population française.
Vaste mission, avec deux priorités dans lesquelles nous sommes
engagés de façon très active. La première est une
finalité d'alerte et d'accompagnement, notamment des Pouvoirs Publics,
dans la réponse à la survenue de menaces pour la santé
publique. La seconde est de construire sur le long terme un outil de suivi
épidémiologique permanent de l'état de santé de la
population dans une perspective d'aide à la décision sur
l'élaboration et l'adaptation des politiques de prévention.
L'Institut de Veille Sanitaire possède quelques originalités dans
le dispositif de sécurité sanitaire. Premièrement, son
approche est une approche par la population et non par les produits,
c'est-à-dire que cet Institut est chargé d'ausculter la
population française en permanence. Il s'agit en fait de mettre en place
des systèmes de recueil d'informations sur les pathologies et les
circonstances d'exposition de la population à certains
déterminants de la santé.
La deuxième originalité est l'universalité du champ de
compétences de cet Institut, puisque tous les secteurs de la
santé publique lui sont ouverts sans restriction, quelle que soit la
nature des risques sanitaires et quel que soit leur mode d'expression.
Enfin, le dernier point sur lequel je voulais insister, est, comme le
prévoit le texte de loi, que l'Institut de Veille Sanitaire n'a pas
vocation à être l'opérateur de tous les systèmes
d'information, de tous les systèmes de surveillance qu'il coordonne,
mais a vocation être un animateur, un coordonnateur et le chef
d'orchestre d'un réseau national de santé publique autour des
missions de veille sanitaire.
De par la nature de ses missions, les deux métiers principaux qui sont
développés à l'Institut de Veille Sanitaire sont, d'une
part, les métiers de l'épidémiologie d'intervention, tout
ce qui tourne autour de l'expertise dans les systèmes de surveillance,
l'expertise dans les investigations épidémiologiques, notamment
en situation d'urgence, et d'autre part, là où la méthode
épidémiologique n'est probablement pas la meilleure
réponse pour évaluer certains problèmes de santé,
tout ce qui tourne autour de l'évaluation quantitative des risques
sanitaires, notamment en situation d'incertitude ou en situation de risque
différé sur le long terme qu'il s'agit d'essayer de mieux cerner
sans attendre des données de surveillance tardives.
Un mot sur ses moyens et la configuration de l'Institut de Veille Sanitaire :
l'Institut de Veille Sanitaire dispose de 140 emplois permanents, ce qui est en
augmentation de façon très substantielle par rapport à
l'ancien Réseau National de Santé Publique puisque l'Institut de
Veille Sanitaire a repris les missions de cet ancien Réseau national.
Nous avons ainsi bénéficié de 40 emplois
supplémentaires en l'an 2000, soit une augmentation de 40 % de nos
ressources humaines par rapport à 1999.
Nous sommes dotés d'un budget de 115 millions de francs , dont
100 millions de francs proviennent d'une subvention de l'Etat et le reste
essentiellement de contrats avec la Commission européenne. Là
encore, la subvention de l'Etat a été augmentée de
30 % en 2000 par rapport à la dotation de 1999.
Comment est organisé l'Institut de Veille Sanitaire ?
A proprement parler, il faut le concevoir comme une tête de
réseau. Cette tête de réseau est située à
Saint-Maurice et est organisée en six départements. Depuis la
création de l'Institut de Veille Sanitaire, par rapport à la
situation du Réseau National de Santé Publique, nous avons eu la
possibilité d'ouvrir trois nouveaux départements. Ces six
départements sont les suivants :
- un département des maladies infectieuses chargé de la
surveillance des maladies du même nom,
- un département santé/environnement qui surveille et
évalue les risques d'origine environnementale,
- un département santé/travail, qui est l'un des nouveaux
départements qui s'est ouvert depuis la création de l'Institut de
Veille Sanitaire, chargé de surveiller les risques d'origine
professionnelle,
- un département d'ouverture récente, que nous appelons le
département des maladies chroniques et des traumatismes, chargé
de développer sur le long terme un système d'information sur les
maladies chroniques et les problèmes d'origine accidentelle,
- enfin, deux derniers départements qui sont des
départements en soutien aux départements
précédents. L'un s'appelle le service des systèmes
d'information qui est un peu le système nerveux de l'Institut de Veille
Sanitaire, et l'autre est un département international qui aujourd'hui
accueille -j'y reviendrai tout à l'heure- un certain nombre de projets
européens, dont la coordination a été confiée
à l'Institut de Veille Sanitaire par la Commission européenne.
Nous nous sommes attachés depuis un an à structurer, à
commencer à développer le futur Réseau National de Veille
Sanitaire que doit animer l'Institut. Le premier maillage de ce réseau
s'appuie sur l'héritage du Réseau National de Santé
Publique et, en particulier, sur les cellules inter-régionales
d'épidémiologie qui sont des petites structures techniques venant
en relais de l'action de l'Institut de Veille Sanitaire et permettant de mieux
prendre en compte les spécificités régionales en
matière de veille sanitaire. Aujourd'hui, il existe neuf de ces cellules
avec, dans chacune, deux agents scientifiques : un médecin de
santé publique et un ingénieur du génie sanitaire.
Puis, nous nous sommes attachés à développer
progressivement et à formaliser des partenariats avec les institutions,
les organismes, voire les professionnels de santé qui, chacun à
leur niveau, sont susceptibles de contribuer aux missions de veille sanitaire.
Certains de ces partenariats sont déjà très
opérationnels, bien entendu, je le rappelle pour mémoire, parce
qu'ils l'étaient déjà dans le cadre du Réseau
National de Santé Publique, notamment avec les partenariats avec les
services déconcentrés, avec les DDASS qui sont nos interlocuteurs
de première ligne sur les missions d'intervention. Nous avons aussi
signé un accord de coopération avec l'INSERM, qui nous permet
d'avoir une collaboration pérenne sur les statistiques de
mortalité gérées par l'INSERM et de développer
progressivement tout un programme de veille scientifique prospective sur les
risques sanitaires.
Nous avons également un accord de partenariat avec le réseau des
Observatoires Régionaux de Santé et avec les registres de
morbidité, en particulier les registres de cancer. Parmi les
partenariats en cours, nous avons un accord en voie de finalisation avec l'INRS
sur les problèmes de risques au travail, avec le réseau des
centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales et avec
le réseau de toxicovigilance des centres antipoison.
Enfin, des partenariats sont à l'étude, car un peu plus
complexes, avec notamment le tissu hospitalier français. Nous
étudions en particulier la possibilité, la faisabilité,
d'exploiter le PMSI, le Programme de Médicalisation des Systèmes
d'Information, à des fins épidémiologiques.
Nous avons enfin approché les organismes de protection sociale,
notamment la CNAM, pour étudier de la même façon la
faisabilité d'utiliser à des fins de surveillance des
données comme, par exemple, la base de données des affections de
longue durée.
Bien entendu, il est hors de mon propos de faire la liste exhaustive des
programmes en cours, je distinguerai seulement deux éléments :
l'alerte, d'une part, et les programmes de surveillance, d'autre part.
Nous pouvons dire que le bilan concernant la mission d'alerte de l'Institut de
Veille Sanitaire est aujourd'hui honorable. Nous disposons, notamment dans le
domaine de l'alerte vis-à-vis des maladies infectieuses, du dispositif
probablement le plus performant en Europe. J'en veux pour preuve les nombreux
stagiaires que nos collègues des institutions européennes nous
adressent depuis quelques mois. Nous avons un dispositif qui fonctionne, pas
uniquement grâce à l'Institut de Veille Sanitaire, mais parce que
le dispositif est devenu très performant, en particulier sur les aspects
épidémiologiques coordonnés par l'Institut de Veille
Sanitaire.
Nous répondons, si ce n'est quotidiennement mais de façon
hebdomadaire, à des sollicitations des DDASS sur des alertes
locales ; nous sommes aussi intervenus à de nombreuses reprises sur
des épidémies ou des menaces de dimension nationale comme trois
épidémies de listériose, deux épidémies de
légionellose, plusieurs épidémies de méningite, et
nous sommes intervenus à notre niveau dans le dossier de l'affaire du
Coca-Cola, il y a quelques mois, et plus récemment dans le dossier de
l'ERIKA.
L'alerte est un domaine en pleine expansion, il consomme aujourd'hui à
l'Institut de Veille Sanitaire un tiers des ressources humaines du
département des maladies infectieuses et du département
santé environnement. C'est un de nos enjeux de le renforcer, de le
structurer pour répondre à une demande de plus en plus croissante
dans ce domaine.
Sur les aspects de surveillance, nous gérons le système de
surveillance des maladies à déclaration obligatoire. Nous mettons
en place un système national de surveillance de l'hépatite C en
collaboration avec les pôles de référence hospitaliers sur
cette thématique. Nous avons renforcé ce qui avait
été amorcé par le Réseau National de Santé
Publique, un réseau de surveillance des effets de la pollution
atmosphérique sur la santé dans neuf grandes
agglomérations françaises. Nous avons également mis en
place, depuis un an, un réseau national de surveillance des effets de
l'amiante sur la santé, en particulier du mésotéliome, en
liaison avec de nombreux partenaires.
Puis, nous mettons en place ou nous renforçons des réseaux avec
les professionnels de santé, réseaux dits sentinelles, avec la
médecine générale, avec la médecine du travail, et
des réseaux de médecins hospitaliers. L'activité de
structuration du futur réseau national de veille sanitaire se
développe de façon normale et efficace.
Sur l'aspect des enseignements et des écueils que nous rencontrons dans
la mise en place des missions de l'Institut de Veille Sanitaire, concernant
l'alerte les choses se sont bien structurées. Le dispositif d'alerte
sera complet lorsque le décret sur les conditions d'accès aux
informations couvertes par le secret médical ou industriel qu'a
prévu la loi du 1
er
juillet 1998 sera publié : ce
n'est pas encore le cas, ce décret étant en cours
d'élaboration.
S'agissant des missions d'observation ou de surveillance
épidémiologique, nous avons rencontré quelques
difficultés du fait de l'interruption de la remontée nationale
des déclarations obligatoires liée à un mouvement social
des médecins inspecteurs de santé. Ce mouvement est
terminé depuis quelques jours, mais cela nous oblige maintenant à
rattraper le retard. Cependant, l'information n'est pas perdue, nous sommes
actuellement en train de rattraper les données de l'année 1999
dans les déclarations obligatoires.
S'agissant de cette déclaration obligatoire, vous êtes sans doute
aussi informés des difficultés que nous avons rencontrées
avec le nouveau décret, relatives à la transmission aux
autorités sanitaires des informations liées à la
déclaration obligatoire. Certaines associations se sont en effet
inquiétées de la compatibilité entre ce décret et
la protection des libertés individuelles. Il est actuellement
procédé au réexamen de la compatibilité entre la
rédaction de ce décret et ce qui est prévu dans le
dispositif législatif en matière de protection de l'anonymat.
Concernant la structuration des autres partenariats, nous rencontrons certaines
difficultés qui sont de nature différente. D'abord, il faut
rappeler que la culture de santé publique dans ce pays est relativement
récente et que beaucoup d'organismes, d'institutions, voire des
professionnels de santé, n'ont pas inscrit dans leurs priorités
la contribution à des missions de santé publique.
Par exemple, lorsque nous travaillons avec des laboratoires de recherche en
toxicologie ou en microbiologie sur des missions d'alerte, la
réactivité ou les exigences liées à ces missions de
santé publique ne sont pas toujours inscrites dans leurs
priorités du fait même de la nature de leurs missions de
laboratoires de recherche.
Je rappelle que la France est le seul pays en Europe à ne pas avoir de
laboratoire national de santé publique. C'est un écueil qui,
jusqu'à présent, n'a pas à mon sens de conséquences
importantes parce que nous compensons, en formalisant des partenariats entre
des structures d'épidémiologie et des structures de laboratoires.
D'une autre façon, je pense qu'inscrire des missions de santé
publique en tant que telles au sein d'un certain nombre de laboratoires est une
réflexion à mener dans l'avenir.
De même, nous rencontrons une autre difficulté sur la
nécessité de renforcer les moyens de certains outils sur lesquels
nous nous reposons pour les missions de veille sanitaire, je parle en
particulier des registres de morbidité, des registres de cancer qui sont
des outils de recherche, des outils de santé publique et de
surveillance.
S'agissant du cancer, on estime aujourd'hui -c'est une estimation faite dans le
cadre du comité national des registres- qu'il faudrait doter ces
registres de 15 millions de francs par an pour assurer un fonctionnement
pérenne des missions de surveillance du cancer. Aujourd'hui la dotation
qui leur est octroyée par l'Institut de Veille Sanitaire ou l'INSERM est
à hauteur de 5 millions de francs. Il y a un déficit
à combler et nous demandons de plus en plus à un certain nombre
d'organismes et d'institutions de contribuer aux missions de veille sanitaire.
Autre point, celui de la coordination avec les autres agences. Cette
coordination fonctionne, notamment en situation d'alerte. Elle a aussi
commencé à fonctionner sur des dossiers de plus long terme. C'est
pourquoi, nous avons une collaboration avec l'AFSSAPS sur l'exploitation
commune des données d'hémovigilance dans une perspective de
veille sanitaire et un projet en commun avec l'AFSSA sur l'étude de la
morbidité et de la mortalité d'origine alimentaire.
Je voudrais, pour terminer ce bilan sur les programmes, dire un mot de la
dimension internationale de notre action qui est devenue assez importante,
notamment en Europe. L'Institut de Veille Sanitaire coordonne un certain nombre
de projets stratégiques de la Communauté européenne. Par
exemple, nous assurons la coordination pour toute l'Europe de la surveillance
épidémiologique du SIDA et de l'infection par le VIH et nous
avons la même mission pour l'Europe concernant la surveillance de la
tuberculose. Je ne parle pas ici de l'Europe communautaire, mais de la
région Europe de l'OMS, cela concerne la coordination de cinquante pays.
Nous assurons également pour la Commission européenne la
publication d'un bulletin épidémiologique mensuel sur les
maladies transmissibles et nous coordonnons un programme assez ambitieux de
formation à l'épidémiologie d'intervention des futurs
cadres des instituts équivalents au nôtre dans les autres pays
européens. Il sera d'ailleurs intéressant d'écouter M.
Byrne à ce sujet, en fin d'après-midi.
Nous sommes préoccupés par les difficultés
rencontrées pour mettre en place le réseau européen de
surveillance des maladies transmissibles, créé en 1999. Il
rencontre en effet des difficultés de " décollage ",
notamment concernant ses ressources.
En conclusion, le bilan à un an est plus qu'honorable : l'Institut
de Veille Sanitaire a consolidé les acquis du Réseau National de
Santé Publique, ouvert de nouveaux chantiers correspondants à ses
nouvelles missions, fait un inventaire de l'expertise, évalué les
besoins et la faisabilité des nouveaux systèmes qu'elle doit
développer et repéré un certain nombre d'écueils et
de lacunes à combler.
Concernant les perspectives, aujourd'hui l'Institut de Veille Sanitaire est en
train d'élaborer un contrat d'objectifs et de moyens avec l'Etat qui
doit permettre de couvrir son développement sur les trois prochaines
années, 2001 à 2003, autour de deux axes principaux : d'une
part consolider l'expertise et la réactivité du dispositif
d'alerte et de réponse à ces alertes, et d'autre part
développer une capacité d'analyse, d'anticipation et de
prévision qui est nécessaire pour accompagner et étayer
les politiques publiques de santé.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Directeur
Général. Je suis saisi de plusieurs questions qui s'adressent aux
trois intervenants que nous venons d'entendre.
M. Charles DESCOURS
-
Ma première remarque s'adresse
à M. Hirsch. Monsieur le Directeur Général, le
législateur a créé des agences non seulement pour informer
le Gouvernement et le conseiller, mais aussi pour informer le Parlement et
l'opinion. Nous ne voulons pas qu'elles soient des agences gouvernementales,
c'est bien clair. Nous souhaitons que vous soyez indépendants du
Gouvernement et vous l'êtes. Vous informez le Gouvernement pour qu'il
prenne ses décisions mais vous êtes aussi là pour informer
l'opinion et le Parlement comme le FDA le fait aux Etats-Unis, et c'est ce qui
donnera du poids à vos décisions.
Par ailleurs, vous êtes-vous interrogé sur l'attitude à
avoir vis-à-vis des OGM et notamment sur le colza transgénique
qui vient d'être planté par erreur ? Vous êtes-vous
interrogé pour savoir s'il faut l'arracher ou non ?
Le Conseil National d'Alimentation vient d'être
réactivé ; comment fonctionne-t-il avec vous ?
Nous ne voudrions pas que l'on recommence à créer des agences
parallèles, surtout lorsque l'on connaît les réticences du
ministère de d'Agriculture à créer l'AFSSA. Nous ne
voudrions pas que ce que nous avons obtenu d'un côté soit
détruit de l'autre et que, comme malheureusement trop souvent, les
décrets viennent annuler ce qu'a voulu le législateur.
Monsieur Duneton, vous n'avez pas parlé du contrôle des
allégations santé des aliments. Pourriez-vous nous en dire
quelques mots ?
Dernière question à M. Drucker. Vous avez beaucoup parlé
de réseaux et des difficultés que vous aviez à fonctionner
en réseau. Bravo pour ce que vous avez fait, c'était ce que nous
souhaitions, cependant vous n'avez pas dit un mot de la médecine
scolaire. Cela fonctionne-t-il ou non ?
Travaillez-vous sur les maladies iatrogènes et les infections
nosocomiales ?
M. Claude HURIET - A propos de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments, je voulais interroger le
Directeur Général sur le rattachement des laboratoires
prévu à l'article L. 794-1 de la loi. A notre connaissance,
il y a quelques lourdeurs auxquelles nous nous attendions, mais j'aimerais
savoir si nous sommes en passe de réussir.
Ma deuxième question concerne le CNEVA quant à son mode de
financement à travers des partenaires industriels, d'autant plus que le
CNEVA garde ses attributions premières en matière de recherche.
Il m'a été dit dernièrement que le CNEVA n'avait pas
changé et que le fait de l'avoir mis dans l'AFSSA n'était qu'une
sorte d'illusion, que l'on avait changé l'enveloppe mais que cela
n'avait pas modifié l'exercice de ses missions. Pouvez-vous nous
éclairer sur ce point ?
Concernant l'évolution de l'AFSSA, vous savez combien nous avons
été seulement partiellement satisfaits de voir reconnues à
l'Agence les seules attributions en matière d'évaluation du
risque, à l'exclusion de tout pouvoir de gestion. J'ai eu connaissance
d'un article publié récemment dans un grand journal du soir
où je lis :
" les derniers avis du Comité Dormont
commencent à poser une sérieuse difficulté aux
responsables gouvernementaux. "
Je lis la conclusion que je fais mienne sous forme interrogative :
" du
côté du ministère de l'Agriculture on redoute clairement
qu'une réponse favorable aux propositions du Comité Dormont ne
bouleverse l'équilibre entre analyse et gestion du risque, les
différentes administrations concernées risquant de perdre une
partie de leurs pouvoirs au profit de l'AFSSA et de fait du Comité
Dormont. "
Je souscris aux interrogations du journaliste et j'aimerais
que vous puissiez apporter des éléments de réponse.
Concernant les évolutions en cours, je voudrais citer des propos
récents du Premier ministre :
" le Premier ministre a notamment
souhaité la création d'une autorité alimentaire
indépendante en Europe ".
Sait-on si cette autorité
alimentaire aura exclusivement les pouvoirs d'évaluation ou si, en tant
qu'autorité, elle aura également un pouvoir de gestion, ce qui
rejoint mes observations précédentes ?
Pour l'AFSSAPS, j'ai une question concernant les conséquences du
transfert de l'Etablissement Français du Sang à Lille. Vous avez
parlé de transfert de la partie évaluation de feu l'Agence
Française du Sang dans l'AFSSAPS, tant mieux, c'est ce que nous avons
voulu, mais je parle d'un transfert géographique. Est-ce un
élément qui peut ajouter aux difficultés de fonctionnement
ou non ?
Vous avez évoqué quelques-uns des textes réglementaires
qui sont en attente, êtes-vous étroitement associés
à leur élaboration ?
Concernant l'Institut de Veille Sanitaire, j'ai très peu de questions.
Dans les missions et les moyens à travers le réseau qui s'est mis
en place, conformément à la volonté du législateur,
vous avez parlé du département santé/travail, vous avez
aussi parlé d'une mission de surveillance de l'impact sanitaire des
pollutions. Je suis amené, encore plus que je ne l'ai fait auparavant,
à vous écouter sur l'apport susceptible de résulter de la
création d'une Agence de Sécurité Sanitaire
Environnementale qui, elle aussi, d'après le texte adopté par
l'Assemblée nationale, aurait cette mission concernant la santé
au travail et la mission de surveillance des effets sanitaires des pollutions.
M. François AUTAIN - Une question s'adresse à M.
le Directeur de l'AFSSA et une autre à M. le Directeur de l'AFSSAPS. Ces
deux questions me sont soufflées par l'actualité.
Ce matin, j'ai appris que le Gouvernement allait dédommager les
personnes qui ont été victimes de la vaccination
anti-hépatite B. Aujourd'hui, les experts ont-ils établi un lien
de causalité entre la vaccination anti-hépatite B et la
sclérose en plaques ?
Les juges, quant à eux, s'étaient déterminés en
faveur de cette relation. Les experts disent qu'il n'y a pas de relation de
cause à effet, mais la justice dit le contraire. Je voulais savoir ce
qu'il en était, non pas que je veuille opposer la justice aux experts
car la justice est indépendante, mais si les experts ont établi
une position de cause à effet cela pourrait expliquer la modification de
la position du Gouvernement.
Ma deuxième question concerne les nitrates. Il est établi depuis
très longtemps que la consommation de nitrates est inoffensive chez
l'homme sans limitation de dose. C'est compréhensible puisque la dose
qui a été fixée arbitrairement en 1980 par la Commission
européenne, d'ailleurs sans qu'aucune étude scientifique ne soit
citée pour justifier cette limite, est de 50 mg par litre d'eau.
Je voudrais connaître la position de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments concernant ce problème des
nitrates et savoir s'il fallait continuer à imposer une limitation qui
n'est pas justifiée, d'autant plus que l'on préconise la
consommation de laitues, de betteraves, d'épinards qui en comportent
beaucoup plus, puisqu'il y a 2.000 mg par kilo de betteraves. Il y a là
une contradiction, 50 mg par litre et 2.000 mg par kilo, où est la
cohérence ?
M. LE PRÉSIDENT - Je propose que les intervenants répondent
à cette première série de questions.
M. Martin HIRSCH - M. Descours a eu raison de souligner que
la loi prévoit que l'Agence conseille le Gouvernement et que son
rôle d'information est plus large. Je peux l'assurer qu'il n'y a jamais
eu d'obstacle pendant cette année à l'émission d'un
quelconque avis de l'Agence, même lorsque ces avis étaient
difficiles.
Vis-à-vis des OGM, le fait de savoir si nous arrachons ou pas est une
question qui ne nous concerne pas : nous ne sommes concernés que si
tel ou tel produit est ensuite introduit dans l'alimentation, ce qui n'est pas
à l'ordre du jour, et nous n'avons d'ailleurs pas été
saisis sur ce point particulier.
Le Conseil National de l'Alimentation a été renommé sur le
fondement des textes qui préexistaient, c'est une instance de
concertation dans laquelle nous trouvons des représentants des
consommateurs, des représentants des industriels, des
représentants de différents milieux socio-économiques, qui
permet une concertation plus large sur les problèmes de politique de
l'alimentation et dans des conditions bien distinctes du rôle
scientifique que constitue l'Agence.
Concernant les questions de rattachement des laboratoires, par rapport à
ce que la loi a prévu, a eu lieu ultérieurement
l'intégration d'un laboratoire qui est le laboratoire d'hydrologie.
Celui-ci dépend du ministère de la Santé. Des instances
peuvent aussi être assimilées à des laboratoires, comme
l'Observatoire des Consommations Alimentaires ou le Centre National d'Etudes et
de Recherches ; en revanche, il n'y a pas eu d'autres réflexions
à ce stade sur la façon dont évolueraient les relations
entre des laboratoires d'Etat et l'Agence.
Le CNEVA a été intégré dans l'Agence, il n'existe
plus. Nous avons eu le souci de ne pas déstabiliser des laboratoires qui
rendaient un certain nombre de services essentiels, en particulier dans le
domaine sanitaire, tout en les faisant évoluer. Leur mode de
fonctionnement actuel a été beaucoup influencé par leur
intégration dans l'Agence ; nous avons complètement revu la
liste et les conditions des partenariats pour garantir l'indépendance de
leurs travaux. Nous avons aussi défini des thématiques
prioritaires pour que ces travaux s'inscrivent de plus en plus dans des
problématiques liées aux besoins issus d'évaluations, sans
pour autant qu'ils perdent leurs caractéristiques, lorsqu'ils font par
exemple de la santé animale et qu'ils sont les seuls à rendre ces
services. Nous ne pouvons pas nous déposséder de cette
capacité. Une évolution s'est faite de manière
résolue depuis le départ, sans remise en cause.
Sur l'ESB, ce serait mentir que de dire qu'il n'y a pas de difficulté,
c'est le dossier le plus difficile que nous ayons à traiter. Le
Gouvernement nous a saisis systématiquement, soit sur des points
ponctuels, soit plus largement sur une demande de réévaluation. A
l'issue de ces travaux, beaucoup de choses ont effectivement été
modifiées sur le fondement des travaux scientifiques.
Je ne reviens pas sur l'embargo qui est un élément que tout le
monde a à l'esprit, mais c'est dans ces conditions que les règles
d'abattage des bovins ont été modifiées, c'est dans ces
conditions que la liste des matériaux à risque est
actualisée, c'est aussi dans ces conditions qu'un programme de test a
été mis en place, sur recommandation des experts du comité
présidé avec beaucoup de talent par le professeur Dormont, dans
des conditions beaucoup plus rigoureuses que le programme de base imposé
à chacun des Etats.
Certains avis sont difficiles à élaborer, peut-être parfois
difficiles à suivre, mais, depuis un an, énormément de
changements ont été mis en oeuvre sur le fondement de
recommandations scientifiques. L'autorité européenne aurait,
telle qu'elle est aujourd'hui esquissée, le même type de
compétences que l'AFSSA, elle n'aurait pas de compétences de
réglementation ou d'inspection.
Concernant les nitrates, je ne pourrai pas répondre à
M. Autain. Vous m'avez demandé, Monsieur le Ministre, quelle
était la position de l'Agence, elle n'a pas de position à ce
stade. Lorsque l'Agence a une position, c'est qu'une commission scientifique a
évalué les risques spécifiquement liés à
telle ou telle chose. Nous lançons un travail sur tous les effets des
épandages, d'autres études vont aussi être
lancées ; nous ne remettons pas en cause telle ou telle norme de
manière superficielle.
Cela fait partie des domaines dans lesquels des travaux seront poursuivis afin
de savoir quelles sont effectivement les données toxicologiques les plus
récentes permettant ou non de confirmer ce qui a été
établi par précaution il y a quelques années. Il y a des
divergences d'appréciation dans les milieux scientifiques entre le
risque réel pour l'homme et les taux recommandés, pour les
nitrates comme pour les dizaines ou centaines de molécules que nous
pouvons trouver dans les différents milieux et en particulier dans les
eaux d'alimentation.
M. Philippe DUNETON - La question difficile des
allégations santé renvoie à l'interrogation concernant les
possibilités réelles d'action à la suite du
dépôt a priori exigé pour un certain nombre de
matières, qui n'est pas fait systématiquement : il faudrait
peut-être mieux contrôler a posteriori.
Par ailleurs, cela pose la question du type de produit. Nous sommes
habitués à contrôler et nous sommes parfois saisis par la
DGCCRF ou par les associations de consommateurs. Cela fait partie des actions
" frontière " que nous sommes amenés à engager.
Le fait que, à ma connaissance, un transfert d'une partie du Conseil
Supérieur d'Hygiène Publique de France soit prévu dans les
groupes d'experts évoqués par M. Hirsch -de ce fait cette
question sera reprise en concertation avec les agences- est la meilleure
façon d'aborder ce sujet.
Concernant le transfert de l'Etablissement Français du Sang à
Lille, il n'est pas de ma compétence de porter une appréciation
sur le transfert des Etablissements Publics dans telle ou telle ville. Je peux
constater, en revanche, que je suis chargé du contrôle et de
l'inspection de 14 établissements régionaux ; peu me chaut
la tête, je contrôle tous ses membres.
Concernant la vaccination anti-hépatite B, le rapport des experts est
disponible sur notre site Internet. Cette question avait été
traitée dans le cadre de l'Agence du Médicament, elle a
été reprise par un groupe d'experts internationaux qui a conclu
qu'il n'y avait pas de lien de causalité établi à ce jour,
même si -je n'entre pas dans le calcul statistique- nous ne pouvons
exclure formellement de lien dans une petite catégorie de la population
qui n'est pas identifiable.
Les indemnisations évoquées concernent l'indemnisation des agents
de l'Etat soumis à une vaccination obligatoire. Ce n'est pas la
première fois que ce type d'indemnisation a lieu, cela a
été repris par une commission spécifique mais je ne peux
pas commenter des décisions qui sont au-delà de la
sécurité sanitaire.
M. Jacques DRUCKER - Concernant la médecine scolaire,
nous avons amorcé une collaboration en liaison avec la Direction de la
Recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère de la
Santé, sous la forme d'enquêtes ponctuelles sur des sujets
spécifiques comme par exemple, le statut vaccinal des enfants à
l'âge de 6 ans et de 11 ans, ainsi qu'une enquête qui
démarre sur l'obésité de l'enfant.
Nous espérons à plus long terme, comme nous l'avons fait avec
d'autres institutions, formaliser un partenariat pérenne avec les
établissements scolaires, qui rencontrera probablement l'écueil
qui résulte des moyens limités dont dispose la santé
scolaire, notamment pour participer à des missions de veille sanitaire.
En tout cas, les passerelles ont commencé à s'établir.
Nous avons investi le domaine des infections nosocomiales, surtout dans les
situations d'alerte. Nous sommes intervenus sur l'affaire de la Clinique du
sport, sur des problèmes de foyers d'infection nosocomiaux par
l'hépatite C, nous sommes membres du Comité Technique des
infections nosocomiales, nous participons à l'élaboration du
texte sur le signalement des infections nosocomiales, et un projet devrait
être finalisé d'ici quelques semaines pour assurer la coordination
du réseau et des centres de coordination de la lutte contre les
infections nosocomiales. Nous n'avons pas investi aujourd'hui la surveillance
des risques iatrogènes en dehors des infections nosocomiales.
Vous avez posé une question sur les missions de l'Institut de Veille
Sanitaire dans le domaine santé/travail et environnemental et vous avez
demandé comment elles pourraient s'articuler avec la future Agence. Je
pense que, dans ce domaine comme dans d'autres, la mission universelle de
l'Institut de Veille Sanitaire est d'assurer une surveillance
épidémiologique ou d'évaluer des risques dans la
population, mais nous n'avons pas, au sein de l'Institut de Veille Sanitaire,
d'expertises sur la mesure des polluants environnementaux ni sur la
toxicologie.
Nous ne savons pas avec certitude quels seront la configuration et le
périmètre des missions de l'Agence de l'Environnement mais il est
envisageable d'avoir entre l'Institut de Veille Sanitaire et la future Agence
de l'Environnement les mêmes relations que celles
développées de façon plus limitée avec l'INERIS
dans le cadre du dossier ERIKA où la complémentarité des
expertises entre l'épidémiologie, la modélisation et la
toxicologie a bien fonctionné. Tout dépend de la configuration de
cette future agence.
M. LE PRÉSIDENT - Nous abordons une deuxième série de
questions.
M. Serge FRANCHIS - Monsieur Drucker, vous avez
évoqué ces départements de santé dans
l'environnement, dans le cadre de traumatismes, de maladies chroniques
etc. ; le domaine de la santé psychique entre-t-il dans ces
compétences et avez-vous l'intention de développer le suivi en la
matière ?
M. Francis GIRAUD
-
Vous me permettrez une
réflexion d'ordre général. Je suis impressionné par
les dispositifs que vous venez d'évoquer, des milliers d'experts, des
laboratoires, des relations avec l'INSERM etc., et je pense que mes questions
vont partir de cette réflexion d'ordre général.
Tout d'abord, existe-t-il entre ces organismes des relations institutionnelles
précises, ou bien simplement des relations de travail ?
Vous fonctionnez avec des partenaires variés dans la recherche, dans le
monde de la santé, en ville ou avec les hospitaliers. Pensez-vous que
ces relations avec vos partenaires sont satisfaisantes ou faudrait-il essayer
de les améliorer ?
La répartition sur le territoire national des moyens de la surveillance
sanitaire est-elle équitable ou pensez-vous que les grands centres, les
grandes régions sont au coeur du dispositif et que peut-être
certains territoires ne bénéficient pas d'une surveillance aussi
efficace que les grandes régions ?
Enfin, quel dommage, Monsieur le Président, que tous ces dispositifs
admirables, auxquels s'ajoutent la Conférence Nationale de Santé,
le Haut Comité de la Santé Publique, ne mènent pas
à une réelle politique de santé ! Voilà un
pays qui a tous les ingrédients pour définir une politique de
santé formidable, et qui n'arrive pas à en
" accoucher " dans ses termes...
L'un d'entre vous a dit qu'en France les médecins n'avaient pas une
forte culture de santé publique : c'est tout à fait vrai,
nous n'avons pas été formés comme cela. Pourtant, nous qui
sommes des législateurs et des élus, sommes
intéressés par la santé publique et nous souhaiterions que
la coordination entre ces agences et ces comités puisse permettre une
véritable politique de santé publique, en particulier
centrée sur la prévention.
Mme Marie-Claude BEAUDEAU - Vous nous avez dit tout à l'heure,
Monsieur Drucker, que l'une des missions de l'Institut de Veille Sanitaire
était la surveillance des risques professionnels, et vous avez
cité le département santé/travail.
A la suite du dossier de l'amiante, on voit bien qu'il y a un problème
d'interface entre la connaissance scientifique et l'action. Nous savons que
l'amiante est cancérigène, nous savons aussi que c'est le cas,
entre autres, des éthers de glycol. Je souhaiterais savoir comment on
poursuit et comment on arrête certaines choses.
Par ailleurs, vous nous dites que vous avez obtenu cette année
40 postes supplémentaires : j'ai une question très
précise à ce sujet. Je note que l'Etat met à votre
disposition 100 millions de francs, cela me semble dérisoire au vu de ce
que réalise l'Institut et nous aurons très certainement en tant
que législateurs un rôle à jouer au moment de la loi de
financement de la Sécurité Sociale, mais aussi au moment du vote
du budget.
Dans les 40 postes supplémentaires, combien de postes iront à
l'Institut de Veille Sanitaire pour le département
santé/travail ?
M. François AUTAIN - Je souhaiterais formuler deux
questions complémentaires. Ma première question concerne
l'activité du Comité National de la Sécurité
Sanitaire. J'ai lu dans un rapport sur la création d'une Agence de
Sécurité Sanitaire Environnementale, qui émane de
l'Assemblée nationale, que le Directeur Général de la
santé publique, qui dirige les travaux de ce comité, avait
considéré que, pour les missions à moyen terme, le
Comité pouvait assumer normalement ses fonctions, mais qu'en situation
de crise, sa mission ne pouvait être assurée de façon
satisfaisante. Etes-vous du même avis ou pensez-vous que le Directeur
Général de la santé se trompe ?
Ma deuxième question concerne le problème de l'expertise. C'est
une singularité hexagonale, le nombre d'instances d'expertise est
inversement proportionnel au nombre d'experts, ce qui fait que, dans notre
pays, les experts sont amenés à donner des avis qui sont souvent
les mêmes puisque, siégeant dans une instance, ils ne vont pas
émettre un avis différent dans une autre instance.
Je me suis amusé à relever le nombre d'instances d'expertise qui
existaient dans votre domaine, Monsieur Hirsch, et j'en ai
dénombré dix :
- le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique,
- la Commission d'Etude des Produits destinés à une
Alimentation Particulière,
- la Commission Interministérielle et Professionnelle de
l'Alimentation Animale,
- la Commission de Technologie Alimentaire,
- le Centre National d'Etudes et de Recommandations sur la Nutrition et
l'Alimentation,
- l'Observatoire des Consommations Alimentaires,
- le Visa Préalable de Publicité,
- l'Académie de Médecine,
- le Conseil National de l'Alimentation,
- le Conseil National de la Consommation.
Cette redondance vous pose-t-elle problème ?
Quels rapports entretenez-vous avec ces instances, si tant est que vous
puissiez entretenir des rapports suivis avec un nombre aussi important
d'instances, et est-ce que cela ne vous pose pas des problèmes
d'expertise ?
M. Martin HIRSCH - Je vais commencer par cette question,
Monsieur le Ministre, parce que parmi les instances que vous avez
citées, plusieurs ont été rattachées à
l'Agence, évitant ainsi les redondances, mais aussi les lacunes, et
créant également une plus grande
homogénéité.
Nous avons donc fait un appel public à candidature d'experts pour
pouvoir sélectionner, sur des critères objectifs, ceux qui
siégeront dans des commissions pour lesquelles nous essayons de faire en
sorte qu'il n'y ait pas de zone de recoupement afin de ne pas jouer au
ping-pong avec les instances d'expertise. Nous ferons un rapport au Parlement,
ce qui est prévu dans la loi.
Concernant les partenariats, l'Agence est un nouvel intervenant dans ce
paysage, ce qui nécessite que chacun prenne ses marques ; c'est le
cas avec les Directions d'administrations centrales, qui doivent
désormais travailler avec nous. La ligne fixée est que chacun
joue bien son rôle, qu'il y ait des relations, mais pas de confusion, et
que l'on sache toujours de quel point de vue on se place.
Lorsque l'Agence s'exprime, elle s'exprime d'un point de vue
indépendant, d'un point de vue scientifique, quitte à ce qu'il y
ait eu des échanges et des discussions avec les représentants des
professions, les représentants des consommateurs etc. Mais nos avis ne
sont pas des positions, au sens noble, de compromis entre différentes
considérations. C'est la même chose dans les travaux de recherche
que nous conduisons.
Concernant les relations entre nous, outre le fait qu'elles sont bonnes, nous
nous téléphonons régulièrement, nous
échangeons nos difficultés quotidiennes et nous avons un certain
nombre de rendez-vous institutionnels. Nous nous rencontrons tous les 15 jours
chez le ministre de la Santé et nous avons des instances communes
parfois créées sous forme de convention.
M. Drucker a évoqué une convention qui nous lie pour
effectuer un travail en commun sur la mortalité/morbidité
d'origine alimentaire, de même que nous avons des groupes de travail
communs avec l'AFSSAPS et que nous participons au Comité National de
Sécurité Sanitaire.
M. Charles DESCOURS - On n'en entend pas parler.
M. Martin HIRSCH -
On n'en entend pas parler, je ne sais
pas si c'est bon ou mauvais signe, mais je peux vous dire que les ministres ont
été présents à chaque Comité National de
Sécurité Sanitaire depuis qu'il s'est réuni et que les
membres du Comité National de Sécurité Sanitaire sont
très souvent réunis à l'occasion de crises.
Très souvent, aux différents stades de la mécanique de
décision interministérielle en situation de crise, les agences ou
les administrations centrales concernées ont été
réunies. Ces réunions sont parfois coordonnées par le
ministère de l'Agriculture, quelquefois par le ministère de la
Consommation, quelquefois par le ministère de la Santé, parce que
tous ne sont pas toujours concernés par la même crise mais aucun
n'est oublié lorsqu'il est nécessaire de les rassembler.
M. Jacques DRUCKER
-
Une première question portait
sur la santé mentale et demandait si nous nous intéressions
à la surveillance de ce problème. Oui, cela fait partie de la
réflexion dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de moyens qui
essaie de définir, entre autres, des priorités de l'action de
l'Institut de Veille Sanitaire pour les prochaines années. C'est une des
priorités que nous avons retenue, mais vous savez que c'est un champ
d'action extrêmement important et vaste qui, comme d'autres, va se
construire très progressivement.
Une des vocations de l'Institut de Veille Sanitaire est de s'intéresser
à ce domaine, et nous allons amorcer notre investissement dans le cadre
de ce prochain contrat d'objectifs, c'est-à-dire à partir de 2001.
S'agissant de la construction des réseaux de partenariats, la situation
est-elle satisfaisante ?
La réponse est, globalement non, mais elle est cependant positive
à court terme si l'on veut bien regarder le chemin parcouru en quelques
mois. Nous n'avons pas caché les écueils que nous rencontrons qui
sont de trois ordres :
- la santé publique ne compte pas dans les missions prioritaires de
certains organismes avec lesquels nous souhaitons développer des
partenariats dans une perspective de contribution à la veille
sanitaire ;
- d'autres organismes ou partenaires, avec lesquels nous
développons des collaborations, ont des outils qui ne sont pas
immédiatement opérationnels, qu'il faut adapter ;
j'évoquais par exemple le système hospitalier avec le PMSI, mais
ce sont là des difficultés plus techniques qui trouveront des
solutions ;
- certains partenaires n'ont pas les moyens pour répondre aux
missions et aux exigences de qualité pour participer aux systèmes
de surveillance que nous leur demandons ; j'ai rappelé, à
cet égard, le cas des registres ;
Concernant le domaine de la santé au travail et des risques
professionnels, sur les 40 nouveaux emplois accordés à l'Institut
de Veille Sanitaire, nous en avons utilisé 6 pour renforcer le
département santé/travail, ce qui est très loin du compte
eu égard à l'éventail extrêmement important des
missions entrant dans ce champ de compétence.
Une dotation budgétaire de 100 millions de francs pour l'Institut de
Veille Sanitaire compte tenu de l'éventail de sa mission est-elle
dérisoire ?
Oui et non. Oui, si nous comparons à certaines institutions
européennes équivalentes. Nos collègues anglais, par
exemple, disposent de 200 personnes uniquement pour la surveillance des
maladies transmissibles, ce qui est supérieur aux moyens actuels de
l'Institut de Veille Sanitaire.
Il faut toutefois être prudent dans les comparaisons parce que les
dispositifs ne sont pas les mêmes. L'option qui a été
choisie en France est d'avoir une structure de coordination et d'animation qui
n'a pas vocation à être l'opérateur de tous ces
systèmes, mais qui doit s'appuyer sur un certain nombre d'acteurs du
dispositif de santé publique.
Concernant la question sur le Comité de Sécurité Sanitaire
ou, de façon plus large, l'interaction entre les agences, l'articulation
entre les agences fonctionne à la fois formellement et de façon
plus informelle, mais les relations personnelles sont importantes. La situation
est satisfaisante de mon point de vue sur cet aspect, même en situation
de crise.
Dans le domaine des crises sanitaires, il faut parfois distinguer
l'efficacité et les performances du dispositif sur le plan technique des
difficultés de communication autour de ce dispositif, autour du
contrôle et de la gestion des crises. Il est vrai qu'il est parfois
difficile de comprendre pourquoi une épidémie de
listériose, détectée au troisième cas et dont
l'origine est connue en quelques jours, fait l'objet d'une " crise ".
Cela ne devrait plus être le cas, au sens technique du terme.
Le dispositif d'alerte et de détection de ces menaces de santé
publique est devenu extrêmement performant, notamment dans le domaine des
risques alimentaires. La dimension de crise est à chercher ailleurs que
sur les problèmes de mise en action ou d'activation de dispositifs
techniques.
Mme Gisèle PRINTZ
-
J'aimerais savoir s'il existe un
dispositif étudiant les effets de l'alimentation sur le comportement
humain ?
M. Martin HIRSCH -
Vous me posez une " colle ".
M. Philippe DUNETON
-
Je suis incompétent mais je
vais risquer une réponse. L'alcool a un effet notable dont nous voyons
les dégâts tous les jours.
M. Claude HURIET - Nous le savons.
M. Philippe DUNETON - Oui, mais nous avons tendance à
l'oublier.
Je voudrais rappeler l'importance des questions qui ont été
posées par M. Giraud et par M. Autain concernant l'expertise, parce que
les experts font partie des partenaires. Ils sont des ressources rares,
précieuses, en tout cas pour le Directeur de l'Agence et pour l'ensemble
d'entre nous. Ils sont indispensables et c'est une particularité
française que de mêler évaluation interne et expertise
externe.
L'expertise nous impose une rigueur déontologique accompagnée
d'un travail de fond qui doit aller de pair avec une meilleure prise en compte
de l'indemnisation, pas simplement pécuniaire, mais aussi du travail
intellectuel mené.
Il faut pouvoir conserver cela en France, et peut-être même trouver
des modalités pour en tenir compte sur le plan de la carrière
hospitalo-universitaire. C'est un point que je voulais évoquer car il
est très important pour garantir la qualité de l'expertise.
M. Claude HURIET - Je voudrais attirer l'attention sur les
dévoiements possibles du rôle du Comité National de
Sécurité Sanitaire dont j'ai appris qu'il avait
créé des groupes de travail sur l'évaluation des risques
sanitaires faibles tels que les expositions à la dioxine.
J'ai une deuxième préoccupation concernant le devenir de l'Agence
Française de Sécurité des Aliments, dans la mesure
où vous m'avez confirmé que la future autorité alimentaire
indépendante européenne aurait seulement une mission
d'évaluation des risques. Nous devons nous interroger pour savoir si,
dans une approche européenne de l'évaluation en matière de
risques alimentaires, il y aurait place pour des structures d'évaluation
nationale alors que la tendance logique devrait aller dans le sens d'une
structure d'évaluation européenne.
C'est une observation interrogative dont nous aurons l'occasion de nous
entretenir, mais si cette autorité se met en place -ce qui est
souhaitable- nous serons amenés à reconsidérer le
rôle des structures nationales surtout lorsqu'elles n'ont qu'une mission
d'évaluation.
II. LE POINT DE VUE DES CONSOMMATEURS
AUDITION DE MME MARIE-JOSÉ NICOLI,
PRÉSIDENTE DE
L'UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS (UFC)
Mme Marie-José NICOLI - Je vous remercie de me recevoir et je
vais aller directement au coeur du sujet. A l'heure actuelle, si nous faisons
un bilan de ces dernières années sur la sécurité
sanitaire en France, et en particulier du point de vue alimentaire, je
donnerais trois éléments importants.
Le premier est le choc émotionnel ressenti par l'ensemble des
consommateurs en France ou en Europe avec toutes les affaires qui se sont
déroulées depuis 1996, avec la confirmation du passage de l'ESB
à l'homme qui donne la maladie dite de Creutzfeldt-Jakob, et avec les
affaires qui se sont ajoutées ensuite. Je ne les citerai pas, vous les
connaissez autant que moi.
Je ne dirais pas que nous commençons à nous habituer à ces
" affaires " sanitaires dans l'alimentation, mais le consommateur a
acquis un certain fatalisme. Je rappelle que le besoin de se nourrir est un
acte banal et quotidien qu'il faut accomplir tous les jours ; face à des
affaires comme celles de la dioxine ou l'ESB, on est tout de même
obligé de manger. C'est la réalité des faits sur le
terrain.
Les consommateurs ont transformé ce choc émotionnel en
détermination. En tant qu'association de consommateurs, nous sommes
amenés à répondre aux demandes des consommateurs,
c'est-à-dire à jouer un rôle plus important, plus actif, en
partenariat avec tous les professionnels, en particulier dans le domaine
agro-alimentaire.
A l'heure actuelle, non seulement nous nous préoccupons de la
sécurité sanitaire, mais nous nous préoccupons aussi de la
qualité des produits et même des modes de production, ce qui
était impensable il y a 20 ans, les associations de consommateurs ne
s'occupant pas des modes de production.
Le deuxième élément important est le fait que
l'alimentation et le monde agricole ont fait leur révolution
industrielle. On peut dire qu'aujourd'hui, le monde agricole et
l'agro-alimentaire utilisent les procédés industriels, et le
consommateur a enfin compris que les aliments n'étaient plus des
aliments naturels qui arrivaient de la ferme mais des produits
assemblés, sophistiqués, " trafiqués ", avec
énormément de composants.
C'est un point extrêmement important du point de vue alimentaire parce
que cela détermine beaucoup de nos habitudes et de nos comportements. De
plus, il devient très compliqué de donner satisfaction aux
consommateurs sur l'information, par exemple, le libre choix,
l'étiquetage etc.
Le troisième élément concerne les nouvelles exigences des
consommateurs, on en parle de plus en plus, et nous espérons que les
instances de décision au niveau professionnel ou des pouvoirs publics
passent aux actes, ne se contentent pas de toujours parler du consommateur,
mais l'aident dans sa démarche de sécurité et de
qualité.
Je rappelle que, parmi les exigences, la sécurité sanitaire des
aliments est un dû pour tous, c'est une obligation pour les
professionnels qui doivent l'assurer : cela concerne tous les produits,
qu'ils soient standards ou labellisés.
Notre expérience vient de la demande des consommateurs qui remonte par
le courrier des lecteurs de notre journal ou par nos associations, au nombre de
200 en France. De plus, les autres organisations de consommateurs ont aussi des
réseaux d'information.
Nous sommes caractérisés par le fait que nous faisons de plus en
plus d'analyses et de tests sur les produits, aussi bien les produits
alimentaires que les éléments comme l'eau, l'air et le sol. Ces
analyses augmentent nos inquiétudes, notamment concernant les
résidus de pesticides car, quelles que soient les analyses, nous en
retrouvons partout. Nous en retrouvons des traces dans notre alimentation et il
est vrai que l'utilisation des produits phytosanitaires dans le monde agricole
doit être modifiée petit à petit afin d'avoir une meilleure
maîtrise de ces produits.
Nous trouvons des traces de polluants environnementaux dans les produits
alimentaires, je citerai le plomb, le mercure et les dioxines. Il faut savoir
que les usines d'incinération et la politique d'épandage des
boues des stations d'épuration touchent de près notre
alimentation et je crois qu'actuellement, la politique en matière de
déchets n'est pas définie et n'est pas responsable. Dès
qu'il est question d'établir une zone de déchets
nucléaires, ou une usine d'incinération, ou des élevages
de porcs, les consommateurs n'en veulent pas.
Certaines organisations attisent ces inquiétudes et font qu'aujourd'hui
nous sommes une société de consommation qui engendre des
déchets ; aujourd'hui, nous n'arrivons pas à faire accepter
à la population que ces déchets doivent être mis quelque
part. Toutes les populations les refusent et évidemment, au milieu, les
maires et les politiques ne sont pas en position très confortable.
Je parlerai aussi des activeurs de croissance, les hormones et les
antibiotiques en particulier. Les hormones sont interdites en Europe, mais
d'autres Etats dans le monde les utilisent ; je vous rappelle l'affaire du
boeuf aux hormones américain qui est toujours à nos portes et
qui, pour l'instant, ne rentre pas en Europe, mais n'en est pas loin. Les
antibiotiques sont souvent utilisés dans l'alimentation des animaux
comme activeur de croissance, voire à titre préventif au moment
des sevrages.
De plus en plus d'Etats membres refusent ces pratiques dans l'élevage,
des pays comme la Suède l'ont supprimé ; en Europe, nous en
avons supprimé quatre il y a environ un an, il en reste encore quatre ou
cinq et nous voudrions que le contrôle vétérinaire soit
plus large.
Je passe aux farines animales. Notre association n'est pas opposée
à l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des porcs, de
la volaille et des saumons, à condition que la réglementation
française s'adapte et soit imposée au reste de l'Europe, ce qui
n'est pas le cas aujourd'hui.
M. Claude HURIET - Puis-je vous demander, en tant que
rapporteur, de nous faire connaître l'appréciation que vous portez
en qualité de Présidente de l'Union Fédérale des
Consommateurs sur l'organisation du contrôle de la sécurité
sanitaire qui s'est mise en place ?
C'est l'objet de notre journée d'audition, il s'agit de porter une
appréciation positive ou négative, d'exprimer des regrets quant
aux insuffisances du dispositif.
Comment est perçue la nouvelle organisation, particulièrement
concernant les attributions de l'AFSSA, par rapport à ce qui existait ou
ce qui n'existait pas auparavant ?
Mme Marie-José NICOLI - L'AFSSA a été
créée il y a un an et demi environ et depuis, elle a eu
énormément de travail. Nous avons été
agréablement surpris par sa réactivité, mais aujourd'hui
un problème se pose quand même pour nous, associations de
consommateurs.
En effet, la loi permet aux associations de saisir l'AFSSA mais les
décrets d'application ne sont toujours pas sortis et ne sont pas en
projet. Pour l'instant, il nous arrive d'écrire à l'AFSSA pour
soumettre des problèmes, poser des questions ou dire que nous voudrions
certains dossiers plus détaillés que ceux parus dans la presse,
mais c'est laissé à l'appréciation et à la
courtoisie du Directeur parce que, pour l'instant, il n'y a aucune obligation
de répondre à nos demandes.
Je pense que vous êtes directement concernés et que vous feriez
bien de vous en préoccuper parce que nous avons beaucoup de
matière à fournir à l'AFSSA. Je sais qu'ils ont
déjà beaucoup de travail mais il serait normal que cette loi
s'applique dans son entier et que les consommateurs et les associations
puissent en profiter.
M. Claude HURIET - D'après l'article L. 794-3 de la
loi, je cite :
" L'Agence est administrée par un Conseil
d'Administration composé pour moitié de représentants de
l'Etat et pour moitié de représentants des organisations
professionnelles concernées, de représentants des consommateurs,
de personnalités qualifiées. "
.
Mise à part la réflexion que vous faites qui entre dans le champ
de nos préoccupations, c'est-à-dire le retard de la publication
de certains décrets d'application, les consommateurs font-ils partie du
Conseil d'Administration ? Ont-ils leur mot à dire ? Avez-vous
le sentiment que cette participation pourrait être quelque chose de
positif ?
Mme Marie-José NICOLI - Je ne siège pas à
l'AFSSA, mon organisation non plus, et c'était un choix de ne pas
présenter de candidat...
M. Charles DESCOURS - ... C'est vous qui n'avez pas voulu ?
Mme Marie-José NICOLI - Absolument, notre association a
une politique vis-à-vis des institutions qui est d'être dans
certaines, mais pas dans toutes, il y en a trop. Nous sommes beaucoup
sollicités, nous avons une particularité qui est celle de pouvoir
tester le marché très en aval, c'est-à-dire lorsque nous
avons les moyens financiers de tester les produits sur le marché.
Parfois, il peut être très embarrassant pour nous d'avoir à
donner des avis ou à nous exprimer dans notre revue
Que Choisir
alors que nous siégeons dans certaines instances.
Il faut savoir que nous sommes sûrement l'organisation qui saisit le plus
souvent toutes les instances, à cause des essais comparatifs et des
analyses de produits ; cela nous permet de les solliciter en toute
indépendance et de dire ce que nous en pensons sans avoir un pied
à l'intérieur.
M. Claude HURIET - C'est un choix ?
Mme Marie-José NICOLI - Tout à fait, c'est un choix.
M. Charles DESCOURS - Globalement, les experts nous disent que
l'alimentation est de plus en plus sûre. Quel regard portez-vous sur
l'état de l'opinion ?
Pensez-vous qu'elle est susceptible de comprendre les messages d'alerte que
peuvent donner les agences, qu'elle ne pense pas que ces messages traduisent
une dégradation de la sécurité sanitaire des
aliments ?
Nous avons le sentiment que l'alimentation est de plus en plus sûre et
que l'opinion pense qu'elle l'est de moins en moins.
Mme Marie-José NICOLI - Je pense que ceci est dû
à un décalage d'information. Du point de vue alimentaire,
d'énormes progrès ont été faits. Prenons les
statistiques en listeria, par exemple, en salmonellose etc., c'est
évident. Seulement, il y a 15 ou 20 ans le consommateur vivait heureux,
il ne savait pas qu'il mourait de la listériose ou qu'il était
atteint de salmonellose, il ne savait rien.
Voilà quelques années qu'on l'informe, laissez-lui le
temps ! Qui plus est, je trouve que, par rapport aux professionnels, par
rapport aux pouvoirs publics et à vous-même, les consommateurs
font moins de psychose que vous tous. Sur le moment, lorsqu'il y a une alerte,
il est normal de se priver du produit ou de refuser de l'acheter mais,
après, les habitudes reviennent tout doucement.
Je trouve que, depuis qu'ils sont informés, on ne leur a pas
laissé de répit, ni même à vous pour les
décisions à prendre. Il n'empêche que les individus
comprennent petit à petit qu'il faut faire attention, qu'il y a des
risques dans le domaine alimentaire comme dans d'autres secteurs. Dans
l'ensemble, je trouve que les consommateurs réagissent très
sainement contrairement aux personnes concernées directement,
financièrement ou politiquement, qui sont parfois prises dans des
paniques extrêmes parce que les enjeux sont financiers ou politiques.
Pour le consommateur, l'enjeu c'est la santé publique ; il a de
plus en plus d'exigences, et il demande des contrôles, nous demandons la
mise en place d'une agence communautaire : toutes ces demandes existent
parce que nous voulons être rassurés.
D'autre part, nous voulons aussi avoir une information loyale et je pense que
c'est relativement difficile. En matière de sécurité
sanitaire, l'expertise est peut-être difficile à faire, mais
après les avis scientifiques, il y a la gestion. Elle doit prendre en
compte non seulement l'avis de l'AFSSA, pour la France, mais aussi l'avis des
consommateurs, l'avis des associations écologiques si elles sont
concernées, etc.
La décision prise finalement doit comporter des éléments
différents et pas uniquement l'avis scientifique, parce que
l'alimentation n'est pas seulement une affaire de scientifiques. Lorsque vous
faites des congrès internationaux sur l'alimentation, vous vous rendez
compte que s'y mêlent fortement les cultures, les usages, des
quantités d'autres facteurs qui sont aussi importants à un moment
donné que l'avis ou la vision scientifique. Evidemment, dans les
périodes de crise la vision scientifique est à prendre en premier
lieu et -espérons-le- concernant l'alimentation nous ne serons pas
toujours en période de crise. Des avis peuvent être donnés
par l'AFSSA sans avoir de relation avec une crise ou une mise en danger de la
vie des animaux ou des êtres humains.
M. Alain VASSELLE - J'ai une remarque à faire et trois
questions très brèves à vous poser. Tout d'abord, j'ai
été surpris de l'utilisation dans votre bouche d'un terme
à l'encontre de la profession agricole. Vous avez parlé de
produits " trafiqués " dans la profession agricole, je suppose
que cela vous a échappé ou que vous lui donnez un autre sens que
celui qui est habituellement utilisé. Cela a un caractère
péjoratif, cela m'a surpris.
En ce qui concerne les normes, vous avez parlé de la dioxine et du fait
qu'une forme de psychose était née au sein de la population
française. Contestez-vous les normes françaises ?
Considérez-vous qu'elles ne sont pas suffisantes ?
A partir du moment où vous ne les contestez pas, les consommateurs que
vous représentez sont-ils prêts à se rallier à ces
normes ? Auquel cas, à chaque fois que l'on propose la construction
d'une unité d'incinération que l'on suspecte de rejeter de la
dioxine ou lorsque l'on va enfouir nos déchets ménagers dans un
centre d'enfouissement technique, les normes françaises étant ce
qu'elles sont, voire les normes européennes, la garantie
recherchée par le consommateur est assurée, sauf un risque -le
risque est toujours possible- lié à un accident ou un incident,
mais personne, ni les consommateurs, ni les professionnels ne peuvent
maîtriser les accidents dans la mesure où les normes sont
respectées.
Jusqu'où souhaitez-vous que nous mettions en oeuvre la
traçabilité en France, notamment dans les grandes surfaces de
distribution ?
Je pense à l'ESB, faut-il se contenter de mettre " viande
anglaise ", " viande irlandaise " ou " viande
française " ou faut-il aller jusqu'à donner les
références de l'éleveur et des produits alimentaires
donnés aux animaux ?
A propos de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des
Aliments, nous avions vu dans l'épisode de l'ESB qu'il y avait un
différend entre la position européenne et la position
française. La position française l'a emporté, encore que
nous avons constaté que l'Allemagne, qui avait la même position
que nous, a cédé avant nous. Pour le moment nous n'acceptons pas
l'importation de viande anglaise en France grâce à la position de
l'Agence Française. Considérez-vous que ce soit une bonne
référence ?
S'il doit y avoir un jour une agence européenne, comment celle-ci
devra-t-elle fonctionner ? J'ai le sentiment que, pour le moment, il y
aurait plus de souplesse au plan européen qu'en France. Quelle
harmonisation pouvons-nous espérer ?
M. Jacques MACHET - Je voudrais savoir quelle est votre position
sur ce qui a été mis en place, sur les agences ? Les choses
s'améliorent-elles ou se détériorent-elles ?
J'aimerais que vous me donniez la position de votre organisation.
Mme Marie-José NICOLI - Oui, je pense qu'il y a parfois
des trafics, ils sont dénoncés, et nous sommes partie civile dans
15 procédures de trafic d'hormones en France. Si ce n'est pas du trafic,
je ne sais pas comment vous l'appelez !
Par ailleurs, il peut y avoir des produits trafiqués, en
agro-alimentaire, qui ne correspondent pas aux normes ou qui n'ont pas des
étiquetages précis, nous en faisons l'expérience chaque
fois que nous faisons des analyses. Ce n'est pas péjoratif ; dans
l'ensemble, le monde agricole travaille correctement, si cela peut vous
rassurer, mais cela n'empêche que nous avons aussi un certain nombre de
fraudeurs.
Les normes ne sont pas immuables, elles sont faites pour évoluer et
être changées. Lorsque nous faisons des tests, que ce soit en
alimentaire ou dans d'autres secteurs, nous prenons les normes qui sont les
plus favorables aux consommateurs, parfois ce sont des normes
européennes, parfois des normes françaises. C'est pour cela que
nous ne participons pas à l'AFNOR dans les différents
comités de normalisation, parce que nous voulons pouvoir les tester et
nous le faisons régulièrement.
Par contre, nous avons régulièrement des contacts avec l'AFNOR et
tous les ans ou tous les ans et demi nous leur disons :
" nous avons
testé telle et telle norme, voilà les problèmes que nous
avons rencontrés dans les produits testés, voilà les
résultats "
; ils apprécient que nous fassions ce
genre de démarche, parce que nous sommes les seuls à pouvoir les
faire en tant qu'association de consommateurs.
Pour ce qui est de la traçabilité, il ne faut pas confondre la
traçabilité avec l'étiquetage ; d'ailleurs en ce
moment nous avons un exemple flagrant au plan communautaire, une erreur vient
d'être commise par le Parlement Européen où l'on a
mélangé la traçabilité avec la demande
d'étiquetage et d'information des consommateurs.
En effet, à l'heure actuelle, on veut mettre sur les étiquettes
des viandes des codes illisibles pour le consommateur, mais très
précieux pour les Pouvoirs Publics ou pour les professionnels. Ce n'est
pas ce que nous demandons, nous demandons d'avoir l'origine de la viande, la
catégorie et, en France en particulier, nous voulons le type racial.
J'étais en Angleterre, il y a 15 jours, en prévision d'une
levée de l'embargo. Mon organisation est en train de se faire sur le
terrain un certain nombre d'idées à ce sujet, et j'ai
été très étonnée de voir que les Anglais
mélangent les races. En effet, pour eux la race n'est pas un
critère de qualité, ils mélangent les laitières
avec les races charolaises etc. Ils font un mélange surprenant et les
consommateurs anglais n'ont pas l'air de s'en préoccuper. La partie type
racial n'est peut-être pas à mettre au plan communautaire mais
nous voulons l'origine et la catégorie.
Je termine avec l'AFSSA et le Comité Scientifique Directeur où il
y a eu une divergence. Je pense qu'elle a été perçue ainsi
par le public, mais les questions posées au Comité Scientifique
Directeur et la question posée à l'AFSSA n'étaient pas les
mêmes, les réponses ont donc été différentes.
En qualité de présidente de mon organisation, je dirais que le
Comité Scientifique Directeur au plan communautaire est composé
d'éminents scientifiques, mais pas obligatoirement de
spécialistes du Prion alors qu'à l'AFSSA, le Comité en
question était composé de spécialistes de ces questions.
A " Que Choisir ", nous avons fait plus confiance à l'AFSSA
qu'au Comité Scientifique Directeur bien que nous ne remettions pas en
cause leurs compétences, ce qui veut dire que lorsqu'il a
été question de lever l'embargo sur la viande bovine anglaise,
nous nous sommes largement exprimés pour dire que nous voulions son
maintien.
Après mon voyage en Ecosse, je dis que nous avons rendu service aux
Anglais parce qu'en maintenant l'embargo français nous leur permettons
de prendre le temps de tracer et d'identifier leur cheptel, ce qui n'est pas
encore complètement fait en Angleterre. Cela évite les fraudes
et, en fin de compte, je pense que le circuit d'exportation de la viande bovine
anglaise est très bien contrôlé, j'ai pu le
vérifier, en allant partout où il fallait aller. En revanche,
lever l'embargo maintenant ne me semble pas possible, peut-être
pourrons-nous le lever à la fin de l'année ou au début
2001, mais pas avant parce que nous n'avons pas d'étiquetage
européen et le consommateur n'a pas le choix.
De plus, je fais le pari que, dès l'instant où la France aura
levé l'embargo sur la viande bovine anglaise désossée, les
Anglais nous demanderont d'exporter des carcasses et des bêtes sur pied
à peine trois mois après. Et là nous aurons
d'énormes problèmes parce que pour l'instant, en Angleterre, les
bêtes ne sont pas toutes identifiées.
Le dernier point concerne l'avis sur les agences mises en place. Effectivement,
c'est une bonne chose parce qu'au plan communautaire on prend exemple sur ce
que la France a fait. Deux problèmes importants vont cependant se poser.
Tout d'abord, comment s'articulera l'Agence européenne avec les
différentes agences ?
Un autre point qui concerne aussi bien les agences nationales
qu'européennes, est l'indépendance des scientifiques. Là,
ce sera un énorme problème et il faudra beaucoup de vigilance sur
les dossiers qui arriveront dans les différentes agences.
M. LE PRÉSIDENT - Soyez assurée de la vigilance de la
commission des Affaires sociales.
Mme Marie-José NICOLI - De la nôtre aussi !
III. LE POINT DE VUE DES INDUSTRIELS
A. AUDITION DE M. PIERRE LE SOURD, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SCIENTIFIQUES, PHARMACEUTIQUES ET MÉDICALES DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE (SNIP)
M. Pierre LE SOURD - Monsieur le
Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs, l'objet de cette audition est de
présenter très brièvement les applications du principe de
précaution appliqué au domaine du médicament. En d'autres
termes, comment l'industrie pharmaceutique applique les règles et
contrôles spécifiques dont elle est l'objet concernant
précisément la mise en oeuvre de ce principe de précaution.
Le principe d'Hypocrate : "
Primum non nocere
" est
censé dans l'acte thérapeutique de tout médecin
s'être à juste titre transformé en une évaluation
scientifique pluridisciplinaire et indépendante du rapport
bénéfice/risque, évaluation qui, tout au long de la vie du
médicament, apporte au consommateur une information
éclairée.
Dans ce process, l'industrie pharmaceutique associée aux experts du
corps médical et pharmaceutique, et sous le contrôle des
autorités réglementaires françaises et européennes,
suit des procédures très précises. L'industrie, dans un
souci de santé publique et d'harmonisation, en a d'ailleurs souvent
été l'initiatrice.
Pour le médicament, il faut distinguer les étapes de recherche de
celles de développement et de commercialisation. Sur le fond,
l'innovation est difficile à encadrer d'une réglementation quelle
qu'elle soit, la recherche fondamentale dans ses phases précoces ne
saurait être censurée.
C'est sur les moyens utilisés par la recherche que la prudence s'impose,
ainsi que sur l'application de la découverte qui en est issue. On
comprend bien, dès lors, que le principe de précaution dans la
recherche médicale et d'application est limité, même si
l'impact qu'une découverte peut éventuellement avoir
auprès du grand public doit être pris en compte.
Résumons cette philosophie du principe de précaution
appliqué à la recherche fondamentale par cette phrase d'Hubert
Curien :
" Soyons originaux en restant
prudents
!
". Fondamentalement différent dans ses
modalités et sa rigueur, le principe de précaution concernant
toute nouvelle substance susceptible de devenir un médicament et entrant
en phase de développement préclinique puis clinique est largement
appliqué et selon un niveau d'exigences peu critiquable.
Au plan de l'expérimentation sur l'animal, les étapes
précliniques, analytiques, toxicologiques, pharmacologiques concernent
les différents tests de laboratoire, et lors de cette étape,
l'expérimentation doit avoir des règles de bonne pratique de
laboratoire.
Au plan de l'expérimentation clinique chez l'homme, le Comité
Consultatif de Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale,
le CCPPRB, est un comité indépendant prévu par le code de
santé publique qui se prononce sur les conditions de validité de
l'essai envisagé au regard de la protection des personnes participant
à l'essai, leur information et les modalités de recueil de leur
consentement. Il se prononce également sur la pertinence
générale du projet et l'adéquation entre les objectifs
poursuivis, les moyens mis en oeuvre et la qualification du ou des
investigateurs.
M. Charles DESCOURS - Nous n'avons pas le temps malheureusement
de parler longuement, durant cette journée, du principe de
précaution mais vous, les industriels pharmaceutiques, le SNIP,
avez-vous des relations confiantes avec l'Agence de Sécurité
Sanitaire des Produits de Santé ?
Considérez-vous que les autorisations de mise sur le marché sont
données dans des délais suffisamment brefs, etc. ?
Que pense le SNIP du fonctionnement actuel des autorisations de mise sur le
marché, du rôle de l'AFSSAPS et de l'ensemble du dispositif de
sécurité sanitaire ?
M. Pierre LE SOURD - Sans trahir ce que pense le
Président du SNIP, je pense que nous ne pouvons que porter un jugement
favorable sur le mode de fonctionnement de l'Agence Française, sur le
fait que les procédures centralisées à Bruxelles sont
très efficaces.
M. Claude HURIET - Sur l'organisation des vigilances, la
question qui nous mobilise ne concerne pas seulement le fonctionnement de telle
ou telle agence, voire même de tel ou tel département, mais
l'ensemble du dispositif.
Nous avons cherché à optimiser le fonctionnement des institutions
qui préexistaient à la loi, à donner plus de
cohérence, d'efficacité, tout cela a été dit
maintes fois. Il y a l'appréciation que vous portez sur l'Agence avec
laquelle les contacts doivent être quotidiens, mais l'ensemble du
dispositif tel que vous le percevez a-t-il gagné en cohérence, en
efficacité ?
Et si non, quelles sont les observations et les remarques que vous pourriez
formuler pour améliorer le fonctionnement du dispositif actuellement en
place ?
M. Pierre LE SOURD - En matière de pharmacovigilance, je
pense qu'un dispositif s'est progressivement mis en place. Le risque
zéro n'existe pas mais la rigueur du dispositif de pharmacovigilance, le
fait que, de français, il soit devenu européen, le fait que par
le Net il se mondialise et qu'à un instant t une collection d'effets
indésirables de n'importe quelle agence sera mondialement mise à
la disposition des autres agences et de l'ensemble des partenaires est un
progrès considérable par rapport à l'objectif global de
santé publique.
Le médicament est très encadré, il n'est pas question de
nier le fait que le médicament par définition a un rapport
bénéfice/risque et qu'il sera toujours impossible
d'éliminer par définition le risque inhérent au
progrès thérapeutique.
Cependant, même si nous devons être vigilants au fait que ces
systèmes ne soient pas trop contraignants, ne soient pas assortis d'une
bureaucratie excessive et ne retardent pas la mise à disposition du
médicament auprès du grand public, ces systèmes
aujourd'hui ont considérablement gagné en efficacité par
rapport à l'objectif de sécurité auquel vous faites
allusion.
M. Charles DESCOURS - Je rappelle à nos collègues,
qui se sont déplacés avec nous aux Etats-Unis, que nous avons vu
des laboratoires se plaindre que la FDA avait parfois des délais de
délivrance d'AMM très longs. Aujourd'hui, y a-t-il des
problèmes de délais d'AMM pour les industriels en France ou en
Europe ?
M. Pierre LE SOURD - Par définition, dès lors
qu'ils sont convaincus de la qualité de leur molécule, les
industriels souhaitent pouvoir la mettre sur le marché de façon
mondiale simultanément dans tous les pays. C'est un objectif
légitime. Les progrès qui ont été faits, notamment
par le biais de l'Agence ou de l'institution de la procédure
centralisée, sont indiscutables puisqu'un timing très
précis est respecté.
Les autorisations de mise sur le marché par le biais de la
reconnaissance mutuelle sont plus longues, plus complexes, et ne
prévoient pas la mise sur le marché du produit
simultanément dans tous les pays. Il existe certes des retards parce que
les dossiers ne sont pas tous aussi limpides et faciles à évaluer
que nous le souhaiterions, mais globalement, à part quelques exceptions,
je pense que les délais de mise sur le marché ont fait des
progrès, même si encore une fois il faut être très
vigilant pour essayer de raccourcir au maximum ces délais.
M. Claude HURIET - J'évoquais un de nos objectifs
concernant la lisibilité de l'ensemble de la nouvelle organisation mise
en place après 1998 ; le médicament a pu y perdre parce
qu'avant la mise en place de la loi de juillet 1998 l'Agence du
Médicament était pour vous l'interlocuteur naturel unique, tout
au moins concernant la qualité, la sécurité et la
procédure d'AMM, en mettant de côté l'économie du
médicament. Or, désormais le département du
médicament se trouve inscrit dans un organisme plus large qui couvre
l'ensemble des produits de santé.
Du point de vue de la lisibilité, de l'efficacité, des contacts
directs que vous pouvez avoir avec la nouvelle agence, considérez-vous
que vous n'y avez rien perdu ou au contraire avez-vous rencontré
davantage de lourdeur, ce qui nous désolerait parce que tout ce que nous
avons fait allait dans le sens opposé ?
M. Pierre LE SOURD - Il faut rappeler que l'objectif de
l'industrie pharmaceutique est d'avoir le maximum d'informations et le maximum
de rigueur car lorsque vous dépensez des centaines de millions de
dollars pour développer un médicament, vous êtes
extrêmement soucieux de son bon usage et du fait que l'information soit
extrêmement rigoureusement collectée.
Il y a là un combat commun entre les autorités de tutelle et les
industriels par rapport à la sécurité, nous par rapport
à l'investissement, et vous, en tant que responsables de la santé
publique, et c'est là un objectif commun.
Je ne crois pas que le dispositif mis en place trouble les industriels ou soit
considéré par ces derniers comme un obstacle à
l'innovation et certainement pas comme un obstacle au bon usage du
médicament qui est le principal objectif d'un industriel.
M. LE PRÉSIDENT - Dans la continuité de ces discussions
pourrions-nous demander à MM. Dumont et Scherrer de donner la position
de leur secteur industriel ?
Nous sommes sur l'appréciation des conséquences de la loi sur les
entreprises.
B. AUDITION DE M. JACQUES DUMONT, PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES MÉDICALES (SNITEM)
M. Jacques DUMONT - J'ai éliminé
une
partie de ma présentation qui était un peu redondante avec ce qui
s'est dit ce matin parce que le domaine des matériaux médicaux et
des technologies médicales est un domaine peu connu. Je voudrais
préciser quatre points qui nous différencient de la pharmacie.
D'une part, la composante industrielle : sur les 200 entreprises du secteur, la
moitié de nos industriels a entre 20 et 50 employés, il y a des
personnes très pointues sur des domaines très spécifiques,
tels que l'orthopédie, et des grandes multinationales, donc un
mélange très varié d'industriels.
D'autre part, il existe une extrême
hétérogénéité du domaine ; c'est un domaine
très complexe, car là où il existe 3.500 molécules
en pharmacie, nous avons plus de 70.000 produits qui vont de l'imagerie en
passant par la seringue, le pacemaker... L'éventail est
considérable.
Concernant la durée de nos produits, lorsque nous déposons une
molécule, en pharmacie nous sommes couverts pour plusieurs
années. Nos dispositifs sont des dispositifs liés à un
ingénieur, à un technicien, qui font en permanence l'objet
d'évolutions ; un produit peut être obsolète en 6 mois
dans certains domaines très pointus. La moyenne se situe entre 6 mois et
2 ans, cela suppose que les processus qui seront mis en place n'aillent pas
au-delà de la durée normale du produit lui-même, sinon on
butera en permanence contre des délais qui seront insurmontables.
Le dernier point qui nous différencie de la pharmacie est le fait que
nos produits sont totalement dépendants des utilisateurs,
c'est-à-dire qu'ils sont dans la prolongation des mains des chirurgiens,
des praticiens, des infirmières et qu'à partir de ce moment,
même si le produit est bien conçu, il pourra être
éventuellement mal utilisé si la formation et l'information n'ont
pas été bien faites ou s'il est utilisé dans de mauvaises
conditions.
Notre préoccupation, lorsque l'AFSSAPS a été
créée, était de rentrer dans un domaine où la
culture pharmaceutique était très implantée et de se dire
:
" on va essayer de nous faire entrer dans un entonnoir qui ne
correspondra pas à nos technologies et nous allons nous heurter à
des impossibilités de fonctionnement ou à des demandes excessives
en matière de sécurité et de risque qui vont nous conduire
à l'échec total, l'échec du développement de
nouvelles technologies, l'échec de sortie de nouveaux produits sur le
marché, etc. ".
Nous avons eu un gros travail d'enseignement et
d'échanges avec l'Agence.
M. Charles DESCOURS - Et avec le législateur, je le
rappelle ; nous vous avons beaucoup vu pendant la rédaction de la
loi.
M. Jacques DUMONT - Nous avions affaire à des hommes de
l'art qui connaissaient bien ce domaine. Il y a eu beaucoup de travail à
l'origine, mais également après avec les personnes qui mettent
actuellement cette Agence en place et qui travaillent sur ces projets. C'est
encore assez difficile parce qu'on a tendance à appliquer aux
dispositifs des règles qui étaient celles de la pharmacie.
Toutefois, je pense que les choses s'améliorent, que les contacts
permanents que nous avons avec l'Agence permettent de mieux faire passer les
messages et de mieux comprendre notre problématique.
Certains points méritent encore un éclairage, notamment le
décret qui va sortir sur les produits à risques particuliers.
Nous avions été consultés sur un premier texte qui
était totalement inacceptable pour l'industrie, parce que certains
matériels pouvaient être dangereux lorsqu'ils étaient mis
sur le marché en utilisation normale, ce qui allait à l'encontre
de la réglementation européenne et du marquage CE.
Des échanges intéressants et nourris ont eu lieu, et nous avons
pu obtenir des modifications. Il faut dire que ce qui, à l'origine,
devait être une AMM, est devenue une déclaration, ce qui veut dire
que pendant un délai de trois mois l'Agence aura à statuer sur le
contenu des études cliniques et sur le contenu du dossier.
Mais là aussi nous nous sommes battus, parce que le dossier
demandé à l'origine était d'une complexité
incroyable, c'était presque à l'identique du dossier de marquage
CE, c'est-à-dire un bon mètre cube de papier, et je ne voyais pas
comment l'Agence pouvait s'en sortir sinon en recertifiant un produit, ce qui
me semblait aberrant.
M. Claude HURIET - Ce qui n'était pas dans l'esprit de la
loi !
M. Jacques DUMONT - Voilà, il y a, dans le marquage CE,
des analyses de risque très pointues qui, par un travail entre les
experts, les expérimentateurs, nos techniciens et ingénieurs,
permettent de déterminer les risques potentiels d'un produit, à
savoir s'il est mal utilisé ou si un embout ne va pas avec un
branchement etc., toutes choses qui sont très dangereuses pour le
patient.
Une analyse de risques très sérieuse est faite dans le dossier,
reprenons cette analyse et je pense que l'Agence pourra facilement
statuer ; en tout cas le délai de trois mois est là et il a
été mis en place.
D'autres points ont été évoqués dans la loi et
n'ont pas encore fait l'objet de décrets d'application, ce sont les
problèmes de maintenance des matériels. L'expérience que
nous avons eue avec le bug de l'an 2000 a mis en évidence la
méconnaissance du parc de matériel installé dans les
hôpitaux et surtout du niveau de maintenance de ces matériels. En
effet, des matériels sont là depuis 5, 10 ou 15 ans sans que
l'industriel, dont c'est la responsabilité, n'ait pu intervenir parce
que des tiers, ou l'hôpital lui-même, peuvent intervenir sur la
maintenance. Je pense donc que le décret qui sortira situera bien les
responsabilités et éclaircira aussi le champ dans ce domaine.
Un autre point très important est un article paru dans l'avant-projet de
PLFSS 2000 concernant la possibilité de sélectionner, pour des
technologies innovantes, des centres d'expertise, des personnes bien
formées. Malheureusement, cet article a
" sauté " ; Mme Gillot nous a confirmé que ce
texte réapparaîtrait dans la loi de modernisation qui passera sans
doute en juin à l'Assemblée.
M. Charles DESCOURS - Nous verrons au mois de juin.
M. Jacques DUMONT - Pour l'instant, des innovations restent
à la porte parce qu'on ne veut pas prendre le risque de lancer sur le
marché, utilisables par tout le monde, des technologies innovantes
requérant une formation et un environnement spécifique.
Nous sommes tous partie prenante, les industriels sont d'accord sur ce
point : plutôt que de laisser une technologie à
l'extérieur de l'hexagone, peut-être faut-il mieux l'encadrer afin
qu'elle apparaisse au moins sur le marché pour la juger.
C. AUDITION DE M. VICTOR SCHERRER, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES (ANIA)
M. Victor SCHERRER - Je vais aller à
l'essentiel. Tout d'abord, nous nous réjouissons de la création
et de la mise en place de l'Agence Française de Sécurité
Sanitaire des Aliments. Vous savez à quel point nous avions craint
à une époque qu'il y ait un amalgame : pour nous, l'aliment
est l'aliment et le médicament est le médicament.
L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments,
l'AFSSA, va dans le bon sens, mais nous avons un certain nombre de
préoccupations. Ces préoccupations sont liées à des
enjeux majeurs : 816 milliards de francs sont en jeu, nous sommes la
première industrie française, la première industrie en
Europe. Lorsque les Allemands ont fait la réunification, l'industrie
alimentaire allemande est devenue la première mais actuellement nous
devançons à nouveau l'Allemagne de près de
120 milliards de francs , nous avons la première part de
marché mondial devant les U.S.A, nous sommes des producteurs de valeur
ajoutée et les porteurs du modèle alimentaire français,
c'est-à-dire que nous voulons allier nutrition, goût, plaisir,
variété et sécurité.
Face à ces enjeux, l'Agence répond à un certain nombre de
besoins, parce qu'à l'heure où je vous parle, X dizaines de
millions de consommateurs dans le monde achètent des produits
français et votent donc en notre faveur. Mais, si la
sécurité alimentaire de nos produits est mise en cause, nous
allons assister à une crise de confiance qui va se déplacer du
consommateur français au consommateur mondial, nous l'avons vu au Japon
et même en Chine récemment, c'est un vrai problème.
L'Agence est mise en place, nous nous en réjouissons, son
périmètre est bien l'aliment et non le médicament. Cela va
dans le bon sens mais c'est un peu lent, le coeur du système n'est pas
encore mis en place, les comités d'évaluation non plus et j'ai
dit hier à M. Chevassus et M. Glavany que c'était un
peu long et que nous aimerions que cela aille plus vite.
Il est surtout important de bien distinguer le rôle d'expertise et
d'évaluation et le rôle de gestion des risques, et que l'Agence
reste bien dans son rôle d'expertise et d'évaluation. La gestion
du risque est une affaire qui est donnée aux politiques, c'est une
affaire dans laquelle d'autres facteurs entrent en jeu, et nous le voyons
actuellement avec l'ESB. Il y a eu des tentatives de dérapage, des
tentations ou des maladresses mais, dans l'ensemble, ce principe est bien en
place.
Par contre, le rôle de l'expert n'est pas bien reconnu. Il y a deux ans,
en ce lieu, j'avais eu l'occasion de vous dire à quel point le vrai
débat sur l'expertise scientifique en France était
escamoté. Constater que lorsqu'un scientifique passe du temps et de
l'énergie sur l'expertise, il ne valorise pas sa carrière, nous
pose un problème. Or, nous avons besoin plus que jamais, que ce soit au
Codex Alimentarius, à l'OMC, dans les panels ou les disputes qui ne
manqueront pas de se multiplier, d'une très bonne expertise
française.
Nous insistons beaucoup sur la revalorisation, dans la carrière d'un
scientifique, du temps et de l'énergie qu'il passe sur l'expertise. Je
suis frappé de voir dans des grandes réunions internationales la
faiblesse, non pas qualitative, mais quantitative de notre expertise parce que
nous n'avons pas les moyens, nous n'avons pas eu le temps, nous n'avons pas
trouvé les hommes etc.
Par ailleurs, nous avons des outils fantastiques, il y a donc une
sous-optimisation à laquelle nous aimerions voir trouver remède.
Au plan des 4.200 entreprises, grosses, petites et moyennes de la
première industrie alimentaire mondiale, l'expertise est
considérable. C'est une expertise que nous voulons mettre à la
disposition de l'Agence tout en sachant que celle-ci, qu'elle soit individuelle
ou collective, ne doit jamais décrédibiliser l'Agence.
Nous voulons être des fournisseurs d'informations, nous voulons suivre un
dossier ; en revanche, au moment de la décision, nous
considérons que les experts venant de l'industrie n'ont pas à
être pris en compte sinon dans les informations qu'ils ont
apportées. Nous devons participer au processus en tant qu'observateurs
et fournisseurs de données. Il n'est pas possible qu'une entreprise se
retrouve au bout d'un an et demi devant une décision dont elle n'aura
pas pu enrichir le processus.
Enfin, les associations de consommateurs peuvent saisir l'Agence, tandis que
nous, industriels, ne pouvons pas la saisir. On m'a dit
" créez
une association factice de consommateurs et vous pourrez saisir
l'Agence "."
. Non, nous voulons pouvoir saisir l'Agence !
M. Glavany nous a proposé hier une solution pragmatique en
disant :
" Saisissez-moi et je saisirai l'Agence ."
.
Nous allons formellement dans certains cas saisir le ministre lorsque cela nous
paraîtra essentiel. Cela dit, il ne nous semble pas normal que les
principaux acteurs de la première industrie française ne puissent
pas saisir l'Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments.
Nous nous réjouissons de la création d'une Autorité
européenne de sécurité sanitaire des aliments. Nous sommes
en faveur des simplifications, mais nous ne pensons pas qu'elles doivent
être réductrices, aussi nous ne pensons pas qu'il faille
actuellement fondre l'AFSSA dans une agence européenne. Nous pensons, au
contraire, que l'autorité européenne doit s'inspirer de ce qui
est fait par l'AFSSA, en particulier sur le périmètre,
c'est-à-dire l'aliment, tout l'aliment et rien que l'aliment.
Ensuite, il faut mettre cette articulation sous forme de réseau,
c'est-à-dire que l'autorité européenne puisse puiser dans
les meilleures compétences de l'Agence Française et enfin, au fur
et à mesure, à force de travailler ensemble, que les avis de
l'Autorité européenne aient une prééminence
très nette sur les avis français. Et nous verrons plus tard.
N'allons pas trop vite dans ce domaine, donnons à l'AFSSA qui va dans le
bon sens, toutes ces prérogatives, mettons la bien en réseau avec
l'autorité européenne, qu'elle s'en inspire et ensuite que ces
personnes travaillent en réseau, qu'il y ait une
prééminence et après nous verrons.
M. Charles DESCOURS - Ces exposés étaient
très intéressants ; je n'ai pas de questions
particulières à poser ni à M. Le Sourd ni à
M. Dumont, mais j'ai une remarque à faire à
M. Scherrer
.
Nous avions sous-estimé le problème des dispositifs
médicaux dans notre première rédaction. Je suis de ceux
qui considèrent que le lobbying est positif au moment de la
rédaction de la loi, et nous avons vu celui du ministère de
l'Agriculture qui était un des plus forts que nous ayons eu à
subir. Votre lobbying nous a montré ce que pouvait entraîner pour
votre industrie ce que nous étions en train de faire.
Concernant ce que vous avez évoqué, Monsieur Scherrer, nous
n'avions pas ressenti le fait que vous n'aviez pas le pouvoir de saisir
l'Agence, parce que vous ne l'aviez pas montré. Nous ne réglerons
pas cela en cinq minutes mais vous avez posé là une vraie
question dont nous aurions peut-être dû débattre ; nous
ne l'avons pas fait parce que nous n'avons pas senti cela. Ce n'est pas pour
nous dédouaner, mais ce que vous avez dit m'a semblé
intéressant, nous ne l'avions pas vu au moment de la rédaction de
la loi.
M. Claude HURIET - J'ai été très
intéressé par vos propos et la spontanéité de
ceux-ci, vous nous avez permis d'être au coeur du sujet de cette
journée.
Dans son introduction, M. Scherrer a dit :
" le médicament
n'est pas un aliment et réciproquement "
et je le remercie
d'avoir cité cette phrase forte puisque c'est la justification
même du dispositif que nous avons eu quelquefois quelque peine à
mettre en place, à savoir deux agences et non une. Il est important, au
stade où nous en sommes, d'avoir deux agences, avec une asymétrie
sur laquelle je reviendrai.
Vous avez évoqué les lenteurs dans la publication de certaines
dispositions réglementaires, vous avez pu interroger M. Glavany
pour lui faire part des conséquences de cette lenteur, et M. Dumont
a également évoqué quelques-unes de ces
conséquences.
Vous dites : "
il faut maintenir la différence entre le
rôle de l'Agence, l'expertise, l'évaluation, la gestion
étant du ressort des politiques "
et sur ce point je ne suis
pas d'accord. Je l'ai déjà dit maintes fois et en particulier
pour l'aliment, le dernier argument en date que je fais valoir est qu'au moment
où le Comité Dormont, en tant qu'expert de l'AFSSA, s'est
prononcé en rendant un avis différent de celui rendu au plan
européen, on a constaté que le politique, qui s'est donc
réservé le pouvoir de gestion des crises, avait suivi l'avis des
experts peut-être contraint et forcé.
Je crois que ce cas de figure, qui était particulièrement
dramatique, montre bien qu'il y a quelque chose d'artificiel à maintenir
cette distinction, d'autant que les agences ne sont pas coupées du
pouvoir politique, les Directeurs Généraux des agences
reçoivent tout de même leur pouvoir du Conseil des ministres.
Sur ce point, je serais d'autant moins d'accord que l'évolution de
l'AFSSA, à travers la mise en place de dispositifs au plan
européen, risque de mettre en question la fonction uniquement
d'évaluation de l'AFSSA.
Vous dites :
" il faudra se plier, au moins dans un premier temps,
à l'autorité des experts de la structure experte
européenne ",
je ne vois pas à quoi ce premier temps
peut correspondre. Si la mise en place de la structure européenne va
dans une sorte de subordination des structures nationales par rapport à
la structure européenne, à coup sûr nous nous poserons
rapidement la question de savoir pourquoi maintenir des structures expertes
nationales.
Le dernier point a été évoqué par Charles Descours
à propos de la saisine de l'AFSSA. Il était intéressant de
voir le rôle fondamental de l'expertise avec tout ce qui avait
été dit précédemment quant à la
difficulté du rôle des experts qui, indirectement, ont un pouvoir
de décision. On ne voit pas le pouvoir de gestion aller à
l'encontre du pouvoir des experts, pour autant que l'expertise soit de
qualité.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Je voudrais revenir sur la
question, qui a été évoquée, de la coexistence des
agences sur le même créneau de compétence à
l'échelon européen et à l'échelon français.
Monsieur Scherrer, vous dites qu'il faut maintenir les deux échelons et
ne pas fusionner des agences. Je voudrais de façon plus simple poser la
question de l'AMM dont les conditions d'obtention ou les critères
d'attribution ne sont pas exactement les mêmes selon qu'il s'agisse de
l'Agence européenne ou de l'Agence française, et je me dis : quid
d'un médicament qui n'obtient pas l'AMM en France et qui l'obtient
à Bruxelles ? Quel est le champ territorial de vente ?
N'allons-nous pas vers des difficultés qui vont se
généraliser avec des avis différents entre lesquels nous
devrons trancher ?
Ma deuxième question s'adresse à M. Le Sourd et concerne le
financement de l'Agence des produits de santé. M. Duneton nous a
dit ce matin que son budget était de 579 millions de francs, qu'il
était abondé à 40 % par l'Etat et, bien qu'il ne
l'ait pas dit, nous savons que le reste vient de l'industrie pharmaceutique.
Nous étions un certain nombre à travailler sur cette loi et
quelques-uns s'inquiétaient un peu du lien financier étroit
existant entre cette Agence, qui existait d'ailleurs au préalable avec
l'Agence du Médicament, et l'industrie pharmaceutique. Je voudrais avoir
votre avis sur l'indépendance de l'Agence et sa parfaite autonomie
lorsqu'il s'agit de délivrer une AMM.
M. Alain GOURNAC - Monsieur Scherrer, l'expertise de votre
profession est connue, mais je crois qu'on ne peut pas être juge et
partie et qu'il faut faire attention. Je pense qu'il faut laisser la
décision aux experts de l'Agence parce que, sinon, elle ne sera pas
respectée. C'est ainsi, nous sommes en France. Il faut qu'elle soit
respectée par tous et d'ailleurs également par votre profession.
J'ai souhaité que l'Agence soit vraiment indépendante pour qu'il
n'y ait pas de discussion possible.
Vous parlez de
" pression de la politique " : surtout
pas, Monsieur Scherrer, ni la politique ni le Gouvernement, il faut que cette
Agence soit libre et indépendante pour qu'elle soit respectée.
M. Pierre LE SOURD - L'objectif de la procédure
européenne est de permettre l'accès à l'innovation
simultanément dans tous les pays de l'Union européenne et c'est
un progrès majeur. L'accès à l'innovation dont nous avons
parlé, par rapport à cet objectif de mondialisation de
l'information, est un véritable souci, nous avons du mal à
imaginer qu'un produit innovant soit disponible en Europe et ne le soit pas aux
Etats-Unis et vice versa.
De ce point de vue, la procédure européenne est un
véritable progrès ; la procédure
décentralisée, qui est amenée à disparaître,
concerne beaucoup moins les produits d'innovation qui sont ceux dont nous
parlons aujourd'hui.
La contribution de l'industrie pharmaceutique au bon fonctionnement de l'Agence
a été soutenue par l'industrie, et cela doit rester très
raisonnable. Ce n'est pas le rôle des industriels de financer l'Agence
au-delà d'un pourcentage de son budget qui doit rester très
limité.
L'indépendance de l'Agence est indiscutable, même si la presse se
fait l'écho de la capacité de lobbying de certaines firmes
pharmaceutiques auprès de certains experts ; fondamentalement, il
n'y a pas de doute possible quant au fait que l'Agence est irréprochable
dans sa capacité de porter une évaluation sur la
sécurité et l'efficacité d'un nouveau médicament
sans aucune influence.
M. Victor SCHERRER - Je voudrais revenir sur cette notion
d'évaluation et de gestion des crises.
La dioxine est arrivée, les scientifiques se prononçaient plus ou
moins, nous ne savions pas où nous en étions et, le samedi matin,
la DGCCRF a rendu un avis. Si nous avions appliqué l'avis, le lundi
matin toutes les routes de France et de Navarre auraient été
bloquées par des camions, et toutes nos flottes de camions n'auraient
pas suffi à reprendre nos produits dans les linéaires de la
grande distribution ; c'était irréalisable. C'est ça,
la gestion de crise, c'est : "
que faisons-nous le lundi
matin
? ".
Le lundi matin nous nous sommes réunis au ministère de
l'Agriculture avec Mme Lebranchu, nous avons simplement essayé de
traduire cet avis en possibilité de gestion de la crise et nous y sommes
arrivés. Il y a eu des avis scientifiques -pour autant que l'on puisse
les avoir très rapidement- il y a eu le politique qui est en charge d'un
bien commun qui nous dépasse, et il y a eu l'industriel. Je voulais dire
qu'à certains moments, l'expertise scientifique et l'évaluation
du risque ne peuvent pas déborder et devenir gestionnaires du risque.
C'est très dangereux, et je ne suis pas sûr que l'Agence le
souhaite.
M. Charles DESCOURS - Nous avons regardé depuis quelque
temps ce qui s'est passé ; nous souhaitons que l'Agence parle, et
non le ministre de l'Agriculture, avant le ministre de la Santé parce
que nous avons assisté à quelques cacophonies gouvernementales
très regrettables.
Vous devez savoir, Monsieur Scherrer, ainsi que les industriels, que, pour
nous, celui qui doit parler à l'opinion est bien l'Agence. Nous avions
un peu critiqué M. Kouchner en lui disant qu'il s'était
laissé déborder par le ministre de l'Agriculture dans l'affaire
de la
vache folle
, la fois suivante, Mme Gillot est intervenue la
première à la télévision et ensuite, il y a eu
M. Glavany... Nous voyons que cela donne des cacophonies terribles ;
recentrons les choses sur l'Agence et cela évitera ces
dysfonctionnements très préjudiciables à la bonne gestion
des crises.
M. Victor SCHERRER- C'est notre état d'esprit, nous
considérons actuellement que la lenteur de mise en place de certaines
instances vient du fait que les ministères ont trop d'importance. Les
personnes de l'Agence elles-mêmes et d'autres ont envie, dans leur
domaine, de pouvoir mieux gérer leur boutique. Nous sommes à
100 % d'accord. Je parlais ici de la gestion presque économique de
la crise.
Madame Dieulangard, comment voulez-vous qu'une instance unique à
Bruxelles puisse gérer des questions spécifiques sur le
Camembert, le Munster, l'Epoisse etc. ?
Ils n'ont pas actuellement la capacité d'appréhender le
modèle alimentaire français comme nous. Nous voulons un temps
d'acclimatation pour permettre de traiter des questions liées aux
terroirs. Le mot terroir est intraduisible en anglais ; nous
représentons 4.250 entreprises, dont les multinationales et les PME,
nous raisonnons en termes de Camembert, de Bourgogne, de rillettes, de nougat
etc. : ce sont nos adhérents. Lorsqu'il y a des problèmes
sur ces produits, comment voulez-vous qu'un Belge ou un Allemand puisse rendre
un avis sur le Camembert ?
Quant à l'indépendance, il y a dans notre entreprise des
scientifiques de valeur et vraisemblablement le budget total que nous
dépensons en matière d'expertise scientifique est très
nettement supérieur à celui de l'Agence. Nous demandons
simplement, lorsque l'information scientifique est disponible, qu'elle puisse
être à la disposition de l'Agence.
En outre, je vous l'ai bien dit tout à l'heure, j'insiste sur le fait
que nous ne voulons absolument pas faire partie du processus de
décision. Il est de notre intérêt vital que l'Agence soit
totalement indépendante et que l'on ne puisse en aucune façon
dire :
" Vous voyez, les industriels ont encore fait leur coup ".
Surtout pas ! En revanche, que l'on prenne ce principe et qu'on le
retourne contre nous en disant "
pour ne pas être
suspectés d'influencer des industriels, nous n'utiliserons même
pas la compétence scientifique qui est chez eux
", je crois que
c'est une grave erreur.
IV. LE POINT DE VUE DES JOURNALISTES
M.
Claude HURIET - Monsieur le Président, au nom de Charles Descours, de la
commission et de moi-même, je remercie les journalistes qui ont
répondu à notre invitation.
Le but de cette journée est de se rendre compte si, un an après
leur mise en place, les deux Agences de Sécurité Sanitaire et
l'Institut de Veille Sanitaire fonctionnent bien. Cela s'inscrit dans la
démarche, assez habituelle maintenant, de la commission des Affaires
sociales du Sénat, qui se donne pour rôle d'assurer le suivi des
textes législatifs adoptés, en considérant que le
rôle du législateur ne doit pas s'arrêter après
l'adoption d'un texte. Ce n'est pas une démarche de contrôle, ni
d'évaluation : il s'agit de voir, d'abord, comment les organismes
que le législateur a voulu créer se sont mis en place, avec les
quelques mois de retard sur le calendrier prévu, dont on peut penser
qu'ils sont maintenant rattrapés, quelles sont les conditions de leur
fonctionnement et quelle perception a l'opinion de la mise en place de cette
organisation innovante.
Nous avons eu, ce matin déjà, un éclairage à
travers l'audition de Mme la Présidente de l'Union
fédérale des consommateurs. Ce qui nous intéresse beaucoup
cet après-midi, c'est de savoir, en tant qu'observateurs, relais de
l'opinion et pouvant sensibiliser celle-ci, quelle est votre perception et
quels points, selon vous, pourraient contribuer à rendre ce dispositif
nouveau encore plus efficace en termes de sécurité des produits
destinés à l'homme.
A. AUDITION DE MME MICHÈLE BIÉTRY, LE FIGARO
Mme
Michèle BIETRY - Pour nous, journalistes -c'est ce que je ressens et
c'est aussi le sentiment de mon service au Figaro- le système
français s'est alourdi et n'est pas encore très bon.
L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, sur
la vache folle, est vraiment très performante. Elle donne une bonne
information, elle a un bon site Internet, elle suit le sujet de très
près. Sur ce plan, nous pouvons bien travailler.
Je n'en dirai pas autant de l'Institut de Veille Sanitaire ou de l'Agence
Française de Sécurité Sanitaire des Produits de
Santé, non pas en raison de la mauvaise volonté des personnes qui
y travaillent -au contraire, nous avons de bons rapports avec elles et
même de l'estime- mais je reprocherai à ces agences de ne pas
avoir eu les moyens de mettre en place des structures d'information proches de
ce que peut faire la FDA américaine ou les CDC. En effet, si l'on a mis
en place des agences qui n'ont pas des pouvoirs de décision, mais des
pouvoirs de consultation, c'est pour qu'elles puissent faire connaître
leur opinion. Or, en général, pour un journaliste de la presse
quotidienne, avoir accès de façon rapide à leurs
informations relève du " sport ". Cela demande du temps, non
pas parce qu'elles refusent de communiquer, mais parce que l'on n'a pas
donné à ces agences clés les moyens de diffuser des
informations de façon moderne.
Pour nous, journalistes, Internet a vraiment changé l'accès aux
informations. Quand nous entrons sur le site de la FDA -et je vous conseille de
le faire, car il est absolument extraordinaire- nous avons accès
à tous les documents. Les sites de nos agences sont
" gentils ". Celui de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé est
extrêmement pauvre ; c'est le moins que l'on puisse dire. Quant
à celui de l'Institut de Veille Sanitaire, je ne peux même plus en
juger car il y a longtemps que je n'y vais plus : chaque fois que je
voulais entrer dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire, mon
ordinateur " explosait " ! Ce n'était pas tout à
fait un bulletin papier, mais presque... Donc, j'ai gardé les bulletins
papier et je les consulte.
Je trouve cela extrêmement grave. Je répète qu'il s'agit
d'agences consultatives, qui donnent une opinion ; donc, il faut pouvoir
la connaître. Par exemple, quand nous voulons une information de
l'Institut de Veille Sanitaire, il faut contacter l'attachée de
presse : si elle n'est pas là et le spécialiste non plus, il
faut rappeler le lendemain. Nous ne sommes pas assez tenus au courant de leurs
travaux, qui sont souvent très bons. Donc, beaucoup
d'éléments manquent.
Je citerai un exemple : lors du lancement du nouveau médicament
contre la grippe, le Relenza, nous avons été abondamment
informés par les industriels. Cela sentait légèrement
l'intoxication, d'ailleurs, d'où certains soupçons de notre part.
Où ai-je découvert les discussions en cours sur le sujet ?
Sur le site de la FDA, où j'ai eu accès directement au compte
rendu de l'Advisory committee, panel qui procède aux auditions sur les
nouvelles classes de médicament, avec donc le point de vue des
industriels et des différents experts. Nous avons ainsi pu avoir
accès au vrai débat nous permettant de juger les propos des
industriels.
Où est l'information de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé sur les fameuses
discussions qui peuvent avoir lieu ? Nous n'avons rien ! C'est
très mauvais. Nous, grand média, nous n'allons pas
" pleurer ". Le Figaro a accès à tout le monde, sauf si
les personnes ne veulent vraiment pas parler, mais aller déranger le
Professeur Alexandre ou le patron de l'Agence du Médicament pour un
petit renseignement me paraît une aberration. Il n'existe pas de
système d'information. C'est le reproche que je formulerai à
l'égard des agences en tant que telles.
Second aspect : le système français. J'ai écrit un
certain nombre d'articles. J'ai toujours émis des doutes sur les
pouvoirs des agences vis-à-vis des grands ministères. Il est
évident que le ministère de l'Agriculture a gardé tous ses
pouvoirs et sa capacité de silence, qui est une des meilleures de
France ! Je peux le dire en tant que journaliste. Nous n'avons jamais
rien ! Si nous demandons le texte d'un décret publié, on
nous répond : " On ne sait pas si on va pouvoir vous le
donner ", d'où des réactions assez conflictuelles.
Après, on nous dit : " Mais il fallait nous
appeler " ! C'est le ministère le plus opaque de France. Je me
demande s'il ne fait pas concurrence au ministère des Finances... Je
n'en jurerai pas. Donc, nous n'avons jamais rien et quand, après, nous
avons découvert l'information qui, en général, n'est pas
si dramatique, évidemment, nous avons tout le monde au
téléphone, mais les articles ont déjà
été rédigés et publiés.
Contrairement à tous les discours que l'on entend sur la
séparation du contrôle et de la décision, le
ministère de l'Agriculture, véritable forteresse, a gardé
la tutelle et le contrôle. Quand il est question de
sécurité alimentaire, l'information dépend trop de ce
ministère, les décisions également. Lors des histoires sur
la listeria, la bagarre interministérielle était
prévisible. Il y a eu de la cacophonie, comme avec le colza
génétiquement modifié, mais il ne pouvait en être
autrement. Ces grands ministères de tutelle qui défendent des
secteurs économiques -et ils ont raison d'ailleurs- n'ont pas
réussi à intégrer la notion de ministères
défendant des biens un peu plus immatériels et essentiels comme
la consommation ou la santé. Nous nous demandons même s'ils savent
que ces agences existent, sauf peut-être sur la vache folle : sur ce
point, nous demandons l'avis de l'Agence, mais, pour le reste, je crois que
l'on en est resté à la grande tradition française :
" Je suis la tutelle, je décide et je vous enverrai un
communiqué de presse de trois lignes dans les quinze jours ",
ce qui, d'ailleurs, permet toutes les crises. Je peux vous dire, par exemple,
mais je ne voudrais pas prendre trop de temps, comment j'ai ressenti la
" crise " des OGM, si on peut l'appeler ainsi, car l'analyse que j'en
ai faite est assez typique.
M. LE PRÉSIDENT - Il est certain que la traduction médiatique des
crises, qui peut être quelquefois excessive, d'autres fois insuffisante,
pas assez didactique, plus émotive, est aussi un problème.
Mme Michèle BIETRY - D'un point de vue journalistique, actuellement, je
pense qu'en matière de sécurité sanitaire nous sommes dans
une période révolutionnaire, c'est-à-dire de tous les
excès. On va accuser les médias, mais, en fait, ceux-ci sont un
peu les otages de l'opinion publique. Pour les OGM, c'est typique : c'est
devenu une crise d'hystérie pour un danger difficilement identifiable,
mais il y a eu aussi des façons d'agir un peu impérialistes de
l'industrie agro-alimentaire. On pouvait s'interroger sur la dispersion.
Pourquoi faire des OGM ? Pour ma part, je n'ai pas peur d'en manger. Je me
" gave " de gènes régulièrement, contrairement
à beaucoup de personnes interrogées, qui pensent que les
gènes n'existent que dans les organismes génétiquement
modifiés.
Je suis plus inquiète de laisser faire des " tripatouillages "
de gènes peut-être pas très utiles. Récemment nous
avons ainsi publié un article dans Le Figaro à propos du riz
génétiquement modifié. Des industriels ont
dépensé énormément d'argent pour modifier
génétiquement un riz afin qu'il résiste à un
insecte qui détruisait peu les récoltes.
Je n'ai pas non plus peur de manger du colza génétiquement
modifié, d'autant plus, n'étant pas une vache, je ne consomme pas
de tourteaux. Cela mis à part, si l'on constate que le colza peut aller
hybrider à l'extérieur, si -parce qu'il est quand même
difficile de ne pas mélanger les graines- au fil des jours, comme ce
n'est pas très dangereux, on mélange tout et l'on se retrouve
avec des plantes résistant à un herbicide et que, pour s'en
débarrasser, il faut arroser d'un autre herbicide, cela me paraît
un peu stupide.
C'est ma vision, mais je ne peux pas tellement l'expliquer à mes
lecteurs parce qu'ils ont peur des OGM, peur de la vache folle. Il existe une
peur moyenâgeuse que nous, les médias, ne pouvons plus
maîtriser. Nous pouvons garder un peu de mesure, mais pas garder le
silence. Actuellement, nous sommes face à une peur panique absolument
ridicule. Nous l'avons vu avec la listeria. Quand il y a eu quelque 60 ou 90
morts en 1990 ou 1992, on s'en est peu préoccupé et, quand il y a
eu 7 morts, c'est devenu une révolution nationale. Je comprends que le
ministère de l'Agriculture veuille défendre ses industriels de la
charcuterie, parce qu'il était ahurissant que les consommateurs ne
veulent plus en manger, ce qui ne les empêchait pas d'avoir des
réfrigérateurs très mal entretenus, à 10
degrés minimum, permettant à la listeria de s'épanouir en
compagnie de certaines salmonelles et staphylocoques.
Il existe des modes. Aujourd'hui, on n'a plus peur de la salmonelle. On va
peut-être avoir peur du téléphone mobile, mais on
hésite parce qu'il faut s'en séparer. Je parlais de situation
révolutionnaire parce que l'on prend conscience qu'il faut faire
attention à la sécurité sanitaire et, du coup, on tombe
dans l'excès.
B. AUDITION DE M. PAUL BENKIMOUN, LE MONDE
M. Paul
BENKIMOUN - Aux expressions près, peut-être, je souscris au bilan
dressé par Michèle Biétry. Donc, je n'y reviens pas, si ce
n'est peut-être pour apporter un complément sur l'aspect
européen.
Le site de la DG XXIV, qui a en charge la sécurité des
consommateurs notamment au niveau de l'Union européenne, n'est pas non
plus un modèle de rapidité pour mettre en ligne les rapports de
structures d'expertise qui travaillent à Bruxelles. De ce point de vue,
on pourrait même décerner un bon point à l'AFSSA qui met
plus rapidement en ligne ses avis que ne le fait la DG XXIV.
Michèle Biétry évoquait les pratiques ancestrales du
ministère de l'Agriculture. Il est vrai que l'on a vu à
l'échelle européenne, avec la crise de la vache folle, qu'il a
fallu attendre que soit rendue publique l'existence de cas humains
contaminés par l'agent de la maladie de la vache folle pour voir pointer
des considérations sanitaires, alors que, jusque-là, on prenait
seulement en compte les conséquences économiques pour le monde
agricole et le monde des éleveurs.
Nous sommes effectivement à une époque où des
bouleversements, des évolutions se produisent, avec en particulier une
double exigence : une exigence de sécurité sanitaire,
même si cette exigence va parfois au-delà du rationnel, et une
exigence de démocratie sanitaire. J'emploie ces termes, même si je
sais qu'ils recouvrent également les questions d'accès aux
soins : là, je les entends en termes d'accès à
l'information concernant la sécurité sanitaire. Même si le
mot est à la mode, des expressions un peu galvaudées deviennent
rituelles : transparence, non-existence du risque zéro, etc. On
pourrait presque faire des discours préformatés avec ce jargon.
Le terme de transparence, me semble-t-il, en l'espèce, correspond
à cette exigence de savoir, qui renvoie à des questions
démocratiques. De fait, la presse, relaie cette double exigence.
La presse -je suis d'accord avec Michèle Biétry- ne fait pas que
former l'opinion, même si elle y contribue. La presse n'est pas exempte
de défauts dans sa façon de fonctionner : pas une
Rédaction ne se détermine sans regarder ce que les autres ont
fait ou sans présupposer ce qu'elles vont faire ; donc, il y a bien
sûr des biais, mais je pense que la presse a une responsabilité
particulière sur un terrain aussi sensible que l'est devenue la
sécurité sanitaire dans un pays marqué par certains
scandales comme celui du sang contaminé, ou de l'hormone
contaminée, et par des pratiques d'opacité comme en
matière de nucléaire.
Un exemple récent : celui de la halte-garderie dans le
7
ème
arrondissement à Paris, qui a suscité
une réaction extrêmement forte de la part des parents, inquiets
à l'idée que leurs enfants aient pu être exposés
à des rayonnements ionisants. On ne peut se contenter de les rassurer en
leur disant :
" Nous avons pris des mesures. Vos enfants ne
risquent rien ".
Lors d'une réunion lundi dernier au
secrétariat d'Etat à la Santé, le Directeur
Général de la Santé leur a dit : "
Compte
tenu des mesures dont nous disposons, vos enfants n'ont pas été
exposés à un risque. Nous sommes en dessous des normes, mais je
sais très bien que, bien que je puisse vous affirmer que les examens
sont inutiles, beaucoup d'entre vous ne seront rassurés que lorsque vos
enfants auront passé les examens nécessaires ",
tout en
les prévenant de la lourdeur de ceux-ci.
On sent bien que l'on ne peut pas simplement répondre par un discours
d'expertise et un discours rationnel à une exigence qui combine des
aspects nobles : ceux d'exigence démocratique, et des aspects de
peurs irrationnelles et démesurées.
Dans cette configuration, compte tenu que la presse est à la fois acteur
et récepteur de ce qui se passe dans notre société, elle a
une responsabilité particulière. Sans elle, certains scandales
n'auraient peut-être pas été mis au jour, ou tout au moins
n'auraient pas eu la résonance qu'ils ont eue : le sang
contaminé vient immédiatement à l'esprit. La presse joue
un rôle que l'on pourrait qualifier d'aiguillon, de pression. Sans une
presse active présente sur la question de la vache folle,
peut-être que l'on n'aurait pas eu enfin, après une attente
interminable, le début des résultats des enquêtes de la
Brigade nationale d'enquête vétérinaire, qui intervient
chaque fois qu'un cas est découvert dans un troupeau. On a eu un premier
rapport préliminaire, mais on sent bien que c'est un combat.
Par ailleurs, la presse est également en situation de répercuter
un certain nombre de données scientifiques. On en a eu un exemple ce
matin avec la question du vaccin contre l'hépatite B. On est en
situation d'incertitude, et l'expertise est précisément d'autant
plus sollicitée. Le problème est qu'elle ne restitue pas
uniquement des certitudes, mais aussi des incertitudes. C'est toute la
difficulté d'arriver à expliquer ce que l'on sait, mais aussi -ce
qui me paraît essentiel- ce que l'on ne sait pas et que l'on ne peut pas
écrire ni prouver.
Je pense que chacun trouverait dans les autres médias aussi bien que
dans le sien propre des éléments qui l'ont fait bondir en termes
d'inexactitude, de présentation erronée. Je garde le souvenir
d'un quotidien qui, sous le surtitre : " Vache folle ", citait
la découverte d'un cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'article
précisait que, selon les médecins ayant examiné la
personne, il s'agissait d'une forme classique et précisément pas
de celle liée à la vache folle, d'où une contradiction
absolue entre le surtitre et le contenu.
On se rend compte que, quels que soient les médias, pour la moindre
méningite, le moindre cas de Creutzfeldt-Jakob, fût-il classique,
pour une maladie faisant moins de dégâts qu'un week-end sur les
routes, pour reprendre une comparaison habituelle, il y a un effet
d'entraînement et plus personne ne peut arrêter cette machine qui
fait qu'aujourd'hui on ne peut plus passer sous silence ces questions. Cela
renvoie la presse à sa façon de fonctionner, sa
déontologie, sa façon d'informer, la qualité et la
hiérarchie des informations diffusées et peut-être à
la question : " l'information est-elle
manipulée ? ".
Comment informer ? L'essentiel du rôle de la presse est de donner
à ses lecteurs, auditeurs, téléspectateurs les moyens de
se faire leur propre opinion. J'avoue avoir une méfiance de principe
face au journalisme à thèse, au journalisme d'imprécation,
face à la prime à l'inquiétude, même si je ne
m'estime pas plus " vacciné " qu'un autre journaliste contre
ce type de travers, mais, me semble-t-il, même si c'est moins facile
à faire accepter par toute Direction de la rédaction, il faut
aussi parler des trains qui arrivent à l'heure, et pas uniquement de
ceux qui ont déraillé. Le problème est que l'on sent bien
qu'il y a quasiment une contradiction dans un contexte où la concurrence
est rude ; et encore, dans la presse écrite, la situation n'est pas
tout à fait celle de l'audiovisuel.
S'agissant de la qualité de l'information, là encore, il existe
des principes de base. Le premier est de s'adresser à des sources
fiables, par exemple des publications. Une déclaration de
médecin, fut-il professeur, sur une notion qui n'a pas été
publiée dans une revue scientifique disposant d'un comité de
lecture, qui ne répond pas aux critères de qualité
méthodologique, malgré l'estime que l'on peut avoir pour cette
personne, n'est pas à mettre sur le même rang qu'une information
qui a fait l'objet de tout un processus de validation. Au-delà, tout
journaliste apprend qu'une information doit être vérifiée,
recoupée avec d'autres sources. Sur des sujets qui prêtent
à des controverses -et c'est le cas en matière de
sécurité sanitaire- il est important d'avoir les deux " sons
de cloche ". L'exemple des OGM est typique. Des thèses s'affrontent
radicalement. Sur un sujet riche, qui a à la fois des dimensions
scientifiques, économiques, politiques et sociales, on ne peut se
contenter d'avoir sa propre thèse et de la véhiculer dans les
colonnes d'un journal.
En matière de hiérarchie de l'information, il faut avoir en
tête un critère, une interrogation : qu'est-ce que cela
change ? Evoquer chaque cas de listériose ponctuel, en dehors d'un
cadre épidémique, n'a aucun sens. En même temps, les dix
premiers cas de nouveaux variants de la maladie de Creutzfeldt-Jakob,
c'était très peu, mais, qualitativement, c'était un
phénomène qu'il était important de répercuter parce
que quelque chose se produisait et l'on voyait le bout de la pointe de
l'iceberg.
Pour conclure, la question de la manipulation est un éternel
problème. On pense toujours être le chien qui remue la queue et,
en fait, on est parfois la queue qui imagine remuer le chien. Il existe une
sorte de dialectique entre les sources d'information et le canal que
représente un média. Nous avons tous été, à
un moment ou à un autre, sollicités par un responsable politique,
d'une institution ou autre ayant des éléments importants ou
décisifs à nous faire part sur telle ou telle question et, au
bout du compte, nous pouvons nous interroger sur le caractère nouveau
des faits annoncés. Ainsi, dans le milieu qui suit les questions de la
vache folle (experts, citoyens, journalistes...), il y a eu des discussions sur
la signification de cette mystérieuse troisième voie de
contamination évoquée par le ministre de l'Agriculture.
Personnellement, je pense qu'il y a encore beaucoup à dire sur les deux
premières voies, sur les conditions dans lesquelles les farines animales
continuent d'être utilisées en France, sur la possibilité
de contamination croisée, sur les pratiques du monde agricole, des
industriels agro-alimentaires, avant peut-être d'aller chercher une
troisième voie dont certains experts, et non des plus mauvais
a
priori
, ont tendance à penser qu'elle reste une explication
marginale de l'ampleur de l'épidémie.
Donc, bien sûr, ces risques de manipulation existent, mais, pas plus
qu'il ne viendrait à l'esprit de rejeter la démocratie
parlementaire au motif qu'elle connaît parfois quelques
dévoiements, lourdeurs ou difficultés, je pense qu'il faut
réaffirmer le rôle de la presse comme un acteur de ce débat
démocratique, en particulier sur la sécurité sanitaire.
M. LE PRÉSIDENT - Merci. Après les grands quotidiens du matin et
de l'après-midi, celui de tous les quarts d'heure...
C. AUDITION DE MME MARINA MIELCZAREK, RADIO FRANCE INTERNATIONALE ET FRANCE CULTURE
Mme
Marina MIELCZAREK - C'est justement une grande différence par rapport
à mes collègues : en radio comme en
télévision, on demande des réponses dans la minute, voire
dans le quart d'heure. Je dois rendre hommage aux services de presse de l'AFSSA
qui sont inondés, dès qu'il y a une dépêche AFP ou
REUTER, par les appels téléphoniques sollicitant le
spécialiste. Je n'ai pas de solution, mais je vais exposer les
problèmes, les difficultés que nous rencontrons entre
collègues.
Quand un article paraît dans Le Parisien, Le Figaro ou Le Monde, le
spécialiste cité peut être repris par le journaliste radio
qui n'est pas forcément un spécialiste de santé ou de
l'ESB. Une radio fonctionne un peu différemment de la presse
écrite, avec des services " Reportages de
société " chargés un peu de tout. Sur les sujets
clonage, ESB, OGM, santé, nutrition, statut de l'embryon, il y a un
manque de savoir de la part de chaque journaliste, par manque de formation ou
d'études. Nous venons tous de milieux différents. Vous devez
savoir que c'est très important, d'où la nécessité
d'avoir accès à des sites Internet avec des informations
très précises, peut-être des repères chronologiques
nous évitant de perdre du temps à rechercher de la documentation.
Un autre problème : chaque journaliste doit avoir son carnet
d'adresses. Quand un service " Reportages de société "
ou un journaliste de garde le week-end a un problème sur l'ESB, il
contacte la personne citée. Il faut toutefois faire attention à
ne pas se limiter à un seul avis, celui des spécialistes dont le
nom revient toujours.
Il en est de même s'agissant des OGM. J'étais récemment
à Lille à un congrès organisé par les producteurs
de maïs. J'écoute, mais mon rôle n'est pas, après, de
relayer leurs propos, leur avis sur le fait qu'il n'y a pas de danger, que
toutes les précautions ont été prises, etc. Mon rôle
est d'écouter et de savoir. Je me souviens de la réaction de
Marie-Christine Blandin, présente dans la salle, qui s'est
élevée contre cette réunion dirigée par
l'industrie. Il faut faire très attention. Nous sommes dans une position
où nous écoutons et, après, nous devons donner un avis qui
n'est même pas tranché par les spécialistes. Même si
nous disons au micro que nous ne savons pas, l'auditeur se méfie.
Certaines réponses doivent être apportées tout de suite. Je
me souviens de l'affaire du Coca Cola et du fameux phénol qui aurait
traversé : chimiquement parlant, ce n'était pas possible.
Alors, que dire ? Coca Cola devait apporter une réponse aux radios
dans la minute. Fallait-il inventer n'importe quoi, dire que c'était le
phénol des palettes pour faire taire les journalistes ?...
Nous sommes confrontés à ces problèmes parce que nous
travaillons dans le quart d'heure, dans la minute. Il faut le savoir. Je n'ai
pas de réponse. Je ne sais pas comment il faut travailler avec les
services de presse, comment organiser l'information.
J'ai également assisté à Edimbourg à une
conférence sur les OGM. On parlait de l'Europe, ce matin, et de la
création d'une Agence européenne. Je travaille pour Radio France
Internationale. Nous avons une ouverture sur l'Afrique, l'Inde, l'Asie. Je me
suis rendu compte que l'on focalisait beaucoup sur notre petite Europe. Au sein
même de notre Rédaction, nous avons avec mes collègues des
débats passionnés. Ces derniers m'ont même dit que
j'étais un suppôt de la science parce que je disais que les OGM
n'étaient pas dangereux !
Je demande un peu plus de noms de spécialistes par question. Quand il
faut téléphoner dans la minute, qui appeler : le
ministère de la Santé, celui de l'Agriculture, celui de
l'Environnement ? Tout est imbriqué. Je pense qu'il faut organiser
des débats sur ces questions et peut-être travailler ensemble.
Ce matin, sénateur Huriet, vous vous félicitiez de la
création des deux agences : médicaments et alimentation. Je
me demandais comment nous allions faire quand il y aurait la deuxième
génération des OGM qui seront des alicaments...
Il faut vraiment agir. Il y a là un grand chantier d'organisation de
l'information et il conviendrait d'établir une liste de
spécialistes auxquels s'adresser en cas d'urgence.
Je me souviens aussi de conférences d'information que vous aviez
instaurées sur le statut de l'embryon ou le clonage, questions que je
traite aussi, qui sont extrêmement complexes. Un reporter qui travaille
sur différents sujets ne peut tout connaître. Il faudrait
peut-être faire des petits pensums -encore une fois, je cherche avec
vous- ou organiser des réunions d'information régulières
au ministère ou ici, au Sénat, des rendez-vous pour mettre au
courant les journalistes. Voilà une proposition.
M. LE PRÉSIDENT - Merci. En tout cas, votre dernière suggestion
va fortement retenir notre attention. Nous allons voir comment cela pourrait
être organisé.
Mme Marina MIELCZAREK - C'est vraiment une demande réelle de notre part
d'avoir des informations régulières, car ces sujets
évoluent tellement vite...
M. Claude HURIET - Je voudrais dire combien nous avons été
intéressés, passionnés par vos interventions en direct,
dont je pense que les élus doivent tirer profit et peut-être
instaurer un échange. En effet, nous appartenons à deux mondes
qui se rencontrent souvent, mais ne se connaissent pas bien. M. Jacques
Drucker assiste, dans le public, à nos travaux de cet après-midi.
Si le Président en est d'accord, peut-être pourra-t-il apporter
des éléments de réponse en complément.
Mme Michèle Bietry, avant de développer des interrogations
et des regrets, plus que des critiques, concernant l'accès à
l'information, a parlé de l'alourdissement du système. J'aimerais
qu'elle précise rapidement ce point, qui n'est pas le principal de vos
interventions. En tant qu'inspirateurs et coauteurs de la proposition de loi,
avec la commission des Affaires sociales, nous serions tous très
déçus si nous avions abouti, alors que tous nos efforts allaient
en sens inverse, à un alourdissement du dispositif. En effet,
l'idée était d'avoir des structures plus lisibles. Ce travail est
entrepris, mais n'a pas encore abouti. Vous avez dit qu'en matière
d'accès à l'information, l'AFSSA était bien et l'AFSSAPS
et l'IVS moins bien.
Mme Michèle BIETRY - L'AFSSA est bien pour la vache folle.
M. Claude HURIET - Il est mieux de préciser que, finalement, votre
appréciation ou réserve concerne les trois structures, car cela
aurait pu mettre l'une en difficulté par rapport aux deux autres.
Vous nous avez dit que ces organismes, y compris l'IVS, n'avaient pas eu les
moyens pour développer leurs structures d'information.
Mme Michèle BIETRY - Il s'agit d'organismes consultatifs et non pas
décisionnels. Donc, leur grande force est de faire circuler le savoir.
Certes, ce ne sont pas des agences de communication, mais l'information doit
devenir accessible. Ces organismes sont dotés de moyens assez
archaïques : un site Internet insuffisant, un service de presse avec
des personnes dont la qualité n'est pas remise en cause, mais non
armées pour faire face à une déferlante de journalistes
sollicitant des réponses dans le quart d'heure, toujours au dernier
moment. Or, la force d'un organisme consultatif est, justement, de savoir
organiser la circulation de l'information.
M. Claude HURIET - Peut-être les deux directeurs généraux,
même si nous ne sommes pas dans un après-midi débat,
pourraient-ils apporter des éclaircissements sur la qualité de
leurs moyens, leur stratégie de communication et les évolutions
que vous pouvez attendre et auxquelles, peut-être, ils seront capables de
répondre.
M. LE PRÉSIDENT - M. Jacques Drucker, directeur
général de l'Institut de Veille Sanitaire, et M. Martin
Hirsch, directeur général de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments, m'ont fait savoir qu'ils
acceptaient de revenir devant notre commission pour dialoguer avec nos
intervenants journalistes. Je les en remercie.
M. Jacques DRUCKER - J'ai entendu l'éclairage des médias et leur
constat, compte tenu de leur mission, des difficultés d'accès aux
informations données par les agences. J'y souscris.
Effectivement, aujourd'hui, par exemple, l'Institut de Veille Sanitaire n'est
pas encore doté des moyens de diffusion des informations qu'il a
collectées et expertisées à la hauteur de sa mission. La
surveillance de l'état de santé de la population comporte
à part entière cette mission de mettre à la disposition
des personnes qui en ont besoin, pas seulement les décideurs, mais les
professionnels, l'opinion publique, les médias, les informations qu'il
recueille et traite. Ce problème des moyens est incontournable.
Il se pose aussi probablement un problème de meilleure connaissance des
médias, de leur culture, de leurs contraintes et exigences. Nous devons
donc faire nous-mêmes un effort de meilleure connaissance du milieu des
médias.
Vous disiez tout à l'heure, par exemple, que vous deviez pouvoir
réagir dans le quart d'heure ou la minute. Il est vrai aussi que ces
contraintes de réactivité ne sont parfois pas tout à fait
les mêmes, ou en tout cas compatibles, avec les exigences des missions
techniques et scientifiques qui sont les nôtres.
Sur le fond, notre souci de diffusion, de production et d'accessibilité
des informations est vraiment prioritaire. Une meilleure connaissance mutuelle
de nos actions est sans doute à développer, mais, très
clairement, les moyens doivent être renforcés. Avec un Institut de
Veille Sanitaire qui, jusque-là, ne disposait, sur les aspects de
communication publique, que d'un poste de Chargé des relations avec la
presse -il faut voir l'équivalent chez nos collègues anglais de
Londres, sans parler de nos collègues américains, car cela donne
le vertige- nous sommes encore dans une phase très artisanale dans ce
domaine, mais nous en sommes conscients. Je pense que, dans les mois et
années à venir, le développement de nos missions et de nos
moyens va nous permettre de corriger le tir.
L'Institut de Veille Sanitaire rencontre une difficulté
supplémentaire par rapport aux autres agences qui résulte de
l'étendue de ses missions et des champs dans lesquels il travaille. Cela
rend encore plus difficile l'organisation de l'information afin qu'elle soit
plus accessible, notamment en direction de citoyens et des médias.
M. Martin HIRSCH - Sur ce système très perfectible,
peut-être quelques mots sur certaines règles que nous avons
essayé de nous fixer. Les journalistes ont leurs contraintes ; nous
avons les nôtres.
La première règle est de respecter le fait que vous avez besoin
d'avoir l'ensemble des informations en temps utile, rapidement, etc. Sachez
qu'un avis scientifique n'est fini qu'au moment où il a
été signé. Alors, chaque mot compte et la place d'une
virgule peut être importante pour le sens général. Nous
savons -et la loi a posé cette exigence- que, de toute façon, il
sera rendu public sans délai, si ce n'est le temps que les ministres le
lisent et n'en apprennent pas la teneur par la presse. Donc, vous l'aurez
rapidement, mais sachez que nous ne pouvons aller plus vite qu'une certaine
musique liée à ce fonctionnement. Je dois dire que cela a
été bien compris par les journalistes et je voudrais les en
remercier.
Seconde règle : nous ne parlons que pour ce qui nous engage. Nous
ne sommes pas une agence ou des scientifiques qui vont commenter la prise de
position de tel ou tel, et encore moins celle de personnes investies de
responsabilités politiques ou dans d'autres institutions. Nous pouvons
rendre public le produit brut, l'expliquer, mais pas commenter les prises de
position. Nous ne sommes pas un des débatteurs du système. Je
crois que, là aussi, cela est compris. Nous disons parfois :
" Sur ce point, nous ne nous exprimerons pas ", non pas qu'il existe
une loi du silence, mais parce que ce n'est pas notre rôle. Nous sommes
un lieu, non pas de débat, mais de production d'informations.
Troisième règle : chacun partage le fait que, dans toutes
nos agences, nous consacrons plus de moyens pour soutenir les comités
scientifiques et très peu pour cette partie-là, parce que nous ne
serions pas excusables si nous n'avions pas mis tous les moyens dont nous
disposons, qui sont pour nous tous limités, à faire en sorte que
nous puissions rendre les avis et répondre rapidement. Nous avons tous
des services de communication très embryonnaires. Nous essayons quand
même de répondre vite, même si c'est pour, dans les deux
minutes, vous dire :
" Pour l'instant, rien n'est sorti. Ne vous
inquiétez pas pour le journal de demain "
et de vous donner une
liste de 4 ou 5 personnes.
Nous en arrivons à la dernière difficulté. Nos contraintes
sont de dire que notre avis, notre position ne se comprennent que si vous
acceptez de lire la première, la deuxième, la troisième ou
la quatrième phrase, celle où il est dit :
" Il peut
y avoir des risques, mais dans telles ou telles conditions et, par ailleurs, si
nous faisons ceci, en revanche, la population ne sera pas exposée
à ce risque "
: si vous ne prenez que la première
phrase, où il est dit qu'il n'y a pas de risque, c'est une transgression
du message, ou, si vous ne prenez que la dernière phrase, qui indique
que la population est soumise à un risque, c'est également une
transgression du message.
Nous avons eu des expériences dans lesquelles nous avons vu quels
étaient les avantages de ne pas avoir peur des mots. Par exemple,
lorsque nous avons rendu le premier avis sur ERIKA, nous avons, après
que les scientifiques eurent eux-mêmes hésité, mis le mot
" cancérigène ". Les scientifiques hésitaient,
non pas sur le fait de savoir si ce produit était
cancérigène, car il n'y avait pas de doute, mais sur le fait de
l'écrire ou pas. Avant de signer l'avis, je leur ai demandé si le
produit était cancérigène ou pas et ils m'ont
répondu par l'affirmative. Je leur ai donc dit :
" Alors,
nous le dirons ".
Je leur ai demandé si, compte tenu des doses,
par rapport aux seuils, il existait un risque. Leur réponse a
été négative. Donc, vous trouverez dans le même avis
le fait qu'il y a un produit cancérigène, mais que, compte tenu
des mesures prises, des seuils fixés, etc., il n'existe pas de risque
que l'exposition par voie alimentaire provoque un cancer. Cela n'a pas
semé de panique, qui aurait été injustifiée, et je
vous en remercie.
Mme Michèle BIETRY - Sur cette question, personnellement, je pense que
la stupidité a battu des records. Il y a même eu des accrochages
assez sanglants au journal quand j'ai dit à un journaliste :
" Mon cher ami, tu ne savais pas encore que le pétrole
était cancérigène ? "
et qu'il m'a
répondu :
" Non, on me l'avait
caché ! ".
Ce que je reprocherai aux administrations françaises, si je les compare
à la merveilleuse FDA qui sait aussi être assez hypocrite quand il
le faut, ce n'est pas de refuser le contact avec le journaliste, qu'elles ne
nous refusent pas toujours, c'est de ne pas répondre à notre
besoin d'être informés de façon globale. Quand je me
promène sur le site de la FDA, je me régale des avis des Advisory
panels, car cela me permet de poser d'autres questions. Quand je me rends
à un séminaire d'intoxication de GLAXO, je lis auparavant
" l'antidote ". Quand on va nous vendre Viagra 2, je ne
téléphonerai à personne, et surtout pas à un
spécialiste : je vais chercher les documents. En France, nous ne
les avons pas. Où sont les warning letters, que nous trouvons sur le
site de la FDA ?
De temps en temps, nous nous offrons un petit plaisir journalistique. Par
exemple, si j'apprends que tel industriel, toujours présenté
comme un saint, s'est fait " taper sur les doigts " à telle ou
telle occasion, je ne vais pas forcément faire un article, mais cela me
donne l'ambiance. C'est cela que nous attendons de vous, pas
nécessairement pour écrire aussitôt un article. Nous ne
l'avons pas ; or, je pense que c'est très important dans le climat
actuel. Cela permet aussi de répondre à ce besoin de culture que
nous avons, qui évite ces fameuses coupures de phrases. L'Administration
française a tendance à se taire : au moins, elle n'est pas
coupée, mais, malheureusement, la " cocotte minute " explose
à chaque fois.
Donc, vraiment, il s'agit de l'information de base. Par exemple, Monsieur
Drucker, nous nous sommes occupés du PCB, qui n'avait rien à
faire dans les produits agricoles belges. J'ai plongé dans notre
Intranet et j'ai retrouvé des articles. On devait rechercher le taux de
dioxine dans le lait maternel en 1997. En 1998, ce n'était pas fait.
Idem en 1999. Comme ce n'était pas mon sujet exact et que j'avais peu de
collaborateurs à ma disposition, j'ai laissé tomber. S'il y avait
eu un bon site Internet, je l'aurais consulté pour faire le point.
Là, je sais que, pour avoir réponse à cette question, je
dois vous déranger ou déranger le spécialiste
occupé à autre chose. Ce n'est pas normal pour savoir, sur un
processus engagé administrativement consistant à mesurer le taux
de dioxine dans le lait maternel, si l'enquête a été faite
ou non. Je vous pose donc la question aujourd'hui.
M. Jacques DRUCKER - Le rapport sera rendu public le 21 juin.
Mme Michèle BIETRY - Merci.
M. Jacques DRUCKER - Vous devez aussi comprendre que, sur certaines questions,
collecter de l'information et réaliser une enquête de
qualité peut demander du temps. L'exemple de la dioxine dans le lait
maternel a nécessité deux ans d'enquête. Je sais que l'on
peut aussi prendre 5 ou 10 personnes de façon non aléatoire
dans la population française, faire des dosages de dioxine et conclure
sur le degré d'imprégnation de la population française. Je
pense que ce n'est pas ce que l'on attend de l'Institut de Veille Sanitaire. En
l'occurrence, la difficulté est que certaines enquêtes de ce type
demandent du temps, d'autant plus lorsque, comme sur des sujets aussi pointus
que le dosage de ces dioxine et PCB, il n'existe en France qu'un seul
laboratoire ayant cette expertise et cette capacité, qui n'a pas pour
autant une mission prioritaire de santé publique, d'où des
délais.
Donc, de façon concrète, vous aurez une réponse le 21 juin.
Mme Michèle BIETRY - Merci.
M. Lucien NEUWIRTH - J'ai observé qu'en règle
générale nos administrations, sur Internet, n'étaient pas
à jour. Manifestement, ce n'est pas encore entré dans notre
culture.
Mme Michèle BIETRY - Nous félicitons le Sénat quand
même !
M. Paul BENKIMOUN - Michèle Biétry a eu l'air de
" crucifier " les agences de veille sanitaire qui ont un an
d'existence, mais l'on se rend compte que ce problème de communication
est assez général à l'Administration. On pourrait citer la
Direction générale de la Santé. C'est un problème
de même nature, y compris les périodes de vacance du poste, qui
fait que c'est parfois l'alternative : soit on dérange le Directeur
de l'administration, soit il faut se contenter de réponses vagues.
On a toujours dit qu'il y avait en France de bons
épidémiologistes, ce qui, je crois, est vrai, mais il semble que,
dans beaucoup de structures, on bute sur la difficulté d'exploiter des
données existantes. Vous l'avez vu vous-même à propos des
comités consultatifs : vous n'avez eu les données que pour
une année parce qu'il y avait eu un stagiaire à la Direction
Générale de la Santé pour les exploiter et pas les
années suivantes.
M. Claude HURIET - Dans le prolongement de votre réflexion et de cet
exemple, j'indique que la commission des Affaires sociales a
décidé, il y a quelques semaines, de me missionner, avec quelques
collègues, pour faire le point sur le fonctionnement des CCPPRB.
Pourquoi fais-je cette réponse ? Il est vrai que cela peut
apparaître comme disproportionné et qu'au fond les quelques
éléments et quelques points de repère que j'avais
demandés au moins à trois ou quatre reprises depuis deux ans
auraient pu être, naturellement, fournis par l'Administration. Là,
les agences ne sont pas en cause. C'est parce que l'Administration centrale n'a
pas été capable ou n'a pas voulu me livrer ces
éléments que les parlementaires, qui exercent leurs
prérogatives de contrôle et de suivi, ont mis en place une
mission. L'avantage est que cette mission pourra sans doute aller plus loin que
le simple recueil de données statistiques.
M. LE PRÉSIDENT - Nous avons abordé des points tout à fait
intéressants avec les journalistes. Je les en remercie. Je remercie
également MM. Martin Hirsch et Jacques Drucker de s'être
prêtés à un débat contradictoire impromptu.
V. LE POINT DE VUE DES EXPERTS
A. AUDITION DE M. MARC ELOIT, MEMBRE DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL SUR LES ENCÉPHALOPATHIES SPONGIFORMES SUBAIGUËS TRANSMISSIBLES, MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L'AFSSA
M. Marc
ELOIT - Mesdames, Messieurs les sénateurs, bonjour. Merci de m'avoir
invité.
Je voudrais dire en préambule que, contrairement aux intervenants de ce
matin et sans doute de cet après-midi, je ne représente que
moi-même ; donc, mon discours est très personnel.
Je suis virologiste. Je travaille à l'Ecole vétérinaire de
Maisons-Alfort. Je suis responsable d'un groupe de génétique des
virus. Je travaille dans deux structures au titre de l'expertise : depuis
sa création dans le groupe de sécurité virale, dans ce qui
s'appelle aujourd'hui l'AFSSAPS, et, depuis sa création
également, dans le Comité interministériel sur les
encéphalopathies spongiformes.
Si je dois analyser le rôle de l'expert en situation de crise, je
choisirai l'exemple de la BSE, que je connais le mieux. Il me paraît
avoir une certaine originalité, qui n'est pas totale, qui concerne,
d'abord, la notion d'incertitude, ce qui définit un rôle pour
l'expert, et, ensuite, la notion d'urgence, contrainte également
importante.
Nous sommes dans un contexte d'incertitude. Je rappelle que l'agent
pathogène n'est pas connu ; que la distribution dans l'organisme,
c'est-à-dire la manière dont on peut qualifier la
dangerosité de tel ou tel organe, est connue par des techniques
très peu sensibles, en particulier dont la sensibilité relative
par rapport à celle de l'homme n'est pas connue ; que, si le mode
principal de transmission est connu, l'existence de modes alternatifs reste
inconnue ; que les doses infectantes pour l'homme ne sont pas connues non
plus et que, si l'origine alimentaire des cas humains est probable, les
questions relatives à l'aliment en cause et à l'unicité de
cette transmission d'origine alimentaire restent posées.
C'est probablement dans ces situations de grande incertitude scientifique que,
contrairement à ce que l'on a entendu ce matin, sur lequel je
reviendrai, il existe certainement une divergence entre le point de vue du
scientifique et la position que va prendre le décideur.
J'en viens à la différence d'analyse entre le groupe d'experts
ayant travaillé en France sous l'égide de l'AFSSA et le groupe
européen.
Je rappelle que, sur le plan chronologique, le groupe ESST n'a jamais
été saisi de la question de l'analyse du plan d'exportation
anglais au moment des discussions au niveau communautaire, ni avant ni
même après la sortie de la décision et de la Directive en
1998. Ce comité a été saisi en urgence sous forme d'un
avis à donner sur un texte qui transposait la décision
communautaire.
Nous avons essayé de traduire cette question sur un texte
réglementaire en une question scientifique :
" Existait-il
un risque de consommation de cet aliment ? "
en tâchant de
le qualifier, de l'identifier, avec deux sous-questions :
-
" Etait-il possible de consommer de la viande d'animaux en
incubation ? ".
Nous avons répondu non.
-
" Le plan anglais permettait-il d'éviter que de la viande
d'animaux en incubation n'entre dans la consommation
française ? ".
Nous avons répondu que, très
probablement, cela diminuait considérablement le risque, mais que
celui-ci n'était pas maîtrisé au sens où les
données expérimentales -je ne parle plus de probabilités-
permettant de prouver l'absence d'infectiosité de cette viande
n'étaient pas disponibles.
Nous avons pris en compte d'autres éléments un peu en marge de
l'analyse de risques à proprement parler :
- il s'agissait d'une maladie mortelle ;
- les durées d'incubation, donc la capacité à se
rendre compte d'erreurs, étaient fortement retardées dans le
temps ;
- également -et ce n'était pas négligeable- le fait
que 1'on nous posait la question de la levée de mesures de
précaution, c'est-à-dire non pas d'imposer de telles mesures,
mais bien de savoir si les conditions étaient réunies pour lever
ces mesures de précaution, ce qui était un peu
différent ;
- enfin, le fait que la réponse à toutes ces questions,
compte tenu de détails techniques que je vous épargnerai, pouvait
probablement être levée l'année suivante ou un an et demi
plus tard : donc, ce n'était pas renvoyer
sine die
la
réponse, mais considérer qu'un délai supplémentaire
pouvait donner des informations complémentaires.
Quant à l'avis de l'Union européenne, il est ce qu'il est. Les
experts ont cru pouvoir, ce que nous n'avons pas souhaité faire, aller
plus loin en quantifiant et qualifiant le degré d'infectiosité de
la viande.
En conclusion, l'avis français insiste sur les doutes et, donc, dans le
cadre d'une levée de mesures de précaution, en quelque sorte,
renverse les charges de la preuve en insistant sur l'absence de preuves
expérimentales sur les postulats de départ. Quant à l'avis
du Comité Scientifique Directeur (CSD) ou tout au moins de son
sous-groupe spécialisé sur les ESST, il se détermine plus
sur des éléments de probabilité scientifique et, à
mon sens très personnel, et sans aucun esprit polémique, ne
souligne peut-être pas suffisamment les interrogations scientifiques
sous-jacentes.
Probablement, la divergence aurait été plus faible si les
mêmes questions avaient été posées et si elles
avaient été de nature strictement scientifique. Cela justifie une
harmonisation du processus et, surtout, une réflexion sur la
chronologie : après tout, demander à un groupe national de
se positionner par rapport à un avis déjà émis au
plan européen portait, en soi, le germe d'un conflit potentiel.
Seconde notion : l'urgence. C'est une source de difficultés pour
une analyse qui va au fond des dossiers. Certaines urgences pourraient
probablement être évitées. Là encore, à
propos de cette question sur l'embargo, avoir dû examiner en une
séance le dossier et rédiger le soir même un peu
tardivement le compte rendu correspondant, pour ce qui résultait,
finalement, d'une transposition de directive, relevait d'une urgence qui aurait
pu peut-être être évitée.
En revanche, d'autres urgences sont indiscutables et sont à mettre en
rapport avec la disponibilité effective des experts, sur laquelle
j'aimerais insister. La plupart de ces experts, dont je fais partie, sont
généralement des directeurs de recherche ou équivalents.
Ils sont très pris par leur activité scientifique, par des
charges d'enseignement éventuelles, également par une des
contraintes liées au financement de la recherche publique qui est qu'une
grande partie -sans mauvais jeu de mots- de leur activité de recherche
consiste déjà à trouver les moyens de travailler et, en
l'occurrence, ils ont souvent des moyens logistiques de secrétariat
très limités. Donc, ils sont très pris et le temps
passé à l'expertise n'est absolument pas compensé par des
affectations de personnels ou de moyens complémentaires. Autrement dit,
il n'y a pas de réflexion collective sur les moyens dédiés
à l'expertise. Les grands organismes publics de recherche (INSERM, INRA,
CNRS) gèrent des moyens humains et budgétaires en fonction de
programmes de base et de programmes complémentaires, le ministère
de la Recherche également et les agences sollicitent les experts, mais
n'ont guère de moyens de compensation ; d'où, au minimum, la
nécessité d'une réflexion globale.
J'ai quelques éléments sur la gestion des avis minoritaires, que
je pourrais évoquer s'il y a des questions, et également en
réponse aux interrogations résultant de l'interface avec les
médias.
Je voudrais surtout insister sur l'évolution, telle que j'ai pu la
connaître à titre personnel, du dispositif mis en place au cours
du temps. J'ai connu, comme d'autres collègues, l'époque des avis
informels de tel ou tel scientifique à telle ou telle administration.
J'ai surtout connu, ensuite, le groupe interministériel sur les ESST,
qui continue à exister et qui, je pense, a constitué une grande
avancée, ne serait-ce que parce qu'il permettait une réflexion
d'ordre collectif.
Mais il faut reconnaître que ce groupe souffre de certaines limites.
Déjà, il ne répond, en pratique, presque qu'aux saisines
de l'Administration. Certaines questions mineures sont posées ;
d'autres, majeures -j'ai évoqué le plan d'exportation en
Grande-Bretagne- ne le sont pas.
Par ailleurs, les avis ne sont pas publiés. Ils sont disponibles pour
l'Administration. Ils lui sont, je l'espère, utiles. Ils le sont moins
pour l'information du public.
En retour, les informations que les administrations concernées peuvent
donner à ce comité interministériel sont relativement
abondantes, mais dépendent du bon vouloir des administrations,
procédure qui peut trouver ses limites, par manque de temps en
particulier.
Autre limite de ce comité : il est surchargé. Des avis
très fréquents lui sont demandés par les trois
ministères directement concernés : la Santé,
l'Agriculture, les Finances (Fraudes), mais également par le
ministère de la Recherche, puisque ce comité a à
gérer les appels d'offres en plus du reste. Cela limite ses
capacités d'autosaisine, qui sont également limitées par
sa culture.
Par ailleurs, peu de moyens logistiques sont affectés à ce
comité.
Je dois rappeler que l'AFSSA n'a pas de comité spécifique sur les
encéphalopathies spongiformes, et " utilise " donc le
Comité ESST, mais le glissement progressif, pour certaines questions au
moins, sous égide AFSSA et ce que je peux voir par ailleurs de
l'évolution de ce comité, siégeant au Comité
scientifique de l'AFSSA, est favorable. Déjà, il y a une saisine
obligatoire sur la totalité des textes, qui donne une vision d'ensemble
plus large. Il y a une possibilité de retour d'information
facilitée de la part des administrations. Egalement, une logistique
existe. Tout cela contribue à faciliter notre travail.
Pour conclure, je ne partage pas totalement, ainsi sans doute qu'un certain
nombre de mes collègues, ce qui a été dit sur la
confusion, dans cette chaîne, entre l'avis scientifique et la
décision publique. J'ai une vision assez simple : les scientifiques
donnent un avis scientifique dans des champs relevant de leur domaine de
compétence ; les agences développent une culture de la
gestion de risques leur permettant en particulier de gérer des questions
qui relèvent d'une multidisciplinarité, parce qu'à un
moment donné il faut faire une synthèse. Quant aux politiques,
ils décident et les administrations gèrent et contrôlent
dans un environnement complexe, qui n'est pas l'environnement du scientifique
sur une question scientifique simple.
B. AUDITION DE M. GEORGES BORIES, PRÉSIDENT DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DE L'ALIMENTATION ANIMALE, COMMISSION EUROPÉENNE - DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ ET DE LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS
M.
Georges BORIES - Je suis Directeur de recherche à l'INRA de Toulouse.
J'ai eu un laboratoire jusqu'en décembre dernier. J'ai une double
fonction d'expert : au niveau national et au niveau européen. Je
suis là, comme M. Eloit, à titre strictement personnel. Je
me retrouve sur le même terrain que lui. J'étais de l'autre
côté de la barrière qu'il a évoquée tout
à l'heure puisque j'étais, au niveau du Comité
Scientifique Directeur bruxellois, sur la même affaire de l'ESB en
octobre dernier. Rassurez-vous, je ne vais pas rouvrir certaines
polémiques qui relèvent du passé. Il faut regarder devant
soi et en tirer quelques enseignements, ce que M. Eloit a
déjà fait. Nous ne nous sommes évidemment pas
concertés.
La grande difficulté concernant l'ESB est, bien entendu, la
décision dans un contexte d'incertitude scientifique. Alors que la
plupart des grands problèmes sanitaires de ces derniers temps relevaient
surtout de défauts de gestion du risque, là, nous sommes dans un
problème véritablement " amont " d'incertitude
scientifique.
Un autre problème est l'action en état de crise,
c'est-à-dire dans l'urgence, avec toute la difficulté que cela
représente tant pour les gestionnaires -et Dieu sait qu'ils ont un
énorme mérite- que pour les scientifiques. Cela m'amène
à développer quelques aspects des difficultés et
contraintes de l'expertise et de la position de l'expert.
Premier aspect : les limites de la science. La biologie est une science
molle et non exacte. Des domaines comme la toxicologie sont, en plus, des
domaines probabilistes puisque l'on est obligé d'extrapoler des
données que l'on obtient sur les animaux ou les systèmes issus
des animaux qu'il faut transposer à un certain moment à l'homme
puisque, à part quelques cas très restreints
d'expérimentation possible directe de médicaments en phase 4 chez
l'homme, pour le reste, il n'en est évidemment pas question. Donc, il y
a une marge incompressible de risques qui explique que le risque zéro
n'existe pas.
Second aspect : la science actuelle est extrêmement
parcellisée. Elle s'est profondément développée, a
ouvert des secteurs d'une très grande intensité. Les
problèmes sont actuellement abordés de manière très
pointue et approfondie au niveau moléculaire. Parallèlement, les
sciences plus intégratives, systémiques (physiologie, etc.)
n'évoluent pas à la même vitesse, d'où un certain
décalage entre les deux : d'un côté, des sciences
très pointues et, de l'autre, la difficulté à transcrire
en termes, par exemple, de risques, d'observations à l'échelon
moléculaire et cellulaire. Cet écart explique beaucoup de
difficultés dans la prise de certaines décisions.
Dans le cadre de ce qui a, à un moment, opposé scientifiques
français et européens dans le cadre de l'ESB, on peut citer le
fait que le Comité européen avait parfaitement reconnu que des
nouvelles données étaient apparues au congrès de
Tübingen en particulier sur la détection à très forte
sensibilité, donc à très bas niveau, d'agrégats de
la protéine prion qui est pathologique, mais le problème
était celui de l'interprétation de la présence de ces
agrégats dans certains tissus qui jusque-là n'étaient pas
connus comme tissus à risques et de sa signification en termes
d'infectiosité. Il existe là une distance très grande sur
laquelle les experts discutent et ne sont pas tous d'accord. C'est normal.
Chacun, selon son domaine de compétence, sur ces questions
extrêmement pointues, a sa propre vision.
Il est clair qu'un comité d'expertise ne peut pas être qu'une
somme d'experts extrêmement pointus : il doit également avoir
une vision intégrative plus horizontale qui se réalise de
différentes manières. M. Eloit a cité le
Comité scientifique hyper pointu et, au niveau de l'Agence, une vision
multidisciplinaire plus intégrative. Au niveau de la Communauté
européenne, c'est le Comité Scientifique Directeur qui propose
cette vision multidisciplinaire horizontale en s'appuyant sur son groupe
ad
hoc
BSE. De nombreux experts européens ont participé aux
multiples sous-groupes de travail qui élaborent les points de vue
strictement scientifiques, qui sont ensuite rediscutés au sein du
Comité Scientifique Directeur. Ces différentes manières de
fonctionner ont sans doute chacune leurs avantages et leurs
inconvénients.
Les conditions sociologiques dans lesquelles s'exerce la recherche ont
également évolué. Là aussi, il existe une grande
pression sur la publication, de laquelle dépendent les carrières,
sur l'obtention de fonds. Tout ceci précipite parfois un peu la
situation et amène les personnes à publier des données
scientifiques plus restreintes sans doute en quantité, en couverture
qu'à une certaine époque où les publications
étaient à portée plus large. Aujourd'hui, elles sont
beaucoup plus segmentées et à une fréquence
élevée, avec chaque semaine de nouvelles contributions. Or, la
science est la mise en perspective de toutes ces contributions, et le dernier
scoop n'est pas la dernière publication sortie. Un certain recul est
nécessaire. Il faut attendre quelques semaines ou mois pour mettre en
perspective ces publications et en tirer une vision plus
intégrée.
J'ai évoqué l'évolution de l'organisation
européenne à partir de 1997, qui a séparé
définitivement gestion et évaluation du risque, ce dernier
domaine relevant de huit comités scientifiques et d'un comité
scientifique directeur.
La construction d'un avis est complexe et hautement interactive, avec
généralement une recherche de consensus qui, s'il n'est pas
réalisé, peut conduire à des avis minoritaires
parfaitement exprimés.
La recherche du consensus demande du temps. La pression est toujours
présente, les questions sont multiples, le nombre d'experts
sollicités est relativement restreint, d'où un travail
considérable à réaliser. Je sais que certaines opinions en
étaient à la vingtième ou vingt-deuxième
édition quant elles sont arrivées au terme de leur
élaboration et ont été publiées. M. Hirsch
évoquait tout à l'heure la position des derniers mots et
dernières virgules. C'est extrêmement important. Lors de la
publication relative à l'ESB en octobre dernier, la séance a
duré deux jours, d'où la conclusion des médias sur
l'existence de conflits internes importants. Le consensus est rapidement venu,
mais il a fallu consacrer un jour et demi à la rédaction, car il
s'agit d'un exercice extrêmement délicat et qui doit respecter
très exactement les nuances que les uns et les autres ont
souhaité introduire.
L'expertise est une activité humaine, avec ses faiblesses.
Au-delà des considérations d'excellence et d'indépendance,
les facteurs personnels sont incontournables. Chaque expert n'est pas semblable
à son voisin. Son intérêt, son expérience, son
intuition, son approche, les valeurs qu'il exprime sont différents.
Enfin, il y a un aspect purement d'éthique, qui est véritablement
un facteur tout à fait personnel.
Je retiens de cet épisode qu'il faut essayer de remédier à
cette situation où les scientifiques d'ici ne sont pas tout à
fait d'accord avec ceux de là. C'est extrêmement lié
à la question posée. Il nous arrive, dans notre comité
à Bruxelles, de revenir vers la saisine de la DG VI et de demander
un autre libellé parce que celui proposé introduit parfois des
questions empiétant sur la gestion et non strictement scientifiques.
Donc, je pense que si, déjà, les questions étaient
absolument posées de la même manière, on romprait un peu
cette asymétrie de départ que vous avez soulignée, sur
laquelle je suis tout à fait d'accord, et qui explique probablement une
grande partie du désaccord.
A l'avenir, avec la création de la future autorité
européenne, il faudra trouver le moyen de remédier à cela.
Il est prévu dans le Livre blanc, de manière assez vague pour le
moment mais cela devra être précisé, le type de relations
qui s'articuleront entre les niveaux nationaux et le niveau européen. Il
est absolument obligatoire que des concertations aient lieu au
préalable, mais, là encore, la question de l'urgence et du temps
est un facteur tout à fait déterminant. Comme M. Eloit, je
souligne le manque cruel d'experts au niveau, non seulement français,
mais européen en général.
M. LE PRÉSIDENT - J'ai cru comprendre que c'était aussi le fait
que leur activité d'expertise n'entrait absolument pas en compte dans
leur évaluation, notamment universitaire, d'où un certain manque
de motivation.
M. Georges BORIES - A l'INRA, cet aspect commence à être pris en
compte, mais c'est très récent.
M. Charles DESCOURS - Je suis surpris, après les auditions de ce matin,
que l'on revienne sur le problème de l'expertise, que je n'avais pas
ressenti jusque-là, s'agissant tant du nombre d'experts que de la
motivation insuffisante de certains en raison du cursus universitaire.
Il a été proposé de créer une Agence nationale de
l'expertise. Pensez-vous qu'elle permettrait de sortir de ce marasme ?
M. Marc ELOIT - La difficulté, quel que soit le contenant, c'est le
contenu, donc le nombre d'experts. La notion de carrière a
été évoquée. Elle n'est qu'en partie vraie :
à partir du moment où les personnes sont sollicitées comme
experts, assez souvent, elles sont déjà au niveau d'une direction
de recherche ou professeurs et n'ont donc plus de carrière à
attendre. Le problème concerne plutôt le vivier, donc les jeunes,
à qui l'on ne peut pas proposer d'intégrer cette dimension comme
une évaluation.
Au-delà, chaque système a des références et des
valeurs. Le système de valeur du scientifique est d'être reconnu
par ses pairs, d'être le meilleur dans sa discipline, le plus
compétitif. L'expertise entre peu dans ce système de valeur pour
l'instant. C'est très culturel.
M. Lucien NEUWIRTH - Une question au Président Georges Bories, dont un
propos m'a fait dresser l'oreille : en quoi vos problèmes
personnels d'éthique interfèrent-ils dans les conclusions que
vous avez à apporter ?
M. Georges BORIES - Au-delà des déclarations
d'indépendance que les experts sont amenés à faire en
début de chaque séance, il y a toujours derrière des
facteurs personnels propres à chacun qui, inévitablement,
interfèrent avec sa manière de penser, y compris
scientifique : philosophique, politique, etc.
M. Lucien NEUWIRTH - Un expert apporte le résultat d'une expertise
à partir de données scientifiques établies. En quoi
l'éthique personnelle de l'expert peut-elle interférer ?
M. Marc ELOIT - En l'occurrence, je ne partage pas complètement cette
analyse. Le risque dans ce domaine n'est pas exclu, mais de là à
le considérer comme une évidence participant de l'analyse... On
essaie de s'en débarrasser. Encore une fois, cela dépend ce que
l'on attend de l'expert. Plus celui-ci, dans son avis, va se rapprocher d'une
mesure de gestion, plus les points qui viennent d'être
évoqués risquent d'interférer. Mais plus l'avis va faire
le tour des faits d'ordre scientifique pondérant l'information
correspondante, moins on risque ce travers.
M. Georges BORIES - Bien sûr, nous l'écartons au maximum, mais le
fondement humain, quelque part, fait que...
M. Charles DESCOURS - Il ne faut pas non plus considérer l'avis
d'expertise comme ne devant pas être mesuré dans ses
conséquences. Vous n'êtes pas des êtres
désincarnés. Ce qu'a dit ce matin le Président de l'ANIA a
bien montré qu'il fallait que l'expert intègre les
conséquences de son avis s'il voulait que celui-ci soit suivi ; ou
alors, on laisse tout le champ aux décideurs politiques, ce qui n'est
pas le but recherché, me semble-t-il.
M. Marc ELOIT - Cela se discute probablement. Pour beaucoup de mes
collègues, en tout cas, cela se discute peu de savoir si c'est,
in
fine
, le politique qui prend les décisions.
Nous y avons un certain nombre de fois réfléchi, en particulier
dans le Comité ESST, pour des raisons que vous comprenez bien. Plus on
se rapproche de mesures de gestion -et il nous est arrivé de le faire
peut-être un peu trop- plus on prend le risque d'interférence avec
la notion d'appréciation, d'évaluation de risque consenti, etc.,
qui sont des valeurs très personnelles, très variables selon
chacun. Plus on reste près des données, moins on craint ce risque.
M. Georges BORIES - C'est un continuum. Il n'y a pas de césure.
M. LE PRÉSIDENT - Il est certain que, dans notre société,
le politique, in fine, doit prendre ses responsabilités, car des
considérations autres que la vérité pure peuvent
être à prendre en compte, mais il doit être parfaitement
éclairé et qu'au moins auprès de lui les experts " se
mouillent ", si je puis dire.
M. François AUTAIN - Je ne crois pas qu'une agence de l'expertise
modifierait quoi que ce soit. On ne change pas le contenu en changeant le
contenant. Cela dit, il faut pardonner les sénateurs : l'Agence
leur a tellement bien réussi en matière de sécurité
sanitaire et alimentaire qu'ils ont tendance à la mettre un peu
" à toutes les sauces ".
Plus sérieusement, nous sommes tous d'accord avec vous sur le manque
d'experts, mais n'y a-t-il pas un surnombre d'instances faisant appel à
vous ? En en réduisant le nombre, sans augmenter celui des experts,
ne pourrait-on pas vous donner moins de travail dans des conditions tout aussi
satisfaisantes ? Vous avez évoqué à l'instant le
Comité interministériel sur l'ESB. Vous vous rapprochez de
l'Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments. Est-ce que cette
structure, au sein de l'Agence de Sécurité Sanitaire des
Aliments, n'aurait pas permis d'économiser du temps pour les experts
sollicités, car j'imagine qu'ils le sont aussi par cette structure
interministérielle et sans doute, pour la même raison, par
l'Agence ? Je cite un exemple, mais il peut en exister d'autres. Est-ce
que, ne pouvant pas dans l'immédiat augmenter le nombre d'experts, une
autre méthode ne consisterait pas à réduire, fusionner ou
supprimer un certain nombre d'instances de décision qui font appel
à vous quelquefois pour rendre des avis que vous avez déjà
donnés ailleurs ? C'est un moyen comme un autre :
peut-être qu'en réduisant les sollicitations auxquelles les
experts sont soumis, on pourrait aboutir au même résultat.
M. Marc ELOIT - De manière générale, l'effort de
rationalisation est en cours au sein des agences et des groupes de travail
créés. Pour ce qui concerne le groupe ESST, je n'y vois pas
très clair. Il a un avantage : celui de traiter des aspects pouvant
tomber dans le champ de compétence de l'AFSSA, de l'AFSSAPS et
peut-être d'autres, d'où une homogénéité de
la réflexion. Jusque-là, ce groupe travaille en tant que de
besoin sous égide AFSSA. Son mandat venant à
échéance dans les prochains mois, j'imagine qu'une solution sera
trouvée.
La vraie difficulté, peut-être, concerne l'expertise au plan
européen, car au plan national cela se gère. Pour être
expert en Europe, il faut faire acte de candidature, puis être choisi,
d'où une démarche particulière qui demande beaucoup de
temps. Là, il y a peut-être une contrainte et un choix à
faire entre les structures nationales et européennes.
M. LE PRÉSIDENT - Cela rejoint la question que je me posais, à
savoir comment l'on devient expert. On est expert quand on est nommé
expert auprès des tribunaux, etc. Y a-t-il par ailleurs, soit
l'autoproclamation, soit la cooptation, soit un mélange de tout
cela ?
M. Marc ELOIT - Pour l'instant, il ne semble pas exister de culture globale
entre les différentes agences. A l'AFSSA, il faut déposer une
candidature et une sélection est opérée au travers en
particulier des publications et de l'expérience antérieure dans
l'expertise. S'agissant de l'AFSSAPS, le système est resté assez
cooptatif, mais plutôt dans le bon sens. La cooptation peut être la
meilleure formule quand elle permet d'identifier, d'aller chercher, de forcer
un peu les personnes que l'on souhaite voir venir.
M. LE PRÉSIDENT - On devient expert, par exemple, si l'on a une
expérience antérieure dans l'expertise. Donc, à un moment,
on était expert sans l'être ?
M. Marc ELOIT - Dans la grille retenue pour l'AFSSA, il y a le CV, les
publications, l'expertise. On s'attend à voir des jeunes brillants avec
beaucoup de publications et peu, voire pas, d'expérience en expertise,
qui sont insérés dans des groupes, ou des seniors qui publient
peut-être moins, mais ont un recul sur l'expertise.
M. François AUTAIN - Vous avez parlé de la possibilité
d'être en même temps expert européen et expert
français Je crois savoir que les questions que posent l'Europe et la
France ne sont pas toujours les mêmes, d'où la difficulté
parfois, pour un même expert, d'exercer les mêmes fonctions en
Europe et en France. Nous l'avons vu à propos de l'embargo de la viande
bovine. Les questions n'étaient pas les mêmes, c'est vrai, mais un
expert au moins n'a pas répondu exactement de la même façon
à Bruxelles et à Paris.
M. Marc ELOIT - Je ne sais pas à qui vous faites allusion. Je ne connais
qu'un expert spécialisé dans les ESST en France, qui est dans le
sous-groupe européen et qui, je crois, a donné la même
réponse aux deux niveaux, ce qui constitue peut-être un exploit.
M. François AUTAIN - Parce que, de surcroît, la question
n'était pas la même.
M. Marc ELOIT - Il a porté la même philosophie, pour être
précis.
M. Claude HURIET - On voit bien, à travers cet échange de vues,
que cette question, lancinante pour moi depuis des années, n'est pas
bien traitée : je veux parler de l'évaluation et de la
gestion. La séparation est quelquefois extrêmement mince. Une des
questions qui se posent à propos des thèmes que nous
évoquons aujourd'hui, mais aussi dans d'autres domaines, est celle des
relations entre le décideur et l'expert ou les décideurs et les
experts. C'est un domaine dans lequel nous allons sans doute voir la
réflexion se développer, et c'est heureux, sans savoir d'ailleurs
à quoi elle pourra aboutir ; sinon, à quoi servirait-il d'y
réfléchir ?
Si l'expert est sûr et avance des arguments certains qui ne laissent pas
place à hypothèses, je ne vois pas comment le décideur
pourrait ne pas le suivre. La distinction peut apparaître quand il existe
une marge d'incertitude. D'après vos propos et votre expérience,
il n'est pas habituel qu'un expert, quelles que soient ses compétences
et son expérience, puisse parvenir à une certitude. Il fait
apparaître dans ses conclusions qu'il existe une marge d'incertitude et
le décideur a alors la responsabilité de décider sans
pouvoir s'appuyer sur un avis certain de l'expert. Actuellement, la tendance
pour le décideur est l'application du principe de précaution.
Autrement dit, dans cette réflexion difficile sur les relations entre le
décideur et l'expert, est-ce que cette distinction, que j'ai
établie de façon peut-être un peu primaire, entre la
certitude et l'incertitude peut être un élément nous
permettant d'évoluer ?
M. Georges BORIES - En matière scientifique, il n'y a aucune certitude
absolue. On estime qu'il n'y a pas de risque dans telles et telles conditions
et telles et telles circonstances. " L'expert estime que " :
donc, la marge d'incertitude existe toujours. Elle est plus ou moins grande.
Dans certains cas, effectivement, elle est tellement grande que l'on entre dans
le processus dit " du principe de précaution ", qui n'est pas
un principe d'inaction, mais, au contraire, un principe d'action consistant
à renforcer la partie recherche explicative et à organiser les
choses de telle manière que l'on réduise du point de vue
gestionnaire les aléas à leur maximum.
Le récent Rapport Kourilsky propose un système dit " du
deuxième cercle ", avec un premier cercle strictement scientifique
et un second ayant pour vocation d'évaluer les
risques-inconvénients et les risques-bénéfices,
" bénéfices " étant entendu dans un sens plus
large qu'exclusivement monétaire, et qui ferait participer toutes les
parties prenantes : quelques scientifiques du premier cercle et des
industriels, consommateurs, environnementalistes, tout partenaire
" sociétal " intéressé dans un système
interactif.
C'est une proposition parmi d'autres. Il s'agit d'un débat très
actuel de trouver un moyen d'articuler l'évaluation et la gestion du
risque, la séparation complète étant très
difficile.
M. Claude HURIET - Monsieur le Président, vous avez parlé de la
formulation des questions par l'AFSSA et par le Comité Scientifique
Directeur européen et de l'importance de cette formulation sur un sujet
identique. Est-ce que, selon vous, la question formulée par l'AFSSA
avait le mérite de la concision et de la précision, donc
était de meilleure qualité dans sa formulation, que la
rédaction du Comité scientifique européen ?
M. Georges BORIES - De mon point de vue, ce n'est pas un problème de
précision. Les questions étaient sur des plans différents.
M. Marc ELOIT - La question de l'AFSSA était toute simple. Un projet de
texte transposait une décision. L'AFSSA devait donner un avis sur ce
projet et nous a répercuté la question en tant que telle. Nous
l'avons traduite en question scientifique.
Le Comité Scientifique Directeur s'est évidemment appuyé
sur les avis successifs. On a fourni au Comité Scientifique Directeur
l'intégralité du Data Based Exportation Scheme (DBES) avec une
demande simple : " oui, non ou peut-être ", mais c'est
sous forme de questions itératives sur des mesures, des
compléments de mesures et des mesures modifiées que,
progressivement, la Commission probablement est arrivée à la
notion que, scientifiquement, le CSD approuvait le DBES.
M. Georges BORIES - C'est par la proposition d'avis successifs sur les
questions posées au Comité Scientifique Directeur et
traitées par son groupe
ad hoc
spécialisé que s'est
construite, au travers d'une trentaine d'opinions, la position actuelle de la
Communauté Européenne, donc par ajouts successifs d'opinions
scientifiques demandées au Comité Scientifique Directeur.
A l'automne dernier, à la question posée au Comité
Scientifique Directeur : "
Y a-t-il, dans l'argumentation AFSSA,
de nouveaux éléments
? ", la réponse a
été oui. A la question : "
Ces
éléments nouveaux sont-ils de nature à ce que vous
reveniez sur les quatre opinions utilisées par les gestionnaires pour
prendre leur décision d'accepter ce plan britannique d'exportation de
viande ?
", la réponse a été non.
L'approche a été très différente, sachant que
chaque comité scientifique, en France ou en Europe, répond
à une saisine.
M. LE PRÉSIDENT - Il nous reste à vous remercier. Je crois
que l'expertise est le noeud d'au moins un des problèmes.
VI. LE POINT DE VUE DES MINISTRES
M. LE
PRÉSIDENT - Nous accueillons M. Jean Glavany, ministre de
l'agriculture et de la pêche, Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés et
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat chargée des PME,
du commerce, de l'artisanat et de la consommation.
A l'issue de votre propos introductif, des questions vous seront posées
par les rapporteurs Charles Descours et Claude Huriet, ainsi que par les
commissaires ou autres sénateurs qui nous auront rejoints d'ici
là.
A. AUDITION DE M. JEAN GLAVANY, MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PÊCHE
M. Jean
GLAVANY - Monsieur le Président, je me réjouis d'être parmi
vous. J'étais à l'instant avec le Commissaire David Byrne, qui va
nous rejoindre.
Je me réjouis que le Sénat ait souhaité faire un
état des lieux de la sécurité sanitaire et dresser
quelques perspectives près de deux ans après l'adoption de la loi
relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la
sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme,
présentée à l'initiative de votre commission. Je me fais
souvent cette réflexion, et je vous la livre : la création
de l'AFSSA, notamment, est d'origine parlementaire, et rarement l'on aura pu
souligner un tel succès d'une initiative parlementaire et d'une nouvelle
structure administrative dans un paysage en perpétuelle évolution.
J'articulerai mon propos en trois points, étant bien entendu
précisé que, pour ma part, je n'évoquerai que la
sécurité sanitaire des aliments. Je tiens strictement à
respecter cette compétence, mais, même sur ce sujet des aliments,
il existe un travail interministériel avec les ministères de la
santé et de la consommation, ici représentés par mes
collègues et amies Dominique Gillot et Marylise Lebranchu.
En premier lieu, je souhaite rappeler les modifications récentes du
dispositif français dans le domaine de la sécurité
sanitaire des aliments.
En second lieu, j'évoquerai en quelques mots les évolutions
engagées aussi bien au plan communautaire qu'au plan international.
En guise de conclusion, j'aborderai les questions politiques qui se posent
à nous et qui justifient le débat public, qui est un débat
social.
Tout d'abord, notre dispositif de sécurité sanitaire des aliments
a été profondément modifié au cours de ces
dernières années
La création de l'AFSSA a permis le développement d'un pôle
d'expertise. Elle a consacré la séparation de l'évaluation
et de la gestion des risques.
Je sais que le Directeur Général de l'AFSSA vous l'a
présentée ce matin. Il est parmi nous cet après-midi. Je
le salue chaleureusement.
Je le disais à l'instant, rarement une initiative parlementaire aura
été aussi couronnée de succès, rarement une
nouvelle structure administrative se sera imposée dans le paysage
administratif français avec autant d'autorité et de
respectabilité en si peu de temps. Je voudrais simplement
témoigner de l'utilité de la réforme et de la
création de cette AFSSA. Depuis sa création, le Gouvernement et
l'Administration ont pu bénéficier de cette expertise et des avis
scientifiques. Certains ont été fortement
médiatisés, mais la société et la transparence le
veulent (la crise de la dioxine, celle de l'ESB, celles de la listeria,
l'affaire Coca Cola) ; d'autres moins. L'AFSSA a su faire la
démonstration qu'elle avait sa place au sein du dispositif national et
c'est un très bon point.
J'ajoute -car cela fait souvent l'objet de débats- que l'AFSSA fait
aussi la preuve que la séparation entre l'évaluation et la
gestion du risque n'est pas purement théorique. Dans les relations au
quotidien qui existent entre le Gouvernement, les services de l'Etat et
l'AFSSA, la séparation de la gestion du risque par le politique et de
l'évaluation du risque par le scientifique est visible, pratique,
concrète, sans que, pour autant, elle n'aboutisse à un dialogue
de sourds, mais, au contraire, à un dialogue harmonieux et permanent. De
ce point de vue, la situation a très bien évolué.
Le Comité National de la Sécurité Sanitaire, qui est un
lieu d'échange et de coordination des travaux des différentes
agences sanitaires, doit permettre de replacer les risques alimentaires
(sanitaires ou nutritionnels) au sein des autres préoccupations de
santé publique. Avec ma collègue et amie Marylise Lebranchu, nous
assistons régulièrement aux travaux de ce comité,
placé sous la présidence de Dominique Gillot, et je crois que
c'est une très bonne chose.
Depuis l'adoption de la loi sur le renforcement de la veille sanitaire, de
nombreuses dispositions dans le domaine de la sécurité
alimentaire ont été retenues.
La loi d'orientation agricole de juillet 1999 a permis de renforcer le
dispositif de surveillance et de contrôle des différents maillons
de la chaîne alimentaire.
Ainsi, un dispositif de biovigilance est mis en place, qui permet aux agents de
la protection des végétaux d'observer les effets des organismes
génétiquement modifiés sur le milieu végétal
et animal (parasites, insectes...) environnant et de prendre les mesures de
police qui s'imposent. C'est un débat d'une très brûlante
actualité, sur lequel j'imagine qu'il y aura des questions.
Le contrôle de l'utilisation des pesticides, des conditions sanitaires
d'élevage
a été renforcé. Il en est de
même pour celui de l'utilisation des additifs et médicaments en
élevage et de l'alimentation animale.
Pour une meilleure maîtrise de la qualité sanitaire des aliments,
un dispositif d'épidémio-surveillance de la contamination des
aliments est mis en place. Il s'appuie sur un regroupement des données
issues des contrôles officiels et des auto-contrôles. Par ailleurs,
la traçabilité peut être imposée dans les
filières où cela apparaît nécessaire.
Tous ces points sont extrêmement positifs.
Enfin, le dispositif existant en matière de contrôle aux
frontières et sur le territoire national des aliments d'origine
animale
produits dans d'autres Etats membres de la Communauté
européenne ou importés de pays tiers est élargi aux
produits destinés à l'alimentation animale.
Le ministère de l'agriculture et de la pêche a organisé une
plus grande indépendance de ses services de réglementation et de
contrôle.
En premier lieu, la réorganisation de l'Administration centrale
sépare désormais la fonction d'animation économique de la
filière -j'allais dire la tutelle sur les industries agro-alimentaires-
qui est maintenant de la responsabilité de la Direction des politiques
économiques et internationales, et les aspects sanitaires, de sorte que
la Direction générale de l'alimentation réformée
est désormais consacrée exclusivement à la santé et
à la protection des animaux et végétaux et à la
sécurité et à la qualité des aliments. Cette
réforme, peut-être discrète, a modifié en profondeur
la vocation de la Direction générale de l'alimentation et en fait
à part entière une Direction de la sécurité
alimentaire.
En second lieu, les Services vétérinaires départementaux
et les Services régionaux de la protection des végétaux
des Directions régionales de l'agriculture et de la forêt (DRAF)
poursuivent activement leur mise en conformité avec la norme
NF EN 45004 fixant les " critères généraux
pour le fonctionnement des différents types d'organismes
procédant à l'inspection ", qui sera menée à
son terme en 2001.
Enfin, les résultats des contrôles sont désormais rendus
publics au fur et à mesure de leur synthèse. Une lettre
d'information mensuelle, intitulée " Notre Alimentation ",
fait le point sur l'actualité réglementaire et les
résultats des contrôles du ministère de l'agriculture et de
la pêche. Elle est actuellement imprimée à 10.000
exemplaires et adressée aux ambassades françaises à
l'étranger et aux ambassades étrangères en France, aux
familles professionnelles agro-alimentaires, aux associations de consommateurs,
aux écoles de la filière agricole et alimentaire, aux autres
administrations, à la presse ainsi qu'aux parlementaires.
Une réflexion sur ce point : dans le passé, souvent, le
ministère de l'agriculture et de la pêche a été, je
ne dirai pas accusé -encore que, parfois, cela prenait des formes
d'accusation- en tout cas taxé d'opacité. Je souhaite vivement
-et je crois que nous essayons d'en donner des exemples- que nous soyons un
ministère de la transparence et que l'ensemble de nos travaux soient
menés au grand jour, dans la plus grande transparence.
Nous faisons beaucoup d'efforts en termes de communication. Je disais à
David Byrne à l'instant, dans nos conversations sur l'évolution
des réglementations et des contrôles européens, que j'avais
pris notamment la décision qu'à chaque fois qu'il y aurait un
contrôle européen sur la situation française -parfois,
certains sont désagréables, ce qui pose presque le
problème éthique des rapports entre la Commission et les Etats
membres, un problème politique profond- et que ces rapports seraient mis
sur Internet, je mettrais aussitôt sur Internet toutes les
réponses de l'Administration française, y compris celles
désagréables pour l'Union. Après tout, il n'y a pas de
raison de nous laisser faire sans répondre, surtout quand des
accusations sont infondées.
Je crois surtout que, dans la société de transparence et de
médiatisation dans laquelle nous vivons, ceux qui veulent encore croire
que l'on peut retenir des informations ont perdu d'avance. Je voudrais ici
plaider aussi scrupuleusement que possible et avec le plus grand enthousiasme
pour la transparence et vous dire qu'en tout cas je fais tous mes efforts pour
que le ministère de l'agriculture et de la pêche s'organise dans
ce sens.
Les moyens consacrés par le ministère de l'Agriculture et de la
Pêche au contrôle de l'alimentation ont fortement progressé.
Ainsi, entre 1996 et 2000, les crédits de fonctionnement technique et
d'intervention, incluant les subventions à l'AFSSA (au CNEVA jusqu'en
1998), ont progressé de 31 %.
Malheureusement, l'augmentation des moyens humains n'a pas pu suivre le
même rythme puisque celui-ci n'a progressé que de 9 %, ce qui
reste, à mon sens, insuffisant.
La coopération entre services des différents ministères
est résolument engagée pour une meilleure identification des
responsabilités et une optimisation des actions.
Au niveau central, un protocole de coopération entre la Direction
générale de l'alimentation, la Direction générale
de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et
la Direction générale de la santé a été
signé en septembre 1999.
Ce protocole vise à optimiser les actions de l'Etat dans le domaine de
la sécurité des aliments, à optimiser
l'interministérialité, pour moi indispensable, par la mise en
place de procédures qui permettront aux directions
générales d'ajuster leurs domaines d'intervention, de coordonner
leurs actions et de partager l'information, notamment grâce à la
communication des résultats et les synthèses d'enquêtes.
Ce protocole, qui prévoit notamment la rédaction de notes de
service communes ou la programmation d'enquêtes conjointes, doit
être prolongé d'un jour à l'autre, d'une heure à
l'autre -peut-être même est-ce déjà fait au moment
où je vous parle- d'un protocole de communication
interministériel, qui renforcera encore plus notre efficacité.
Au niveau départemental, les services de l'Etat ont été
invités, depuis quelques années, à l'initiative et sous
l'autorité des préfets, à développer une
coopération interministérielle locale, notamment sous la forme de
pôles de compétences. Nous demandons aux préfets de
créer auprès d'eux un pôle de compétences
inter-services Sécurité des aliments, mettant en commun les
compétences et la pratique des directeurs départementaux de nos
trois administrations pour les habituer à travailler ensemble et pour,
surtout, les mettre en situation de réagir de manière efficace et
cohérente en cas de crise.
A ce stade, une trentaine de départements ont déjà
expérimenté dans le domaine de la sécurité
alimentaire la formule de ces pôles de compétences, qui
coordonnent l'action des Directions des services vétérinaires,
des Directions départementales de la concurrence, de la consommation et
de la répression des fraudes et des Directions départementales de
l'action sanitaire et sociale.
Je souhaite vivement -j'y encourage tous les préfets- que cette
trentaine de départements fassent des " petits ".
Les conclusions partielles et provisoires tirées en différentes
occasions ont confirmé l'intérêt de cette démarche
pour contribuer à la modernisation des services de l'Etat et atteindre
les objectifs visés.
J'évoquerai en second lieu les évolutions engagées aux
niveaux communautaire et international.
Les travaux internationaux prennent de plus en plus d'ampleur dans ce domaine.
Ils ne sont évidemment pas sans conséquences sur notre propre
réglementation.
La Commission européenne a publié, le 12 février dernier,
un Livre blanc sur la sécurité alimentaire, dans lequel elle
expose les évolutions réglementaires qu'elle entend proposer au
Conseil des ministres et au Parlement européen.
La proposition la plus importante, et en tout cas la plus symbolique, est sans
conteste la création d'une Autorité alimentaire
européenne, proposition que le Gouvernement français ne peut que
soutenir puisque, d'une certaine manière, il en est à l'origine.
Bernard Kouchner, avant de se rendre au Kosovo, alors ministre de la
santé, avait fait, au nom du Gouvernement, cette proposition.
La présidence portugaise a engagé un débat autour de ces
propositions. L'Autorité alimentaire européenne devrait se voir
confier l'évaluation des risques alimentaires.
Le Livre blanc de la Commission contient de nombreuses autres propositions
extrêmement attendues par le Gouvernement français : je pense
notamment au renforcement de la coopération administrative en
matière de développement et de mise en oeuvre de systèmes
de contrôle, mais aussi au renforcement du dispositif législatif
communautaire en matière d'alimentation animale ou d'hygiène des
aliments.
Je m'arrête un instant sur ce point des contrôles. Il pose un
problème politique fondamental y compris de philosophie de l'Union. Nous
ne pouvons pas accepter une seconde, pour l'avenir de l'Europe, que la
Commission, peu ou prou, se transforme en une sorte d'accusateur des Etats
membres. Ce n'est pas acceptable et ce n'est pas bon pour l'Europe. Ce n'est
pas ainsi qu'elle progressera. Quand, dans certains services de la Commission,
trop souvent on voit et on constate -parce que des fonctionnaires
français y travaillent- que l'obsession de la Commission est d'accuser
et de mettre en cause et en difficulté des Etats membres, je pense que
l'on fait erreur quant à la bonne marche de l'Europe.
La nouvelle Commission a des excuses. Elle n'est pas exactement comme
l'ancienne et essaie de tirer des leçons de certains errements du
passé. Elle est également sous le feu croisé du Parlement,
et un certain nombre de mises en cause qui se poursuivent ne sont pas toujours
faciles à vivre pour elle. Il n'empêche que je pense que nous
devons réviser complètement ce système de contrôles,
surtout quand les conséquences sont si lourdes, quand publiquement on
accuse des Etats membres et quand nous savons dans quelles conditions ont
été réalisés ces contrôles,
c'est-à-dire des conditions qui ne sont pas toujours d'une rigueur
absolue.
Ce problème est philosophique quant à l'avenir de l'Union et il
faut trouver les voies d'une coopération plus harmonieuse.
Au total, quelque 80 propositions ont été annoncées par la
Commission. Elles devraient être mises sur la table de manière
échelonnée, la Commission voulant disposer d'un corpus
législatif complet d'ici à trois ans pour assurer le niveau le
plus élevé possible de protection de la santé des
consommateurs en Europe.
Au niveau international, nous sommes encore loin de la création d'une
Autorité alimentaire mondiale. Le débat est néanmoins
engagé au sein de l'OCDE à la demande du G8, sur initiative
française.
L'OCDE a réalisé un panorama des systèmes de
sécurité alimentaire dans les différents pays de l'OCDE.
La France, comme l'Union européenne, est en faveur d'un prolongement de
ce travail dans deux directions : nous proposons, d'une part, la
création d'un groupe permanent chargé de l'information mutuelle
et de la coordination des politiques de sécurité alimentaire et,
d'autre part, de veiller à l'organisation de l'expertise scientifique.
Un mot, en conclusion, sur les perspectives.
Les évolutions du dispositif national de sécurité
alimentaire ont sans conteste permis une amélioration de la
sécurité alimentaire.
Par exemple, le nombre de listérioses a été divisé
par trois en dix ans, mais, quand une listeria est trouvée dans un
aliment, l'amalgame aidant, on parle de listériose, voire
d'épidémie, et l'ensemble des produits est mis en cause. Des
efforts considérables sont effectués par l'ensemble des
professionnels des filières. Et pourtant, jamais les consommateurs n'ont
autant douté de leur alimentation.
L'amélioration du dispositif de surveillance et d'alerte nous met face
à la question de la culture du risque, et, surtout, face à la
question de l'absence de culture du risque dans notre pays et pour nos
concitoyens. Ils souhaitent la transparence, mais, souvent, les informations ne
sont pas faciles à comprendre et à rationaliser.
L'acceptabilité des risques, c'est-à-dire la question " quel
risque est-on prêt à prendre pour pouvoir continuer à
manger des fromages au lait cru ou des charcuteries ? " -je pense
à l'interdiction des boyaux : ne faut-il pas défendre les
andouilles, les andouillettes, les boudins, les saucissons ?- et celle du
coût de la sécurité (quel prix est-on prêt à
payer pour réduire encore un peu plus les risques alimentaires ?)
conditionnent l'évolution de notre modèle alimentaire.
Il s'agit là d'interrogations profondément politiques. Leurs
réponses doivent s'appuyer sur un débat de société.
C'est pourquoi le Premier ministre, Lionel Jospin, a annoncé le
lancement des Etats généraux de l'alimentation qui vont, aux
niveaux local, régional, puis national, créer des lieux de
dialogue et de propositions sur ce sujet avant la fin de l'année.
Dominique Gillot, Marylise Lebranchu et moi-même avons récemment
invité le Conseil national de l'alimentation, qui regroupe tous les
partenaires de la filière alimentaire, des agriculteurs aux
consommateurs, à développer la concertation entre les
différents acteurs. Nous avons souhaité directement l'impliquer
dans la préparation des Etats généraux, ce qui, je crois,
est en train de se faire spontanément puisque l'ensemble de ces
partenaires ont décidé de faire une préparation commune de
ces Etats généraux, ce qui augure bien de la qualité du
débat dans les mois qui viennent.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Ministre, de cet exposé
très complet.
B. AUDITION DE MME DOMINIQUE GILLOT, SECRÉTAIRE D'ÉTAT À LA SANTÉ ET AUX HANDICAPÉS
M. LE
PRÉSIDENT - Je demanderai à Mme Gillot de bien vouloir, en
particulier, nous indiquer quels sont ses rapports avec les agences -nous avons
entendu leurs Directeurs généraux ce matin- notamment dans la
gestion des crises, et les relations avec les médias, qui ont
quelquefois un rôle tout à fait important dans le relais de vos
propos, positions et appels.
Mme Dominique GILLOT - Monsieur le Président, je réaffirme,
à la suite de Jean Glavany, avec qui nous travaillons très
régulièrement sur ces questions, que la sécurité
sanitaire fait partie des priorités annoncées par le Premier
ministre lors de l'installation de son gouvernement en juin 1997. Il faut
toujours avoir cela présent à l'esprit.
Cette exigence de sécurité sanitaire nous oblige à
développer une culture commune de sécurité sanitaire qui
répond en écho à l'interrogation de Jean Glavany sur la
culture du risque, que l'on devrait aussi développer ou que seraient
capables d'assumer nos concitoyens. Nous devons être vraiment conscients
que les Français sont maintenant mieux informés, mieux
formés par rapport aux risques qu'ils acceptent de subir ou de vivre, en
fonction des exigences de sécurité sanitaire qui sont les
nôtres et de l'évolution des découvertes scientifiques et
des moyens dont nous disposons pour maîtriser ces risques. C'est à
la fois une grande avancée, mais aussi une contrainte très forte
de la responsabilité politique.
Cette volonté politique majeure s'est concrétisée,
grâce à l'initiative de votre Haute Assemblée et avec
l'appui unanime du Parlement -il est assez rare qu'une loi soit votée
à l'unanimité par les deux Assemblées- par la loi du
1
er
juillet 1998 relative au renforcement de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des
produits destinés à l'homme.
Sa mise en application n'a pas tardé, puisque le dispositif s'est mis en
place avec des moyens conséquents dès le budget 1999. L'Agence
Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, dont Jean
Glavany a salué la présence du Directeur dans la salle, a
été opérationnelle dès ses premières
semaines d'existence, en mars 1999, avec une organisation tout d'abord
provisoire, tant en ce qui concerne l'organisation interne que le
fonctionnement des comités d'experts, réunis très
régulièrement par cette Agence.
Et pourtant, en un an, un travail considérable a déjà
été accompli. L'actualité de ces derniers mois ne l'a
d'ailleurs en rien ménagé, qu'il s'agisse de la dioxine, de l'ESB
ou encore de la listériose, ou même des conséquences de la
marée noire. Les avis de l'Agence sont très souvent
sollicités et ont concerné aussi bien :
- l'évaluation des risques sanitaires consécutifs à
des situations de contamination avérées ou potentielles,
- que des textes réglementaires permettant de faire face à
ces risques,
- ou encore la préparation de discussions communautaires,
- ou la transposition en droit français de décisions
communautaires.
Nous voyons bien, chaque fois que nous sommes amenés, aujourd'hui,
à prendre des décisions en matière de
sécurité sanitaire, que l'avis de l'AFSSA est sollicité et
que c'est un élément de référence et d'appui de la
décision politique.
En 2000 et en 2001, l'AFSSA doit mettre en place son organisation
définitive. Elle doit se charpenter sur le plan administratif et
technique pour coordonner l'action des différentes structures qui la
composent et renforcer sa capacité d'évaluation et de
coordination de l'expertise extérieure qu'elle mobilise et est capable
de mobiliser à la demande et en fonction de l'actualité. Elle
doit également renforcer son indépendance à l'égard
des acteurs économiques (entreprises, organisations professionnelles).
C'est une responsabilité que nous partageons vis-à-vis d'elle.
Pour cela, et dans le cadre de la montée en charge de l'Agence,
l'engagement financier de l'Etat doit être réaffirmé
année après année, et notamment en 2001.
L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de
Santé
(AFSSAPS), ancienne Agence du Médicament, dont le
Directeur est aussi présent dans la salle et que je salue, quant
à elle, s'est vu confier par la loi du 1
er
juillet 1998
de nouvelles missions : le contrôle des dispositifs médicaux,
la vigilance des produits sanguins et dérivés du sang, les
produits cosmétiques.
L'année 1999 a vu l'Agence intégrer de nouvelles équipes,
dont certaines en provenance de la Direction des hôpitaux, de l'Agence
française du sang ou de la DGS, tout en maintenant l'activité
générale et en développant des actions spécifiques
dans le domaine du médicament. A la fin de l'année 1999,
l'ensemble des recrutements prévus avaient été
réalisés, ce qui représente une performance tout à
fait intéressante et à la mesure de la mission de cette Agence,
sur qui reposent aussi de nombreuses et lourdes responsabilités.
Pour l'année 2000, cinq catégories d'objectifs ont
été fixées à l'Agence :
- la poursuite des actions dans le domaine du médicament, qui
constitue son activité principale (autorisations de mises sur le
marché, autorisations temporaires d'utilisation et
pharmacovigilance) ;
- le développement de la prise en charge des nouveaux produits et
des nouvelles missions : sécurité des dispositifs
médicaux, des produits sanguins et dérivés du sang, des
produits cosmétiques ;
- le développement des actions transversales en vue d'harmoniser
les évaluations entre les différents produits ;
- la consolidation de la présence et de l'implication
communautaires de l'Agence, qui est une référence au niveau
européen, voire international ;
- l'adaptation de l'administration et des procédures de gestion de
l'établissement à ses nouvelles missions.
Pour 2001, l'Agence devra assurer la montée en charge de ses nouvelles
activités et en particulier atteindre, pour la sécurité
sanitaire des dispositifs médicaux, le niveau de développement
des meilleures structures européennes en termes aussi bien de vigilance
que de surveillance du marché. Il nous faut, sur ce sujet, être
moteur, comme nous l'avons été pour les réactifs de
laboratoire. C'est notre objectif. Je suis convaincue que l'Agence se donnera
les moyens de l'atteindre.
2001 sera également la première année où les
critères et les méthodes d'évaluation prenant en compte le
service médical rendu seront utilisés de façon
systématique pour la prise en charge par l'assurance maladie des
dispositifs médicaux inscrits au TIPS, lui-même en instance de
révision afin de mieux répondre aux besoins des usagers.
En ce qui concerne l'Institut de Veille Sanitaire -là aussi, je salue la
présence de son Directeur dans la salle ; on voit bien que ces
Hauts fonctionnaires sont particulièrement attachés à la
réflexion nationale sur les missions qui leur ont été
confiées- la montée en charge depuis 1997 a été
très importante : l'effectif est passé de 50 personnes
à 140 cette année ; le budget a suivi la même
progression et a plus que doublé dans la même période.
L'activité de l'Institut de Veille Sanitaire depuis sa mise en place, en
mars 1999, a été marquée par le souci de faire face aux
menaces et urgences de santé publique. A ce titre, on peut rappeler le
rôle important de l'IVS dans le cadre des deux épidémies
les plus récentes de listériose, mais aussi de
l'épidémie de méningite qui a sévi parmi les
pèlerins et leur entourage de retour de la Mecque.
Mme Nelly OLLIN - Nous avons trois cas actuellement dans ma ville.
Mme Dominique GILLOT - Ils sont soignés, j'espère ?
Mme Nelly OLLIN - Quelle question, Madame Gillot !
Mme Dominique GILLOT - Ces épidémies de listériose ont
été l'occasion de démontrer la qualité de
l'expertise en épidémiologie de l'Institut et sa capacité
d'intervention dans ce domaine, en coordination avec les administrations des
ministères concernés et notamment la sous-direction Veille
sanitaire de la Direction générale de la santé, le Centre
national de référence et d'autres experts dont ceux de l'AFSSA.
Elles ont également permis de faire progresser notre culture commune en
termes de gestion et de communication face au risque sanitaire, notamment quand
il s'agit de prendre en compte, dans la décision, des données
d'origine épidémiologique. A ce titre, après concertation
fructueuse, un protocole de communication commun entre nos trois
ministères -Jean Glavany l'a évoqué dans son intervention-
sera publié et diffusé dans les prochains jours aux
préfets en fonction de l'arbitrage opéré sur cette
question.
Au plan environnemental, l'Institut ne reste pas non plus inactif puisque nous
l'avons vu mettre en place :
- une surveillance des effets sanitaires de l'éclipse solaire
d'août 1999. C'est la première fois que, pour une séquence
de cette nature, nous avons des éléments d'observation des
conséquences sur la population. C'est un fait qui marquera l'histoire de
l'épidémiologie ;
- une surveillance des effets sur la santé de la population
après les inondations dans l'Aude : au-delà des effets
directs des inondations, comment la population réagit à un
traumatisme de cette nature ? Cela fait l'objet d'une surveillance
épidémiologique ;
- et, dernièrement, une surveillance des effets à court
terme et l'appréciation des effets à long terme pour les
bénévoles ayant dépollué les plages après le
naufrage de l'ERIKA.
L'activité de l'Institut de Veille Sanitaire s'est également
concentrée sur la connaissance de l'état de santé des
Français. Outre l'élément clé que constitue la
surveillance de la déclaration obligatoire des maladies, d'autres
surveillances systématiques ont été mises en place :
cancers, pathologies liées à l'amiante, phénomènes
de santé liés à la pollution atmosphérique. Afin de
mobiliser les partenariats nécessaires pour le développement d'un
réseau de veille efficace sur l'état de santé de la
population, l'Institut de Veille Sanitaire a entamé une réflexion
de fond dans le cadre de l'élaboration d'un contrat d'objectifs et de
moyens pour la période 2001-2003, de façon à fixer des
objectifs clairement établis et qui mobiliseront les moyens à cet
effet.
En ce qui concerne les priorités de l'Institut, Martine Aubry et
moi-même avons récemment missionné son Directeur
Général, le Professeur Drucker, pour qu'il :
- poursuive son action dans le domaine des maladies infectieuses en
l'étendant aux infections nosocomiales et à la lutte contre le
développement des résistances aux antibiotiques, ce qui nous
aidera aussi, au moment de la présidence française de l'Union
européenne, puisque c'est un des sujets que nous partageons avec la
Communauté ;
- développe la surveillance et l'investigation des risques
sanitaires liés à l'environnement : l'activité de
l'Agence Sanitaire de l'Environnement qu'il est projeté de créer
pourra s'appuyer sur cette surveillance ;
- mette en place l'évaluation du risque nutritionnel en
articulation avec le travail de l'AFSSA.
Enfin, l'Institut de Veille Sanitaire doit continuer à développer
des actions en matière de surveillance des risques liés au
travail et des maladies chroniques.
Par ailleurs, il lui faut toujours renforcer les partenariats avec les
différents acteurs de la veille sanitaire : Directions
départementales de l'action sanitaire et sociale, Observatoires
régionaux de la santé, Registre de surveillance du cancer, INSERM
(causes de mortalité), réseaux sentinelles (surveillance des
troubles liés à la toxicomanie ou aux maladies infectieuses
subites).
Enfin, nous souhaitons qu'il nous précise sa stratégie de
développement dans le cadre européen.
Personnellement, j'ai souhaité engager une réflexion sur le
rôle de l'Institut de Veille Sanitaire en matière d'information du
public face au risque sanitaire. En effet, nous avons constaté, au cours
des différentes séquences de crises sanitaires, que, comme vous
le disiez, Monsieur le Président, quelquefois, les relais
médiatiques ne sont, ni à la hauteur, ni complètement dans
la vérité de la communication à apporter.
Le Haut Conseil de santé publique est aussi en charge actuellement,
à la suite de mon initiative, d'une réflexion sur le lien
à avoir avec les médias et les différents vecteurs de
communication pour que, dans la transparence que nous recherchons, que nous
devons à nos concitoyens pour développer cette démocratie
sanitaire à laquelle nous sommes très attachés, nous ayons
une pratique de communication qui fasse que nos concitoyens s'habituent
à des informations qui peuvent les troubler ou les inquiéter
actuellement, mais qui doivent faire partie de leur responsabilité et de
l'élévation de leur niveau d'information.
Par ailleurs, vous m'interrogiez sur les relations que nous entretenons avec
les différentes agences. Nous avons un travail extrêmement
régulier et serré puisque, tous les quinze jours, l'ensemble des
directeurs d'agences se réunissent autour de moi, avec la Direction
générale de la santé, la Direction des hôpitaux,
pour évoquer, ensemble, l'actualité et mutualiser nos
informations et réflexions. C'est un moment fort de partage
d'informations et de définition de méthodes pour aborder les
différentes crises.
Vous le savez, l'articulation de l'ensemble de ce dispositif a également
été prévue par la loi du 1
er
juillet 1998. Le
Comité national de sécurité sanitaire se réunit
régulièrement, tous les quatre mois à peu près,
depuis juin 1999. Son rôle est essentiel il nous permet de
développer cette culture commune de gestion du risque sanitaire à
laquelle nous aspirons, de valoriser, de réinvestir l'expérience
des crises passées. Il doit également coordonner les politiques
scientifiques des agences et permettre de dégager une
méthodologie de gestion des crises.
Son objet principal est de nous faire progresser " à froid ".
Il est le lieu d'impulsion de politiques scientifiques cohérentes, le
lieu d'une réflexion commune sur les risques émergents ou mal
évalués, sur les enseignements à tirer de la gestion des
risques sanitaires. Ainsi, l'étape de retour et de partage
d'expérience que constitue l'étude rétrospective des
crises récentes nous est très précieuse, et nous y tenons
beaucoup.
De nombreux thèmes y ont déjà été
abordés, qui nous ont fait progresser et mettre au point un certain
nombre de protocoles de fonctionnement.
Des groupes de travail ont été mis en place au sein du
comité. Ils sont présidés par des experts renommés
et reconnus internationalement. Après un premier bilan fin 2000, ils
nous feront des propositions sur :
- l'estimation quantitative des risques en situation d'incertitude ;
- les critères, méthodes et procédures
utilisés dans le processus de décision pour assurer la
sécurité sanitaire ;
- les modalités pour identifier les priorités de
sécurité sanitaire, les risques émergents et même
non avérés.
Vous le voyez, en relativement peu de temps, au regard des habitudes mais aussi
des enjeux, la mise en place du dispositif de sécurité sanitaire
nous a fait progresser ensemble vers une culture plus affirmée en termes
d'appréciation et de gestion du risque sanitaire.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Madame la Ministre.
C. AUDITION DE MME MARYLISE LEBRANCHU, SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉE DES PME, DU COMMERCE, DE L'ARTISANAT ET DE LA CONSOMMATION
Mme
Maryse LEBRANCHU - Je vais essayer de ne pas reprendre ce qu'ont
déjà dit mes deux collègues sur l'ensemble des outils que
nous avons en commun. Leur satisfaction est partagée. Je vais me situer
sur le champ qui est le mien, c'est-à-dire celui des consommateurs, bien
qu'il s'agisse forcément du même champ puisque le sujet est
identique. J'évoquerai un peu plus les produits, sachant que, sur la
sécurité sanitaire des aliments, tout a été dit par
Jean Glavany et Dominique Gillot.
J'ajoute simplement à ce sujet que je reste persuadée aujourd'hui
qu'il faut, bien sûr, maîtriser de manière plus globale la
communication, mais que nous n'échapperons jamais à des
médiations par à-coups. J'en veux pour preuve, tout à
l'heure, une question d'actualité sur la sécurité
sanitaire des aliments sur les marchés de plein vent, extrêmement
intéressante à la fois parce qu'elle correspond à une
culture de notre pays et parce que le texte dont il s'agit a cinq d'existence
et qu'au bout de cinq ans on découvre tout d'un coup qu'un texte existe
et implique les mêmes normes de sécurité sanitaire des
aliments aux produits vendus sur les marchés et aux produits vendus dans
d'autres sites, comme s'il existait des sécurités sanitaires des
aliments différentes selon les lieux de vente.
Il est intéressant de voir à quel point la médiatisation
joue un rôle important et qu'il faut la maîtriser. C'est pourquoi
d'ailleurs -Dominique Gillot évoquait la façon de maîtriser
la situation- l'Institut national de la consommation, un des outils dont on
connaît peu l'importance en dehors de ses publications, pourrait
être et devra être encore plus qu'il ne l'est aujourd'hui un centre
de ressources permettant à toutes les informations que viennent
d'évoquer Dominique Gillot et Jean Glavany d'être à la
disposition des associations de consommateurs pour qu'elles puissent les
consulter et demander éventuellement des comptes rendus d'expertise
s'ils n'existent pas, mais aussi à la disposition des médias,
souvent demandeurs d'informations en amont de l'actualité pour essayer
de charpenter l'information qui va être donnée.
C'est un vrai sujet. Nous avons pu constater, au détour d'un certain
nombre de crises dites " alimentaires " récemment, que les
consommateurs eux-mêmes avaient des attitudes ne correspondant pas
à la maîtrise optimale du risque, notamment par rapport aux
réfrigérateurs, à l'utilisation des dates limites de
consommation, etc. Tout cela mérite un travail, au-delà de celui
que nous réalisons, j'espère mieux aujourd'hui qu'hier, sur les
outils de communication et d'information des consommateurs.
Mais il faut aller jusqu'aux produits. Il échappe peut-être
à beaucoup que la majorité des entreprises ont tout
intérêt à ce que leurs produits soient de qualité,
puisque le marché dépend du consommateur, heureusement, et que
celui-ci peut -d'ailleurs, il le fait ; nous l'avons vu largement pour des
produits y compris non incriminés par des crises récentes- avoir
un comportement mettant à genou les entreprises en question. Donc, elles
ont un intérêt commun avec nous à vendre des produits de
qualité. Elles essaient de le faire de manière constante, ce qui
n'exclut pas -et c'est important à rappeler puisque mes deux
collègues ne l'ont pas fait- que, dans l'ensemble des appareils de
production, nous pouvons avoir affaire à des personnes ayant des
pratiques délictueuses, frauduleuses. Il faut rappeler qu'avec notre
collègue de la Justice, s'agissant des délits et fraudes, nous
serons toujours aussi durs et y compris violents dans le langage et dans la
mise en accusation parce qu'il est évident que des pratiques de ce type
entachent l'ensemble de la vie d'entreprises qui, elles, se comportent
très bien. Il faut quelquefois le rappeler, y compris quand on parle de
sécurité.
Il faut ajouter que les choses vont changer. Vous m'avez interrogée sur
le rôle des agences. Je salue le fait que l'évaluation du risque
soit séparée de la gestion. Il est important que
l'évaluation du risque soit totalement indépendante et
transparente, mais il est important aussi qu'à l'intérieur des
agences, et en particulier de l'Agence de Sécurité Sanitaire des
Aliments, l'on puisse se poser des questions sur les risques à venir.
Nous sommes dans la gestion des risques connus et identifiés. L'Agence
doit bien sûr nous aider dans les protocoles de surveillance des risques
connus, mais doit aussi consacrer du temps et de l'énergie à
l'anticipation des risques, y compris sur les comportements. L'anticipation des
risques est sûrement ce qui a toujours le plus manqué et ce que
l'Agence peut faire, y compris d'ailleurs dans sa collaboration avec la future
Agence européenne. Je pense que les pays européens ont tout
intérêt à se mettre d'accord sur, bien sûr,
l'évaluation et la gestion des risques connus, mais aussi sur
l'anticipation des risques pour éviter que l'on ne passe d'une
évaluation juste des risques à une évaluation
fantasmatique des risques. Je ne veux pas parler du téléphone
portable, bien qu'il y aurait sûrement à dire sur ce type de
produit, mais je reste persuadée aujourd'hui que, plus on parlera
d'anticipation des risques, mieux on gérera le rapport du consommateur
aux produits.
Sur ce point de la collaboration entre producteurs, distributeurs et
autorités nationales et européennes, je voudrais, en second lieu,
souligner l'évolution prochaine des obligations imposées aux
opérateurs économiques et introduites par la modification de la
Directive sur la sécurité générale des produits,
qui constitue l'une des priorités de la présidence
française. Une obligation de signalement sera mise à la charge
des producteurs et des distributeurs, qui seront tenus d'informer les
autorités lorsqu'ils constateront qu'un produit qu'ils mettent sur le
marché est dangereux et, plus généralement, les
opérateurs seront tenus de collaborer avec des services de
contrôle, notamment pour gérer les crises.
Je pense que c'est une attitude intéressante qui est appelée par
la directive européenne en préparation, qu'il faudra que nous
transposions, parce que le fonctionnement du système de notification
d'alerte communautaire sur les produits dangereux sera modifié : il
sera plus efficace et, pour nous, plus facilement communicable aux tiers.
Je rejoins ce que disait Jean Glavany sur l'attitude qui pourrait être
celle de la Commission. Lorsque nous aurons ce texte, l'ensemble des pays
européens sera soumis aux mêmes règles d'alerte
communautaire, avec les mêmes systèmes de gestion. Nous pourrons
alors évaluer ce qui peut être un comportement trop lent de la
part d'une autorité nationale. Je pense qu'à ce niveau,
aujourd'hui, nous sommes plutôt parmi les meilleurs, et il est vrai qu'il
est un peu délicat d'entendre des mises en accusation dues au fait que
nous avons pris l'habitude de publier tous les dysfonctionnements que nous
constatons, ce qui nous rend, bien sûr, plus vulnérables. Mais je
préfère appartenir à un pays vulnérable parce qu'il
publie tous ses propres dysfonctionnements plutôt qu'appartenir à
un pays qui ne les publie pas pour ne pas devenir vulnérable. C'est un
choix que nous avons fait après le vote unanime au Parlement du texte
évoqué tout à l'heure. C'est une belle illustration.
Le réseau d'alerte et les mesures volontaires des opérateurs
économiques vont aussi évoluer. Nos services de contrôle
travaillent actuellement avec l'ensemble des entrepreneurs qui le souhaitent
pour anticiper cette évolution. On a trop parlé peut-être
de sécurité alimentaire, même si c'est fondamental et qu'il
faut en parler tous les jours, et peut-être un peu oublié la
sécurité liée aux produits. Il faut faire attention aussi,
dans ce pays, à ce que ce qui a été
considéré comme des crises majeures -et qui le sont- ne fasse pas
oublier que des produits peuvent être mis en circulation qui blessent,
éventuellement rendent malade et peuvent provoquer des allergies.
C'est pourquoi je voudrais ajouter à ce qui a été dit que
la sécurité sanitaire passe par la sécurité
générale des produits et pas seulement par la
sécurité des aliments. C'est là où je voudrais que
les choses soient clairement réaffirmées parce qu'en particulier
la Commission de sécurité des consommateurs,
présidée par Michèle Védrine, montre bien que ce
travail aujourd'hui réalisé sur les produits reste plus
confidentiel ; et pourtant, lorsqu'il s'agit de protéger les
enfants qui vont faire du ski en classe de neige en leur donnant
désormais des casques qui ne les blessent pas et les protègent
réellement, lorsqu'il s'agit de protéger avec ces mêmes
casques les enfants qui font du roller ou d'empêcher les enfants de se
noyer par des bouches d'aspiration des piscines, nous sommes dans la
sécurité sanitaire à court terme. On a peut-être un
peu trop tendance à l'oublier. Je rappelle qu'un certain nombre de faits
ont été notés par cette Commission de
sécurité des produits et que nous avons pu découvrir que
des teintures ou des produits de traitement des tissus étaient largement
facteurs d'allergies, autant que l'absorption d'air pollué ou de
nourriture traitée.
Tout cela est à mettre sur le même rang. Il ne faudrait pas que
notre rapport très privilégié à l'alimentation nous
fasse oublier l'ensemble des problèmes de santé que peuvent avoir
nos concitoyens.
Sur ce sujet aussi, je rappelle qu'en France nous avons un outil
important : le Conseil National de la Consommation, auquel d'ailleurs, et
Jean Glavany, et Dominique Gillot ont bien voulu rendre visite pour poser un
certain nombre de questions communes que nous partagions. C'est un lieu
où se rencontrent de manière formelle les consommateurs et
l'ensemble des professionnels. C'est une institution à laquelle le
Gouvernement, via le ministre de l'économie et des finances et le
secrétaire d'Etat à la Consommation, confie des mandats sur des
sujets difficiles ou compliqués : je pense à une
première recherche sur les OGM qui n'a pu déboucher, l'ensemble
des connaissances scientifiques ne le permettant pas, mais aussi à ce
qui a pu être fait sur la sécurité alimentaire ou un
certain nombre de cas de sécurité des produits.
Nous sommes face à un pays organisé, à l'intérieur
duquel il me plaît de rappeler qu'est important le fait que, sur la
sécurité alimentaire comme sur la sécurité des
produits, nous gardions en commun la même culture de protection et de
gestion du risque, mais aussi de maîtrise du risque et
d'évaluation partagée du risque, et que nous gardions aussi des
cultures différentes. Il est important que les administrations
conservent leur propre culture et que celle dont j'ai en partie la charge, avec
Laurent Fabius, la DGCCRF, puisse avoir cette culture de surveillance en
direction des consommateurs, parce que le croisement des cultures fait la
richesse des échanges.
Ce qui a été dit tout à l'heure sur les pôles de
compétences départementaux montre que l'ensemble de nos services
ont progressé lorsque ces pôles existent. Donc, je rejoins aussi
ce qui a été demandé par Jean Glavany et Dominique Gillot
aux préfets. Il me semble que les pôles de compétences
devraient être rapidement présents sur tous les
départements, sans oublier que, sur les opérations de vacances,
par exemple, d'autres administrations doivent nous rejoindre : je pense en
particulier à l'Administration des douanes, qui a un rôle
important à jouer parce que nous sommes sur un marché
au-delà de l'Europe. Elle doit toujours avoir cette culture de
protection du consommateur lorsque, faisant des contrôles, elle a
à prévenir à la fois ceux en charge de la santé, de
l'agriculture ou de l'industrie de ce qu'un produit défectueux circule
dans notre pays.
Il faut sûrement, maintenant, apprendre à communiquer sur les
risques parce qu'il me semble que la trop grande médiatisation d'un
certain nombre de risques, même maîtrisés, laisse dans
l'ombre d'autres risques qui, malheureusement, provoquent des morts en direct.
Je reste persuadée que la communication doit être permanente.
C'est pourquoi le travail qui, sans doute reste à faire, rappelé
par mes deux collègues dans leur secteur, consiste à voir comment
faire en sorte qu'avec les associations de consommateurs, l'on puisse rendre
ces derniers vigilants en permanence, et pas seulement au moment d'une crise.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Madame la Ministre. Les rapporteurs ont sans
doute quelques questions à poser, mais M. Jean Glavany est
obligé de nous quitter...
M. Charles DESCOURS - Merci aux ministres de leurs communications et de leurs
propos aimables sur la loi que nous avons fait voter.
Je voudrais poser rapidement trois questions.
Reste le problème de communication. J'ai entendu évoquer un
protocole de communication. Mon propos n'est pas du tout de critiquer, mais
force est de constater que, pour le moment, chère Madame Gillot, avec
M. Glavany, vous ne vous rejoignez pas toujours. Là, j'ai cru
comprendre -mais je le dis sans aucune agressivité- qu'entre
Mme Voynet et M. Glavany, sur les 600 hectares de colza
transgénique, il y avait eu un petit " couac ".
C'est important. L'opinion est extrêmement sensible à tous ces
aspects. Si elle a l'impression que les responsables ministériels ont
des avis différents, cela accroît son inquiétude.
Au-delà de la critique, je crois qu'il faut essayer, avec l'avis des
experts, d'avoir une position ministérielle aussi précise que
possible, pour éviter d'ajouter l'inquiétude à
l'inquiétude, et quelquefois créer de l'inquiétude
là où elle n'est pas justifiée. Sur les OGM, je ne suis
pas sûr qu'il existe un très grand risque. En tout cas, sur les
600 hectares, je serais plutôt de l'avis de M. Glavany que de
Mme Voynet...
Une question peut-être à Mme Gillot : comment
coordonnera-t-on l'action de la future Agence Sanitaire de l'Environnement avec
celle des autres agences ? Claude Huriet sera le rapporteur au
Sénat quand le Gouvernement inscrira cette question à l'ordre du
jour. Des missions nous semblent redondantes avec les agences en place. Certes,
le croisement des cultures fait la richesse. Mais si ces agences de
sécurité sanitaire ont été créées,
c'est que nous avions l'impression aussi que trop de structures travaillaient
en parallèle, en tuyaux d'orgue, et que, justement, toutes
compétentes dans leur domaine, il fallait les faire travailler ensemble.
J'ai écouté ce qu'ont dit M. Glavany et Dominique Gillot
à propos des préfectures. Je crois qu'il faut se garder de dire
que tout est formidable. Nous ne voudrions pas que l'on continue à
travailler en parallèle et un peu en s'ignorant. En créant les
agences, nous avons voulu que tout le monde travaille ensemble au sein d'une
même structure.
M. Claude HURIET - J'ai quatre questions à poser.
La première concerne le Comité National de la
Sécurité Sanitaire auquel vous avez fait référence.
J'ai été très inquiet lorsque j'ai lu, il y a quelques
mois, que ce comité national avait créé des groupes de
travail dont l'un avait pour mission de travailler sur l'évaluation des
risques sanitaires faibles tels que l'exposition à la dioxine. Que
devient ce Comité National de la Sécurité Sanitaire ?
Dans la conception du législateur, il n'était pas du tout
envisagé qu'il institue en son sein des groupes d'étude pouvant
se substituer aux structures expertes des agences.
La deuxième question concerne l'article L. 794-1 de la loi, qui
prévoit le transfert des laboratoires des services de l'Etat
chargés du contrôle de la sécurité sanitaire des
aliments et des laboratoires rattachés. C'est donc une volonté du
législateur. Nous serions intéressés de savoir quand les
décrets d'application seront publiés.
La troisième question concerne l'avenir de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Aliments. Celle-ci a des fonctions
exclusivement d'évaluation. Or, l'Autorité alimentaire
indépendante européenne, telle que le Premier ministre l'a
évoquée l'autre jour, est considérée comme une
structure d'évaluation et d'expertise au niveau européen. Peut-on
concevoir la superposition d'une structure d'évaluation à
l'échelon européen et le maintien d'une structure nationale ayant
pour seule mission l'évaluation ? Il est peut-être un peu
tôt pour apporter une réponse, mais sachez que cela fait partie de
nos interrogations.
Enfin, les comités d'experts prévus pour travailler au sein de
l'Agence sont, dit la loi,
" désignés par le ministre sur
proposition du Directeur Général de l'Agence ".
Un des
intervenants de ce matin : le Président de l'ANIA, a
souhaité que la mise en place de ces comités d'évaluation
soit accélérée, d'où la question que je pose,
peut-être mal venue de la part du législateur : ne serait-il
pas plus simple que ces comités d'experts soient directement
nommés par le Directeur Général de l'Agence ?
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Une question me tient à coeur depuis
que nous avons fait ce travail législatif sur les agences et l'Institut
de Veille Sanitaire : ne croyez-vous pas qu'il aurait été
plus lisible et sans doute plus efficace, en termes d'affichage, compte tenu du
souci en matière de sécurité sanitaire, de
considérer, soit qu'il devait y avoir une seule agence sanitaire prenant
en compétence à la fois le champ alimentaire et celui des
produits de santé, soit tout au moins que les deux agences soient
placées sous la responsabilité du ministre ou du
secrétaire d'Etat à la Santé ? Il me semble qu'en
termes d'affichage du souci qui nous a guidés dans ce travail
législatif, il aurait été intéressant que le
ministre de la Santé prenne en charge et en tutelle au moins les deux
agences, sinon n'en constitue qu'une seule.
Mme Dominique GILLOT - A propos de la communication, effectivement, il a pu
apparaître une divergence d'appréciation sur quoi et comment
communiquer, notamment sur la dernière épidémie de
listériose, entre le ministre de l'Agriculture et moi-même.
Nous nous sommes trouvés dans une situation différente des autres
situations de crise de listériose : nous avions une
épidémie avérée, avec une vingtaine de cas et
plusieurs constats de décès, et pas d'informations
bactériologiques identifiant le produit. En revanche, nous avions un
champ d'investigation précisant quel type de produit pouvait être
responsable.
Au bout de quelques jours, nous avons eu un retour d'étude
épidémiologique indiquant très précisément
la nature de l'aliment responsable de cette épidémie.
L'épidémiologie est une science basée sur la
probabilité et la statistique, mais elle est fiable à 95 %
et, dans le retour d'expérience, elle n'a jamais été
démentie par une étude bactériologique.
Etant en possession de cette information désignant à coup
sûr l'aliment responsable de l'épidémie de
listériose, il me paraissait important de faire connaître cette
information, utile à la santé de nos concitoyens, pour les
avertir que la langue de porc en gelée était l'aliment ressortant
de toutes les enquêtes alimentaires comme responsable de l'intoxication.
C'était une nouvelle façon de communiquer, en rupture avec les
précédentes. En effet, jusqu'alors, il était entendu que
c'étaient les résultats bactériologiques qui permettaient
de désigner un produit générique, mais aussi un produit
identifié avec sa marque. Cela a fait l'objet d'une discussion. Quand
nous disons que nous travaillons et progressons régulièrement
dans la concertation, cet épisode a été un moment fort de
discussion entre nous. Il a fait l'objet d'un retour d'expérience et
d'analyse en interministériel il y a quelques semaines qui a permis
d'acter que, dans ces cas-là, les renseignements
épidémiologiques obtenus, dès lors qu'ils étaient
intéressants pour la santé publique, devaient être
portés à la connaissance de nos concitoyens.
Donc, une première étape a pu apparaître comme un
élément discordant, mais elle a été vécue
comme un élément d'affirmation d'une meilleure maîtrise et
d'une plus grande responsabilité vis-à-vis de la
sécurité sanitaire. Cet élément et son analyse ont
été intégrés dans l'élaboration du protocole
de communication que nous évoquions tout à l'heure et qui va
être transmis incessamment aux préfets.
La question que vous posez sur l'Agence Sanitaire de l'Environnement me semble
trouver sa réponse tout naturellement dans la loi de 1998. C'est le
Comité National de Sécurité Sanitaire qui est le lieu de
coordination de toutes les agences de sécurité sanitaire.
L'Agence de Santé Environnementale, quand elle sera créée,
trouvera sa place au sein du Comité, où elle participera, au
même titre que les autres, à la réflexion au niveau
national.
Quant à votre inquiétude sur la création des trois groupes
au sein du CNSS, je tiens à vous rassurer, Monsieur le
sénateur : il ne s'agit pas de groupes de travail qui se
substitueraient aux agences, mais de groupes créés à
l'intérieur du Comité national, faisant appel à trois
experts renommés.
Le premier groupe est chargé d'un travail sur les critères,
méthodes et procédures utilisés dans les processus de
décision pour assurer la sécurité sanitaire. Il est
présidé par M. Setbon, chercheur au CNRS, sociologue
réputé pour ses analyses comparatives dans le domaine de la
transfusion sanguine.
Le deuxième groupe mènera ses travaux sur l'estimation
quantitative des risques en situation d'incertitude. Il est
présidé par Philippe Hubert, chef de service d'évaluation
et de gestion des risques à l'IPSN, spécialiste de
l'évaluation quantitative des risques.
Le troisième groupe travaillera sur les priorités de
sécurité sanitaire et prospectives. Il est confié à
M. le Professeur Alfred Spira, professeur en santé publique.
M. Charles DESCOURS - Vos explications ne nous rassurent pas.
Mme Dominique GILLOT - Ces groupes sont constitués à
l'intérieur du Comité pour faire des propositions, dans quelques
mois, sur des méthodes de réflexion et des aides à la
décision dans les domaines ou secteurs identifiés. Ils mobilisent
des membres du Comité sans se substituer aux agences, qui restent
compétentes dans leur secteur de responsabilité.
Vraiment, je ne vois pas en quoi ceci peut vous inquiéter. Il s'agit
d'un travail de fond mené dans le cadre du CNSS et non d'un travail de
décision ni de substitution des responsabilités des agences.
Mme Marylise LEBRANCHU - Par rapport à ce que vous avez dit sur les deux
agences, qui pourraient d'ailleurs être trois agences, puisqu'il s'agit
d'environnement également maintenant, je vais essayer de regrouper les
questions pour être plus brève.
J'ai l'intime conviction que l'on travaille dans un pays par étape. On
ne coule pas dans le marbre une fois pour toutes des outils. Compte tenu du
caractère récent de cette volonté d'avoir une
évaluation transparente du risque, il n'est pas mauvais de
séparer les fonctions. Il est probable, possible, que, dans quelques
années, nous soyons amenés à revoir la structure des
agences. Je pense qu'il faut d'abord faire fonctionner ce que nous sommes
capables de faire fonctionner.
La co-tutelle nous a semblé être une nécessité au
départ dans la mesure où nous voulions continuer à
affirmer un principe fort : celui de la séparation absolue de
l'évaluation et de la gestion du risque. A-t-on le même outil pour
évaluer et gérer le risque ? A mon avis, non. Les organismes
de contrôle doivent appliquer le résultat de l'évaluation
du risque, prendre les processus d'évaluation qui leur ont
été donnés et, pendant qu'ils contrôlent, l'Agence
évalue d'autres risques potentiels, etc. C'est un mouvement continu.
Les comités d'experts vous préoccupent. La loi sur l'Agence
dit : "
Pour l'accomplissement de ses missions, les laboratoires
des services de l'Etat chargés du contrôle de la
sécurité sanitaire des aliments et ceux qui leur sont
rattachés sont mis à disposition de l'Agence en tant que de
besoin
". Un premier mouvement a été
décidé : le CNEVA n'est plus un laboratoire d'un service,
mais est devenu un service de l'Agence, donc indépendant et agissant en
transparence. Sa relation n'est que budgétaire. Pour les laboratoires,
les résultats sont donnés à l'Agence pour ses
évaluations constitutives. Elle a à sa disposition, quand elle
veut formuler une question, tous les laboratoires de l'Etat.
Avoir une seule entité impliquerait une supra structure avec à
l'intérieur tous les laboratoires, le tout en étant au service de
l'évaluation du risque. Je reste persuadée qu'il faut garder des
outils au service de la gestion du risque. L'Agence n'a pas comme vocation de
contrôler. Elle perdrait son temps et son efficacité. En effet, le
souci, que vous avez bien développé, était d'avoir un
outil structurel institutionnel garanti transparent travaillant en permanence
sur l'évaluation des risques potentiels. Laissons la gestion aux
administrations de telle manière que l'Agence ne soit pas
encombrée de missions de contrôle et ne fasse plus de travail
d'évaluation aussi souvent qu'elle le pourrait.
Par ailleurs, il me semble que l'Agence n'aura jamais tous les laboratoires sur
toutes les compétences dans l'avenir. Qu'elle ait le droit, en tant que
de besoin, d'avoir à sa disposition ces laboratoires et que ceux-ci
soient obligés de lui répondre sur toutes les évaluations
qu'elle demande, y compris les laboratoires universitaires -des
universités travaillent sur de la recherche fondamentale qui, à
un moment donné, peuvent être utiles à l'Agence- est un
fonctionnement qui me paraît devoir être poursuivi ; sinon,
l'Agence manquera de moyens.
J'ai la réaction inverse à la vôtre. Plus il y a de mises
à disposition possibles au coup par coup sur le sujet choisi par
l'Agence elle-même ou sur une interrogation du Gouvernement envers
l'Agence, plus nous avons de chances d'avoir une bonne réponse. Je
trouve ce fonctionnement plutôt satisfaisant.
Vous avez évoqué la coordination entre l'Agence et la future
autorité européenne, qui n'a pas encore de nom. Je reste
intimement convaincue que l'objectif que l'Europe poursuit -je ne
répondrai pas à la place du Commissaire, mais en tant que membre
du Conseil de la consommation, par exemple- est d'avoir un système de
mise en commun des évaluations qui permette un accord entre les pays sur
ce qu'est un risque potentiel, un risque avéré, et permettra aux
pays d'avoir des méthodes de contrôle et de gestion du risque
rationalisées. Nous allons profiter les uns les autres du travail
réalisé dans d'autres pays parce que des circonstances
différentes des nôtres ont permis de mettre en évidence tel
ou tel risque potentiel. Je pense au milieu industriel, par exemple : ce
qui s'est passé pour l'amiante eût été
sûrement plus rapide si une autorité d'évaluation du risque
de ce type en Europe avait pu depuis longtemps dire qu'au nord de l'Italie, au
sud de la Belgique, il existait déjà des observations
médicales faisant état d'une relation forte entre l'amiante et un
certain nombre de maladies.
C'est bien dans l'intérêt des consommateurs européens que
cette autorité doit plutôt nous aider à être plus
performants sur l'évaluation des risques potentiels, ou des risques
avérés découverts dans tel ou tel pays, mais surtout
potentiels. En effet, le marché est mondial, mais les cultures sont
différentes. Une culture et des habitudes peuvent permettre de
découvrir plus tôt un risque potentiel lié, soit à
de l'alimentation, soit à l'utilisation de produits, soit à un
comportement, et il est bon que l'ensemble des pays européens soit
averti.
Dans mon esprit, il s'agit de rationaliser les moyens, en ayant bien sûr
une autorité permettant d'exiger que cette information circule. Le mot
" exigence " doit exister parfois. L'Autorité
européenne doit pouvoir exiger d'être informée des risques
découverts.
C'est peut-être cette question de l'autorité qui fera plus
débat. En France, les agences sont indépendantes. Donc, elles
n'ont aucune responsabilité sur les avis qu'elles rendent. Elles ne sont
responsables que devant elles-mêmes. Celui qui sera responsable de ne pas
avoir appliqué le fait que l'Agence ait dit lundi dernier que tel
produit était dangereux, c'est le ministre en charge du dossier. Une
responsabilité scientifique et d'évaluation est confiée
à l'Agence. La mission de mettre en pratique est de la
responsabilité de la décision politique.
Il faut faire une différence entre la responsabilité scientifique
et la responsabilité politique. Ce n'est pas parce que la
première s'assoit dans de meilleures conditions, en particulier autour
des agences, que la seconde doit se diluer. Je serais inquiète si, au
niveau européen, on ne déterminait pas la responsabilité
scientifique, d'une part, et celle politique, d'autre part, mais je suis
certaine que le Commissaire développera ce point beaucoup mieux que moi.
Si nous allons jusqu'à l'Agence de l'environnement, j'aurai un
problème à régler : celui de la Commission de
Sécurité des Consommateurs. Celle-ci est actuellement saisie de
la question touchant à l'utilisation d'appareils qui changent
l'environnement, y compris magnétiques pour les téléphones
portables, les antennes, etc. Faut-il maintenir cette commission telle qu'elle
est ? Le Parlement devra se saisir de l'ensemble de ces
conséquences. Faire aujourd'hui une agence unique me semblerait aller
trop vite.
Vous avez évoqué les OGM et le " couac " de
communication. Le cas européen qui nous est soumis depuis quelques jours
revêt deux aspects :
- notre appréciation politique du dossier. On n'a pas le droit en
France, en Europe de planter du colza transgénique, d'où une
infraction. Il faut alors aller jusqu'au bout de la démarche,
c'est-à-dire faire une enquête -la DGCCRF a été
chargée de la mener- et remettre un dossier sur le bureau du Procureur
de la République. C'est la phase normale ;
- l'aspect confiance des consommateurs, inquiétude des
populations : là, le Premier ministre décide de demander
à l'ensemble de ceux qui savent avoir utilisé ces graines de
détruire les récoltes et d'entamer une procédure de
négociation avec les semenciers. C'est un deuxième sujet.
On parle d'un " couac " de communication au départ. C'est
vrai. Sur le fond, nous étions tous scandalisés par le sujet,
mais, en droit, le ministre de l'Agriculture avait raison de dire qu'il fallait
vérifier que les moyens que nous avions utilisés étaient
bien en accord avec le droit. Nous sommes dans un Etat de droit. Ce que nous
avons dit sur la sécurité sanitaire des aliments et ce qu'a
réexpliqué Dominique Gillot est important aussi pour les OGM. Sur
des dossiers de ce type, effectivement, ne pas céder à la
pression médiatique est la règle d'or la plus difficile à
respecter parce que nous sommes amenés à répondre de
façon spontanée à des questions, alors même que nous
n'avons pas eu le temps matériel d'avoir l'exégèse de la
première phase d'enquête. La règle d'or que nous devons
nous appliquer, c'est d'abord de lire, non pas le premier article sorti ou la
première dépêche, mais le premier rapport d'enquête
avant de nous exprimer au fond. C'est ce que vous nous avez reproché.
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Vous dites que le
journaliste peut écrire ce qu'il veut. C'est grave, car il peut diffuser
une information qui peut avoir des conséquences extrêmement
importantes. Il va exposer un danger qui n'existe peut-être pas. Il va
affoler les populations, ce qui peut entraîner une réaction forte,
et nous ne pouvons pas juger parce que nous n'en avons pas les moyens.
Mme Marylise LEBRANCHU - Absolument. Monsieur le Président, avant votre
arrivée, Dominique Gillot a expliqué qu'un de nos soucis dans le
domaine de la communication était de donner à l'ensemble de la
presse écrite, parlée et audiovisuelle un certain nombre de
documents -c'est pourquoi les agences ont toutes leurs rapports en ligne- pour
que les auteurs des articles aient le maximum d'informations à leur
disposition.
Dans l'Etat de droit qui s'impose à nous, il y a aussi la liberté
de la presse.
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Il n'y a pas de
liberté sans responsabilité.
Mme Marylise LEBRANCHU - Monsieur le Président, je ne peux pas porter
plainte contre un article...
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Je sais bien.
Pourquoi vous dis-je cela ? Lorsque j'ai fait, ayant des
responsabilités ministérielles, la fiscalité de la presse,
j'avais souhaité à l'époque qu'il y ait un code de
déontologie.
Mme Marylise LEBRANCHU - Il existe.
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Non, il n'existe pas.
On ne peut pas s'y référer.
Mme Marylise LEBRANCHU - Il n'est pas opposable.
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Il n'est pas
respecté, et certains journalistes de qualité et de talent s'en
inquiètent. C'est un véritable problème. Vous touchez un
point extrêmement sensible qui peut avoir des répercussions sur
l'opinion très fortes, avec des conséquences
insoupçonnées aujourd'hui, et l'on ne saura pas qui est
responsable. Celui qui a diffusé la fausse information, n'ayant pas eu
les moyens de contrôler, n'est pas répréhensible, au nom de
la liberté.
Mme Marylise LEBRANCHU - Je laisse à la presse sa responsabilité.
Elle a un code de déontologie.
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Non.
Mme Marylise LEBRANCHU - En revanche, si une société, un ministre
ou une personne quelle qu'elle soit est citée, nous avons toujours la
possibilité d'entamer une action. Je peux faire état d'une
expérience, puisque cette audition est publique.
Concernant les boues de stations d'épuration, dossier hautement sensible
au mois d'août dernier car, dans cette période où il y a
peu d'événements, il devenait intéressant pour la
majorité des journalistes, je me souviens avoir répondu à
une interview, donc à des questions, et avoir constaté,
après, que la teneur de l'article était faite et que les
questions qui m'étaient posées illustraient seulement cet
article. J'ai dit au journaliste :
" Il est dangereux de ne
prendre dans les réponses à une interview que celles pouvant
illustrer une opinion ".
Je ne dénie pas au journaliste le
droit d'avoir une opinion. Ce que je lui demande, dans ce cas, c'est
d'expliquer qu'il a une opinion et qu'à partir de celle-ci il a
interrogé des personnes. Je ne serai pas pour autant entendue.
Je parlais de l'Institut National de la Consommation et du rôle qu'on
veut lui donner, en accord d'ailleurs avec les associations de consommateurs.
Il me semble important que l'on puisse avoir, pour les journalistes en
particulier, pour travailler des sujets, une banque de données à
jour en permanence, qui soit bien sûr, d'abord et avant tout, à la
disposition des consommateurs et de leurs associations et aussi à la
disposition de la presse. En effet, souvent, on se rend compte que, dans la
précipitation, les informations que nous donnons sont tronquées
parce que nos services ont la chance de connaître un sujet et que nous
avons l'impression que tout le monde est au même niveau d'information, ce
qui est faux. Nous ne sommes peut-être pas très bons, Monsieur le
Président, je vous l'accorde, sur ce que l'on appelle les dossiers de
presse. S'il y a un progrès à accomplir dans le domaine de la
sécurité de manière générale, c'est sur le
travail du dossier de presse, c'est-à-dire sur la masse d'informations
distribuée et les conditions dans lesquelles elle l'est. Cela
étant, je ne peux pas vous rejoindre : en tant que membre du
Gouvernement, je ne peux pas saisir un journal parce qu'il dit...
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - ...Je n'ai pas dit
cela. J'ai fait un constat...
Mme Marylise LEBRANCHU - ...Je le partage en partie...
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - ... puisque j'ai eu
un grand débat sur ce sujet-là. Certains journalistes se sont
rencontrés pour élaborer une structure de déontologie,
mais elle n'est pas opposable ni applicable. Ils la respectent ou non.
Mme Marylise LEBRANCHU - Pas sur tous les sujets.
Nous ne pouvons pas avoir un débat sur la presse, mais, plus nous serons
performants dans le domaine de l'évaluation et du contrôle de
manière globale dans tout ce qui concerne la sécurité des
personnes dans nos pays, moins nous aurons de soucis concernant la
médiatisation des problèmes.
Il m'apparaît en tout cas qu'il faut réconcilier les citoyens avec
les notions de transparence et de vérité. Celles-ci doivent
être toujours, quelque part, à leur disposition, d'où
l'intérêt d'avoir des outils de diffusion communs.
Mme Dominique GILLOT - Très rapidement, Monsieur le Président,
sur cette question, je voudrais revenir à ce que je disais au
début de mon intervention. Aujourd'hui, nous sommes face à une
opinion publique mieux informée, mieux formée et qui veut exercer
son libre arbitre, son esprit critique. Nous sortons d'une période
où les pouvoirs publics ont péché par excès de
prudence ou ont été accusés de dissimulation. La
volonté de transparence que nous affichons, que nous mettons en pratique
et qui est l'élément déterminant de l'élaboration
de cette démocratie sanitaire à laquelle nous sommes
engagés n'est pas encore vécue comme une vérité.
Certains de nos concitoyens ou des représentants des médias
exercent encore un esprit suspicieux par rapport à cette volonté
de transparence.
Il faut prouver, avec le temps et avec l'analyse des différentes
séquences et la mise en place de ce dispositif, qu'une ère
nouvelle est ouverte : celle de la transparence, du partage de
l'information. Les journalistes, comme nous, avancent, progressent. Depuis six
mois, nous voyons des articles de fond qui se répondent les uns aux
autres, permettant à l'opinion publique de progresser en termes de
connaissance de fond et de responsabilité.
Je ne voudrais pas que l'on fasse un procès à la presse au motif
que, de temps en temps, il y a des accélérations, des effets
médiatiques, des effets d'annonce. Nous sommes tous co-responsables.
C'est dans le temps et dans l'affirmation tranquille et sereine d'une nouvelle
ère de la transparence que nous dépasserons ces
difficultés.
M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Transparence
s'associe à authenticité, Madame. Vous interprétez mes
propos ; je comprends pourquoi. Je cherche à ce qu'il y ait
toujours une authenticité. Ce qu'a dit votre collègue est
extrêmement important. Vous ne pouvez pas diffuser s'il n'y a pas
authenticité. Il y a un minimum de responsabilité à
assumer dans la diffusion d'une information qui peut avoir des
conséquences si elle n'est pas authentique. C'est le problème de
fond.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Mesdames les Ministres, Monsieur le
Président.
Monsieur le Président, je voudrais saluer votre présence, puisque
vous allez conclure tout à l'heure cette réunion, et saluer le
M. le Commissaire européen David Byrne, chargé de la
santé publique et de la protection des consommateurs, qui va
évoquer en particulier les projets de la Commission dans ces domaines.
Depuis 1998, en France, un certain nombre d'agences ont été mises
en place. Nous avons dressé aujourd'hui l'état des lieux, fait le
point sur leur action. Nous sommes très attentifs à ce que
pourrait proposer l'Europe dans ces domaines.
VII. LE POINT DE VUE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
AUDITION DE M. DAVID BYRNE, COMMISSAIRE EUROPÉEN
CHARGÉ DE LA PROTECTION DE LA SANTÉ ET DES CONSOMMATEURS
M. David BYRNE - Messieurs les Présidents et membres du
Sénat, Mesdames, Messieurs, je suis très heureux d'être
parmi vous au Sénat français aujourd'hui à Paris. C'est un
grand honneur pour moi d'avoir été invité à
participer à vos réflexions. C'est une occasion exceptionnelle de
pouvoir vous présenter mes idées sur la sécurité
alimentaire. J'aimerais concentrer mon intervention essentiellement sur le
Livre blanc de la Commission Européenne sur la Sécurité
Alimentaire.
Malgré mon désir de m'exprimer en français, malgré
tous les liens tissés entre la France et l'Irlande et mon admiration
pour votre pays, permettez-moi de m'exprimer en anglais.
L'adoption du Livre blanc, le 12 janvier, constitue un signe à la fois
tangible et visible de notre engagement à la mise en place, au sein de
l'Union européenne, de l'une des meilleures structures et
procédures dans le domaine de la sécurité alimentaire.
En tant que Commissaire responsable de la sécurité alimentaire,
je me félicite de l'accueil qui a été accordé
à mon Livre blanc dans toute l'Union européenne. Je souhaite
aujourd'hui, au Sénat, saluer l'appui du Gouvernement français.
Au cours de la prochaine présidence française, je m'attends
à ce que des progrès notables puissent être
réalisés sur les nombreuses propositions contenues dans le Livre
blanc, y compris celle visant à créer une Autorité
alimentaire de sécurité.
La publication de ce Livre blanc constitue la première étape vers
des normes de sécurité alimentaire plus élevées au
sein de l'Union européenne. Je puis vous assurer que je me rends bien
compte que tout ne va pas simplement se mettre en place à la suite de
notre initiative, mais ce Livre blanc est une étape importante, car il
permet de mettre en place un cadre d'action cohérent, avec un calendrier
détaillé, lequel calendrier est ambitieux et constitue un
défi pour la Commission. Je puis vous assurer que, pour ma part, j'ai
l'intention d'être à la hauteur de l'ambition et du défi
que je me suis fixés.
De même, j'ai lancé un appel à tous les acteurs, le Conseil
des ministres, le Parlement européen, pour qu'ils soient à la
hauteur de ce défi. Il faut que nous mettions nos proposions en place.
Il ne peut y avoir d'excuses pour tout retard évitable. Nos citoyens
réclament de nous un changement. Nous devons répondre à
leur attente.
Vous êtes sans doute conscients des peurs suscitées au sein du
public par certaines affaires alimentaires qui ont défrayé la
chronique. Cela a sapé la confiance dans les producteurs alimentaires et
les institutions publiques. Je ne m'étendrai pas. Je mets en place des
mesures pour aborder ces problèmes.
La Commission a toute une palette de propositions pour mettre en place le
changement exposé dans le Livre blanc sur la sécurité
alimentaire. Il s'agit de disposer d'un cadre juridique à la fois
dynamique et efficace, s'appuyant sur la science robuste et, pour l'appuyer,
les bonnes structures administratives, où la santé du
consommateur est l'élément moteur.
Le consommateur a le droit d'avoir la chaîne d'approvisionnement
alimentaire la plus sûre au monde et nous devons mettre en place un
système le garantissant. Le confiance du consommateur est la clé
du succès de l'industrie alimentaire en Europe et dans le monde. Une
chaîne alimentaire sûre de la ferme à la fourchette, bien
régulée et bien contrôlée, est la voie pour susciter
cette confiance dans la filière alimentaire européenne.
Les industries ont leur rôle à jouer pour susciter la confiance du
consommateur, car il est du ressort de chaque entreprise d'assurer la
sécurité des aliments produits, fabriqués ou vendus.
Je voudrais maintenant aborder le programme législatif conçu dans
le Livre blanc sur la sécurité alimentaire, publié le 12
janvier. Il importe que le cadre juridique soit intégré, offre
une série de mesures connexes pour les aliments allant de la ferme
à la table et soit suffisamment souple pour répondre à de
nouveaux défis.
Avec cela en vue, nous avons identifié 80 actions séparées
que nous pouvons mettre en oeuvre dans la période qui s'étend
devant nous. Un cadre juridique accru couvrira, par exemple, les aliments pour
animaux, la santé des animaux, l'hygiène, le contrôle, les
contaminants, les résidus, les nouveaux produits alimentaires, les
additifs, les édulcorants, l'emballage, l'irradiation.
Un problème que nous avons identifié : la
nécessité d'un cadre d'ensemble pour la loi alimentaire
établissant les principes et les définitions sur un plan
fondamental. Nous allons bien sûr faire une proposition sur la loi
générale qui englobera les principes de sécurité
alimentaire offrant un haut niveau de protection de santé. Seuls des
produits sûrs pourront être mis sur le marché. La
responsabilité principale pour des aliments sûrs repose sur les
industriels, les producteurs et les fournisseurs, une approche
intégrée de la ferme à la table, la
traçabilité le long de toute la filière, des
contrôles efficaces à tous points dans la chaîne, de la
ferme à la table, y compris dans la fabrication des aliments pour
animaux.
Afin d'accroître la cohérence et la sécurité, des
définitions claires seront imposées, par exemple, pour une
denrée et pour sa mise sur le marché. Des principes d'analyse du
risque seront suivis et, là où des questions scientifiques sont
en jeu, la loi alimentaire sera basée sur des avis de haute
qualité et tout à fait transparents.
J'en viens maintenant à l'aspect à la fois le plus ambitieux et
le plus essentiel du Livre blanc : il s'agit de la proposition qui vise
à la création d'une Autorité alimentaire
européenne. La Commission estime que, pour assurer la protection de la
santé du public et rétablir la confiance du consommateur, des
changements importants sont essentiels pour le système européen.
Nous prévoyons qu'une autorité soit créée en l'an
2002, qui sera basée sur les principes d'indépendance,
d'excellence scientifique, de transparence et d'accessibilité. Sa
mission principale sera d'entreprendre l'évaluation scientifique des
risques pour la santé et de conseiller les institutions
européennes sur ce point en offrant au public des informations faisant
autorité et compréhensibles pour favoriser des choix
éclairés et éviter toute désinformation.
Nous ne proposons pas que cette autorité ait des responsabilités
réglementaires. Toutefois, cela ne signifie pas que la Commission ne
prévoie pas de renforcer ses méthodes de développement
réglementaire dans le domaine alimentaire. Nous savons pertinemment que
nous devons veiller à ce que le dispositif nous permettant de
réglementer les aliments soit suffisamment dynamique et souple. C'est
une question importante, sur laquelle je reviendrai dans quelques instants.
L'autorité sera indépendante de tout intérêt
industriel et politique et fonctionnera de manière ouverte et
transparente, en étant accessible à tous les acteurs. Nous sommes
décidés à porter l'impact de l'autorité à la
connaissance de tout consommateur européen par le biais d'une
communication ouverte, avec un langage clair et compréhensible. Ce sera
un défi. Si nous souhaitons reconstruire la confiance du consommateur et
la capacité à communiquer des informations et des avis en temps
utile et de manière efficace, ce sera d'une importance capitale. J'ai
été intéressé d'entendre les observations
formulées avant mon intervention sur cette même question.
S'agissant du fonctionnement quotidien de cette autorité, l'accent sera
mis sur la coopération et le travail en réseau avec les agences
nationales et les établissements d'excellence pour la
sécurité alimentaire en Europe et dans le monde.
L'autorité ne va pas réinventer la roue et ne fera pas non plus
double emploi avec les travaux des autorités nationales, mais tirera
parti de ces ressources précieuses en ajoutant un point de vue
européen et une vue d'ensemble. Il s'agit de renforcer et de coordonner
au niveau européen. L'autorité ajoutera de la valeur aux
systèmes existants, mais disparates.
Nous prévoyons que les tâches de l'autorité
comprendront :
- L'évaluation scientifique du risque, comprenant toutes les
questions ayant un impact direct ou indirect sur l'hygiène, la
santé du consommateur, découlant de la consommation alimentaire.
Cela couvrira les aliments pour animaux, la production agricole, et les aspects
vétérinaires, les procédés industriels, le
stockage, la distribution et la vente au consommateur. Son champ d'action
comprendra à la fois la sécurité et les aspects
nutritionnels. L'autorité examinera également la santé des
animaux et tiendra compte des évaluations de risques dans d'autres
domaines, notamment dans les secteurs de l'environnement et chimique, où
il y a chevauchement avec l'évaluation du risque s'agissant de la
sécurité alimentaire. Le dispositif actuel pour les
comités scientifiques de l'Union européenne sera revu à la
lumière des décisions prises une fois achevé le processus
de consultation.
- La collecte de l'information et de l'analyse.
L'autorité devra faire partie des réseaux existant en Europe et
dans le monde pour la collecte et l'évaluation d'informations sur la
sécurité alimentaire. Ces réseaux existent, mais une bonne
partie de l'information n'est pas regroupée ni comparée ou
recoupée pour aboutir à un tableau complet des problèmes
de sécurité alimentaire. Il sera indispensable pour
l'autorité d'identifier les risques en émergence. Avec ses
systèmes de veille, elle contribuera à des informations
précieuses au pouvoir réglementaire en Europe et aux autres
parties intéressées. Elle créera des contacts avec des
agences, des laboratoires et des groupes de consommateurs analogues au sein de
l'Union et dans des pays tiers, avec un système d'alerte rapide
très étendu.
- La communication du risque.
L'autorité se fixera comme priorité la communication ouverte de
l'information sur la sécurité alimentaire en informant toutes les
parties intéressées de ses conclusions : pas simplement les
avis scientifiques, mais également les résultats de ses
programmes de contrôle et de surveillance. Les informations seront
produites pour être accessibles en termes de langage,
disponibilité et clarté.
L'autorité doit devenir le premier niveau interrogé lorsque des
réponses scientifiques sur la sécurité alimentaire sont
recherchées ou des problèmes identifiés. Une
autorité très visible, avec une forte présence
volontariste sur les questions de sécurité alimentaire sera un
important élément pour rétablir et maintenir la confiance
chez le consommateur européen.
- Une alerte rapide en cas de crise de sécurité alimentaire.
Le Livre blanc prévoit que l'autorité fera fonctionner le
système d'alerte rapide. Le dispositif existant, où des
informations sont retransmises électroniquement aux autorités de
contrôle en Europe, s'est avéré un outil puissant dans la
protection du consommateur. Le dispositif sera renforcé pour inclure les
aliments pour animaux.
L'autorité aura également un rôle clé auprès
de la Commission et des Etats membres pour ce qui est d'identifier toute crise
de sécurité majeure et de déterminer la suite à
donner. De nouvelles procédures sont envisagées pour faire face
aux crises en améliorant le système existant.
Le Livre blanc n'est pas prescriptif s'agissant de toutes les informations
concernant une autorité alimentaire au niveau européen. La
Commission n'a pas encore proposé de chiffres concrets pour
l'autorité. Il est clair, toutefois, que l'efficacité de
l'autorité dépendra de l'adéquation en termes de taille et
de qualité des ressources humaines, financières et moyens
matériels qui lui seront alloués.
Nous prévoyons que cette autorité soit en place d'ici à
l'an 2002, une fois la législation votée. Avant de parachever ses
propositions, la Commission européenne a invité toutes les
parties intéressées à donner leur avis sur cette
autorité avant la fin du mois d'avril. Un texte définitif sera
présenté par la Commission à l'automne prochain. Cette
invitation aux acteurs pour présenter leur point de vue a
été très bien suivie.
Dans l'intervalle, la Commission progresse avec son programme
législatif. Parmi d'autres propositions, la Commission développe
une consolidation des 17 directives liées à l'hygiène
alimentaire que nous allons adopter avant l'été. Cette
proposition reflète des méthodes qui ont fait leurs preuves pour
assurer les normes les plus élevées en matière de
sécurité alimentaire, basées sur une approche
intégrée de la ferme au consommateur, l'application des principes
d'une bonne hygiène à tous les stades de la filière, de
bonnes pratiques agricoles pour s'assurer que les aliments sont correctement
manipulés au cours de leur production. En aval de la ferme, l'industrie
alimentaire sera réglementée par un cadre de mesures, y compris
l'application d'analyses de risques et de dispositifs de contrôle de
points de crise pour identifier les risques à la santé humaine.
Avant de conclure, je souhaiterais évoquer deux points importants.
Le premier est l'interface entre l'autorité, les agences nationales et
les autres organes scientifiques.
L'Autorité Alimentaire Européenne ne peut travailler dans le
vide. Elle devra tirer parti des connaissances et des compétences
disponibles dans les instances analogues au niveau des Etats membres et des
pays tiers et devra travailler en étroite coopération avec ces
autres instances scientifiques. Je la vois comme le centre d'un réseau
où toutes les connaissances et tous les moyens seront utilisés au
mieux.
Afin d'offrir un socle solide à ce réseau, nous envisageons la
possibilité de mettre en place des fonctions de mise en réseau
dans la législation. Nous souhaitons impliquer, dans toute la mesure
possible, les autorités alimentaires nationales et les instituts dans le
fonctionnement de cette autorité, permettant ainsi de minimiser les
possibilités de divergence entre les avis scientifiques des Etats
membres et l'autorité. Ainsi sera renforcée la confiance dans le
système communautaire d'avis scientifiques car, manifestement,
l'autorité européenne sera au centre d'un réseau reliant
les meilleurs avis scientifiques sur toute l'Union européenne. Si nous
pouvons mettre en place un tel système -et je pense que nous le pouvons-
avec un véritable partenariat avec les instances scientifiques
nationales, nous pourrons éviter la possibilité de vues
scientifiques divergentes sur les questions essentielles de
sécurité alimentaire, ce qui ne veut pas nécessairement
dire qu'il n'y aura plus de divergences de vue entre les Etats membres, mais il
sera plus difficile pour eux de prendre position contrairement aux
recommandations d'une autorité alimentaire où leurs instances
scientifiques jouent un rôle actif.
Le deuxième point que je souhaite porter à votre attention est la
décision de la Commission de veiller à ce que l'axe des travaux
de l'autorité soit l'évaluation scientifique du risque, le
rôle réglementaire reposant sur les institutions
européennes existantes.
Des considérations sont importantes. Le processus de décision,
où les propositions sont élaborées par la Commission et
adoptées par une procédure impliquant les Etats membres et le
Parlement européen, offre un haut degré de responsabilité
et de transparence. Il y aurait un risque que le transfert de cette
responsabilité à une autorité indépendante se
traduise par une réduction de cette responsabilité. En outre, le
transfert du pouvoir réglementaire à l'autorité exigerait
sans doute une modification des dispositions existantes du Traité, ce
qui ne veut pas dire qu'un élargissement futur de la compétence
de l'autorité ne pourrait pas être envisagé s'agissant de
son fonctionnement, de la confiance suscitée par son opération et
des changements apportés au Traité dans l'intervalle.
Il s'agit également d'assurer une bonne traduction des politiques dans
la loi. Certains estiment qu'il faudrait adopter le modèle de la FDA aux
Etats-Unis, mais, là, les responsabilités en matière
d'évaluation et de gestion du risque ne sont pas clairement
démarquées. Cette approche que les Américains ont retenue
il y a 80 ans leur a bien servi dans leur contexte culturel. Je sais que les
Etats-Unis sont en train de revoir cette approche institutionnelle de la
sécurité alimentaire.
Ce modèle n'est pas adapté dans le contexte européen. La
réglementation devrait être du ressort de la Commission, du
Parlement et du Conseil selon les besoins. Le traité de l'Union
européenne confère à la Commission et, à elle
seule, le droit d'engager des propositions de texte législatif. Le
Conseil, le Parlement peuvent, en exerçant leur mandat
démocratique, adopter cette législation avec ou sans amendement.
La mise en oeuvre de cette décision implique des choix politiques et des
appréciations basées pas simplement sur l'appréciation
scientifique du risque, mais également sur une appréciation bien
plus large de facteurs qui sont les souhaits et les besoins des consommateurs
de la société. Cet exercice de responsabilité ne serait
pas facilement remplacé, et je n'ai pas encore entendu d'arguments
probants attestant du contraire, ce qui ne signifie pas nécessairement
que des améliorations ne peuvent pas être apportées
à notre façon de gérer le risque.
Je pense que notre processus législatif est trop lourd et trop long.
Nous devons progresser dans ce domaine et j'y travaille activement. Je viens
d'en parler avec les parlementaires. Je dois vous dire que j'ai reçu une
réponse très positive des parlementaires européens.
J'attends avec impatience une réunion que j'ai prévue avec la
Commission agricole au Parlement en juillet pour évoquer
précisément cette question de la législation et de
l'interaction entre les systèmes de législation primaire et
secondaire pour voir si nous ne pouvons pas mettre en place, ne serait-ce que
des éléments de réponse pratiques, pour assurer une
meilleure application des orientations en texte de loi.
Dans le cadre de notre proposition sur l'autorité, je suis en train de
voir comment les procédures décisionnelles de la Commission
peuvent être plus efficaces et les possibilités qui existent pour
l'autorité de prendre des mesures de réduction de risques dans
des situations de véritable crise, où la santé publique
court un danger imminent.
Je tiens à vous remercier, une fois de plus, de l'invitation qui m'a
été adressée de prendre la parole devant vous. Je suis
heureux d'avoir pu vous exposer mon point de vue sur le développement de
la sécurité alimentaire au sein de la Communauté
européenne. Nous avons de nombreux défis devant nous. Nous sommes
prêts à opérer des changements pour assurer la
sécurité de la chaîne alimentaire et restaurer la confiance
du consommateur.
(Applaudissements...)
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Commissaire.
Je passe la parole aux sénateurs pour une ou deux questions très
brèves, qui impliqueront une réponse tout aussi brève de
la part du Commissaire.
M. Claude HURIET - Ma question concerne les liaisons entre les structures
d'expertise nationales et l'autorité européenne. Vous avez bien
dit qu'il s'agissait d'un réseau. Cela signifie-t-il que
l'autorité européenne ne se dotera pas de ses propres moyens
d'expertise et, si oui, le réseau sera-t-il constitué de
pôles d'excellence dont les capacités d'expertise ne pourront pas
être remises en cause par un autre pôle, également
d'excellence ?
M. Charles DESCOURS - Une fois que l'Agence européenne aura fait ses
expertises, qui prendra la décision politique ? Est-ce que l'Agence
pourra mettre un pays membre devant le fait accompli sans décision du
ministre compétent de ce pays membre ?
M. Lucien NEUWIRTH - Monsieur le Commissaire, vous êtes en charge de la
protection sanitaire. Est-ce dans le but de protéger la santé des
consommateurs que vous avez autorisé les graisses
végétales dans le chocolat ?
M. David BYRNE - Je me demandais combien de temps je devrais attendre avant que
cette question sur le chocolat ne soit posée... J'y reviendrai.
A propos des liens et des pôles d'excellence, j'indique que la structure
que j'envisage impliquera l'emploi de scientifiques à plein temps qui
travailleront pour cette autorité alimentaire. Celle-ci aura
également le droit et le mandat de rechercher à
l'extérieur des conseils scientifiques indépendants dans des
domaines où cette expertise existe sur une question donnée en
cours d'examen par l'autorité.
En outre, il est particulièrement important, afin de construire la
confiance dans l'excellence de cette autorité et qu'une seule voix
s'exprime au sein de l'Unité européenne, de tirer parti de
l'expérience des pays membres. Nous allons proposer
l'établissement d'un comité consultatif attaché à
l'autorité, comprenant les chefs exécutifs des différentes
agences des pays ou de leurs équivalents là où ces agences
alimentaires n'existent pas.
A travers ce dispositif, l'autorité alimentaire sera en position d'avoir
le meilleur conseil possible disponible, mais elle sera également
structurée de façon à pouvoir s'adresser aux Etats membres
pour solliciter le point de vue des agences de sécurité
alimentaire.
Cet aspect de construction de confiance présente également
l'avantage de tirer toute l'expertise existante. Bien évidemment,
l'autorité sera capable, si nécessaire, de rechercher des
conseils à l'extérieur de l'Union. Il sera également plus
facile pour les Etats membres et nous tous de donner de la
crédibilité aux opinions exprimées par l'autorité
sur les différentes questions relatives à la
sécurité alimentaire.
S'agissant de la gestion des risques et de l'expertise -je sais que vous avez
déjà eu un débat sur ce sujet cet après-midi- je
pense qu'il faut un lien -et celui-ci existe- entre l'évaluation des
risques, c'est-à-dire les scientifiques, et la gestion des risques,
c'est-à-dire les politiques, afin que les recommandations émanant
des premiers soient mises en oeuvre dans le cadre de lois par les seconds. Je
pense, comme Mme Lebranchu l'a dit, qu'il appartient aux hommes
politiques, responsables devant les citoyens, de prendre des décisions
sur la gestion des risques, la fonction des scientifiques étant de
donner des conseils par rapport à l'évaluation des risques.
Dernière question : le chocolat. J'ai déjà eu
l'honneur de l'évoquer au Sénat à Rome il y a quelques
semaines. C'était également la troisième question. Elle
concerne le marché interne. Il y a des renforcements dans cette
proposition examinée aujourd'hui, avec la fixation d'un niveau minimum
de graisse végétale dans un chocolat afin d'assurer la
sécurité. Les consommateurs bénéficieront d'un
étiquetage beaucoup plus clair. S'ils veulent consommer le chocolat le
plus populaire en France, ils pourront choisir de le faire car
l'étiquetage est très clair. S'ils choisissent de consommer des
chocolats avec un maximum de 5 % de graisse végétale, ils le
pourront également.
Une dernière précision concernant les pays tiers : la
graisse végétale incluse dans le chocolat est exclusivement
produite dans les pays de l'ACP, tout comme l'huile et le beurre de cacao.
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Commissaire, de cette
réponse circonstanciée.
ALLOCUTION DE CLÔTURE DE
M. LE PRÉSIDENT DU
SÉNAT
M. Christian PONCELET, Président du
Sénat - Monsieur le Commissaire européen, Monsieur le
Président de la commission des Affaires sociales du Sénat et cher
collègue, Mesdames, Messieurs les sénateurs et chers
collègues, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, c'est bien
évidemment avec plaisir que je viens ce soir parmi vous pour conclure,
comme votre Président me l'a demandé, vos débats de la
journée qui ont été, j'en suis convaincu, studieux et
enrichissants, et ma courte participation à vos travaux me conforte dans
ce jugement. Par ailleurs, pour celles et ceux chargés de l'information,
je saisis cette opportunité pour dire que le Sénat sait
s'intéresser aux questions d'avenir, aux questions
particulièrement importantes et délicates.
Je tiens tout particulièrement à remercier M. David Byrne,
Commissaire européen en charge de la protection de la santé et
des consommateurs, qui a fait le déplacement de Bruxelles -il faut le
préciser- pour nous éclairer sur le point de vue de la Commission
européenne en matière de sécurité sanitaire. Les
indications qu'ils nous a fournies ont été bien sûr
notées et apportent un plus à nos connaissances. Je vous demande
de bien vouloir l'applaudir pour le remercier de sa contribution aux travaux du
Sénat...
(Applaudissements...)
En choisissant de réunir la commission des Affaires sociales autour du
thème :
" La sécurité sanitaire :
état des lieux et perspectives en France et en Europe "
, le
Président Delaneau a montré, une fois de plus, l'attachement du
Sénat à traiter de sujets d'actualité, même si
ceux-ci sont difficiles, et, par là même, il a illustré
l'une des missions de la Haute Assemblée, à savoir que celle-ci,
compte tenu de sa pérennité, de sa sérénité,
est un véritable laboratoire d'idées.
A cet égard, je tiens avec fierté à souligner le
rôle précurseur qu'a joué notre Assemblée dans ce
domaine de la sécurité sanitaire et alimentaire.
Bien avant la crise baptisée "
de la vache folle
", la
commission des Affaires sociales s'est engagée à plusieurs
reprises en faveur du développement de la sécurité
sanitaire. J'en veux pour preuve le rapport de nos deux collègues :
Claude Huriet et Charles Descours. Ils sont ici et je tiens, pour ma part,
à les complimenter. Je sais que cette appréciation est
partagée à l'unanimité. Ce rapport, présenté
en janvier 1997, érigeait les premières bases d'un contrôle
de la sécurité sanitaire avant que celle-ci ne vienne devant la
scène grand public.
Des mesures concrètes ont, en outre, été prises par le
Sénat grâce, disons-le -sinon, on ne le saura pas et on ne pourra
pas le faire savoir- à un amendement de notre collègue Claude
Huriet, qui a créé l'Agence du Médicament. L'auteur est
là. Il le confirme. Par conséquent, je ne me suis pas
trompé.
C'est aussi au Sénat qu'a été adopté un amendement
instituant l'Etablissement français des greffes. Et c'est encore notre
Haute Assemblée qui a permis à la loi du 28 mai 1996
régissant les thérapies génétiques et cellulaires
de voir le jour. Elle est, en effet, l'aboutissement d'une réflexion
engagée par une mission sénatoriale d'information.
J'ajoute que nous avons mis en place une législation concernant la
souffrance, la douleur. Là encore, cette démarche a pris
naissance ici, dans le cadre de travaux de commission, sous la conduite de
notre collègue et ami, Lucien Neuwirth.
Il m'arrive parfois de m'interroger pour savoir pourquoi toutes ces
réalisations excellentes ne sont pas mieux portées à la
connaissance du public. Il existe certainement, de notre côté, une
insuffisance d'information. Il faudra regarder cela de plus près pour
voir où se situe la faille en la matière, car ces travaux sont
tout de même excellents. J'en ai d'ailleurs pris connaissance
moi-même à Francfort, à la bibliothèque, où
j'ai vu des documents concernant le traitement de la douleur.
Si l'histoire nous enseigne que, très souvent -j'allais dire trop
souvent- la législation progresse à la faveur des crises, cette
observation trouve sa pertinence dans le domaine de la protection de la
santé, qui est perçu comme un frein à la liberté
individuelle. Les crises sont alors un bon catalyseur.
En définitive, le Sénat a contribué au
développement d'une forte culture sanitaire, et ce, Monsieur le
Commissaire, pour le plus grand bien des consommateurs. C'est d'ailleurs une
raison de plus qui me fait me tourner vers vous pour vous demander de bien
vouloir m'aider, dans le cadre de la mise en place des institutions
européennes, à la création d'un Sénat
européen, qui m'apparaît une institution d'avenir et indispensable
à l'équilibre des pouvoirs européens.
Le Sénat a toujours, dans un vaste consensus politique,
prôné une politique de qualité et de sécurité
des produits. Les commissions qui ont travaillé sur les sujets que je
viens d'évoquer comprenaient des représentants de toutes les
sensibilités composant notre Assemblée et ils ont tous
conjugué leurs efforts, l'un ajoutant son imagination à celle de
l'autre, pour aboutir à des conclusions ratifiées à
l'unanimité par les membres de la Commission. Voilà un travail
sérieux et concret !
Aujourd'hui, cette idée de la sécurité et de la
qualité des produits correspond à l'état d'esprit des
Françaises et des Français. La qualité et surtout la
sécurité alimentaires inquiètent de plus en plus. Depuis
dix ans, la société a découvert le risque alimentaire
à travers les affaires de la listeria dans le fromage, de la salmonelle
dans les oeufs, de la dioxine dans les poulets et du prion dans le boeuf. Je
m'arrête là pour ne pas que vous soyez enclins à ne plus
vous alimenter...
Si le " zéro défaut " dans un produit n'existe pas,
chaque maillon de la chaîne alimentaire se doit cependant d'être
irréprochable : du producteur, qui doit éviter de donner
n'importe quel aliment à ses animaux, au consommateur, qui se doit de
respecter des règles élémentaires d'hygiène dans la
conservation des produits qu'il a acquis. C'est ce que l'on appelle la
traçabilité ; et il m'est agréable de dire que ce
terme fut prononcé la première fois par des responsables
agricoles dans un département que je connais bien : celui des
Vosges. Je n'ai pas demandé jusque-là de droits d'auteur, mais
cela peut venir...
J'aborderai rapidement le problème des organismes
génétiquement modifiés, appelés communément
OGM. La moitié de la planète en consomme depuis dix ans.
Cependant, on ne connaît pas encore, à l'heure actuelle -à
moins que quelqu'un ne veuille me corriger- leur impact réel sur la
santé, question posée tout à l'heure par M. Huriet
à Mme la ministre.
L'augmentation des productions de masse et la lutte contre la faim poussent
inéluctablement au développement des cultures
transgénétiques, encore que, là, je me suis
interrogé sur la cohérence de la politique européenne en
matière agricole : d'un côté, on parle de
surproduction et de mise de terres en jachère, ces terres ne pouvant
naturellement plus produire ; de l'autre, compte tenu de cette
surproduction, pour faire face aux besoins d'alimentation, on fait des produits
génétiquement modifiés. Quelle est la cohérence en
la matière ?
Des études sur l'innocuité de ces organismes
génétiquement modifiés sont en cours, et un rapport de
scientifiques américains indiquait récemment -je cite-
" qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter de l'impact des OGM
sur la santé ".
Cependant, il convient de rester vigilant, et
je tiens à saluer la Commission européenne -et son
Président- qui vient de rendre obligatoire l'étiquetage des
produits contenant plus de 1 % d'OGM dans leur composition. C'est, je
crois, une disposition de précaution indispensable.
Mais ce rapprochement des positions est, au sein de la Communauté,
encore trop exceptionnel, et la France apparaît, à l'heure
actuelle, dans ce domaine de précaution, quelque peu isolée.
Notre pays défend tout à la fois la qualité et la
sûreté des aliments, que ce soit par l'intervention de ce trublion
agricole baptisé M. José Bové, qui combat la
" malbouffe " -il a joué son rôle, même s'il a
parfois tenu des propos désagréables- ou par le truchement de
l'Etat, qui maintient l'embargo contre le boeuf britannique. Paris s'accroche,
à juste raison, au principe de précaution, au risque d'encourir
des sanctions financières de la Communauté.
Mais, lorsqu'il s'agit de la sécurité des consommateurs, il ne
faut pas transiger. Si les législateurs que nous sommes ne doivent pas
tomber dans des psychoses alimentaires, ils sont parfaitement dans leur
rôle quand ils souhaitent que les Français aient, en toute
transparence, la parfaite connaissance et le libre choix des produits qu'ils
achètent. Mais transparence est liée, comme je l'ai
rappelé tout à l'heure, à authenticité
vérifiée.
Cette transparence alimentaire passe par une politique de parfaite
traçabilité des produits. Dans cet esprit, je tiens à
saluer l'action du Gouvernement, qui a installé récemment
l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments,
appelée AFSSA. Cette Agence, voulue, je le rappelle, par le Parlement,
est composée d'éminents experts capables d'évaluer le
risque en toute objectivité, une objectivité qui n'a
d'égale que celle qui m'anime au moment où j'ai salué
cette création.
Cependant, il nous faut éviter de tomber dans un catastrophisme de
mauvais aloi. Force est de constater qu'aujourd'hui les produits sont dans
l'ensemble plus sûrs qu'autrefois. Ce n'est pour autant qu'il faille
baisser la garde et ne pas persévérer dans l'action qui est
engagée par vous, par nos experts et par les personnes
intéressées dans la recherche toujours du meilleur produit, d'une
qualité sans reproche, dans la mesure où cela est possible.
Si des crises se déclenchent, c'est aussi sans doute parce que les
contrôles sont plus nombreux et plus efficaces. Il faut donc
éviter de propager des craintes excessives par rapport à la
réalité des faits, car ces psychoses peuvent avoir des
conséquences économiques, sociales, commerciales, voire
même culturelles, désastreuses pour certaines populations et aussi
pour les filières agro-alimentaires de production.
Je ne veux pas retenir plus longtemps votre attention, largement
sollicitée depuis ce matin.
Pour conclure, je voudrais, après avoir remercié une nouvelle
fois notre invité, M. Byrne, déplorer l'insuffisante
coordination des politiques sécuritaires alimentaires en Europe. Certes,
ce n'est pas le seul domaine : nous venons de voir à l'instant,
dans le cadre d'un procès retentissant, que, dans le domaine de la
justice, il y a aussi besoin de coordonner ; sinon, cette absence de
coordination est préjudiciable à la construction à
laquelle nous sommes attachés depuis tant de temps : la
construction européenne.
Le manque d'harmonisation sur ce sujet de la sécurité alimentaire
est d'autant plus choquant que la politique agricole européenne est
baptisée " politique agricole commune ". Il faut lutter contre
cet état de fait et revenir rapidement à des orientations claires
et communes, sans lesquelles nous ne pourrions faire entendre de manière
sérieuse notre voix sur la scène mondiale.
Je compte sur vous, Monsieur le Commissaire, pour nous aider à oeuvrer
dans ce sens.
Que de cette journée de travaux sorte le message suivant, que je
voudrais vous délivrer : la libéralisation des
échanges et les intérêts financiers de certains groupes
industriels ne doivent en aucun cas faire oublier la sécurité
alimentaire. Sachez que, sur ce sujet, le Sénat ne saurait transiger.
Je sais, cependant, que des progrès appréciables ont
été réalisés avec notamment l'adoption par la
Commission européenne, le 12 janvier dernier, d'un Livre blanc sur la
sécurité alimentaire, dont vous connaissez fort bien l'auteur, je
crois, Monsieur le Commissaire... Ce document repose sur une conception globale
de ce problème qui s'applique à toute la chaîne
alimentaire, de la ferme à la table. Il propose la création d'une
Autorité alimentaire européenne et un programme de
réformes législatives. Néanmoins, à l'heure
actuelle, les consultations sont encore en cours et les orientations
véritablement arrêtées ne seront connues qu'en septembre
prochain.
Si la qualité de l'alimentation n'a jamais été aussi
sûre en France -je tiens à l'affirmer- conclut un rapport
parlementaire, les consommateurs se doivent cependant de maintenir sans
relâche leur vigilance et nous devons, nous, législateurs,
être à leurs côtés. Gouverner, c'est
prévoir ; prévoir, c'est anticiper. Coordonner nos
réponses au niveau européen en matière de
sécurité sanitaire est l'objectif que, tous ensemble, nous devons
nous fixer. Faisons en sorte que nous puissions oeuvrer dans le même sens
pour atteindre le plus rapidement possible un tel objectif.
Je vous remercie de votre attention complaisante.
(Applaudissements...)
M. LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Président ; merci,
Monsieur le Commissaire européen ; merci, Mesdames, Messieurs, de
votre assiduité.
SÉCURITÉ SANITAIRE
Etat des lieux et perspectives en France et en Europe
Une journée d'auditions publiques
par M. Jean DELANEAU,
Président
A
l'origine de la profonde réforme de la sécurité sanitaire
mise en place dans notre pays par la loi du 1
er
juillet 1998,
la commission des Affaires sociales du Sénat entend suivre avec une
particulière vigilance les premiers pas des trois Agences
créées par cette loi.
En mai 1999, dès la publication des décrets d'application
permettant l'installation de l'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, de l'Agence
Française de Sécurité Sanitaire des Aliments et de
l'Institut de Veille Sanitaire, la commission a procédé à
l'audition de leurs responsables.
Un an plus tard, le 25 mai 2000, elle a souhaité organiser une
journée d'auditions publiques, consacrée à l'état
des lieux et aux perspectives dans le domaine de la sécurité
sanitaire, en France comme en Europe. Les Agences, les consommateurs, les
producteurs, les experts, les journalistes spécialisés, les
responsables ministériels, mais également le Commissaire
européen chargé de la protection de la santé et des
consommateurs ont pu, à cette occasion, exprimer leur point de vue.
Le présent rapport d'information livre le compte rendu intégral
de cette journée d'auditions, introduite par MM. Charles Descours
et Claude Huriet, et clôturée par M. Christian Poncelet,
Président du Sénat.