Intervention de Christian PIERRET Secrétaire d'État à l'Industrie
Gérard LARCHER Vice-Président du Sénat, Président du groupe d'étude sur l'avenir de la Poste et des Télécommunications
Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir Christian Pierret, secrétaire d'État à l'industrie, ministre en charge du secteur postal et de la réflexion qui doit être conduite en collaboration avec le Parlement. Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé à présenter devant le parlement un texte d'orientation sur l'avenir de ce secteur essentiel. Nous avons déjà accueilli lors de ce colloque une certain nombre d'acteurs du marché postal mais aussi les représentants de deux postes européennes qui font beaucoup parler d'elles : TNT et le Deutsche Post. Enfin, nous avons reçu Monsieur l'ambassadeur de Nouvelle-Zélande qui nous a parlé de la stratégie dynamique qui avait été mise en oeuvre dans son pays.
En France, La Poste a toujours joué un rôle essentiel et a acquis grâce aux différents Gouvernements un véritable esprit d'entreprise. Quel avenir voyez-vous pour elle et pour les autres opérateurs postaux sur le marché français ?
Christian PIERRET Secrétaire d'État à l'Industrie
Je considère que ce colloque est particulièrement important dans la période de profondes mutations que nous traversons actuellement. Je souhaiterais contribuer par cette intervention à ouvrir de nouvelles perspectives.
Je commencerai par rassurer Monsieur l'ambassadeur de Nouvelle-Zélande en rappelant que la poste française n'est ni fatiguée ni dépassée mais dynamique et offensive. Cette entreprise est aujourd'hui un service public à esprit entrepreneurial. Je vais tenter au cours de mon exposé de le démontrer.
La Poste est armée pour affronter la concurrence tout en jouant un rôle de service public que nous souhaitons exemplaire. Le ministre de tutelle a clairement affirmé qu'il n'y avait pas antinomie entre concurrence et service public. Au contraire, nous faisons le pari d'assurer le développement, la rénovation et la dynamisation du service public dans ce nouveau contexte de concurrence.
Depuis deux ans, j'ai eu l'occasion à de nombreuses reprises de discuter avec le personnel de La Poste dont je salue le président, Monsieur Bourmaud. Je tiens donc à rappeler que les postiers ont beaucoup évolué et sont parvenus à transformer profondément leur culture d'entreprise. Ils me paraissent aujourd'hui prêts à affronter les défis de notre époque grâce à leur grand professionnalisme, leur adaptabilité et leur dévouement au service public.
Le défi technologique et l'internationalisation : une chance pour La Poste
L'univers postal est actuellement en voie rapide de transformation du fait de l'évolution technologique (fax, portables, Internet qui concurrencent le courrier traditionnel) et le développement des échanges qui induit une internationalisation des acteurs.
Ces deux phénomènes peuvent être interprétés de deux manières :
Il y a d'abord une lecture négative et passéiste : le développement de la société de l'information condamnerait le courrier traditionnel ; l'internationalisation des acteurs et des marchés devrait déboucher sur une marginalisation progressive de la France.
Cette lecture n'est pas la mienne : je suis au contraire persuadé que les évolutions en cours sont autant d'opportunités que La Poste doit saisir et qu'elle saisit d'ailleurs avec l'appui du Gouvernement et au bénéfice des citoyens.
On pense généralement que les nouvelles technologies concurrencent le courrier traditionnel. J'y vois au contraire un facteur de croissance pour les services postaux. C'est ce dont témoigne le marché américain : l'utilisation massive des nouvelles technologies de l'information n'a pas nui au développement du courrier. Bien au contraire, la croissance des services électroniques a entraîné l'ensemble des autres secteurs de la poste. Il y a plus de 600 unités distribuées par personne et par an aux États-Unis et le taux de croissance est de 4,5 % par an. En fait, les services postaux américains sont extrêmement dynamiques et les nouveaux produits n'ont pas tué les produits traditionnels. La société de l'information trace donc une perspective de développement et non de récession.
De même, l'internationalisation des acteurs et des marchés nous place au deuxième rang européen et au quatrième rang mondial en terme d'activité. Nous avons donc toutes nos chances de profiter de l'ouverture des marchés. Ce phénomène est même renforcé par l'écart de croissance positif dont nous bénéficions par rapport aux autres pays d'Europe et notamment à l'Allemagne et à l'Italie. La Poste se situe ainsi au deuxième rang européen en terme de chiffre d'affaires et au premier rang en terme de trafic. Elle représente un quart du trafic européen. Ce seul effet de masse nous offre des chances inestimables de bénéficier de l'internationalisation.
La Poste est bien armée pour saisir ces opportunités
Il y a deux ou trois ans, le sénateur Larcher parlait du "devoir politique" et de "l'impératif économique" de "sauver La Poste". Gérard Delfau parlait de "La Poste, un service public en danger". La situation financière de l'entreprise était en effet très difficile, du fait du coût du transport de la Presse, du poids grandissant des retraites, de la charge de la dette et du désengagement financier de l'État. En 1995, les pertes atteignaient 1,5 milliard de francs et, en 1996, 650 millions de francs. De plus, sur le plan social, les difficultés étaient également très préoccupantes puisque 40 % des agents contractuels avaient un statut précaire. Le nombre de jours de grèves en 1995 (plus de trois jours par agent) traduisait un malaise profond.
Face à ces défis, la réponse apportée par le Gouvernement précédent était simple : la hausse du prix du timbre qui a cru de 20 % entre 1993 et 1996.
Depuis deux ans, le gouvernement a cherché d'autres solutions dynamiques et inventives qui ont déjà commencé à porter leurs fruits. Il était évidemment impossible de résoudre tous les problèmes d'un seul coup mais des résultats remarquables ont déjà été atteints.
La Poste est aujourd'hui plus solide, comme le montre le résultat positif de 1998 (337 millions de francs). Il s'agit d'un véritable renversement de tendance dont je tiens à féliciter les dirigeants de La Poste ainsi que l'ensemble de son personnel.
Ces résultats sont d'autant plus encourageants qu'ils ont été obtenus sans compromettre l'avenir de l'entreprise : les flux annuels d'investissements ont même augmenté de 2 milliards de francs depuis 1996. Cette dynamique est également le fruit d'une politique énergique conduite par le Gouvernement en faveur de la croissance économique globale.
D'autre part, La Poste a su à la fois développer ses métiers fondamentaux et acquérir de nouvelles compétences. Ainsi, l'entreprise est aujourd'hui à la pointe des technologies de l'information : une véritable cyber-poste est née, accessible et présente avec 1000 bornes internet installées sur le territoire.
C'est le sens du service public qui doit mettre à la disposition de tous les meilleures technologies aux meilleurs coûts possibles.
Dans le secteur financier, La Poste a également remporté de grands succès. Elle a notamment conforté sa position dans l'assurance de personnes et gère à présent 250 milliards d'actifs. En vertu du contrat d'objectifs et de progrès que nous avons signé avec elle, elle gérera aussi les dépôts des comptes-chèques postaux soit 180 milliards de francs. Enfin, après un léger recul, l'activité colis s'est renforcée et son chiffre d'affaires dépasse à présent 12 milliards de francs et a connu une croissance de 33 % en 1997. En fait, sur tous ces métiers, La Poste est allée bien au-delà de nos espérances les plus optimistes.
Sur le plan social, les emplois précaires sont en régression nette au sein de La Poste. L'accord sur les 35 heures qui a été signé par plusieurs syndicats est reconnu par tous comme exemplaire. Il faut maintenant qu'il se traduise par une mise en place efficace au niveau local. 4000 accords locaux ont déjà été signés et plusieurs centaines d'autres sont actuellement en cours de négociation. D'autre part, La Poste a recruté quelques 5000 emplois jeunes pour développer de nouveaux services au profit des usagers.
Nous avons affirmé clairement des objectifs de croissance, de dynamisme et d'esprit d'offensive dans le contrat d'objectifs et de progrès pour la période 1998-2001. J'ai d'ailleurs pris à cette occasion un ensemble d'engagements très forts afin que l'État accompagne la croissance et le développement de La Poste. Cela s'est manifesté par un engagement financier important de 3 milliards de francs puisque l'État couvrira pour la durée du contrat le surcoût résultant de l'évolution lourde du régime des retraites de La Poste. Nous avons également pris l'engagement de ne pas augmenter le prix du timbre car dynamique retrouvée permet de se dispenser de ce type de mesures.
Comment amplifier cette dynamique de progrès ?
L'Europe constitue un vecteur de progrès pour le service postal et un atout pour la Poste française.
La conclusion des négociations en décembre 1997 de la directive postale a permis de faire prévaloir les thèses françaises. On décrit souvent la directive européenne sur les services postaux comme une directive de libéralisation. C'est faux. La part de marché de la Poste ouverte à la concurrence par la directive est minime : 2,2 % des envois postaux.
En revanche la directive européenne consacre le service universel et les services réservés. Traduits dans un vocabulaire qui nous est plus familier, la directive reconnaît le service public et le monopole qui peut lui être associé. C'est ce qu'a d'ailleurs montré la discussion récente des articles de la loi transportant la directive et qui seront prochainement débattus en lecture définitive par l'Assemblée nationale. Je salue à ce titre le travail exemplaire réalisé par la Commission Supérieure des Postes et Télécommunications dont je tiens tout particulièrement à féliciter le Président.
La nouvelle directive européenne devra être, encore plus que la précédente, au service des citoyens européens. Je défendrai un service public ambitieux, un cadre réglementaire favorable à la modernisation des opérateurs postaux et non à leur remise en cause au nom d'options ultralibérales qui ne tiennent compte ni de la spécificité de ce secteur, ni des attentes des citoyens.
La nouvelle commission européenne pourrait d'ailleurs faciliter le travail des défenseurs du service public. J'entends que la nouvelle directive s'inscrive dans le droit fil du Traité d'Amsterdam et des services d'intérêt économique général qu'il reconnaît.
Pourquoi pas un service postal européen ? C'est-à-dire des frais terminaux qui correspondent enfin aux réalités économiques et permettent de lutter contre le repostage. C'est-à-dire surtout un service comparable en Europe, qui permettent aux citoyens européens de communiquer entre eux plus rapidement et avec une meilleure qualité de service. Ce sont là les questions pertinentes pour les citoyens européens. Je compte que les négociations qui s'engageront entre États membres y répondent.
Les objectifs du Gouvernement : une poste résolument moderne, combative au plan international et proche des citoyens.
L'utilisation des nouvelles technologies par La Poste a progressé. Je souhaite que ce mouvement s'accélère. En combinant une offre financière, logistique et de courrier, la Poste dispose d'atouts incontestables pour se positionner sur le marché du commerce électronique. C'est également en pariant sur la société d'information que La Poste pourra encore mieux répondre aux attentes des entreprises, qui sont ses principaux clients, par exemple dans le domaine de la vente par correspondance.
Le développement international de La Poste est une priorité. Je le soutiens sans réserve car c'est aujourd'hui une condition indispensable pour la réussite de l'entreprise, y compris sur son marché domestique.
Le développement est aujourd'hui bien engagé dans l'express international comme dans la messagerie, avec la prise de position récente sur le marché allemand et les partenaires avec certaines postes européennes.
Il faudra aller plus loin. La Poste doit trouver 5 à 7 Mds de F pour affermir ses positions face à la concurrence et trouver sa place. Grâce aux efforts entrepris, la Poste a retrouvé les moyens de financer elle-même cette ambition. Nous devons tous nous en féliciter.
Derrière le discours de certains, je sens la tentation d'une poste à deux vitesses avec des prix différents selon les catégories de clientèle. Je le dis avec fermeté, ce n'est pas -ce ne sera pas- le projet du Gouvernement.
Au contraire, le Gouvernement soutient la modernisation des services publics. Les Commissions départementales de la présence postale territoriale, mises en place en 1998, seront le lieu de cette modernisation. Là encore, le Gouvernement a fait le choix d'une méthode, celle de la concertation et du partenariat.
J'ai confiance dans la capacité qu'aura La Poste de trouver un nouvel élan. Dans les mois à venir, va s'engager une partie difficile avec nos partenaires européens. Beaucoup ne partagent pas nos opinions sur le service réservé et le service universel. Je suis pourtant convaincu que nous pouvons rassembler beaucoup de membres de l'Union derrière une telle conception qui assurera à la Poste son rôle de service public, son esprit d'entreprise, son envergure internationale et ses succès économiques futurs.