N°226
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 9 février 2000.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
fait au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) et du groupe d'étude sur l'avenir de La Poste et des Télécommunications sur les principales évolutions de La Poste et du secteur postal de novembre 1997 à juin 1999.
Actes du colloque « Postes Europe Territoires » organisé au Sénat le 2 juin 1999.
Par M. Gérard LARCHER,
Sénateur.
(1) (1) Cette commission est composte de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Paul Emorine, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, vice-présidents ; Georges Berchet, Léon Fatous, Louis Moinard, Jean-Pierre Raffarin, secrétaires : Louis Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland Courteau, Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Paul Dubrule, Bernard Dussaut, Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.
(2) Ce groupe d'étude est composé de : MM. Gérard Larcher, président : Pierre Hérisson, François Trucy, Paul Girod, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, Philippe Adnot, vice-présidents : Louis Althapé, secrétaire : Pierre André, Jacques Bellange, Janine Bardou, Désiré Debavelaere, François Gerbaud, Alain Gournac, Jean Huchon, Jean-Paul Hugot, Roger Hussun, Serge Lagauche, Edmond Laurel, Gérard Le Cam, Jacques Oudin, Michel Pelchat, Danièle Pourtaud, René Trégouët, Pierre-Yvon Trémel.
Poste et télécommunication
ACTES
?
du colloque tenu au Sénat le 2 juin 1999
"Postes Europe Territoires"
Sous le Haut patronage de Monsieur Christian PONCELET, Président du Sénat
À l'initiative de Monsieur Gérard LARCHER, Vice-Président du Sénat, Président du groupe d'étude sur l'avenir de la Poste et des Télécommunications
Animation des débats par Henri LOIZEAU, journaliste
Ouverture de la matinée par Gérard LARCHER
Henri LOIZEAU
Mesdames, Messieurs, bonjour et bienvenue à cette journée au Sénat qui sera consacrée à une réflexion sur l'avenir de la Poste, la libéralisation du secteur postal et les défis auxquels devront faire face les différents groupes publics et privés qui se sont engagés sur ce terrain. Le président Larcher va prendre la parole pour ouvrir ce colloque.
Gérard LARCHER
Madame et Messieurs les présidents, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, je tiens tout d'abord à vous souhaiter la bienvenue dans cette salle Médicis du Sénat de la République. Le Sénat est un organe parlementaire dont la réputation n'est plus à faire mais c'est aussi un lieu d'accueil des débats de société et d'attention aux questions prospectives. Je formule donc le voeu que le déroulement de nos travaux réponde à toutes vos attentes et, en tant que président de séance, je m'efforcerai de proscrire de nos discussions toute forme de langue de bois. Il ne s'agit pas d'encourager les polémiques mais de confronter nos idées avec sérieux et respect. Mais nous gagnerons tous à exprimer clairement et en toute liberté ce que nous croyons. Je commencerai donc par vous faire part sans détour de ma vision du monde postal actuel ainsi que des questions auxquelles ce colloque nous permettra, je l'espère, de répondre.
Il me faut avant tout vous rappeler quel est mon engagement politique et quelles sont les valeurs sur lesquelles il repose. J'appartiens à la famille gaulliste. J'estime donc que le souci de l'unité de la nation se trouve au coeur de mes décisions et de mon action d'élu. Je crois aux valeurs originelles du service public : l'accomplissement des tâches générales d'intérêt général par des moyens spécifiques dérogatoires au droit commun me paraît constituer un facteur essentiel de l'unité et de la solidarité nationale. Je pense que l'État doit être fort pour rester garant des droits des citoyens et des valeurs de la République. Néanmoins, je ne crois pas que l'État doive tout réglementer et je suis convaincu qu'il faut dépasser les simples clivages et querelles idéologiques pour construire le meilleur avenir pour notre pays.
Je suis persuadé que le volontarisme est la pierre de touche de toute action politique efficace. Mais toute politique qui ne reposerait pas sur la réalité économique serait vaine, vouée à l'échec et lourde de cruelles déceptions. C'est sur ces convictions que repose l'analyse des réalités postales contemporaines que j'ai présentée voici dix-huit mois devant la commission des Affaires économiques et le groupe d'étude du Sénat sur l'avenir de La Poste. Cette approche repose sur un constat simple : la vision traditionnelle de La Poste que la majorité de nos concitoyens ont à l'esprit appartient au passé.
Les échanges de plis entre particuliers ne représentent plus aujourd'hui que 6 % des activités de La Poste. Le reste du courrier est constitué par les échanges entre les entreprises et entre les ménages et les entreprises. Trop peu de français savent que le tiers du chiffre d'affaire de La Poste est réalisé auprès de quelques 80 clients parmi lesquels des banques, des sociétés de vente par correspondance, des assureurs ou des facturiers. Parallèlement, les nouvelles techniques de communication (fax, Internet, courrier électronique, échange informatique de données...) sont en train de bouleverser les métiers postaux traditionnels. Actuellement, aux États-Unis, un abonné à Internet peut éditer sur son ordinateur les timbres de la poste américaine sans avoir à se déplacer. Il lui en coûte un cent de plus que s'il les avait achetés au guichet. Le président de Néopost, une société française qui vend ce service aux États-Unis, nous donnera plus de détails sur cette révolution de l'intervention.
Parallèlement à ces évolutions économiques et technologiques, les monopoles juridiques accordés de longue date aux postes européennes sont en voie de réduction programmée. La Commission a arrêté un certain nombre d'orientations et une disposition du projet de loi d'orientation pour l'aménagement du territoire qui a prévu de ramener de un kilo à 350 grammes le poids des envois non express devant obligatoirement être confiés à La Poste. Notre première table ronde fera le point sur ce sujet.
Dans la société de communication mondialisée qui commence à se dessiner, les activités de nature postale me paraissent promises à un brillant avenir. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, les évolutions structurelles en gestation seront probablement moins rapides que cela peut être annoncé pour la simple raison que les hommes ne changent pas aisément leurs habitudes. D'autre part, les technologies de l'information offrent de nouvelles opportunités aux postes historiques qui bénéficient d'un savoir-faire et d'une image de marque qui leur permettront sans doute de s'imposer sur Internet pour assurer par exemple la fiabilité et la date certaine des courriers électroniques les plus sensibles. De même, le développement du commerce électronique et des achats à distance devrait accroître le chiffre d'affaire des activités de port de colis à domicile. Enfin, la mondialisation de l'économie et la gestion en flux tendus des stocks et des ventes des entreprises tend à faire exploser le marché international du fret express et de la logistique, c'est à dire le transport rapide et sécurisé sur l'ensemble de la planète de paquets qui contiennent des pièces détachées ou des produits finis.
Les grandes postes européennes possèdent de nombreuses compétences qui laissent supposer qu'elles pourraient exceller dans ce type d'activités. Si quelqu'un doute du caractère porteur de ce marché, il lui suffira de s'intéresser à la réussite exceptionnelle d'UPS, l'un des quatre grands opérateurs mondiaux spécialisés sur ce créneau. Cette société américaine a pris son envol au cours des années 70 et emploie aujourd'hui 340 000 salariés. Elle possède une flotte d'avions moyen et long courrier deux fois supérieure à celle d'Air France et achemine annuellement plus de 5 % du PIB américain. Son chiffre d'affaire est une fois et demie supérieure à celui de La Poste.
Si certains doutent de la capacité des postes européennes à s'intégrer sur ce marché, ils pourront avec profit observer le parcours de la poste hollandaise qui a engagé une stratégie de modernisation au milieu des années 80 et a maintenant absorbé TNT, l'un des quatre grands intégrateurs et est en train de devenir un opérateur majeur. Quelques temps plus tard, la poste allemande s'est résolument engagée dans la même voie. La poste britannique a récemment annoncé qu'elle allait suivre cet exemple.
La poste française est une belle entreprise dont la compétence est internationalement reconnue. Elle est riche du savoir faire des hommes et femmes qui la composent et est un acteur essentiel du service public républicain et de la vitalité des régions. Les élus locaux sont d'ailleurs très attachés à la présence de La Poste sur leurs circonscriptions. Mais cette entreprise possède également quelques défauts : rigidités structurelles, oubli, parfois, des exigences de continuité du service public... Surtout, elle est asphyxiée par des charges financières trop lourdes puisqu'elle doit financer la retraite de tous les postiers et assurer des missions d'intérêt général qui sont trop souvent mal compensées par l'État (aménagement postal du territoire, transport de la presse ou rôle de guichet bancaire des plus démunis de nos concitoyens). Ces charges pouvaient se concevoir dans une logique de monopole mais deviennent insupportables dans un univers concurrentiel où il n'est plus possible d'augmenter le prix du timbre.
Notre poste me paraît donc écartelée entre deux défis : la globalisation mondiale qui lui impose de s'engager hors du territoire d'une part, sa présence territoriale et son caractère stratégique pour l'aménagement du territoire qui la force à s'enraciner mieux encore dans l'Hexagone. Or La Poste se trouve dépourvue des moyens financiers nécessaires pour relever ces défis.
À Dublin, en 1996, le Président de la République, en passant un accord politique avec le chancelier allemand, a pourtant offert à l'entreprise une chance inespérée : La Poste a en effet obtenu six ans de répit avant que ne puissent être posées des règles européennes qui déboucheraient sur un choc concurrentiel deux fois plus important que celui auquel nous assistons aujourd'hui. Depuis, il me paraît pourtant que trop peu de décisions ont été prises. Pour affronter le marché mondial, notre poste a besoin de passer une grande alliance avec un opérateur intervenant au niveau international. Deux postes européennes l'ont déjà fait et le nombre de partenaires possibles a diminué depuis lors. Il continuera de diminuer.
Pour nouer cette alliance et pouvoir engager les investissements qui seront nécessaires pour établir une nouvelle stratégie plus offensive, il faut que La Poste dispose d'un capital social. Son statut actuel ne le lui permet pas et il me semble donc nécessaire de le réformer, quelle que puisse être la formule définie en fin de compte. La voie de Société Anonyme d'État me semble être à ce titre une hypothèse intéressante. Trop peu de gens osent le dire, même si la Commission Supérieure des Services Publics a engagé le débat et approfondi la réflexion.
Parallèlement, La Poste doit continuer d'assurer son rôle de service public et de soutenir nos territoires en situation difficile. Mais il ne faudrait pas que cela soit source de charges supplémentaires trop importantes. L'État doit donc prendre ses responsabilités. De même, les élus locaux doivent être capables de s'investir de façon plus rationnelle dans la définition des missions dévolues à La Poste et de renoncer aux tendances trop niveleuses de notre jacobinisme.
Pour toutes ces raisons, le Sénat avait demandé en 1998 que soit discutée une nouvelle loi d'orientation postale. Jusqu'alors, seul a été voté en 1999 un amendement au projet de loi d'aménagement du territoire visant à transposer la directive européenne. Ce n'est pas suffisant : nous avons besoin de perspectives nouvelles et donc d'un grand texte définissant les ambitions que nous partageons pour La Poste. J'espère donc que ce colloque permettra de répondre à un certain nombre de questions :
• Le Gouvernement peut-il se contenter d'attendre que
les évolutions du marché lui imposent des décisions ?
Quand entend-il présenter la loi d'orientation postale ?
• La Commission de l'Union Européenne
peut-elle laisser les monopoles publics postaux avaler des entreprises
privées de transport express et de logistique avec des fonds
collectés à l'abri de la concurrence ?
• Le retard de la Commission Européenne
à présenter une nouvelle réglementation ne risque-t-il pas
d'aboutir à une libéralisation sauvage si nous dépassons
la fin de l'année 2004 ?
• Quelle régulation doit-on envisager pour le
futur secteur postal ouvert à la concurrence ?
• Quelles alliances sont-elles encore possibles
aujourd'hui pour la Poste ?
• Comment assurer le meilleur service public et le
meilleur aménagement postal du territoire sans créer des
déficits financiers insupportables ?
• Comment passer d'une conception immobilière
très XIX
ème
siècle à une conception
moderne de la présence postale ?
Il est grand temps de répondre à toutes ces questions. La réforme dont a besoin La Poste me paraît devoir être d'ordre structurel afin d'éviter que ses comptes ne soient excessivement déficitaires dans dix ans, comme c'est le cas de la SNCF et des réseaux ferrés de France (62 milliards de pertes annuelles). Il y a quelques mois, le Sénat a fait quelques propositions pour l'avenir de La Poste. Elles sont évidemment à discuter et à débattre. Mais trop peu a encore été fait et certains commencent à se demander s'il n'est pas déjà trop tard. Je ne le pense pas mais ce pourrait être le cas si nous continuons à tergiverser. Je souhaite donc que ce colloque puisse contribuer à aiguiser notre volontarisme.
Je crains notamment que les élus locaux, qui sont paradoxalement le plus attachés à La Poste, ne se montrent trop frileux dans la mise en place des changements structurels qui s'imposent, de peur, sans doute, d'être trompés. Il nous faut donc leur démontrer le bien fondé d'une réforme. Je m'en suis rendu compte voici quinze jours en discutant avec les élus lors d'un débat organisé par "L'Est républicain" : le niveau de conscience des élus face aux problèmes que rencontre La Poste est extrêmement divers. Certains élus venant du monde de l'entreprise sont plus détachés de l'aspect purement immobilier de La Poste et comprennent les enjeux de développement économique profonds. D'autres, par contre, ne voient que leur bureau de Poste local qu'il faut conserver à tout prix.
Il nous faut aujourd'hui dépasser les clivages pour favoriser les intérêts réels de La Poste. C'est un enjeu national et très important à la fois pour l'entreprise elle-même et pour la place de la France en Europe. L'un des objectifs de ce colloque est de contribuer à la prise de conscience des enjeux actuels et de préparer ainsi le texte qui établira le nouveau statut de La Poste. J'espère qu'il permettra ainsi à l'entreprise de conserver les parts de marchés et même d'en gagner de nouvelles au niveau mondial.
Henri LOIZEAU
Monsieur le Président, merci d'avoir ainsi situé le débat de cette journée et les questions importantes. Je vais maintenant ouvrir la première table ronde de la matinée sur le thème de la libéralisation en 1999 et en 2003.
Première table ronde État des lieux : Quelle libéralisation entre 1999 et 2003 ?
Jacques GUYARD Député, Président de la Commission Supérieure du Service Public des Postes et Télécommunications (CSSPPT)
L'initiative de Gérard Larcher qui a organisé ce colloque arrive au meilleur moment puisque nous sommes actuellement en plein débat parlementaire sur la transcription de la directive européenne. Un certain retard a été pris en France comme dans d'autres pays d'Europe, ce qui prouve bien qu'il existe un réel problème dans la définition de l'avenir du secteur postal.
Le rôle de la CSSPPT
Je préside la CSSPPT qui a été créée en 1990 de façon à ce que le Parlement puisse conserver un certain contrôle sur l'évolution des budgets de La Poste et de France Telecom qui n'étaient plus présentés comme budgets annexes. La CSSPPT est constituée de sept députés, de sept sénateurs et de trois personnalités qualifiées et doit obligatoirement être consultée par le Gouvernement sur les lois, les décrets d'application et les projets de directives européennes concernant ces deux secteurs d'activité. C'est donc le lieu institutionnel du débat sur les postes et télécommunications et un club de parlementaires passionnés par ces questions qui tentent de réfléchir sur les mesures à prendre. L'esprit qui préside à l'activité de la CSSPPT est une recherche du consensus et de l'efficacité. Nous sommes également soucieux d'informer le plus précisément possible le Gouvernement et les parlementaires sur l'évolution de nos réflexions. Au cours de ce colloque, vous entendrez plusieurs membres de la CSSPPT dont Gérard Delfau, Pierre Hérisson et François Brottes.
La libéralisation en Europe
En ce qui concerne la libéralisation, je constate à la fois un large consensus de fait et une ambiguïté quant aux perspectives d'avenir. En effet, dans toutes les discussions concernant l'application de la directive européenne, il n'y a pas eu de grands écarts idéologiques entre les différents Gouvernements. Tous ont eu le souci de protéger le secteur postal et d'assurer une évolution maîtrisée vers la libéralisation. Les ministres François Fillon et Christian Pierret ont ainsi imposé à la Commission Européenne la conception d'un service universel postal qui est assez proche de l'esprit du service public postal à la française. Cela s'est traduit par l'amendement qui sera adopté le 15 juin par l'Assemblée Nationale et qui constitue l'article 15 bis de la loi sur l'aménagement du territoire. Cet amendement exploite toutes les possibilités d'extension du service universel qu'offre la directive européenne et prévoit le financement les plus larges autorisés par cette directive.
C'est une chose importante puisque le service universel insiste sur plusieurs aspects fondamentaux : la qualité du service (qui est plutôt bonne en France puisque le service est assuré six jours sur sept), la desserte de l'ensemble du territoire et le prix abordable et péréqué. Il existe aussi un secteur réservé pour les lettres de plus de 350 grammes et dont le prix ne dépasse pas cinq fois le tarif de base. Je crois que le service réservé est assez large pour permettre de financer dans des conditions satisfaisantes le service universel. Nous sommes donc dans une libéralisation très limitée puisque seulement 40 % des services de La Poste sont concernés par l'environnement concurrentiel.
La répartition difficile entre secteur en concurrence et secteur monopolistique
Pourtant, le coût du service public hors service universel existe et est assez lourd pour La Poste. De plus, il n'est pas encore financé par des ressources propres. C'est le cas du transport de la presse, du réseau de bureaux en milieu rural notamment, et des retraites des postiers, par exemple. La situation actuelle est pourtant satisfaisante grâce à l'évolution structurelle dans laquelle s'est engagée La Poste et qui est trop souvent méconnue. La productivité s'est notamment beaucoup améliorée et de nouveaux marchés ont été découverts dans le domaine du publipostage adressé ou du courrier prépayé par exemple.
Le problème est à présent de préparer 2003 afin de ne pas se retrouver brusquement confronté à une libéralisation sauvage en 2004. Mais avant d'engager une réforme de La Poste, il faut être conscient des enjeux : nous nous inscrivons trop souvent, à mon avis, dans un discours de libéralisation subie et inéluctable de l'ensemble du secteur postal. C'est loin d'être une évidence, ainsi que le montrent les débats actuels en Allemagne qui opposent la poste allemande et UPS. UPS accuse en effet la poste allemande d'utiliser les ressources provenant du secteur monopolistique pour améliorer sa compétitivité sur le plan de la livraison de colis. La poste allemande rétorque que c'est une nécessité afin d'assurer une distribution réellement homogène sur l'ensemble du territoire.
La question se posera également pour la France qui compte un quart d'habitants en moins mais dont la population est répartie sur une superficie 1,5 fois plus importante. Ceci représente donc une contrainte beaucoup plus forte en matière de service public. Une libéralisation totale mettrait donc en danger une partie du service universel et en particulier la péréquation des tarifs. Or celle-ci est au coeur de la notion de service public. D'autre part, la libéralisation totale paraît difficile puisque la boucle locale, c'est à dire le réseau rural et des petites villes, serait très difficile à maîtriser pour un nouvel entrant sur le marché. Les discussions sur les prix seraient de plus excessivement difficiles.
On parle également beaucoup à l'heure actuelle d'un tarif unique européen. Mais cette idée me semble complètement utopique, à moins bien sûr de constituer une poste européenne unique. En effet, les différences de territoire et de marché risqueraient de mettre en difficulté certains opérateurs, et notamment la poste française, qui doivent couvrir une surface plus importante et se trouvent confrontés à des densités de population beaucoup plus faibles (60 millions d'habitants pour 550 000 km 2 en France soit 100 habitants/km 2 contre 1000 habitants/km 2 aux Pays-Bas).
La nécessité d'un grand texte postal
Je pense donc qu'un grand texte d'orientation du secteur postal est nécessaire ainsi que le mentionnait Gérard Larcher. Il devra établir clairement quelle mission est confiée au secteur postal, quel niveau de concurrence est compatible avec ces missions et, à partir de là, quel statut est souhaitable pour l'entreprise La Poste. Si on commence à réfléchir au statut en premier lieu, nous risquons de nous retrouver confrontés à des conséquences non maîtrisées et indésirables à la fois sur les missions et sur le niveau de la concurrence. Ce qui doit primer dans la décision finale doit donc être le service aux usagers et la maîtrise de l'aménagement du territoire. Il faudra également refondre entièrement le code des postes et télécommunications qui paraît complètement dépassé à l'heure actuelle.
Je crois donc à la nécessité de maintenir un service réservé assez large pour maintenir la qualité du service sur l'ensemble du territoire mais aussi à la nécessité de faire preuve d'un plus grand réalisme en continuant d'améliorer la productivité de La Poste sur la base des progrès déjà réalisés. Il faut en effet se préparer à la libéralisation du publipostage et du transport des petits colis.
Pour réussir cette modernisation, il faudra assurer une gestion efficace de l'entreprise. Il serait par exemple aberrant de confier la gestion de la trésorerie de La Poste à la filiale CCP, ce qui irait contre la transparence des comptes. Le service financier ne saurait en effet financer le secteur courrier. En revanche, il apparaît nécessaire de confier la gestion de l'ensemble des budgets de La Poste à un service unique. La gestion efficace passe également par un passage réussi aux 35 heures et par la capacité à innover. Je l'ai dit, La Poste a fait d'importants progrès et ils doivent se poursuivre en matière de gestion de l'adresse ou de constitution d'un annuaire universel. Le plus difficile sera sans doute la modernisation du secteur colis-logistique. Une modernisation des outils a commencé mais des efforts restent à fournir pour assurer un réseau véritablement européen. Le plus intéressant serait sans doute d'associer La Poste à un opérateur mondial spécialisé dans ces domaines.
Les ressources pour financer ces réformes
D'autre part, il faudra mettre en oeuvre des moyens financiers qui permettront d'engager cette modernisation de façon réellement efficace. La Poste doit pouvoir disposer soit d'un capital social, soit de fonds propres. On pourrait par exemple titriser un certain nombre d'actifs immobiliers, ce qui assurerait la constitution de fonds propres conséquents. Il serait également possible d'ouvrir le capital des filiales qui n'ont pas de raison objective d'être détenues à 100 % par l'État. Enfin, on pourrait débloquer les quasi fonds propres de La Poste actuellement gelés à la Caisse des dépôts comme les livrets jeunes ou l'épargne logement.
Je pense que La Poste a les moyens aujourd'hui d'affronter le marché européen et mondial mais qu'il faut que nous lui donnions des règles du jeu claires : la régulation ne me paraît pas être aujourd'hui un objet d'extrême urgence et il faut axer la réflexion sur les missions confiées à La Poste. Il faudra cependant s'intéresser à la question avant qu'il ne soit trop tard.