EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 juin 1999, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a procédé à l' examen du rapport de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur le débat d'orientation budgétaire pour 2000.

Tout en se réjouissant de constater que le Gouvernement accepte, cette année encore, de se soumettre à la règle du débat d'orientation budgétaire, M. Philippe Marini, rapporteur général, a regretté que les objectifs annoncés soient flous et généraux, se réduisant à trois éléments : une baisse du déficit budgétaire de 20 milliards de francs, une progression des dépenses nulle en volume, une stabilisation des prélèvements obligatoires. Il a observé que le Gouvernement n'avait arrêté aucune priorité, ni en matière de dépenses, ni en matière fiscale.

Le rapporteur général a estimé que ces intentions vertueuses étaient en ligne avec le programme de stabilité de la France élaboré en décembre 1998, et qu'il était possible d'en partager les orientations, notamment la réduction des déficits publics à 1 % du produit intérieur brut (PIB), et la diminution de la dette publique en pourcentage du PIB (mais non en valeur absolue), sans pour autant savoir si des décisions concrètes permettraient de faire respecter ces objectifs.

Souhaitant ne pas livrer de procès d'intention, M. Philippe Marini, rapporteur général, a déclaré juger les faits, c'est-à-dire les résultats obtenus par le Gouvernement, par rapport aux intentions qu'il avait déjà affichées. Rappelant le débat d'orientation budgétaire pour 1999 et le programme de stabilité, qui comprenaient tous deux un objectif de réduction des prélèvements obligatoires et d'allégement des dépenses publiques, il a fait observer que ces annonces n'avaient eu, pour l'instant, aucun début d'application. Tout en prenant acte de la bonne conjoncture économique, qui a permis de réduire les déficits publics, et de la qualification pour l'euro, M. Philippe Marini, rapporteur général, a observé qu'aucun résultat n'avait été obtenu concernant les prélèvements et les dépenses, l'action réelle du Gouvernement ayant seulement consisté à tenter de relancer l'emploi par la dépense publique.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a alors évoqué le cadrage macro-économique du débat d'orientation budgétaire. Rappelant que la commission des finances n'avait pas souhaité remettre en cause l'hypothèse de croissance économique associée au projet de loi de finances pour 1999 (2,7 %), il a néanmoins pu constater que le Gouvernement ne s'était pas privé, dès le mois de décembre 1998, d'infirmer sa propre prévision, le programme de stabilité ne retenant plus qu'une croissance de 2,4 % du PIB. Toutefois, il a observé que le Gouvernement ne remettait pas en cause son objectif de déficit public pour 1999 (2,3 % du PIB) même s'il était question, au début du mois de juin, d'une révision à la baisse, compte tenu du dynamisme des recettes fiscales (+ 9,3 % fin avril 1999).

Le rapporteur général a ensuite rappelé que, contrairement aux prévisions de croissance, la commission avait mis en doute l'inflation prévue pour 1999 (1,3 %), et que le Gouvernement avait effectivement procédé à une révision significative, à 0,5 %, révision susceptible d'affecter les recettes budgétaires.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a également rappelé que certains membres de la commission des finances avaient estimé que le Gouvernement opérerait alors des gels de crédits, ce que celui-ci avait alors démenti. Or, il a fait observer que des contrats de gestion avaient été conclus entre le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et les ministères dépensiers, ces contrats prévoyant, aux dires du ministère lui-même, " la constitution d'une réserve de crédits ", pour un montant total de quatorze milliards de francs.

Le rapporteur général a enfin indiqué que pour l'an 2000, le Gouvernement n'affichait plus des hypothèses de croissance nominale aussi ambitieuses que pour 1999 (de 3,4 % à 3,9 % en 2000, contre 4 % pour 1999), ce qui pourrait avoir des incidences à la baisse sur les recettes et, a contrario, un effet d'augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB, sans que l'objectif quant à la réduction des déficits soit, pour le moment, modifié.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite abordé la question des prélèvements obligatoires.

Il a rappelé que depuis 1998, le Gouvernement promettait de diminuer ces prélèvements, faisant d'ailleurs le reproche au précédent gouvernement de les avoir augmentés et d'avoir ainsi " cassé la croissance ", alors même que la conjoncture économique et le programme de qualification pour l'euro étaient particulièrement contraignants.

Cependant, il a estimé que le Gouvernement ne semblait pas souhaiter réellement baisser les prélèvements obligatoires, pour deux raisons.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a d'abord rappelé l'absence totale de résultats depuis juin 1997. Il a d'ailleurs noté que si les impôts locaux n'avaient pas diminué depuis 1997 (de 7,2 % à 6,9 % du PIB), les prélèvements auraient continué à augmenter. Il a fait observer que la première mesure prise par le Gouvernement fut de faire adopter la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier à l'automne 1997, qui alourdit les prélèvements obligatoires de 0,28 point de PIB. Sans cette mesure, les prélèvements auraient atteint 45,8 % du PIB (au lieu de 46,1%). Il en a donc conclu que le Gouvernement n'avait pas stabilisé les prélèvements obligatoires depuis 1997, mais qu'il les avait augmentés et maintenus à un niveau jamais atteint.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite évoqué l'attitude récente du Gouvernement, consistant désormais à s'accommoder d'une " stabilisation " des prélèvements obligatoires. Reprenant les chiffres figurant dans le document présentant les comptes prévisionnels de la Nation pour 1999 et les principales hypothèses économiques pour 2000, publié au mois d'avril, le rapporteur général a fait observer que l'objectif de réduction des prélèvements obligatoires était repoussé à l'an 2000, rendant déjà caduques les objectifs du programme de stabilité pour 2002.

Enfin, le rapporteur général a mentionné deux signes spectaculaires du renoncement du Gouvernement à baisser les prélèvements obligatoires : la création d'une " écotaxe " pour financer les réductions de charges sur les bas salaires, et la création d'une contribution additionnelle sur les bénéfices des entreprises de plus de 50 millions de chiffre d'affaires, alors même que le produit de l'impôt sur les sociétés est en hausse de 38 % en avril 1999, par rapport à l'an passé. Il a rappelé la préférence du Sénat pour une réduction réelle des charges pesant sur le travail, et que la commission ne pouvait souscrire au remplacement d'un impôt par un autre.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite abordé la question de la maîtrise des dépenses publiques.

Il a fait observer que depuis 1998, le Gouvernement ne parvenait à afficher des progressions raisonnables de la dépense publique que grâce à la baisse des taux d'intérêt, réduisant d'autant l'augmentation de la charge de la dette publique, le Gouvernement n'engrangeant ainsi que des économies de constatation, alors même que les postes de dépenses les plus importants, la fonction publique et les retraites, ne cessaient de croître.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué, sur la foi des lettres de cadrage du premier ministre, que le Gouvernement s'était fixé pour l'an 2000 l'objectif de ne pas augmenter les dépenses en francs constants, afin de respecter l'objectif ambitieux de croissance des dépenses de l'Etat limitée à 1 % en volume sur trois ans, issu du programme de stabilité. Cet objectif correspondrait à une augmentation des dépenses budgétaires de 14,6 milliards de francs en l'an 2000 (environ 17,2 milliards de francs pour les dépenses primaires, minorés par 2,6 milliards de francs d'allégement des charges de la dette).

Or, le rapporteur général, retraçant les différentes " priorités " du Gouvernement (emplois-jeunes, lutte contre les exclusions, réduction du temps de travail à 35 heures, couverture maladie universelle, accord salarial dans la fonction publique et mesures catégorielles, pensions de la fonction publique), en a estimé le surcoût à 38 milliards de francs dès l'an 2000, sans compter la deuxième loi sur l'application des trente-cinq heures, dont le coût en année pleine serait de 8 milliards de francs. Il en a conclu que près de 25 milliards de francs de dépenses ne seraient ainsi pas financés.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite abordé la question de l'équilibre des finances publiques, en stigmatisant l'impasse de " l'exception française ".

Tout en reconnaissant l'amélioration générale des déficits publics depuis 1994 (le déficit public passant de 5,75 % à 2,9 % en 1998, puis à 0,8 % ou 1,2 % du PIB en 2002), le rapporteur général a remarqué que cette amélioration s'était accompagnée d'un étatisme accru, avec le maintien d'un niveau élevé de dépenses et de prélèvements, et que cet étatisme était confirmé par le choix du Gouvernement de créer un fonds de réserve pour les retraites plutôt que de réduire la dette publique.

Or, il a fait remarquer que l'étatisme ne mettait pas la France à l'abri des difficultés, le pays continuant de souffrir d'un excès permanent de dépenses par rapport à ses recettes (le déficit structurel s'élève à 140 milliards de francs) et d'un déficit de fonctionnement de l'Etat (68 milliards de francs en 1999). La précaire stabilisation de la dette proposée par le Gouvernement ne permet pas de faire face aux chocs de l'avenir, alors même que dès 2005, la France sera au coeur du problème du financement des retraites. Il a rappelé à cette occasion que l'OCDE évaluait l'impasse financière des retraites d'ici à 2070 à environ 100 % du produit intérieur brut de 1994. Il a ajouté que le fonds de réserve pour les retraites, créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 et rattaché au fonds de solidarité vieillesse devrait recueillir des actifs représentant de 0,7 % à 1,5 % du PIB à l'horizon 2002 d'après la direction de la prévision, ce qui était très loin des sommes nécessaires.

En conclusion, le rapporteur général a indiqué que ses propos, reprenant les positions constantes de la commission des finances du Sénat, et consistant à mettre l'accent sur la diminution de la dépense publique et la réduction des déficits, afin de réduire les prélèvements et préparer les chocs démographiques, étaient partagés tant par les grandes institutions internationales que par la Cour des comptes, et même, par d'actuels soutiens du Gouvernement , tel le président de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius, ayant écrit récemment : " Aujourd'hui, les prélèvements obligatoires atteignent un niveau record : 46 % du PIB, soit quatre points au-dessus de la moyenne européenne. Comment moins prélever ? - en enrayant la progression de la dépense budgétaire ".

La commission a ensuite entendu une communication complémentaire, sur la situation des dépenses sociales dans le cadre du débat d'orientation budgétaire, présentée par M. Jacques Oudin.

M. Jacques Oudin
a fait observer qu'en matière de finances sociales, force était de constater un accroissement des dépenses parallèlement à un accroissement des prélèvements et des déficits, pour un montant total de plus de 2.000 milliards de francs en recettes et dépenses.

Il a rappelé que les dépenses sociales, notamment les dépenses du régime général, continueraient à augmenter en 1999 à un rythme plus rapide (+ 3,2 %) que l'inflation (+ 0,5 %), les dépenses de l'Etat (+ 1,5 %), la croissance économique (+ 2,2/2,5 %) ou la consommation des ménages (+ 2,7 %).

Prenant l'exemple de l'assurance-maladie, il a fait observer que les prévisions de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM), qui affichaient déjà une progression de la dépense, n'étaient pas respectées depuis 1998 : une progression de 2,4 % était prévue pour 1998, + 3,7 % seront réalisés, les chiffres pour 1999 étant respectivement de 2,6 % et 3,8 %. M. Jacques Oudin a cité l'avant-propos du rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 1999 selon lequel il serait probable que la France soit en face d'une " reprise de fond " de la dépense de santé. Il a déploré que les mécanismes de régulation prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 aient, dans le même temps, disparu, rendant impossible la régulation des soins de ville.

M. Jacques Oudin a alors dénoncé la dérive des prélèvements sociaux depuis 1997, les recettes ayant progressé de plus de 4 % par an depuis cette date, augmentant d'autant le poids de la pression sociale. Il a pris l'exemple du dernier prélévement décidé par le Gouvernement, la taxe de 1,75 % sur le chiffre d'affaires santé des mutuelles et sociétés d'assurances destinée à financer la couverture maladie universelle.

Malgré les fortes recettes, M. Jacques Oudin a constaté la persistance des déficits. Il a indiqué que le solde du régime général de sécurité sociale devrait atteindre 17 milliards de francs pour 1998, provenant pour 16,2 milliards de francs du déficit de l'assurance-maladie, alors que la branche vieillesse connaîtra un excédent de 5,4 milliards de francs. Il a donc fait observer que le déficit pour 1999 cachait des situations très diverses entre les branches. Il a rappelé qu'en 1996, le stock de déficit de la sécurité sociale avait été transféré à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), soit 137 milliards de francs puis 87 milliards de francs, qui devront être remboursés en 2014. Il a estimé que tout déficit actuel posait le problème de son transfert à la CADES entraînant soit le relèvement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) soit l'allongement de la durée de vie de la CADES, et donc l'effort sur les générations futures.

En conclusion, M. Jacques Oudin a estimé que, contrairement aux annonces du Gouvernement, il était douteux que les années à venir voient apparaître un excédent des régimes sociaux, sans réelle maîtrise de la dépense.

Un large de débat s'est alors ouvert.

En réponse à M. Alain Lambert, président, le rapporteur général a estimé qu'il serait effectivement judicieux d'évaluer les conséquences, pour nos finances publiques, d'un retournement de la conjoncture économique, comme cela eut lieu en 1992, après la période de croissance 1988-1991. Il a également approuvé la réflexion selon laquelle le raisonnement en niveau de dépenses, de recettes ou de dette par rapport au PIB était insuffisant, même si cette présentation permettait d'établir des comparaisons internationales. Il a observé que cette présentation donnait une certaine illusion de confort en période de croissance, alors même qu'un raisonnement en valeur absolue pourrait être préférable, comme le font d'ailleurs les Etats-Unis, qui ont un programme de réduction de leur dette de plus de 1 000 milliards de dollars sur dix ans, alors que la dette publique française, même stabilisée en proportion du PIB, continuerait d'augmenter fortement en valeur.

MM . Marc Massion et Bernard Angels ayant remarqué que le précédent Gouvernement avait beaucoup plus fortement augmenté les prélèvements obligatoires que l'actuel, M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que la conjoncture était difficile et que la qualification pour l'euro l'exigeait. Il a estimé que le Gouvernement actuel était dans une situation qui lui permettrait de réduire les prélèvements, à condition toutefois de s'attaquer aux dépenses.

M. Bernard Angels a alors fait observer que la croissance économique était plus forte en France que chez ses partenaires, et que le Gouvernement pouvait se prévaloir de cette différence.

En réponse à M. Maurice Blin, le rapporteur général a confirmé que l'évolution des rentrées fiscales en 1999 permettait de s'interroger sur la nécessité de créer de nouveaux impôts sur les entreprises. Il a réaffirmé que l'effort de réduction de la charge de la dette était insuffisant, d'autant qu'il était obtenu grâce à la diminution des taux d'intérêt, la dette continuant de toute manière à progresser en valeur absolue (4.698 milliards de francs en 1998, 4.919 milliards de francs en 1999). S'agissant des investissements militaires, il a fait état d'une sous-consommation des crédits, alors même que ces crédits correspondent aux objectifs de la loi de programmation militaire. Enfin, concernant le financement des retraites, il a rappelé qu'à droit constant, l'impasse financière pour le prochain siècle se chiffrait en milliers de milliards de francs.

Enfin, en réponse à M. Jacques Oudin, le rapporteur général a confirmé que le rapport relaierait ses préoccupations en matière de finances sociales. Il a également dit qu'un développement serait consacré au poids croissant des charges de fonctionnement par rapport à l'investissement public.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte au rapporteur général de sa communication et décidé d'en publier les conclusions sous la forme d'un rapport d'information .

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