B. UN SECTEUR A HAUTS RISQUES
La
cyclicité du marché, son imparfaite lisibilité se
conjuguent en effet avec l'importance des coûts qu'entraîne tout
développement nouveau des affaires.
Dans les circonstances normales, c'est-à-dire hors lancement de nouveaux
programmes, les investissements à réaliser pour satisfaire la
demandes sont déjà élevés. La saturation des
capacités de production doit être évitée ce qui
suppose des équipements structurellement surcapacitaires ou, en cas de
goulots d'étranglement, de dégager rapidement les moyens de
production nécessaires. Dans tous les cas, la lourdeur des
équipements pose problème, les immobilisations étant
financièrement coûteuses. Il faut impérativement pouvoir
les amortir sur de longues séries, ce qui ne va pas de soi étant
donné la segmentation du marché (voir ci-dessous). Mais, les
équipements ne sont pas seuls en cause. L'industrie aéronautique
demeure une industrie de main-d'oeuvre et, en particulier de main d'oeuvre
qualifiée, donc relativement coûteuse. La masse salariale des
entreprises aéronautiques occupe toujours une place importante dans leur
valeur ajoutée. Entendue au sens large, elle représente bon an,
mal an, près des ¾ de la valeur ajoutée de l'entreprise chez
Aérospatiale .
Cette caractéristique incite certains à adopter une politique
d'adaptation des effectifs au plus près des conditions du cycle. Mais,
en-dehors de la difficulté de calibrer au mieux une telle gestion des
effectifs, ce choix qui, de toute évidence, pose les habituels graves
problèmes sociaux des politiques de flexibilité lorsque la
collectivité publique refuse de les assumer, ne s'impose pas aussi
nettement que cela du seul point de vue de l'intérêt de
l'entreprise. Les difficultés récemment traversées par
Boeing illustrent les inconvénients d'une telle option sous cet angle
précis.
Il faut ajouter que la vie d'une entreprise du secteur est rarement faite de
circonstances normales
. Elle est plutôt ponctuée par une
succession d'événements exceptionnels, la volonté de
défendre ou de conquérir des parts de marché supposant des
décisions lourdes en coûts pour améliorer les combinaisons
productives ou encore élargir l'offre de produits. C'est ce dernier type
d'objectifs qui est financièrement le plus risqué.
Les coûts de développement d'appareils nouveaux sont en effet
toujours importants. Ainsi, le 747 lancé par Boeing en 1966 aurait
entraîné une charge de l'ordre de 1,2 milliard de dollars
représentant alors plus de trois fois la capitalisation boursière
de l'entreprise. De la même manière, les coûts de
développement d'un éventuel nouveau gros porteur (l'A3XX) par
Airbus sont évalués entre 10 et 12 milliards de dollars. Si
les avions dérivés d'appareils déjà existant sont
financièrement moins exigeants - ce qui explique une part de la faveur
dont ils jouissent auprès des constructeurs -, ils n'en restent pas
moins fort coûteux et ne peuvent en toute hypothèse, constituer
une solution systématique aux problèmes d'amélioration de
l'offre des industriels.
Coûts de développement de quelques appareils
|
|
Coûts de développement en dollars (millions) |
Coûts de développement en dollars de 1991 (millions) |
Coûts de développement par siège en dollars de 1991 |
DC-3 |
1936 |
0,3 |
3 |
0,1 |
DC-6 |
1947 |
14 |
90 |
1,7 |
DC-8 |
1959 |
112 |
600 |
3,8 |
747 |
1970 |
1.200 |
3.300 |
7,3 |
777 |
1995* |
5.000* |
4.300 |
14* |
Or, face à ces coûts considérables qui supposent de réunir les conditions d'un accès optimal aux ressources financières externes, élément devenu essentiel pour la compétitivité d'une entreprise aéronautique, les perspectives de recettes sont, non seulement sujettes à des retournements cycliques, mais encore fort incertaines du fait de l'extrême concurrence qui sévit sur le marché.