3. Les évaluations monographiques : les stratégies d'entreprises utilisatrices des politiques d'emploi
3.1. Les entreprises et la réduction du coût du travail
3.1.1. Stratégies d'entreprises et politiques de l'emploi
Les travaux du Centre de l'Étude de l'Emploi sont désormais connus pour avoir établi une typologie systématique des logiques d'entreprises (Eymard-Duvemay, 1990) selon le type de coordination interne approprié à leur stratégie. Les mesures de politique de l'emploi produisent alors des effets différents selon le type d'entreprise utilisatrice. Appropriées à un type donnée de stratégie, un dispositif donné peut s'avérer complètement inutile pour les autres entreprises. Plus généralement, les travaux effectués dans le cadre de l'Économie des Conventions (1989) débouchent sur les conclusions suivantes.
Les entreprises adoptant une logique de type marchande sont celles qui sont positionnées sur des marchés concurrentiels où la vitesse des ajustements de prix, de salaires et d'emploi sont des déterminants essentiels de la compétitivité. Ces entreprises sont sensibles à la réduction du coût du travail et les dispositifs allégements de cotisations sociales produisent un effet positif sur l'emploi.
Les entreprises obéissant à une logique industrielle sont des entreprises produisant des biens standardisés en grande série. Leur compétitivité repose sur la possibilité de réaliser des économies d'échelle, d'obtenir des gains de productivité à partir d'une parcellisation taylorienne des tâches dans l'organisation du travail et strictement codifiée à l'aide de grilles de classification des postes et des salaires correspondants. Les entreprises sont dans ce cas insensible au rabais que constituent les allégements du coût du travail. Pire, les emplois aidés peuvent produire un effet de stigmatisation sur les bénéficiaires et sur l'image de l'entreprise car les bas prix sont alors un indicateur de mauvaise qualité.
Les entreprises relevant de la logique domestique sont celles qui jouent sur la marque, la qualité, la réputation, la confiance. Le prix n'est pas fondamentalement un argument de leur compétitivité. L'abaissement du coût du travail est alors peu efficace.
Enfin, les entreprises ayant une logique civique sont celle assurant une mission de service publique pour laquelle le statut des agents requière une logique de continuité dans le rapport au temps (sécurité de l'emploi), de sérénité dans le rapport à l'argent (aversion aux fluctuations des rémunérations), et d'égalité de traitement (vis-à-vis des collègues) dans le rapport à la mission. Le financement public de ces entreprises et administrations ne les expose pas à une logique marchande de solvabilisation des emplois et les mesures de réduction du coût du travail (en l'occurrence les emplois aidés du secteur non-marchand, CES, CEC, emplois jeunes) n'agissent que dans la mesure où elles allègent la contrainte de financement public des nouveaux emplois. Le risque est cependant d'instaurer une nouvelle norme d'emploi à côté des emplois à statut, susceptible de menacer la culture de service publique des corps concernés et l'intégration des nouveaux embauchés.
Les effets positifs et pervers des politiques de réduction du coût du travail peuvent alors être précisées. L'enquête par questionnaire de Gazier et Silvera (1993), réalisée pour la Délégation pour l'emploi et le Service des Études Statistiques, visait à évaluer la réaction des entreprises face aux mesures d'allégement du coût salarial et d'incitation à l'embauche. L'échantillon était composé de 1000 entreprises de tailles et d'appartenances sectorielles différentes. Le principal apport de cette étude est de mettre en évidence ce que les auteurs appellent un "double paradoxe" :
- "les entreprises qui affichent (dans leur discours) le plus de sensibilité au coût du travail, qui évoquent en premier lieu "la faute aux charges sociales" à l'origine de toutes leurs difficultés, sont celles qui connaissent peu et n'utilisent que rarement les mesures d'allégement du coût salarial ;
- les entreprises plus actives, à priori peu sensibles, à ces dispositifs, mais néanmoins "clientes", n'évoquent généralement pas le coût salarial à l'origine de leur problème d'emploi, mais insistent d'avantage sur des problèmes plus structurels de formation et d'adaptation des qualifications à leurs besoins" (Gautié et al., 1994, p. 192).
En outre, les auteurs relèvent 40 effets micro et macro-économiques possibles des dispositifs de réduction du coût du travail sur le comportement des entreprises. Ces effets exercent tantôt un effet positif, tantôt un effet négatif sur l'emploi (encadré).
Les 40 effets possibles des dispositifs visait ta réduction du coût du travail (subventions et exonérations de cotisations sociales) Effets micro-économiques 1 . Effet de substitution au capital : l'entreprise recrute davantage de travailleurs dont le prix a baissé relativement au capital. 2. Effet d'échelle : l'entreprise recrute davantage de travailleurs parce qu'il lui est avantageux de produire à plus grande échelle. 3. Effet d'aubaine : l'entreprise touche la subvention pour des embauches qu'elle aurait de toute façon réalisées. 4. Effet de seuil à rejoindre : dans le cas de seuils minima d'effectifs permettant d'obtenir la subvention, les entreprises embauchent des salariés non subventionnés afin de bénéficier, pour d'autres salariés, de la subvention. 5. Effet déplacement catégoriel : l'entreprise substitue une catégorie de salariés à une autre afin de bénéficier de la subvention. 6. Effet de substitution horaire : l'entreprise limite les horaires des salariés non subventionnés afin de bénéficier de postes de travail subventionnés. Ou encore l'entreprise substitue des régimes d'emploi subventionnés à ceux qui ne le sont pas. (exemple : des temps plein face à des temps partiels). 7. Effet de cannibalisme : les entreprises subventionnées jouissant d'un avantage compétitif supplantent leurs concurrentes ou étendent leurs parts de marché à leur dépens : il y a donc substitution du travail subventionné au travail non subventionné à travers cette distorsion de la concurrence. Les effets 5, 6 et 7 sont des effets de substitution travail/travail qui viennent compléter, limiter, voire contrer l'effet 1 et 2. 8. Effet travailleur additionnel ou effet d'appel : l'existence de subventions incite certaines personnes à passer de l'inactivité à l'activité. 9. Effet domino : une entreprise demande la subvention que sa concurrente a obtenue, soit pour compenser une perte de compétitivité, soit à titre de défense préventive, soit à titre d'imitation. 10. Effet de réallocation : un accord conclu par une entreprise lui permet de bénéficier de la subvention des travailleurs qui sont déjà embauchés, en modifiant leur affectation apparente. Par exemple, une entreprise déplace une activité dans une autre entreprise avec laquelle elle s'est entendue afin que les salariés apparaissent comme nouvellement embauchés. 11. Effet de desserrement disciplinaire : si les entreprises cherchent à accroître l'effort de leurs salariés par hausse du salarie relatif et créent du chômage, la subvention rend l'intensification de l'effort plus coûteuse par rapport à son extension, elle accroît l'emploi et fait baisser l'intensité du travail. 12. Effet d'écrémage : les entreprises trient parmi les salariés susceptibles d'être embauchés dans le cadre de la subvention et ne recrutent que les catégories qu'elles auraient spontanément embauchées. 13. Effet de stigmatisation : l'existence d'une subvention en faveur d'une catégorie donnée de salariés les désigne comme travailleurs de faible qualité, et constitue un obstacle à leur embauche, soit dans des cas où la subvention est susceptible d'être obtenue, soit en général 14. Effet d'affaiblissement des insiders : si le chômage résulte d'une rente ou d'un pouvoir de négociation bénéficiant aux salariés déjà embauchés, la subvention limite cette rente ou ce pouvoir et déplace la combinaison salaire/emploi en faveur de l'emploi. 15. Effet de développement ou effet de filière : les entreprises subventionnées dont le développement a été stimulé relancent le développement des autres entreprises par les débouchés qu'elles élargissent. 16. Effet d'embauché anticipée : les entreprises effectuent immédiatement une embauche qu'elles envisageaient d'effectuer plus tard afin de saisir l'opportunité de la subvention. Cet effet est une spécification temporelle de reflet d'aubaine. 17. Effet d'accoutumance / de clientélisme : les entreprises « consomment'' les subventions parce qu'elles sont insérées dans les réseaux administratifs, ont abaissé le coût de gestion des subventions et ont pris des habitudes. 18. Effet de clientèle : les entreprises ont sélectionné certaines catégories de bénéficiaires « abonnés*, et les recrutent préférentiellement au détriment d'autres travailleurs, qu'ils soient susceptibles d'être subventionnés ou non. Cet effet reprend sur un mode persistant l'effet 4 de déplacement catégoriel et l'effet 11 d'écrémage. 19 . Effet canard boiteux : les subventions maintiennent en l'état voire accroissent les effectifs des entreprises faiblement rentables ou faiblement efficientes, et différent l'échéance d'une faillite, d'une restructuration ou d'une réduction du chiffre d'affaires. 20 . Effet anti-hystérésis : les chômeurs réembauchés retrouvent le statut, les habitudes et les motivations qu'ils avaient perdus dans le processus d'éloignement de l'emploi, et brisent la « dépendance d'état ou « dépendance de durée. 21 . Effet de formation : les salariés recrutés grâce aux subventions accroissent leur expérience, actualisent leurs connaissances, et accro is s e nt leurs chances d'occuper un emploi durable. 22 . Effet précarisation de la main d'oeuvre : les entreprises sont incitées à recruter en profitant des avantages salariaux à court terme, et négligent d'entretenir des relations durables avec leurs salariés. 23. Effet d'effort différé : si une subvention n'est accordée que pour une période limitée, les entreprises diffèrent le plus tard possible l'effort qui leur est demandé, pour obtenir la subvention tout en minimisant l'effort. 24. Effet de manipulation du seuil : une entreprise licencie durant une période donnée pour bénéficier de la subvention anticipée pour la période suivante. 25. Effet de manipulation des effectifs : dans le cas d'un seuil fixé une fois pour toutes, une entreprise embauche et produit massivement, pour ensuite licencier et écouler les marchandises ainsi préalablement subventionnées. Ces deux effets sont des effets de substitution cyclique. 26. Effet de gestion modulée : les entreprises modulera leurs programmes de recrutement de manière à optimiser la gestion temporelle conjointe des coûts de la main d'oeuvre et des apports des subventions. Cet effet reprend, en dynamique complexe, l'effet d'embauché anticipée. 27. Effet de rotation ou effet turbine : les entreprises remplacent une personne subventionnée pendant une période par une autre subventionnées pour la période suivante. Effets macro-économiques et sectoriels 28. Effet de substitution capital / travail : le jeu des prix relatifs augmente la part du travail dans la combinaison productive. 29. Effet d'échelle : la baisse des coûts stimule la production. 30. Effet de dépense : les subventions injectent un flux de revenu dans le circuit économique et déclenchent un effet multiplicateur. 31. Effet d'éviction : les sommes affectées aux subventions auraient pu créer des emplois dans le secteur privé ; ces emplois étaient au moins aussi viables économiquement que ceux qui ont été créés par les subventions, et sans doute davantage. 32. Effet de distorsion : les réallocations d'emplois faites via les subventions distordent les choix spontanés qui auraient été faits par le libre jeu du marché : ces emplois subventionnés sont une source d'inefficience. 33. Effet Phillips : le recul du chômage génère des tensions sur le marché du travail, donc des pressions inflationnistes, ce qui limite les gains de croissance et d'emploi. 34. Effet de flexion de la main d'oeuvre : reprise au niveau global de l'effet micro du travailleur additionnel. 35. Effet d'offre différencié : pour les secteurs en situation de " price taker", la subvention opère via la chute du coût marginal : pour les secteurs en situation de "price maker", la subvention opère via l'abaissement en général bien moindre du coût moyen. 36. Effet subvention déguisée à l'exportation : si le commerce international correspond à une situation "price taker", la subvention permet aux firmes d'accroître leurs profits et leurs parts de marché, et de reporter le chômage sur les pays étrangers. Dans les cas les plus oligopolistiques ("price maker"), la subvention obtient le même résultat par baisse des prix. 37. Effet tromperie de la courbe de Phillips : une subvention en faveur de travailleurs peu intégrés sur le marché du travail abaisse le taux de chômage non inflationniste parce qu'on favorise l'embauche des travailleurs peu susceptibles de peser sur les salaires. 38. Effet goulot d'étranglement : les subventions ayant affecté des salariés disponibles lors d'une récession à certaines entreprises ou activités, ils sont indisponibles lors de la reprise pour d'autres entreprises ou activités qui redémarrent. 39. Effet freinage du progrès technique : à long terme les subventions favorisent les combinaison productives moins capitalistiques ou freinent l'embauche du personnel très qualifié, ce qui peut être défavorable à l'emploi au regard de la concurrence internationale. 40. Effet anti-industrie : dans le cas de subventions dont le seuil est fixé de période en période, les secteurs en compression d'effectifs (l'industrie) sont pénalisés par rapport aux secteurs aux effectifs stabilisés voire croissants (les services). Les distorsions entre les deux secteurs sont source d'inefficiences qui à terme nuisent à l'emploi global. Ces effets sont des spécifications temporelles de l'effet de distorsion 32. Source : Gautié, Gazier et Silvera, 1994 |
3.1.2. Enquête sur les entreprises utilisatrices des mesures ciblées : le cas du CIE
Les études menées par la DARES sur le CIE sont importantes, mais peut-être pas encore à la mesure de l'effort financier consacré à ce dispositif. Elles tentent de mesurer l'impact de la mesure sur les comportements des entreprises en matière de recrutement et notamment sur l'embauche de catégories jugées peu employables. Il s'agit de savoir qu'elle aurait été l'attitude des employeurs en l'absence d'incitation financière.
Dans ce cadre, ces enquêtes montrent que c'est un dispositif qui a modifié dans plus d'un cas sur deux l'intention d'embauche en faveur d'un chômeur de longue durée (Gélot, 1997). Cela signifie que le CIE a un effet de substitution assez important et donc, qu'il joue son rôle en tant que mesure ciblée. Cet effet de substitution joue aussi, mais avec une moindre ampleur, en faveur des travailleurs les plus âgés (18 %), des travailleurs moins qualifiés (29 %) et moins expérimentés (32 %).
Néanmoins, pour ce qui concerne les emplois créés, les études révèlent l'existence d'un fort effet d'aubaine (56 %) et d'un effet d'anticipation non négligeable (27 %). L'effet création nette d'emploi ne fonctionne que pour un peu moins d'un employeur sur cinq (Gélot, 1997 ; Gélot et Holblat, 1998). Il apparaît donc que le CIE n'est pas en lui le facteur déclenchant de l'embauche. Les entreprises de main d'oeuvre qui se montrent les plus réceptives sont celles qui ont des contraintes financières.
3.2. Les entreprises et les aides publiques à la formation professionnelle continue : le cas des engagements de développement de la formation
3.2.1. Les objectifs du dispositif, procédures et acteurs impliqués
Les Engagements de Développement de la Formation (EDDF) constituent la composante majeure de la politique qualifiée de contractuelle par la Délégation à la Formation Professionnelle alors en place (Verdier et Brochier, 1997). Il s'agissait pour les entreprises éventuellement regroupées dans un cadre professionnel ou interprofessionnel de s'exonérer de l'obligation légale en souscrivant avec l'État "l'engagement" pour une durée annuelle ou pluriannuelle afin d'accentuer leurs efforts de formation selon des objectifs négociés avec les pouvoirs publics et les représentants des salariés.
Alors que l'attribution de l'EDDF reposait sur un principe de représentation interministérielle, celui ci est annulé en 1989. L'EDDF est alors géré par la Délégation à la formation Professionnelle.
L'objectif de ce dispositif est de contribuer à la recherche de compétitivité de l'entreprise a partir de formations permettant l'acquisition de qualification au service d'une organisation qui serait elle même "qualifiante" (en comparaison d'une division du travail appauvrissante du point de vue d'un ensemble de compétences de métier). L'accent est mis par ailleurs sur le rôle déterminant de la négociation afin de construire des compromis économiques et sociaux efficaces. Il s'agit notamment de construire une meilleure articulation de la branche (qui définie l'orientation des formations) et de l'entreprise sur la base de la négociation entre les partenaires sociaux. Mais ce projet de recherche de compromis dans la négociation en matière de formation doit faire face à l'affaiblissement du syndicalisme en France au sein d'un modèle de relations professionnelles traditionnellement non collaboratif et dominé par une forte action normative de l'État.
Les acteurs impliqués dans la mise en oeuvre de ce dispositif se sont progressivement complexifiés dans l'évolution de la mesure. Il s'est agit d'élargir le public cible initialement composé seulement de grandes entreprises vers un public de PME (circulaire du 07.02.1987) . Pour atteindre cet objectif la DFP s'est engagée dans un processus de recherche de relais pour instrumenter le dispositif de contractualisation auprès des PME. En effet, à partir de la circulaire du 05 juin 1989, le niveau de la branche devient un instrument privilégié de la politique contractuelle en matière de formation professionnelle continue. Elle s'est appuyée sur un renforcement des institutions intermédiaires de type organisations professionnelles patronales, même si des doutes sérieux existaient quant à la capacité de certains de ces acteurs de mettre en oeuvre le dispositif conformément aux objectifs initiaux (K. Mirochnitchenko et E. Verdier, 1997).
Par ce moyen l'intervention publique s'érige en tuteur de cette modernisation sociale et économique (politique de "Modernisation négociée" ; V. Merle et Annandale-Massa, 1992). Elle s'appuie également sur les Contrats d'Études Prévisionnelles conclu entre l'État et une organisation professionnelle de branche. Le but de ces contrats partiellement financés par l'aide publique pour l'emploi est plus précisément de dégager, à partir de travaux d'experts, des référentiels en matière de qualification d'organisation du travail et de perspectives économiques qui tiennent lieu de vision commune aux partenaires sociaux pour l'engagement d'action de formation.
Depuis 1993, les EDDF sont plus clairement positionnés. Ils concernent exclusivement des regroupements d'employeur, les branches en premier lieu, qui dans le cadre de comités technique régionaux et nationaux co-présidés par l'État et l'organisation patronale instruisent les dossiers. Le financement par l'État de ces actions de formation comporte donc deux postes un poste ingénierie et un poste réalisation des formations. Une enquête technique préalable aux EDDF est instruite par L'AFPA ou les GRETA pour le compte de l'État. Enfin le FNE prévention seul peuvent ménager un accès direct d'une entreprise isolée à l'aide publique en matière d'action de formation.
La loi quinquennale de 1993, qui opère une importante réforme de collecte des fonds de la formation professionnelle, affaiblit pour une part le rôle intermédiaire de la branche et des organisations professionnelles. Enfin, il est important de noter qu'à partir de 1996, il est ouvert la possibilité de conclure des EDDF avec des regroupements d'employeurs, en dehors des frontières de la branche, par l'affectation de crédits aux régions. Toutefois, la faiblesse d'utilisation des crédits conduit à majoritairement fonder les EDDF sur les branches professionnelles.
Il faut enfin retenir l'articulation récente de ce dispositif avec l'objectif 4 du Fond Social Européen " sur l'accompagnement de l'effort des salariés dans leurs adaptations aux mutations industrielles ".
3.2.2. Le coût du financement par l'État et les résultats en terme de formation
Les chiffres commentés dans ce passage sont données par le CEREQ dans un rapport d'évaluation commandé par la DFP sur les EDDF et réalisé en 1997 (Vernoux-Marion, 1996). Cette rétrospective effectuée depuis 1989 permet de saisir l'évolution tendancielle des dépenses de formation continue dans le cadre de convention de l'État avec les branches. Le coût pour l'État de ce dispositif, en terme de budget de fonctionnement et de budget d'ingénierie, a augmenté jusqu'en 1990 (410,2 millions de francs), pour ensuite se stabiliser jusqu'en 1992 et diminuer jusqu'en 1994, où il atteint 272,8 million de francs.
Le nombre d'accord s'est également réduit, passant entre 1989 et 1992, de 789 accords à 265. Le nombre de stagiaires concernés après une augmentation entre les années 1990 et 1993, où il atteint 224 500, revient a peu près en 1994 à un niveau inférieur à celui de 1989 : 181 785 (cf. tableau 21).
La durée moyenne annuelle des stages est de 41 heures. Plus le public est qualifié plus cette durée est longue. Elle est particulièrement faible pour les stagiaires des entreprises relevant des accords "coopératives agricoles" et "Transports Routiers". Par contre, on dépasse 60 heures de formation pour les accords "Autres types de regroupements" et "Papiers Carton" pour lesquels les ouvriers non-qualifiées et les ouvriers qualifiés bénéficient de durées de stage supérieures en moyenne à 75 heures. Les ouvriers non qualifiés des entreprises de l'accord "Autres type de regroupements" connaissent des durées de formation moyenne de 156 heures.
Les durées annuelles de formation observées pour les entreprises bénéficiant d'un EDDF sont en moyenne comparables à celles observées pour l'ensemble des entreprises de plus de 10 salariés remplissant une déclaration fiscale n°24-83 (sur l'aspect plan de formation). Un premier commentaire consiste à se demander qu'elle est la valeur ajoutée réelle du dispositif d'aide publique sur ce point Mais l'aspect quantitatif en termes de durée n'est pas suffisant, il est nécessaire d'appréhender les contenus des formations et leur modalités de valorisation dans l'organisation du travail et la gestion de l'entreprise.
Le second commentaire qu'inspire de tels résultats est que les EDDF visent comme principal public les branches, or on constate que les publics qui se saisissent le mieux de l'objectif de ces accords, celui d'une formation lourde "qualifiante "(voire "diplomante"), en sont pas les acteurs de branche traditionnels. Cependant on distingue une différence de logique . entre la branche de l'UIMM par exemple qui s'efforce de s'approprier le dispositif en fonction d'objectifs propres aux organisations patronales et la branche de plasturgie qui s'inscrit à l'opposé dans une stratégie de partage du référentiel de l'action publique en matière de formation continue. Toutefois, le degré d'association des représentants salariés à l'orientation de la politique contractuelle tend à décliner plus on descend vers le niveau local des commissions territoriales et des entreprises, dans le cas de la métallurgie mais aussi de la plasturgie.
Ces différences de stratégies s'inscrivent dans des histoires différentes de la construction de branches professionnelles. C'est ce que montrent les chiffres du tableau 22 en matière de proportion de salariés formés dans le cadre d'un EDDF selon la CSP et le type d'accord.
De façon générale, les accords de branche n'ont pas globalement privilégié la formation d'ouvriers non qualifiés qui étaient pourtant un public cible de l'action publique. Pour les ouvriers, dans les cas où les actions menées sont importantes en durée, elles portent généralement sur l'attribution de certifications professionnelles (CQP) et non sur l'accès à des diplômes reconnus par l'éducation nationale et par l'ensemble des entreprises sur le marché du travail. L'attribution de certificat n'est donc pas neutre pour la mobilité d'une main d'oeuvre peu qualifié sur un marché du travail qui sélectionne d'abord par le diplôme, il représente une faible protection en cas de licenciement ou de mobilité volontaire. Enfin, les catégories les plus privilégiées du point de vue des durées de formation sont les ingénieurs et cadres et ensuite les agents de maîtrise et techniciens.
Les évaluations monographiques des conventions de branches et de l'appropriation des orientations de ces conventions au niveau des entreprises, qui sont le niveau-clé de la contractualisation, montrent que la formalisation ou orientation des actions de formation menées au niveau de la branche peut correspondre au sens requis par les acteurs publics, sans qu'elles se traduisent pour autant de la même façon dans les entreprises.
L'exemple de la plasturgie est de ce point de vue intéressant (Cadet, 1996). Il montre que les entreprises concernées par l'accord s'appuient plus souvent sur une approche gestionnaire que stratégique du point de vue de l'adaptation des compétences et des qualifications dans une perspective offensive de recherche de compétitivité et de croissance.
La lourdeur du dispositif, la sélectivité en amont dans les procédures d'attribution de l'aide pour garantir une limitation des problèmes de coopérations entre le niveau de la branche et celui de l'entreprise, sont autant d'éléments qui fragilisent l'impact de l'aide publique par rapport à ses objectifs initiaux, qui sont d'augmenter les efforts de formation des entreprises les moins offensives en matière de formation professionnelle. Enfin le repositionnement des EDDF en 19 % sur un objectif d'employabilité associé à celui de compétitivité risque de renforcer cène sélectivité dans la mesure où peu d'entreprises inscrivent leur stratégie dans ce sens.
Du point de vue de l'entreprise, il s'agit essentiellement d'optique de consommation de crédits publics. L'explication de la différence entre les stratégies d'entreprises de ce point de vue repose essentiellement sur leur inscription dans des trajectoires hétérogènes de reproduction ou de transformation de leur structures productives. Dans ce cadre, l'action des branches et l'aide publique n'induisent pas une inflexion réelle et générale en termes de pratiques de formation. Toutefois, l'accès au dispositif reste dans les faits dépendant de l'activité déployée par les organisations patronales et leur représentation territoriale, importante dans le cas de la métallurgie et la plasturgie, dans le cadre de conventions d'ingénierie de conseil et d'aide aux projets des entreprises en matière de formation professionnelle (K. Mirochnitchenko et E. Verdier, 1997).
Enfin l'implication et le dialogue autour de la gestion de l'EDDF restent limités dans l'entreprise en rapport de ce qui peut se passer au niveau de la branche (ici la plasturgie). La gestion de l'EDDF implique très peu les IRP. Au niveau de l'entreprise, les débats sur les formations à faire ou à soutenir sont inexistants ou très rares. La formation reste l'apanage des directions dans la plupart des entreprises, ce qui est d'ailleurs une caractéristique sociétale.
Contrairement au niveau des branches, l'EDDF n'apparaît pas comme un dispositif particulièrement capable de générer du dialogue social, notamment autour de la question d'une amélioration simultanée de l'employabilité et de la compétitivité. L'exemple de l'industrie agro-alimentaire confirme plus qu'il n'infirme ces conclusions (Brochier, 1997).
3.3. Les entreprises et les aides territoriales
Compte-tenu de la faiblesse et de la dispersion des données sur l'évaluation des aides territorialisées pour l'emploi, nous réaliserons une étude de cas approfondie sur la région Pays de Loire pour le rapport final. Cette évaluation intégrera notamment l'aide européenne dans le cadre de l'objectif 4 du Fonds Social Européen (FSE).
3.4. Les entreprises face à la RTT
Pour analyser les possibilités ou les difficultés d'impulser une négociation globale sur le temps de travail, il faut se tourner vers le contexte social, dont Freyssinet (1994) dresse un panorama détaillé. De nombreux travaux monographiques se sont ainsi attachés à établir des typologies de branches et d'entreprises selon les logiques de réduction et/ou d'aménagement du temps de travail mises en oeuvre par les acteurs (voir notamment dans Rigaudiat, 1993).
3.4.1. Évaluer le rôle de l'apprentissage organisationnel dans les études monographiques
L'observation empirique de l'émergence de nouvelles normes de gestion de l'emploi à l'occasion de la mise en oeuvre de l'expérience française peut être riche d'enseignements.
Sur une base hypothétique, le rapport du CSERC (1998) établit une première typologie distinguant :
- Les entreprises où la hausse des coûts salariaux sera plus que compensée par les baisses
de charges et les gains de productivité (les entreprises de main d'oeuvre notamment)
- Les entreprises qui utilisent systématiquement les heures supplémentaires et qui auront intérêt à attendre le 1er janvier 2000 pour passer aux 35 heures lorsque les heures supplémentaires seront majorées
- Les entreprises "dont les contraintes techniques et organisationnelles ne permettent pas cette réduction et pour qui elle n'est pas avantageuse" (sociétés employant une majorité de cadres, PME où les salariés sont faiblement substituables).
Les premiers effets de la loi Robien et de la loi d'orientation et d'incitation pourront être précisés en détail à l'aide d'études monographiques. Celles-ci pourront être mises sur pied au courant de l'année 1999. Une sélection d'entreprises sera effectuée en fonction de la taille, du secteur d'activité et du contenu des relations industrielles en présence. Dans les entreprises ayant été le théâtre de négociations, elles pourraient confronter les accords conclus avec les hypothèses micro-économiques (réorganisation, compensation) ayant servi à construire les scénarii macro-économiques évoquées plus haut. Dans les entreprises n'ayant pas fait l'objet de négociations concluantes, les facteurs de blocage sociaux ou technico-organisationnels pourraient être précisés ainsi que leurs implications sur la gestion de la main d'oeuvre en vigueur (type de flexibilité, gestion des fluctuations conjoncturelles...). Le choix de l'échantillon s'avère également déterminant. L'échantillon tiendra compte des caractéristiques suivantes : type de secteur (secondaire, tertiaire), type de contrainte technico-organisationnelle, taille de l'entreprise, degré de concurrence, situation financière, présence syndicale. Pour reprendre le langage en vigueur dans le champ des relations industrielles, ces caractéristiques représentent le contexte technico-économique qui n'est pas sans influence sur le contenu des règles construites par les acteurs sur le lieu de la production.
Une première analyse porte sur les stratégies de RTT qui ont été mises en oeuvre à partir d'accords d'entreprises signés entre 1993 et 1995, dont très peu ont signé des conventions avec l'État dans le cadre de loi quinquennale. Cette première analyse permet de saisir le contexte structurel, d'un point de vue social et économique, dans lequel sont venues s'insérer les lois de Robien et Aubry en matière de RTT. Deux types de stratégies d'entreprises sont identifiés. La première stratégie est défensive. Elle est mise en oeuvre par des entreprises qui rencontrent des problèmes de compétitivité importants mais qui cherchent à protéger des emplois. La seconde stratégie est plus offensive, elles tentent justement de s'appuyer sur la RTT dans un contexte de rupture de modèle productif plus favorable à la recherche de compétitivité. Dans leur recherche de croissance elles sont plus que les autres, prêtes à réaliser des investissements matériels et immatériels importants (transformations de l'organisation et des modalités de gestion en profondeur) mais ne font pas toujours appel à l'aide publique. Une deuxième analyse porte sur les résultats des évaluations monographiques réalisées dans le cadre de la mise en oeuvre de loi de Robien. L'évaluation monographique des premières mises en oeuvre de la RTT dans le cadre de la loi Aubry sera effectuée dans le rapport final.
3.4.2. La négociation sur le temps de travail dans les entreprises en application de la loi quinquennale
Dans le cadre de l'application de la loi quinquennale peu d'entreprises ont signé une convention d'aide avec l'État Une analyse monographique des accords (Milano, 1996) mis en oeuvre entre 1993 et début 1996 permet de distinguer les stratégies offensives des stratégies défensives de RTT effectivement mises en oeuvre. Les premières ont pour objectif la recherche de compétitivité et de rentabilité. Les secondes, plus nombreuses, visent la préservation de l'emploi, mais leurs dispositifs sont néanmoins intéressants, du point de vue de la compréhension de logiques d'acteurs de l'entreprise et du contexte de mise en oeuvre des lois Robien et Aubry.
Le temps de travail dans la loi quinquennale du 20 décembre 1993 La loi quinquennale du 20 décembre 1993, "relative au travail à l'emploi, et à la formation professionnelle" introduit la possibilité de négocier une annualisation (ou modulation de type III) de la durée du travail avec une contrepartie obligatoire de réduction de la durée du travail sans toutefois en fixer le volume. Cette loi a également introduit, dans l'article 39, une compensation partielle de charges sociales de l'employeur pour trois ans, dans le cadre d'un accord de modulation annualisée (type III), s'il respecte les conditions suivantes : réduction d'au moins 15 % de l'horaire initial, embauche d'au moins 10 % des effectifs et maintient de leur niveau pendant au moins trois ans, réduction du salaire. Compte tenu des contre parties en terme d'emploi et de réduction d'horaire qu'il exige, ce dispositif sera très peu utilisé puis remplacé par la loi du 11 juin 1996. Mi-juin 1996 seulement 13 accords d'entreprise étaient signés dont 9 dans la société Brioche Pasquier. Du coté des conventions de branches le résultat est encore plus modeste, seulement trois accords ont été négociés dans des branches dites "mineures". Les dispositions qui concernent la RTT viennent s'inscrire dans un ensemble de texte bien plus large qui comporte 83 Articles. On peut dire que l'esprit dominant de la loi est d'échanger aux entreprises une possibilité de flexibilité accrue du temps de travail contre un horaire hebdomadaire de travail susceptible d'être réduit à 32 h et des réductions de charges patronales. Les exonérations peuvent être obtenu à la condition que : - les réductions d'horaires annuels soient supérieur ou égales à 15 % ; - l'embauche dans les 6 mois soit supérieur ou égal à 10 % des effectifs moyens des 12 mois antérieurs ; - les effectifs soient maintenus pendant au moins 3 ans. Si ces conditions sont remplies l'employeur peu bénéficier de réduction de cotisations sociales patronales à raison de :
Par ailleurs, dans son article 42, la loi aménage les conditions d'encouragement au temps partiel prévues dans la "loi Aubry" de 1992 : elle élargit les abattements de charges sociales à des plages d'horaires allant de 16h à 32h contre une limitation antérieure de 19h à 30 heures tout en réduisant les abattements de 50 % des charges sociales des salariés embauchés à la suite de ce passage à temps partiel, à 30 %. Il est important de noter que celle possibilité n'a plus besoin d'être une alternative à des licenciements, n'est plus bloquée en cas de plan social et n'a plus besoin pour être mise en oeuvre de l'existence d'un accord de branche ou d'entreprise. Elle repose donc sur une libre appréciation de l'employeur. On peut signaler que, dans le même esprit, l'article 43 de la loi, crée la possibilité d'une annualisation du travail à temps partiel qui, par opposition à l'annualisation du travail à temps complet n'a pas besoin d'un accord. Cette disposition, qui se substitue aux contrats intermittents, n'implique pas de contrepartie d'embauche et ne fait pas apparaître de seuil minimal de temps de travail hebdomadaire. La critique principale faite à la loi par les employeurs est que les conditions d'obtention des aides sont ultra complexes et donc largement décourageantes. Les syndicats reprochent inversement à la loi d'organiser un premier démantèlement de l'emploi stable dans la mesure où la loi organise le cadre : - d'un chômage partiel de longue durée, - d'une annualisation des horaires (art 38) - d'une semaine de 4 jours (art 39) - d'une exonération de charges sociales au profit des employeurs (9 art sur les 83) |
Un certain nombre d'accords d'entreprise importants ont vu le jour en France en 1993 et 95. Nous en avons sélectionné une vingtaine, qui nous ont semblé caractéristiques des processus en cours (Annexe 1). Les caractéristiques des accords de RTT négociés dans le cadre de la loi quinquennale sont les suivantes (Milano, 1996) :
- la réduction du temps de travail est faible, elle est comprise entre 38 et 36 heures,
- le recours au temps partiel est fréquent, que celui-ci soit hebdomadaire, annualisé, ou sous forme de congés,
- la Préretraite progressive est de plus en plus utilisée en combinaison avec le passage au temps partiel, dans le cadre d'une convention avec les pouvoirs publics, avec une indemnité forfaitaire de passage d'un temps plein à un temps partiel.
Dans une moindre mesure sont utilisés :
- le temps choisi, accompagné de mesures incitatives dont les primes, le retour à temps plein, la retraite (calculée sur temps plein), et accompagné de mesures offrant des salaires proportionnellement plus élevés.
- le Compte Epargne Temps : il est utilisé sur l'initiative de chaque salarié pour tous les jours excédant 25 jours ouvrés annuels. Il est donc alimenté par la transformation en temps de primes et congés supplémentaires. D constitue ainsi, pour chaque salarié, une réserve de congés disponibles tout au long de leur carrière (sous certaines conditions).
- les Congés de Longue Durée
Globalement, les caractéristiques de ces accords sont les suivantes :
- Ils portent souvent sur des mesures individuelles ou catégorielles (les cadres et/ou le personnel forfaité sont généralement exclus de ces dispositions), et concernent rarement l'ensemble du personnel.
- Ils visent à sauvegarder des emplois ou à en créer (phénomène impulsé par les accords de préretraite progressive avec embauches de jeune).
- Ils comprennent une compensation financière totale ou partielle (RTT dégage des gains de productivité).
- Ils sont favorisées par des financements de l'État.
- Les salariés y apportent souvent leur contribution financière.
Pour conclure, les accords défensifs se définissent par la recherche de diminution de la masse salariale et le recours au temps partiel. Tandis que les accords offensifs sont avant tout des cas d'aménagement du temps de travail, et non de la RTT, qui n'apparaît que comme une contrepartie aux horaires atypiques demandés aux salariés. L'objectif est manifestement l'augmentation de la productivité du capital ; la réorganisation du travail induit ainsi des gains de productivité substantiels, pour financer ces processus.
Les RTT sont généralement d'amplitude faible, touchent les personnels travaillant au temps et non à la mission, avec des compensations salariales limitées.
Les accords d'ATT sont plus structurels, que les accords portant sur le temps partiel, que l'on retrouve essentiellement dans les entreprises de services. En effet, celles-ci visent non l'augmentation de leur production, mais la gestion des sureffectifs, de la pyramide des âges et la diminution de la masse salariale.
L'aménagement du temps de travail dans les services existe lorsqu'il s'agit d'allonger l'amplitude de la durée de vente au public, pour accroître le chiffre d'affaires et rentabiliser l'ensemble de l'opération. Mais ce processus n'est pas possible, à l'identique, dans une entreprise dont les fonctions ne sont que du "back-office".
Globalement, l'impact de la loi quinquennale sur la négociation d'entreprise en matière de réduction et d'aménagement du temps de travail reste à nuancer. En effet, il apparaît que les entreprises ont mobilisé faiblement le nouveau dispositif d'annualisation du temps de travail (modulation de type III) introduit par la loi quinquennale 70 ( * ) , et qui permet de faire varier la durée du travail avec pour seule contrainte de respecter les durées quotidiennes et hebdomadaires maximales (P. Boisard et P. Charpentier, 1997). Le plus souvent, les entreprises préfèrent se référer à des procédures d'aménagement des horaires plus simples, telles que la modulation de type I (1982) ou de type II (1987), qui de plus n'instituent pas une obligation de réduction du temps de travail. De plus, pour répondre aux fluctuations de leur activité ou de la demande, les entreprises mettent en place d'autres modes d'ajustements du temps de travail, tels que le recours aux heures supplémentaires, au chômage partiel, aux CDD et intérims, à la sous-traitance, sans spécifiquement passer par des dispositifs institutionnels (Mirochnitchenko, 1999). La loi quinquennale a augmenté la difficulté de mise en oeuvre des dispositifs dérogatoires d'aménagement du temps de travail par les entreprises.
3.4.3. La réduction de la durée da travail dans le cadre de la loi de Robien
Les principaux résultats de l'analyse statistique des conventions signées dans le cadre de la loi de Robien
Fin novembre 1997, 1442 conventions avaient été signées en application de la loi Robien un peu plus d'un an après sa mise en oeuvre. D'après les résultats d'analyse de ces conventions par la DARES, celles qui ont pour objet la création d'emploi (volet dit offensif) sont plus nombreuses (1030), particulièrement dans les petites entreprises du tertiaire. Mais celles qui visent à maintenir des emplois menacés (volet dit défensif) sont plus fréquentes (412) dans les grandes unités de l'industrie et concernent au moins autant de salariés. En effet, sur 1030 conventions analysées, le nombre de conventions offensives concerne 49 % des salariés, pour 51 % concernés par les conventions défensives.
Les résultats que nous utilisons sont extraits d'une étude de la DARES qui portait sur 1030 conventions, signées entre octobre 1996 et octobre 1997, et qui ont fait l'objet d'une exploitation statistique détaillée (Le Corre et Doisneau, 1998). Il faut noter que ces informations ont été recueillies à la signature de la convention, et ne retracent donc que des intentions ou des prévisions. De plus, certaines valeurs, comme le nombre de salariés concernés par la RTT, sont susceptibles de varier notablement selon l'activité économique des entreprises conventionnées. Les informations exploitées recouvrent donc environ 71 % des conventions signées depuis octobre 1996 et 75 % de salariés concernés.
Le coût d'un "emploi Robien" pour l'État fait l'objet de controverses. Sur la base du volet "offensif" et dans sa version minimale (10 % de RTT pour 10 % d'embauche) les évaluations donnent les résultats suivants :
- L'impact sur le budget de l'État est de 146 000 F à 199 000 F par emploi la première année et de 108 000 F à 149 000 F par an, pour les 6 années suivantes.
- L'impact sur le budget de l'ensemble des organismes publics (hypothèse de prise en compte des rentrées supplémentaires dans les caisses de sécurité sociale, de retraite complémentaire, de L'UNEDIC) de 83 000 F à 113 000 F la première année et de 34 000 F à 86 000 F par an les six autres.
- L'impact avec effet macro-économique induit (calcul de l'OFCE à partir du modèle Mosaïque) est de 70 000 F la première année et 30 à 45 000 F par an les années suivantes.
Modalités d'application de la « loi Robien La " loi Robien" était destinée à modifier l'article 39 de la "loi quinquennale"jugé trop "verrouillé". Elle distingue une version offensive et une version défensive. Rappelons que sa version "offensive" prévoyait deux cas : - si la RTT est au moins de 10 % et les embauches compensatoires au moins de 10 %, les allégements de cotisation seront de 40 % la première année et 30 % de la 2ème à la 6ème année ; - si la RTT est supérieure ou égale à 15 % et les embauches compensatoires supérieures ou égales à 15 %, les allégements de cotisation seront de 50 % la première année et de 40 % de la 2ème à la 6ème année. La contrainte est de garder le niveau d'emploi (effectif total annuel moyen) pendant 2 ans. La version "défensive" prévoit une limitation de licenciements pour motif économique dans le cadre de "plans sociaux" grâce à une réduction du temps de travail. En contre partie, l'entreprise peut bénéficier d'un allégement de cotisations patronales. Plus précisément, la diminution du temps de travail doit être au moins de 10 % et les effectifs initiaux (effectifs annuels moyen) doivent être maintenus pendant trois ans. Dans ce cas les abattements de charges sont de 40 % la première année est de 30 % les six autres (au maximum). Si la diminution du temps de travail et les embauches proportionnelles atteignent au moins 15 %, l'abattement peut être de 50 % la première année et de 40 % les six années suivantes. Dans tous les cas, pour pouvoir bénéficier d'un maintien des abattements, l'entreprise doit avoir un rendez-vous au bout de trois ans avec l'administration et signer un avenant à la convention initiale dans lequel elle réaffirme ses engagements. La RTT peut être mise en place au niveau d'une entreprise, d'un établissement ou d'une unité de travail suffisamment cohérente pour être soumise à un horaire collectif. La réduction doit être collective. La RTT doit faire l'objet d'une négociation collective s'appuyant sur un accord d'entreprise ou d'établissement et doit être soumise à l'avis du comité d'établissement ou, à défaut, des délégués du personnel. Dans le volet offensif, l'allégement de cotisations sociales se cumule, le cas échéant, avec - notamment - l'abattement de cotisations sociales lié au passage à temps partiel. La RTT doit alors être proportionnelle pour tous. Dans tous les cas, les emplois crées peuvent être des emplois à temps partiel. Les cotisations concernées par la diminution de charge sont : l'assurance maladie, les assurances vieillesses sous le plafond de la sécurité sociale et sur la totalité des salaires, les allocations familiales et les cotisations pour accident du travail. |
En 1997, 11 797 accords d'entreprise ont été conclus, concernant 3,2 millions de salariés. Parmi ceux-ci, les accords sur le temps de travail devancent pour la première fois des accords sur les salaires (51,6 % contre 41,6 %). Par contre les accords stagnent au niveau des branches. Ce mouvement a été accentué sous l'effet de la loi Robien : les accords d'entreprise portant sur le temps de travail sont passé de 4000 à 6061 pour couvrir 1,67 millions de salariés, cette augmentation étant à rapprocher des 1968 accords signés dans le cadre de la loi Robien. Par ailleurs 2200 accords ont traité de l'emploi.
L'impact sur l'emploi
L'ensemble des conventions Robien offensives ou défensives prévoient de créer ou de maintenir en moyenne 11 % de l'emploi sur les effectifs concernés par les mesures aidées de RTT. Le pourcentage de créations d'emplois en moyenne de 11 %, est légèrement inférieur au pourcentage de licenciements évités, de l'ordre de 11,6 % des emplois dont la durée du travail est réduite. Le pourcentage de licenciement évité représente également 44 % des sureffectifs déclarés par l'entreprise. Par ailleurs, lorsque les entreprises signent la convention de maintien ou de création d'emploi selon un minimum de 10 %, leur engagement effectif est de l'ordre de 10,3 %. Lorsqu'elles signent une convention de création ou de maintien d'emploi au minimum de 15 % leur engagement effectif moyen est de l'ordre de 17,7 %.
Cependant ces créations ou maintiens d'emploi ne peuvent être directement interprétés comme des créations nettes à l'échelle de l'ensemble de l'économie puisqu'il faudrait connaître l'évolution des effectifs qui se serait produite en l'absence de réduction de la durée du travail. Dans cette perspective, il serait par exemple intéressant de comparer la hiérarchie des pourcentages de créations d'emplois selon les effectifs des différents secteurs d'activités avec la hiérarchie des pourcentages de création d'emploi gagnés avec l'ensemble des signatures de conventions offensives de RTT avec l'État.
De plus, le jeu de la concurrence entre les entreprises ou entre les établissements d'une entreprise signataire et les non-signataires peut conduire à des résultats nets globalement différents de ceux que l'on s'attend à observer dans le seul champ des unités conventionnées (Le Corre et Doisneau, 1998). Cet effet de substitution sera d'autant plus important que la concurrence est importante et les parts de marché stabilisées ou en déclin. La répartition industrie/services des conventions offensives ou défensives signées dans le cadre de la loi Robien peut être cernée. Les conventions offensives sont en majorité signées dans les services (61 %) par des unités de taille assez réduite. Elles représentent dans ce secteur près de cinq conventions sur six. Les conventions défensives sont plus souvent signées dans de plus grandes unités (31 % ont au moins 200 salariés) appartenant à l'industrie (dans 63 % des cas).
L'impact sur le temps de travail
Les 35 heures sont la cible la plus courante. Parmi les conventions défensives 29,1 % visent une réduction de 4 heures du travail tandis que 62 % des conventions offensives visent cette réduction de 4 heures. Les conventions défensives se trouvent réparties également de façon importante dans les réductions de plus de 6 heures et de moins de 4 heures. Un tel résultat peu être interprété comme d'un côté un besoin de flexibilité de la main d'oeuvre et des coûts compte tenu de la situation économique de ces entreprises et de l'autre par une relative rigidité dont elles peuvent faire preuve en matière de réorganisation liées à la RTT, qu'il serait intéressant d'éclairer à partir des analyses monographiques. On note enfin que les objectifs de 35 heures sont majoritairement exprimés dans les services, tandis que dans l'industrie la proportion de durées plus courtes du travail est plus importante.
En matière d'aménagement du temps de travail, si la réduction est le plus souvent hebdomadaire, la réorganisation des horaires sur l'année est assez répandue, plus souvent signées par de grandes unités de l'industrie dans le cadre de conventions défensives.
L'impact sur les salaires
Maintien instantané et gel ultérieur des salaires apparaissent fortement liés dans les négociations. Les unités de taille importantes sont celles qui recourent le plus au gel des salaires : 31 % des conventions prévoient un gel des salaires et il concerne 40 % des salariés. Enfin ce gel est plus souvent prévu dans les conventions offensives que défensives dans lesquelles il est cependant de plus longue durée.
L'impact sur le changement organisationnel
La prévision de changement d'organisation du travail simultané à la RTT couvrent 87 % des salariés. L'objectif de mise en place du dispositif permettant de moduler te temps de travail en fonction des fluctuations de l'activité est le mode de réorganisation le plus privilégié, il est présent dans 55 % de conventions. Ce sont les conventions défensives qui prévoient le plus la modulation de l'activité (65 % d'entre elles). Tandis que les conventions offensives sont plus nombreuses à prévoir un allongement des heures d'ouverture et de la durée d'utilisation des équipements qui permet d'augmenter la productivité du capital et donc de réduire son coût. Enfin, il faut souligner que seulement 16 % des conventions retiennent encore d'autres changements organisationnels tels que la redistribution des tâches entre salariés, la planification, etc. Ces objectifs sont plus souvent présents dans les conventions offensives (16,7 %) que dans les conventions défensives (14 %). On est donc amené à se demander dans quelle mesure les adaptations organisationnelles prévues par les conventions défensives seront suffisantes pour favoriser le maintien de l'emploi qu'elles prévoient. Il serait de même intéressant de connaître les stratégies de recherche de compétitivité et les projets d'investissements matériels associés aux investissements dits immatériels prévus en faveur de telles unités par les sociétés mères.
Au terme de ce tour d'horizon, le chapitre suivant dressera la synthèse des évaluations rassemblées ici en les classant par types d'objectifs (généraux, ciblés) et par types d'instruments (réduction du coût du travail, formation, préretraites, réduction du temps de travail).
* 70 En 1994, 0,2 % des établissements du secteur industriel déclarent mettent en place effectivement des horaires annualisés (Premières synthèses, DARES, juillet 1998).