2. Mme Véronique THEVE, exploitante agricole
Je suis
femme d'agriculteur et infirmière de métier. Ce matin M. Delorme,
de l'INSEE, parlait de la ville qui attire l'emploi. Je crois que le milieu
rural peut l'attirer aussi et je cherche actuellement la façon de
déterminer mon métier. Je suis " conjointe "
d'exploitant. Est-ce que je suis animatrice, hôtesse d'accueil, relais
ville/campagne ? Je me sens plus là pour parler de l'agriculture et du
vivant. Il y a énormément de choses à faire et la
communication me paraît essentielle. Il est urgent de reconnaître
de " nouveaux emplois " en milieu rural et de rétablir un
équilibre ville et périphérique.
J'ai arrêté mon métier d'infirmière parce que je
trouvais qu'il y avait beaucoup de choses à réaliser dans le
milieu rural. Nous avons un G.A.E.C. (Groupement Agricole d'Exploitations en
Commun) : c'est une ferme dans la région périurbaine et j'ai
essayé d'être, par rapport à mes compétences, un
relais ville/campagne. Dès la création, en 1992, par la
profession -la Fédération régionale des syndicats
d'exploitants agricoles-, d'une association d'accueil pédagogique
à la ferme qui s'appelait le Savoir Vert des Agriculteurs, et en
partenariat avec l'Education Nationale et l'ENR (Espace Naturel
Régional), nous avons essayé d'ouvrir des fermes parce que nous
nous rendions compte qu'il y avait une incompréhension entre la ville et
la campagne, et qu'il fallait s'ouvrir pour exister. L'association regroupe
actuellement 90 adhérents dans le Nord-Pas-de-Calais. Ce qui est
bien, c'est de pouvoir vivre les choses pour les comprendre et la confiance
qu'établit une rencontre, même si elle paraît inutile ou
difficile, est importante pour le rural et l'urbain.
Grâce à la ferme de production que nous avons, qui est devenue en
plus pédagogique, nous nous sommes rendu compte des
incompréhensions qu'il y avait. Les enfants viennent dans un milieu
qu'ils ne connaissent pas ou peu, ou à travers les adultes qui ont
beaucoup d'a priori sur l'agriculture d'aujourd'hui en matière de
communication : vache folle, dioxine, nitrate, etc. Ils ne savent pas
ce qu'est l'agriculture aujourd'hui, qui respecte l'environnement, qui analyse
et raisonne chaque geste technique, car la technologie évolue et
l'agriculture doit s'en servir. Nous avons accueilli les enfants. D'abord, au
niveau pédagogique mais nous avons aussi adhéré à
un réseau qui s'appelle "FARRE" (Forum de l'Agriculture raisonnée
et respectueuse de l'environnement). C'est une association nationale qui a pour
but de communiquer et de trouver des fermes-témoins pour
présenter ce qu'est l'agriculture aujourd'hui. C'est une adhésion
volontaire et nous devons répondre à un cahier des charges et une
charte de qualité pour le respect de l'environnement.
Le travail pédagogique est plus efficace lorsque les enfants viennent
plusieurs fois à la ferme. Il y a une prise de conscience indispensable
ville/campagne et ils reviennent parfois deux, trois ou quatre fois dans
l'année. Ils ont la possibilité de s'occuper d'un petit champ de
blé qu'ils désherbent et sèment eux-mêmes et qu'ils
récoltent au mois de juin ; je pense que cela leur apprend la
patience, la responsabilité et la nécessité d'une ferme
qui est de nourrir d'abord, l'intérêt de soigner et de respecter
les éléments vivants. Ces enfants sont la société
de demain. Les parents qui viennent avec leurs enfants ont souvent des visages
fermés, aigris en arrivant à la ferme, des parents parfois
chômeurs, mais qui repartent vraiment contents d'être venus chez
nous et attendent la visite suivante pour encore travailler et vivre un moment
vrai.
Les fermes du Savoir Vert travaillent avec la région lilloise dans un
souci de communication et d'ouverture à la ville. Depuis deux ans, nous
travaillons avec la ville de Lille, et sa ferme urbaine. Celle-ci appartient au
réseau de fermes d'animation éducative (GIFAE- Groupement
international des fermes d'animation éducative). Celui-ci,
créé il y a une vingtaine d'années, a le souci du contact
de l'enfant avec l'animal ; les enfants qui vont en ferme
pédagogique dite urbaine, n'ont qu'une partie de l'information au niveau
pédagogique ; il est indispensable que ces enfants
complètent leur visite par une visite dans une vraie ferme de production
sinon leur information n'est pas complète et ils ne voient pas la vie ni
la réalité quotidienne de l'agriculture d'aujourd'hui.
L'enseignement est de plus en plus ancré dans le concret. L'Education
Nationale retravaille ses textes. Il y a beaucoup de choses qui sont faites
pour que l'enfant sorte de l'école et qu'il travaille son apprentissage
à la vie sur un support concret. Il est donc important que les
agriculteurs, ouvrent leurs fermes. Quoi de plus vivant que la ferme ?
Les fermes urbaines qui ont été créées avant les
fermes pédagogiques de production ont été ouvertes parce
qu'il y avait un problème de transport. Il fallait des fermes de
proximité qui se trouvent en ville. Cela coûte certainement une
fortune en termes d'investissement immobilier, entretien, etc.). Ne faut-il pas
financer plutôt le transport pour que les enfants puissent aller sur le
terrain et voir la réalité quotidienne et pérenniser des
emplois en milieu périurbain.
La ferme devenue pédagogique est intégrée dans un
environnement local périurbain et je ne voulais pas me sentir
marginalisée dans ce que je faisais dans ce secteur périurbain.
J'ai suivi une formation sur le développement local en milieu rural qui
n'est pas reconnue professionnellement, ni juridiquement. Cela m'a
apporté beaucoup parce qu'un agriculteur, aujourd'hui, ne peut vivre que
s'il a des partenaires autour de lui. Là encore, je me suis sentie
relais entre agriculteurs et partenaires locaux. Nous avons rencontré
des gens du Conseil Général et grâce au soutien humain,
juridique et administratif de certains, notamment de la D.D.A. et des
collectivités locales, nous avons réussi à monter un
projet d'intégration paysagère et à constituer un groupe
d'agriculteurs sur 17 communes de 3 cantons. Nous nous sommes servis de l'outil
qui était le fonds de gestion d'espace rural et nous avons essayé
de dire que l'agriculteur, c'est le gestionnaire de l'espace rural. Ce projet a
été baptisé " ACTIVER " (Actions cantonales pour
le travail, l'image et la vie de l'espace rural). Nous avons fait cela en
collaboration avec des écoles horticoles et agricoles,
élèves de B.T.S., venus par binôme dans les fermes
réaliser des projets d'intégration paysagère des fermes.
Là encore, un enseignement technique concret a été
réalisé.
C'est ensemble ville/campagne, enseignants, étudiants, agriculteurs, que
ceux-ci ont travaillé pour réhabiliter le paysage. Nous sommes en
banlieue lilloise et il faut transformer les contraintes environnementales en
atouts pour tous !
Cela a créé une dynamique de groupe : nous avons rassemblé
50 agriculteurs de nos 17 communes, qui n'étaient que producteurs. Nous
les avons sensibilisés à l'environnement. Notre objectif
était de faire partie d'un groupe. L'agriculture périurbaine, si
l'agriculteur reste individuel dans son coin, n'aura pas la même force
pour résister à la pression foncière, économique ou
culturelle !
Le projet venant à sa fin, nous avons fait le bilan avec les
agriculteurs de ce que cela leur avait apporté. Ils ont envie d'aller
plus loin et d'être présents là où se prennent les
décisions, faire nos preuves sur le terrain de façon
concrète, se faire connaître, et aussi être compris. C'est
aussi un moyen d'échanges avec les structures existantes. Pourquoi ne
pas développer un contrat d'agglomération avec les
collectivités locales, déterminer les volontés locales de
pérenniser une agriculture périurbaine et lui en donner des
moyens ?
Je me rends compte qu'au niveau agricole, entre espace périurbain et
zone rurale, il y a les parcs. Ceux-ci ont des relais, des animateurs locaux
qui travaillent sur le terrain, mais au niveau des zones périurbaines,
nous n'avons pas beaucoup de relais. Il en manque énormément et
ces relais ville/campagne, ces animateurs locaux représentent de
nombreux emplois à développer. Notre volonté est d'unir
les compétences rurales aux compétences administratives au niveau
urbain. Nous voyons la puissance de la C.U.D.L. (Communauté Urbaine de
Lille). Dans les commissions, il n'y a aucune Commission agriculture.
N'aurions-nous pas une petite place même si nous représentons 50 %
du territoire s'agissant de la gestion de l'espace mais seulement 5 % en termes
de population ?
Je pense que nous avons nos compétences à unir, à
développer pour valoriser les produits de proximité. J'ai
rencontré récemment un maire, car étant aussi
présidente de l'association pédagogique Savoir Vert,
j'établis des contacts avec les mairies. Il ne connaissait pas du tout
"FARRE". Il y a des magasins "bio" qui se développent dans leurs villes
et les agriculteurs locaux n'ont pas leur place dans ces magasins. Nous avons
créé un point de vente directe il y a une douzaine
d'années et nous nous apercevons que les gens, de plus en plus, veulent
savoir d'où viennent les produits, comment ils sont faits. Il faut
rétablir la confiance du consommateur. C'est une santé sociale
qui est à retrouver. Notre territoire périurbain est
dénommé à vocation paysagère et
récréative ! ! ! quel avenir pour l'agriculture si
nous n'anticipons pas. Est-ce que nous sommes " le poumon vert " de
la région lilloise ? Qui en décide ?
J'ai repris une phrase du rapport de M. Gérard Larcher " La
décision de construire, d'occuper l'espace est irréversible alors
que la décision de le protéger est toujours provisoire. Le vide
attire le plein, le plein ne recule jamais au profit du vide "...
Quel est notre choix ? notre responsabilité ? Comment
reconnaître, valoriser, pérenniser et donner les moyens aux
agriculteurs, heureux de l'être, de vivre en zone
périurbaine ? Comment permettre à la forte densité de
population qui nous entoure de jouir et de se responsabiliser face au
territoire rural environnant ? Comment partager et mieux vivre
ensemble ? La ferme et le milieu périurbain peuvent-il devenir un
nouveau lieu de rencontre, facteur de lien social et créateur de
développement local ? L'avenir nous le dira.
M. Jean-François LE GRAND :
Merci Madame. Nous sommes partis de
la notion de conflit d'usage, de conflit social et vous venez de
démontrer que la solution des conflits passait par le partage de
compétences, de projets, pour aboutir à une vie partagée.
M. Hervé Morize, vous êtes agriculteur dans les Yvelines,
près de la ville de Rambouillet. Vous êtes aussi secrétaire
général des agriculteurs de France. Quels sont les enjeux
spécifiques de l'agriculture périurbaine ? Comment pouvez-vous
apporter votre pierre à l'édifice que nous sommes invités
à construire aujourd'hui ?