b) La réalité agricole de l'Outre-mer
Très éloignés de l'Europe, les quatre départements
français d'Outre-mer totalisent un million et demi d'habitants sur une
superficie qui dépasse le sixième de celle du territoire
métropolitain.
A la signature du traité de Rome le 27 mars 1957, les DOM
français étaient la seule partie du territoire communautaire
extrêmement éloignée du continent Européen. La
reconnaissance de cette spécificité par l'article 227.2 du
traité, confortée par l'arrêté " HANSEN "
de la Cour de Justice des communautés Européennes de 1978, a
justifié des dérogations dans l'application de l'acquis
communautaire, dérogations dont ont pu bénéficier depuis,
les régions ultrapériphériques de l'Espagne et du Portugal.
Ainsi que le définit le nouvel article 299.2 du traité de
Rome, la situation de ces territoires est "
aggravée par leur
éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et
le climat difficile, leur dépendance économique vis-à-vis
d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison
nuisent gravement à leur développement
".
De plus, l'héritage historique colonial a laissé des traces
durables. La logique coloniale, tournée vers l'exportation, a
privilégié les cultures de la canne (transformée en sucre
ou en rhum), de la banane, de la vanille, des plantes à parfum ou encore
de l'ananas, au détriment des productions vivrières.
Malgré les réformes foncières entreprises en Guadeloupe et
à la Réunion, la répartition des terres et les modes
d'exploitation sont, en outre, restés assez archaïques ; le
fermage est, ainsi, peu fréquent.
Par ailleurs, dans les îles, une forte pression urbaine réduit
inexorablement la surface agricole utile et renchérit le coût du
foncier du fait d'un marché quasi inexistant. Les très petites
exploitations prédominent : neuf sur dix comptent moins de cinq hectares.
Les handicaps qui résultent d'un relief souvent accidenté et de
sols peu adaptés aux techniques modernes freinent la mécanisation
des récoltes. Les actifs sont assez peu formés et insuffisamment
organisés. Le statut d'agriculture est peu rémunérateur,
donc plutôt dévalorisant.
Enfin, la réalité agricole doit aussi être replacée
dans un contexte social difficile, caractérisé par des taux de
chômage très largement supérieurs à ceux
rencontrés en métropole ou dans les autres régions
communautaires. La préservation de l'emploi agricole constitue donc un
impératif pour l'économie toute entière de ces
départements.
Rappelons que la filière canne-rhum représente 30 000
emplois totaux dont 22 000 emplois directs, la filière banane
25 000 emplois totaux dont 15 000 emplois directs et la
filière ananas transformé 600 emplois totaux dont 550
directs.
Or le marché local de ces régions est étroit et fragile.
Des déséquilibres peuvent apparaître très rapidement
alors que le poids de l'import-export est prépondérant.
Les productions des DOM sont toujours dépendantes de l'importation
d'intrants dont les surcoûts liés au transport grèvent leur
prix de vente. Par ailleurs, ces marchés sont captifs pour les
productions des pays environnants dont les coûts de la main-d'oeuvre ne
sont pas comparables à ceux supportés par les producteurs domiens.
Les exportations des DOM rencontrent des difficultés croissantes du fait
de la libéralisation des marchés, engagée avec force, en
particulier par les Etats-Unis, ce qui conduit la Communauté
Européenne à accepter de plus en plus de concessions tarifaires
sur les produits tropicaux.
Face à ces handicaps, l'agriculture domienne, quels que soient ses
efforts pour accroître sa technicité et réduire ses
coûts, ne pourra pas compenser en totalité son manque de
compétitivité.
En raison de la place importante du secteur agricole dans les
équilibres socio-économiques des DOM, l'Etat, les
collectivités territoriales et l'Union Européenne ont
cherché à préserver les activités agricoles
existantes, tout en encourageant une indispensable diversification.
Nombre de produits des DOM dépendent des mécanismes de soutien
que certains aimeraient remettre en cause. Des attaques en ce sens proviennent
régulièrement des Etats-Unis (et le dernier en date à
l'encontre de la banane est tout à fait significatif), mais
s'élèvent également au sein même de l'Union
Européenne, et plus particulièrement de sa moitié
septentrionale.
L'agriculture des DOM bénéficie des aides PAC à
travers plusieurs organisations communautaires de marchés
:
-
l'OCM sucre
(Organisation Commune du Marché du Sucre)
réserve un quota aux DOM suffisant au regard de leur production
(436 000 T de quota A et 46 000 T de quota B pour une
production globale d'environ 300 000 T).
En outre, une aide au transport du sucre vise à assurer aux sucres des
DOM le prix d'intervention communautaire lors de leur écoulement dans la
Communauté. Son coût de 60 à 70 MF/an est relativement
modique.
-
l'OCM banane
(Organisation Commune du Marché de la banane)
mise en place en 1993 a permis, après la suppression des marchés
cloisonnés, le maintien d'une activité fondamentale pour les deux
départements antillais. L'aide communautaire de l'ordre de
600 millions de francs en 1997 pour 370 000 T de production, ne
peut à elle seule assurer la présence de la banane antillaise sur
les marchés français et Européens. En effet, le prix de
revient pour le producteur communautaire antillais est 3 fois supérieur
à celui des producteurs d'Amérique centrale (4,50 F/kg
contre 1,50 F/kg).
C'est pourquoi la réforme de l'OCM banane en cours, qui fait suite
à la condamnation de l'Union Européenne par l'OMC (organisation
mondiale du commerce) doit nécessairement inclure une garantie
d'écoulement aux productions communautaires comme le propose le rapport
de M. Jean Huchon en date du 25 février 1998
48(
*
)
.
-
les OCM liés à l'élevage
ne
bénéficient que partiellement aux départements
d'outre-mer, l'octroi des primes animales étant conditionné
à l'identification du cheptel, qui n'est pas toujours
opérationnelle dans ces départements.
-
l'OCM ananas
(Organisation Commune du Marché de l'ananas)
dont seule la Martinique bénéficie, puisqu'elle ne vise que
l'ananas transformé, a permis le maintien d'une activité tant de
production (500 employés) que de transformation
(300 employés permanents et occasionnels). L'aide communautaire
d'un montant de 50 et 70 MF/an, jugée trop coûteuse par les
instances Européennes, ne fait que refléter les distorsions de
concurrence avec les pays du Sud Est asiatique. Pourtant la Commission
Européenne souhaite réviser profondément le soutien
à cette production.
Les soutiens reçus doivent être relativisés : le sucre
et plus ponctuellement l'ananas transformé, l'élevage, le riz
guyanais et plus récemment la banane ont certes profité de
l'organisation des marchés de la Politique agricole commune (PAC), mais,
comme d'autres productions, ont souffert de la concurrence des pays ACP
(Afrique, Caraïbes et Pacifique) qui bénéficient d'un
accès privilégié au marché communautaire au titre
des conventions de Lomé.
Outre la place qu'ils occupent sur les marchés Européens, les
produits importés de pays en voie de développement sont, pour une
part, vendus dans les DOM. Les producteurs locaux voient en conséquence
leurs débouchés se restreindre doublement.
Face à ce problème de l'applicabilité de la PAC aux
départements d'outre-mer et à la quasi ignorance de cette
agriculture " lointaine " par la Commission Européenne
jusqu'au milieu des années 1980, l'agriculture domienne a vécu de
plans de relance en plans de redressement.
Ce n'est que le 29 décembre 1989, suite au dépôt
par la France, d'un mémorandum " pour une meilleure insertion des
DOM dans la Communauté Européenne ", que l'Europe a
accepté de reconnaître concrètement les handicaps de cette
agriculture insulaire
.
Les aides POSEIDOM (programme d'options spécifiques à
l'éloignement et à l'insularité des départements
français d'outre-mer) viennent compléter les aides PAC.
Sur la base de l'article 227, paragraphe 2 du Traité, le
Conseil des communautés Européennes a adopté le
22 décembre 1989 un programme dont l'objectif était de
permettre le développement économique et social des DOM.
Le règlement adopté le 16 décembre 1991,
modifié le 30 octobre 1995 comporte diverses mesures en
particulier des aides visant à :
- favoriser l'approvisionnement en céréales destinées
à l'alimentation animale ;
- développer l'élevage, la culture du riz en Guyane, les
productions de fruits, légumes et fleurs et la commercialisation de ces
produits ;
- améliorer la compétitivité de la filière
canne/sucre/rhum ;
- mettre en place des actions en matière vétérinaire
et phytosanitaire ;
- soutenir des programmes instaurés dans le cadre des
interprofessions.
Malgré les délais souvent très long mis par la Commission
pour engager ces mesures, la plupart d'entre elles sont maintenant
entrées en vigueur. Les lourdeurs administratives imposées par la
Commission pour leur application ne doivent pas conduire à sous-estimer
l'intérêt majeur que présente le POSEIDOM pour
l'agriculture des DOM, intérêt qui devrait apparaître dans
le bilan actuellement en cours de réalisation.
L'ensemble des aides communautaires, qu'elles s'inscrivent dans le cadre de
la politique agricole commune ou dans POSEIDOM, ne font que compenser certains
handicaps. Si le chemin est encore long pour une véritable
professionnalisation de l'agriculture outre-mer, les progrès accomplis
sont indéniables.
Toutefois, la politique de parité sociale engagée -à juste
titre- dans ces départements et leurs handicaps géographiques ne
leur permettront pas d'être compétitifs avec des pays de latitude
comparable : les soutiens, s'ils doivent être
réorientés, restent donc indispensables.
Si les produits méditerranéens (huile d'olive, tabac, vin) sont
cités dans l'exposé des motifs du projet de réforme du
FEOGA -orientation et garantie,
les régions
ultrapériphériques ne sont mentionnées ni dans
l'exposé des motifs, ni dans les textes de règlement
. Seules
sont évoquées dans ce document les régions de
l'objectif 1 en particulier dans les articles 13 à 19 du
projet (chapitre V), dont les départements d'Outre-mer
relèvent. Comme l'introduit le considérant correspondant :
"
le soutien aux zones défavorisées doit être un
instrument de base du maintien et de la promotion des méthodes de
culture à faible consommations intermédiaires
". Ainsi,
les zones défavorisées sont de manière implicite les zones
de montagne ou les zones en déprise mais aucunement une agriculture
ultrapériphérique. Ceci est confirmé lorsqu'on regarde le
plafonnement des aides compensatoires aux handicaps figurant en annexe du
projet : le niveau de l'aide fixé à 200 écus/ha
maximum ne correspond pas aux besoins des DOM mais s'adresse à une
agriculture extensive, consommatrice d'espace. Ceci est d'autant plus vrai que
l'article 53 du texte abroge l'article 21 du POSEIDOM agricole. Cet
article permettait de déroger aux divers règlements structurels.
La mission d'information constate ainsi, non seulement que le texte
proposé ne répond pas aux attentes de ces régions, mais
qu'il remet en cause la spécificité des DOM et de l'agriculture
tropicale.
Des adaptations paraissent nécessaires
.
Alors que les enveloppes financières globales réservées
aux régions de l'objectif 1 seraient largement
approvisionnées, les DOM ne bénéficieraient pas de
façon marginale des aides correspondantes.
Des modifications à la proposition actuelle sont donc
nécessaires indépendamment de toutes mesures
complémentaires prenant en compte les handicaps lourds et notamment
celui de l'éloignement.
Une mention particulière sur la situation originale des régions
ultrapériphériques doit être obtenue dans le projet de
règlement, soit dans le cadre du chapitre V " zones
défavorisées ", soit dans un article autonome.
Cette référence doit s'accompagner de proposition de
critères particuliers, sans relation avec ceux figurant pour les autres
zones de l'objectif 1 : l'agriculture des DOM ou
ultrapériphérique est intensive. Si nous ne devons pas ignorer
les critères environnementaux, de protection des paysages,... ils ne
doivent pas constituer les références exclusives pour
l'attribution des aides.
Enfin, non seulement l'article 21 du POSEIDOM doit être maintenu
mais, il doit être dans le projet de règlement du FEOGA,
conforté.
Au stade actuel des négociations, aucune proposition émanant de
la France ou des 3 autres pays concernés par les régions
ultrapériphériques (Grèce, Espagne, Portugal) n'a
été formulée.
De plus, la politique générale agricole doit être
complétée dans les DOM par l'élaboration d'un POSEIDOM III
qui devra être mis en place simultanément à la
réforme de la PAC et sera élaboré à partir du bilan
des deux programmes initiaux qui est en cours. Les productions de
diversification et vivrières devront y trouver une place
privilégiée en laissant une large place à la
subsidiarité, dans l'esprit de la réforme de la PAC.
L'agriculture des DOM doit tout à la fois se défendre et
s'adapter. A l'avenir, les soutiens qu'elle reçoit devront mieux prendre
en compte ces deux objectifs, et ne plus ignorer sa spécificité.
La mission d'information souhaite que cette agriculture soit reconnue par
l'Europe, et que soit pris en compte le retard de développement de ces
régions afin de maintenir le revenu de nos agriculteurs.