TROISIÈME PARTIE -

OFFRIR À L'AGRICULTURE EUROPÉENNE UNE VISION DYNAMIQUE ET MODERNE DE SON AVENIR

Lors du 52e " Farming Conference " d'Oxford, le 6 janvier 1998, M. Jack Cunningham, ministre de l'agriculture britannique, a fait la déclaration suivante :

" Nous devons abandonner la vision utopique d'un " modèle agricole Européen " difficile à définir, basé sur des exploitations non viables, mais maintenues en vie grâce aux subventions des contribuables et des consommateurs... Nous devons aligner les prix d'intervention sur les prix mondiaux comme le propose Franz Fischler. Cette mesure doit concerner non seulement la viande bovine et les céréales, mais aussi le lait et le sucre... Nous ne faisons à les maintenir que perdre des parts de marché au profit de nos concurrents des pays tiers, ce qui ne saurait servir les intérêts de nos agriculteurs... ".

Après la réforme de 1992 dont la " philosophie " repose, notamment, sur une forte réduction du soutien par les prix, cette déclaration prône une nouvelle rupture avec les mécanismes de soutien de la PAC, définis en 1962 dans un contexte déficitaire.

Les propositions de la Commission Européenne de juillet 1997 et mars 1998 poussent un peu plus loin la logique retenue en 1992. Et cela pour une raison essentielle : cette réforme a globalement réussi. Certes les causes de ce succès, si relatif soit-il, sont loin d'être imputables uniquement aux mécanismes mis en place en 1993. Néanmoins, la réforme Mac Sharry a permis, au minimum, d'éviter une " implosion " de la PAC, notamment sur le plan budgétaire.

Faut-il se satisfaire d'un tel constat ? La mission d'information en doute.

Aujourd'hui, l'Europe est confrontée, à nouveau, à un choix en matière agricole, comme l'a indiqué le sommet de Madrid de décembre 1995 : la première possibilité est de baisser les prix fortement, démanteler les aides et abattre les protections : cette solution, dite libérale , est prônée par certains au nom de la mondialisation des échanges et de la satisfaction du consommateur.

La mission d'information considère qu'une telle option, si elle était retenue, conduirait au suicide et ce pour deux raisons : la première est l'impossibilité pour les agriculteurs Européens de s'aligner à tout moment et pour tous les produits sur des prix mondiaux dont les modalités de formation ne sont en aucun cas le résultat d'une concurrence loyale ; la seconde réside dans la volonté des Européens de ne pas transformer leurs territoires en zones désertiques.

La deuxième solution consiste à ne plus exporter, ne plus importer, fermer ses frontières et ériger l'auto-approvisionnement en règle absolue . Le simple énoncé d'une telle option suffit à en démontrer l'irréalisme, notamment au niveau français.

Seule subsiste l'option intermédiaire, qui vise deux objectifs pouvant apparaître contradictoires : d'une part, la préservation d'une agriculture Européenne forte au sein de régions rurales et péri-urbaines revitalisées et, d'autre part, l'insertion dans un contexte international aujourd'hui omniprésent.

On ne peut, en effet, ni appréhender la réforme de la PAC ni lui offrir de solides perspectives d'avenir sans la replacer dans le contexte mondial où elle s'inscrit.

La communauté n'est pas un ensemble clos, replié sur lui-même. Si elle est devenue le deuxième exportateur mondial, elle est aussi le premier importateur. Il faut être conscient de ce fait.

L'analyse attentive de l'évolution de la PAC, de ses crises, de ses réformes et des contraintes qui de l'extérieur pèsent sur la Communauté, met en lumière une vérité d'évidence : réformer la PAC ne relève pas d'une seule orientation, d'un remède unique, mais d'une thérapeutique à plusieurs remèdes dont l'action convergente est une nécessité.

La mission d'information s'est déplacée aux Etats-Unis et dans six Etats membres de la Communauté Européenne. Elle s'est rendue à deux reprises à Bruxelles et a procédé à l'audition d'une soixantaine de personnalités.

A l'issue de ce travail, la mission d'information souhaite, au-delà des critiques qu'elle formule contre telle ou telle proposition de la Commission Européenne, présenter de nouvelles perspectives pour la Politique Agricole Commune de l'an 2000. Ce projet alternatif s'articule autour de quatre axes essentiels qui doivent permettre d'offrir à notre agriculture française et Européenne une vision dynamique et moderne .

L'avenir de la PAC, pour la mission d'information, repose sur quatre piliers :

- la consolidation du marché commun agricole,

- une approche différenciée des productions,

- la préservation de l'espace et de l'emploi rural,

- la redéfinition du mode de participation de la Communauté aux échanges mondiaux.

I. CONSOLIDER L'UNITÉ DU MARCHÉ COMMUN AGRICOLE

Les auteurs du Traité de Rome avaient redouté que laisser l'agriculture en dehors des négociations ne conduise inévitablement à l'échec d'un marché commun au niveau Européen.

La PAC a été en fait la véritable locomotive de l'Europe communautaire et " d'un grand marché unique ". Celui-ci doit être consolidé car toute fissure entraînerait inévitablement la remise en cause de la PAC et donc, à terme, du projet Européen.

Afin d'achever cette unité du marché commun agricole, la mission d'information considère comme impératif de :

- réussir la mise en place de l'Euro -ce qui nécessite un suivi particulièrement important en raison des zones d'ombre que l'instauration de la monnaie unique laisse subsister ;

- parvenir à une véritable égalité de concurrence entre les producteurs Européens ;

- constituer un projet global pour l'agriculture Européenne permettant de prendre en considération l'ensemble des productions agricoles -et notamment les productions méditerranéennes et celles des départements d'outre-mer- ;

- présenter un véritable projet pour les usages non alimentaires des produits agricoles.

A. RÉUSSIR LA MISE EN PLACE DE L'EURO

Les fluctuations des taux de change ont eu, depuis la fin des années 60, de profondes répercussions sur l'agriculture Européenne, qu'il s'agisse des fluctuations des monnaies de l'Union les unes vis-à-vis des autres ou de leurs évolutions par rapport au dollar.

1. L'Euro : des avantages incontestables pour l'agriculture

La création de la monnaie unique, qui se substituera dès le 1er janvier 1999 aux monnaies nationales dans une large zone de l'Union, mettra fin aux fluctuation monétaires 42( * ) .

C'est ainsi une page importante de l'histoire de la PAC qui va se tourner : les mesures " agri-monétaires " n'auront plus d'objet pour les pays " in ", c'est-à-dire faisant partie de la zone Euro 43( * ) . La fin des perturbations monétaires intra-zone apportera également d'autres avantages, notamment en mettant les agricultures nationales à l'abri des effets, sur leur compétitivité, des dévaluations des monnaies de leurs partenaires. Comme les autres secteurs, l'agriculture bénéficiera également d'économies substantielles, liées à la suppression des différents coûts dus à la coexistence des monnaies nationales.

a) La fixation de prix communs : un instrument privilégié de la PAC soumis à de fortes tensions

La PAC avait fait de la fixation de prix communs, applicables dans l'ensemble de la Communauté, l'instrument privilégié de son action en faveur du soutien du revenu de la population agricole, de la stabilité des marchés, du développement de la productivité et du respect des intérêts des consommateurs.

Ces prix communs, fixés au cours de mémorables " marathons " en une unité de compte puis, plus tard, en Ecus, devaient évidemment être convertis en monnaies nationales pour être appliqués dans les Etats-membres. Un inconvénient de la méthode tenait au fait que la dévaluation ou la réévaluation des monnaies provoquait, systématiquement, la hausse ou la baisse des prix agricoles domestiques.

En 1969, à la suite d'une dévaluation du franc français de 11 %, se trouva institué entre l'unité de compte Européenne et le franc un taux de conversion spécifique (ou " taux vert "), différent du taux de référence établi à partir du taux de change officiel du franc. Le bénéfice de cette disposition fut bientôt étendu à l'Allemagne, qui aurait dû, à la suite de la réévaluation du deutschmark, accepter une baisse de ses prix, défavorable à ses agriculteurs.

L'adoption des taux verts introduisait des disparités de prix, qu'il fallut compenser , afin de maintenir les conditions d'une concurrence équitable entre les producteurs nationaux. La compensation fut réalisée au moyen des fameux " montants compensatoires Monétaires " (MCM), agissant comme des taxes ou des subventions lors du franchissement des frontières par les produits.

ÉVOLUTION DES TAUX VERTS - situation au 27 avril 1998

 
 

Taux vert - 1 Ecu =

Evolution des écarts entre les taux verts et les taux du jour (en %)

 

Monnaie

A partir du 3/04

Ancien

Effet sur les prix en %

du 23/04/98 au 27/04/98

Belgique

BFR

40,9321

40,9321

0

+0,369

Danemark

DKR

7,56225

7,55234

+0,13

+0,346

Allemagne

DM

1,98391

1,98243

+0,07

+0,421

Grèce

DRA

349,703

349,703

0

+1,304

Portugal

ESC

203,183

202,764

+0,20

+0,375

France

FF

6,68769

6,68769

0

+0,953

Finlande

FMK

6,02811

6,02811

0

+0,532

Pays-Bas

HFL

2,23593

2,23286

+0,13

+0,564

Irlande

IRL

0,796521

0,796521

0

+1,667

Italie

LIT

1973,93

1973,93

0

+1,087

Autriche

OS

13,9576

13,9485

+0,06

+0,416

Espagne

PTA

168,336

167,997

+0,20

+0,323

Suède

SKR

8,79309

8,79309

0

+3,600

Royaume-Uni

UKL

0,695735

0,695735

0

+5,060

L'usage conjugué des taux verts et des MCM, bien qu'il ait été destiné à maintenir les conditions d'une concurrence équitable, a souvent conduit à des distorsions . Tandis que leurs prix étaient faiblement modifiés, les producteurs des pays à monnaie dépréciée payaient plus cher les produits intermédiaires importés (engrais, semences, aliments pour le bétail), les producteurs des pays à monnaie forte les payaient moins cher, ce qui pénalisait les uns et favorisait les autres. Le système agri-monétaire permit également aux Etats-membres bénéficiant de MCM négatifs (on qualifiait ainsi les montants destinés à compenser les écarts négatifs entre les prix domestiques des pays à monnaie dévaluée et les prix communs) d'atténuer à leur profit des baisses de prix adoptées par la PAC. La Grande-Bretagne et l'Italie en particulier ont bénéficié de cette faculté à plusieurs reprises.

La réforme de 1992 et l'abandon des MCM n'ont pas fondamentalement modifié cette situation . C'est ainsi que dans son rapport pour l'année 1995 sur " La situation de l'agriculture dans l'Union Européenne ", la Commission confirme que les fortes perturbations monétaires enregistrées à partir de 1993 " ont constitué une grave menace tant pour la réussite du programme de réforme proprement dit que pour la réalisation d'un marché véritablement unique ". Les effets de la dévaluation de la livre sterling illustrent ce danger.

Les statistiques du commerce extérieur des pays de l'Union confirment incontestablement l'existence de distorsions dues aux fluctuations de change. Les exemples abondent, comme celui des tomates espagnoles, dont la compétitivité a été ces dernières années renforcée de façon spectaculaire par les dépréciations cumulées de la peseta.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page