N°
466
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 2 juin 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) par la mission d'information (2) chargée, en application de l'article 21 du Règlement, d'étudier l'avenir de la réforme de la Politique agricole commune,
Par MM.
Marcel DENEUX et Jean-Paul EMORINE,
Sénateurs.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Jean François-Poncet,
président
; Philippe François, Henri Revol, Jean Huchon,
Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti,
vice-présidents
; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul
Émin, Louis Moinard,
secrétaires
; Louis Althapé,
Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Michel Barnier, Bernard Barraux, Michel
Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean
Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel
Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré
Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe
Désiré, Michel Doublet, Bernard Dussaut
,
Jean-Paul
Emorine, Léon Fatous, Hilaire Flandre, Aubert Garcia, François
Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges
Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi
Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Gérard Larcher, Edmond Lauret,
Pierre Lefebvre, Jean-François Le Grand, Kléber
Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Jean-Baptiste Motroni,
Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Bernard
Piras, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Paul
Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger
Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan,
Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, M. Henri Weber.
(2) Cette mission d'information est composée de :
MM. Philippe
François,
président
; Bernard Barraux, Georges Berchet,
Louis Minetti, Jean-Marc Pastor,
vice-présidents
; Roland
Courteau, Jacques de Menou,
secrétaires
; MM. Marcel Deneux,
Jean-Paul Emorine,
rapporteurs
; Mme Janine Bardou, MM. Michel
Barnier, Jean Bizet, Désiré Debavelaere, Mme Josette Durieu, MM.
Jean François-Poncet, Jean Huchon, Louis Moinard, Bernard Piras, Paul
Raoult, Charles Revet, Roger Rigaudière.
Politique agricole commune.
" Le premier et le plus respectable
de tous les arts est l'agriculture "
Jean-Jacques Rousseau
Emile ou de l'éducation
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Quarante ans après Stresa, l'Union Européenne veut-elle encore
avoir une politique agricole commune ? Une telle interrogation peut
paraître surprenante, compte tenu de la place prépondérante
de la politique agricole commune (PAC) dans la construction Européenne
et dans le budget communautaire.
Rien ne semblait pourtant prédisposer l'agriculture à
s'intégrer dans le futur Marché commun, les unions
économiques régionales préférant laisser de
côté un secteur complexe et à haut risque. Or
l'agriculture, figurant seulement dans une dizaine d'articles du Traité
de Rome (articles 38 à 47), est apparue rapidement comme la clef de
voûte de l'édifice Européen.
La Communauté économique Européenne a, dès les
années 60, montré sa capacité d'initiative et de
décision en construisant une politique agricole commune originale. A
cette époque, l'agriculture Européenne, qui représentait
entre le quart et le cinquième de la population active Européenne
et environ 10 % du produit national brut des Six, était, dans
l'ensemble, peu performante, l'Europe étant largement dépendante
du reste du monde pour la plupart des produits alimentaires de base.
Initialement basée sur quelques principes simples comme la
liberté de circulation des produits entre les Etats membres, un niveau
commun de prix pour les producteurs, la solidarité financière et
la préférence communautaire, la PAC avait pour objectif
d'accroître la productivité de l'agriculture, d'assurer un niveau
de vie équitable à la population agricole, de permettre une
stabilisation des marchés, de garantir la sécurité des
approvisionnements et d'assurer des prix raisonnables aux consommateurs.
Au cours de ces quarante années, la PAC a été,
à de très nombreuses reprises, considérée comme
étant à un " tournant décisif ". Cette
expression, comme celle de " crise ", a été tellement
utilisée et banalisée dans le domaine agricole qu'il importe de
se poser effectivement la question de l'avenir de la PAC, notamment
après la présentation par la Commission Européenne des
nouvelles propositions de réforme de la PAC d'Agenda 2000,
formulées moins de six ans après la réforme
" Mac Sharry ".
Une esquisse de réponse suppose une présentation succincte de
l'histoire particulièrement riche de la PAC.
La période de lancement de la PAC s'est étalée de 1958
à 1970 avec la mise en place des organisations communes de
marchés (OCM) comme celle des céréales, du porc et des
oeufs, et les premières mesures financières (création du
FEOGA en 1962 et apparition d'un système de ressources propres).
Après cette phase transitoire, s'ouvre, de 1970 à 1980, une
période de consolidation de la PAC. Le développement des OCM
relatives au houblon (1971), aux produits de la pêche (1971), aux
fourrages séchés et déshydratés (1974) et à
la viande ovine (1980), ainsi que le lancement de la politique structurelle
avec les directives de 1972 et de 1975
1(
*
)
-qui s'inspirent assez largement du
plan Mansholt
2(
*
)
- en sont les
principaux éléments.
Dès la mise en place des premières OCM, la Communauté est
passée d'une situation déficitaire à une situation
excédentaire dans la plupart des productions agricoles, les
dépenses du FEOGA-garantie enregistrant une augmentation vertigineuse.
Malgré la réforme de 1977 dans le secteur laitier, la
décennie soixante-dix s'est achevée en faisant apparaître,
avec une particulière acuité, les dysfonctionnements de la PAC
(multiplication des excédents, accroissement des dépenses
budgétaires, baisse des revenus agricoles).
Les années 80 ont vu la politique agricole s'installer dans une
situation de crise permanente : l'incapacité à
maîtriser les excédents et la compétition avec les grands
pays producteurs en sont les raisons principales. Les tentatives de
résorption des excédents, l'évolution de la politique
structurelle et les relations avec les pays non-communautaires ont conduit les
Douze à adopter un ensemble de mesures donnant à la politique
agricole commune un visage profondément nouveau. Ce processus de
réforme a été amorcé dès 1984 avec
l'instauration des quotas laitiers, puis, en 1988, par la création des
stabilisateurs budgétaires. Le contexte Européen et international
a conduit le commissaire Mac Sharry dès 1990 à proposer une
réforme d'envergure de la PAC. Le compromis final a écarté
deux solutions extrêmes : celle d'une part de la
renationalisation de l'agriculture et celle, d'autre part, d'une
généralisation des quotas qui aurait réduit l'agriculture
Européenne à un second rôle sur le plan international en
bloquant tout développement de ses capacités exportatrices.
La réforme adoptée en mai 1992 repose sur le triptyque
suivant : baisse significative des prix garantis, compensation des pertes
de revenus par des paiements compensatoires et instauration d'un gel des terres
obligatoire.
Dès 1997, le Sénat avait constaté l'urgence d'une
réforme de la PAC
3(
*
)
.
La démarche actuelle de la mission d'information s'inscrit dans la
même logique : elle vise à effectuer un bilan des réformes
en cours, et notamment celle de 1992, à analyser les propositions de la
Commission Européenne de juillet 1997 et mars 1998 et, enfin,
à proposer quelques grandes orientations. Néanmoins, si la
mission sénatoriale de 1998 s'inscrit dans le prolongement de celle de
1987, le contexte en est radicalement différent, tant au niveau national
que communautaire et international.
Ainsi, la grande mutation de l'agriculture française n'a fait que
s'accélérer. De 1987 à 1997, le nombre d'exploitations est
passé de plus d'un million à moins de 700.000. De même, la
taille moyenne des exploitations agricoles a quasiment doublé,
atteignant 42 hectares. Enfin, le nombre d'actifs agricoles a
diminué d'un quart en dix ans. Les subventions nationales et
Européennes versées aux agriculteurs ont fortement
augmenté, notamment après la réforme de la PAC en
1992-1993. Les aides représentent aujourd'hui près de 40 %
du revenu agricole.
Par ailleurs, la dimension territoriale, environnementale et sociale de
l'agriculture ainsi que la valorisation des productions de qualité sont
devenues, aujourd'hui plus que jamais, un impératif.
Sur le plan Européen, les prévisions quant à
l'évolution future des stocks agricoles et les perspectives de
l'élargissement de l'Union Européenne aux pays d'Europe centrale
et orientale (PECO) sont mises en avant par la Commission pour justifier ses
propositions.
Enfin, les perspectives des marchés agricoles mondiaux, les relations
entre les Etats-Unis et l'Union Européenne ainsi que la prochaine
reprise des négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce
en faveur d'une libéralisation accrue des courants commerciaux,
pèsent fortement sur l'orientation des politiques agricoles des
différents Etats.
Dans ce contexte multipolaire de mondialisation des échanges agricoles,
la PAC a-t-elle encore un sens ? D'aucuns estiment au sein de l'Europe des
Quinze, que l'existence même d'une politique agricole Européenne
est devenue anachronique. L'alignement des prix Européens sur les prix
mondiaux est considéré comme l'unique modèle possible,
cédant ainsi aux tentations d'un soi-disant modèle
américain.
L'examen objectif des faits ne valide pas, a priori, une telle analyse.
Représentant plus de 372 millions de consommateurs à hauts
revenus et une production finale de plus de 200 milliards d'écus,
la Communauté à Quinze constitue le premier marché
alimentaire mondial. La France en est, avec 25 % de la production agricole
finale, le premier producteur. Les bénéfices que la France et
l'Europe toute entière tirent de l'organisation du marché
communautaire ont été à de maintes reprises
analysés (augmentation régulière du revenu des
agriculteurs, solde agro-alimentaire excédentaire, progression des
ventes hors de la Communauté ...).
Si l'agriculture communautaire a effectivement besoin d'un nouveau cadre pour
affronter les défis du troisième millénaire, l'Europe, et
particulièrement la France, ne doit pas vouer la PAC aux
gémonies. Il est souhaitable, au contraire, de défendre cette
politique, de la compléter, de la réformer, de la
préserver et, si possible, d'en valoriser les atouts.
Tâche assurément plus ardue, mais de toute évidence
indispensable pour construire une véritable identité agricole
Européenne.
C'est dans cet esprit que la mission d'information instituée à
l'initiative de la Commission des Affaires économiques du Sénat a
travaillé, sous la présidence de M. Philippe
François, Sénateur de Seine et Marne. Elle a
procédé à 60 auditions et effectué plusieurs
déplacements en Europe et aux Etats-Unis.
Le présent rapport, qui rend compte de ces quelques six mois de travaux,
s'efforce :
- de dresser le bilan de la réforme de 1992 et d'examiner les
arguments invoqués pour justifier une nouvelle réforme de la
Politique agricole commune ;
- d'analyser le nouveau cadre proposé par la Commission
Européenne pour l'agriculture communautaire;
n de dégager un projet alternatif, exprimant une vision moderne et
dynamique de l'agriculture Européenne, tout en prenant en compte les
contraintes budgétaires et internationales qu'il est désormais
impossible d'ignorer.
n