IV. LES CONSÉQUENCES D'UNE MISE EN OEUVRE ANTICIPÉE DU PROTOCOLE D'INTEGRATION DE L'ACQUIS DE SCHENGEN DANS L'UNION EUROPÉENNE
A. LA PROCÉDURE MISE EN OEUVRE
La présidence luxembourgeoise a sans délai
engagé les travaux de réorganisation du troisième pilier
du traité de Maastricht et d'incorporation des accords de Schengen dans
le traité sur l'Union européenne
. Cette hâte cadre mal
avec une déclaration de l'acte final qui précise que les travaux
préparatoires seront
" entrepris en temps voulu de
manière à être achevés avant la date d'entrée
en vigueur du traité"
.
Alors que le traité d'Amsterdam a été signé le 2
octobre 1997, le Conseil Affaires générales a été
saisi par la présidence luxembourgeoise, dès le 6 octobre
1997
, sur la procédure ;
le Conseil des ministres Justice et
Affaires intérieures (JAI), réuni le 9 octobre, a accepté
que ces travaux soient répartis entre plusieurs groupes de
travail
.
Le 16 octobre 1997, le Comité des représentants
permanents a institué le groupe de travail " Acquis de
Schengen
" qui aura pour tâche d'examiner les questions
suivantes :
- la reprise de l'acquis de Schengen ;
- la ventilation de l'acquis entre premier et troisième piliers ;
- la détermination de l'acquis de Schengen auquel le Royaume-Uni et
l'Irlande souhaitent participer.
Le Coreper a décidé que ce groupe se réunira, en principe
deux fois par mois, sous la présidence de M. Guy Schleder, actuel
président du Comité K4 et chef de la délégation
luxembourgeoise au groupe central Schengen. Les quinze Etats membres font
partie du groupe mais le Conseil, statuant à l'unanimité des
treize Etats membres signataires des accords de Schengen, définit
l'acquis à ventiler. Une fois l'acquis défini, il s'agira, dans
une deuxième étape, de le ventiler entre le premier et le
troisième pilier ; cette décision est prise par le Conseil
(à quinze), statuant à l'unanimité.
Le Coreper a enfin décidé que, dans le contexte de la
définition de l'acquis, il pourra être utile de pouvoir s'appuyer
sur l'expérience de fonctionnaires de l'organisation Schengen, dont le
secrétariat sera invité à assister à ces
réunions.
Un rapport sur l'état des travaux sera
présenté au Coreper et au Conseil Affaires
générales avant le 8 décembre 1997
.
B. LES CONSÉQUENCES DE LA SUBSTITUTION DES BASES JURIDIQUES
Dès le lendemain de la réunion du Comité
des représentants permanents du 16 octobre 1997,
la présidence
luxembourgeoise a adressé le 17 octobre 1997 au groupe " acquis de
Schengen " une note
(4(
*
))
portant sur "
la détermination, conformément aux
dispositions pertinentes du traité d'Amsterdam, de la base juridique
pour chacune des dispositions qui constituent l'acquis de
Schengen
".
La note souligne que "
le présent document contient les
réflexions que la présidence a menées
en étroite
concertation avec la Commission
sur la question de savoir comment le mandat
du Conseil pourrait être rempli
", confirmant ainsi que,
dès à présent, la Commission est très
présente dans les travaux de substitution des bases juridiques de
l'acquis de Schengen, avant même que le traité n'ait
été ratifié.
La présidence indique également qu'elle a déjà
identifié des problèmes connexes à celui de la
substitution des bases juridiques, notamment :
- l'examen des questions institutionnelles (rôle du groupe central de
négociation) ;
- les problèmes liés au SIS et à son financement ainsi
qu'au système SIRENE des bureaux nationaux ;
- la détermination de la nature et de la forme juridique que l'acquis de
Schengen devrait revêtir s'il était adopté sous le
régime du traité d'Amsterdam ;
- les questions relatives à la traduction et à la publication de
l'acquis de Schengen.
A l'évidence, le travail de substitution des bases juridiques ira
largement au-delà des seules questions de procédures. Cette note
confirme que cette substitution de bases juridiques est susceptible d'avoir des
conséquences juridiques sérieuses et des implications politiques
graves et qu'elle mérite un examen d'autant plus attentif que l'article
134 de la convention d'application des accords de Schengen a stipulé que
ses dispositions "
ne sont applicables que dans la mesure où
elles sont compatibles avec le droit communautaire
".
Sous réserve d'inventaire plus complet, on peut déjà
évoquer trois exemples :
1.
Les Pays-Bas resteront-ils liés par les engagements auxquels ils
avaient souscrit en signant la convention de Schengen
, notamment ceux
résultant de l'application de l'article 71 paragraphe 2 de la convention
d'application, dès lors que la nouvelle base juridique serait les
articles 30 et 31 du nouveau traité consolidé sur l'Union
européenne (anciens articles K 2 et K 3 sur la
coopération policière et judiciaire en matière
pénale) ? L'article 71 paragraphes 2 et 3 de la convention d'application
des accords de Schengen vise directement "
l'exportation illicite
de
stupéfiants et de substances psychotropes,
y compris le
cannabis
" et autorise le renforcement des
"
contrôles de la circulation des personnes et des
marchandises
" dans le cadre de la lutte contre
"
l'importation illicite de stupéfiants et de substances
psychotropes
". Les articles 30 et 31 du TUE n'évoquent pas le
problème des trafics de drogue ; ils ne portent -d'ailleurs dans des
termes très généraux- que sur la coopération
policière, Europol, et la coopération judiciaire en
matière pénale.
2.
Sera-t-il toujours possible de conclure des conventions
bilatérales de coopération policière
transfrontières conclues sur la base de l'article 39 de la convention
Schengen
, dès lors que la nouvelle base juridique serait l'article
30 du traité sur l'Union européenne (ancien article K 2) qui
ne mentionne pas la possibilité, pour les Etats membres, de conclure des
accords bilatéraux ?
3.
Pourra-t-on avoir toujours recours à la clause de sauvegarde de
l'article 2 paragraphe 2 permettant le maintien de contrôles temporaires
de personnes sur les frontières terrestres dès lors que la base
juridique serait le nouvel article 62 du traité instituant la
Communauté européenne, dont la philosophie repose sur l'absence
de tout contrôle lors du franchissement des frontières
intérieures ?
Cette clause de sauvegarde, à supposer qu'elle
soit maintenue, ne sera-t-elle pas limitée dans le temps ou soumise
à l'appréciation d'une majorité qualifiée ?
*
* *
L'intégration de l'acquis de Schengen dans le traité devait consolider l'expérience menée dans le cadre de la coopération policière européenne avec une période transitoire suffisamment longue pour intégrer les nouveaux adhérents, consolider les pratiques de contrôles aux frontières extérieures, ajuster le système informatique et renforcer les accords bilatéraux. Il semble qu'une accélération brusquée vise à bousculer l'ordre des choses : elle risque de rompre l'équilibre entre le premier et le troisième pilier qui avait prévalu lors de la négociation . La notion de base juridique introduite dans des conditions ignorées du Parlement français peut transformer radicalement l'esprit du texte pour peu que le Gouvernement français n'exerce pas toute sa responsabilité sur la suite de la procédure.