N° 436
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 septembre 1997
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information (1) sur l' entrée dans la société de l'information ,
Par MM. Alain JOYANDET, Pierre HÉRISSON et Alex
TÜRK,
Sénateurs.
(1) Cette mission est composée de
: MM. Pierre
Laffitte,
président
; M. Lucien Neuwirth, Mme Danièle
Pourtaud, MM. Philippe Richert, Charles Jolibois, Jack Ralite,
vice-présidents
; MM. Jean-Paul Hugot, Franck Sérusclat,
secrétaires
; MM. Alain Joyandet, Pierre Hérisson, Alex
Türk,
rapporteurs
; MM. François Autain, Claude Belot,
Jean-Claude Carle, François Gerbaud, Francis Grignon, Jean-Jacques
Hyest, Gérard Larcher, Jacques Mahéas, Paul Raoult, Jean-Marie
Rausch, Henri Revol, Jean-Pierre Schosteck, René Trégouët.
Communication . - Informatique - Télécommunications - Rapports d'information . |
La mission sénatoriale sur l'entrée dans la
société de l'information a été créée
en juin 1996. A cette date, malgré les rapports publiés sur le
sujet, seuls les milieux professionnels concernés et certains politiques
se rendaient compte de l'importance du sujet.
Les membres du gouvernement et du parlement et l'ensemble de l'opinion
publique, y compris nombre d'industriels et d'organes de presse croyaient
encore à un phénomène de mode. Au mieux, les
progrès de l'informatique, de la télématique et d'Internet
ne semblaient pas différents de ceux de l'industrie ferroviaire,
automobile ou aéronautique.
Désormais, il est acquis pour la majorité de nos concitoyens et
de nos décideurs que l'entrée dans la société de
l'information est inéluctable. Et surtout que celle-ci implique une
transformation profonde de toutes les économies, de toutes les
sociétés sur notre planète, avec des dangers et des
opportunités.
On peut s'en inquiéter ou s'en réjouir. Mais il serait
déraisonnable de l'ignorer. Des centaines de millions d'emplois de par
le monde sont concernés dans tous les secteurs. Emplois
supprimés, emplois modifiés, emplois créés. Les
villes, les régions, les Etats profiteront ou pâtiront de ces
bouleversements selon leur capacité d'adaptation à la
mondialisation qui résulte des nouvelles technologies de l'information.
Sur le plan des techniques et des conséquences en matière de
politique industrielle, la commission n'a pas estimé nécessaire
de reprendre de longues auditions, considérant que le rapport de
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
techniques (rapport Laffitte) était assez complet. On peut noter
toutefois l'émergence croissante des systèmes de diffusion
satellitaire. La France est en bonne position. Encore faut-il que sa politique
spatiale maintienne le cap.
Notre mission sénatoriale s'est tout particulièrement
penchée sur les conséquences pratiques de cette nouvelle donne
pour les collectivités locales, privilégiant, chaque fois que
cela était possible, un point de vue descriptif et pratique propre
à susciter l'intérêt des responsables locaux pour les
solutions que les nouvelles technologies leur offrent en matière
d'aménagement et d'animation de la vie locale.
Ainsi, en matière d'aménagement du territoire, l'entrée
dans la société de l'information modifie profondément les
possibilités offertes aux communes, aux départements, aux
régions. Pour toute une série de services éducatifs,
administratifs ou culturels le handicap de l'éloignement
disparaît. Ou du moins disparaîtra si les mesures de modernisation
des équipements télématiques sont prises, si des
vidéoconférences sont accessibles partout. La mission a
constaté que les collectivités locales sont souvent plus
avancées que l'Etat, et qu'elles s'aperçoivent avant d'autres
qu'il faut désormais toujours se poser la question des investissements
prioritaires -parmi lesquels les systèmes de
télécommunications large bande et les investissements
immatériels liés aux téléservices.
La mission a aussi constaté que l'évolution des mentalités
était en retard sur les conséquences prévisibles des
changements, y compris ceux qu'analysent le rapport de l'Office parlementaire
déjà cité et le rapport Sérusclat sur
l'évolution des modes d'enseignement et d'apprentissage. Toutes les
anciennes règles du jeu changent.
La fonction hiérarchique est spécialement concernée par ce
changement. Les facilités des échanges à travers les
frontières sont impressionnantes et, bien sûr, inquiétantes
pour les législateurs habitués au cadre étatique. De
quelle loi dépend un travail coopératif entre une équipe
de dix personnes réparties au Bengale, à Taiwan, en France, en
Californie, à Milan ? Quel système de
propriété industrielle de droits d'auteurs s'applique ? Qui
est responsable d'un forum libre auquel s'adjoignent pour quelques minutes ou
quelques heures des internautes du monde entier ? Une bouteille à
la mer que des milliers de personnes peuvent lire est-elle encore une
correspondance privée ?
La relation du citoyen avec les administrations est en train d'évoluer.
La transparence des décisions va s'imposer. Les multiples
expériences réalisées en France par les villes, les
départements, les régions, prouvent que pour peu que les
initiatives adéquates soient prises, une rénovation
démocratique et une évolution des fonctions hiérarchiques,
analogues à celle constatée dans les sociétés
industrielles ou commerciales les plus innovantes, sont prêtes à
s'imposer.
Ces évolutions trouvent des réponses diverses selon les
législations nationales. Dans le pays dominant, les Etats-Unis, pour
l'essentiel on laisse faire : les lois générales
s'appliquent. Si litige il y a, c'est à la justice de trancher, ce qui
fait le bonheur des " lawyers ".
Dans d'autres pays, on censure ou on interdit car on craint le
côté " subversif " voire anarchique du
phénomène Internet. Ces pays ne sont pas ceux qui ont la plus
forte tradition démocratique, ni une grande pratique du commerce et de
l'industrie au niveau international. Mais les barrières se
lèvent. Ainsi, en Chine on vend désormais des ordinateurs avec
des modems permettant de se connecter à Internet, alors que la
réglementation l'interdisait il y a seulement quelques mois.
La mission, fidèle à la tradition française, a
essayé de trouver le bon compromis entre le " laissez
faire "
et l'interventionnisme excessif. Son objectif principal est d'indiquer les
voies d'une action dynamique pour que les effets positifs de l'entrée
dans la société de l'information puissent éclore tout en
veillant à la maîtrise de certaines dérives.
Pierre Laffitte
Président de la mission
Alain
Joyandet
Pierre Hérisson
Alex Türk
Rapporteurs
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Etre au coeur d'une mutation profonde n'en facilite pas la compréhension
ni l'analyse. L'entrée dans la société de l'information,
qui vient à la suite de la société industrielle et en
bouleverse les données, constitue une révolution culturelle,
économique et sociale sans précédent car elle touche
simultanément toutes les parties du monde et toutes les activités.
Certes, l'information occupe depuis longtemps une place centrale dans les
sociétés contemporaines marquées par une recherche de
productivité et de rationalisation qui suppose la détention et la
bonne utilisation de l'information économique, scientifique, sociale et
politique. Mais l'accélération récente de l'innovation
technologique et sa mondialisation apportent une nouvelle dimension.
La mission d'information du Sénat s'est fixée pour premier
objectif d'éclairer cette dimension nouvelle
. Progrès de la
numérisation, de la transmission et du stockage des textes,
données, images animées ; généralisation
d'équipements de plus en plus performants (téléphone
mobile, autoradios numériques) ; diversification des réseaux
et de la commutation par voie terrestre, hertzienne, satellitaire ;
développement fulgurant des usages variés ; Internet et
Internet grand débit, tout cela doit être mieux connu et
démystifié.
Dans quelle optique cette tâche a-t-elle été
entreprise ? La responsabilité du Sénat vis-à-vis des
communes de France et des 500.000 élus locaux a conduit la mission
à privilégier ce public à la fois responsable et dont le
civisme est avéré pour qu'il comprenne la portée, la
valeur et l'utilité des nouveaux outils à sa disposition.
Le président de la mission et les rapporteurs ont recherché par
ailleurs la simplicité dans l'expression et la concision dans la
rédaction. En effet, l'emploi généralisé et parfois
inutile de néologismes souvent imprécis sans mise en perspective
ni explication, brouille trop souvent l'entendement. On ne parle pas de
cybermonde lorsque l'on téléphone à un ami, fût-il
sur un autre continent. Il n'est pas plus nécessaire d'utiliser cette
expression à propos d'Internet.
La mission du Sénat s'est fixée pour second objectif de tirer
la leçon du panorama ainsi dressé en dessinant quelques axes
stratégiques
à partir desquels on peut envisager de mettre
véritablement la France sur le chemin de la société de
l'information.
De nombreuses études ont d'ores et déjà formulé des
propositions d'action, dont il appartient aux autorités responsables
d'étudier la mise en oeuvre. Le président de la mission et les
rapporteurs, compte tenu de cet acquis et tout en rappelant et en
approfondissant certains points cruciaux, ont choisi de mettre l'accent, dans
la seconde partie de ce rapport, sur les conditions essentielles de la
dynamique à lancer. On constatera qu'il est fait autant appel à
l'évolution des mentalités qu'à l'adoption de mesures
financières ou juridiques : l'entrée de la France dans la
société de l'information dépend beaucoup et surtout de
l'adhésion des Français à ce grand mouvement. A nous de
répandre la démocratie dans ce qui peut paraître technique
et difficile. A nous d'éviter que l'accès au savoir et aux
sources d'information ne cause une nouvelle ligne de fracture dans notre
société. A nous de faire en sorte que les nouveaux modes de
communication soient des éléments de cohésion sociale et
d'égalisation des chances.