N° 348
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22
avril 1997.
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 mai 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1)
sur
la réforme des institutions européennes : champ des décisions à la majorité qualifiée et pondération des votes ,
Par M. James BORDAS,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de
: MM. Jacques Genton,
président
; James Bordas, Michel
Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon,
vice-présidents
; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant,
secrétaires
; Robert Badinter, Denis Badré,
Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme
Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine,
Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre
Lagourgue, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson,
Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM.
Alain Richard, Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra,
André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal,
Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
INTRODUCTION
Ni l'extension du champ des décisions à la
majorité qualifiée, ni la pondération éventuelle
des votes ne figuraient parmi les thèmes que le traité de
Maastricht avait retenus pour l'actuelle Conférence intergouvernementale.
Cependant, à la suite de la controverse institutionnelle qui a
entouré l'élargissement de l'Union à l'Autriche, à
la Finlande et à la Suède, le Conseil européen de Corfou a
décidé que la CIG serait également chargée de
revoir le fonctionnement de l'Union dans la perspective des
élargissements futurs, et qu'elle devrait donc à ce titre se
pencher notamment sur ces questions.
Il est clair, en effet, que plus l'Union compte d'Etats membres, et plus
l'unanimité est difficile à obtenir : pour préserver
l'efficacité du processus de décision malgré
l'élargissement, il parait donc souhaitable et même
nécessaire d'agrandir autant que possible le champ des décisions
prises à la majorité qualifiée.
A cet argument pragmatique s'ajoute pour certains un argument tenant à
leur conception de la construction européenne : le recours accru au vote
à la majorité qualifiée rapproche l'Union du modèle
fédéral qu'ils appellent de leurs voeux.
Il convient toutefois de souligner que le champ du vote à la
majorité qualifiée a déjà été
étendu par l'Acte unique européen, puis par le traité de
Maastricht. Les domaines qui restent aujourd'hui régis par
l'unanimité le sont, dans la plupart des cas, parce qu'un ou plusieurs
Etats ont jugé qu'ils avaient un intérêt très
important à protéger. Dans ces conditions, bien que la plupart
des Etats membres se déclarent officiellement partisans d'une large
extension du vote à la majorité qualifiée, il reste
néanmoins fort difficile d'obtenir un accord dès lors que l'on
envisage les domaines précis où cette orientation devrait
s'appliquer. De ce fait, la CIG n'a pu jusqu'à présent
enregistrer des avancées très significatives dans ce domaine.
Le Gouvernement français, quant à lui, a constamment
établi un lien entre un recours accru à la majorité
qualifiée et une nouvelle pondération des votes. Faisant valoir
que les règles actuelles de pondération introduisent des
distorsions excessives dans la représentation des Etats membres, ce qui
tend à compromettre la légitimité du processus de
décision, et que l'élargissement devrait accroître encore
ce problème, la France a souligné qu'on ne pouvait demander aux
" grands " Etats d'élargir le champ d'application d'un
processus de décision qui, sous la forme actuelle, les pénalise,
et qu'il fallait donc en même temps introduire une pondération
plus juste. Les autres " grands " Etats, tout en approuvant
la
volonté française d'atténuer les distorsions de
représentation, ont cependant eu assez longtemps tendance à
laisser à la France le soin de mettre en avant ce thème
naturellement mal accueilli par les " petits " Etats.
Certains de ces
derniers ont finalement accepté d'envisager une correction, à
condition qu'elle reste limitée ; en revanche, certains autres y restent
opposés, faisant valoir qu'ils pourraient avoir des difficultés
à obtenir la ratification d'un traité qui paraîtrait
réduire leur place au sein des institutions.
Les propositions présentées au début du mois de mai par la
présidence néerlandaise, tant sur l'extension du vote à la
majorité qualifiée que sur la repondération des votes,
traduisent les progrès réalisés dans les
négociations et préfigurent sans doute en grande partie le
contenu du futur traité ; il est clair, néanmoins, que les
réserves de certains Etats, sur des sujets aussi
" sensibles "
ne pourront être levées que dans la phase ultime des
négociations.
I. LA QUESTION DE LA PONDERATION DES VOTES
A. LES RÈGLES EN VIGUEUR
La pondération actuelle est la suivante :
- l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni ont chacun
10 voix ;
- l'Espagne a 8 voix ;
- la Belgique, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal ont chacun
5 voix ;
- l'Autriche et la Suède ont chacune 4 voix ;
- le Danemark, l'Irlande et la Finlande ont chacune 3 voix ;
- le Luxembourg a 2 voix.
Le total des voix est de 87. Le seuil de la majorité qualifiée
est fixé à 62 voix (soit environ 71 % des voix) ;
la minorité de blocage est donc de 26 voix.
Lors de l'élargissement de l'Union à l'Autriche, à la
Finlande et à la Suède, une controverse s'est
développée sur le nombre de voix nécessaire pour
constituer la minorité de blocage. Certains Etats, principalement la
Grande-Bretagne et l'Espagne, souhaitaient que ce nombre de voix restât,
comme auparavant, fixé à 23 voix malgré
l'élargissement. La majorité qualifiée aurait alors
été plus difficile à obtenir : il aurait fallu
65 voix (soit environ 75 % des voix). Cette controverse s'est
terminée en mars 1994 par un compromis politique, dit " compromis
de Ioannina ", dont le texte est le suivant :
" Si des membres du Conseil représentant un total de
23 à 25 voix indiquent leur intention de s'opposer à la
prise d'une décision par le Conseil à la majorité
qualifiée, le Conseil fera tout ce qui est en son pouvoir pour aboutir,
dans un délai raisonnable et sans porter préjudice aux limites
obligatoires de temps fixées par les traités et le droit
dérivé (...) à une solution satisfaisante qui puisse
être adoptée par 65 voix au moins. Pendant cette
période, et toujours dans le respect du règlement
intérieur du Conseil, le Président déploie, avec
l'assistance de la Commission, toute initiative nécessaire pour
faciliter la réalisation d'une plus large base d'accord au sein du
Conseil. Les membres du Conseil lui apportent leur concours ".
Donc, le seuil de la majorité qualifiée est normalement de
62 voix, mais si la minorité le demande, le Conseil et la
Commission doivent s'efforcer, autant que possible, de parvenir à une
majorité plus large de 65 voix.