Rapport d'information n° 264: Système commun de TVA en Europe
M. Denis BADRÉ, Sénateur
Délégation du Sénat pour l'Union européenne - Rapport 264 - 1996/1997
Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. LE NOUVEAU SYSTEME COMMUN DE TVA PROPOSE PAR LA COMMISSION EUROPEENNE EST TRES DIFFERENT DE CELUI DE 1987
- II. LE NOUVEAU SYSTEME COMPORTE DES INCONVENIENTS SERIEUX
- III. L'ANALYSE ECONOMIQUE NE CONDAMNE PAS LE SYSTEME TRANSITOIRE DE TVA
-
IV. LE SYSTEME ACTUEL DE TVA EST PERFECTIBLE
- A. LE SYSTEME TRANSITOIRE N'EST PAS TOTALEMENT SATISFAISANT
-
B. DES EFFORTS DOIVENT ÊTRE MENES POUR AMELIORER LE SYSTEME ACTUEL
- 1. La définition de l'établissement stable
- 2. Les transports de personnes
- 3. Les opérations commerciales en chaîne
- 4. L'harmonisation de la représentation fiscale
- 5. L'harmonisation des cas d'exclusion du droit à déduction
- 6. La TVA afférente aux achats d'automobiles
- 7. Les régime particuliers
- 8. La prise en compte des rabais et frais annexes dans la base d'imposition
- 9. Le régime des petites entreprises
- 10. La réduction du nombre des cas d'exonération
- 11. Les conséquences des jurisprudences de la CJCE
- EXAMEN EN DELEGATION
N° 264
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 mars 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1),
sur le
système commun de
TVA en Europe
,
Par M. Denis BADRÉ,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de
: MM. Jacques Genton,
président
; James Bordas, Michel
Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon,
vice-présidents
; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant,
secrétaires
; Robert Badinter, Denis Badré,
Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme
Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine,
Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre
Lagourgue, Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson,
Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM.
Alain Richard, Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra,
André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal,
Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le Parlement français a été saisi, le
28 février 1996, dans le cadre de l'article 88-4 de la
Constitution, sous le numéro E 595, d'une proposition de directive
modifiant la directive 77/388/CEE relative au système commun de taxe sur
la valeur ajoutée (niveau normal du taux normal).
Cette proposition de directive vise à fixer le niveau minimal et le
niveau maximal du taux normal de la TVA à respectivement 15 et 25 %
(un " tunnel "), pendant une période allant du
1
er
janvier 1997 au 31 décembre 1998. La Commission
européenne a estimé que cette décision est
nécessaire pour consolider le fonctionnement du marché
intérieur d'un point de vue fiscal, "
en particulier en vue de
la préparation du régime définitif pour le système
commun de TVA
".
L'Assemblée nationale a adopté, le 2 juin 1996, une
résolution dans laquelle elle considérait que l'adoption du
régime définitif passait, non seulement par une harmonisation de
l'ensemble de la législation communautaire en matière de TVA
(niveau, structure des taux, droits à déduction, champ
d'application...), mais aussi par un examen des conséquences
institutionnelles de ce régime et la mise en place préalable de
la monnaie unique.
Considérant qu'il n'apparaît, "
ni urgent, ni
opportun
", de fixer un taux plafond de la TVA, elle a en outre
demandé au gouvernement de limiter l'objet de cette directive au
maintien d'un taux minimal qui ne pourrait être inférieur à
15 % pendant une période allant du 1
er
janvier 1997
au 31 décembre 1998, et de s'opposer en l'état au principe
d'un plafonnement communautaire du taux normal de TVA.
La délégation du Sénat pour l'Union européenne a
examiné cette proposition de directive au cours de sa réunion du
16 avril 1996.
Considérant que le problème posé par cette proposition de
directive est en réalité celui du passage au
"
régime définitif
" qui est souhaité par
la Commission européenne et qui se traduirait par le paiement de la TVA
dans le pays où le bien est produit, et non plus dans celui où le
bien est acheté, la délégation avait alors estimé
nécessaire de disposer de tous les éléments d'information
pour porter un jugement sur la proposition E 595 et sur le régime
définitif.
Pour l'éclairer sur ce dossier très difficile, la
délégation a en conséquence demandé une expertise
technique et économique au Centre d'Etudes Prospectives et
d'Informations Internationales (CEPII) ; cette expertise a
été réalisée par des spécialistes en
fiscalité de France et du Royaume-Uni. Elle est intégralement
reproduite en annexe au présent rapport.
Avant de prendre définitivement position, la délégation a
également cru nécessaire de connaître la position du
gouvernement. Elle a procédé à l'audition de M. Alain
Lamassoure, ministre délégué au budget, le
18 février 1997. Le compte rendu de cette audition est
également joint en annexe.
Il ressort quatre éléments saillants de l'instruction approfondie
du dossier :
- Le nouveau système commun de TVA proposé par la Commission
européenne est très diffèrent de celui qu'elle avait
proposé en 1987 ;
- Ce nouveau système comporte des inconvénients
sérieux ;
- L'analyse économique montre qu'un système commun de TVA peut
comporter certaines disparités entre Etats ;
- L'actuel système de TVA communautaire est perfectible.
I. LE NOUVEAU SYSTEME COMMUN DE TVA PROPOSE PAR LA COMMISSION EUROPEENNE EST TRES DIFFERENT DE CELUI DE 1987
La taxe à la valeur ajoutée (TVA) est un impôt important pour les ressources de l'Etat français : en 1996, elle a assuré la moitié des rentrées fiscales du budget. C'est dire si la modification du système de collecte de la TVA en Europe est un sujet sensible pour le fonctionnement de l'Etat et pour la recherche de l'équilibre budgétaire. Donc il convient d'être particulièrement attentif aux propositions actuelles de la Commission qui ont pour objet une transformation profonde du système actuel de perception de la TVA en Europe.
A. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DE 1987 N'AVAIENT PAS ETE ACCEPTEES PAR LE CONSEIL
La Commission est parfaitement dans son rôle quand elle
propose de modifier le régime de la TVA. En effet, dès 1957,
le traité de Rome
demandait à la Commission, dans son article
99, de soumettre, au Conseil, des propositions d'harmonisation
" dans
l'intérêt du marché commun
". De plus, l'article
99, modifié par l'Acte Unique et par le traité sur l'Union
européenne, stipule que "
le Conseil, statuant à
l'unanimité sur proposition de la Commission et après
consultation du Parlement européen et du Conseil économique et
social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des
législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits
d'accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette
harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le
fonctionnement du marché intérieur dans le délai
prévu à l'article 7 A (1(
*
))
".
C'est sur la base de cet article que, à la demande d'un Conseil ECOFIN
de juin 1986, la Commission avait proposé en août 1987 un
système de TVA communautaire contenu dans plusieurs documents.
Dans
une Communication au Conseil
COM(87) 320, la Commission
décrivait les grandes lignes de sa stratégie qui portait sur la
suppression des frontières fiscales, l'harmonisation minimale des
fiscalités indirectes, compte tenu des contraintes budgétaires
des Etats membres, en particulier pour éviter les distorsions de
concurrence et les détournements de trafic, et la modification des
mécanismes d'imposition des opérations import-export.
Cette communication était accompagnée de trois textes qui
précisaient le contenu du système.
Une première
proposition de directive
COM(87) 321 concernait
le rapprochement des taux de TVA
: un taux normal (entre 14 et
20 %) serait appliqué à la plupart des produits et des
services ; un taux réduit (entre 4 et 9 %) serait appliqué
aux produits de première nécessité (environ un tiers de
l'assiette TVA), aux denrées alimentaires (à l'exception des
boissons alcoolisées), aux produits énergétiques pour le
chauffage et l'éclairage domestique, à la livraison d'eau, aux
produits pharmaceutiques, aux livres, aux journaux et périodiques et au
transport de personnes.
Une seconde
proposition de directive
COM(87) 322 complétait et
modifiait la sixième directive de 1977 relative à
l'assiette
uniforme pour le système commun de TVA
et visait à unifier le
régime de TVA applicable au commerce intracommunautaire et au
régime applicable aux opérations de commerce international. Dans
cette proposition, la Commission suggérait que le produit exporté
ne soit plus détaxé à la frontière et ne soit plus
soumis à la TVA du pays d'importation, mais qu'il soit soumis à
la TVA du pays de livraison.
Un troisième
document de travail
COM(87) 323 prévoyait
la création d'un mécanisme destiné à affecter la
TVA perçue dans le pays exportateur au pays de consommation sous forme
de compensation entre Etats
. Sur la base des déclarations
périodiques de TVA remplies par les entreprises, chaque Etat aurait
fourni à la Commission un décompte mensuel récapitulant de
façon globale les recettes de TVA collectées et les TVA
déduites. Sur le solde de la position ainsi calculée, les pays
membres auraient versé les montants en cause à une caisse de
compensation.
A l'époque, ces propositions avaient été fortement
contestées, en particulier par " le père " de la TVA,
M. Maurice Lauré
(2(
*
))
, qui insistait alors
sur les risques de détournement d'achats des consommateurs finals, en
particulier pour les entreprises de ventes par correspondance et les achats
transfrontaliers. Ces réserves avaient été
confirmées par une commission d'experts français
présidée par M. Marcel Boiteux. Le Conseil ECOFIN de Crète
de septembre 1988 avait alors demandé à la Commission de revoir
ses propositions et ce n'est qu'à l'occasion du Conseil européen
de Rome de décembre 1990, qu'il fut décidé la mise en
place d'un régime transitoire de TVA, à compter du
1
er
janvier 1993, devant aboutir à un régime
définitif, au 1
er
janvier 1997.
B. LE SYSTEME ACTUEL FONCTIONNE SELON UN REGIME DIT TRANSITOIRE
Une nouvelle proposition de la Commission en date du
17 juillet 1990 a ainsi pris acte de l'impossibilité de passer
directement au stade du régime définitif de TVA. Cette
proposition a alors posé les principes d'un régime transitoire
qui a été adopté par le Conseil dans la directive
n° 91/680 du 16 décembre 1991. Conformément
à ses orientations, les contrôles douaniers aux frontières
intracommunautaires ont été démantelés au
1er janvier 1993 et les marchandises circulent librement depuis cette date
dans l'Union européenne.
Le système transitoire fonctionne sur la base de trois principes.
-
la fin des restrictions à l'achat pour les voyageurs, qui sont
imposés à la TVA dans le pays d'origine des biens qu'ils
achètent
- sauf pour l'achat de véhicules neufs et pour
les ventes à distance ;
-
l'abolition des contrôles aux frontières pour les
entreprises
, abolition qui a permis à celles-ci de
bénéficier de la suppression des frais liés à
l'accomplissement des formalités douanières, tels que la
rémunération des commissionnaires en douane, les cautionnements
douaniers et les charges administratives ;
-
le maintien de la taxation dans le pays de destination
pour
préserver les recettes de chaque Etat.
La contrepartie de la disparition des formalités aux frontières
dans le cadre du marché unique est
la déclaration
d'échange de biens
(DEB) : chaque trimestre, les entreprises
doivent communiquer un état récapitulatif de leurs livraisons
intracommunautaires par client et fournir une déclaration statistique
détaillée de leurs mouvements de marchandises avec les autres
pays européens. Cette déclaration unique, collectée par le
service des Douanes, sert ainsi à l'établissement des
statistiques du commerce extérieur intra-européen. Elle permet la
coopération entre les administrations fiscales nationales dans le cadre
du fonctionnement d'une base de données européenne de recoupement
des déclarations (Système VIES).
C. LE NOUVEAU SYSTEME PROPOSE PAR LA COMMISSION EST TRES AMBITIEUX
La Commission a rendu public, le 22 juillet 1996, un
document COM(96) 328 final intitulé
" Un système commun
de TVA, Un programme pour le Marché unique
".
La Commission part du principe que "
de par sa conception et sa
législation de base, la TVA est une taxe communautaire qui a notamment
pour objet d'instaurer un système commun de taxe sur la valeur
ajoutée
". L'objectif de la Commission, dans ce contexte, est
de donner au système commun de TVA
" les caractéristiques
d'un véritable espace fiscal communautaire, assurant le traitement
égal des transactions domestiques et intracommunautaires
".
Les principaux éléments du nouveau système sont les
suivants :
-
suppression de toute distinction entre opérations domestiques et
intracommunautaires
, et donc taxation des produits dans le pays
d'origine ;
- taxation de toutes les opérations effectuées dans la
Communauté par
suppression des mécanismes de
détaxation/taxation des échanges entre Etats membres
;
-
lieu unique de taxation
pour toutes les opérations
réalisées par un opérateur sans distinction selon l'Etat
membre où sont réalisées ces opérations ;
-
renonciation à l'attribution directe des recettes TVA aux Etats
et mise en place d'un mécanisme de réattribution des recettes
entre Etats membres sur base statistique de la consommation.
La Commission estime que, dès l'instant où l'ensemble de
l'activité économique réalisée par un
opérateur dans la Communauté est soumise à la taxe dans un
seul Etat membre,
un très large degré d'harmonisation des
mécanismes d'imposition est désormais indispensable
pour
assurer l'uniformité d'application du système. De ce fait, il
convient de procéder à une harmonisation des taux de TVA,
"
le niveau du taux normal à retenir devant faire l'objet
d'une décision politique
tenant compte du besoin
général des Etats membres de disposer de recettes suffisantes, de
la répartition des charges entre les grandes catégories de
prélèvements obligatoires (fiscalité directe, indirecte,
contributions sociales) et des orientations fiscales à moyen
terme)
".
Pour la mise en place du nouveau régime TVA,
la Commission envisage,
dès 1997, d'arrêter ses principes de fonctionnement
(champ de
la taxe, exemptions, définition des personnes assujetties, droits
à déduction...) ; puis,
en 1998
, de définir la
détermination du lieu de taxation et le mode du système de
fonctionnement de la compensation ; enfin,
en 1999,
de
déterminer les taux harmonisés. Chaque étape ne serait
mise en oeuvre que deux ans après avoir été
arrêtée par le Conseil, de telle sorte
que le régime
pourrait entrer en vigueur après 2001
.
C'est donc bien dans le cadre de ce programme d'ensemble que doit s'effectuer
l'analyse de la proposition E 595.
II. LE NOUVEAU SYSTEME COMPORTE DES INCONVENIENTS SERIEUX
L'étude réalisée par le CEPII, à
la demande de votre délégation, fournit des informations
précieuses sur les avantages et les inconvénients du nouveau
système proposé par la Commission. Comme le souligne cette
étude, "
au total, l'esprit du système commun est
véritablement européen ; il prolonge les actions entreprises pour
permettre l'émergence d'un véritable Marché unique
européen et une meilleure intégration commerciale des
différentes économies. Il ne s'agit plus en effet d'articuler
entre eux différents systèmes nationaux, mais de permettre
l'émergence d'entreprises européennes qui opèrent sur
l'ensemble du marché sans se préoccuper des
frontières
".
Mais cet avantage a un coût qui pèse principalement sur les
administrations nationales. Pour l'essentiel ce coût tient à trois
inconvénients majeurs :
- Il ne garantit pas le niveau des recettes des Etats ;
- Il affaiblit les possibilités de contrôle de chacune des
administrations fiscales ;
- Il incite les entreprises à se délocaliser.
A. IL NE GARANTIT PAS LE NIVEAU DES RECETTES DES ETATS
Selon la nouvelle proposition de la Commission, les
recettes nationales ne feraient plus l'objet d'une affection directe aux Etats,
mais seraient peréquées entre les Etats membres sur la base de
données statistiques
. En cela la Commission reste dans la ligne des
propositions qu'elle avait formulées il y a dix ans.
Pour éviter cependant les écueils de ses
précédentes propositions, la Commission propose un
mécanisme de répartition basé, non pas sur une observation
des flux, par définition impossible depuis la suppression des
contrôles des marchandises aux frontières, mais sur des
statistiques macro-économiques. La compensation restera donc assez
grossière et ne sera définitivement soldée qu'au bout de
deux ans. Dans l'intervalle, une compensation transitoire sera calculée
qui viendra en déduction des sommes dues au titre de la ressource propre
assise sur le PNB.
Le CEPII souligne que "
la disponibilité des statistiques
nécessaires à ce calcul n'est pas assurée
. Les
statistiques de consommation devraient être suffisamment précises
pour distinguer les biens et services taxés des autres, en distinguant
les différents taux. Sauf simplification majeure de la
réglementation, ceci n'est possible actuellement qu'en utilisant les
déclarations de TVA qui ne seront plus exploitables s'il y a un lieu
unique de taxation
". Ce point est essentiel, car c'était une
des conditions posées par le Conseil pour le passage au régime
définitif.
B. IL AFFAIBLIT LES POSSIBILITES DE CONTRÔLE DE CHACUNE DES ADMINISTRATIONS FISCALES
Dans la mesure où le nouveau système n'incite
pas les administrations fiscales à améliorer la collecte des
recettes, on peut craindre à l'inverse que celles-ci, surtout pour les
Etats faiblement collecteurs, ne soient incitées à jouer la
concurrence fiscale auprès des entreprises des autres Etats membres.
Le niveau général de fiabilité du nouveau
système sera donc celui du niveau de fiabilité le plus faible des
administrations nationales de contrôle.
C. IL INCITE LES ENTREPRISES A SE DELOCALISER
Dans le système proposé par la Commission,
chaque entreprise peut déterminer librement son lieu de taxation
.
Dans la logique du système, cette disposition est en effet
nécessaire pour permettre aux entreprises de ne faire aucune
différence entre leurs ventes sur le marché intérieur et
dans le reste du marché unique.
Les entreprises pourront dès lors se localiser dans le pays qui leur
offre les meilleurs conditions en matière de TVA, qu'il s'agisse de
taux, d'assiette, de réglementation, ou même d'efficacité
administrative. En outre les administrations nationales, qui seront
amenées à rembourser aux entreprises des taxes perçues par
d'autres Etats membres et à traiter des flux de TVA correspondant
à des échanges qui ne passent pas nécessairement par leur
territoire national, n'auront plus les capacités qui sont les leurs
aujourd'hui pour vérifier la réalité des
déclarations faites par les entreprises, sauf à recourir à
une coopération renforcée avec les administrations nationales des
autres Etats membres.
L'étude du CEPII conduit à constater que "
en l'absence
d'harmonisation des TVA nationales, elle introduit cependant un risque
supplémentaire pour les pays à TVA élevée. Si la
concurrence est grande,
les entreprises qui vendent directement au
consommateur auront évidemment intérêt à se
localiser dans les pays à bas taux de TVA. Ce risque concerne au premier
chef les entreprises de la grande distribution
, qui sont très
concurrentielles, de grande taille, et souvent déjà
internationalisées.
La France, notamment, est l'un des pays où
la grande distribution est la mieux implantée et les taux de la TVA y
sont élevés ; le risque existe de voir certaines de ces
entreprises choisir de s'assujettir dans un pays voisin, pour offrir aux
consommateurs des prix plus bas
. Les petites entreprises de commerce auront
évidemment plus de difficultés à profiter de cette
opportunité de se localiser à l'étranger. Elles devront
donc supporter une fiscalité plus lourde, qu'elle ne pourront
répercuter dans leurs prix puisqu'elles supporteront la concurrence des
plus grandes. Elles se trouveront donc vraisemblablement en difficulté,
sauf à trouver elles aussi une possibilité de se
délocaliser ".
Le CEPII ajoute que : "
En l'absence de définition
précise de la localisation, il est difficile de mesurer l'ampleur
d'éventuelles migrations et leurs conséquences. Les
bouleversements qui peuvent en résulter, et qui ne seront pas
immédiats, ne doivent cependant pas être
négligés :
un déplacement du siège social
des entreprises concernées et de certains emplois administratifs
pourrait en résulter, ce qui pénaliserait l'emploi dans les pays
à TVA élevée et éloignerait les centres de
décision
. On peut même imaginer que certains pays jouent sur
les taux de TVA pour attirer certaines industries
particulières
".
III. L'ANALYSE ECONOMIQUE NE CONDAMNE PAS LE SYSTEME TRANSITOIRE DE TVA
A. LE REGIME TRANSITOIRE DE TVA N'A PAS AFFECTE LE FONCTIONNEMENT DU MARCHE COMMUN
Dans un rapport rendu public en juin 1996
(3(
*
))
, le Gouvernement a indiqué que "
le
nouveau système a fait l'objet d'un jugement positif de la part des
entreprises. Plusieurs enquêtes ont été effectuées
dans les pays à partir d'initiatives privées ou de services
administratifs. Elles relèvent que les entreprises ont
bénéficié d'une diminution de leurs coûts
(réduction de la durée de transport avec la suppression des
formalités, suppression du préfinancement de la TVA due à
l'importation, disparition des frais des transitaires) et de leurs charges
administratives. La manière dont la transition a été
effectuée a également fait l'objet d'une appréciation
favorable par les organismes indépendants qui ont étudié
le fonctionnement du nouveau régime
".
L'étude du CEPII confirme cette analyse de l'administration fiscale.
D'une part
les achats transfrontaliers ne témoignent pas d'une
concurrence fiscale très intense
. En effet les coûts de
transports compensent en général largement l'avantage fiscal de
telle sorte que l'écart de prix n'apparaît plus comme la
motivation principale des achats à l'étranger. Il apparaît
que : "
même si les différentiels de taxation
indirecte (accises et TVA) semblent jouer un rôle significatif dans les
achats transfrontaliers, ces derniers restent donc pour l'heure limités,
malgré la mise en oeuvre du Marché unique, et leur impact
macro-économique est négligeable
".
D'autre part
la dispersion des prix reste très proche, qu'on inclue
ou non la TVA
. On constate certes une accélération de la
convergence des prix depuis la mise en place du Marché unique, mais on
constate aussi que les taxes indirectes n'ont pas eu d'influence sur les
rythmes de convergence des prix, qui sont comparables que l'on raisonne TTC ou
hors taxes. Il semble donc se confirmer que les taxes indirectes n'ont eu que
peu d'influence sur les prix hors taxes : "
L'ancien
système de TVA selon la destination déconnectait sans doute de
manière relativement efficace les systèmes fiscaux nationaux et
la concurrence portait bien sur les prix hors taxes
".
B. L'HARMONISATION DES TAUX ENVISAGEE AURAIT EN REVANCHE DES EFFETS ECONOMIQUES PERTURBATEURS
La Commission estime que le passage au régime
définitif de TVA, qui impliquerait une harmonisation des niveaux de TVA,
est justifié par le bon fonctionnement du marché intérieur.
Dans une communication présentée par sa commission fiscale, la
Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris
(4(
*
))
avait estimé de son côté : "
Pour justifier le
passage à un régime définitif bouleversant une fois de
plus le fonctionnement des entreprises, la Commission soutient que le
système actuel de TVA intracommunautaire freine le développement
des échanges. Or à ce jour, aucune étude quantitative
n'est venue confirmer cette appréciation. Les professionnels ne
considèrent pas que les formalités du régime de TVA sont
un obstacle au commerce international, à l'exception des
difficultés qui persistent mais qui peuvent être résolues
ponctuellement
".
La CCI de Paris ajoutait que "
le régime définitif
prévoyant une taxation à la TVA dans le pays d'origine
présente trop d'écueils et de risques pour recevoir l'appui des
entreprises et plus particulièrement de la CCI de Paris. Nombreux sont
d'ailleurs ceux qui se sont prononcés dans ce sens comme
récemment la fédération européenne des experts
comptables, ou plus discrètement, mais non moins fermement,
l'administration française ".
L'étude du CEPII confirme le caractère fortement perturbateur
qu'aurait une harmonisation généralisée des taux en
Europe
: "
Si l'harmonisation de la TVA semble être un
préalable à la réforme proposée par la Commission,
elle n'est en elle-même pas neutre. Une harmonisation complète de
l'assiette et des taux dans tous les pays de l'Union européenne
représente un choc important, par nature asymétrique...
Harmoniser les taux de TVA est une entreprise lourde qui demandera sans doute
une longue négociation... Globalement, pour l'ensemble de la
Communauté, la production est modifiée : l'alignement vers
le haut a un effet récessif, l'alignement vers le bas un effet
expansionniste... Dans la plupart des pays de l'Union, une harmonisation de la
TVA, quel que soit le niveau adopté, aurait des conséquences
suffisamment importantes pour imposer des modifications non négligeables
du reste de la fiscalité
".
L'étude conclut : "
Le gain en neutralité de
l'impôt qu'apporte le système commun, et qui devrait
s'avérer favorable à l'allocation des ressources au sein de
l'Union, est payé d'une perte d'autonomie nationale, puisque la
possibilité de modifier les taux de TVA disparaît.
Cette perte
d'autonomie pose des problèmes macro-économiques d'autant plus
importants qu'elle intervient en UEM
... Face à un choc purement
national, auquel la Banque centrale européenne ne peut répondre
de manière adéquate, les instruments fiscaux de gestion
conjoncturelle qui subsistent sont essentiellement l'impôt sur le revenu
et les prestations sociales. En France notamment, où l'impôt sur
le revenu ne représente qu'une part très faible des recettes
fiscales, et où les régimes sociaux sont en situation difficile,
le champ des actions possibles serait restreint
".
IV. LE SYSTEME ACTUEL DE TVA EST PERFECTIBLE
Devant votre délégation, le ministre
délégué au budget a constaté que le système
dit transitoire n'est certainement pas totalement satisfaisant car on constate
des phénomènes inquiétants de pertes de rentrées
fiscales sur la TVA. Mais d'un autre côté le système
fonctionne également de manière globalement satisfaisante, aussi
bien pour les entreprises que pour les administrations.
C'est pourquoi la Commission et le Conseil devraient être incités
à s'engager dans la voie d'une amélioration sérieuse du
régime " dit transitoire ", lequel pourrait, moyennant de
réels efforts d'harmonisation dans les définitions et de
renforcement des coopérations entre administrations nationales, se
révéler en définitive moins risqué qu'un
système commun rebâti de toutes pièces.
A. LE SYSTEME TRANSITOIRE N'EST PAS TOTALEMENT SATISFAISANT
Le système transitoire n'est pas totalement
satisfaisant, car on a constaté des anomalies dans les rentrées
de TVA, notamment en 1996 ; c'est la raison pour laquelle le Gouvernement
est décidé à faire porter le contrôle fiscal en
priorité sur la TVA intracommunautaire.
De fait
le régime transitoire a modifié sensiblement la
manière d'exercer les contrôles
. Avant le
1
er
janvier 1993, les entreprises devaient fournir des preuves
simples et directes pour justifier leurs déclarations fiscales en
matière d'importation ou d'exportation. A l'occasion du contrôle
des déductions de TVA, le reçu de la recette des Douanes devait
être présenté au vérificateur pour établir
que l'entreprise avait correctement acquitté le montant de la TVA due
sur les importations ; inversement, l'entreprise devait produire le document
administratif unique (DAU) visé par le bureau de douane pour prouver la
réalité de la sortie d'une marchandise du territoire national et
justifier l'exonération de TVA liée à cette transaction.
Le DAU n'existant plus,
les contrôles sont devenus plus
difficiles
, puisque, lorsque les vérificateurs veulent
démontrer l'existence d'acquisitions intracommunautaires non
déclarées (par exemple contester la réalité d'une
prétendue livraison), ils doivent en faire eux-mêmes la preuve. En
outre, comme les biens s'échangent hors taxes dans le régime
actuel, il n'y a donc plus d'incitation à déclarer les
acquisitions, puisqu'aucune taxe n'est versée au vendeur. Il n'y a pas
non plus d'intervention administrative à un quelconque moment de la
transaction, conformément au principe de libre circulation.
Trois grands mécanismes potentiels de fraudes ont ainsi
été répertoriés.
Dans un premier cas,
les entreprises peuvent effectuer des acquisitions
intracommunautaires sans les déclarer
, ce qui a des
conséquences financières pour le Trésor lorsque ces
entreprises ont mis en place un circuit de commercialisation occulte
alimenté par ces acquisitions non déclarées, ou si elles
font des déductions abusives de la TVA sur les marchandises acquises
hors taxes auprès d'un fournisseur communautaire.
Dans un second cas,
les entreprises peuvent déclarer des livraisons
intracommunautaires fictives
, ce qui induit un préjudice financier
réel en matière de TVA interne.
Enfin, dans un troisième cas
, les entreprises peuvent constituer des
circuits frauduleux
plus sophistiqués comme l'acquisition directe
à l'étranger et la réintroduction sur le territoire
national sans déclaration (par exemple, les automobiles), ou le
remboursement indu de TVA (par exemple, les " carrousels "
dont
l'originalité réside dans la possibilité de mise en place
d'un circuit d'échange de " papier " totalement
déconnecté d'un quelconque flux réel de marchandises).
La Cour des Comptes des Communautés européennes a noté
dans son dernier rapport du 12 novembre 1996 de très graves
dysfonctionnements dans le prélèvement de la TVA en Europe
.
Dans le cadre de
l'échange d'informations sur les numéros de
TVA et la valeur des échanges entre Etats membres
, les
vérifications de la Cour ont montré que, globalement, au moins
20 % des états récapitulatifs des entreprises sont fournis
avec un retard
ou ne sont pas du tout transmis
. En 1993, dans neuf
Etats, plus de 5 % du nombre total de données incorrectes
(c'est-à-dire pouvant faire l'objet d'irrégularités dans
les déclarations, soit 608.387) n'avaient toujours pas été
rectifiées en juin 1994. Ces dysfonctionnements étaient encore de
4,2 % en 1994 (532.708) et de 2,6 % en juin 1995 (327.123).
La Cour déclare : "
Les données déclarées
par les fournisseurs nationaux et communiquées par le système
à d'autres Etats membres ne correspondent pas toujours à celles
qui sont indiquées par l'Etat membre qui reçoit les marchandises.
De légères différences sont acceptables en raison de
variations des taux de change et de délais techniques. Mais, dans de
nombreux cas, des
différences de plus de 10 %, et même de
40 %,
ont été constatées sans que ce
phénomène ait pu être expliqué dans sa
totalité
".
Le système européen d'information statistique sur les
échanges de marchandises (Intrastat) connaît lui aussi de graves
déficiences
. La Cour constate que : "
les
données Instrastat connaissent des écarts considérables
qui restent à expliquer. Alors que, en principe, les livraisons et les
acquisitions intracommunautaires devraient être d'un montant égal,
on constate
une différence de 28 milliards d'Ecus pour 1993
(685 milliards d'Ecus déclarés au titre de livraisons et
657 milliards d'Ecus déclarés au titre d'acquisitions, la
différence étant de 4 %), et même de 34 milliards
d'Ecus(5(
*
)) pour 1994 (759 milliards d'Ecus
déclarés au titre de livraisons et 725 milliards d'Ecus
déclarés au titre d'acquisitions, la différence
étant de 5 %). La comparaison, à partir des données
Intrastat, entre les " introductions " (importations
intracommunautaires) d'un Etat membre donné et les
" expéditions " (exportations) faites par les autres Etats
de
l'Union vers cet Etat membre font apparaître
des différences
pouvant aller jusqu'à 50 % en 1994
".
Tant que le système statistique souffrira de telles lacunes, le
système de la compensation des recettes entre Etats sur la base
statistique ne pourra qu'être sujet à caution comme le constate la
Cour des Comptes elle-même : "
Les systèmes
actuels d'information sur les échanges intracommunautaires n'offrent pas
toutes les garanties nécessaires
pour servir de base à un tel
mécanisme
".
Des pertes de recettes fiscales semblent avérées
.
La Cour estime que "
l'instauration du régime transitoire de TVA
sur les échanges intra-communautaires en 1993 s'est accompagnée,
pour cette année, d'une stagnation des recettes nettes TVA qu'on ne peut
expliquer par des facteurs tels que la croissance économique,
l'inflation ou les changements de taux et d'assiette. La question est de savoir
si ce phénomène est dû uniquement à des
délais techniques liés à ce nouveau régime ou s'il
a d'autres causes... Les données disponibles pour la période
1989-1994 confirment que l'arrêt de la croissance des recettes en 1993 ne
peut être expliqué au niveau général par la
modification de trois principaux facteurs d'évolution des recettes de
TVA (changements de taux et de base de TVA, inflation, croissance du volume de
l'activité économique). Elles indiquent une perte de recettes TVA
potentielle, de l'ordre de 5 à 6 % pour 1993
. Ce manque à
gagner pour l'ensemble des Etats membres serait de l'ordre de 18 milliards
d'Ecus en 1993
, compte non tenu des fluctuations du taux de
l'écu
"
(6(
*
))
.
Le rapport de juin 1996 du Gouvernement français semble confirmer ces
pertes de TVA tout en restant dans un certain flou explicatif :
"
Les
recettes sont globalement corrélées avec l'évolution de
l'activité, même si l'évolution de la TVA est moins
dynamique... Les données soulignent que la TVA nette augmente à
un rythme voisin mais parfois légèrement inférieur
à celui des principaux indicateurs d'activité
économique... Des facteurs techniques limitent la pertinence de la
comparaison avec des indicateurs économiques.. D'autres facteurs
pourraient expliquer cet écart et parmi eux la fraude à la TVA...
La valeur de cet écart doit être relativisée : de
l'ordre de 0,9 % en moyenne sur la période étudiée.
Compte tenu du montant de la TVA nette collectée en 1995 (soit
563,6 milliards de Francs), ceci représente environ
5 milliards de francs
".
M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, a
été plus explicite au cours de son audition par la
délégation : "
On a ainsi constaté en France, en
1996 une assez forte disparité, à législation constante
entre l'évolution des " emplois taxables " et celle des
recettes nettes de TVA. Les explications conjoncturelles (notamment les effets
de la grève de décembre 1995 et le rattrapage sur janvier 1996,
les remboursements aux collectivités locales, la jurisprudence de la
Cour de justice, notamment sur les produits financiers en matière de
crédits interentreprises) ne permettent pas d'expliquer la
totalité des aberrations constatées dans les rentrées de
recettes. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de renforcer
les contrôles sur cette recette et c'est aussi la raison pour laquelle
il émet des réserves sur un système de compensation
fonctionnant avec des statistiques qui sont elles-mêmes sujettes à
caution
"
(7(
*
))
.
B. DES EFFORTS DOIVENT ÊTRE MENES POUR AMELIORER LE SYSTEME ACTUEL
Au cours d'une audition devant la commission économique
du Parlement européen le 28 janvier 1997, un fonctionnaire
français représentant le ministère des finances a
estimé que la solution la plus réaliste consisterait dans
l'amélioration du régime transitoire de TVA plutôt que dans
le passage au régime définitif. Selon lui, le régime
définitif pourrait comporter des risque de délocalisation de
l'activité économique et d'aggravation des finances publiques en
raison du mécanisme de compensation des recettes entre Etats
suggéré par la Commission. M. Alain Lamassoure, ministre
délégué au budget, interrogé par votre rapporteur
sur ce point, a confirmé la nécessité de procéder
à des améliorations dans le fonctionnement du système
actuel de TVA.
Ces améliorations pourraient porter, en priorité, sur les
questions suivantes :
1. La définition de l'établissement stable
A partir de quelles limites (nombre d'employés, qualité des installations) peut-on considérer qu'une entreprise, qui n'est pas établie dans un Etat membre, y dispose d'un établissement stable ? Certains Etats membres, comme la France, considèrent qu'il y a établissement stable seulement quand l'entreprise dispose de moyens permanents en personnel et en matériel (personnel stable, moyens de communication, matériel de bureau). D'autres estiment qu'il suffit à l'entreprise de disposer d'un représentant qui effectue en son nom des opérations, par exemple un représentant fiscal. L'incertitude des pratiques actuelles perturbe le fonctionnement du régime transitoire dans la mesure où les entreprises doivent connaître le détail des réglementations nationales parfois très divergentes.
2. Les transports de personnes
En cas de transport international intracommunautaire, comment
doit-on appliquer la TVA ?
- au lieu de l'achat du billet, qui peut-être situé dans un Etat
membre différent de celui de départ ou de l'arrivée ?
- faut-il appliquer le taux du pays de départ ou celui du pays
d'arrivée ? Comment traiter les ventes à bord (boisson,
nourriture) - TVA du pays d'embarquement ou du lieu de consommation ?
Aucun accord n'a été possible jusqu'à présent, et
les Etats membres vivent sur des solutions pragmatiques d'exonération
(exonération totale du transport aérien) ou de taxation (par
exemple, entre Paris et Bruxelles, les billets de train sont
exonérés, et la taxation de consommations est appliquée en
fonction des deux monnaies de paiement acceptées à bord :
franc belge et TVA belge à 21 %, franc français et TVA
française à 20,6 %).
3. Les opérations commerciales en chaîne
Il y a opération commerciale en chaîne quand une marchandise fait l'objet de transactions successives de la part d'entreprises qui ne sont établies ni dans l'Etat de départ de la marchandise, ni dans l'Etat d'arrivée. La seule solution pratique qui a pu être mise en oeuvre concerne les opérations dites triangulaires, c'est-à-dire limitées à trois opérateurs. Pour les chaînes plus longues, actuellement le seul moyen est l'identification, par le biais d'une représentation fiscale, de tous les participants dans un Etat membre.
4. L'harmonisation de la représentation fiscale
Les définitions et exigences juridiques sont variables entre les Etats membres. La France considère le représentant fiscal comme un assujetti de droit commun à la TVA, indéfiniment responsable de la personne qu'il représente, pour toutes les opérations que celle-ci réalise sur notre territoire. La Belgique a la même définition que la France et exige en outre un cautionnement. La RFA fait du représentant fiscal un simple mandataire, qui effectue des opérations déclaratives pour le compte de la personne représentée mais n'est pas responsable.
5. L'harmonisation des cas d'exclusion du droit à déduction
Conformément à une disposition de la sixième directive (article 17) la France interdit la déduction de la TVA afférente aux achats d'automobiles par les entreprises, ainsi qu'aux frais de restauration et d'hébergement. La RFA, en revanche, admet la déduction intégrale pour ces dépenses. La Belgique et le Royaume-Uni admettent la déduction de la moitié de la taxe
6. La TVA afférente aux achats d'automobiles
La Commission avait présenté sur cette question un projet de directive, mais l'a retiré, faute d'accord entre les Etats membres.
7. Les régime particuliers
-
la livraison après montage
: l'installation
d'un bien, une machine par exemple, est toujours taxable dans ce pays,
même si le fournisseur n'est pas établi dans ce pays de montage.
Le recours à une représentation fiscale est obligatoire.
-
les organismes publics
: des organismes, notamment les
collectivités locales, effectuent couramment des opérations
situées dans le champ d'application de la TVA. La législation
française prend en compte la situation de l'ensemble de ces organismes,
dans la mesure où, pour certaines activités, ils sont
susceptibles de se comporter comme des entreprises.
D'autres Etats membres,
la RFA notamment, exonèrent systématiquement leurs
collectivités locales et organismes publics
. Les différences
de traitement perturbent le fonctionnement du marché unique.
-
les ventes par correspondance
: au-delà d'un certain seuil
du chiffre d'affaires (700 000 F pour la France) un organisme de
vente par correspondance doit acquitter la TVA dans l'Etat membre de
destination des biens qu'il a vendus. Par exemple : le groupe allemand
Quelle, qui dépasse la limite, doit acquitter la TVA en France pour tous
les biens livrés en France. L'application de cette règle est
difficile, dans la mesure où les moyens de recoupement sont faibles pour
apprécier le franchissement de seuil, et cela d'autant plus que certains
pays (Irlande, Belgique) ont retenu une limite plus basse
(35 000 écus, soit environ 210 000 F),
-
le remboursement 8ème directive
: une entreprise
européenne qui a dû acquitter de la TVA au titre d'une
dépense quelconque dans un Etat sur le territoire duquel elle n'est pas
identifiée ou établie peut obtenir le remboursement de cette TVA.
Par exemple : une entreprise de transport routier établie au
Royaume-Uni fait réparer un camion en France. Les procédures pour
obtenir le remboursement divergent entre les Etats membres, et les
délais sont aléatoires (trois mois en France, six mois en
RFA, plus d'une année en Italie... ).
8. La prise en compte des rabais et frais annexes dans la base d'imposition
Les règles sont différentes selon les Etats membres. Une harmonisation serait nécessaire. Il en va de même pour le fait générateur (événement qui marque la naissance de la dette de TVA).
9. Le régime des petites entreprises
Les seuils d'exonération sont différents selon les pays - Royaume-Uni : environ 3,5 milliards de francs, France : 100 000 F. Les différences perturbent le fonctionnement du marché unique, puisqu'une entreprise exonérée n'est pas soumise, par définition, aux procédures TVA.
10. La réduction du nombre des cas d'exonération
Il s'agit pour l'essentiel d'organismes publics dont l'activité devrait être considérée comme comprise dans le champ d'application de la TVA. La France, qui a considérablement élargi le champ d'application de la TVA sur son territoire, est moins concernée que ses voisins. Le cas le plus intéressant au cours des années récentes est celui des télécommunications - taxées depuis 1987 en France, elles ont progressivement été introduites dans le champ d'application de la TVA par les autres Etats membres. Actuellement, la Commission semble s'intéresser à la situation des services postaux et des collectivités locales.
11. Les conséquences des jurisprudences de la CJCE
Certains grands arrêts récemment rendus par la CJCE (SATAM, MUYS, BLP) compliquent l'application de l'impôt, aussi bien pour les entreprises que pour les administrations, et réduisent son champ d'application, La seule solution serait la réécriture de la sixième directive, afin de donner un contenu juridique plus précis à la notion d'activités économiques. Jusqu'à présent, la Commission s'est refusée à entreprendre cette réécriture. Il semble toutefois que sa position ait évolué sur cette question au cours des derniers mois.
CONCLUSION
Le " système commun de TVA " proposé
par la Commission s'inscrit
parfaitement dans le cadre du traité de
Rome
qui lui a fait l'obligation de présenter au Conseil, dans
l'intérêt du marché commun, des mesures d'harmonisation des
législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires. Dans son
principe, il va clairement dans le sens de la construction européenne.
Par son ambition, ce système pose toutefois un problème d'une
toute autre ampleur que la simple harmonisation de la TVA en Europe : il pose
la question du fonctionnement des administrations fiscales dans la mesure
où la neutralité de l'impôt qui serait acquise par cette
réforme serait payée par une perte d'autonomie nationale.
Faut-il aller immédiatement dans le sens d'une perte
quasi-définitive d'une des dernières marges de manoeuvre des
Etats ? Ou bien faut-il doter le futur régime d'un système
d'amortissement complémentaire des chocs nationaux ? Ces questions
dépassent sans doute le cadre de l'analyse du système commun de
TVA en Europe qui est l'objet de ce rapport. Cette analyse permet cependant
d'aboutir à une conclusion certaine :
les conditions pour le
passage au régime commun ne sont pas encore réunies.
Le rapprochement substantiel des taux, première condition indispensable
pour éviter des détournements de trafic commercial et des
délocalisation de sièges d'entreprises, n'est pas assuré,
d'autant que l'évolution des dernières années montre que
ceux-ci ont plutôt tendance à diverger au sein des Etats membres.
En outre un rapprochement rapide aurait des effets économiques
perturbateurs importants, surtout en régime d'Union monétaire.
Le bon fonctionnement du système de compensation entre les Etats
membres, seconde condition indispensable, n'est pas davantage assuré. Il
conviendrait de recenser la totalité des transactions
intracommunautaires, ce qui obligerait les entreprises à de nombreuses
formalités administratives, sauf à s'en remettre à une
forfaitisation des recettes de TVA dans le cadre d'un système
statistique global dont la Cour des Comptes des Communautés
européennes a montré les faiblesses.
La seule voie de progrès est aujourd'hui dans l'amélioration
du régime dit transitoire
. Elle exige que la Commission
européenne s'attelle enfin à traiter de questions qui peuvent lui
paraître subalternes par rapport au grand dessein qu'elle caresse depuis
plus de dix ans. Mais la suppression des trop nombreuses lacunes et fraudes du
régime actuel de TVA en Europe pèse malgré tout au moins
18 milliards d'Ecus (120 milliards de francs) dans les budgets des Etats. A
l'heure des efforts budgétaires, la rigueur doit l'emporter sur toute
autre considération.
La mise en place de l'Union économique et monétaire doit
être le principal objectif des institutions communautaires et des
Etats.
Elle n'implique pas d'harmonisation obligatoire des taxes sur le
chiffre d'affaires. Dans ces conditions il parait souhaitable de reporter la
mise en place d'un régime définitif de TVA qui pourrait avoir de
graves conséquences pour les budgets et les économies des Etats.
EXAMEN EN DELEGATION
La délégation s'est réunie le
18 mars 1997 pour l'examen du présent rapport.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
Après s'être inquiété de l'absence de transmission
par le gouvernement du document de la Commission portant sur le système
commun de TVA dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution,
M. Michel
Caldaguès
a estimé que le système proposé par
la Commission aurait comme effet de créer " un désert
d'autonomie " pour les rentrées de TVA en France, mais que les
effets de ce système seraient cependant moins réducteurs que les
critères de convergence du traité de Maastricht, auxquels les
Etats devront se conformer en permanence, au-delà de l'entrée
dans la monnaie unique.
M. Denis Badré
, estimant que le nouveau système de TVA
aurait pour conséquence une limitation des marges de manoeuvre
budgétaire plutôt qu'un " désert d'autonomie "
pour la France, a précisé que les questions monétaires et
le système de TVA étaient totalement distincts, les
critères de convergence obligeant les Etats à des
résultats et non à des moyens pour atteindre l'objectif du
traité. Le nouveau système de TVA aurait pour effet d'ajouter une
obligation de moyens à cette obligation de résultats.
M. Alain Richard
a rappelé que, si les tentatives menées
depuis quarante ans en vue de construire un grand ensemble économique
butaient en permanence sur de nombreux détails pratiques qui
nourrissaient le débat politique dans chaque pays, il fallait toujours
garder à l'esprit l'objectif final. Et cela d'autant plus que d'autres
Etats en dehors de l'Europe se sont fixés le même but, comme les
Etats-Unis ou les pays d'Amérique latine ou d'Asie, qui semblent moins
précautionneux que les européens pour arriver à leurs
fins. L'argument selon lequel nous avons dix ans devant nous pour
résoudre ces problèmes pratiques est dès lors moins
valable aujourd'hui qu'il ne l'était il y a dix ou vingt ans. Le
Sénat, qui a vocation à réfléchir sur l'avenir,
doit s'interroger sur le rythme auquel nos Etats sont prêts à
réaliser ce grand ensemble économique face à nos
principaux compétiteurs mondiaux.
Reconnaissant que le régime définitif proposé par la
Commission est discutable, parce que " pas assez
définitif ",
M. Alain Richard
a estimé qu'un régime fiscal
unifié était une étape indispensable de la
réalisation de ce grand ensemble économique cohérent en
Europe. La critique doit donc moins porter sur le rythme que sur le contenu de
la proposition, car le régime définitif ne peut fonctionner sans
un très fort rapprochement des taux et des assiettes de la TVA. Il
serait par conséquent logique que l'impôt soit communautaire et
que son produit soit partagé entre le budget communautaire et les
budgets nationaux. Abordant la question du régime transitoire, il a
indiqué que, à son sens, ce régime était
très largement responsable des incertitudes des rentrées de TVA.
Rejoignant le rapporteur, il a ajouté que la mise en oeuvre du
régime définitif au moment même de la réalisation de
la monnaie unique n'était pas satisfaisante.
M. Christian de La Malène
, estimant qu'il ne convenait pas de
procéder par affirmation sur ce dossier, a soutenu la proposition du
rapporteur selon laquelle il ne fallait pas supprimer brutalement une des
dernières variables d'ajustement qui restaient entre les mains de
l'Etat. L'histoire n'étant pas terminée, il faudra à
l'avenir pouvoir faire face aux crises qui pourront se produire et l'on risque
un éclatement du système si les seules variables d'ajustement
sont l'emploi et les salaires. Il a également manifesté l'espoir
que la règle de l'unanimité en matière fiscale ne soit pas
remise en cause par la conférence intergouvernementale ni directement,
ni indirectement par le biais d'une éventuelle
" flexibilité " ou " coopération
renforcée " introduite dans le premier pilier du traité.
M. Daniel Millaud
craint que, implicitement, le projet de système
commun de TVA ne puisse être étendu aux territoires d'outre-mer,
dès lors que la TVA se substituera aux droits de douane. Il a alors
exprimé sa préférence pour un véritable
régime d'association des territoires d'Outre-mer plutôt que pour
la forme actuelle d'un " néocolonialisme ", dont le
gouvernement français se rendrait complice dans le cadre de sa politique
européenne.
M. Yann Gaillard
a regretté que la délégation n'ait
pu se saisir directement du document COM(96) 328, faute de sa transmission dans
le cadre de l'article 88-4 ; il a souhaité que la doctrine du Conseil
d'Etat en la matière évolue de telle sorte que la
délégation ne soit plus tenue à des " contorsions
juridiques " pour exprimer son sentiment sur les propositions de la
Commission européenne.
M. Pierre Fauchon
a déclaré qu'il souscrivait aux
conclusions du rapporteur sur le régime définitif de TVA ainsi
qu'aux observations de
M. Alain Richard
, estimant qu'il fallait
avant tout mener à son terme le processus difficile de la monnaie unique
et qu'il pourrait y avoir certains risques à vouloir mener
simultanément une réforme de la fiscalité
européenne et la mise en place de la monnaie unique. Considérant
que, pour faire progresser la fiscalité européenne, il faudrait
un jour renoncer à la règle de l'unanimité dans ce
domaine, il a déploré que le Gouvernement se soit
déclaré récemment en faveur du maintien de la règle
de l'unanimité en matière fiscale.
A l'issue du débat, la délégation a adopté le
présent rapport et a approuvé le dépôt, par
M. Denis Badré, d'une proposition de résolution.
(1) Article 7 A du traité sur l'Union
européenne : " La Communauté arrête les mesures
destinées à établir progressivement le marché
intérieur
au cours d'une période expirant le
31 décembre 1992
... Le marché intérieur comporte
un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre
circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est
assurée selon les dispositions du présent traité "
(2) Maurice Lauré, " Au secours de 1993 ", septembre 1988
(3) Rapport déposé par le gouvernement sur l'évolution de
la taxe sur la valeur ajoutée depuis la mise en place du marché
unique, présenté au nom de M. Alain JUPPE, Premier ministre par
M. Jean ARTHUIS, ministre de l'Economie et des Finances et par M. Alain
LAMASSOURE, ministre délégué au budget, porte parole du
Gouvernement
(4) Communication présentée par M. ROBINE au nom de la Commission
Fiscale, Assemblée générale de la Chambre de Commerce et
d'Industrie de Paris du 9 mars 1995
(5) Plus de 200 milliards de francs.
(6) 108 milliards de francs.
(7) Voir en annexe le compte rendu de l'audition du ministre
délégué au budget le 18 février 1996