B. EN REVANCHE, LA FISCALITE POURRAIT INFLUENCER LA STRUCTURE DU PARC
S'il est incontestable que la fiscalité a une influence sur les arbitrages patrimoniaux, et que ceux-ci ont été globalement défavorables au logement dans les vingt dernières années en France, on peut se demander si la fiscalité n'influence pas également la structure d'occupation du parc.
Les observations effectuées en France sur la période récente, ainsi que les comparaisons avec les partenaires européens, tendent à en accréditer l'idée.
1. Les évolutions récentes en France
La récente enquête de l'INSEE, sur les actifs patrimoniaux des ménages, a montré que les actifs les plus favorisés par la fiscalité avaient acquis davantage de place au sein du patrimoine des ménages français entre 1992 et 1996 45 ( * ) . C'est en particulier le cas de l'assurance-vie (32,7 % des ménages en possèdent en 1996 contre 27,5 % en 1992), du Codevi (32,8 % contre 20,8 %) ou du plan d'épargne-logement (37,9 % contre 33,1 %), alors que l'immobilier régresse légèrement, particulièrement la propriété de la résidence principale (54,1 % contre 54,6 %). Les OPCVM, dont l'importante composante monétaire a vu la fiscalité s'alourdir à partir de 1994, chutent assez fortement (de 17,3 % à 13,5 %), et font baisser la catégorie des valeurs mobilières.
Source INSEE
La fiscalité n'a qu'un rôle partiel, mais significatif, dans ces évolutions.
Ainsi, l'enquête logement de l'INSEE de 1992, a montré qu'entre 1988 et 1992, la part de l'accession à la propriété avait stagné, voire légèrement régressé, tandis que, contre toute attente et malgré l'impression généralement ressentie, le parc locatif privé avait progressé de 280.000 unités 46 ( * ) (contre 330.000 unités perdues de 1984 à 1988).
On ne peut s'empêcher de rapprocher ce constat des travaux de la commission Ducamin, qui conclut à l'inefficacité de la - coûteuse - réduction d'impôt sur les intérêts d'emprunt pour l'achat d'une résidence principale, et à l'efficacité du régime Quilès-Méhaignerie. L'INSEE observe que la construction de logements destinés à la location dans le secteur libre a doublé entre les deux périodes : 100.000 de 1985 à 1988, 200.000 de 1989 à 1992 47 ( * ) . Entre autres facteurs, il apparaît ainsi que la fiscalité a pu jouer un rôle dans l'évolution récente de la répartition des statuts d'occupation des logements en France.
2. Les exemples étrangers
Un rapprochement sommaire entre la situation fiscale des bailleurs de logements et la structure du parc des proches partenaires de la France permet d'observer qu'en règle générale, plus la fiscalité est favorable, plus le parc locatif privé représente une part importante du parc de logements. La comparaison qui suit se situe en 1993 48 ( * ) .
a) L'Allemagne
L'Allemagne est le seul pays d'Europe où l'on fasse appel de façon systématique aux personnes privées, ménages en particulier, pour participer au logement locatif social.
En Allemagne, les financements de logements sociaux sont accessibles aux investisseurs privés. Ceux-ci signent une convention, fixant des contraintes en matière de loyer et d'occupation durant la période de remboursement du prêt ayant servi à financer l'acquisition. Quatre piliers soutiennent le dispositif :
- une fiscalité immobilière de droit commun très favorable ;
- un strict contrôle des loyers ;
- un calibrage de l'aide en fonction de l'effort fourni ou accepté par le bailleur (cette aide est financée à la fois par le Bund (ministère du logement), les Länder et les communes qui la modulent en fonction de l'opération donnée);
- une fixation au niveau local de l'aide et des loyers.
La principale originalité de la fiscalité allemande est le recours à l'amortissement des biens acquis en vue de la location.
L'amortissement des logements locatifs en Allemagne Deux modes d'amortissement principaux sont pratiqués : le dégressif, pour les logements neufs ; le linéaire, pour les logements anciens. (1) Amortissement dégressif => Pour les logements neufs construits avant le 01/03/89, amortissement sur 50 ans aux taux de : - 5 % sur 8 ans - 2,5 % sur 6 ans - 1,25 % sur 36 ans Pour les logements construits entre le 01/03/89 et le 01/01/96, un amortissement accéléré sur 40 ans a été introduit à raison de : - 7 % sur 4 ans - 5 % sur 6 ans - 2 % sur 6 ans - 1,25% sur 24 ans => Dans les nouveaux Lander, un régime transitoire plus favorable s'applique, à raison de : - 12,5 % sur 4 ans - 1,4 % sur 35 ans - 1 % sur la dernière année (2) Amortissement linéaire - sur 50 ans au taux de 2 % pour les immeubles construits après le 31/12/1924 - sur 40 ans au taux de 2,5 % pour les immeubles construits avant le 01/01/1925 Les travaux d'agrandissement 49 ( * ) s'amortissent comme les achats de logements anciens sur 50 ans au taux de 2 %. Par dérogation à cette règle générale, la réglementation a prévu un régime spécifique pour les travaux d'agrandissement, en particulier pour l'aménagement des combles, réalisés entre le 02/10/89 et le 01/01/96 sur des logements ne bénéficiant pas de subventions. Ce régime consiste à amortir un montant égal a 20 % des coûts de construction plafonnés à 60.000 DM (soit 12.000 DM/an) sur les 5 premières années. Les coûts excédentaires sont amortis au taux de 2 %. Des mesures spécifiques ont été prises pour favoriser la réhabilitation lourde dans des quartiers désignés par la législation fédérale comme prioritaires (nouveaux Länder) : un amortissement accéléré des frais de construction et de remise en état à hauteur de 10 % par an sur 10 ans. Un mode d'amortissement accéléré sur 10 ans est proposé aux investisseurs en échange conventionnement de leur logement sur 10 ans sous conditions d'occupation sociale et de modération de loyer. Sont exclus du bénéfice de ce régime les logements subventionnés au titre de certaines aides à la pierre. Taux d'amortissement : - 10 % sur 5 ans - 7 % sur 5 ans - 3,1/3 sur la durée résiduelle soit 40 ans |
Mais en outre, les bailleurs privés allemands bénéficient d'un système de déduction des charges particulièrement avantageux :
•une déduction du coût des travaux
effectués pour la création de logements locatifs dans des
bâtiments préexistants ; et une déduction de la
totalité des intérêts d'emprunt ; ces deux avantages
étant identiques à ceux dont bénéficie le
parc social ;
•la déduction totale des charges
d'exploitation, y compris l'impôt foncier, dont l'assiette est pendant
dix ans constituée de la seule part non bâtie.
Enfin, la taxation des plus-values est particulièrement avantageuse, puisque les cessions de logements sont exonérées après deux ans de détention.
b) La Belgique
Tout comme le Luxembourg (31 %), la Belgique se caractérise par un parc locatif privé important (28 %).
En Belgique, le revenu foncier est évalué selon une méthode forfaitaire pour les immeubles affectés à l'habitation (revenu cadastral), ce qui peut amener à imposer les immeubles vacants, dont le revenu fiscal est simplement réduit par rapport aux immeubles occupés. Une déduction forfaitaire (analogue à celle qui existe en France) est effectuée sur le revenu foncier à hauteur de 40 %.
La taxation du revenu foncier fait l'objet d'un impôt particulier dénommé "précompte immobilier", dont le taux est d'1,25 % du revenu cadastral, et qui s'impute sur l'impôt sur le revenu des personnes physiques.
Les plus-values sont exonérées, à l'exception des cessions de terrains en fonction de la durée de détention (33 % avant 5 ans ; 16,5 % entre 5 et 8 ans)
c) La France
la France se situe à un rang intermédiaire dans l'Europe des quinze pour l'importance du parc locatif privé, avec 21 % des logements.
En 1993, la déduction forfaitaire était de 8 % (depuis 1990) ; l'imputation des déficits fonciers se faisait exclusivement sur les revenus fonciers avec possibilité du report sur 5 ans. Depuis 1990, les plus-values n'étaient qu'exonérées qu'après 32 ans de détention. En outre, existaient déjà des dépenses fiscales qui subsistent aujourd'hui : l'exonération de deux ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements neufs ; l'exonération, limitée dans le temps, des revenus tirés de logements précédemment vacants, l'exonération des revenus des logements loués à des personnes défavorisées, et le système Quilès-Méhaignerie.
d) L'Espagne
L'Espagne se caractérise par une très forte proportion de propriétaires occupants. Le parc locatif privé suit loin derrière, avec une fiscalité relativement avantageuse, qui explique peut-être qu'il devance de loin le parc social.
Les propriétaires-bailleurs bénéficient pour l'acquisition de logements d'un système d'incitation analogue à celui des accédants : déduction plafonnée des intérêts d'emprunt et d'une partie du prix d'acquisition (15 %) du logement (sous plafond, à condition toutefois que le bailleur ait des revenus inférieurs à un certain montant et que le loyer représente plus de 10 % de ces revenus). Les charges non répercutables sont également déductibles. En outre, un amortissement linéaire d'1,5 % est également pratiqué 50 ( * ) .
Les plus-values sont imposées (seule la résidence principale peut être exonérée si elle est vendue pour en acheter une autre). L'amortissement est déduit de la valeur du bien ; on divise le montant de la plus-value par le nombre d'années de détention ; puis elle est imposée au taux moyen d'imposition du contribuable sur son revenu.
e) Le Royaume-Uni
Le Royaume-Uni est également un pays de propriétaires, avec un parc locatif privé réduit. Il a choisi de favoriser l'investissement immobilier indirect.
Les intérêts d'emprunt et les charges réelles de fonctionnement sont imputables sur le revenu foncier sans limitation, ainsi que les loyers non payés et certaines dépenses effectuées sans contrepartie en recettes. Les achats de logements sont exonérés de T.V.A. Toutefois, l'amortissement de l'immeuble n'est pas déductible, ni les dépenses d'amélioration (à l'inverse du cas français, plus favorable sur ces deux points, même si l'amortissement est sous-évalué).
En 1988, un dispositif d'incitation à la souscription de titres de sociétés d'investissement immobilier à été mis en place, grâce à une déduction du revenu imposable dans la limite de 40.000 livres sterling, mais il semble avoir connu un échec relatif.
f) L'Italie
L'Italie est le pays de l'Union européenne dont le parc locatif privé est le moins développé.
Aucun avantage fiscal, aucune subvention, n'est consenti aux propriétaires-bailleurs, ce qui est également un cas extrême.
Tant l'exemple français que les exemples étrangers montrent que si les aides fiscales peuvent difficilement favoriser par elles-mêmes la production de logements locatifs, du moins sont-elles en mesure d'induire des arbitrages patrimoniaux en leur faveur, au détriment d'autres formes de placement. Elles peuvent aussi favoriser le statut locatif privé, en soulageant le parc public.
Une politique fiscale du logement locatif privé apparaît donc possible. Reste à savoir pour quel rapport coût/efficacité. Au-delà des tendances générales, ce problème doit être résolu par une véritable évaluation.
* 45 Le patrimoine des ménages se diversifie - Insee première N° 454 - Mai 1996
* 46 "Tassement de la propriété et redressement du locatif privé" - INSEE première n° 313 - mai 1994.
* 47 Dans cette livraison d'Insee première, Thierry Lacroix écrit : "Les dispositions fiscales adoptées à partir de 1984 pour favoriser l'investissement locatif privé (dispositifs Quilès-Méhaignerie) sont devenues très attractives, notamment après les améliorations apportées en 1986 et 1990. Elles ont contribué à atténuer les tensions de certains marchés locatifs mais ont favorisé une offre assez spécifique : de petits logements concentrés en région parisienne et surtout dans les grandes villes de province".
* 48 Voir à ce sujet : "les aides publiques au logement" - Service des affaires européennes du Sénat - document de travail n° 44 - mars 1993 - Pour les statistiques : "Les Européens et leur logement" CECODHAS 1995/1996
* 49 Les autres travaux sont des charges déductibles du revenu locatif brut pour leur valeur réelle, et les déficits fonciers peuvent être imputés sur le revenu global
* 50 Voir infra II-B pour une mise en équivalence en France de la déduction forfaitaire et de l'amortissement