EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 19 juin 1996, sous la présidence de M. Christian Poncelet, la commission a entendu une communication de M. Alain Lambert, rapporteur général, sur les conclusions du groupe de travail sur la fiscalité immobilière.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a rappelé que ce groupe de travail avait été constitué en 1994 en vue, non pas de formuler des propositions fiscales, mais de rechercher les moyens de doter la commission des Finances d'un dispositif autonome d'évaluation ayant pour objectif estimer le coût ou le rendement des mesures fiscales et aussi d'évaluer leur impact sur les comportements afin de juger leur pertinence économique et financière.
Le groupe de travail était parti de trois constats.
D'abord, la fiscalité du logement, faute d'être évaluée, sert de terrain d'expérimentation à des dispositifs multiples, complexes et changeants.
Ensuite, les parlementaires, dépourvus de moyens de connaître les effets de leurs propositions fiscales sont mal armés pour fonder leur pertinence. Ils se voient en général opposer les arguments complémentaires du coût budgétaire et de l'effet d'aubaine, arguments qu'ils ne peuvent vérifier.
Enfin, le groupe de travail a constaté qu'un consensus se faisait peu à peu jour sur la nécessité d'évaluer les politiques fiscales. Cette nécessité est surtout liée à l'absence de marge de manoeuvre budgétaire, qui commande désormais d'estimer avec précision ce que les finances publiques peuvent perdre ou gagner à telle ou telle mesure.
Ce consensus s'est traduit par des travaux récents : ceux du Conseil économique et social (1993), de la commission DUCAMIN (1994) ou du conseil national de l'habitat (1995), succédant à l'oeuvre du Conseil des impôts (1992). Il a été couronné par la création de l'Office d'évaluation des politiques publiques.
Ensuite, M. Alain Lambert, rapporteur général, a expliqué que le groupe de travail avait souhaité tenter de mettre en évidence les connaissances actuelles sur les effets de la fiscalité du logement. Il a, dans ce but, fait appel aux experts de l'Observatoire foncier et immobilier du Crédit foncier de France.
Le groupe de travail a d'abord observé les tendances du parc locatif privé, afin de savoir si la fiscalité peut y avoir une influence.
Il lui est apparu que, si la fiscalité ne peut par elle-même augmenter la production de logements (constat déjà fait par le Gouvernement à propos des aides budgétaires); elle peut influer sur la structure patrimoniale des ménages et sur la structure d'occupation des logements.
Les experts du Crédit Foncier de France ont bâti, pour la commission des Finances, un modèle informatisé dénommé OFICRIL. Ce modèle permet de combiner deux types de variables : les régimes fiscaux (régime général, régime Quilès-Méhaignerie, régime Super Quilès, régime des bénéfices industriels et commerciaux - BIC -, amortissement Périssol) et les types de financement (fonds propres, prêts libres, prêts administrés) pour évaluer deux résultats : l'intérêt objectif d'une combinaison (rentabilité pour l'investisseur) et le coût budgétaire actualisé d'une opération.
L'Observatoire foncier et immobilier a également estimé, à comportement inchangé, le coût des principales dépenses fiscales en faveur du logement locatif. Des enseignements intéressants en ressortent : par exemple, que le régime des BIC n'est pas favorable aux propriétaires-bailleurs; que le coût du point de déduction forfaitaire décroît à mesure que le taux augmente ; ou que l'exonération des droits de mutation à titre gratuit n'est peut-être pas la mesure la plus adaptée au développement du parc locatif privé.
Les experts du Crédit foncier ont enfin procédé à une étude de faisabilité d'un modèle d'évaluation des changements de comportement induits par la fiscalité. Cette étude a révélé que les connaissances en la matière sont très pauvres. Un modèle assez lourd a été construit aux États-Unis. Il se fonde sur un appareillage de capteurs statistiques abondants.
Mais, M. Alain Lambert, rapporteur général, a constaté que malgré les obstacles scientifiques et administratifs, l'intérêt de l'entreprise ne fait pas de doute : lorsque le coût des dépenses fiscales est évalué à 24 milliards de francs pour le seul logement en France, une dépense de quelques millions de francs pour pouvoir juger de leur intérêt paraît s'imposer.
À partir de ces expertises et des évaluations déjà réalisées, le groupe de travail a cherché à dégager les pistes sur lesquelles pourrait s'engager la fiscalité du logement locatif privé.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a estimé que la neutralité fiscale avec les autres placements, notamment financiers, était un préalable nécessaire pour mettre fin à la pénalisation dont souffre le logement de rapport, mais que cet objectif pourrait être dépassé en faveur d'une fiscalité reconnaissant le caractère économique de la prestation de service que constitue le logement locatif.
Enfin, M. Alain Lambert, rapporteur général, a plaidé en faveur d'une démarche systématique d'évaluation, attitude qui mettrait fin au caractère expérimental de la loi fiscale, et lui rendrait la stabilité particulièrement nécessaire à l'investissement à long terme que constitue le logement.
En réponse aux questions de M. Philippe Marini, M. Alain Lambert, rapporteur général, a expliqué que le modèle OFICRIL permettait d'estimer les niveaux de rentabilité qu'il était nécessaire d'atteindre pour inciter les investisseurs privés à intervenir dans le logement locatif (en fonction du type de marché et du type de financement) ; et qu'il était donc possible de calibrer l'aide de l'État à cette fin.
À propos des droits de mutation à titre gratuit, M. Alain Lambert, rapporteur général, a expliqué que l'étude ne concluait pas qu'une mesure allégement serait inefficace, mais qu'elle ne serait peut-être pas la plus adaptée au développement du parc locatif privé. À propos des droits de mutation à titre onéreux, la réflexion théorique montre qu'il ne fallait pas attendre de leur diminution une relance immédiate du marché, car l'augmentation de la valeur des biens a tendance à se répercuter dans les prix.
En réponse aux questions de M. Christian Poncelet, Président, M. Alain Lambert, rapporteur général, a confirmé que les effets d'aubaine étaient aujourd'hui très mal mesurés, et que l'une des conclusions importantes du groupe de travail portait sur l'utilité de poursuivre la recherche sur efficacité des mesures fiscales, dont on sait aujourd'hui très peu de choses. À cet égard, il s'est déclaré d'accord avec le Président Poncelet pour confier les résultats déjà obtenus à l'office d'évaluation des politiques publiques en cours de création, en insistant sur l'intérêt qu'il y aurait à lui faire approfondir les recherches ainsi entreprises.
La commission a alors adopté les conclusions du groupe de travail, et décidé de les publier sous la forme d'un rapport d'information.