B. LA VOIE D'UNE FISCALITÉ RECONNAISSANT LE RÔLE ÉCONOMIQUE DU BAILLEUR

1. La neutralité fiscale : un objectif à dépasser.

Depuis 1995, l'idée de neutralité fiscale semble avoir été abandonnée par le Gouvernement.

On peut voir trois raisons à cette attitude.

D'abord, le relatif échec du groupe de travail interministériel. À la fin de 1994, le ministre du logement, Hervé de Charette, tout en maintenant le souhait de voir s'alléger la fiscalité des propriétaires-bailleurs, s'était tourné vers l'idée d'un "statut fiscal du bailleur de logements".

Ensuite, parce que des progrès significatifs ont d'ores et déjà été accomplis en vue de la neutralité fiscale, par les améliorations apportées à la fiscalité immobilière, mais surtout par le durcissement de la taxation de l'épargne financière depuis l'été 1995.

Enfin, et peut-être surtout, parce que les différences de rendement avant impôt entre les actifs patrimoniaux obéissent à des déterminants totalement distincts, et que la fiscalité ne peut - et ne doit pas - contribuer à les écraser.

Les progrès accomplis depuis 1993 vers la neutralité fiscale

Depuis mars 1993, d'incontestables progrès ont été accomplis vers la neutralité fiscale entre les formes mobilières et immobilières de placement. Il reste néanmoins d'importantes distorsions et on note qu'elles se sont aggravées à l'intérieur de chaque catégorie.

Un peu à la manière du Conseil des impôts, le groupe de travail a voulu comparer les rendements après impôts de quelques types de placements, d'un montant identique de 500.000 francs, et pour des rendements avant impôt identiques de 7 %, 8 %, 9 % et 10 %, en partant d'hypothèses simples, en 1992 et 1996.

Les placements comparés

Sont comparés : les actions (hors PEA), les obligations, les produits de capitalisation (assurance-vie, OPCVM, PEP), le logement locatif neuf, le logement locatif ancien.

Hypothèses

Le rendement est réparti entre plus-value et revenu, de façon différente selon le placement considéré :

les placements de taux (assurance-vie. Sicav de capitalisation, obligations) génèrent uniquement du revenu ;

les actions génèrent 4,5 % de revenu (dividende + avoir fiscal), le solde en plus-value ;

les logements neufs génèrent 5 % de revenu, les logements anciens 4 %, le solde en plus-value.

Ce rendement est celui de la dixième année de placement, en supposant qu'est réalisée la fraction de plus-value.

La fiscalité

Les hypothèses relatives à la fiscalité sont également simplifiées : les prélèvements sociaux, l'impôt de solidarité sur la fortune, la CSG, la CRDS sont négligés (bien que leur effet soit très important), car ils sont neutres entre les différents placements. Le contribuable est imposé au taux marginal de 33 %.

Fiscalité 1992

Fiscalité 1996

Actions (hors PEA)


• Sur le revenu :

- abattement de 16.000 F

- au-delà IR à 33 %

Sur la plus-value : le seuil de cession, supérieur à 300.000 F, est supposé non franchi

Idem

Idem

Obligations

Sur le revenu :

- abattement de 16.000 F

- au-delà, prélèvement libératoire de 15 %

Pas de plus-value par hypothèse

Imposition au 1er franc à 15 %

Idem

Assurance-vie PEP

Pas de fiscalité

Idem

SICAV de trésorerie

de capitalisation

pas de revenu

sur la plus-value : le seuil de cession est supposé évité

pas de revenu

sur la plus-value : taxation au premier franc, au taux de 16 %

Logement locatif

neuf

Régime Quilès-Méhaignerie

La réduction d'impôt de 10 % est supposée venir en réduction du prix d'achat


• Les droits de mutation à titre onéreux de 7 % sont répercutés à la vente et viennent en augmentation du prix d'achat

Sur le revenu :

- l'impôt foncier frappe le loyer au taux de 7 %

- la déduction forfaitaire crée un abattement de 25 %

- les travaux créent un abattement de 3 %

Sur la plus-value : abattement sur la plus-value de 3 1/3 % depuis la 3e année de détention

Régime Périssol

L'amortissement de 10 % par an sur 4 ans et 2 % par an sur 20 ans est supposé venir en réduction du prix d'achat (soit un amortissement de 52 % à l'issue de dix ans)


• DMTO : Idem. Les droits sont

supposés réduits à 5 %


Sur le revenu :

- impôt foncier identique

- la déduction forfaitaire crée un abattement de 6 %

Sur la plus-value : le taux est porté à 5 %

Logement locatif

ancien

Sur le capital : les DMTO au taux de 7 % viennent en augmentation du prix d'achat

Sur le revenu :

- l'impôt foncier frappe le loyer au taux de 8,75 %

- la déduction forfaitaire crée un abattement de 8 %

Sur la plus-value

- abattement annuel de 3 1 `3 % depuis la 3e année

Idem, au taux de 5 %

Sur le revenu :

- impôt foncier identique

- déduction forfaitaire au

taux de 13 %

Sur la plus-value :

- abattement de 5 %

Cette comparaison n'a pas pour objet de donner une idée précise du véritable rendement après impôt des différentes formes de placement, mais plutôt d'observer l'évolution des différences de traitement entre 1992 et 1996 avec des hypothèses identiques, sur des régimes fiscaux de droit commun (hors incitations spécifiques type PEA ou logement loué à des personnes défavorisées...)

On observe que le logement locatif neuf est désormais traité de façon proche des SICAV de capitalisation ou des obligations. Le logement locatif ancien n'a vu sa fiscalité générale s'améliorer que modestement.

Au total, un resserrement des rendements après impôt est perceptible, mais il reste d'importantes distorsions.

2. Le logement considéré comme une prestation de service

En définitive, le constat est le suivant : certes, la fiscalité a une influence sur les arbitrages patrimoniaux, mais cela ne signifie pas que le logement soit un placement comme un autre. La neutralité fiscale est sans doute un préalable indispensable, mais elle doit être dépassée, car elle ne suffit pas à prendre en compte l'ensemble des dimensions du logement locatif, (même si les propositions de réforme ne doivent pas, à l'inverse, créer de distorsions en faveur du logement).

Le logement n'est pas un placement comme un autre à quatre points de vue :

- ainsi que l'illustrent les graphiques précédents, la rentabilité du placement immobilier se compare difficilement à celle des valeurs financières. Les épargnants ne peuvent donc se fonder sur ce seul critère pour effectuer leurs arbitrages ;

- du point de vue de la liquidité, si la plupart des valeurs financières peuvent être achetées ou vendues, pour des montants très élevés, du jour au lendemain, il faut au contraire toujours plusieurs semaines ou plusieurs mois pour effectuer des transactions sur le logement ;

- du point de vue de la nature du risque, l'immobilier est peu comparable aux placements de taux ou aux actions. Son cycle de prix est différent. Le risque lié à la location est différent d'un risque de signature. L'idée que l'immobilier ne présente aucun risque (de dévalorisation, d'absence de rentabilité) est désormais caduque ;

- enfin, du point de vue de la gestion, le logement locatif est source de difficultés multiples qui n'existent pas dans le domaine financier (notamment la fixation des loyers, très administrée ; ou les relations avec les locataires, qui constituent en quelque sorte la clientèle du bailleur).

Outre ces différences du point de vue financier, il faut relever que le logement locatif a une valeur d'usage que n'ont pas les autres placements : le bailleur peut toujours penser à récupérer un jour le logement pour s'en servir pour lui-même ou pour sa famille.

3. Une fiscalité économique est compatible avec l'existence de placements immobiliers substituables aux placements financiers.

À deux reprises, le Gouvernement a montré qu'il s'était engagé (de façon encore très incomplète) dans la voie de la reconnaissance du rôle économique du bailleur.

Le premier signe est la création du nouveau régime d'amortissement inspiré d'Allemagne. Ce système tend à fonder davantage la fiscalité du logement sur des données réelles que sur des données forfaitaires. Il est possible de penser que, peu à peu, les charges des propriétaires seront prises en compte de façon réaliste par la fiscalité 100 ( * ) .

Le second signe est apparu un peu malgré la volonté du Gouvernement, mais il s'y est plié de bonne grâce : il s'agit de la réforme de la donation-partage (voir supra chapitre premier - I). L'idée initiale du Gouvernement était de favoriser la transmission des entreprises, lesquelles n'englobent pas, malgré la prestation de service incontestable qu'ils représentent, les logements locatifs. Or ces logements constituent une part significative des actifs transmis à titre gratuit, c'est pourquoi on peut considérer que l'amélioration du régime de la donation-partage récemment intervenue participe de la reconnaissance du service offert Par le logement locatif privé, puisqu'elle réduira probablement le nombre de ventes occasionnées par le paiement des droits 101 ( * ) .

La voie d'une fiscalité prenant en compte la dimension économique et sociale de l'activité du bailleur de logements semble également privilégiée aujourd'hui par les analystes et les professionnels.

La commission n° 2 du CNH 102 ( * ) ne fixe ainsi pas comme objectif la neutralité fiscale avec les placements financiers, mais quatre critères dont l'un se rapport au rôle économique du bailleur.

Le premier critère est la lisibilité de la fiscalité, de façon à ce qu'elle puisse être aisément comprise par des propriétaires le plus souvent modestes, détenteur d'un ou deux logements.

Le deuxième critère est la pérennité. Investissement à long terme, le logement locatif a besoin de règles stables. Sans cette stabilité, les investisseurs refuseront de prendre le risque de s'engager.

Le troisième critère est la reconnaissance du coût du service logement. Ce critère nécessite que la fiscalité reconnaisse, dans le domaine du logement, la nécessité d'une déduction réaliste des charges, qui contribuent au service comme c'est le cas pour les entreprises.

À cette fin, elle recommande la création d'un amortissement fiscal (elle a partiellement obtenu satisfaction sur ce point), ainsi qu'une amélioration de l'imputation des déficits fonciers sur le revenu global. Elle envisage également, -sans toutefois approfondir-l'assujettissement des propriétaires bailleurs à la TVA.

Le quatrième critère est la nécessité de ne pas fonder la rentabilité du logement locatif sur des loyers élevés. L'objectif est de permettre aux bailleurs privés d'intervenir, dans de bonnes conditions, dans le logement locatif intermédiaire voire social (ce qui de fait est le cas de nombre d'entre eux). Ils pourraient ainsi réduire la pression sur le parc social public qui ne peut satisfaire toute la demande qui lui est adressée. Ce quatrième critère correspond à un des aspects importants des recherches du groupe de travail de votre commission (voir supra II - A).

Déjà, en 1992, le conseil des Impôts préconisait la prise en compte de cette dimension économique. Il recommandait l'adoption d'un régime fiscal de type BNC ou BIC, piste qui semble devoir être abandonnée du fait de la complexité de cette fiscalité ainsi que de ses faibles avantages par rapport au système actuel.

Les travaux menés pour votre groupe de travail par les chercheurs de l'Observatoire foncier et immobilier à partir du modèle OFICRIL aboutissent à l'idée d'une fiscalité modulée en fonction du marché immobilier dans lequel évolue le bailleur, à l'instar de ce qui se pratique pour les paramètres des P.L.A. ou pour les aides de l'ANAH. On pourrait en effet concevoir, plutôt que d'administrer les loyers, de fixer des aides fiscales qui dépendent des engagements pris par le bailleur sur le niveau des loyers et sur le niveau des ressources du locataire. Ce type de fiscalité reconnaîtrait la prestation de service que constitue la location d'un logement, sans avoir les inconvénients d'une fiscalité professionnelle (voir supra II-A)

La voie de la reconnaissance du rôle économique du bailleur mérite d'autant plus d'être explorée qu'elle n'est pas incompatible avec la recherche de placements immobiliers qui soient réellement substituables aux placements financiers. Il en existe : il s'agit des sociétés civiles de placement immobilier. Certaines sont spécialisées dans le logement : ce sont les SCPI-Méhaignerie, qui représentent une douzaine de milliards de francs d'encours. le montant unitaire du placement (environ 5.000 à 10.000 F) et l'absence de souci de gestion rendent les part de SCPI comparables à des placements financiers. Cependant, leur fiscalité est actuellement celle de l'immobilier, en vertu du principe de transparence fiscale. La neutralité fiscale ne devrait-elle pas conduire à assimiler fiscalement les parts de SCPI à des obligations ou à des actions ? L'épargne immobilière n'est en effet véritablement assimilable à l'épargne mobilière que transformée sous forme de produits substituables à des valeurs financières. 103 ( * )

Il apparaît donc que les évaluations déjà réalisées, ainsi que la recherche effectuée pour le groupe de travail de votre commission par l'Observatoire foncier et immobilier, laissent penser que l'objectif de neutralité fiscale entre placements mobiliers et immobiliers pourrait être dépassé au profit d'une fiscalité modulée. Il ne s'agirait pas d'abandonner cet objectif, mais d'admettre que la loi fiscale a largement progressé vers lui depuis trois ans et qu'à partir de cet acquis, il est possible de réfléchir à des modalités d'imposition qui, tout en n'étant pas professionnelles (de type BIC), reconnaîtraient la prestation de services offerte par les bailleurs de logements. La contrainte de cette réflexion serait de ne pas introduire de distorsion en faveur du logement et au détriment d'autres placements comparables (fonds propres, investissements...).

L'évaluation de la politique fiscale du logement locatif privé peut donc contribuer à trancher le débat : il faut atteindre la neutralité fiscale et dès lors moduler la fiscalité de façon à favoriser un service du logement adapté à l'économie. Mais, il ne s'agit que d'une piste : l'étude des variables de comportement est nécessaire pour aller plus loin.

* 100 La loi de finances pour 1995 avait déjà innové par la prise en compte des assurances pour impayés de loyers à leur valeur réelle.

* 101 Sur cet aspect, voir les analyses des chercheurs du Crédit foncier, supra -II-B-5

* 102 op- cit. pages 37 et suiv.

* 103 Il en était ainsi, s'agissant du logement locatif, des sociétés immobilières d'investissement, qui avaient pour contrainte de détenir 75 % de leurs surfaces en logements locatifs, qui devaient distribuer 85 % de leur bénéfice, et étaient exonérées d'impôt sur les sociétés. Sociétés commerciales, elles émettaient des actions cotées assimilables aux autres valeurs industrielles et commerciales.

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