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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996


Annexe au procès-verbal de la séance du 27 mars 1996.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1), sur les activités de la délégation : grandes échéances européennes (élargissement, révision des traités, monnaie unique) et suivi des propositions d'actes communautaires ,

Par M Jacques GENTON,

Sénateur

(1)Cette délégation est composée de MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Claude Estier. Pierre Fauchon, Philippe François, vice-présidents , Nicolas About, Michel Caldaguès, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, François Lesein, Paul Loridant, Charles Metzinger, secrétaires , MM. Robert Badinter, Denis Badré, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, MM. Charles Descours, Ambroise Dupont, Jean François-Poncet, Yves Guéna, Christian de La Malène, Pierre Lagourgue, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Guy Penne, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, André Rouvière, Jean-Pierre Tizon, René Trégouët, Marcel Vidal, Xavier de Villepin.

Union européenne - Rapports d'information

INTRODUCTION

Au cours des deux premiers mois de 1996, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a poursuivi les travaux qu'elle avait engagés sur les deux thèmes majeurs de l'évolution actuelle de l'Union qui sont :

- d'une part, l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale,

- d'autre part, la préparation de la Conférence intergouvernementale.

Elle a en outre procédé, avec une délégation de la Commission du Trésor de la Chambre des Communes, à un échange de vues sur « l'introduction d'une monnaie unique ».

Enfin, elle a continué son examen systématique des propositions d'actes communautaires soumises au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Afin de permettre une meilleure connaissance de ces travaux, ce apport retrace ces diverses activités qui rentrent dans la mission assignée à la délégation de « suivre les travaux conduits par les institutions de l ' Union européenne ».

I. L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE AUX PAYS D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE

En juin 1994, la délégation du Sénat avait déjà abordé une première fois les problèmes de l'élargissement à l'Est, en se concentrant sur la situation économique des pays candidats et sur la question de leur adhésion à l'U.E.O. et à l'O.T.A.N. Le rapport de M. Jacques GOLLIET avait alors été publié sous le n° 567 (1993-1994).

Il lui a paru nécessaire d'examiner à présent plus particulièrement les conséquences économiques et budgétaires de l'élargissement, notamment son impact prévisible sur les principales politiques communes. Elle a confié la charge de ce rapport à M. Denis BADRÉ.

À cette fin, la délégation a souhaité disposer d'une expertise indépendante complémentaire des analyses présentées à ce sujet par la Commission européenne. Elle a donc demandé une étude à l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques (O.F.C.E.), qui s'est adjoint la collaboration d'économistes du Deutsche Institut fur Wirtschaftsordnung (D.I.W., Berlin). Les experts de l'O.F.C.E. ont présenté les premiers résultats de leur étude devant la délégation le 29 novembre 1995.

De plus, la délégation a entendu, le 17 janvier 1996, le ministre délégué au budget, M. Alain LAMASSOURE, sur les conséquences budgétaires de l'élargissement de l'Union aux P.E.C.O.

Elle a enfin examiné le rapport de M. Denis BADRÉ le 14 février !996.

A. AUDITION D'UN GROUPE D'EXPERTS DE L'OBSERVATOIRE FRANÇAIS DES CONJONCTURES ÉCONOMIQUES (O.F.C.E.)

La délégation a entendu, le 29 novembre 1995, un groupe d'experts de l'O.F.C.E., composé de M. Jacques Le Cacheux, directeur des études de l'O.F.C.E., Mme Sandrine Cazes. M. Bruno Coquet, M. Frédéric Lerais, Mmes Mathilde Maurel et Françoise Milewski.

M. Jacques Genton a rappelé que la délégation avait décidé d'effectuer un suivi régulier du processus d'élargissement à l'Est de l'Union européenne, et qu'elle avait déjà examiné, sur le rapport de M. Jacques Golliet, les problèmes de la transition économique dans les PECO ainsi que la question de l'adhésion éventuelle de ceux-ci à l'Union de l'Europe occidentale (UEO) et à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Il a précisé que l'étude de l'OFCE servirait de base au rapport confié par la délégation à M. Denis Badré au sujet de l'impact prévisible de l'élargissement à l'Est sur les principales politiques communes. Il a également indiqué que la prochaine Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), qui se tiendra à Rome au printemps prochain, serait notamment consacrée à l'élargissement à l'Est de l'Union.

M. Jacques Le Cacheux, directeur à l'OFCE, a souligné la spécificité des problèmes posés par la perspective de l'élargissement à l'Est, dont la décision de principe a été prise au Conseil européen de Copenhague. Il s'agit d'un changement d'échelle sans précédent, puisque dix pays sont concernés. L'étude de l'OFCE porte seulement sur les six pays actuellement couverts par les accords européens d'association : les quatre pays du « groupe de Visegrad » (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) ainsi que la Bulgarie et la Roumanie ; cependant, on peut admettre que la prise en compte des quatre autres pays intéressés (les trois États baltes et la Slovénie) ne modifierait pas substantiellement les résultats de l'étude, compte tenu de la taille de ces pays. Les conséquences de l'élargissement sur la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion menée au moyen des fonds structurels sont au centre de l'étude. Le présupposé essentiel de cette dernière est que l'intégration des PECO s'effectuera de manière progressive ; deux arguments essentiels militent dans ce sens :

- tout d'abord, leur situation de départ est très éloignée, non seulement de la moyenne européenne, mais encore de celle des pays les plus pauvres de la Communauté. Le début de la transition économique a provoqué une forte récession ; une phase de reprise s'est amorcée depuis lors, mais le revenu par habitant, dans tous les pays en cause, reste très nettement inférieur à celui de la Grèce. Bien que la population des PECO représente plus d'un quart de celle de l'Union, leur poids économique est proportionnellement bien moindre, ce qui appelle manifestement une approche spécifique ;

- ensuite, tous les élargissements précédents ont ménagé des périodes de transition. Dans le cas de l'élargissement aux pays du sud de la Communauté, cette période a été de l'ordre de dix ans : or l'acquis communautaire était alors bien plus réduit, puisque le Traité de Maastricht n'avait pas été adopté. Dans le cas des PECO, la période de transition consécutive à l'adhésion ne pourra donc être inférieure à dix ans.

M. Bruno Coquet, économiste à l'OFCE, a souligné que l'étude présupposait, de la part des PECO, une volonté de se tourner résolument vers l'Union européenne et, de la part de celle-ci, la conscience d'un intérêt commun avec les PECO fondé sur une même identité européenne.

Deux scénarios ont été exclus dans l'étude :

- d'une part, le statu quo (ni augmentation des quotas, ni baisse des barrières douanières), qui sur le plan macro-économique aurait un effet négatif à la fois sur l'Union à quinze et sur les PECO, et qui conduirait à la formation d'une zone de pauvreté durable aux portes de l'Europe occidentale et à des problèmes de migration ;

- d'autre part, l'adhésion pleine et entière à l'ensemble des politiques communes, y compris l'Union économique et monétaire (UEM). Certes, la République tchèque remplit les critères de Maastricht, ou peu s'en faut, mais elle n'est pas en situation de convergence réelle avec l'Union ; la Pologne, quant à elle, ne remplit aucun des critères et est déjà soumise à une politique de stabilisation sévère. Dans l'ensemble, la participation des PECO à l'Union économique et monétaire (UEM) provoquerait une déflation socialement inacceptable.

Deux scénarios ont été dès lors retenus :

- le premier est celui d'une association renforcée. Il repose sur une politique différenciée à l'égard de chaque pays et ne permet pas la constitution d'un grand marché. Il implique la baisse des barrières douanières, mais laisse subsister quotas et clauses de sauvegarde tandis que l'aide continue à se situer dans le cadre du programme PHARE. Les capitaux extérieurs, dans ce scénario, sont assez difficiles à mobiliser. Les effets macro-économiques sur les pays de l'Union européenne sont très réduits, presque nuls. Les échanges croissent de manière équilibrée ; la croissance des PECO est cependant favorisée et supérieure d'environ 1 % par an à la tendance spontanée. Mais la convergence à long terme n'est pas assurée : il convient de rappeler à cet égard que la Communauté européenne apporte depuis longtemps une aide aux pays Amérique-Caraïbes-Pacifique (ACP) et entretient avec ces pays un commerce privilégié, ce qui n'a pas empêché la divergence des économies ;

- le second scénario est celui d'une intégration progressive, proche de celle qui a été mise en oeuvre pour l'Espagne. L'accord est multilatéral, les restrictions aux échanges ainsi que les clauses de sauvegarde disparaissent et la réglementation communautaire s'applique ; la gestion du marché est donc unifiée. Les échanges se développent rapidement ; les flux financiers provenant de l'Union sont importants et ont un effet de levier sur l'aide internationale fournie par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD). Les critères actuels d'éligibilité aux fonds structurels sont appliqués, avec toutefois une limitation à 8 % du produit intérieur brut (PIB) pour chaque pays bénéficiaire. Il est à noter qu'une telle aide, de l'ordre de 25 milliards d'Écus par an, représenterait 0,2 % du PIB de l'Union, ce qui est peu par rapport au « plan Marshall » qui représentait 1 % du PIB américain. Les résultats de ce scénario sont meilleurs : le supplément de croissance pour les PECO est de 1,5 % par an ; les effets macro-économiques sur l'Union à quinze sont minimes : en particulier, à terme, le solde public n'est pas sensiblement affecté. Or ces résultats satisfaisants ne reposent pas sur des hypothèses optimistes : il n'est tenu compte que d'une partie de « l'effet-retour » théorique des aides structurelles sur les pays donateurs, et, de même, que d'une partie de l'accroissement théorique des échanges suscité par l'intégration.

M. Jacques Le Cacheux, a ensuite présenté les conclusions de l'aspect de l'étude concernant la PAC. Les PECO ont aujourd'hui une capacité de production inférieure à leurs besoins : leur potentiel est certes important, mais leurs agricultures ont subi, depuis le début de la transition, une profonde récession, marquée par une diminution de la production de 20 à 40 % selon les cas. Ces pays sont aujourd'hui importateurs nets dans pratiquement tous les secteurs agricoles importants ; par ailleurs, les prix agricoles sont dans ces pays très inférieurs à ceux que garantit la Communauté. Dans ce domaine, il est donc nécessaire de réaliser l'intégration de manière très progressive, en instituant des montants compensatoires d'adhésion qui seraient démantelés sur une dizaine d'années et en ne faisant converger les prix que très lentement. Les disciplines de la PAC devraient en revanche s'appliquer aux nouveaux adhérents afin de ne pas encourager l'apparition d'excédents dans les domaines où l'Union produit déjà des surplus difficilement exportables. Cela suppose que les PECO bénéficient d'aides importantes de la part du FEOGA, tant en ce qui concerne la modernisation des structures qu'en ce qui concerne le développement rural et les mesures agri-environnementales. En revanche, les agriculteurs des PECO ne devraient pas bénéficier des aides directes compensatoires, puisque pour eux les prix ne baisseront pas. Le coût pour l'Union européenne pourrait être de 10 à 15 milliards d'Écus par an.

M. Denis Badré a remercié les chercheurs de l'OFCE pour la clarté de cet exposé synthétique, dont les présupposés ont été nettement indiqués, en particulier le fait qu'il s'agissait d'une approche macro-économique ne préjugeant pas des difficultés sectorielles qui pourraient apparaître. Soulignant que, pour sa part, il ne doutait pas de l'orientation résolue des PECO en direction de l'Union pour des motifs tenant à leurs aspirations économiques, à leur besoin de sécurité et à leur identité culturelle, il a souhaité que les problèmes de leur adhésion soient abordes en dehors des idées reçues. En effet, contrairement à des craintes souvent exprimées lors de la préparation des accords d'association, l'Union dégage régulièrement un excédent dans son commerce avec les PECO ; en particulier, contrairement aux pronostics, les exportations agricoles de la Pologne vers la Communauté ont diminué tandis qu'elles augmentaient en direction de la Communauté des états indépendants (CEI). Il convient à cet égard de garder en mémoire l'exemple de l'adhésion de l'Espagne : la France avait les plus grandes inquiétudes quant aux effets de la concurrence espagnole sur son agriculture ; or, aujourd'hui, la France enregistre un excédent dans ses échanges agricoles avec l'Espagne. De même, l'étude de l'OFCE montre, contrairement à une idée fort répandue, qu'il n'y a pas de contradiction entre les intérêts des PECO et ceux des pays du sud de la Communauté : ces derniers, en réalité, devraient au contraire bénéficier de l'élargissement, l'Italie étant même au sein de l'Union le pays le plus bénéficiaire.

M. Denis Badré a souligné alors l'intérêt de dresser un bilan économique et budgétaire pays par pays. Puis il s'est interrogé sur la situation des PECO vis-à-vis de l'Union économique et monétaire, en exprimant la crainte qu'ils ne réintroduisent dans l'Union une instabilité que les Européens cherchent précisément à supprimer. Il a demandé des précisions quant aux conséquences de l'élargissement sur les pays membres de la CEI et quant à sa compatibilité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en s'inquiétant du risque de voir réapparaître une certaine désunion entre les États membres si les États-Unis demandaient de nouvelles concessions importantes aux Européens en contrepartie de l'intégration des PECO. Il a ensuite évoqué la question de la sûreté nucléaire dans les pays en cause, estimant que la gravité de la situation dans ce domaine appelait une politique concertée avec l'Union européenne.

M. Denis Badré a également abordé les conséquences de l'élargissement sur la politique agricole commune (PAC). La France a été longtemps le seul grand pays agricole de l'Union : ce n'est plus le cas aujourd'hui, l'Allemagne unifiée étant également devenue un grand pays agricole ; demain, avec l'adhésion de la Pologne, l'Union comptera trois grands pays agricoles. La France ne sera plus isolée sur ces questions. L'étude démontre l'importance de la dynamique dans laquelle le développement industriel soutient le développement agricole, et souligne à juste titre la nécessité de ne pas compromettre cette dynamique par une hausse trop rapide des prix agricoles qui mettrait en péril le marché local. Il serait nécessaire d'évaluer plus précisément l'impact de l'élargissement sur les disciplines de la PAC, en particulier le gel des terres et le régime des quotas laitiers : ne peut-on espérer que l'élargissement permettra, au moins dans un premier temps, un assouplissement de ces contraintes ?

Puis, M. Denis Badré s'est interrogé sur l'ampleur des aides structurelles au bénéfice des PECO prévue par l'étude de l'OFCE. Une limitation à 8 % du PIB des pays bénéficiaires paraît peu réaliste ; aucun pays de l'Union ne bénéficie à l'heure actuelle d'une aide d'une telle ampleur, puisque le taux est de l'ordre de 4 % dans le cas du Portugal et de la Grèce. Le risque de gaspillage de l'aide est réel et la prudence s'impose à un moment où l'Union doit renforcer sa crédibilité. Si l'on retient les ordres de grandeur de 10 à 15 milliards d'Écus supplémentaires pour la PAC et de 20 à 25 milliards d'Écus supplémentaires pour les fonds structurels, on arrive à une hausse d'environ 50 % du budget communautaire, c'est-à-dire approximativement à une augmentation de 40 milliards de francs de la contribution française. Il convient pour le moins de s'assurer que les retours dont la France pourrait bénéficier seraient à la mesure d'un tel effort. Par ailleurs, dans cette perspective, il serait opportun d'analyser l'effort que devrait effectuer la Communauté à la lumière d'expériences telles que le plan Marshall ou l'unification allemande.

Enfin, M. Denis Badré a estimé que la Russie et les États-Unis ne resteraient pas inertes dans l'hypothèse d'un tel scénario et a souligné l'intérêt de prévoir l'attitude qu'ils pourraient alors adopter.

M. Jacques Genton, après s'être félicité à son tour des progrès de la convergence franco-allemande dans le domaine agricole, a souligné que la question de la sûreté nucléaire en Europe centrale et orientale avait été examinée de manière très complète par l'office parlementaire des choix technologiques, sur le rapport de M. Henri Revol.

M. Jacques Oudin s'est montré confiant dans les capacités de développement des PECO, estimant que leurs progrès économiques pourraient être plus rapides qu'on ne le prévoit parfois. Il a appelé à la prudence quant au rapprochement entre l'unification allemande et l'intégration des PECO à l'Union, faisant valoir que l'Allemagne avait souhaité agir très rapidement et avait pu mobiliser des moyens considérables. Enfin, il a souligné que l'idée d'une hausse massive du prélèvement communautaire paraissait incompatible avec l'impératif de réduction des déficits publics. Ces déficits constituent la difficulté majeure de nombreux États membres, dont la France, et dans ce contexte le budget européen actuel apparaît déjà très volontariste ; dès lors une hausse de 50 % du prélèvement communautaire ne paraît pas supportable, d'autant qu'on peut s'interroger sur la capacité des PECO à absorber utilement une aide atteignant 8 % de leur PIB. L'exemple de la Corse est là pour montrer que le développement n'est pas toujours fonction de l'ampleur de l'aide : mieux vaudrait, préalablement, se demander quelle augmentation de l'aide peut être efficacement absorbée. Évoquant le débat sur le prélèvement effectué sur les recettes de l'État au titre du budget communautaire, qui s'était déroulé au Sénat le 23 novembre, il a fait valoir la nécessité de procéder à des arbitrages et s'est demandé s'il serait possible de maintenir les aides au profit des pays du sud de l'Union.

M. Denis Badré a déclaré partager les inquiétudes de M. Jacques Oudin au sujet des déficits publics et a estimé que toute augmentation de l'aide devrait être subordonnée à des garanties suffisantes de bonne gestion, et être intégrée à une répartition cohérente entre l'est et le sud de l'Union.

M. Jacques Oudin a jugé nécessaire que soit d'abord déterminé quel niveau global peut atteindre l'effort financier des États membres, et qu'ensuite seulement ce montant soit réparti en dégageant des priorités. Il paraît difficilement concevable que le budget communautaire soit seul épargné par le considérable effort de rigueur que doivent s'imposer les États membres.

En réponse, M. Jacques Le Cacheux a apporté les précisions suivantes :

- le coût budgétaire de l'élargissement doit être apprécié sur la durée : à terme, son impact sur les finances publiques est négligeable en raison du surcoût de croissance qu'il provoque ; on peut donc considérer qu'il s'autofinance en grande partie ; il est cependant souhaitable de déterminer l'impact suivant les pays de l'Union ;

- la capacité d'absorption d'aides structurelles importantes par les PECO peut effectivement susciter des doutes : on ne peut exclure un scénario de type « Mezzogiorno », où l'aide n'a pas eu l'efficacité escomptée ;

- une comparaison de l'élargissement à l'Est avec d'autres expériences (plan Marshall, unification allemande, accord de libre échange nord-américain) sera effectuée dans l'étude définitive de l'OFCE qui sera communiquée au Sénat fin décembre ;

- le risque de tensions internes à l'Union, en cas de difficultés avec les États-Unis au sujet des compensations commerciales à l'élargissement, est indéniable, mais doit être apprécié en tenant compte de la convergence franco-allemande plus grande dans le domaine agricole ;

- l'analyse de la Commission européenne selon laquelle l'intégration des PECO rendrait nécessaire de nouvelles baisses des prix agricoles peut paraître discutable, surtout si l'on considère l'évolution actuelle de ces prix ;

- une partie importante de l'excédent commercial agricole avec les des PECO porte sur les produits à haute valeur ajoutée, dont ces pays sont faiblement producteurs et pour lesquels la demande ira croissant.

M. Bruno Coquet a répondu à son tour aux intervenants en apportant les précisions suivantes :

- la CEI bénéficierait fortement, sur le plan économique, de l'intégration des PECO à l'Union européenne ; cependant, compte tenu des conséquences politiques de cette intégration, il est difficile de prévoir l'attitude de la Russie ;

- l'élargissement à l'Est profiterait à l'Italie ; il ne nuirait pas à la Grèce et à l'Espagne, malgré des spécialisations assez proches de celles des PECO ;

- dans le cas de l'unification allemande, une unification monétaire rapide s'est accompagnée d'un transfert financier considérable, représentant 5 à 6 % du PIB ouest-allemand ; l'effort était proportionnellement six fois plus important que dans le cas du « plan Marshall » ; dans le cas de l'intégration des PECO à l'Union, un effort à hauteur de 0,2 % du PIB suffirait à obtenir des résultats satisfaisants sans peser durablement sur les soldes publics des États de l'Union à Quinze ;

- l'effet de levier des fonds structurels sur le développement des PECO suppose certes des conditions administratives d'efficacité, mais ce type de problème n'entre pas dans le cadre de l'étude confiée à l'OFCE ;

- l'augmentation des déficits publics imputable, dans un premier temps, à l'aide structurelle en faveur des PECO pourrait être neutralisée pour l'appréciation du respect des critères de Maastricht ;

- l'aide est plus efficace que les prêts et répond seule aux besoins des pays d'Europe de l'Est : ainsi, proposer des prêts à l'Ukraine pour l'arrêt définitif de la centrale de Tchernobyl n'est pas une solution adaptée, car elle revient à demander à ce pays en crise profonde d'assumer lui-même la dépense.

M. Jacques Genton, avant de remercier les experts de l'OFCE, a souligné l'importance que revêt pour le Sénat l'efficacité des fonds structurels et a insisté sur le progrès qu'avait constitué la réforme intervenue en 1994, à laquelle le Sénat avait d'ailleurs apporté sa pierre.

B. AUDITION DE M. ALAIN LAMASSOURE, MINISTRE DÉLÉGUÉ AU BUDGET, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT, SUR LES CONSÉQUENCES BUDGÉTAIRES DE L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE AUX PAYS D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE (P.E.C.O.)

M. Alain LAMASSOURE :

« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je suis tout à la fois heureux et honoré de me retrouver parmi vous aujourd'hui. Soyez assurés qu'en tant que ministre délégué au budget je reste à la disposition de votre délégation, comme je l'étais dans mes fonctions antérieures.

« Avant d'en venir au questionnaire que vous m'avez adressé sur les conséquences économiques, budgétaires et financières, telles que l'on peut les prévoir aujourd'hui, de l'entrée des PECO dans l'Union, je voudrais rappeler les quatre principes généraux que le Gouvernement s'est fixé s'agissant des perspectives d'adhésion de ces pays.

« Premièrement, la France est favorable à l'adhésion des PECO à l'Union. Cela a été dit pour la première fois par le conseil européen de Copenhague en juin 1993, et les autorités françaises n'ont cessé de le répéter depuis cette date.

« Deuxièmement, les institutions actuelles de l'Union ne permettent pas d'accueillir aujourd'hui de nouveaux membres. Au moment de la négociation de l'adhésion de l'Autriche et des pays Scandinaves, certains avaient estimé - souvenez-vous des débats que nous avons eus sur ce sujet ici même - qu'il aurait mieux valu commencer d'adapter les institutions avant même cet élargissement. Cela n'a pu être fait, mais il est clair qu'avec entrée de l'Autriche et des pays Scandinaves s'est clos l'élargissement de l'Union sur la base du traité de Maastricht. C'est sur la base du futur traité que devront être négociés les élargissements à venir.

« Troisièmement - c'est un principe que nous avons affirmé dès le début mais qu'il n'est pas inutile de rappeler à chaque occasion - tous les PECO doivent être placés sur la même ligne de départ. Nous n'avons aucun préjugé favorable ou défavorable envers quiconque. Bien entendu, il faudra, le moment venu, quand la négociation sera ouverte, examiner le dossier de chacun de ces pays en fonction des progrès qu'ils auront accomplis dans le rapprochement de leur économie et de leur législation avec l'économie européenne et la législation communautaire. Mais, au départ, tous ont les mêmes chances.

« Quatrièmement, enfin, ce n'est pas parce que les négociations ne pourront commencer qu'une fois clos les travaux de la conférence intergouvernementale et signé un nouveau traité qu'il ne faut pas préparer dès maintenant cette adhésion. Cette préparation concernera certes les pays candidats, mais également l'Union et les États membres.

« Aux pays candidats, il est demandé de préparer un programme d'harmonisation progressive de leur législation interne avec la législation communautaire. Cette harmonisation préalable a considérablement facilité l'entrée de l'Autriche et des pays Scandinaves dans l'Union. Aux États membres et à l'Union, il est demandé de réfléchir dès maintenant aux conséquences de tous ordres qu'entraînera l'élargissement.

« Cet élargissement sera très différent de ceux que nous avons connus depuis le début des années soixante-dix car il va porter sur de nombreux pays. Le nombre des pays membres de l'Union est susceptible, à terme, de doubler. Il va également porter sur des pays qui, à une ou deux exceptions près, sont moyennement ou peu peuplés alors que, jusqu'à présent, le hasard a fait que les élargissements de la C.E.E. n'ont pas modifié l'équilibre initial entre grands, moyens et petits pays. L'équilibre institutionnel sera donc encore compliqué par l'accroissement du nombre de pays peu ou moyennement peuplés.

« Enfin, l'élargissement va porter sur des pays qui ont un niveau de richesse sensiblement inférieur à la moyenne communautaire et dont le revenu par habitant est très inférieur à celui de la Grèce ou du Portugal au moment de leur adhésion.

« Une réflexion sur les conséquences de l'adhésion est nécessaire car il est vraisemblable que certaines des politiques communautaires, en particulier la P.A.C. et les fonds structurels, seront fortement affectées par l'élargissement et devront donc donner lieu à des adaptations. À elles deux ces politiques représenteront, d'ici à 1999, 80 % du budget communautaire.

« En ce qui concerne l'impact de ces politiques, nous sommes livrés à des travaux exploratoires qui n'ont d'autres prétentions que de fournir des ordres de grandeur et complètent les prévisions effectuées par la Commission européenne.

Ainsi, la prise en charge des agricultures des PECO pour la section garantie du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole traduirait par un surcoût minimum de 8,5 milliards d'écus en 2010, si nous nous plaçons dans l'hypothèse où, à cette date, la totalité des PECO aurait adhéré à l'Union et appliquerait pleinement les règles actuelles de la P.A.C. au prix actuel de la P.A.C. Or, il est vraisemblable que des périodes de transition interviendront et que tous n'adhéreront pas en même temps.

« Les prévisions de la Commission européenne nous paraissent optimistes. Elles reposent sur l'hypothèse d'un net ralentissement du rattrapage de la production agricole de ces pays à partir de 1996. En l'an 2000, selon la Commission, c'est-à-dire après presque dix ans de politique libérale, ces pays continueraient d'avoir une production agricole à peine inférieure à ce qu'elle était à la fin de la période communiste. Or, ce niveau a déjà été dépassé en 1989 et 1991. Le taux de croissance moyen de la production agricole dans les PECO, depuis 1992, est supérieur à 7 % par an en moyenne, et rien ne laisse prévoir un tassement rapide de cette croissance.

« Beaucoup d'éléments nous échappent. Un grand nombre de ces pays sont encore en retard en matière de réforme agricole. Une réforme agraire est nécessaire en Pologne, pays qui avait consente tout au long de la période communiste une propriété agricole privée. Les exploitations sont très petites et justifient que la Pologne se lance dans une politique de remembrement comparable à celle que nous avons nous-mêmes entreprise dans les années cinquante et soixante.

« Nous pensons qu'il est plus réaliste de tabler sur un rattrapage rapide de la production agricole et du cheptel dans ces pays. Le taux de croissance global de l'agriculture, de l'industrie et des services est en moyenne de 4 à 5 % par an, ainsi que le confirme l'O.C.D.E. et comme elle le prévoit pour 1996 et 1997. Compte tenu de l'augmentation progressive des aides de l'Union dans le cadre du programme Phare, puis de la préparation des aides de préadhésion et de l'application progressive des mécanismes de la P.A.C., il est vraisemblable que l'augmentation de la production sera plus forte que ne l'a prévu la Commission européenne.

« La direction du budget, qui a tendance à voir les choses en noir, a évalué ces dépenses supplémentaires à 34 milliards d'écus à partir de 2010, soit un doublement du coût actuel de la P.A.C., ce qui est également peu vraisemblable. La fourchette se situe donc entre 8,5 milliards d'écus et 34 milliards d'écus.

« S'agissant des fonds structurels, les évaluations sont plus simples à réaliser puisque ces fonds ne dépendent pas de l'évolution économique ou de prévisions de croissance. Mais les résultats obtenus aboutissent à des ordres de grandeur de même importance.

« Si l'on applique aux futurs adhérents les niveaux d'aide déclenchés par les critères actuels - par exemple, pour être classé en catégorie 1, le pays doit avoir un revenu par habitant représentant moins de 75 % de la moyenne communautaire - il est clair que la majorité de ces pays seront classés en catégorie 1.

« L'application aux « pays de Visegrad », c'est-à-dire aux six pays qui ont les premiers posé leur candidature, du niveau d'aide actuellement consenti au titre de l'objectif 1 aux pays méditerranéens et à l'Irlande, dits pays de la cohésion, représenterait environ 20 milliards d'écus. Cette somme serait doublée si l'on accordait aux dix pays candidats le traitement le plus favorable, toutes actions structurelles confondues, y compris le fonds de cohésion. La menace est donc celle d'un doublement des contributions nationales actuelles, en particulier pour la France, à l'horizon 2010.

« Face à cette situation, que devons-nous faire et qu'avons-nous commencé de faire ?

« Tout d'abord, nous nous efforçons de préciser, à la fois avec les pays candidats et les représentants de la profession agricole, les perspectives économiques et les actions qui peuvent être entreprises pendant la période de préadhésion. Nous réfléchissons aussi aux aménagements de la P.A.C. qui seront rendus nécessaires par cet élargissement, donc par un accroissement de la capacité agricole de l'Union mais aussi par l'entrée dans celle-ci de pays dont la disparité en matière agricole, entre eux, mais plus encore vis-à-vis de l'Union, est très grande.

« Nous devons également réfléchir à l'avenir des fonds structurels. Des réformes importantes seront vraisemblablement nécessaires ainsi que des plafonnements. Nous devons nous livrer à un audit des fonds structurels plus rigoureux que celui qui a été effectué à la fin de ce que l'on a appelé l'application du paquet Delors I.

« L'objet des fonds structurels est d'aider les pays qui ont un niveau de développement sensiblement inférieur à la moyenne communautaire à rattraper le peloton des autres pays européens. Mais si, au terme d'un délai préalablement déterminé, ce retard ne s'est pas comblé, cela signifie que des problèmes de fond se posent que les pays en question ne règlent pas.

« On constate parfois que les fonds structurels sont mieux utilisés dans certains pays que dans d'autres. Jusqu'à présent, nous n'en avons tiré aucune conséquence budgétaire. Nous avons accepté le doublement des fonds structurels durant la période du paquet Delors II, qui faisait suite à un précédent effort de doublement dans la période du paquet Delors I. Il est clair que nous ne pourrons plus continuer de la même manière.

« Enfin, j'en viens aux problèmes monétaires.

« La France s'est engagée à tout mettre en oeuvre pour faire partie des pays qui participeront à l'Union monétaire au 1 er janvier 1999. Au Conseil européen de Madrid, nous avons convaincu nos partenaires qu'il fallait, dès maintenant, réfléchir à ce que seront les règles de fonctionnement de l'Union monétaire à partir de 1999 mais également réfléchir aux règles qui s'appliqueront entre le petit nombre de pays qui participeront à la monnaie unique et ceux qui, tout en appartenant à l'Union européenne, ne pourront pas entrer tout de suite dans l'Union monétaire. C'est un point fondamental.

« Si la mise en place de l'Union monétaire était rapidement suivie de dévaluations compétitives de la part de pays restés à l'extérieur, c'est l'ensemble du marché unique qui volerait en éclats. Nous avons demandé à la Commission européenne de nous faire des propositions sur ce sujet.

« Nous voulons mettre en place une sorte de système monétaire européen rénové, qui garantira la meilleure stabilité des changes possible entre les pays membres de l'Union européenne qui seront à parité fixe et utiliseront la même monnaie et les pays qui, tout en étant membres de l'Union européenne, resteront en dehors de l'Union monétaire proprement dite.

« Or, cela concerne aussi l'élargissement. En effet, parmi les critères que nous serons tout naturellement conduits à définir avec les pays candidats - ils permettront de juger, le moment venu, ceux qui seront le mieux préparés pour nous rejoindre - l'existence d'une monnaie convertible, au sens de la convertibilité externe rattachée à l'euro, constituera évidemment un élément très important.

En même temps, il est souhaitable que les pays candidats commencent dès maintenant à participer à la zone monétaire européenne et que leur monnaie soit gérée dans des conditions telles qu'il ne puisse pas y avoir de dévaluations compétitives. Il s'agit d'un autre sujet de réflexion et de discussion avec eux.

« Tels sont, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, quelques commentaires et éléments de réponse aux questions posées par M. le rapporteur. »

M. Jacques Genton s'est alors interrogé sur les différences considérables entre les évaluations de dépenses agricoles supplémentaires, en se demandant si elles ne correspondaient pas à des différences de même ampleur entre les arrière-pensées.

M. Denis Badré a interrogé le ministre sur les conséquences de l'élargissement quant aux règles que devra appliquer la Communauté pour le commerce agricole international, la « clause de paix » contenue dans les accords de Marrakech venant à échéance en 2003, il s'est demandé si l'augmentation prévisible de la contribution française au budget communautaire pourrait être justifiée, aux yeux de l'opinion française, par le supplément de croissance dont pourrait bénéficier l'Union à quinze en raison du processus d'élargissement. Après avoir demandé au ministre des précisions sur la discipline de change qui pourrait s'appliquer aux PECO, il a suggéré que la réforme des fonds structurels ne se limite pas à un plafonnement, mais se traduise également par une concentration sur le seul objectif I.

M. Xavier de Villepin a interrogé le ministre sur l'ordre d'examen des candidatures, notamment entre celles de Chypre et Malte d'une part et celles des PECO d'autre part. Il a douté que l'Allemagne souhaite, à l'instar de la France, placer tous les PECO sur la même ligne de départ et a estimé qu'elle était tentée de privilégier la candidature des « pays de Visegrad » par rapport à celle des autres PECO. Puis il a demandé quelles sanctions pourraient être envisagées contre de nouvelles dévaluations compétitives.

M. Christian de La Malène a exprimé la crainte que l'élargissement ne s'effectue en ordre dispersé, sans plan d'ensemble, en procédant au fur et à mesure à des arrangements limités au lieu de s'attacher à réaliser préalablement les réformes qui s'imposent concernant la politique agricole, les fonds structurels et les relations monétaires ; il a estimé qu'il serait particulièrement déraisonnable d'étendre les fonds structurels aux PECO sans révision profonde, alors que ces fonds n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.

M. François Lesein a interrogé le ministre à propos des conséquences de l'élargissement à l'Est sur les relations entre l'Union et la Russie.

Mme Danièle Pourtaud a demandé des précisions sur le calendrier de l'élargissement.

M. Denis Badré a souligné que, depuis son unification, l'Allemagne était devenue un important producteur agricole et a espéré que ce phénomène, ainsi que l'adhésion future de la Pologne, sorte la France de son isolement quant à sa conception d'une agriculture européenne présente sur le marché mondial. Par ailleurs, il a mis l'accent sur la nécessité d'une application effective des normes communautaires et du droit de la concurrence par les PECO lorsqu'ils auront adhéré à l'Union.

En réponse, M. Alain Lamassoure a apporté les précisions suivantes :

- l'arrivée à échéance de la « clause de paix » de Marrakech risque effectivement de relancer les controverses euro-américaines, car, d'une part, les États-Unis et sans doute d'autres pays demanderont des compensations à l'élargissement sur la base de l'article XXIV-6 de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), et, d'autre part, les engagements de la Communauté concernant les exportations subventionnées seront difficiles à respecter en raison des quantités très limitées dont disposent les PECO dans le cadre de l'accord de Marrakech ;

- l'application de la politique agricole commune aux PECO devra s'effectuer progressivement, mais il est souhaitable que les disciplines de production soient rapidement mises en place ;

- sur la vocation exportatrice de l'agriculture communautaire, la France continuera sans doute à rester plutôt isolée, l'Allemagne n'ayant guère évolué sur ce point ;

- les fonds structurels doivent être réexaminés à la lumière du principe de subsidiarité ; cependant, le souci de bon emploi des fonds devrait conduire à intensifier les contrôles, particulièrement dans certains pays ;

- les négociations sur l'élargissement ne s'ouvriront qu'après la conclusion de la Conférence de 1996 ; le Conseil européen de Madrid a précisé que les négociations commenceraient six mois après la conclusion de cette Conférence, et que les négociations avec les PECO devraient en principe commencer à la même date ;

- la thèse française d'une égalité de départ entre les candidatures est loin d'être partagée par tous les États membres ; l'Allemagne, notamment, a tendance à donner priorité aux « pays de Visegrad » pour des raisons géopolitiques évidentes.

- les problèmes budgétaires que pourrait poser l'élargissement sont certes inquiétants, mais devraient pouvoir être résolus car la France aura des alliés dans ce domaine, notamment l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. L'enjeu principal n'est pas d'ordre budgétaire ; il est d'ordre institutionnel du côté de l'Union à Quinze, et d'ordre économique du côté des PECO qui auront à supporter le choc d'une concurrence accrue. L'étape de la Conférence intergouvernementale est particulièrement importante car, si les problèmes institutionnels ne reçoivent pas une réponse satisfaisante, l'Union sera paralysée par son élargissement ; en revanche, les problèmes économiques des PECO - dont le PIB cumulé ne représente qu'une faible fraction de celui de l'Union - ne devraient pas être insurmontables ;

- l'harmonisation des législations doit être progressivement réalisée par les PECO durant la phase de préadhésion ; il s'agit là, pour eux, d'un second bouleversement juridique après celui de la sortie du socialisme ;

- des décisions rapides s'imposent sur les problèmes monétaires européens, car la situation actuelle ne peut durer. Les dévaluations qui perturbent le marché unique sont en réalité encouragées par la réglementation agrimonétaire. Lorsqu'un pays laisse sa monnaie se déprécier, il bénéficie non seulement d'un avantage en termes de compétitivité, mais encore, pour ses agriculteurs, d'une augmentation des prix garantis réels et des aides au revenu réelles ; ces règles sont d'autant moins justifiables qu'elles encouragent la formation d'excédents agricoles. Par ailleurs, il paraît anormal que les pays dont la monnaie sort du système monétaire européen (SME) continuent à bénéficier intégralement des aides communautaires. Ces problèmes, qui ne relèvent pas de la Conférence intergouvernementale, doivent être abordés rapidement ;

- le succès de l'élargissement à l'Est passe par le développement d'un partenariat privilégié avec la Russie qui, quant à elle, n'a pas vocation à entrer dans l'Union.

C. EXAMEN DU RAPPORT D'INFORMATION DE M. DENIS BADRÉ, LE 14 FÉVRIER 1996

M. Denis Badré a rappelé que neuf pays associés avaient posé leur candidature à l'adhésion : la Bulgarie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie, et qu'un dixième pays, la Slovénie, poserait sa candidature dès que son association serait acquise, c'est-à-dire en réalité lorsque son contentieux avec l'Italie serait réglé.

Il a estimé que le processus d'élargissement serait progressif, mais devait être préparé dès maintenant. Les pays candidats aspirent à participer à l'entreprise d'unification européenne et à rattraper leur retard économique. Leur intégration contribuera à consolider leur évolution démocratique et favorisera la stabilité du continent ; elle fera passer la population de l'Union de 370 à 476 millions d'habitants. L'adhésion constituera un choc économique considérable pour ces pays, dont la population cumulée représente 28 % de celle de l'Union, mais le PIB cumulé 7 % environ seulement de celui de l'Union. Le processus d'élargissement s'inscrit dans un contexte difficile, marqué par le chômage, la faiblesse de la croissance, la montée de l'euroscepticisme, les incertitudes sur l'évolution de la Communauté des États Indépendants (CEI) ; parallèlement, l'Union va devoir faire face à plusieurs échéances importantes : conférence intergouvernementale, mise en place de la monnaie unique, renégociation des perspectives financières, arrivée à terme, en 2003, de la « clause de paix » des accords de Marrakech. Cependant, le processus d'élargissement est aussi une chance à saisir : comme le plan Marshall le fut pour les États-Unis, il peut être pour l'Union un instrument de stimulation économique et d'accroissement des débouchés. Préalablement à l'adhésion, les PAECO devront en tout état de cause accomplir la mise à niveau nécessaire, notamment en ce qui concerne le respect des normes communautaires. On ne peut préjuger de la rapidité de ce processus, ce qui exclut de faire des discriminations entre les candidatures. Par ailleurs, il convient de bien séparer les approches respectives des différentes échéances de la construction européenne, afin de réduire les risques de blocage.

Puis M. Denis Badré a souligné que le projet de rapport ne concernait que les conséquences économiques générales de l'élargissement et l'impact de celui-ci sur la politique agricole commune et la politique de cohésion, et que ni les problèmes relevant des deuxième et troisième piliers de l'Union, ni les perspectives de la conférence intergouvernementale n'étaient évoqués.

Il a estimé que les analyses prévoyant un doublement du budget communautaire en raison de l'élargissement semblaient en réalité motivées par la volonté de mettre fin à la politique agricole commune et à la politique de cohésion. En réalité, ces analyses surestiment fortement les dépenses supplémentaires requises et négligent les possibilités de réaliser des économies. Par ailleurs, il convient de prendre en compte le marché potentiel important que constituent les PAECO : les exportations de l'Union européenne vers ces pays ont d'ailleurs vivement progressé au cours des dernières années.

Abordant la question de l'extension de la politique agricole commune, M. Denis Badré a mis l'accent sur certaines caractéristiques des agricultures des PAECO : production en baisse d'environ 30 % par rapport à 1989, prix inférieurs à ceux de l'Union, productivité médiocre. Il a souligné qu'une hausse rapide des prix agricoles dans ces pays compromettrait la croissance économique, celle-ci étant largement fondée sur la consommation. Estimant que l'intégration progressive de ces agricultures ne provoquerait pas de difficulté budgétaire majeure à condition que leur restructuration soit engagée dès maintenant et orientée dans le sens du respect des grands équilibres de la politique agricole commune, il a évalué à environ dix milliards d'Écus le coût probable de l'intégration des PAECO dans ce domaine. Puis, il a indiqué qu'une profonde réforme de la politique de cohésion lui paraissait indispensable. Une application aux PAECO des aides structurelles sous leur forme actuelle, a-t-il estimé, aurait un coût excessif et une efficacité incertaine ; ces aides doivent être reconsidérées et recentrées sur la modernisation des infrastructures.

Concluant son propos, M. Denis Badré a déclaré que l'élargissement à l'Est devrait être envisagé avec lucidité et vigilance, mais aussi avec ambition et audace, et que cette perspective pouvait permettre une relance du couple franco-allemand.

Un débat a suivi cet exposé.

M. Jacques Genton, après avoir approuvé les orientations du rapport, a souligné la nécessité d'obtenir l'adhésion de l'opinion publique aux évolutions que va connaître la construction européenne dans les prochaines années. Il a considéré qu'après le rapport de M. Yves Guéna sur la conférence intergouvernementale, le rapport de M. Denis Badré sur l'élargissement permettait d'avoir une vue plus complète de ces évolutions. La délégation dort s'attacher à clarifier les enjeux de manière à favoriser une prise de conscience des choix à effectuer, et par là un débat sur les difficultés effectives.

M. Christian de La Malène, après avoir à son tour apporté son soutien à la démarche du rapporteur, s'est félicité de la décision du Conseil européen, en juin 1993, d'accepter l'élargissement aux pays associés d'Europe centrale et orientale. Il s'est toutefois inquiété des incertitudes pesant sur le coût de cet élargissement, remarquant que les évaluations du rapporteur semblaient plus optimistes que celles que le ministre du budget, M. Alain Lamassoure, avait présentées à la délégation. Il a approuvé la volonté du rapporteur de conserver les principes de la PAC et de faire porter l'effort de réforme vers la politique de cohésion, mais a exprimé la crainte que beaucoup des partenaires de la France ne se prononcent en sens inverse. Les pays actuellement bénéficiaires des fonds structurels, a-t-il estimé, s'opposeront à une réduction au profit des nouveaux adhérents des montants qu'ils perçoivent ; quant à la maîtrise des dépenses supplémentaires provenant de l'extension de la PAC, a-t-il ajouté, les nouveaux adhérents risquent de s'y opposer en réclamant le bénéfice des aides directes compensatoires. Concluant son propos, il a déclaré redouter que, l'élargissement se faisant de manière étalée dans le temps, les problèmes ne soient abordés qu'au coup par coup, sans réformes d'ensemble préalables.

M. Xavier de Villepin a mis l'accent sur les liens étroits entre la conférence intergouvernementale et l'élargissement le succès de la conférence, a-t-il rappelé, est en tout état de cause une condition de l'élargissement. Puis il a estimé que la perspective de l'élargissement allait entraîner une remise en cause de la PAC et de la politique de cohésion. Les pays candidats, a-t-il remarqué, ont un important retard économique à combler et demandent leur adhésion notamment dans le but d'accélérer leur rattrapage : ils vont donc beaucoup solliciter le budget communautaire, alors que dans le même temps les pays contributeurs vont s'attacher à réduire leurs dépenses, conformément à une tendance générale qui s'observe déjà aux États-Unis, commence à gagner l'Europe, et marquera la fin du siècle. Il a conclu en estimant que les États-Unis, loin de considérer la perspective d'une Europe élargie comme une menace pour leur suprématie, semblaient plutôt considérer que cette dernière serait confortée par l'entrée de l'Union européenne dans une longue et difficile période de transition.

M. Jacques Oudin a insisté sur le contexte budgétaire difficile de l'élargissement : tous les grands pays européens, a-t-il remarqué, connaissent d'importants déficits publics qu'ils jugent prioritaire de réduire, si bien que le succès de la renégociation des perspectives financières sera non moins important pour la réussite de l'élargissement, et non moins difficile à obtenir, que le succès de la conférence intergouvernementale. Évoquant une éventuelle réforme de la politique de cohésion, il a estimé que de profonds changements seraient nécessaires, le système actuel s'avérant peu efficace et étant susceptible de susciter des gaspillages voire, dans certaines régions, des détournements au profit du crime organisé. Concluant son rapport, il a souligné la nécessité d'adopter une attitude très stricte sur l'évolution du budget communautaire.

M. Daniel Millaud s'est interrogé au sujet des conséquences de l'élargissement à l'Est sur les territoires d'Outre-Mer, soulignant que ceux-ci ne perçoivent pas de droits de douane sur les produits provenant des pays de l'Union, ce qui entraîne déjà pour eux des pertes de recettes cinq fois supérieures aux versements du Fonds européen de développement. Puis, il a rappelé que le principe de liberté d'établissement s'appliquait aux TOM français, contrairement aux TOM des autres États membres de l'Union. De ce fait , a-t-il remarqué, 106 millions de personnes supplémentaires, lorsque l'élargissement aura eu lieu, recevront le droit de s'établir dans les TOM français : même si un afflux massif est peu probable, cette situation montre à quel point le régime d'association des TOM est désormais inadapté. Le maintien de ce régime alors que l'Europe a changé, a-t-il conclu, crée les conditions d'une nouvelle forme de colonisation des TOM.

M. Pierre Fauchon est tout d'abord revenu sur les contraintes budgétaires. Il a souligné que si les États membres étaient effectivement marqués par la fragilité monétaire et le déficit, en revanche une Europe plus unie n'aurait pas, quant à elle, les mêmes contraintes et pourrait entreprendre des grands travaux transnationaux qui pourraient concourir à relancer la croissance et renforcer la cohésion. Il a souhaité que, d'une manière générale, l'Union privilégie désormais les investissements structurants et réexamine donc en profondeur la politique actuelle de cohésion, qui donne lieu à trop d'opérations inutiles et de fraudes. Enfin, il a estimé que l'Union ne devait pas se lancer dans l'ouverture de l'élargissement sans réformer préalablement son fonctionnement et renforcer sa légitimité.

M. Christian de La Malène a exprimé la crainte que la conférence intergouvernementale n'aboutisse à un médiocre compromis ne permettant pas la mise en place d'un mécanisme de décision efficace, qui serait néanmoins présenté comme un succès ouvrant la voie à l'élargissement.

En réponse, M. Denis Badré a apporté les précisions suivantes :

- la conférence intergouvernementale doit être considérée à la fois comme un préalable à l'élargissement et comme une opportunité, car, en tout état de cause il est nécessaire de doter l'Union d'un fonctionnement plus efficace ;

- le coût budgétaire de l'élargissement ne peut être évalué avec précision, tant les incertitudes sont nombreuses, mais il paraît possible, dans le cadre d'un approfondissement de la PAC et d'une réforme de la politique de cohésion, de limiter la hausse des dépenses agricoles à environ dix milliards d'Écus et celle des dépenses structurelles à environ vingt milliards d'Écus ; pour que de telles hausses, qui restent considérables, ne pèsent pas de manière excessive sur les pays contributeurs nets, il est nécessaire d'en financer une partie par un important effort d'économie sur les dépenses actuelles de la Communauté on pourrait alors obtenir un taux d'augmentation acceptable, compte tenu de la contrepartie constituée par l'ouverture d'un marché potentiellement important ;

- de nouvelles offensives contre la PAC sont effectivement probables ; l'intérêt de la France, dans ces conditions, est certes d'en défendre les principes, mais aussi d'en proposer dès maintenant l'approfondissement, de manière à ôter leur fondement à certaines critiques ; dans le même esprit, la restructuration des agricultures des PAECO doit être entreprise sans attendre et conduite en fonction de la perspective de l'élargissement ;

- un réexamen attentif du budget communautaire est nécessaire dans l'optique de l'élargissement, mais aussi dans celle de la révision des perspectives financières ; il doit conduire à un recentrage des interventions communautaires sur les tâches que seule la Communauté peut accomplir. Plus de dépenses communautaires ne signifie pas « plus d'Europe » ; bien au contraire, on peut avoir « plus d'Europe » avec moins de dépenses communautaires.

À l'issue du débat, la délégation a adopté le projet de rapport d'information.

Le rapport de M. Denis Badré :

Union européenne : les conséquences économiques et

budgétaires de l'élargissement à l'Est

a été publié sous le n° 228 (1995-1996)

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