D. TENIR DAVANTAGE COMPTE DE LA DIVERSITÉ DES ÉTATS MEMBRES

1. Veiller au respect de la diversité linguistique

Le respect de la diversité culturelle et linguistique des États membres de l'Union européenne est un pilier fondateur de l'adhésion de ces États à l'Union européenne et de l'appropriation citoyenne de la construction européenne, reconnu par les dispositions de l'article 3 du traité sur l'Union européenne et de l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

La commission des affaires européennes du Sénat avait à ce propos formulé plusieurs propositions pour une politique européenne plus ambitieuse en matière de patrimoine et de politique culturelle, dans un rapport d'information et une proposition de résolution européenne, qui ont été adoptés à l'unanimité le 1er mars 2022106(*).

A cet égard, le respect de la diversité linguistique revêt une importance particulière.

Le français est ainsi une des langues officielles et figure, avec l'anglais et l'allemand, parmi les langues de travail des institutions européennes.

La diversité linguistique est toutefois de moins en moins respectée au sein des institutions européennes où, sous l'effet des élargissements successifs, et malgré la sortie du Royaume-Uni, un monolinguisme de fait s'installe au profit de la langue anglaise.

Si, en principe, tous les documents doivent faire l'objet d'une traduction dans l'ensemble des 24 langues officielles de l'Union européenne, en pratique, on constate qu'un grand nombre de documents ou de pages web ne sont disponibles uniquement dans leur version anglaise ou sont traduits avec retard.

C'est en particulier souvent le cas des études d'impact ou des divers documents de travail de la Commission européenne.

Ainsi, pour ne prendre qu'un seul exemple, l'étude d'impact qui accompagne la proposition de règlement établissant l'euro numérique du 28 juin 2023107(*) est disponible uniquement en anglais, ce qui est regrettable car beaucoup de désinformation circule sur le projet d'euro numérique.

Les délais de traduction peuvent aussi parfois poser question, à l'image du « paquet pharmaceutique », dont la version anglaise a été publiée en avril 2023, alors que la traduction en français n'a été disponible qu'en septembre 2023.

De même, dans le domaine de la politique culturelle, pour permettre à tous les acteurs culturels concernés de s'approprier pleinement les voies et moyens d'accéder aux programmes et financements européens, il est capital de mettre à leur disposition des documents clairs dans leur langue.

Ainsi, le programme « Europe Creative », géré par la Commission européenne, a été doté, sous la mandature précédente, d'un budget en très forte progression : 2,442 milliards d'euros pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, soit 63 % de plus que le programme sous la précédente législature 2014-2020. Or il a fallu attendre la présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022, et la résolution européenne du Sénat108(*), pour que le guide pratique interactif destiné aux acteurs culturels pour leur permettre de cerner l'adéquation de leurs projets aux critères d'éligibilité soit enfin correctement traduit en français, de manière claire et lisible. Cela a pris plusieurs mois, pendant lesquels les utilisateurs anglophones ont été, de fait, avantagés.

À la suite des résolutions européennes du Sénat sur les programmes de travail de la Commission européenne pour 2023 et 2024, les rapporteurs appellent donc les institutions européennes à veiller davantage au respect de la diversité linguistique et à la place du français, dans le prolongement de l'avis politique109(*) déjà adressé à cet effet par la commission des affaires européennes à la Commission européenne en janvier 2020.

Proposition n° 11 : Veiller au respect de la diversité linguistique au sein des institutions européennes et notamment à la place du français

2. Mieux prendre en compte la spécificité des territoires, notamment ultramarins

Les rapporteurs reconnaissent la nécessité que la législation européenne serve l'intérêt général européen. Ils soulignent, comme le rappelle le Conseil d'État dans sa dernière étude annuelle, que cet intérêt général « ne peut se penser isolément des intérêts nationaux, ni se réduire uniquement à leur somme ».

À cet effet, ils appellent à développer les relations entre les commissaires européens et les parlements nationaux et, au niveau administratif, entre les administrations européennes et nationales, pouvant passer, comme le suggère le Conseil d'État lui-même, par la mise en place d'une obligation de mobilité géographique pour accéder à certaines fonctions.

Ceci doit permettre de mieux prendre en compte, dès l'élaboration des propositions législatives, la grande diversité des situations territoriales à travers l'Union et de prévoir éventuellement, pour y répondre, des possibilités éventuelles d'aménagement local des règles européennes censées s'appliquer uniformément sur tout le territoire de l'Union.

En outre, comme évoqué plus haut, ils insistent sur l'importance de mieux tenir compte de l'impact socio-territorial des propositions élaborées à Bruxelles et de l'intégrer dans les études d'impact.

Par ailleurs, dans sa communication du 3 mai 2022 intitulée « Donner la priorité aux citoyens, assurer une croissance durable et inclusive, libérer le potentiel des régions ultrapériphériques de l'Union », la Commission européenne s'est engagée à mieux mobiliser les possibilités d'adaptation des normes aux régions ultrapériphériques prévues à l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Cet objectif a été réaffirmé par le Conseil dans ses conclusions du 30 novembre 2023 sur l'avenir de la politique de cohésion. Le Conseil invite la Commission à procéder à une analyse systématique de l'impact dans les RUP de toute proposition de norme européenne.

Les rapporteurs appuient cette recommandation et plaident donc pour une forme de « test RUP » au stade de l'élaboration, par la Commission européenne, de ses propositions législatives.

Proposition n° 12 : Inviter la Commission européenne à procéder à une analyse systématique de l'impact territorial de toute proposition législative européenne, notamment pour les régions ultrapériphériques


* 106 Rapport d'information n° 556 (2021-2022) de Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ sur l'Union européenne et le patrimoine, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat et proposition de résolution européenne n° 555 (2021-2022).

* 107 COM (2023) 369 final.

* 108 Résolution européenne n°123, 2022, "pour une politique européenne renforcée au service de l'attractivité des territoires".

* 109 La commission des affaires européennes a adopté un avis politique sur l'usage de la langue française dans les institutions européennes, présenté par Jean BIZET, le 29 janvier 2020 : https://www.senat.fr/fileadmin/import/files/fileadmin/Fichiers/Images/commission/affaires_europeennes/avis_politiques/Avis_politique_usage_langue_FR_VF.pdf.

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