C. LA RÉPARATION ET LA RECONNAISSANCE : UN ÉLÉMENT HISTORIQUE ET CENTRAL DE LA PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS
La réparation et la reconnaissance sont deux pendants essentiels de la prise en charge des blessés de guerre, tendant à démontrer la reconnaissance de la Nation envers ceux qui ont été blessés pour elle.
1. Des dispositifs de reconnaissance réservés aux blessés de guerre
Des mesures de reconnaissance concernent les militaires ayant reçu une blessure de guerre, soit une blessure reçue lors d'un affrontement direct et du fait d'une action délibérée de l'ennemi.
Le militaire ayant une blessure de guerre peut recevoir la médaille des blessés de guerre en témoignage de reconnaissance de la Nation. Cette médaille est attribuée aux militaires atteints d'une blessure de guerre, physique ou psychique, constatée par le service de santé des armées et homologuée par le ministre des Armées.
La carte du combattant, la croix du combattant et le titre de reconnaissance de la nation sont attribués à tout militaire ayant reçu une blessure de guerre.
Les enfants de militaires, blessés du fait d'un évènement de guerre et qui sont dans l'incapacité de pourvoir à leurs obligations, peuvent se voir reconnaitre la qualité de pupille de la Nation.
2. Les pensions militaires d'invalidité, pièce centrale de la politique d'indemnisation des militaires blessés
Comme indiqué supra, les deux dispositifs de réparation, la pension militaire d'invalidité (PMI) et la jurisprudence Brugnot, visent à indemniser monétairement le préjudice subi par les militaires blessés.
Représentant 690 millions d'euros en 2024, les pensions militaires d'invalidité sont de très loin le premier poste de dépense du budget « Anciens combattants » à destination des militaires blessés.
La PMI est due aux militaires souffrant d'une infirmité imputable au service.
Afin de pouvoir bénéficier d'une PMI, le militaire blessé doit en faire la demande. L'indemnisation débute à compter de la date du dépôt de la demande. Pour autant, il n'y a pas de délai formel pour le dépôt. La demande peut être réalisée sous format papier ou électronique.
Le militaire ayant fait une demande de PMI doit prouver que l'infirmité dont il demande l'indemnisation est imputable au service. Dans certains cas l'imputabilité peut être présumée.
À la réception de la demande, le Service des pensions et des risques professionnels (SPRP) du ministère des Armées désigne un médecin expert afin de faire examiner les lésions que présente le demandeur et dont ce dernier demande l'indemnisation.
Après avoir examiné le militaire, le médecin expert élabore un diagnostic clinique et étiologique complet et détaillé des infirmités, donne son avis sur le caractère incurable ou non des infirmités, évalue et propose le taux d'invalidité au regard du guide barème des invalidités annexé au CPMIVG.
Le délai moyen de traitement des PMI était de 217 jours en 2023, soit plus de sept mois. S'agissant d'un délai moyen, certains délais de traitement peuvent être beaucoup plus longs. Par ailleurs, la réalisation d'une expertise médicale réalisée après un certain niveau de stabilisation de la blessure est de nature à créer des délais incompressibles dans le traitement de ces demandes.
Un taux minimal d'infirmité est exigé pour le versement d'une PMI, selon le tableau suivant :
Règles de minimum indemnisable en fonction de la nature de l'infirmité
Nature de l'infirmité |
Minimum indemnisable |
Infirmités résultant de blessures |
10 % |
Infirmité(s) résultant de maladie(s) associée(s) à des infirmités résultant de blessures |
30 % |
Infirmité unique résultant exclusivement de maladie |
30 % |
Infirmités multiples résultant exclusivement de maladie |
40 % |
Par dérogation, infirmités résultant de maladies imputables au service accompli en temps de guerre ou au cours d'une OPEX |
10 % |
Source : ministère des Armées
Si une PMI est concédée à l'issue de la procédure, celle-ci l'est pour trois ans et devient viagère si l'infirmité persiste à l'issue de cette période. S'il s'agit d'une maladie, la PMI est concédée pour une période de 3 ans renouvelable 2 fois et devient viagère si la maladie persiste ensuite. Le renouvellement et la pérennisation des PMI ont été automatisés par le plan blessé et se réalisent désormais automatiquement à l'expiration des périodes de 3 ans (une démarche de la part du blessé était auparavant exigée).
La PMI a pour objet d'indemniser la gêne fonctionnelle et la perte économique causée par la blessure. À ce titre, le nombre de points concédés pour une même blessure varie en fonction du rang du militaire blessé. Dans le cas où une PMI est concédée alors que le militaire blessé est encore en service, cette dernière l'est au grade de soldat, quel que soit le grade du militaire bénéficiant de la PMI. Lorsque le militaire quitte l'institution, le montant de sa pension est revu au niveau de son grade effectif. Cette revalorisation a également été automatisée par le plan blessé lorsque le militaire quitte l'armée. Selon le grade du blessé, l'augmentation de sa PMI peut être substantielle.
Tableau relatif aux revalorisations automatiques,
au taux du grade au 1er janvier 2024, des pensions
militaires d'invalidité (PMI) concédées au taux du soldat,
au titre d'une invalidité de 10 %,
à des militaires
avant leur radiation des cadres ou des contrôles
Grade du pensionné |
Taux du soldat correspondant à un taux d'invalidité de 10 % |
Valeur du point d'indice des PMI
|
Montant mensuel de la PMI au taux du soldat |
Taux du grade (nombre de points de PMI) |
Montant mensuel de la PMI au taux du grade |
Pourcentage d'augmentation entre le taux du grade et le taux du soldat |
Caporal |
48 points de PMI |
15,90 € |
63,60 € |
48,2 |
63,87 € |
0,42 % |
Sergent |
49,5 |
65,59 € |
3,13 % |
|||
Major |
56,4 |
74,73 € |
17,50 % |
|||
Lieutenant |
57,1 |
75,66 € |
18,96 % |
|||
Capitaine |
62,6 |
82,95 € |
30,42 % |
|||
Commandant |
72,4 |
95,93 € |
50,83 % |
|||
Lieutenant-colonel |
78,3 |
103,75 € |
63,13 % |
|||
Colonel |
85,9 |
113,82 € |
78,96 % |
|||
Général de division |
113,6 |
150,52 € |
136,67 % |
Source : ministère des Armées
Depuis 2010, les trois armées sont alignées sur la même échelle, avec des équivalences de grade. Ainsi, un quartier-maître de 2ème classe est, pour l'attribution d'une PMI, équivalent à un caporal et un vice-amiral de 1er échelon est équivalent à un général de division.
Cas des pensions de marine avant 2010
Il existait, avant 2010, une différence du nombre de points d'indice concédés aux militaires selon leur armée d'appartenance : les militaires non-officiers de la marine bénéficiaient de PMI plus importantes à blessure et grade équivalents par rapport aux autres armées.
Le décret n° 2010-473 du 10 mai 2010 relatif à la détermination des indices des pensions et accessoires des pensions alloués aux invalides, aux conjoints survivants et aux orphelins au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre a mis un terme à cette situation en alignant les PMI des autres armées sur celles de la marine.
Ce décret est cependant, comme tout acte réglementaire, soumis au principe de non-rétroactivité et cette harmonisation ne vaut que pour les pensions concédées après son entrée en vigueur. Les pensions des militaires des armées de terre et de l'air ainsi que de la gendarmerie antérieures à ce décret restent indexées sur des indices moins favorables.
Une application rétroactive aux pensions antérieures à 2010 nécessiterait ainsi une loi dont le coût annuel est estimé à 13 millions d'euros.
Source : ministère des Armées
Il est possible pour un militaire de demander une révision à la hausse de sa PMI sans condition de délai (notamment en cas d'apparition de symptômes d'une blessure psychique plusieurs années après sa radiation). A contrario, une PMI devenue définitive ne peut jamais être revue à la baisse.
Depuis le 1er novembre 2019, la contestation d'une décision de PMI (soit du refus de concession, soit du montant de la concession), prend la forme d'un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commission de recours de l'invalidité (CRI).
Ces nouvelles modalités ont permis de faire passer un délai d'instruction qui durait 20 mois en moyenne avant 2019 à 7 mois en moyenne. Il s'agit ainsi d'une amélioration significative même si le délai reste très long.
Depuis sa création, la CRI a transmis 2 650 recours au service des pensions et des risques professionnels dont 531 en 2023, soit, rapporté au nombre de décisions PMI émises par le service depuis le 1er novembre 2019, un taux de recours moyen de 7,4 %.
Sur cette période, le taux de décisions SPRP confirmées par la CRI s'élève en moyenne à 78 %. Le taux de contestation des décisions de la CRI devant les juridictions administratives s'élève à 27 %.
3. Les dispositifs d'indemnisation complémentaires à la PMI permettant une meilleure prise en compte des situations spécifiques
Les dispositifs d'indemnisation complémentaires prennent deux formes. La première est une indemnisation des préjudices non couverts par la PMI, la seconde est une majoration des PMI et retraites des blessés pour prendre en compte la gravité ou les circonstances particulières de la blessure.
a) Une indemnisation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux au titre de la responsabilité sans faute de l'État : la jurisprudence « Brugnot »
L'indemnisation dite « Brugnot » est une indemnisation complémentaire de la blessure issue de la décision Brugnot du Conseil d'État du 1er juillet 2005.
Cette dernière prévoit la réparation, même en l'absence de faute de l'État, des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux certains, nés de l'accident ou de la maladie reconnue imputables au service et non réparés par la PMI (souffrances physiques et psychiques endurées, préjudice esthétique, préjudice d'agrément, etc.). Cette indemnité ne peut être versée qu'après consolidation de la blessure et expertise médicale. Elle est instruite pour le ministère des Armées par la Direction des affaires juridiques et le service du commissariat des armées.
Depuis la mise en oeuvre du plan blessé, cette dernière fait l'objet d'une demande unique commune avec la PMI. Cette demande unique doit être saluée à deux égards. Premièrement, elle allège la charge administrative pesant sur le blessé. Deuxièmement elle limite le non-recours à cette indemnité, certains militaires blessés pouvant ne pas connaitre l'existence de cette indemnité complémentaire ou la confondre avec la PMI.
b) Les majorations de retraite et de PMI pour les plus grands blessés
En cas de blessure particulièrement grave, le blessé pourra bénéficier de majorations prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG).
Ainsi, la pension de retraite attribuée aux militaires mis à la retraite pour infirmité d'un taux au moins égal à 60 % les rendant définitivement incapables d'accomplir leur service ne peut être inférieure à 50 % des émoluments de base et à 80 % pour un blessé de guerre.
Les grands invalides40(*) et les grands mutilés41(*) bénéficient d'allocations spéciales venant majorer leurs PMI, en fonction de la gravité des blessures concernées. Les critères d'attributions et montants de ces allocations spéciales sont définis aux articles R. 131-1 et suivant du code.
Ces dernières peuvent concerner des montants significatifs dans les cas les plus graves. À titre d'exemple, la paraplégie entraine une majoration de 1 464 points de PMI pour les invalides bénéficiaires de la majoration pour tierce personne.
Une majoration pour tierce personne, visant à indemniser la dépendance des blessés, et une majoration pour enfants existent également.
* 40 Définis à l'article L. 131-1 du CPMIVG comme les invalides titulaires d'une pension d'invalidité égale ou supérieure à 85 %, les invalides bénéficiant de la majoration pour tierce personne, amputés d'un membre ou pensionnés pour des affections nommément désignées ou pour des affections atteignant un taux minimal.
* 41 Définis à l'article L. 132-1 du CPMIVG les pensionnés titulaires de la carte du combattant qui, par suite de blessures de guerre ou de blessures en service commandé, y compris à l'occasion de leur participation à des opérations extérieures, sont amputés, aveugles, paraplégiques, blessés crâniens avec épilepsie, équivalents épileptiques ou manifestations post commotionnelles cérébrales graves ainsi que ceux qui, par blessures de guerre ou blessures en service commandé, sont atteints d'une infirmité entraînant à elle seule un pourcentage d'invalidité d'au moins 85 % ou bien d'infirmités multiples atteignant au moins 85 à 100 %(selon le nombre d'infirmité) si l'une de ces infirmités détermine à elle seule un pourcentage d'invalidité d'au moins 60 %.