III. LES INTERVENTIONS DES PARLEMENTAIRES FRANÇAIS DANS LES DÉBATS

Les interventions qui suivent sont présentées selon l'ordre chronologique dans lequel elles ont été prononcées, en fonction de l'ordre du jour adopté et des listes d'orateurs établies par la direction de la séance de l'APCE.

A. DÉBAT CONJOINT : RAPPORTS ENTRE LA MAJORITÉ PARLEMENTAIRE ET L'OPPOSITION DANS UNE DÉMOCRATIE

1. L'intervention de M. Emmanuel Fernandes, porte-parole du groupe GUE

Merci, Monsieur le Président.

La question de la qualité des rapports entre la majorité parlementaire et l'opposition, comme celle des bonnes pratiques en matière de référendum, ces deux questions sont déterminantes pour le degré de vitalité démocratique et le respect des principes de l'État de droit que le Conseil de l'Europe défend et promeut.

Les rapports que nous examinons aujourd'hui sont donc essentiels pour éclairer notre mission comme membres de cette Assemblée et mon groupe, le Groupe pour la gauche unitaire européenne, remercie les rapporteures, Mme Elvira KOVÁCS et Mme Isabel MEIRELLES, pour la pertinence de leurs travaux.

Dans la majorité des États membres de notre institution, on constate une tendance à la désaffection des électrices et électeurs, notamment lorsqu'il s'agit de renouveler leurs parlements. Une proportion croissante des citoyennes et citoyens ne font plus confiance à leurs représentants élus, ni à leurs gouvernants, pas plus qu'aux partis politiques.

Cet affaiblissement démocratique se traduit notamment par une moindre crédibilité des résultats mêmes des élections, une abstention électorale particulièrement importante dans la jeunesse et une montée des partis d'extrême droite dont l'idéologie bafoue certains principes clés de la démocratie, comme l'inclusion des minorités dans le processus de décision.

Afin de trouver des leviers pour renverser cette tendance au délitement démocratique, il est donc essentiel de s'interroger sur l'articulation entre majorité et opposition au sein de nos parlements nationaux. Le parlement représente en effet l'ensemble de la société dans sa diversité d'opinion et doit permettre de relayer, de canaliser cette pluralité, de sorte que la population dans son ensemble se trouve intégrée au processus de délibération démocratique.

Pour éclairer nos États membres qui, à des degrés divers, peuvent tous progresser dans ce domaine, la Commission de Venise a produit une liste de critères à laquelle mon groupe souscrit, concernant les paramètres des rapports entre la majorité parlementaire et l'opposition dans une démocratie basée sur les principes constitutionnels que sont notamment la liberté, le pluralisme, le respect des institutions et la solidarité à l'égard de la société.

Comme député français d'opposition, je ne peux qu'appuyer ces conseils avisés. En effet, dans son avis intérimaire du 13 juin 2023 sur l'article 49.3 de la Constitution française, la Commission de Venise indiquait qu'elle avait mis en garde à plusieurs reprises contre la mentalité du « gagnant prend tout » et le rapport que nous examinons va dans le même sens, précisant que la démocratie moderne ne se résume pas à un simple règne de la majorité. Or, en France par exemple, à plusieurs reprises, la majorité a empêché l'un des groupes minoritaires de présenter au vote un texte demandant l'abrogation du report de l'âge de la retraite à 64 ans, ne serait-ce que de présenter au vote et de pouvoir examiner ce retour à 62 ans, voire à 60 ans. Cette réforme est pourtant massivement rejetée par la population française mais, dans chacune des deux chambres du Parlement, la majorité conteste le droit à l'opposition, ne serait-ce que d'ouvrir le débat sur une remise en cause de cette réforme pourtant très minoritaire dans l'opinion publique.

J'achève en disant que la garantie des droits de l'opposition est donc essentielle, et c'est aussi l'occasion pour mon groupe, le Groupe pour la gauche unitaire européenne, de redire dans cet hémicycle l'urgence de la libération par les autorités turques de l'ancien député Selahattin Demirtaº, incarcéré en 2016 alors qu'il était leader de l'opposition, libération immédiate exigée par la Cour européenne des droits de l'homme depuis 2020. Cette décision contraignante doit être appliquée sans délai par les autorités turques.

Je vous remercie.

2. L'intervention de M. Christian Klinger

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Je remercie nos collègues Mme Elvira KOVÁCS et Mme Isabel MEIRELLES pour les projets de résolution qu'elles nous proposent concernant les droits de l'opposition parlementaire et le Code de bonne conduite en matière référendaire que la Commission de Venise a mis à jour.

Chaque État membre du Conseil de l'Europe a ses propres traditions politiques, notamment s'agissant du recours au référendum que je souhaite plus particulièrement évoquer.

On ne peut évidemment pas les ignorer, sous peine de commettre parfois des contresens, comme cela a pu être le cas s'agissant des mécanismes de parlementarisme rationalisé existant en France, qui sont le fruit d'une histoire politique troublée. En disant cela, je pense en particulier au recours à l'article 49.3 de la Constitution française, qui permet au gouvernement de faire adopter un texte avec les amendements qu'il retient, en engageant sa responsabilité devant l'Assemblée nationale, qui a alors la faculté de voter une éventuelle motion de censure présentée par la ou les oppositions.

S'agissant du référendum, on ne peut que constater la différence d'approche existant en Europe, entre les votations populaires très fréquentes organisées en Suisse ou le caractère très exceptionnel du recours au référendum au Royaume-Uni. En France, le référendum avait clairement un caractère plébiscitaire au début de la Vème République. Il l'a aujourd'hui largement perdu mais il est redevenu récemment un sujet de débat politique intense.

Ce n'est pas le processus de révision de la Constitution qui soulève des débats : la Constitution prévoit qu'une fois que les deux chambres du Parlement ont adopté dans les mêmes termes un projet de loi de révision constitutionnelle, il peut être indifféremment adopté par la voie du référendum ou par la voie du Congrès, à une majorité qualifiée des trois cinquièmes.

Ce qui fait débat aujourd'hui, c'est la capacité de recourir au référendum pour modifier la législation dans les limites constitutionnelles en vigueur, mais aussi la capacité qu'ont la société civile et les oppositions d'utiliser la voie référendaire pour impulser des réformes politiques.

Nous avons mis en place en France une possibilité de référendum d'initiative partagée, qui permet à un cinquième des membres du Parlement, dès lors qu'il obtient le soutien d'un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, de déclencher un référendum. Réussir à mobiliser un dixième des électeurs inscrits est, en soi, un véritable défi.

Mais encore faut-il que les réformes proposées respectent les normes constitutionnelles en vigueur. Or, il arrive parfois que les Cours constitutionnelles aient des visions très dynamiques et restrictives, qui ne vont pas dans le sens d'une véritable liberté parlementaire. Ce sujet du rôle des Cours constitutionnelles et de l'interprétation prétorienne créative qu'elles font des normes constitutionnelles mériterait à mon sens un travail spécifique de notre part. Quand une Cour constitutionnelle en arrive à bloquer toute initiative politique sur des sujets pourtant attendus par la population, quand elle en arrive à aller à l'encontre de l'esprit du constituant, cela me paraît dangereux pour la démocratie.

Sous cette réserve, je voterai les résolutions qui nous sont proposées.

3. L'intervention de Mme Marietta Karamanli

Discours non-prononcé mais annexé au compte rendu officiel.

Le rapport dont nous discutons cet après-midi est important car il vise d'une part toutes les démocraties même si certaines sont plus fragiles que d'autres et d'autre part les critères permettant de faire vivre pleinement la démocratie parlementaire.

Je remercie notre collègue Mme Elvira KOVÁCS, rapporteure, d'avoir bien voulu rapporter sur un sujet sensible et fondamental.

En l'espèce il s'agit de donner aux oppositions et minorités un statut leur permettant de jouer leur rôle indispensable.

La commission de Venise a établi des critères permettant de faire vivre ce statut et il nous est proposé de nous les approprier.

Notre Assemblée entend diffuser ces critères aux parlements nationaux et de s'en saisir pour son propre fonctionnement.

Les sujets sont nombreux : représentation proportionnelle dans les instances, participation aux organes et commission, temps de parole, ordre du jour, contrôle y compris par la saisine de la Cour ou de l'organe constitutionnel chargés de vérifier la conformité des lois aux textes fondamentaux.

Tout ce qui y figure est donc important et pertinent.

J'insisterai particulièrement sur les responsabilités à donner et reconnaître aux parlementaires de l'opposition et des minorités en matière de vote des lois de finances et de contrôle de l'exécution budgétaire.

Il s'agit là de renforcer une compétence historique des parlements pour s'assurer que le budget est sincère, que les dépenses sont exécutées conformément au texte original...

Le droit d'accès aux documents budgétaires et financiers aux députés n'appartenant pas aux groupes soutenant l'exécutif, le droit de vérification sur place et sur pièces donné aux mêmes représentants, le droit de saisir directement et sous conditions les organes de contrôle budgétaire et financier de l'État, le droit de demander et de participer aux évaluations de politiques publiques me semblent devoir être évoqués et déclinés.

Ils doivent être explicités car la mission initiale des parlements en matière de consentement à l'impôt est toujours d'actualité et l'enjeu de la dépense examiné à l'aune de l'efficacité et de l'équité.

Évidemment je souscris aux recommandations et je souhaite qu'en matière budgétaire et financière les critères puissent être explicités adaptés et, de la sorte, modernisés.

Merci de votre attention.

4. Intervention de M. François Bonneau

Discours non-prononcé mais annexé au compte rendu officiel.

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Je voudrais commencer par féliciter nos collègues Elvira Kovacs et Isabel Meirelles pour leurs rapports, qui abordent des points importants sur les modalités de mise en oeuvre d'un cadre démocratique solide.

En 2019, la Commission de Venise a établi une liste de paramètres à respecter pour organiser les droits de l'opposition parlementaire dans une démocratie.

Cette réflexion fait suite à un constat inquiétant. En effet, dans un nombre croissant de pays se développe l'idée selon laquelle la démocratie consiste à pouvoir désigner une majorité, ce qui accentue la mainmise des vainqueurs politiques sur l'État.

Bien sûr, la désignation d'une majorité et la possibilité d'en changer par les urnes sont un élément essentiel d'une démocratie et je crois, pour ma part, aux bienfaits d'une majorité qui a la capacité de gouverner, qu'elle dispose d'une majorité absolue ou qu'elle soit le fruit d'alliances, en fonction de nos traditions politiques nationales.

Mais dégager une majorité ne signifie pas écraser les groupes politiques minoritaires ni les priver de tout droit. J'observe tout d'abord que le bicamérisme peut être l'occasion d'avoir un débat parlementaire plus riche. C'est le cas en France où les députés sont directement élus par le peuple tandis que les sénateurs sont élus au suffrage indirect par les délégués des conseils municipaux. C'est un point qui n'est pas abordé dans le rapport mais qui peut répondre à certains enjeux, en fonction de nos équilibres politiques nationaux.

Je partage par ailleurs l'analyse de la Commission de Venise selon laquelle l'établissement de droits de l'opposition peut contribuer à une meilleure gouvernance et à un contrôle plus efficace du gouvernement.

Nous en avons fait l'expérience en France avec la révision constitutionnelle votée en 2008, qui a accordé à l'opposition au sein de chaque assemblée le droit de présider la commission des finances, le président de cette commission disposant de pouvoirs de contrôle très étendus. Chaque groupe politique a également le droit, une fois par an, de demander la création d'une commission d'enquête ou une mission d'information pour approfondir un sujet et contrôler le gouvernement. De même, les groupes politiques disposent d'espaces réservés et sont donc régulièrement en capacité d'inscrire des textes ou des débats à l'ordre du jour. Ce sont quelques exemples mais ils me paraissent à la fois importants et correspondre pleinement aux critères de la Commission de Venise.

Je voterai les résolutions qui nous sont soumises.

5. L'intervention de M. Didier Marie

Discours non-prononcé mais annexé au compte rendu officiel.

Je remercie nos collègues pour leurs rapports qui mettent en valeur les travaux de la commission de Venise.

Je suis convaincu que dans une démocratie solide, la majorité doit avoir la capacité de mettre en oeuvre son projet politique, dans le respect de la Constitution et des droits de l'homme. Mais les oppositions ont également des droits qu'elles doivent pouvoir exercer pleinement. Il n'est pas de réelle démocratie sans contre-pouvoirs efficaces !

Depuis 2008, la Constitution française reconnaît ainsi des droits aux groupes minoritaires et d'opposition, notamment des droits de tirage annuels de commissions d'enquête ou de missions d'information, mais aussi des fenêtres réservées dans l'ordre du jour de chaque assemblée.

La présidence de la commission des finances revient également à un membre de l'opposition qui dispose ainsi de pouvoirs étendus. Ces réformes contribuent à la vitalité de la démocratie et pourraient inspirer d'autres États.

Le constituant a également voulu redynamiser l'usage du référendum, en créant un référendum d'initiative partagé, qu'un cinquième des membres du Parlement peut déclencher, sous réserve d'obtenir le soutien d'un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.

Je défends la démocratie parlementaire et suis réservé sur l'usage du référendum lorsqu'il a vocation à permettre à un exécutif de contourner le Parlement. Nous avons connu par le passé des formes de plébiscite. Cela ne me paraît pas sain : la population est souvent tentée de se prononcer, non pas sur le sujet posé, mais pour ou contre l'auteur du référendum. L'expérience britannique sur le Brexit nous a également rappelé la difficulté d'un débat référendaire.

En revanche, je crois que le référendum d'initiative partagé peut avoir une vertu s'il permet aux oppositions, relayant la société civile, de mettre à l'agenda politique un sujet d'intérêt majeur. Encore faudrait-il alléger la procédure qui s'apparente à un concours de saut d'obstacles.

Ainsi, l'opposition au gouvernement français avait proposé un référendum d'initiative partagé sur la privatisation d'Aéroports de Paris, enjeu important de gestion du patrimoine de l'État, d'indépendance stratégique et de conséquences économiques. La procédure n'a pu aboutir mais la mobilisation populaire a été telle, avec plus d'un million de signataires, que le gouvernement a renoncé à son projet de réforme.

Dans ce cas, sous réserve de respecter les normes constitutionnelles, dont les droits de l'homme, l'usage du référendum peut s'avérer utile pour la vitalité d'une démocratie, pour conforter l'opposition ou les oppositions, et non pour les contourner ou les affaiblir.

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