B. LA GESTION DES PERSONNELS ADMINISTRATIFS, SYMPTÔME D'UNE POLITIQUE MINISTÉRIELLE DES RESSOURCES HUMAINES À AMÉLIORER

1. Un pilotage des ressources humaines centré sur les enseignants
a) Une gestion des carrières des personnels administratifs peu individualisée

Dans l'organisation des rectorats, les services chargés de la gestion des personnels administratifs sont généralement confondus avec ceux chargés des personnels de direction, c'est-à-dire les principaux, proviseurs et leurs adjoints, ainsi que des personnels d'inspection. Moins nombreux et moins identifiés, les personnels administratifs font peu l'objet d'une gestion individualisée. Ainsi, les secrétaires généraux d'académies entendus par le rapporteur spécial reconnaissent les limites de leur gestion, indiquant « ne pas être en mesure d'accorder aux agents la considération attendue d'un employeur »44(*), faute de moyens suffisants. À titre d'exemple, le service gérant les 3 299 personnels administratifs de l'académie de Créteil comportait 15 agents, dont 12 gestionnaires s'occupant uniquement de la paie et 3 des actes liés à la carrière des personnels (mutations et avancement essentiellement).

S'agissant de l'exemple des mutations, les mobilités sont rendues d'autant plus complexes que les académies sont très différemment attractives, ce qui est commun à l'ensemble de la fonction publique, mais également qu'elles offrent des niveaux de rémunération inégaux. En conséquence, les académies les plus attractives (Aix-Marseille notamment) se contentent de leur propre vivier de recrutement et recrutent peu de personnels extérieurs à leur académie. A contrario, les académies franciliennes voient leurs difficultés de recrutement croître annuellement.

Ainsi, les mouvements interacadémiques des personnels administratifs sont de moins en moins fluides et de plus en plus fragmentés. Le nombre de mutations obtenues par les personnels administratifs de catégorie A a été quasiment divisé par deux en trois ans, du fait d'une baisse du nombre de mutations liées à une diminution du nombre de postes ouverts dans les académies les plus demandées. Le taux de satisfaction des mutations est relativement stable entre 2019 et 2022 pour les catégories A et B, malgré une forte baisse entre 2021 et 2022.

Synthèse des opérations de mutation des personnels administratifs
entre 2019 et 2022

(en nombre de postes et en %)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'Éducation nationale

S'agissant des autres dispositifs de gestion des carrières, leur place reste anecdotique. Pour 22 académies, seuls 293 personnels administratifs, santé et social ont mobilisé sur l'année scolaire 2021-2022 leur compte personnel de formation (CPF). Pire encore, seuls 61 personnels ont bénéficié d'un congé personnel de formation.

Alors que les personnels administratifs sont en majorité des gestionnaires des ressources humaines pour le 1,2 million de personnels du ministère, le travail qualitatif attendu de ces personnels s'applique peu à leur propre filière.

b) Une gestion « RH de proximité » bénéficiant essentiellement aux enseignants

Depuis 2019, le ministère tente de mettre en place une gestion des ressources humaines (GRH) de proximité45(*). L'objectif de cette réforme est de densifier les liens entre les agents du ministère et les services des ressources humaines en rectorat et en centrale. D'après le ministère, cette politique d'accompagnement personnalisé s'adresse à l'ensemble des personnels, y compris les personnels administratifs.

Si le dispositif est ambitieux sur le papier, dans un ministère où la gestion des ressources humaines est rendue complexe par la masse des personnels en jeu, la création des 350 conseillers RH de proximité pour 1,2 million de personnels n'a cependant pas permis une transformation en profondeur, d'autant plus qu'elle a été effectuée à moyens constants.

Les conseillers RH de proximité n'exercent pas de compétences en matière de gestion des carrières (avancements, promotions, etc.) ni en matière d'intervention sociale. D'après une enquête menée en 2021-2022 par la DGRH, les personnels administratifs représentent 13 % des sollicitations auprès des conseillers RH de proximité, dont la plupart pour des reconversions professionnelles.

Ces données sont cohérentes avec celles de l'enquête menée par Georges Fotinos et José Mario Horenstein46(*), indiquant qu'en 2022, 82 % des répondants n'avaient pas fait appel à la GRH de proximité au cours de l'année passée. Lors de son audition, la direction des ressources humaines a indiqué que, du fait de leur faible nombre, les conseillers RH de proximité sont dans les faits davantage mobilisés pour les personnels les plus en difficulté, détournant ainsi l'objectif initial d'un accompagnement de qualité à destination de l'ensemble des personnels.

2. Face à la complexification des missions, l'indispensable amélioration de la formation continue

Les différents rapports de la commission des finances47(*) ont mis en avant l'insuffisance de la formation continue des enseignants. Ce constat est également valable pour les personnels administratifs du ministère.

D'un point de vue quantitatif, le nombre de jours de formation des personnels administratifs est inférieur à celui des enseignants dans de nombreuses académies : 8,4 % des premiers ont suivi une formation dans l'année contre 75 % pour les seconds dans l'académie de Versailles, 34 % contre 80 % dans l'académie d'Aix-Marseille48(*). Au niveau national, 29 % des personnels administratifs ont assisté à une formation en 2023. Cette proportion est globalement stable aux cours des dernières années, exception faite de la crise sanitaire. En proportion de leur population, les agents des catégories A et B sont davantage formés que les agents de catégorie C.

Accès des personnels administratifs à la formation continue de 2018 à 2023

(en nombre de personnes ayant assisté à une formation)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'Éducation nationale (enquête nationale DGESCO)

Comme souvent s'agissant de formation continue, celle-ci se concentre, outre les prises de postes, sur certains personnels volontaires, d'autres n'étant pas ou très peu concernés par l'accès à la formation. D'après les études précédemment mentionnées menées auprès des personnels par Georges Fotinos et José Mario Horenstein, près d'un quart (23 %) des personnels ont déclaré n'avoir suivi aucune formation au cours des cinq dernières années. 36 % ont déclaré avoir suivi une à deux formations sur la même période et environ un quart (23 %) plus de deux formations.

Sur le plan qualitatif, c'est-à-dire s'agissant de la qualité et du contenu des formations, 32 % des personnels, aux termes de cette même enquête, considèrent que la formation n'est pas adaptée au métier. D'après la DEPP49(*), la formation continue constitue l'un des domaines à améliorer prioritairement pour 23 % des agents de catégorie A et pour 15 % des agents des catégories B et C.

En outre, les formations restent axées sur la prise de poste, mais demeurent largement inférieures à celles mises en place par d'autres ministères. Ainsi, les agents comptables (en catégorie C) bénéficient-ils dans l'académie de Nancy de quatre jours de formation lors de leur prise de poste, contre quinze jours de formation pour les agents ayant un poste équivalent à la direction départementale des finances publiques.

Les difficultés actuelles liées aux systèmes d'information (RenoiRH et Op@le en particulier) mettent au jour, outre la nécessité d'une formation renforcée sur la prise en main des outils, un besoin plus large de formation sur le contenu même des emplois. À titre d'exemple, les reproches faits à Op@le sont parfois liés au fait que le logiciel ne permet plus de prendre les mêmes souplesses qu'auparavant avec les règles de la comptabilité publique, de sorte que, pour être efficace, la formation à l'outil doit être cumulée avec des formations « métiers » juridiques.

En outre, les grandes priorités du ministère, en particulier en matière de lutte contre le harcèlement ou de laïcité, impliquent de former à grande échelle et rapidement les agents administratifs, en particulier ceux présents en établissements scolaires.

Lors de l'audition de la DGRH, les représentants du ministère ont reconnu le caractère « très disparate » de la formation continue, notamment du fait de la priorisation des moyens de formation pour les personnels non enseignants de certaines académies vers les personnels de direction (proviseurs, principaux et leurs adjoints). Le ministère semble être conscient des difficultés : « un sondage mené par la DGRH sur le pilotage de la formation de cette filière, les profils des formateurs et leur formation, a confirmé une hétérogénéité du pilotage ainsi que la nécessité de professionnaliser la filière et les formateurs50(*) ».

Pour tenter de répondre à ces critiques, les enjeux de formation continue ont été inclus dans les réflexions sur le plan de requalification de la filière administrative de 2021. Désormais, chaque plan académique de formation déployé dans les écoles académiques de la formation continue (EAFC) doit comporter un volet dédié aux personnels administratifs.

L'intégration des personnels administratifs dans les plans académiques
de la formation continue

Chaque académie a désigné un référent qui a en charge de concevoir et mettre en oeuvre le plan de formation des personnels administratifs. Ce référent est de préférence un binôme, qui doit porter une vision stratégique de la formation, bien connaître les métiers de la filière administrative et disposer de compétences en ingénierie de formation. Ces référents constitueront à terme un réseau national.

Sous l'impulsion de la DGRH, ils participent depuis mai 2023 à la formation « Concevoir le plan de formation de la filière administrative », proposée par l'institut des hautes études de l'éducation et de la formation (IH2EF). Cette action doit se poursuivre jusqu'à l'été 2024. Il s'agit d'une formation action qui a pour objectif de permettre aux binômes de construire en une année un plan de formation élaboré.

Source : DGRH

Si cela constitue un progrès, la prise en compte des agents administratifs dans les plans académiques de formation ne saurait constituer l'intégralité de la réponse du ministère. En particulier, les réponses transmises par la DGRH montrent que l'ensemble des formations spécifiques se centrent sur la formation à la prise de poste : « Il s'agit en premier lieu de former l'ensemble des nouveaux collaborateurs, titulaires ou contractuels recrutés pour exercer des emplois permanents. [...] Le second volet concerne la formation aux futures fonctions exercées des nouveaux arrivants ». Une attention spécifique est également portée sur les personnels contractuels. Mais peu d'efforts sont accordés à l'heure actuelle au développement des compétences et de formations métiers qualitatives. Les formations d'initiative locale (FIL), c'est-à-dire demandées par les personnels à l'échelle d'un établissement ou d'un bassin scolaire, commencent à se développer y compris pour les personnels administratifs. Le rapporteur spécial estime qu'il est indispensable d'aller plus loin sur cet aspect, afin de partir des besoins du terrain dans la construction des formations, premier pas indispensable à la mise en place de formations de qualité.

Pour ce faire, il est indispensable d'accroître le vivier de formateurs, dans la mesure où leur manque est fréquemment souligné. Afin de valoriser l'action des personnels référents et formateurs, le ministère pourrait engager une réflexion sur la mise en place d'une certification spécifique. À l'heure actuelle, les formateurs administratifs ne peuvent être certifiés, contrairement aux enseignants formateurs qui bénéficient de certifications spécifiques. Il serait opportun de réfléchir à la mise en place d'une certification spécifique.

Enfin, les aspects tenant à la formation continue s'inscrivent dans l'enjeu plus général de professionnalisation de la gestion des ressources humaines du ministère. Comme sur bien des sujets propres au ministère de l'Éducation nationale, l'enjeu est de passer d'un pilotage quantitatif, par grandes masses, à une gestion plus fine et davantage adaptée aux agents.

Recommandation n° 10 : renforcer le cadre effectif d'accès des personnels administratifs à la formation continue tout au long de leur carrière, notamment par le développement de formations d'initiative locale (DGRH)


* 44 Académie de Créteil.

* 45 Circulaire n° 2019-105 du 17 juillet 2019.

* 46 Georges FOTINOS et José Mario HORENSTEIN, Les personnels d'administration, les invisibles du système éducatif, 2022.

* 47 Réveiller la formation continue des enseignants, rapport d'information n° 869 (2022-2023), M. Gérard LONGUET, juillet 2023.

* 48 Audition des secrétaires généraux d'académie.

* 49 DEPP, Baromètre du bien-être au travail des personnels de l'éducation nationale, printemps 2023.

* 50 Réponses du ministère de l'Éducation nationale au questionnaire du rapporteur spécial.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page