I. DÉBAT CONJOINT : LA LUTTE CONTRE LES SLAPP : UN IMPÉRATIF POUR UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE - GARANTIR LA LIBERTÉ DES MÉDIAS ET LA SÉCURITÉ DES JOURNALISTES : UNE OBLIGATION DES ÉTATS MEMBRES

L'intervention de Mme Anne Stambach-Terrenoir, au nom du groupe GUE

Merci, Monsieur le Président.

Tout d'abord, je veux saluer au nom de mon groupe la qualité et l'importance du travail de MM. les rapporteurs.

L'article 10 de notre Convention européenne des droits de l'homme consacre le droit à la liberté d'expression.

Or, vos rapports en attestent : ce droit fondamental est en recul aujourd'hui. Le nombre d'alertes enregistrées par la Plateforme du Conseil de l'Europe pour la protection du journalisme a plus que doublé en huit ans. La coalition contre les SLAPPS en Europe a recensé, elle, une augmentation de plus de 43,5 % du nombre de procédures-bâillons depuis 2010, et aucun pays n'y échappe.

Derrière ces chiffres, ce sont des êtres humains qui sont menacés, qui vivent dans la peur, qui sont privés de leurs droits fondamentaux et de la liberté d'informer, de nous informer.

Chers Collègues,

Ces deux rapports doivent sonner comme une alarme dans cette Assemblée.

Depuis quelques années, les conflits se multiplient autour de nous. Or, on le dit souvent, la première victime des guerres est la vérité : journalistes et médias indépendants deviennent alors des cibles.

L'instabilité provoquée par ce contexte géopolitique sert aussi d'alibi à certains gouvernements pour verrouiller l'exercice des libertés fondamentales. En Türkiye par exemple, des journalistes, responsables politiques et avocats sont régulièrement enfermés dans le but de les faire taire.

Fin 2023, 132 journalistes étaient en détention en Europe. Et nous pensons évidemment à Julien Assange, enfermé depuis bientôt cinq ans dans une prison de haute sécurité au Royaume-Uni, et dont la possible extradition aux États-Unis produirait, selon la Commissaire aux droits de l'homme, « un effet dissuasif sur la liberté des médias ».

Nous atteignons d'autre part des records d'inégalités dans le monde et en Europe : selon l'ONG Oxfam, les 10 hommes les plus fortunés au monde détiennent plus de richesses que 3,1 milliards de personnes sur cette planète.

Ainsi, les plus grandes fortunes peuvent constituer de vrais pôles de pouvoir et selon votre rapport, Monsieur Schennach, les premiers instigateurs de procédures-bâillons sont, pour plus de 40 %, des entreprises privées d'hommes d'affaires.

Vous citez par exemple le multimilliardaire Bolloré, dirigeant du groupe du même nom, qui a engagé plus de 20 poursuites en diffamation contre des avocats, des journalistes, des ONG qui enquêtaient sur des allégations d'atteinte aux droits humains.

Eh bien typiquement, le groupe Bolloré est le symbole de l'ingérence financière dans le débat public en France, pays dans lequel neuf milliardaires, dont M. Bolloré, possèdent 90 % des médias, ce qui influe directement sur les lignes éditoriales, entraînant a minima l'autocensure des journalistes.

Les poursuites-bâillons et les menaces, qu'elles viennent de puissances publiques ou économiques et financières, visent toutes le même but : intimider et faire taire ceux qui souhaitent rendre compte d'une question d'intérêt public.

Il nous faut agir.

Vos deux rapports, Messieurs, soulignent le non-respect des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Ce n'est pas acceptable. Les États membres doivent adopter des mesures pour leur exécution pleine et entière.

Il nous faut oeuvrer contre la concentration des médias, pour garantir la pluralité de l'information et la possibilité de discours indépendants et critiques dans nos pays.

Il faut s'attaquer également à la corruption, dans le domaine médiatique comme judiciaire.

Et les États membres du Conseil de l'Europe doivent harmoniser leurs normes qui protègent le droit à un procès équitable et la liberté d'expression, afin d'éviter que des personnes mal intentionnées et puissantes puissent jouer des différentes législations.

Enfin, nous espérons que notre nouveau Commissaire aux droits de l'homme mettra la question de la liberté d'expression en haut de sa liste de priorités et travaillera étroitement avec les autres institutions du Conseil de l'Europe pour faire avancer les choses.

Collègues, à nous aussi de nous saisir de ces résolutions pour agir dans nos parlements respectifs car, je cite ici M. le rapporteur Jensen : « La liberté des médias est un bien public ».

Je vous remercie.

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