B. LA PROPOSITION DE CRÉATION D'UN ORGANISME ÉTHIQUE INTERINSTITUTIONNEL
1. Une promesse et une nécessité pour l'Union européenne
Promise en 2019 par la Commission européenne, la création d'un organisme éthique européen est demeurée au stade de la réflexion jusqu'en 2023. Le Parlement européen, à plusieurs reprises, avait pourtant appelé à un renforcement de la transparence et de l'intégrité des institutions européennes106(*).
Les révélations de la presse sur le scandale du « Qatargate », en décembre 2022, les enquêtes de la Médiatrice européenne et la perspective des élections européennes, ont incité la Commission européenne à proposer une réforme tendant à instituer un organe d'éthique européen, le 8 juin 2023.
En pratique, cette réforme affirme tirer les leçons de la situation actuelle qui mêle à la fois des lacunes préoccupantes des institutions européennes en matière éthique, relevées en particulier dans le rapport spécial de la Cour des comptes de l'Union européenne n°13/2019 précité, et des divergences de règles éthiques entre institutions, faute d'un cadre commun et d'un contrôle applicable à toutes.
2. Un organisme « à ambition limitée »
Comme le rappelle la communication présentant le projet d'accord interinstitutionnel, si, à l'heure actuelle, le personnel des institutions européennes « est soumis à des obligations éthiques détaillées établies par le législateur au titre II du statut du personnel de l'UE, adopté sur la base de l'article 336 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (traité FUE), il n'existe à ce jour pas de normes éthiques minimales communes pour les membres ni de mécanismes formels d'élaboration, de coordination ou d'échange de vues entre les institutions en ce qui concerne les normes éthiques que leurs membres sont censés respecter ».107(*)
En effet, la plupart des institutions européennes ont instauré des normes déontologiques applicables à leurs membres en modifiant leur règlement intérieur ou en instituant un code de conduite à vocation exclusivement interne.
L'organe d'éthique européen qui doit remédier à cette faiblesse serait institué par un accord interinstitutionnel, applicable au Conseil européen, au Conseil, au Parlement européen, à la Commission européenne, à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), à la Banque centrale européenne (BCE), à la Cour des comptes de l'Union européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions, et, si elle en manifeste le souhait, à la Banque européenne d'investissement (BEI).
En pratique, il serait composé d'un représentant titulaire et d'un suppléant par institution et organe participants, ainsi que de cinq experts indépendants ayant statut d'observateurs, désignés d'un commun accord par les parties. Sa présidence serait assurée par rotation par chaque institution ou organe participant, pour une durée d'un an. Son secrétariat serait composé des chefs d'unité en charge des règles éthiques dans les institutions et organes concernés. Il serait hébergé dans les locaux de la Commission européenne.
Le choix d'un accord interinstitutionnel, qui a déjà été effectué pour autoriser l'Office européenne de lutte antifraude (OLAF) à procéder à des enquêtes internes dans les institutions et organes de l'Union européenne108(*) et pour mettre en place un registre de transparence obligatoire commun au Conseil, au Parlement européen et à la Commission européenne109(*), a le mérite pour ses auteurs de faciliter et accélérer la mise en oeuvre de la coopération interinstitutionnelle nécessaire et de répondre au souci de chaque institution de conserver son autonomie de décision en matière éthique. Ce postulat est pourtant contestable. Vos rapporteurs y reviendront ultérieurement.
Aux termes de la proposition, l'organe d'éthique de l'Union européenne aurait pour principales missions :
- de promouvoir une culture commune de l'éthique et de la transparence ;
- d'établir et de mettre à jour des lignes directrices minimales communes en matière d'éthique110(*). Ces lignes directrices, adoptées par consensus, seraient applicables aux membres des institutions européennes précitées, mais pas à leurs fonctionnaires. Ces derniers en seraient en effet exemptés, leur activité étant déjà régie par le statut de la fonction publique de l'Union européenne ;
- de permettre des échanges de vues entre les parties sur ces lignes directrices, sur la base d'une auto-évaluation de chacune d'entre elles, ainsi que des échanges de bonnes pratiques ;
- de promouvoir leur coopération dans les domaines précités.
Ce faisant, le nouvel organe éthique aurait une vocation exclusivement consultative, la communication présentant le projet d'accord interinstitutionnel faisant clairement apparaître le souhait des institutions européennes concernées de demeurer autonomes dans le domaine éthique (« Les pouvoirs de décision pour l'adoption et l'application des règles éthiques internes de chaque institution devraient rester du ressort des institutions respectives. »). Pour ce faire, la Commission européenne se retranche derrière l'équilibre institutionnel prévu par les traités111(*) : « L'application des règles internes relève de la responsabilité première de chaque institution et s'exerce selon le principe d'équilibre institutionnel dont l'équilibre des pouvoirs est établi par les traités. Les institutions ne peuvent renoncer à exercer les pouvoirs qui leur sont respectivement conférés par les traités. Elles ne peuvent déléguer la responsabilité de la conduite de leurs membres ni leur prérogative de réaction aux violations des règles éthiques commises par des membres individuels. »
La communication présentée, dont la rédaction est assez paradoxalement marquée par une méfiance constante à l'égard du nouvel organe, souligne enfin que le fonctionnement de ce dernier « n'entravera ni ne limitera en aucune manière les fonctions d'enquête de l'Office européen de lutte antifraude, du Parquet européen, des services de police nationaux, des autorités nationales chargées des poursuites et du Médiateur européen, et ne fera donc double emploi avec leurs compétences respectives. »112(*)
* 106 Le Parlement européen a ainsi établi deux rapports d'initiative prônant la création d'un organe indépendant d'éthique à l'échelon européen, en 2019 et 2021. Cette préconisation a été reprise dans deux résolutions adoptées par les députés européens, le 16 septembre 2021 et le 16 février 2023.
* 107 Communication COM(2023) 311 final, p 2.
* 108 Accord interinstitutionnel du 25 mai 1999.
* 109 Accord interinstitutionnel du 20 mai 2021.
* 110 Ces normes pourraient être relatives aux intérêts et actifs à déclarer par les membres des parties, à leurs activités extérieures, à l'acceptation de cadeaux, d'hospitalité et de voyages, à l'acceptation de récompenses, à leurs activités succédant à leurs mandats ou fonctions, ainsi qu'à leur respect des règles du registre de transparence institué par l'accord interinstitutionnel du 20 mai 2021. Elles pourraient aussi porter sur les procédures de contrôle internes visant à respecter les règles éthiques et aux exigences de publicité des normes éthiques en vigueur.
* 111 Aux termes de l'article 13 du TUE, « Chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités. »
* 112 Annexe à la communication COM(2023) 311 final - proposition d'accord interinstitutionnel - p 6 de l'exposé des motifs.