INTRODUCTION

Le 3 mai 2022, la Commission européenne a présenté la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'espace européen des données de santé, COM(2022) 197 final.

Dès 2019, elle avait annoncé la création d'un espace européen des données de santé qu'elle considérait comme l'une des priorités de sa mandature. Dans sa communication du 3 mai 2022 intitulée « Un espace européen des données de santé : exploiter le potentiel des données de santé pour les citoyens, les patients et l'innovation », la Commission déclarait que la numérisation est essentielle pour l'avenir des soins de santé, notamment pour soutenir la lutte contre le cancer et assurer la continuité des soins dans l'ensemble de l'Union européenne.

Dans cette proposition de règlement, la Commission distingue deux types de traitement des données de santé électroniques : le traitement à des fins d'utilisation primaire, qui a pour objectif la fourniture de services de santé visant à évaluer, maintenir ou rétablir l'état de santé de la personne physique à laquelle ces données se rapportent, et le traitement à des fins d'utilisation secondaire dont les finalités sont énumérées à l'article 34 de la proposition de règlement et qui comprennent notamment la recherche scientifique. Ce texte vise à établir des règles, des infrastructures et un cadre de gouvernance pour ces utilisations des données de santé.

Cette proposition de règlement concerne à la fois le secteur de la santé et le secteur du numérique. Dans ce domaine, elle doit s'articuler avec le règlement général sur la protection des données1(*) (RGPD), d'une part, et la proposition de règlement fixant des règles harmonisées pour l'équité de l'accès aux données et de l'utilisation des données2(*) ainsi que le règlement sur la gouvernance des données3(*), d'autre part.

L'enjeu de ce texte est donc de déterminer un cadre pour le traitement des données de santé au sein de l'Union européenne qui permette de garantir les droits des personnes physiques concernées et la protection de ces données.

Ce rapport présente les modifications que la commission des affaires européennes du Sénat préconise d'apporter à la proposition de règlement pour satisfaire à ces exigences.

I. UNE PROPOSITION DE RÈGLEMENT QUI DOIT BÉNÉFICIER PRIORITAIREMENT AUX PATIENTS

A. UNE PROPOSITION DONT LES BÉNÉFICES ATTENDUS PEUVENT ÊTRE CONSIDÉRABLES

1. Une utilisation primaire des données de santé qui présente un intérêt incontestable pour les patients
a) Dans le cadre national

Le dossier médical électronique (DME) présente de nombreux avantages. Il permet aux professionnels de santé de disposer d'un accès immédiat aux données de santé de leurs patients, facilitant ainsi leur prise en charge, notamment lors d'une première consultation ou en cas d'urgence. Il permet également d'éviter les interactions médicamenteuses et de répéter des examens déjà prescrits, ce qui améliore la qualité des soins.

Lors de son audition, l'EPF (European Patients Forum) a confirmé l'intérêt pour les patients de disposer de leurs données de santé au format électronique afin de pouvoir en assurer la portabilité. Celle-ci est essentielle pour la qualité et la sécurité des soins.

Une étude réalisée en 2022 par une équipe de chercheurs dans un centre hospitalier du Luxembourg4(*) a montré qu'un espace de santé numérique personnalisé organisé dans un système informatique simple et pleinement intégré dans les processus de travail des professionnels de santé constitue un atout pour des soins de qualité.

b) Dans le cadre de soins transfrontières

La proposition de règlement va particulièrement faciliter les soins transfrontières en permettant aux professionnels de santé d'accéder aux données de santé dans un format électronique reconnu et accepté dans toute l'Union.

Selon la Cour des comptes européenne, environ 200 000 personnes par an5(*) bénéficient de soins transfrontières dans le cadre institué par la directive 2011/24/UE6(*).

À cela s'ajoutent les personnes qui décident de s'installer dans un autre État membre pour y étudier ou exercer une activité professionnelle et qui bénéficieront du droit à la portabilité de leurs données de santé. Par exemple, en 2017-2018, plus de 325 000 étudiants réalisaient une mobilité dans le cadre du programme ERASMUS+ et ce chiffre est en constante augmentation depuis.

Enfin, le partage de ces données de santé sera également utile au fonctionnement des réseaux européens de référence pour les maladies rares7(*).

L'article 13, paragraphe 1, de la proposition de règlement permet aux États membres qui le souhaitent de fournir, par l'intermédiaire de la plateforme MyHealth@EU8(*), des services supplémentaires d'échange de données entre États membres facilitant l'accès des personnes physiques à leurs données de santé traduites.

Il paraît essentiel aux rapporteurs de s'assurer que les dossiers médicaux électroniques pourront être traduits lorsqu'ils seront consultés par un professionnel de santé dans un autre État membre que celui dont est originaire le patient. Pour cela, MyHealth@EU devrait intégrer dès à présent un service de traduction financé par l'Union pour faciliter l'accès des professionnels de santé de tout État membre aux DME des patients.

2. Une utilisation secondaire des données de santé au bénéfice de la santé
a) Un avantage précieux pour la recherche médicale...

Lors des auditions menées sur la stratégie pharmaceutique de l'Union européenne, les rapporteurs ont interrogé l'Institut national du cancer (InCA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l'Association pour la recherche de thérapeutiques innovantes en cancérologie (ARTIC) sur l'opportunité de développer un espace européen des données de santé.

Pour l'INSERM, le partage des données de santé via un « espace européen » permettrait de générer des données de santé plus nombreuses et de meilleure qualité, de réduire le risque de biais technologique qui se traduit par une surestimation ou une sous-estimation de l'apport des technologies, et de créer de nouvelles possibilités de croisement entre les données de santé et d'autres données. Cela permettrait également de construire des algorithmes d'intelligence artificielle plus performants au service de la recherche, d'améliorer la gestion de pandémies telles que celle de Covid-19 ou l'évaluation des médicaments grâce à des outils d'évaluation en temps réel, ou encore d'étudier des maladies rares en mutualisant les sources de données.

Le futur espace européen des données de santé permettrait à la recherche européenne d'acquérir un impact critique, d'accroître l'avantage concurrentiel de ses industries et d'améliorer sa résilience et sa visibilité au niveau international.

L'ARTIC a particulièrement insisté sur l'importance de la qualité des données saisies, un format harmonisé et interopérable étant la condition indispensable pour permettre l'utilisation des données à des fins de recherche. L'InCA a confirmé ce point de vue en estimant néanmoins que la création de l'espace européen des données de santé prendrait au moins dix ans.

L'EPF a soutenu le principe d'une utilisation des données de santé des patients à des fins de recherche. Elle a mis l'accent sur l'exemple des maladies rares pour lesquelles la mise en commun des données de santé issues de chaque État membre pouvait permettre de composer un ensemble suffisamment significatif pour faciliter la recherche.

b) Qui implique des contreparties pour les patients
(1) Une utilisation en lien avec la santé

Les patients qui acceptent une utilisation secondaire de leurs données de santé le font à titre gratuit pour des finalités en lien avec le domaine de la santé. Ces finalités sont énumérées à l'article 34, paragraphe 1, de la proposition de règlement.

Les rapporteurs estiment nécessaire de rappeler que l'utilisation secondaire des données de santé doit être circonscrite aux finalités présentant un lien suffisant avec la santé publique ou la sécurité sociale. Aux points f9(*) et g10(*) de l'article 34, paragraphe 1, de la proposition de règlement, ce lien mériterait d'être précisé.

(2) Un meilleur accès aux médicaments

Les données de santé seront notamment utilisées par les entreprises pharmaceutiques dans le but de développer de nouveaux médicaments et de générer des bénéfices. Dans le cadre de la stratégie pharmaceutique pour l'Europe, il serait alors opportun de réfléchir à conditionner l'accès de ces entreprises aux données de santé à leur contribution à l'amélioration de l'accès aux médicaments innovants.

Ainsi, les rapporteurs souhaitent qu'une réflexion soit engagée pour conditionner l'accès des entreprises pharmaceutiques aux données de santé, à des fins d'utilisation secondaire, à leur engagement renforcé en faveur des objectifs de la stratégie pharmaceutique, notamment parer aux besoins médicaux non satisfaits et assurer l'accessibilité et le caractère abordable des médicaments.

(3) Un système de redevances à établir

L'article 42 de la proposition de règlement prévoit que les organismes responsables de l'accès aux données et les détenteurs de données pourront percevoir respectivement des redevances et une compensation pour la mise à disposition de données de santé électroniques à des fins d'utilisation secondaire.

Ce système de redevances vise à couvrir les coûts de mise à disposition des données tant pour les organismes responsables de l'accès aux données que pour les détenteurs de données. Cela englobe les coûts d'instruction des demandes d'accès et les coûts de transfert des données.

Sur ce sujet, les rapporteurs recommandent la création d'un système de redevances permettant de moduler le montant de celles-ci selon que la finalité du traitement a pour objectif de générer un bénéfice commercial ou non.

3. Un investissement important aux externalités positives
a) Des investissements importants ...
(1) Pour les États membres et l'Union européenne

Le développement d'un espace européen des données de santé implique de rendre interopérables les différentes bases de données des États membres. Cela nécessitera des investissements importants pour, d'une part, numériser les soins de santé, et d'autre part, mettre en place des infrastructures interopérables garantissant la sécurité des données.

La Commission prévoit une contribution du budget de l'Union pour un montant de 810 millions d'euros. 480 millions d'euros seront financés via le programme pour une Europe numérique, le mécanisme pour l'interconnexion en Europe et le programme Horizon Europe. Plus de 330 millions ont déjà été affectés : 280 millions du programme EU4Health et 50 millions du programme Europe numérique.

En outre, les États membres ont affecté 12 milliards d'euros au titre de la facilité pour la reprise et la résilience à des investissements pour la santé, y compris la santé numérique et l'utilisation secondaire des données de santé.

La Commission indique enfin que le FEDER et Invest EU pourront apporter un complément financier.

(2) Pour les professionnels de santé

Le développement d'un espace européen des données de santé représentera un investissement important pour les professionnels de santé.

Renseigner les bases de données nécessite tout d'abord le développement des compétences des professionnels de santé qui devront se former à l'utilisation des DME. Des formations devront éventuellement être organisées pour cela. En parallèle, l'Union européenne est confrontée à un manque de professionnels de santé. Il ne faudrait pas que ceux-ci soient contraints de diminuer le temps passé auprès des patients pour renseigner les bases de données. En outre, il sera nécessaire d'aider les professionnels de santé à s'équiper d'outils permettant de garantir la sécurité des données dont ils disposent.

En conséquence, les rapporteurs estiment indispensable de soutenir financièrement les professionnels de santé pour leur permettre de renseigner au mieux les bases de données et de garantir la sécurité de celles-ci. Ils appellent donc la Commission à augmenter le budget que l'Union entend consacrer à la création de l'espace européen des données de santé.

b) Qui contribueront à réduire les coûts et à accroître l'efficacité du système de santé

Selon l'étude d'impact présentée par la Commission européenne sur la proposition de règlement11(*), le dossier médical électronique évitera aux professionnels de santé de prescrire des tests qui ont déjà été effectués et de saisir encore les résultats de ces tests. Le gain de temps peut être déterminant pour le patient et des économies substantielles pourraient être réalisées, tant par les services de santé que par les patients.

Ces économies s'élèveraient respectivement à 4,6 milliards d'euros et 4,3 milliards d'euros.


* 1 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

* 2 Proposition de règlement fixant des règles harmonisées pour l'équité de l'accès aux données et de l'utilisation des données - COM(2022) 68 final.

* 3 Règlement (UE) 2022/868 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2022 portant sur la gouvernance européenne des données et modifiant le règlement (UE) 2018/1724.

* 4 https://www.cairn.info/revue-projectique-2022-HS-page-57.htm

* 5 Rapport spécial n° 7/2019 de la Cour des comptes européenne.

* 6 Directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

* 7 Ces réseaux permettent de mettre en commun les compétences et les connaissances nécessaires pour traiter des patients atteints de maladies rares en évitant que ceux-ci se déplacent.

* 8 MyHeath@EU est une plateforme centrale pour la santé numérique permettant de fournir des services visant à soutenir et à faciliter l'échange de données de santé électroniques entre les points de contact nationaux pour la santé numérique des États membres dans le cadre d'une utilisation primaire de ces données. Aujourd'hui, seuls dix États membres soutiennent le partage des dossiers de patients et des prescriptions électroniques via MyHealth@EU. Il est toutefois prévu que tous les États membres rejoignent MyHealth@EU d'ici à 2025.

* 9 Activités de développement et d'innovation pour les produits ou services contribuant à la santé publique à la sécurité sociale, ou à la garantie d'un niveau élevé de qualité et de sécurité des soins de santé, des médicaments ou des dispositifs médicaux.

* 10 Formation, test et évaluation des algorithmes, entre autres dans les dispositifs médicaux, les systèmes d'IA et les applications de santé numérique...

* 11 Étude d'impact accompagnant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'espace européen des données de santé, SWD(2022) 131 final.