C. UN AVIS PLUS ÉQUIVOQUE DES ACTEURS ÉCONOMIQUES

Pour autant, les acteurs économiques ont livré un bilan plus équivoque du dispositif de l'Arenh, la position d'EDF et des associations ou syndicats s'opposant à celle des fournisseurs alternatifs et de RTE.

Tout d'abord, le groupe EDF a rappelé être très exposé à l'Arenh, à hauteur de 248 TWh en 2022, se décomposant comme suit : 146,4 TWh pour la quantité livrée dans le cadre de l'Arenh, dont 120 TWh pour les consommateurs finals et 26,4 TWh pour les gestionnaires des réseaux83(*) ; 70 TWh valorisés au prix de l'Arenh dans les offres de marché ; 50 TWh valorisés au prix de l'Arenh dans les TRVE, 3 TWh vendus au prix de l'Arenh par EDF à ses filiales. De plus, le groupe constate des difficultés régulières avec certains fournisseurs alternatifs, telles que des arbitrages84(*) entre achat sur le marché et achat à l'Arenh en 201585(*), l'invocation de la clause de force majeure dans le cadre de la crise de la Covid-19 en 202086(*), ou encore des comportements intermittents voire des faillites en 2021 et 202287(*) ; ainsi le groupe indique-t-il que « plusieurs fournisseurs (Hydroption, Hydroption Collectivité, Oui Energy, E-Pango) ont fait faillite ». Juridiquement, l'Arenh présente des failles, selon EDF : le « CP1 » n'est pas répercuté aux consommateurs finals mais aux fournisseurs alternatifs, ce qui peut créer un effet d'aubaine (article L. 336-5 du code de l'énergie) ; le volume de l'Arenh évolue régulièrement, parfois tardivement, ce qui affecte les conditions d'achat ou de maintien des volumes sur les marchés (article L. 336-2 du même code) ; les obligations des fournisseurs d'électricité n'ont pas été suffisamment renforcées, les garanties financières prévues par l'accord-cadre ne couvrant que les factures émises au titre des livraisons et non les compléments de prix (article L. 333-1 du même code) ; enfin, les sanctions n'ont pas été suffisamment appliquées (article L. 136-25 du même code).

De son côté, RTE a fait observer que les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d'électricité88(*) sont bénéficiaires de l'Arenh pour la compensation des pertes d'électricité. Celles-ci sont estimées à 11 TWh / an, soit 464 M€. En l'absence d'Arenh, le recours au prix de marché aurait entrainé une hausse des coûts de 12 % en 2022 et 6 % en 2023. C'est pourquoi RTE souhaite le maintien du bénéfice de l'Arenh ; il plaide également pour disposer de la faculté d'acheter directement son électricité sur les marchés, sans recours à un fournisseur. En tout état de cause, la crise actuelle de l'énergie témoigne, selon lui, de la nécessite d'une intervention publique dans ce domaine.

Pour ce qui concerne les fournisseurs alternatifs interrogés, dont l'ensemble des positions sont rappelées dans l'encadré ci-après, l'Afieg a indiqué que le calcul de l'Arenh, d'avril à octobre, peut avoir des « effets de bord ». Pour autant, l'association estime que les compléments de prix sont vertueux, jusqu'à 24 M€ ayant été prélevés au titre du CP1 en 2011. De son côté, l'Anode a également estimé que ce calcul de l'Arenh présente une complexité, en termes de bénéfice pour les consommateurs d'électricité et d'efficacité pour les compléments de prix. Selon elle, les compléments de prix peuvent conduire des fournisseurs à surestimer leurs besoins, par excès de prudence. Pour autant, l'association a ajouté que l'absence d'Arenh aurait augmenté de 70 € / MWh la facture d'électricité des particuliers et de 90 € celle des professionnels. Dans ce contexte, elle a fait observer que l'absence de visibilité sur l'après-2025 pénalise les fournisseurs et les consommateurs.

S'agissant des associations de consommateurs, l'Union française de la consommation (UFC) - Que Choisir a regretté le caractère asymétrique de l'Arenh, qui oblige EDF à vendre à pertes ou sans gain, de même que son caractère insuffisamment protecteur, dans la mesure où sa prise en compte dans la construction des TRVE expose les consommateurs aux fluctuations du marché. Dans le même esprit, la CLCV a critiqué la complexité des règles et l'existence de fraudes. Pour elle, l'Arenh engendre des effets d'aubaine, la toxicité des comportements, le laxisme de la règlementation et la passivité de la régulation étant pointés du doigt. En somme, l'ouverture à la concurrence et le principe de contestabilité du marché de détail de l'électricité n'ont, pour cette association, pas rempli leurs promesses.

Concernant les syndicats du secteur de l'énergie, la Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail (FNME-CGT) a rappelé que l'Arenh présente un caractère asymétrique, faisant porter tous les risques à EDF. De plus, elle a ajouté que son prix, de 42 € / MWh est inférieur aux coûts de production, estimés par le syndicat à 57 €/ MWh. Au-delà, elle a constaté ce qu'elle considère être des « dévoiements » de la part de certains fournisseurs alternatifs, tels que la revente de l'Arenh sur les marchés de gros, la résiliation abusive d'accords-cadres, l'actionnement de la clause de force majeure ou la diminution opportuniste du portefeuille de clients. Dans le même ordre d'idées, la Fédération nationale de l'énergie et des mines - Force Ouvrière (FNEM-FO) a regretté que l'Arenh induise des effets d'aubaine compte tenu de sa saisonnalité. En outre, elle a précisé que son prix n'a pas été révisé depuis 2012. Enfin, elle a déploré son impact inflationniste sur les TRVE, qui l'intègrent, dans leur construction, depuis 2015. Quant à l'Union syndicale solidaire - Énergie (Sud-Énergie), elle a estimé que l'Arenh joue un rôle d'amortisseur des fluctuations des prix de marché. Pour autant, son prix plafonné conduit, selon elle, EDF à vendre à perte. De plus, le syndicat a dénoncé ce qu'il estime être des « dérives » de la part de certains fournisseurs alternatifs, comme les arbitrages ou les fraudes.

La position de différents fournisseurs alternatifs

Les rapporteurs ont entendu différents fournisseurs d'électricité alternatifs, qui leur ont indiqué leur point de vue sur le dispositif de l'Arenh en tant que tel.

Engie a estimé que l'Arenh est un facteur de stabilité et de compétitivité, ayant fait bénéficier les consommateurs d'un prix inférieur à celui du marché, dans 50 % des cas. Si le groupe a salué les nouveaux dispositifs de contrôle de la CRE, il a regretté l'absence du décret définissant la méthodologie des prix et l'incapacité des compléments de prix à prévenir le risque de disparition des fournisseurs. Plus largement, il a ajouté que l'absence de visibilité sur l'après-2025 pénalise les fournisseurs comme les consommateurs.

Eni a rappelé que le calcul de l'Arenh, d'avril à octobre, constitue pour un « non-sens ». Une difficulté provient de l'estimation du portefeuille de clients l'année n-1 pour l'année n. Pour autant, le groupe a considéré que les compléments de prix et les dispositifs de contrôle sont suffisants. En revanche, l'ouverture à la concurrence du marché français de l'énergie n'est, selon lui, pas complète.

Pour Green Yellow, Iberdrola et Mega Énergie, une des difficultés de l'Arenh provient de l'estimation du portefeuille de clients l'année n-1 pour l'année n. La première société a estimé que le calcul de l'Arenh, d'avril à octobre, présente des risques et des difficultés, tandis que la dernière a indiqué que l'utilisation de l'Arenh ou des TRVE, dans un souci de protection des consommateurs, a des répercussions sur les fournisseurs, touchant ainsi à la libre concurrence.

De son côté, Mint Énergie a indiqué que la hausse des TRVE a été limitée à 15 % TTC grâce au « bouclier tarifaire ». Elle a relevé que les difficultés actuelles ne sont pas liées à la régulation, c'est-à-dire au dispositif de l'Arenh en tant que tel, mais plutôt à l'économie, en l'espèce à la crise de l'énergie. Elle a ajouté que le principe d'écrêtement de l'Arenh contraint les capacités d'approvisionnement sur le marché. Au total, elle a appelé à reconduire l'Arenh au-delà de 2025.

Pour Ohm Énergie, les 80 fournisseurs alternatifs sont utiles. Ils répercutent l'intégralité de l'Arenh vers les consommateurs et ne sont pas responsables de la situation financière d'EDF. La société a ajouté qu'une suppression de l'Arenh, ou la modification de son prix ou de son volume, aurait un impact sur le prix de détail. Elle a plaidé pour que la CRE définisse des règles de régulation claires.

TotalÉnergies a estimé que le calcul de l'Arenh, d'avril à octobre, génère des « effets de bord ». Le groupe a regretté que les volumes d'Arenh soient plafonnés, indépendamment du niveau de production réel. Il a ajouté que ce plafonnement a un effet bénéfique pour le groupe EDF : en cas de dépassement de ce plafond, le volume écrêté est valorisé au prix de marché. Il a aussi déploré que le CP2 soit plafonné à 20€ / MWh, ce qui érode son caractère dissuasif. Il a ajouté que les certificats de capacité associés sont incohérents. Au total, il a appelé à substituer un nouveau dispositif à l'Arenh au-delà de 2025.

Quant à Vattenfall, la société a considéré que le niveau de l'Arenh est insuffisant, au regard des besoins, tout comme son prix, au regard des coûts. Elle a rappelé que, ni ces niveau et prix, ni l'écrêtement, ne peuvent être anticipés. De plus, elle a relevé que le CP1 incite les fournisseurs à réaliser des estimations précises. S'agissant des moyens de contrôle de la CRE, elle a indiqué qu'ils ont déjà été renforcés. Enfin, les offres à tarification dynamique sont, pour elle, perfectibles.


* 83 Ainsi que les entreprises locales de distribution (ELD).

* 84 Ayant pu aboutir à des résiliations.

* 85 Qui ont conduit à une révision de la clause de résiliation en 2016 et de monotonie en 2017.

* 86 Qui a conduit à la modification de la clause de force majeure en 2020.

* 87 Qui ont conduit à la suppression du guichet infra-annuel en 2022.

* 88 Ainsi que les entreprises locales de distribution (ELD).

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