C. UN EXEMPLE DES LIMITES DU PILOTAGE : QUEL IMPACT DES DISPOSITIFS D'ACCOMPAGNEMENT ?
La loi ORE a généralisé la mise en place de modulations spécifiques de la 1ère année de licence (licence aménagée ou « oui si »34(*)). Celles-ci se traduisent sous deux formes : soit un accompagnement pédagogique particulier (mentorat, renforcement disciplinaire) soit un allongement de la durée de la licence, le plus souvent en 4 ans. Lors de son entrée dans l'enseignement supérieur, l'étudiant signe alors un contrat pédagogique, qui précise les mesures d'accompagnement choisies.
Si les dispositifs « Oui si » sont en hausse, ils ne concernent qu'une part très minoritaire des étudiants, soit moins de 30 000.
Aménagement Loi ORE en L1 en 2021
Source : commission des finances d'après le SIES
Le choix de la licence en 3 ans mais avec des compléments (renforcement méthodologique ou mentorat) reste la possibilité la plus utilisée et représente les deux tiers des aménagements en licence.
Répartition des étudiants en licence aménagée en 2021
Source : commission des finances d'après le SIES
Les crédits accordés au titre des dispositifs ont été accordés dans le cadre du DSG, comme les autres dispositifs ORE.
Montants globaux accordés aux
établissements
au titre des dispositifs « oui
si »
(en millions d'euros)
Montants des crédits « Oui si » en 2022 |
Montants des crédits « Oui si » 2018/2022 |
38,205 |
139,870 |
Source : commission des finances d'après les réponses fournies au rapporteur spécial
Les syndicats d'enseignants, entendus par le rapporteur spécial, soulignent en outre que la logique d'appel à projets qui a été appliquée pour certains financements ORE a principalement bénéficié aux universités qui avaient déjà mis en place des initiatives similaires et disposaient à ce titre de l'ingénierie, davantage qu'à l'incitation à de nouveaux dispositifs dans des universités ayant auparavant peu de dispositifs d'accompagnement étudiant.
Les ressentis sur les dispositifs d'accompagnement sont très variables selon les acteurs entendus par le rapporteur spécial. La Cour des comptes constate que les dispositifs sont insuffisamment ciblés sur les étudiants les plus faibles et n'entraînent pas toujours une réduction du taux d'absentéisme. Elle indique que « l'impact sur la réussite des étudiants est bien inférieur à ce qui était attendu »35(*), d'autant plus que les étudiants en « oui si » sont acceptés dans des filières déjà un taux moyen de réussite faible. Les syndicats étudiants vont dans le même sens : « les universités ne s'en sont pas saisies de façon suffisante pour qu'on constate un réel impact sur la réussite »36(*).
Les universités comme l'administration considèrent les résultats en terme de taux de présence et de réussite aux examens comme globalement encourageants. Mais une volonté d'analyse plus approfondie se heurte d'une part à la difficulté d'isoler l'effet « oui si » dans les variations des résultats au cours des dernières années, et d'autre part à l'absence de remontées consolidées publiées sur le sujet.
En outre, la loi ORE aura pu, à certaines occasions, fonctionner comme un label accordé à certaines initiatives déjà existantes localement. La Cour des comptes signalait ainsi dans son premier bilan de la loi ORE en 202037(*) qu'au sein des 26 universités ayant mis en place une aide à la réussite avant la loi ORE, et alors que le MESRI en attendait une extension, une amélioration ou une généralisation, seules 16 avaient étendu le dispositif à 67 nouvelles formations en 2018-2019. Ainsi, les néo-bacheliers en licence aménagées représentaient déjà 6 % des effectifs de L1, soit plus de 15 000 étudiants.
Évolution de la proportion d'étudiants bénéficiant d'aménagements ORE
(en %)
Source : commission des finances d'après la DGESIP
Chaque établissement a été laissé libre sur la mise en place des « oui si » et sur le suivi des dispositifs. En conséquence, l'analyse des « oui si » et de leur impact pédagogique n'est pas aisé à faire car il implique une vision fine du parcours des étudiants suivant des modalités variables d'une université à l'autre. Certaines universités ont fait le choix d'un renforcement disciplinaire ; d'un appui méthodologique, assorti éventuellement de la suppression de certaines options ; d'autres de mise en place de tutorat, selon là encore des modalités et des temporalités différentes ; d'autres, dans le cadre de la licence en 4 ans, d'une transformation de la première année en année propédeutique, d'autres enfin d'une extension de la validation des cours de la première année en deux ans. En conséquence, la mise en place d'indicateurs de performance est nécessairement complexe, faute d'harmonisation.
Si chaque rectorat a normalement établi un bilan des « oui si » dans son académie, la consolidation nationale des données s'est heurtée aux mêmes difficultés que celles mentionnées sur le suivi des créations de place. Le rectorat d'Île-de-France précise qu'en 2019 la DGESIP a établi un tableau académique de répartition des moyens au titre des dispositifs et parcours « oui si » sur l'année 2018-2019 qui devait permettre de suivre la répartition des moyens, dispositif par dispositif, dans chacun des établissements et d'ajuster l'année suivante en fonction des bilans. Si ce tableau a bien été actualisé en 2020, il semble avoir été abandonné depuis, sans que le rapporteur spécial ne dispose d'information sur les raisons ayant présidé à la disparition du tableau.
Dans la mesure où le financement des dispositifs d'accompagnement a été pérennisé en 2023, le rapporteur spécial considère qu'il est plus que nécessaire d'établir un véritable bilan approfondi des dispositifs « Oui si », recommandation déjà formulée par le comité de suivi de la loi ORE en 2019. Ce bilan devrait à la fois consister en un recensement des différentes actions menées par les universités, l'identification de « bonnes pratiques » dans les universités où les « oui si » fonctionnent le mieux, et en une analyse statistique approfondie pour définir autant que possible l'impact des « oui si ». Dans la mesure où les différents rectorats ont déjà établi des évaluations, il serait pertinent de s'appuyer sur celles-ci.
Recommandation n° 6 : Conduire un travail de recensement et définir une véritable grille d'évaluation des dispositifs d'accompagnement à la réussite au niveau national - « Oui si » (Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - DGESIP).
* 34 L'expression « oui si » désigne la réponse obtenue par un lycéen sur Parcoursup, c'est-à-dire une acceptation sous condition d'aménagement du parcours de formation.
* 35 Audition de la Cour des comptes.
* 36 Audition de la FAGE.
* 37 Un premier bilan de l'accès à l'enseignement supérieur dans le cadre de la loi Orientation et réussite des étudiants - Cour des comptes, février 2020.