II. UNE NOUVELLE RÉFORME DE LA PRESTATION PARTAGÉE D'ÉDUCATION DE L'ENFANT APPARAÎT INDISPENSABLE
Les rapporteurs ont conscience qu'une réforme ambitieuse de la PreParE ne pourrait être menée que difficilement dans l'immédiat en raison du contexte défavorable de l'offre d'accueil du jeune enfant et de l'anticipation nécessaire par les caisses débitrices d'un changement profond de logique de la prestation. Cependant, le bilan de la PreParE fait ressortir quelques points d'amélioration qui pourraient, sans plus attendre, trouver une réponse dans une simple réforme paramétrique. Ces recommandations seraient bien sûr à garder à l'esprit dans le cadre d'une transformation d'ampleur de la prestation telle que proposée plus loin dans ce rapport.
A. DE NOMBREUX PARAMÈTRES DE LA PREPARE POURRAIENT ÊTRE REVUS À COURT TERME POUR RENFORCER L'ATTRACTIVITÉ DE LA PRESTATION ET ASSOUPLIR LE DISPOSITIF
1. Les conditions d'ouverture et de cumul : simplifier et encourager l'activité partielle
La mission de l'Igas et le HCFEA pointent les difficultés que peuvent représenter les conditions tenant au nombre de trimestres devant être validés pour être éligible à la PreParE60(*). Selon la Drees, 24 % des mères ayant au moins deux enfants, dont un âgé de moins de 3 ans, se trouvaient sans emploi et sans PreParE ; certaines ne remplissant pas les conditions d'octroi. La LFSS pour 2004 et ses décrets d'application ont durci les conditions pour bénéficier du nouveau CLCA remplaçant l'APE. Depuis le 1er janvier 200461(*), deux ans d'activité au cours des quatre dernières années sont nécessaires au lieu de deux ans dans les cinq dernières années pour le versement de la prestation au deuxième enfant. De même, la période de référence pour la validation des deux ans d'activité a été réduite de dix à cinq ans pour les familles de trois enfants et plus. Le durcissement de ces conditions se justifiait par l'effet néfaste sur l'activité des femmes que l'APE pouvait avoir : 50 % des mères restaient au chômage plusieurs années après la sortie du dispositif62(*).
Pour les parents d'un seul enfant, les conditions d'octroi sont encore plus restrictives. Alors que les périodes de chômage et de formations professionnelles étaient assimilées à une activité pour l'APE, l'extension au parent d'une indemnisation en 2004 ne s'est pas faite aux mêmes conditions. L'article D. 531-15 du code de la sécurité sociale ne reconnaît les périodes de chômage et de formations rémunérées comme des périodes d'activité qu'à compter du deuxième enfant. Cette situation fait qu'une proportion importante des parents d'un seul enfant peut être éligible à un congé parental d'éducation, en ayant plus d'un an d'ancienneté dans une entreprise, mais non à la PreParE. Selon la Drees63(*), 27 % des mères d'un seul enfant ne remplissaient pas les critères d'activité pour le bénéficie de la PreParE.
Les rapporteurs estiment que cette situation inégalitaire ne se justifie plus et peut placer des mères dans une situation exacerbée de précarité. Ils recommandent dès lors, à l'instar de l'Igas et du HCFEA, de reconnaître les périodes de chômage et de formation professionnelle rémunérée comme satisfaisant les conditions d'activité préalable à l'octroi de la PreParE pour les familles d'un enfant de rang 1.
Proposition n° 1 : Assimiler les périodes de chômage ou de formation professionnelle à une activité professionnelle pour les parents d'un seul enfant.
Les conditions d'activité antérieure s'appliquent aussi bien pour le bénéfice de la PreParE à taux plein que pour celui de la prestation à taux partiel. Cette situation paraît incohérente aux rapporteurs puisque les parents recevant la PreParE à taux partiel demeurent, par définition, en activité professionnelle le temps de l'indemnisation. Exclure les mères et pères qui n'auraient pas cotisé assez au préalable ne trouve pas de justification.
De plus, pour les rapporteurs, il convient de ne pas décourager le recours à la prestation à taux partiel. Selon une étude de la Cnaf de 201964(*), à la sortie d'une PreParE à taux partiel, 90 % des parents exercent une activité professionnelle contre 57 % des parents en fin de droit à temps plein. Les parents reprenant une activité à temps complet sont même 39 % à la fin du versement de la PreParE à taux partiel contre 25 % à la sortie de l'allocation à taux plein. Recourir à la PreParE à taux partiel est ainsi moins pénalisant pour l'emploi.
Plusieurs rapports récents dont le rapport précité du HCFEA et le rapport de Julien Damon et Christel Heydemann sur la conciliation de la vie professionnelle et familiale65(*) préconisent de supprimer toute condition d'activité antérieure lorsque le parent est bénéficiaire de la PreParE à taux partiel. Les rapporteurs, pour les raisons exposées en amont, souscrivent à cette proposition. Cette suppression induira, en outre, une simplification du service de la prestation pour les organismes débiteurs des prestations familiales (ODPF).
Proposition n° 2 : Supprimer la condition d'activité antérieure pour la PreParE à taux partiel.
L'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale renvoie au pouvoir réglementaire le soin de définir les quotités minimale et maximale de l'activité ou de la formation ouvrant droit à la PreParE à taux partiel. L'article D. 531-4 du code de la sécurité sociale fixe à 80 % la quotité maximale d'activité pour en bénéficier. Il ressort de l'audition des organisations représentatives des salariés que ce seuil peut induire une rigidité pour l'organisation des responsabilités parentales au sein des couples, empêchant par exemple deux parents d'interrompre chacun de 10 % leur activité. Les rapporteurs proposent donc de revoir les quotités d'activité partielle éligibles à la PreParE toujours dans une optique de simplifier le recours à la prestation à taux partiel.
Proposition n° 3 : Modifier la quotité maximale d'activité partielle éligible à la prestation afin de donner plus de souplesse d'organisation aux parents.
2. Les montants accordés : une nécessaire revalorisation
Le droit existant66(*) interdit aux deux membres d'un couple bénéficiant de la PreParE à taux partiel de recevoir un montant cumulé supérieur à celui du montant de la prestation à taux plein (430 euros au 1er avril 2023). Cette règle représente, pour un parent exerçant une activité à mi-temps et l'autre parent travaillant aux 4/5e, une perte mensuelle de 8,34 euros. La perte atteint 126,2 euros lorsque les deux parents d'un même foyer sont à mi-temps.
Le temps partiel simultané des deux parents permet un partage des responsabilités parentales tout en maintenant les deux parents dans l'emploi. Il réduit également les besoins en mode alternatif de garde du jeune enfant. Pourtant, très peu de couples bénéficiaires de la PreParE à taux réduit sont aujourd'hui dans cette situation. En 2020, seules 2 860 mères, soit 3 % des femmes bénéficiaires, recevaient une PreParE à taux partiel simultanément à leur conjoint67(*).
Les rapporteurs estiment donc que le plafonnement du montant cumulé de deux prestations à taux partiel défavorise une solution souhaitable de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Il conviendrait de le supprimer. Selon le HCFEA, le coût de cette réforme serait assez faible à comportement constant. Couplé à une bonification de 100 euros lorsque les deux parents travaillent à temps partiel, le Haut Conseil estime le coût de la mesure à 5 millions d'euros68(*). Si la réforme induit un doublement des couples partageant le temps partiel, la dépense s'établirait entre 25 et 70 millions d'euros.
Proposition n° 4 : Déplafonner le montant de la PreParE lorsque les deux parents travaillent à temps partiel.
Les rapporteurs constatent que le trop faible montant de la PreParE est un constat partagé par les différentes missions s'étant attelées à évaluer la prestation. Il ressort des auditions que ce montant insuffisant se trouve à la racine, au moins dans une grande partie, des griefs aujourd'hui formulés à l'encontre de la PreParE : chute des bénéficiaires, manque d'engagement de la part des pères, précarisation des bénéficiaires... Considérant le faible taux de remplacement que représente le montant forfaitaire de la PreParE (34,6 % du Smic net en 2023), l'Union nationale des associations familiales (Unaf), entendue par les rapporteurs, estime que « très peu de couples aujourd'hui peuvent se permettre financièrement une telle perte de revenus ».
Les rapports du HCFEA et de l'Igas proposaient une revalorisation de 38 % de la prestation pour atteindre le niveau d'indemnisation relatif aux salaires qui était celui de 1994. En 1994, l'indemnisation au titre de l'allocation parentale d'éducation (APE) correspondait à 26 % du salaire moyen par tête (voir supra). Ce taux de 26 % du SMPT serait de nouveau atteint, en 2023, pour une personne bénéficiant d'une PreParE revalorisée de 38 % cumulée à l'allocation de base.
Les rapporteurs sont favorables à une revalorisation de la PreParE à hauteur de 41 %, portant le montant de la prestation au niveau de celui du revenu de solidarité active (RSA). La PreParE à taux plein serait d'un niveau équivalent au montant du RSA applicable à un foyer bénéficiaire composé d'une personne seule soit 607,75 euros à compter du 1er avril 2023. À comportement constant des bénéficiaires, cette mesure aurait une incidence budgétaire de 300 millions d'euros. L'attractivité de la prestation s'en trouvant renforcée, la réforme devrait cependant avoir un coût supérieur pour la branche famille, quoique partiellement compensé par les économies générées sur les dépenses liées aux autres modes de garde.
Proposition n° 5 : Revaloriser le montant de la PreParE à taux plein pour le porter au niveau du montant du revenu de solidarité active (RSA).
Dans ce modèle, le principe d'un montant forfaitaire serait conservé mais les rapporteurs estiment nécessaire, à terme, d'instaurer une indemnisation proportionnelle au revenu (voir la réforme plus structurelle proposée infra). Le passage à une logique proportionnelle induit des changements importants dans le service de la prestation et ne pourrait être mis en place dans l'immédiat. L'Unaf, consciente qu'une transformation d'ampleur demanderait une « progressivité dans la montée en charge de la réforme », plaide pour qu' « un signal fort [soit] donné dès le PLFSS 2024 avec une augmentation significative du montant de la PreParE ». Les rapporteurs ne peuvent que s'associer à ces propos. En tout état de cause, un montant proportionnel aux revenus ou sensiblement revalorisé inciterait les pères à faire usage de leurs droits et faciliterait la prise du congé parental par les deux parents comme la directive européenne du 20 juin 2019 le prévoit (voir encadré ci-dessous).
L'indemnisation des congés parentaux en droit de l'Union européenne
La directive européenne du 20 juin 201969(*) a modifié la précédente directive 2010/18/UE du 8 mars 2010, et a fixé des critères minimaux pour les congés parentaux dans les États membres. Aux termes de l'article 5 de cette directive, les États membres doivent faire en sorte, à compter du 2 août 2022, que chaque parent puisse individuellement bénéficier d'un congé parental « de quatre mois, à prendre avant que l'enfant n'atteigne un âge déterminé pouvant aller jusqu'à huit ans » et que deux mois sur cette période de quatre ne soient pas transférables à l'autre parent.
L'article 8 prévoit que la période de deux mois non transférable attribuée à chaque parent doit faire l'objet d'une rémunération ou allocation « définie par l'État membre ou les partenaires sociaux et (...) fixée de manière à faciliter la prise du congé parental par les deux parents ». À son considérant (31), la directive indique en outre que pour fixer le niveau adéquat de l'indemnisation, les États membres « devraient tenir compte du fait que la prise du congé parental entraîne souvent une perte de revenu pour la famille et que le parent qui gagne le revenu principal de la famille n'est en mesure d'exercer son droit au congé parental que si ce dernier est suffisamment bien rémunéré pour permettre un niveau de vie décent ». L'expiration du délai de transposition de cette disposition de l'article 8 par les États membres est fixée au 2 août 2024.
Dans sa contribution écrite aux rapporteurs, l'Unaf fait valoir qu'un effort de transposition est encore nécessaire en France dans la mesure où l'indemnisation est fixée à un niveau trop faible et ne facilite donc pas la prise du congé par les deux parents. De même, dans sa contribution écrite, Force ouvrière juge que le droit national n'est pas conforme à la directive européenne sur ce point. Interrogée par les rapporteurs, la direction de la sécurité sociale estime que la PreParE est conforme aux dispositions de la directive européenne du 20 juin 2019 considérant que « le congé parental est solvabilisé par la PreParE puisque cette prestation aide financièrement les parents qui interrompent ou réduisent leur activité. Chacun des parents peut en bénéficier ».
3. L'accompagnement professionnel à renforcer en sortie de prestation
L'article L. 531-4-1 du code de la sécurité sociale prévoit que Pôle emploi et les caisses d'allocations familiales concluent une convention qui définit les conditions dans lesquelles les allocataires de la PreParE sans emploi à l'entrée dans le dispositif bénéficient de la prestation d'aide à retour à l'emploi avant la fin de versement de la PreParE.
Une convention tripartite entre l'État, Pôle emploi et la Cnaf a en effet été signée le 11 avril 2014 afin de confier aux Caf la mission de repérer les allocataires, à douze mois de la fin de versement de leur prestation, qui sont sans emploi à l'entrée dans la PreParE. Les bénéficiaires sont alors informés par courrier de l'accompagnement dont ils peuvent disposer de droit par Pôle emploi et de l'accès aux formations. L'Igas dresse un bilan très défavorable de ce dispositif en 2019 : seules 275 familles auraient participé à des réunions d'information pour 4 000 familles contactées70(*). Pourtant, une étude de la Cnaf précitée rend compte de la situation professionnelle des bénéficiaires de la PreParE sortant du dispositif en 2018 et ayant au moins deux enfants à charge : 36 % d'entre eux étaient sans emploi avant de recevoir la prestation à taux plein et 43 % demeurent sans activité professionnelle à la fin de l'indemnisation71(*).
S'agissant des formations mobilisables, les bénéficiaires inactifs de la PreParE, qui ont nécessairement travaillé pour être éligibles à la prestation, peuvent mobiliser les crédits inscrits sur leur compte personnel de formation (CPF). Ils peuvent également avoir recours aux dispositifs de formation ouverts aux demandeurs d'emplois, six mois avant la fin de leur droit, avec le statut de stagiaire de la formation professionnelle.
La loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle72(*) a renforcé le droit à la formation des bénéficiaires de la PreParE en prévoyant que « les parties à la convention s'assurent de l'accès des bénéficiaires de la prestation à des actions de formation pendant une période de deux ans, qui débute un an avant l'expiration de leurs droits à la prestation ». Elle prévoit également que la convention fixe les modalités de suivi du dispositif notamment par la publication du taux de bénéficiaires occupant un emploi six mois après la fin de la formation. La loi du 24 décembre 2021 impose donc la signature de nouvelles conventions par les Caf et les organismes Pôle emploi.
Les rapporteurs ne peuvent qu'encourager à la mise en oeuvre de ces dispositions, qui demeurent encore aujourd'hui peu connues des bénéficiaires. Les rapporteurs encouragent les parties à actualiser les conventions qui les lient dans les meilleurs délais et à les mettre en oeuvre pour assurer l'effectivité du droit à la formation professionnelle des bénéficiaires de la PreParE.
Le droit en vigueur ne permet toutefois pas à un bénéficiaire sans emploi qui reprendrait une formation professionnelle rémunérée, à temps partiel, de continuer à bénéficier de la PreParE à taux plein. L'article R. 531-4 du code de la sécurité sociale prévoit que le bénéficiaire reçoit une PreParE à taux réduit à compter du premier jour du mois civil au cours duquel la formation professionnelle a commencé. Le montant versé dépend de la quotité de formation professionnelle. Cet impossibilité de cumuler, y compris dans les derniers mois d'indemnisation, la prestation à taux plein et le statut de stagiaire d'une formation rémunérée décourage les parents à se former pour préparer leur reprise d'activité. L'Igas propose ainsi d'autoriser le cumul d'une PreParE à temps plein et de revenus d'une formation professionnelle73(*). Les rapporteurs s'associent à cette recommandation s'agissant de l'accès des bénéficiaires à une formation à temps partiel.
Proposition n° 6 : Assurer l'effectivité du droit à une formation professionnelle aux bénéficiaires de la PreParE en fin d'indemnisation, en particulier pour les bénéficiaires sans emploi (Pôle emploi, Cnaf).
Proposition n° 7 : Permettre aux bénéficiaires sans emploi qui accèdent à une formation professionnelle rémunérée à temps partiel de cumuler leur rémunération et la PreParE à taux plein.
* 60 Article R. 531-2 du code de la sécurité sociale.
* 61 Décret n°2003-1394 du 31 décembre 2003.
* 62 Rapport de M. Alain Vasselle au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, Tome V, 12 novembre 2003.
* 63 Citée par le HCFEA, rapport précité (2019), p. 113.
* 64 C. Laporte (Cnaf), « Les sortants de la Prepare : retour à l'emploi et mode de conciliation familiale », L'e-ssentiel, n° 186, 2019.
* 65 Julien Damon, Christel Heydemann, Renforcer le modèle français de conciliation entre vie des enfants, vie des parents et vie des entreprises, septembre 2021, p. 42.
* 66 Dernier alinéa du II de l'article D. 531-4 du code de la sécurité sociale.
* 67 Onape, Rapport précité (2021), p. 69.
* 68 Cette estimation a été réalisée avec des données de 2019. Depuis, le nombre de bénéficiaires a chuté mais la prestation a été revalorisée.
* 69 Directive (UE) 2019/1158 du parlement européen et du conseil du 20 juin 2019 concernant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE du Conseil.
* 70 Igas, rapport précité (2019), p. 46.
* 71 Laporte C. (Cnaf), « Les sortants de la PreParE : retour à l'emploi et mode de conciliation familiale », L'e-ssentiel, n° 186, 2019.
* 72 Article 4 de la loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021.
* 73 Igas, rapport précité (2019), p. 74.