B. UNE CHUTE DU NOMBRE DE BÉNÉFICIAIRES CONDUISANT À UNE DIMINUTION DES DÉPENSES.

1. Une désaffection croissante des familles pour le dispositif.
a) Des bénéficiaires de la PreParE de plus en plus rares

Au fil des années, les parents sont de moins en moins nombreux à choisir la PreParE. Tout régime de prestations familiales confondu, l'effectif de bénéficiaires chute de moitié de 2013 à 2020 (passant de 514 000 à 255 000 familles). Pour le régime général, la perte de bénéficiaires s'établit à 57,9 % de 2011 à 2021 (voir le graphique ci-après).

Nombre de bénéficiaires du CLCA/PreParE
pour le régime général (données des Caf)

Source : Données du REPSS Famille, édition 2022.

Tout d'abord, le ralentissement du nombre de naissances depuis 2014 pèse structurellement à la baisse sur le nombre de bénéficiaires des prestations familiales. Toutefois, ce premier élément explicatif ne peut suffire à lui-même puisque, comme le note le rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) 2023, « quelle que soit la quotité d'activité, le taux de couverture du CLCA/PreParE des familles d'au moins deux enfants est moins élevé qu'avant 2014 »31(*).

En réalité, cette diminution du nombre de bénéficiaires d'une aide à l'interruption totale ou partielle d'activité professionnelle pour l'accueil d'un jeune enfant (CLCA ou PreParE) s'est amorcée dès 2006 et préexistait donc à la mise en place de la PreParE. Selon Hélène Périvier, économiste et présidente du Haut conseil de la famille, entendue en audition, « les alternatives au congé parental (crèches, assistantes maternelles, etc.), les préférences des parents, la montée de l'activité des femmes y compris lorsqu'elles ont de jeunes enfants sont des facteurs de long terme importants » qui agissentt négativement sur le recours au congé parental d'éducation.

Toutefois, la réforme de 2014 a bien intensifié ce mouvement de repli en raison de facteurs intrinsèques à la PreParE, c'est ce qui ressort des travaux conduits par les rapporteurs. Le rapport de la mission de l'Igas indique ainsi que « le premier effet de la réforme de 2014 (...) a été d'augmenter la vitesse de diminution des allocataires »32(*).

Contrairement aux attentes qui inspiraient la réforme, l'absence de partage de la prestation au sein du couple (voir infra), conduit mécaniquement à ce que, en janvier 2018, 88 % des bénéficiaires de la PreParE soient sortis du dispositif après les deux ans de l'enfant33(*).

D'autre part, les nouvelles caractéristiques de la prestation la rendent moins attractives (voir infra). Une étude des économistes Mathieu Narcy et Florent Sari, parue en 202134(*), conclut que la probabilité que les mères actives au moment de la naissance prennent un congé parental à taux plein s'est réduite de 8,6 points de pourcentage. Par ailleurs, cette même étude met en lumière que la contraction de la durée de versement de la PreParE à un seul parent aurait provoqué des renoncements complets au dispositif : « (...) parmi les mères qui auraient souhaité prendre un congé parental jusqu'au troisième anniversaire de leur enfant, il y a un très fort comportement de "trois ans ou rien". En d'autres termes, pour ces mères, l'intérêt majeur du congé parental résidait dans sa durée d'indemnisation qui permettait de garder son enfant jusqu'à sa scolarisation »35(*). En 2017, une enquête conduite pour la Cnaf révélait que 69 % des parents ayant un enfant né en 2016 seraient attachés à la continuité du mode d'accueil jusqu'à l'entrée à l'école36(*).

b) Le profil socio-économique des bénéficiaires

La répartition des bénéficiaires de la PreParE en 2019 par décile de niveau de vie fait apparaître que les allocataires sont moins nombreux aux deux extrémités de la distribution de revenus (voir graphique ci-après). Pour les déciles supérieurs, la prestation perd probablement de son attractivité en raison de son faible montant. En outre, les mères relevant des catégories socio-professionnelles supérieures sont plus susceptibles de continuer à travailler à temps plein ou à temps partiel37(*).

Répartition des bénéficiaires de la PreParE en 2019 par décile
de niveau de vie des ménages après redistribution

Source : DSS, Dossier statistique des prestations familiales, octobre 2022, p.47

S'agissant du faible nombre de bénéficiaires dont les revenus sont inférieurs au premier décile de la distribution, une première explication résiderait dans les conditions d'éligibilité à la PreParE que ces parents sont moins susceptibles de remplir. Le nombre moyen de trimestres acquis aurait baissé après la crise économique de 2008 pouvant partiellement, quoique marginalement, expliquer la baisse des recours à la prestation selon l'Igas38(*).

Ces éléments sont corroborés par les données de la direction de la recherche des études de l'évaluation et des statistiques (Drees)39(*), laquelle constate que parmi les mères qui, sans activité ou ayant une activité à temps partiel, ne bénéficient pas de la PreParE, il existe une probabilité accrue de ne pas être diplômée ou bien de détenir un diplôme inférieur au baccalauréat, ce qui les expose à la précarité financière. En 2018, 8 % des mères d'enfants de moins de 3 ans n'avaient jamais travaillé, ce qui les rend inéligibles à la PreParE. Elles étaient alors 7 sur 10 à se trouver dans un ménage exposé à la pauvreté. Ces mères sont en outre moins susceptibles d'avoir connaissance de la prestation.

2. Un report vers des solutions alternatives de garde

Le bilan de la réforme de 2014, à travers la perte d'attractivité de la prestation et la réduction de facto de la durée de versement de la PreParE, soulève la question du report vers d'autres modes de garde pour l'enfant de moins de trois ans qui, en principe, n'est pas encore scolarisé. Le Gouvernement, dans l'étude d'impact de la loi du 4 août 2014, anticipait que le « raccourcissement du CLCA exercer[ait] une pression sur le besoin de garde des enfants »40(*). Effectivement, au sein de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), alors que la PreParE perdait 8,5 % de bénéficiaires en moyenne par an de 2010 à 2021, le complément de libre choix du mode de garde (CMG) n'en perdait que 0,5 %, au sein duquel le CMG dit « structure », solvabilisant le recours aux structures de garde à domicile ou aux microcrèches, en gagnait 14,9 %.

Les enquêtes Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants de la Drees montrent que la garde, à titre principale, des enfants de moins de trois ans par leurs parents décroît au sein des modes de garde de 70 % en 2002 à 56 % en 2021. Sur la période 2013 à 2021, la diminution de 5 points de pourcentage de la garde par les parents est compensée par une hausse de même ampleur de recours aux établissements d'accueil pour jeune enfant (voir graphique ci-après). Les baromètres petite enfance de la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) montrent la même tendance, cette fois-ci, pour les enfants de 6 mois à 1 an ; la garde par les parents est passée de 54 % en 2013 à 47 % en 2021 tandis que le recours à une crèche a augmenté de 14 à 19 %.

Évolution du mode de garde ou d'accueil principal des enfants
de moins de 3 ans en semaine entre 2002 et 2021

Source : Drees, Enquêtes Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants41(*)

Une évaluation de la réforme de 2014, menée par les chercheurs Mathilde Guergoat-Lariviere, Mathieu Narcy et Floren Sari, et publiée sous le timbre de France stratégie et du HCFEA42(*), vise à identifier l'effet précis imputable à la réforme de 2014 sur le recours aux modes de garde. Selon les auteurs, qui n'ont pu exploiter des données pour le recours à la crèche, la réduction d'un an de la durée d'indemnisation a provoqué une hausse de 10,6 points de pourcentage de la probabilité de recourir au CMG pour les mères ayant renoncé à une troisième année d'indemnisation en comparaison de celles ayant eu un enfant en décembre 2014 et pour lesquelles la réforme ne s'applique pas.

Les auteurs déduisent43(*), en outre, qu'il existe « un nombre important de mères qui retournent en emploi dès la fin de la perception de la PreParE sans disposer d'un mode d'accueil formel »44(*). Il est donc très probable que le recours à un mode informel (garde par les grands-parents, des amis ou des voisins, etc.) ait été largement favorisé par la réforme.

3. Les économies budgétaires générées pour la branche famille

Sans que les économies budgétaires ne soient affichées comme un objectif prioritaire de la réforme, ces dernières étaient bien anticipées par l'étude d'impact qui projetait une baisse de 300 millions d'euros des dépenses de CLCA/PreParE du fait de la mesure consistant à réserver 6 mois pour le second parent.

Il ressort des travaux des rapporteurs que l'économie exacte générée par la réforme ne peut être précisément documentée. Toutefois, la baisse des dépenses de PreParE a été bien plus importante que prévue pour la branche famille en raison de la chute des bénéficiaires. De 2014 à 2022, les dépenses liées à l'indemnisation des congés parentaux ont baissé de 61,3 %.

Dépenses liées au CLCA/PreParE

(en millions d'euros)

Source : DSS, dossier statistique des prestations familiales 2022 et rapport de la CCSS, mai 2023

Cette économie pour les finances publiques reste à nuancer en raison de la hausse induite, sans guère de doute, des dépenses liées au chômage, au revenu de solidarité active (RSA) ou au congé maladie45(*). De même, le recours accru aux autres modes d'accueil a certainement limité les économies pour la branche famille, comme l'anticipait le Gouvernement, qui prévoyait un report sur les dépenses associées aux autres modes de garde estimé à près de 250 millions d'euros. Le retour précoce des mères vers l'emploi (voir infra) a tout de même pu faire augmenter les recettes de prélèvements obligatoires.


* 31 Repss Famille, édition 2023, p. 50.

* 32 Igas, rapport précité (2019), p. 42.

* 33 D'après le rapport précité du HCFEA (2019), p. 156.

* 34 M. Narcy, F. Sari, « Quel est l'effet d'une réduction de la durée d'indemnisation du congé parental sur l'activité des mères ? Une évaluation de la réforme de 2015 », Presses de Sciences Po, Revue économique - vol. 72, n° 2, mars 2021, p. 185-213.

* 35 Ibid., p. 205.

* 36 Cnaf - enquête EMBLEME, cité par le HCFEA, rapport précité (2019), p. 35.

* 37 HCFEA, rapport précité (2019), p. 126.

* 38 Igas, rapport précité (2019), p. 43.

* 39 Drees, « Les bénéficiaires des prestations liées au congé parental : Profils et évolutions après la réforme de 2014 », Les dossiers de la Drees, n° 91, janvier 2022.

* 40 Étude d'impact, p. 27.

* 41 Drees, Études et résultats n° 1257, février 2023.

* 42 M. Guergoat-Lariviere, M. Narcy et F. Sari, L'impact de la PreParE sur l'activité, les revenus et les modes de garde, 17 avril 2023.

* 43 Compte tenu de l'impossibilité pour l'accueil en crèche d'expliquer le différentiel entre le taux d'emploi des femmes qui augmente cette troisième année (voir partie I. D.) et la hausse moindre du recours au CMG.

* 44 M. Guergoat-Lariviere, M. Narcy et F. Sari, rapport précité, p. 114.

* 45 Igas, rapport précité (2019), p. 49.