N° 41

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les scénarios de financement des collectivités territoriales,

Par MM. Charles GUENÉ, Jean-François HUSSON et Claude RAYNAL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Par courrier daté du 18 janvier 2022, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes la réalisation, au titre de l'article 58 2° de la loi organique relative aux lois de finances, d'une enquête relative aux scénarios de financement des collectivités territoriales.

Plusieurs axes de réflexion ont structuré cette enquête. S'appuyant sur un état des lieux de la situation financière des collectivités et de ses perspectives, l'enquête a permis un travail prospectif sur les différentes options d'évolution du financement des collectivités territoriales et leurs implications. Les critères présidant aux pistes d'évolution analysées par la Cour des comptes ont été multiples et intègrent notamment les enjeux suivants :

- le respect de l'autonomie financière des collectivités territoriales, encadré aujourd'hui par la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales ;

- la solidarité et la réduction des inégalités entre collectivités ;

- la territorialisation de l'impôt pour maintenir ou renforcer le lien entre le territoire et le contribuable (assiette, pouvoir de taux, critères de répartition...) ;

- le renforcement de la lisibilité et de la prévisibilité des financements des différents niveaux de collectivités ;

- la dynamique des recettes et leur adéquation aux compétences des collectivités territoriales dans la durée et à l'évolution prévisionnelle des dépenses de fonctionnement et d'investissement des collectivités ;

- la gouvernance des finances locales en proposant des modalités de dialogue et de contractualisation avec l'État qui tiennent compte du rôle du Parlement.

Pour donner suite à la remise de l'enquête par la Cour des comptes en octobre 2022, la commission des finances a organisé plusieurs auditions.

Elle a ainsi, tout d'abord, entendu le premier Président de la Cour des comptes le 12 octobre 2022.

Elle a ensuite organisé deux auditions sous formes de table ronde, les 18 et 25 janvier 2023, auxquelles étaient conviés, outre Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, et Mathilde Lignot-Leloup, conseiller maître à la Cour des comptes :

- pour la première, Pierre Breteau, co-président de la commission finances de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF), Denis Durand, membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France, et François Rebsamen, co-président de la commission « Finances et fiscalité » de France urbaine ;

- pour la seconde, Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne et président délégué finances de la commission administration générale de Régions de France (RDF) et Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse et secrétaire adjointe de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Le sujet de la réforme du financement des collectivités territoriales présente une difficulté majeure. Si les constats sont unanimes de la part des élus locaux et des parlementaires concernant la complexité du système actuel et la nécessité de le réformer, les attentes à cet égard sont nombreuses et les solutions difficiles à arrêter pour parvenir à concilier des objectifs et des intérêts difficilement conciliables.

Dans ce contexte, la commission des finances a jugé utile de s'adresser à la Cour des comptes afin de réaliser de la manière la plus neutre possible un constat de la situation actuelle et de poser des propositions d'évolution.

Cette démarche n'est qu'une première étape. Elle permet, à tout le moins, de disposer d'éléments factuels ainsi que d'une présentation des avantages et des inconvénients des éventuelles pistes de réforme. Elle nécessite néanmoins de poursuivre la réflexion sur un temps plus long avant d'engager des actions concrètes qui ne pourront, dans tous les cas, qu'intervenir de manière échelonnée dans le temps.

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS

1. Les rapporteurs partagent le constat dressé par la Cour des comptes d'un système de financement des collectivités territoriales devenu illisible à force d'empilement de réformes et de sédimentation de dispositifs historiques et de relations dégradées entre l'État et les collectivités territoriales, notamment du fait de la tendance à la suppression d'impôts locaux observée dans la période récente.

2. En dépit de l'accord de l'ensemble des parties prenantes sur le diagnostic, la grande disparité des situations locales et la confrontation d'intérêts contradictoires ne permet pas de dégager de solutions consensuelles. C'est la raison pour laquelle la commission des finances a souhaité confier à la Cour des comptes le soin de conduire une réflexion sur les scénarios de financement des collectivités territoriales. La méthodologie retenue, reposant sur la présentation de scénarios « polaires » et l'identification de critères permettant de mesurer leurs avantages et limites respectifs permet d'offrir une base de travail précieuse pour les décideurs.

3. Les trois scénarios polaires présentés par la Cour, articulés autour des sources de financement des collectivités territoriales (ressources locales, fiscalité nationale partagée, dotations de l'État) mettent en évidence l'étroitesse des marges de manoeuvre existantes compte tenu des contraintes politiques et juridiques en présence.

4. La Cour formule en outre un certain nombre de recommandations méritant d'être explorées plus avant, notamment pour mieux structurer la gouvernance des finances locales - enjeu qui revêt une importance croissante dans un contexte de recours accru à la fiscalité partagée -, simplifier le système et renforcer sa capacité à faire face aux crises.

I. LE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : UN SYSTÈME DEVENU LARGEMENT OBSOLÈTE QUI REND SA RÉFORME INDISPENSABLE

A. UN SYSTÈME DE FINANCEMENT COMPLEXE ET SÉDIMENTÉ QUI GÉNÈRE UN MANQUE DE LISIBILITÉ ET DE COHÉRENCE

1. Une frontière non consensuelle entre ressources propres et ressources externes qui pose question en termes de niveau d'autonomie financière
a) Des sources de financement multiples

Les ressources des collectivités territoriales se composent de recettes propres et de recettes externes.

Les ressources propres sont limitativement énumérées à l'article 3 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004. Elles sont constituées des éléments suivants :

- le produit des impositions de toutes natures dont la loi autorise les collectivités territoriales à fixer l'assiette, le taux ou le tarif ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette ;

- le produit des impôts nationaux partagés : le Conseil constitutionnel1(*) qualifie ces impôts comme ressource propre et considère en effet que, bien que ces transferts n'aient pas été accompagnés de l'attribution d'un pouvoir de taux ou d'assiette aux collectivités attributaires, l'autonomie financière des collectivités n'en est pas diminuée ;

- les redevances pour services rendus ;

- les produits du domaine ;

- les participations d'urbanisme ;

- les produits financiers ;

- les dons et legs.

À ces ressources propres viennent s'ajouter des ressources externes, en provenance essentiellement de l'État et d'autres collectivités. Il s'agit notamment :

- des dotations budgétaires allouées aux collectivités à partir de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ;

- des participations d'autres collectivités ou de l'État ;

- des prélèvements sur recettes de l'État.

Ces ressources externes présentent des finalités différentes.

La plupart des dotations versées par l'État, sous forme de dotations budgétaires ou de prélèvements sur recettes, s'inscrivent dans une logique de compensation, en contrepartie d'un transfert de compétences, d'une part, ou d'une baisse de ressources propres en raison de la suppression totale ou partielle d'un impôt local, d'autre part. Ainsi, peuvent être distinguées les dotations visant à :

- contribuer à la compensation des charges générales des collectivités. C'est notamment l'objet des parts forfaitaires de la DGF ;

- compenser le coût des transferts de compétences. C'est le cas de la dotation générale de décentralisation (DGD), de la dotation régionale d'équipement scolaire (DRES) et de la dotation départementale d'équipement des collèges (DDEC), créées à l'occasion des Actes I et II de la décentralisation ;

- compenser les allègements d'impôts locaux et les pertes dues à la suppression de la taxe professionnelle (DCRTP) ;

- compenser la charge de TVA que les collectivités et leurs groupements supportent sur leurs dépenses d'investissement et sur certaines dépenses de fonctionnement, notamment en matière d'entretien des bâtiments publics et de la voirie (fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée - FCTVA).

En sus des dotations de compensation, des dotations de péréquation verticale sont versées par l'État aux collectivités les plus défavorisées. Elles ont pour objectif de réduire les inégalités de ressources des collectivités par rapport à leurs charges. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a érigé la péréquation en objectif de valeur constitutionnelle : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales » (article 72-2).

La plupart de ces dotations de péréquation sont intégrées dans la dotation globale de fonctionnement (DGF) :

- pour les communes, il s'agit de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), de la dotation de solidarité rurale (DSR) et de la dotation nationale de péréquation (DNP) ;

- pour les groupements de communes, il s'agit de la dotation d'intercommunalité ;

- les départements bénéficient, quant à eux, de deux dotations : l'une à vocation urbaine - la dotation de péréquation urbaine (DPU), et l'autre à vocation rurale - la dotation de fonctionnement minimale (DFM).

Cette péréquation verticale est complétée par une péréquation horizontale opérée entre collectivités qui s'est notamment développée entre 2010 et 2013 après la suppression de la taxe professionnelle à l'échelle de toutes les collectivités alors qu'elle se limitait, auparavant, à l'échelle des départements disposant de fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) et de la région Ile-de-France (fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France, FSRIF) où elle ne concernait que le secteur communal. Entre 2011 et 2013, quatre fonds de péréquation ont ainsi été créés :

- le fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) perçus par les départements a été mis en place en 2011. Ce fonds est alimenté par deux prélèvements, un premier prélèvement sur « stock » lié au niveau des DMTO du département relativement à la moyenne de l'ensemble des départements, un second prélèvement sur « flux » prenant en compte la dynamique de progression des recettes de DMTO d'un département. Sont bénéficiaires des ressources du fonds tous les départements dont le potentiel financier par habitant est inférieur à la moyenne de l'ensemble des départements ;

- le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) a été mis en place en 2012. Il constitue le premier mécanisme national de péréquation horizontale pour le secteur communal. Il s'appuie sur la notion d'ensemble intercommunal, composée d'un établissement public de coopération intercommunal à fiscalité propre (EPCI) et de ses communes membres ;

- le fonds national de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) des départements, qui a vocation à s'éteindre compte tenu de la suppression de cet impôt à compter de 2024 ;

- le fonds national de péréquation des ressources des régions et de la collectivité territoriale de Corse. L'objectif du fonds est de faire converger les taux de croissance régionaux des ressources perçues par les régions et issues de la suppression de la taxe professionnelle vers la moyenne nationale. Ce dispositif a été remplacé à compter de 2022 par le fonds de solidarité régional assis sur la fraction de TVA versée aux régions en compensation de la suppression de leur part de la CVAE.

Enfin, l'État attribue des subventions aux collectivités qui portent des projets d'investissement. C'est notamment l'objet de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), de la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) ou encore de la dotation « politique de la ville » (DPV).

b) Une classification des ressources contestée pour le calcul du ratio d'autonomie financière

Si la comptabilisation, comme ressources propres, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs ne pose aucune difficulté, le périmètre des produits des impositions de toutes natures est moins consensuel.

En effet, la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales définit les recettes fiscales comme le « produit des impositions de toutes natures dont la loi autorise les collectivités à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette ».

Cette définition couvre non seulement les impositions dont les collectivités fixent l'assiette ou le taux mais également les impôts partagés entre l'État et les collectivités territoriales, à la condition que le mode de répartition retenu par le législateur maintienne un lien avec les collectivités concernées, par le biais du taux ou de l'assiette.

Le législateur organique a donc retenu une définition large de la ressource propre, en y incluant non seulement les ressources fiscales sur lesquelles les collectivités ont un certain pouvoir, mais aussi celles sur lesquelles elles n'ont aucune prise.

Il en résulte que l'ensemble des impôts (locaux et nationaux) affectés aux collectivités sont considérés comme des ressources propres.

Par ailleurs, la part des ressources propres sur les ressources totales2(*) doit être déterminante.

Le dernier alinéa de l'article L.O. 1114-3 précise le ratio minimal de ressources propres permettant de considérer que celles-ci constituent une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources : « Pour chaque catégorie, la part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003 ».

En 2003, le niveau des ressources propres de chaque catégorie de collectivité était de 60,8 % pour le bloc communal, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions. Par conséquent, le ratio des ressources propres de chaque catégorie ne saurait tomber, pour une année donnée, en dessous de ces seuils.

Or, cette définition est antérieure aux réformes de la fiscalité locale intervenue entre 2010 et 2022 (suppression de la taxe professionnelle, suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, suppression de la CVAE). Aussi, il en résulte que même si le ratio d'autonomie financière a augmenté depuis 2003, cette progression, comme le souligne la Cour des comptes, ne rend pas compte de la perception des élus locaux d'une perte de maîtrise de leurs ressources en raison de la part croissante de la fiscalité nationale au sein de leurs ressources propres.

c) L'évolution des ratios d'autonomie financière et fiscale des collectivités

D'après les données issues du dernier rapport pris en application de l'article 5 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 et relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, le ratio d'autonomie financière s'élève à 70,9 % pour le bloc communal, 74,7 % pour les départements et 73,9 % pour les régions.

Ratio d'autonomie financière en 2020

(en milliards d'euros)

 

Communes et EPCI

Départements

Régions

Ressources propres

94,3

50,5

24,6

Autres ressources

38,7

17,1

8,7

Ressources totales

133,0

67,6

33,2

Ratio en %

70,9 %

74,7 %

73,9 %

Source : rapport 2022 pris en application de l'article 5 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 et relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales

Entre 2003, année de référence et 2020, ce ratio augmenté de plus de 10 points pour le bloc communal, de 16 points pour les départements et de plus de 32 points pour les régions.

Évolution du ratio d'autonomie financière entre 2023 et 2020

(en pourcentage)

Source : rapport 2022 pris en application de l'article 5 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 et relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales

En revanche, le ratio d'autonomie fiscale est, pour toutes les catégories de collectivités territoriales, inférieur à 40 % dans son acception stricte et inférieur à 50 % dans son acception large selon les définitions établies par la mission « flash » de l'Assemblée nationale sur l'autonomie financière des collectivités territoriales3(*).

La projection établie par l'Assemblée nationale pour 2022, après suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, ne tient cependant pas compte de la suppression (toutes parts) de la CVAE.

Après remplacement de la CVAE par une part d'impôt national partagé (TVA), le ratio d'autonomie fiscale au sens large s'élève alors à 40,7 % pour le bloc communal, 24,8 % pour les départements et 31,8 % pour les régions.

Projection du ratio d'autonomie fiscale en 2022
après suppression de la taxe d'habitation

Source : Mission « flash » de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale sur l'autonomie financière des collectivités territoriales

2. Une complexité qui caractérise tous les niveaux de financement
a) Une fiscalité locale réduite et émiettée

À partir de 2010, les réformes successives ont conduit à la diminution progressive de la fiscalité locale. En effet, la transformation de la taxe professionnelle, la suppression de la taxe d'habitation puis la diminution de moitié de la CVAE et enfin sa suppression lors de la loi de finances initiale pour 2023 ont très fortement réduit la fiscalité locale directe.

Il en résulte que le pouvoir de taux des collectivités est désormais essentiellement concentré sur la valeur locative et s'applique quasi exclusivement sur les taxes foncières et sur les taxes sur les résidences secondaires et logements vacants.

Malgré ces vagues de suppression, en 2022, la fiscalité locale était composée d'une cinquantaine d'impôts directs et indirects, pesant sur les ménages ou les entreprises, destinés à un ou plusieurs niveaux de collectivités.

En effet, en sus des impôts locaux directs, les autres recettes fiscales locales et nationales transférées sont constituées d'une mosaïque d'impôts et taxes, d'un rendement parfois faible, avec des assiettes différentes et des systèmes de dégrèvements et compensations qui leur sont propres.

Les quatre taxes les plus importantes sont la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l'accise sur les énergies (ex-taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques [TICPE]), les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), et la taxe spéciale sur les contrats d'assurance (TSCA).

Un foisonnement d'autres impôts et taxes concerne également l'aménagement du territoire (taxe d'aménagement, versement pour sous-densité, taxe spéciale d'équipement de la société du Grand Paris, taxe sur les bureaux en Ile-de-France, redevances pour création de bureaux ou de locaux en région Ile-de-France, taxe annuelle sur les résidences mobiles terrestres, versement destiné aux transports en commun), les droits de mutation (droit départemental d'enregistrement et taxe départementale de publicité foncière, taxes additionnelles aux droits de mutation de commerce, d'offices ministériels ou de droit au bail), et un ensemble hétéroclite d'autres prélèvements (prélèvement communal sur le produit des jeux dans les casinos, surtaxe communale sur les eaux minérales, droits de licence sur les débits de boissons, taxe sur les cartes grises, etc.).

De surcroit, les taux peuvent être fixés par les communes et les EPCI notamment par le biais de taux additionnels et/ou par les départements (DMTO) et les régions (certificats d'immatriculation). Enfin, certaines taxes reposent sur des taux forfaitaires nationaux (CVAE, IFER4(*)), mais leur assiette demeure localisée.

Il en résulte une impression avérée d'empilement sans cohérence que ne permet pas de réduire la relative concentration de ces prélèvements locaux. En effet, six impôts, à savoir la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), la CVAE, les DMTO, la TVA, les assises sur les énergies et la TSCA représentent 82 % des ressources fiscales (locales et nationales transférées) des collectivités.

La conséquence de cette complexité est un système composite et opaque, peu lisible par les élus et les citoyens. Cette multiplicité des règles et des acteurs rend difficile la lecture du financement des collectivités locales et de la réalité de la pression fiscale exercée sur les contribuables.

b) Une fiscalité nationale partagée sans vision d'ensemble qui génère des ambiguïtés sur le financement des transferts de compétences

Les réformes successives de la fiscalité locale et la suppression ou la diminution de plusieurs impôts locaux se sont accompagnées d'une part croissante d'impôts nationaux affectés aux collectivités.

Cette fiscalité nationale partagée présente plusieurs objectifs.

Historiquement, les premiers impôts nationaux partagés ont permis de financer des transferts de compétences (fiscalité « transférée »). Ainsi, depuis 2004 et l'affectation de la première part de taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) aux collectivités territoriales, la fiscalité nationale partagée n'a cessé de croître avec les transferts de compétences. Ainsi, près de 20 mécanismes de fiscalités « transférées » au titre de la décentralisation représentent 37,3 milliards d'euros en 2022. Ils se répartissent en huit quotes-parts d`accise sur les énergies et quatre de TSCA, et prennent également la forme d'impôts transférés dans leur totalité, comme la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules à moteur, dont le produit, bénéficiant initialement à l'État, est désormais attribué aux régions.

En cas de retournement de conjoncture, la fiscalité transférée est complétée par un mécanisme de garantie au coût historique, témoignant ainsi d'un partage des aléas asymétrique. Dès lors, seul le coût historique fait l'objet d'une garantie constitutionnelle. Il en résulte que lorsque les compétences transférées coutent de plus en plus cher aux collectivités, ces dernières doivent assumer le surcoût par rapport au coût historique. C'est notamment le cas des départements qui assurent le service de plusieurs allocations individuelles de solidarité (revenu de solidarité active, allocation personnalisée d'autonomie, prestations de compensation du handicap).

Par ailleurs, les impôts nationaux partagés permettent désormais de compenser également les réformes ayant réduit les leviers fiscaux locaux (2018, 2021 et 2023 pour la TVA afin de faire suite à la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et de la CVAE) (fiscalité « substituée »).

Dans ce cas, la mise en place de TVA transférée en compensation de la perte de fiscalité locale a été opérée au niveau des recettes en 2020. Il en résulte que cette compensation ne permet pas de prendre en compte l'évolution différenciée des charges entre collectivités : un département qui verrait sa population augmenter deux fois plus vite qu'un autre bénéficiera alors du même dynamisme de la TVA. Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur le financement des collectivités territoriales, un tel mécanisme, sans clause de revoyure ou critères fondés sur des charges, pourrait générer une hausse des inégalités entre départements et régions.

La distinction entre fiscalité « transférée » (versée en compensation de transfert de compétences) et fiscalité « substituée » (versée en compensation de la suppression de dotations ou d'impôts locaux) est cependant, comme le souligne la Cour des comptes, largement artificielle puisqu'il s'agit dans les deux cas de recettes de fonctionnement libres d'emploi tirées d'impôts nationaux qui bénéficient aux collectivités pour financer l'exercice de leurs missions.

c) Une multi affectation des impôts qui nuit à la lisibilité d'ensemble du système de financement

Les principaux impôts multi-affectataires sont les DMTO (19,8 milliards d'euros), l'accise sur les énergies (11 milliards d'euros), la CVAE (10 milliards d'euros) qui a été supprimée par la loi de finances initiale pour 2023, les IFER (1 milliard d'euros), la taxe sur la consommation finale d'électricité (TCFE) et la taxe de séjour.

Ainsi, les IFER, qui comptent 11 composantes, sont répartis entre trois niveaux de collectivités (bloc communal, départements et régions) selon des pourcentages différents en fonction de la composante.

Autre exemple, les DMTO sont aujourd'hui affectés au bloc communal pour un quart et aux départements pour trois quarts. La Cour des comptes examine, dans le cadre de la présente enquête, le scénario d'une affectation totale au bloc communal après nationalisation de son produit (ce qui signifie que son produit continuerait d'être réparti entre les collectivités territoriales en fonction de critères prédéfinis, mais que son assiette cesserait d'être localisée). 

Les fractions de l'accise sur les énergies sont également aujourd'hui réparties entre les régions et les départements.

Au-delà de la multi affectation de certains impôts, la superposition de pouvoirs de taux concurrents sur une même fiscalité avec la pratique des taux additionnels participe également à la complexité du système et à sa difficile compréhension pour le redevable qui peine à identifier le responsable du choix d'une augmentation d'un impôt.

Enfin, cette superposition diffère en fonction de la forme juridique des EPCI, entre les EPCI à fiscalité additionnelle (vote des trois taux de TFPB, taxe foncière sur les propriétés non bâties - TFPNB - et cotisation foncière des entreprises - CFE - par la commune et l'intercommunalité, avec une règle de liaison des taux) et les EPCI à fiscalité professionnelle unique (vote du taux de CFE uniquement au niveau intercommunal, le reste sans changement).

d) Des modalités de répartition de la DGF reposant sur de trop nombreux critères mal compris des élus locaux

La dotation globale de fonctionnement (DGF) comporte actuellement 12 dotations : 4 pour les communes, 2 pour les EPCI, 4 pour les départements et 2 pour les régions qui se déclinent elles-mêmes en plusieurs parts ou fractions.

Pour chaque catégorie de collectivité, on peut la diviser en deux parts :

- la part forfaitaire qui correspond à un tronc commun perçu par toutes les collectivités bénéficiaires ;

- la part péréquation dont les composantes sont reversées aux collectivités les plus défavorisées.

Structure de la DGF en LFI 2022

Source : DGCL

Les modalités de répartition de la DGF sont définies en fonction de différents critères, voire d'une combinaison de plusieurs données pondérées, notamment pour les dotations de péréquation. Au total, onze critères de ressources et dix-neuf critères de charges sont utilisés pour calculer la DGF des communes et des EPCI, six critères de ressources et neuf critères de charges pour celle des départements.

Ces critères peuvent être regroupés en deux grandes catégories : des critères de ressources et des critères de charges, qui sont de nature variée : démographique (population, nombre d'enfants, etc.), sociale (nombre de logements sociaux, quartiers prioritaires de la politique de la ville, etc.), financière (potentiel financier, effort fiscal, etc.), physique ou géographique (superficie, classement en zone de montagne, longueur de voirie, etc.) ou encore administrative (qualité de chef-lieu de canton ou d'arrondissement, classement en zone de revitalisation rurale, etc.).

Certains sont utilisés de manière transversale, pour toutes les dotations, comme la population ou les indicateurs financiers. D'autres sont utilisés de manière plus spécifique pour une dotation, pour traduire la situation particulière d'une catégorie de collectivités (par exemple, le classement en zone de revitalisation rurale, la superficie pour la dotation de solidarité rurale ou le nombre de logements sociaux pour la dotation de solidarité urbaine).

Si cette diversité des critères et des parts de DGF est garante d'une prise en compte aussi fine que possible des spécificités de chaque type de territoire, elle est également source de complexité et d'un phénomène de « saupoudrage » notamment pour la fraction « péréquation » de la dotation de solidarité rurale (DSR) qui bénéficie à plus de 33 000 communes.

e) Des modalités d'attribution des dotations d'investissement de plus en plus contraintes et complexes

Les dotations d'investissement ont changé de nature par rapport aux premières décennies de la décentralisation, passant de dotations globales d'équipement libres d'emploi à des dotations fonctionnant suivant une logique de subventions sur projets sélectionnés par le préfet de région (DSIL, DSID, DRI) ou le préfet de département (DETR, DPV). Si elle peut exister localement au gré des relations entre les préfets et les élus, les textes ne prévoient en principe pas d'association de ces derniers aux décisions d'attribution. Seule la procédure d'octroi de la DETR prévoit l'intervention d'une commission consultative d'élus, héritée de la commission existant dans le cadre de la dotation globale d'équipement (DGE).

Par ailleurs, les critères de sélection des projets sont nombreux, cumulatifs, d'origine différente (au niveau central ou déconcentré) et parfois contradictoires. Si une souplesse au niveau local se justifie par la nécessité d'adaptation aux enjeux et spécificités de chaque territoire, il en résulte une multitude de critères plus ou moins formalisés qui se révèlent peu lisibles pour les collectivités et qui sont parfois, cumulés les uns avec les autres, trop restrictifs pour permettre de retenir des projets présentant un réel intérêt pour le territoire.

De surcroit, la diversité des procédures de demande de subvention et des pièces à fournir est également source de complexité majeure pour les élus.

Enfin, les contrats et partenariats passés entre l'État et les collectivités territoriales sont aujourd'hui de plus en plus nombreux et concernent de nombreux champs thématiques (industrie, revitalisation des centres villes, ruralité, écologie...). On assiste ainsi à une multiplication des initiatives contractuelles ayant chacune leurs objectifs, leurs modalités et leur temporalité, qui peuvent être déployées en parallèle les unes des autres voire se faire concurrence.

Comme l'ont récemment rappelé les rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales »5(*), il en résulte un paysage de l'action publique locale fortement complexifié, au sein duquel de nombreux élus avouent se perdre, notamment ceux issus de petites communes disposant de faibles moyens d'ingénierie.

f) Des prélèvements sur recettes (PSR) historiques sans lien avec l'évolution des charges et ressources des collectivités et minorés de variables d'ajustement difficilement acceptées par les collectivités

Nombre de PSR ont été instaurés afin de compenser à l'euro près les collectivités territoriales des conséquences des réformes de la fiscalité locale ou des politiques d'exonérations.

Ils sont donc largement définis sur la base de calculs anciens aujourd'hui décorrélés de l'évolution des charges et des ressources des collectivités en bénéficiant. C'est notamment le cas des compensations d'exonérations relatives à la fiscalité locale qui sont calculées en prenant en compte l'évolution des bases de fiscalité multipliées par le taux constaté au moment de la mise en place de l'exonération. Ainsi, la compensation prend en compte l'évolution des bases fiscales de la collectivité en excluant la dynamique de taux choisi par elle.

Ces PSR, de même que les autres concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, connaissent, par ailleurs, des modifications indépendantes de ces modes de calculs, telles que la progression des dotations de péréquation, l'augmentation liée à l'évolution démographique ou le dynamisme des bases d'impositions.

Aussi, afin de rendre les évolutions des concours financiers aux collectivités territoriales compatibles avec les objectifs de maîtrise des dépenses publiques, ceux-ci ont fait l'objet de mesures de maîtrise dès la LFI 2008 qui prévoyait de réduire à la seule inflation la progression de l'ensemble des concours de l'État. Dès lors, les dotations dont les taux de croissance étaient supérieurs à l'inflation étaient compensées par la baisse corrélative d'autres dotations, dites « variables d'ajustement », dont le montant était ajusté en conséquence.

Dans le prolongement de cette logique, la LFI 2009 a étendu le nombre de ces variables de manière à répartir plus équitablement la charge entre les différentes dotations faisant l'objet d'une minoration. Entre 2017 et 2019, l'assiette des variables a encore été élargie aux dotations figées issues de la réforme de la taxe professionnelle pour neutraliser la dynamique importante d'un certain nombre de dotations et prélèvements sur recettes au sein de l'enveloppe des concours financiers.

Ce mécanisme de minoration des variables d'ajustement est largement contesté en ce qu'il revient à minorer des dotations supposées compenser à l'euro près les collectivités territoriales des conséquences de précédentes réformes fiscales.

3. Une évolution des ressources au fil de l'eau sans lien avec les charges et les missions des collectivités

Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport, la compensation des transferts de compétences est un principe constitutionnel qui doit obéir à un principe de neutralité budgétaire. Son application stricte prévoit que la compensation financière accordée par l'État doit être intégrale, par l'affectation de ressources équivalentes au « coût historique » supporté par l'État, à l'euro près.

Or, comme l'a rappelé la jurisprudence du Conseil constitutionnel6(*), l'État n'a pas à réévaluer les modalités de compensation en fonction du coût d'exercice des charges transférées : seul le coût historique fait l'objet d'une garantie constitutionnelle.

Dans ce contexte, l'absence de compensation pérenne fait l'objet d'un désaccord récurrent entre l'État et les collectivités territoriales. Ces dernières insistent sur le fait que le transfert d'une compétence doit s'accompagner des moyens d'y faire face dans la durée. Elles considèrent également que les décisions de l'État ayant pour conséquence un renchérissement de l'exercice des compétences transférées doivent être compensées en application du principe du décideur payeur.

De surcroit, les compensations de fiscalité locale diminuée ou supprimée se sont également opérées à l'euro près à un instant t sans considération de l'évolution des charges (à la hausse ou à la baisse) des collectivités territoriales.

Aussi, en raison d'une attrition de la fiscalité locale, du principe de compensation au coût historique et des incertitudes sur le dynamisme des parts d'impôts nationaux transférés, le lien entre ressources et charges des collectivités territoriales est de plus en plus distendu.

4. Une évolution du panier des ressources qui génère une absence de cohérence sur les indicateurs financiers
a) Des modifications apportées pour tenir compte de l'évolution du panier de ressources....

Les produits, réels ou potentiels, perçus par les collectivités au titre de la taxe d'habitation (TH) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) entrent dans la composition des indicateurs financiers utilisés de manière transversale dans le calcul de la plupart des dotations et fonds de péréquation. Ces indicateurs sont le potentiel fiscal, l'effort fiscal et le coefficient d'intégration fiscale (CIF).

Les collectivités perçoivent, depuis 2021, un nouveau panier de ressources liées aux réformes fiscales suivantes :

- la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, qui conduit les communes à percevoir la TFPB départementale et les départements et les EPCI à fiscalité propre à percevoir de la TVA en substitution ;

- la diminution de la TFPB et de la CFE due sur les locaux industriels dans le cadre de la réforme des impôts de production, qui fait l'objet d'une compensation des collectivités du bloc communal sous la forme d'un prélèvement sur recettes institué par la loi de finances initiale pour 2021.

Le nouveau panier de ressources perçu par les collectivités depuis 2021 a donc impliqué une refonte de ces indicateurs, opérée en deux temps. Dans un premier temps, l'article 252 de la loi de finances pour 2021, préservant largement la structure et les finalités de ces indicateurs, les a néanmoins ajustés pour intégrer dans leur calcul les nouvelles ressources locales, à savoir la taxe sur la valeur ajoutée et la TFPB communale (dont le montant perçu est affecté d'un coefficient correcteur). Cette nouvelle définition permet ainsi aux indicateurs actuels de continuer à jouer leur rôle en 2022 et les années suivantes. Dans un second temps, l'article 194 de la loi de finances pour 2022 a prolongé les évolutions initiées en loi de finances pour 2021 en :

- intégrant dans le calcul des potentiels fiscal et financier communaux plusieurs recettes libres d'emploi perçues par les communes : les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), la taxe locale sur la publicité extérieure, la taxe sur les pylônes électriques, la taxe de stockage sur les déchets nucléaires ainsi que la majoration de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires ;

- simplifiant le calcul de l'effort fiscal pour le recentrer sur les impôts effectivement levés par les communes et sur lesquels elles disposent d'un pouvoir de taux, rapportés aux impôts qu'elles pourraient lever si elles appliquaient les taux moyens nationaux d'imposition.

L'ensemble des évolutions issues des lois de finances pour 2021 et 2022, pour le potentiel financier comme pour l'effort fiscal des communes, sont couvertes par une fraction de correction afin d'éviter que ces réformes ne déstabilisent la répartition des dotations. La neutralisation des effets des réformes est complète en 2022 ; la fraction décroîtra ensuite de manière très progressive pour s'éteindre en 2028.

La refonte de la fiscalité locale et la baisse des impôts de production n'ont donc aucun impact sur la répartition de la DGF en 2022.

b) ...mais des travaux qui doivent se poursuivre pour lisser les effets des réformes sur la fiscalité locale

Malgré les modifications intervenues en LFI 2021 et LFI 2022, la suppression des produits fiscaux levés par les EPCI à fiscalité propre pourrait produire des effets indésirables sur le calcul de l'effort fiscal sur le territoire d'une commune.

De surcroit, les simulations présentées, notamment au comité des finances locales, relatives à la suppression de l'effort fiscal ou à sa substitution par le revenu par habitant ne sont pas pleinement satisfaisantes.

Par ailleurs, concernant les départements, si les adaptations du potentiel financier sur les dotations et fonds de péréquation sont neutralisées par une fraction de correction pérenne, cette dernière fragilise cependant la capacité, à terme, de cet indicateur à donner une image fidèle de la richesse relative des départements.

Enfin, à la suite de la suppression de la CVAE, le panier de ressources des départements comme celui des communes va connaitre des évolutions dont il faudra également tenir compte dans les modalités de calcul des indicateurs financiers.

B. UNE RÉFORME DONT LA NÉCESSITÉ EST UNANIMEMENT RECONNUE MAIS QUI DEVRA RÉUSSIR À CONCILIER DES INTERÊTS CONTRADICTOIRES DANS UN CONTEXTE DE DÉFIANCE ACCRUE ENVERS L'ÉTAT

1. Les objectifs contradictoires du financement des collectivités : autonomie ou dynamisme des recettes, limitation des dépenses de fonctionnement mais développement de l'investissement local

Si les acteurs locaux, élus, associations d'élus, comité des finances locales, posent un diagnostic identique sur les modalités de financement des collectivités territoriales et appellent de manière unanime à une réforme d'ensemble, force est de constater que les objectifs qui président au financement des collectivités sont de nature contradictoire.

La Cour des comptes, durant son instruction, a identifié trois attentes principales des représentants des collectivités.

En premier lieu, les élus souhaitent une visibilité et une prévisibilité accrue sur l'évolution de leurs recettes afin notamment d'inscrire leur action et les investissements nécessaires dans le moyen terme. Ce premier critère devrait, par ailleurs, s'accompagner d'un certain dynamisme des ressources.

Le deuxième objectif d'une réforme du financement des collectivités est la capacité à agir sur les recettes, ce qui renvoie à la notion d'autonomie fiscale au-delà de la seule autonomie financière.

Enfin, le financement des collectivités doit se caractériser par des mécanismes de solidarité et péréquation forts afin de lisser les inégalités entre territoires.

Cependant, au sein même de ces trois principaux objectifs, on constate des contradictions difficilement conciliables entre elles.

a) Une autonomie fiscale accrue en contradiction avec le dynamisme des recettes et une solidarité plus importante

En effet, l'objectif de visibilité et de prévisibilité des recettes, de même que leur dynamisme, tend à privilégier un accroissement des fractions d'impôts nationaux transférés dynamiques alors que l'autonomie fiscale accrue nécessiterait davantage de fiscalité directe locale par création d'un nouvel impôt ou par augmentation des pouvoirs de taux.

Or, la fiscalité locale directe, même associée à un pouvoir de taux n'assure pas nécessairement un dynamisme des recettes du fait des limites politiques au relèvement des taux dans un contexte de prélèvements obligatoires déjà élevés et d'absence, à ce jour, de réévaluation des valeurs locatives.

De surcroit, si plusieurs associations d'élus souhaitent un renforcement de l'autonomie fiscale des collectivités, elles reconnaissent qu'une augmentation des leviers fiscaux serait de nature à renforcer les inégalités de ressources. Une telle évolution impliquerait donc vraisemblablement un renforcement de la péréquation horizontale, dont l'acceptabilité est parfois difficile.

b) Une volonté d'encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités par l'État en contradiction avec l'incitation à l'investissement local

Depuis plusieurs années, l'État a souhaité limiter la hausse tendancielle des dépenses de fonctionnement des collectivités par le biais de plusieurs mécanismes : la baisse de la DGF jusqu'en 2018, puis la mise en place des contrats de Cahors qui fixaient un objectif d'évolution des dépenses de fonctionnement et enfin la nouvelle tentative d'encadrement des dépenses de fonctionnement, dans le cadre de contrats dits « de confiance » dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027 et le projet de loi de finances pour 2023.

Cette volonté de limiter la hausse tendancielle des dépenses de fonctionnement des collectivités est cependant contradictoire avec le maintien à un niveau élevé (près de 2 milliards d'euros) des dotations d'investissement et une incitation forte du Gouvernement à développer l'investissement local.

Or, les dépenses d'investissement des collectivités généreront de facto une hausse des dépenses de fonctionnement, pour la maintenance et l'entretien de ces nouveaux investissements (y compris des dépenses de personnel), même si certaines d'entre elles, liées à la rénovation thermique des bâtiments, contribueront aussi à diminuer les dépenses pour l'achat des matières énergétiques (électricité, gaz...).

La réforme des finances locales devra donc relever le défi de concilier ces objectifs contradictoires notamment dans une période inflationniste et de nécessité pour les collectivités d'investir pour répondre aux enjeux de la transition écologique.

2. Une défiance accrue envers l'État

Cette nécessaire réforme doit cependant intervenir dans un contexte de défiance accrue des collectivités territoriales envers l'État qui ne facilite pas le dialogue.

Plusieurs causes expliquent cette méfiance et les relations tendues qui peuvent aujourd'hui exister entre l'État et les collectivités.

a) Une diminution des concours financiers suivie d'un système de contractualisation en raison de la méfiance de l'État envers les collectivités et, subséquemment, à l'origine d'une défiance des collectivités envers l'État

Premièrement, de 2013 à 2018, l'État a réduit ses contributions aux collectivités territoriales de plusieurs manières :

- une diminution de la dotation globale de fonctionnement de 14,5 milliards d'euros entre 2013 et 2018, cette dernière passant de 41,5 milliards d'euros à 27 milliards d'euros ;

- une diminution globale des prélèvements sur recettes de 15,3 milliards d'euros soit 800 millions d'euros en sus de la baisse de la DGF.

À compter de 2018, le niveau de la DGF a été stabilisé à périmètre constant. Cependant, cette diminution s'est inscrite dans le cadre des contrats de Cahors visant à encadrer la progression des dépenses réelles de fonctionnement en imposant une diminution de 13 milliards d'euros par rapport à la trajectoire tendancielle et spontanée de ce type de dépense, soit 2,6 milliards d'euros par an. Cette contractualisation de la trajectoire financière a concerné les 322 collectivités (régions, départements, EPCI et communes) dont le budget principal dépassait 60 millions d'euros, d'après l'article 29 de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022. Les contrats conclus entre ces dernières et l'État fixaient ainsi un objectif d'évolution des dépenses de fonctionnement compris entre +0,75 % et +1,65 %, avec un mécanisme de sanction (consistant en une reprise financière égale à 75 % de l'écart constaté ou à 100 % de l'écart pour les collectivités ayant refusé de signer un contrat) pour les collectivités dépassant l'objectif.

Ils ont été perçus, par les collectivités territoriales, comme un signe de méfiance de l'État qui, par ce biais, tendrait à mettre en cause la rigueur de la gestion budgétaire des collectivités et entendrait limiter leur libre administration.

b) L'échec de la tentative gouvernementale de mise en place d'un nouveau dispositif d'encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités pour la période 2023-2027

Enfin, le projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027, dans son article 23, prévoyait un dispositif comportant un premier volet préventif : à compter de 2023, le respect de l'Odedel devait être surveillé à l'échelle des catégories de collectivités territoriales (régions, département, bloc communal) et un volet correctif en cas de non-respect de l'objectif par une catégorie dans son ensemble. Dans ce cas, les collectivités et groupements qui auraient dépassé l'objectif auraient été exclus de l'octroi des dotations de l'État, et auraient dû conclure, avec ce dernier, un accord de retour à la trajectoire portant sur la progression de leurs dépenses réelles de fonctionnement d'une inspiration très comparable à celle qui prévalait sous la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 avec les contrats dits « de Cahors ».

Et alors même que cet article avait été supprimé par l'Assemblée nationale et le Sénat, le Gouvernement l'a réintroduit dans le projet de loi de finances pour 2023. Sur la forme, le procédé consistant à réintroduire au sein du projet de loi de finances, à la faveur de la procédure prévue par l'article 49, alinéa 3 de la Constitution pouvant être mise en oeuvre sans limitation pour les lois de finances, une disposition expressément rejetée par les deux assemblées sur un autre texte a été fortement critiqué par les sénateurs qui ont, de nouveau, supprimé cet article en première lecture, article qui n'a pas été réintégré lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

Il en est résulté un climat encore détérioré entre le Gouvernement et les collectivités territoriales qui ont pourtant démontré ces dernières années leur esprit de responsabilité ainsi que la rigueur de leur gestion.

c) Les suppressions successives d'impôts locaux : un dessaisissement des prérogatives fiscales des collectivités territoriales

Les dernières années ont été marquées par une succession de suppression d'impôts locaux, qui a considérablement contribué à accroître la défiance des élus à l'égard de l'État. Ce processus constitue une tendance de fond, au nom soit du soutien au pouvoir d'achat des ménages, qui avait justifié la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales en loi de finances pour 20207(*), soit de la compétitivité des entreprises, qui avait justifié la suppression de la taxe professionnelle en loi de finances pour 20108(*) puis la politique de baisse des impôts dits « de production » avec la suppression en deux temps de la CVAE et la baisse de la CFE et de la TFPB des locaux industriels.

En premier lieu, l'article 8 de la loi de finances pour 2021 a abaissé, à compter de 2021, le taux de CVAE (division par deux de ce taux qui passe de 1,5 % à 0,75 %) en supprimant la part de CVAE (50 %) affectée à l'échelon régional. Corrélativement, le schéma de financement des régions a été revu en substituant à la CVAE une fraction de TVA.

La conséquence de cette mesure est ainsi une division par deux du montant de l'imposition due par les entreprises au titre de la CVAE soit une diminution de son produit annuel d'environ 7,2 milliards d'euros.

En second lieu, l'article 29 de la même loi a procédé à une réforme des modalités d'établissement de la valeur locative cadastrale des locaux industriels qui intervient dans l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties et sur la cotisation foncière des entreprises. L'allègement d'impôt qui en a résulté est de 1,75 milliard d'euros pour la taxe foncière sur les propriétés bâties et à 1,54 milliard d'euros pour la cotisation foncière soit un total de 3,3 milliards d'euros. Elle correspond à une diminution des taux applicables de 8 % à 4 % pour les sols et terrains et de 12 % à 6 % pour les constructions et installations foncières.

La baisse de recettes pour les communes et EPCI impactés par cette réforme a été compensée par l'institution d'un prélèvement sur recettes de l'État.

Après la suppression de la part de CVAE affectée aux régions en loi de finances initiale pour 2021, la loi de finances pour 2023 a supprimé la CVAE sur deux ans (2023 et 2024). Cet impôt local a généré 9,7 milliards de produit fiscal en 2021 pour les collectivités, soit 11 % de leurs recettes fiscales. Cette suppression partielle en 2023 puis totale en 2024 sera compensée à l'euro près par une fraction de TVA.

Enfin, la suppression totale, à compter de 2023, de la taxe d'habitation sur les résidences principales a privé les EPCI et les départements de leur principal pouvoir de taux et d'assiette, dans la mesure où les collectivités ont été compensées de la perte de ce produit fiscal comme suit :

- pour les communes : par le transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) (15 milliards d'euros) ainsi que par une dotation de compensation de l'État de 0,4 milliard d'euros. Elles sont donc seules à conserver un impôt local avec pouvoir de taux ;

- pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : par l'affectation d'une fraction dynamique de TVA pour un montant équivalent au produit des bases 2020 et du taux de taxe d'habitation applicable en 2017 ;

- pour les départements : par l'affectation d'une fraction dynamique de TVA en compensation des recettes de la taxe foncière sur les propriétés bâties désormais affectées aux communes ;

- pour la ville de Paris : par l'affectation d'une autre fraction de TVA.

Ces réformes successives ont eu pour conséquence de réduire l'autonomie fiscale des collectivités et dans le cas de la CVAE, de limiter le « retour sur investissement » des politiques publiques permis par la fiscalité, en les rendant de plus en plus dépendantes à des fractions de TVA sur lesquelles elles n'ont aucune prise et dont le dynamisme actuel dans un contexte d'inflation ne peut être considéré comme une tendance pérenne.

Il en résulte que, même compensées à l'euro près, ces réformes ont été mises en oeuvre sans véritable dialogue avec les collectivités et ont pu accroitre la défiance de ces dernières envers l'État qui les privait, par ce biais, de moyens d'action sur leurs ressources.

Dès lors, si une réforme des finances locales devait être initiée à court ou moyen terme, il parait indispensable qu'elle se fonde au préalable sur un dialogue apaisé et une confiance renouvelée entre le Gouvernement et les élus locaux.

II. DES PISTES ET RECOMMANDATIONS QUI TÉMOIGNENT DE LA COMPLEXITÉ D'UNE RÉFORME GLOBALE TOUT EN CONSTITUANT UNE BASE DE TRAVAIL PRÉCIEUSE POUR L'AVENIR

A. LA MÉTHODE DES SCÉNARIOS POLAIRES MET EN ÉVIDENCE L'ÉTROITESSE DES MARGES DE MANoeUVRE POUR RÉFORMER LE PANIER DE RESSOURCES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Conformément au cadre fixé avec les rapporteurs de la commission des finances, la Cour des comptes a présenté trois scénarios « polaires » de réforme du système de finances locales, sur la base du constat partagé, rappelé en première partie. Ces scénarios s'articulent autour des trois grandes catégories de ressources des collectivités territoriales :

1° le renforcement des ressources locales, issues notamment de la fiscalité locale ;

2° le renforcement de la fiscalité partagée ;

3° le renforcement des dotations de l'État.

À la demande expresse de la commission des finances, la Cour a ensuite présenté un scénario intermédiaire de réforme possible, qui correspond à une synthèse des orientations de chaque scénario polaire.

Au plan méthodologique, cette présentation permet aux décideurs d'apprécier les possibilités pour renforcer la part de tel ou tel type de ressource au sein du panier global et de mesurer les avantages et limites associés, appréciés à l'aune de trois critères identifiés par la Cour :

- un critère d'équilibre des finances locales pour répondre aux enjeux de prévisibilité du financement ;

- un critère de territorialisation et de capacité d'action des collectivités territoriales sur leurs ressources ;

- un critère de solidarité relatif aux inégalités de richesse entre les territoires.

Les rapporteurs n'entendent pas, à ce stade, « trancher » entre les différents scénarios présentés par la Cour, ni préempter la nécessaire concertation qu'ils appellent de leurs voeux dans le cadre d'une gouvernance renouvelée (voir infra). Poursuivant le souci de clarification du débat amorcé par la Cour, ils tiennent cependant à formuler un certain nombre d'observations qui mettent en évidence l'étroitesse des marges de manoeuvre existantes pour réformer le panier de ressources actuel des collectivités territoriales.

1. Le renforcement de la fiscalité locale au niveau du bloc communal présente le risque d'alourdir la pression fiscale ou d'aggraver les inégalités territoriales, et pose la question de son acceptabilité pour les autres strates

Le premier scénario polaire présenté par la Cour consiste à accroître la part des ressources locales dans le panier de ressources des collectivités territoriales. Au premier rang de ces ressources - qui comprennent également les redevances et produits domaniaux - figurent les impôts directs locaux, ce en dépit de leur importante érosion au fil des réformes des dernières années (voir supra).

La principale orientation retenue par la Cour au titre de ce scénario, reprise dans le scénario intermédiaire, est de concentrer la fiscalité locale sur le bloc communal.

Une telle option appelle plusieurs observations des rapporteurs.

Tout d'abord, il est indéniable que le fait de disposer d'une capacité d'action sur les recettes revêt une importance particulière au niveau du bloc communal, où subsiste la clause générale de compétences et où sont mis en oeuvre les services publics de proximité.

Ensuite, force est de constater que le bloc communal est déjà la strate de collectivité pour laquelle la fiscalité locale représente la part la plus importante de ses ressources, phénomène accentué depuis la redescente au bloc communal de la TFPB départementale et la suppression de la CVAE.

Enfin, il est acquis qu'à droit constant, le fait de renforcer la fiscalité locale aurait pour effet, compte tenu de l'inégale répartition des bases fiscales, d'accroître les inégalités territoriales. Une telle option impliquerait donc un effort supplémentaire de péréquation horizontale, dont on sait que l'acceptabilité politique est fragile.

Deux pistes principales sont identifiées pour augmenter la part de la fiscalité locale dans le panier de ressources du bloc communal.

L'institution d'un impôt résidentiel est examinée par la Cour, qui ne retient pas cette proposition. Un tel instrument aurait pour vertu de restaurer le lien de responsabilité démocratique réalisé par l'impôt entre la collectivité et l'électeur usager des services publics locaux. Il convient de relever à cet égard qu'outre la difficulté à définir des paramètres à la fois socialement justes et de nature à générer un rendement suffisant, la restitution aux communes d'un nouveau dispositif fiscal fait courir le risque d'un relèvement de la pression fiscale sur les contribuables locaux.

L'autre option, privilégiée par la Cour, est celle consistant à transférer au bloc communal les impôts revenant aux autres strates de collectivités territoriales, les régions et les départements. Cette option n'est cependant pas exempte de limites.

Certes, comme la Cour le souligne, les éléments de fiscalité locale revenant aux régions et aux départements ne sont pas pleinement cohérents avec les compétences qui leur sont attribuées.

En effet, le produit des DMTO des départements, assis sur les transactions immobilières réalisées sur le territoire, est volatil et corrélé négativement avec les charges auxquels ces derniers font face au titre de leurs compétences d'action sociale. Il en résulte des situations financières très tendues voire insoutenables dans certains territoires. C'est le cas notamment du département des Ardennes qui présente des DMTO faibles (95 euros par habitant soit quatre fois moins que les départements les mieux pourvus - entre 300 et 440 euros par habitant après mise en oeuvre du dispositif de solidarité -). Parallèlement les aides à la personne représentent, dans ce département, 424 euros par habitant contre 345 euros pour la moyenne de la strate. Par ailleurs, certains représentants du bloc communal, à l'instar de France Urbaine lors de son audition par la commission des finances, considéraient que les DMTO correspondaient davantage en principe au fruit d'un « travail communal » (voir infra).

De même les régions, qui sont chargées de développer l'offre de transports en commun au titre de leur compétence d'autorités organisatrices de la mobilité (AOM), perçoivent des recettes fiscales issues de la route (taxe sur les conventions d'assurance, accise sur les énergies) : il en résulte que plus elles développeront cette compétence plus leurs recettes, paradoxalement, vont se contracter.

Pour autant, les représentants des régions et des départements entendus par les rapporteurs ont marqué leur attachement à la préservation d'une fiscalité locale à leur échelon.

L'Assemblée des départements de France (ADF) s'est prononcée en défaveur d'une nationalisation ou d'un transfert au bloc communal des DMTO. Les rapporteurs soulignent par ailleurs qu'une telle évolution aurait des effets de bords, non anticipés par la Cour dans son rapport, sur le système de péréquation des départements qui est désormais exclusivement fondé sur cette ressource au travers du fonds national de péréquation des DMTO (FNP-DMTO), doté de 1,6 milliard d'euros. Elle conduirait également à remettre en cause le mécanisme de mise en réserve contra-cyclique appliqué depuis 2022 aux produits des DMTO (voir infra).

Tout en rappelant la nécessité de revoir le système de financement des régions compte tenu de l'incohérence évoquée entre leurs ressources et leurs compétences, le représentant de Régions de France entendu par la commission des finances a quant à lui déclaré qu'il « n'exist[ait] pas de consensus entre les présidents de région sur le sujet de l'autonomie fiscale »9(*).

En tout état de cause, les rapporteurs relèvent que la traduction, dans le scénario intermédiaire proposé par la Cour, de l'orientation consistant à concentrer la fiscalité locale sur le bloc communal, est en pratique de portée minime. En effet, la Cour propose par ailleurs de nationaliser, pour les motifs d'incohérence évoqués supra, les principaux impôts locaux des régions et des départements que sont les DMTO - qui seraient certes redistribués au bloc communal en fonction de critères locaux - la taxe sur les certificats d'immatriculation et l'accise sur les énergies. En définitive, les seuls impôts régionaux et départementaux que la Cour propose de transférer directement au bloc communal, sans passer par une étape intermédiaire de nationalisation, sont les parts d'IFER qu'elles perçoivent aujourd'hui, représentant 0,9 milliard d'euros seulement.

2. Le renforcement de la fiscalité transférée se heurte à la rareté des impôts « partageables » et pose la question de leurs modalités de répartition

Le deuxième scénario polaire présenté par la Cour consiste à renforcer la part des impôts nationaux partagés avec les collectivités territoriales (21 % des recettes des collectivités en 2021). Il est d'abord à noter que même si les collectivités ne disposent pas de pouvoirs de taux ou d'assiette sur de telles ressources, celles-ci restent prises en compte pour apprécier au plan juridique l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Cette modalité de financement peut concourir à l'objectif d'attribution de ressources dynamiques et d'équilibre, comme en témoigne la mobilisation privilégiée de la TVA pour compenser la suppression de la DGF des régions depuis 2018, la suppression de la TH des EPCI et la perte de TFPB des départements depuis 2021, et enfin la suppression de la CVAE pour les régions depuis 2021 et pour les autres strates à compter de 2023.

Là encore, les travaux de la Cour montrent que les marges de décision sont faibles.

La mobilisation de la TVA pour compenser l'impact financier des réformes récentes affectant les sphères locale et sociale a abouti au fait qu'à compter de 2023, l'État perçoive désormais moins de la moitié de son produit, à rebours de l'objet historique de cet impôt de rendement pour l'État. Les possibilités d'un recours accru à la TVA sont à cet égard limitées. Il est également à noter que des obstacles juridiques liés au droit de l'Union européenne s'opposent à toute possibilité de conférer aux collectivités territoriales une capacité de modulation de son taux.

Or, peu de nouveaux impôts sont partageables. L'accise sur les énergies, déjà partagée avec les régions et les départements, n'offre pas de garantie pour l'avenir puisqu'en tant que taxe « pigouvienne », sa vocation est de diminuer à mesure que progresse la décarbonation de l'économie. La Cour écarte également le recours à la contribution sociale généralisée (CSG), dont la vocation est de financer la sécurité sociale. Les pistes de partage de l'impôt sur le revenu (IR) et de l'impôt sur les sociétés (IS) paraissent en revanche à explorer. Il est à noter que rien ne s'oppose, au plan juridique comme technique, à conférer aux collectivités un pouvoir de modulation locale des taux, bien que la Cour ne le préconise pas. Cette modulation locale aurait par ailleurs pour conséquence de créer une concurrence fiscale potentiellement importante entre les territoires.

La principale orientation retenue par la Cour au titre de ce scénario, reprise dans le scénario intermédiaire, est de privilégier le partage de recettes fiscales nationales pour les régions et les départements, en recherchant une cohérence avec leurs compétences respectives.

Pour les régions, un partage de l'IS est ainsi envisagé, par cohérence avec leurs compétences économiques, en lieu et place de l'accise sur les énergies et de la taxe sur les certificats d'immatriculation qui seraient nationalisés. Régions de France, lors de son audition par la commission des finances, a déclaré qu'une telle perspective serait plutôt bien accueillie, tout en alertant sur le fait qu'avec l'IS et la TVA, les recettes fiscales des régions seraient intégralement liées à la conjoncture économique, ce qui les exposeraient de manière accrue au risque d'une crise. Par ailleurs, il resterait à déterminer si cette part d'IS serait véritablement « localisée » - c'est-à-dire que le montant perçu par chaque région correspondrait aux bases présentes sur son territoire - ou bien répartie selon des critères d'activité économique définis au niveau national.

Pour les départements, un partage de l'IR est suggéré. La vocation redistributive de cet impôt n'est pas étrangère, dans sa philosophie, aux compétences sociales des départements. Toutefois, une localisation de l'IR à l'échelle des départements n'aurait pas grand sens, compte tenu de l'évidente corrélation négative entre bases d'IR et dépenses sociales sur les territoires départementaux. Il faudrait donc, comme le propose la Cour, répartir le produit de cet impôt en fonction de critères de ressources et de charges.

Il est à noter que jusqu'à 2023, la répartition d'éléments de fiscalité partagée substituée à des impôts locaux supprimés ne dépendait pas de critères fixés au niveau national, comme cela est envisagé par la Cour concernant l'IS et l'IR. L'article 55 de la loi de finances initiale pour 2023 supprimant la CVAE et assurant sa compensation par une fraction de TVA marque à cet égard un tournant conceptuel en prévoyant que la part dynamique de cette fraction abonderait un fonds national de l'attractivité économique des territoires, réparti en fonction de critères qui restent à déterminer par décret.

Les rapporteurs alertent cependant sur le fait que dans ces conditions, avec un partage d'impôts nationaux, qui repose sur des critères correspondant à des objectifs de politique publique aisément modifiables d'une année sur l'autre, de telles ressources s'apparentent davantage à une forme de dotation de l'État déguisée dont l'évolution du montant global serait indexé à la dynamique d'un impôt particulier. À cette aune, il est significatif de constater que la Cour recommande « de refondre progressivement les critères de répartition des dotations de l'État et des impôts nationaux partagés ».

3. Un renforcement de la part des dotations de l'État se heurterait aux exigences de préservation de l'autonomie financière des collectivités et à la complexité des enjeux qui s'attachent à leurs modalités de répartition

Le troisième scénario polaire consiste à renforcer la part des dotations et subventions (26 % des recettes des collectivités en 2021).

Comme le souligne la Cour, une telle option est juridiquement contrainte par le principe d'autonomie financière qui, selon la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, limite à 40 % la part des dotations dans leurs ressources totales.

Par ailleurs, au plan politique, accroître la part des dotations revient à accroître la dépendance financière des collectivités territoriales à l'égard de l'État, à rebours de l'esprit de la décentralisation.

Les rapporteurs considèrent que le principal enjeu qui s'attache aux dotations de l'État est moins celui de leur part dans le panier de ressources global, qui n'a pas vocation à s'accroître pour les raisons évoquées, que celui de leurs modalités de répartition, aujourd'hui insatisfaisantes.

Si la proposition d'attribuer une nouvelle « dotation d'action sociale » aux départements peut constituer une piste intéressante pour répondre à la problématique particulière du dynamisme des allocations individuelles de solidarités (AIS) aujourd'hui sous compensées, la solution préconisée pour le bloc communal est plus incertaine. La Cour se borne à envisager une nouvelle « dotation de fonctionnement des communes » sans spécifier en quoi elle se distinguerait, dans ses modalités de répartition et dans son évolution annuelle, de l'actuelle DGF.

La « remise à plat » de la DGF constitue pourtant un chantier prioritaire, sans cesse ajourné depuis les travaux de la mission « Pires Beaune / Germain » de 201510(*). En son sein, la dotation forfaitaire est le fruit d'une sédimentation de dispositifs historiques, sans cohérence d'ensemble. Quant à ses composantes péréquatrices, celles-ci reposent encore pour l'essentiel sur des critères de richesse potentielle largement caducs dans un contexte marqué par une fiscalité locale largement érodée et assise sur des bases, les valeurs locatives, largement vétustes ou sur des indicateurs de charges indirects frustes (population, revenu moyen). Au cours de leurs différents travaux11(*), les rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ont plusieurs fois insisté sur l'importance de mieux prendre en compte les charges supportées par les collectivités territoriales dans les systèmes de péréquations verticales et horizontales.

Ils se sont, à cet égard, intéressés au cas des collectivités locales en Italie , où le système de péréquation fonctionne selon une méthode originale, définie par une loi du 5 mai 2009 qui repose sur des indicateurs de « besoins de financement standards » , qui doivent permettre de mesurer précisément le coût de fourniture d'un service public local dans chaque collectivité afin de répartir en conséquence les fonds de péréquation et de financer un « niveau essentiel » de service public12(*).

Il est certes compréhensible qu'un travail d'une telle ampleur, qui suppose un travail fin de simulation, n'ait pu être mené dans le cadre de l'enquête de la Cour. À cet égard, il reviendra au Parlement, au Gouvernement et aux collectivités territoriales d'engager les travaux en ce sens.

B. À PLUS COURT TERME, DES PISTES INTÉRESSANTES D'AMÉLIORATION DU SYSTÈME SONT PRÉSENTÉES

1. Une proposition bienvenue de renforcement de la gouvernance des finances locales, rendu nécessaire par la place croissante de la fiscalité partagée

La Cour des comptes a rappelé l'importance de l'enjeu du renforcement de la gouvernance des finances locales, condition sine qua non de succès de toute réforme compte tenu de la diversité des situations locales. Elle plaide ainsi pour une meilleure association des collectivités territoriales à la préparation des projets de lois de finances et de programmation des finances publiques.

Pour ce faire, elle présente deux pistes :

la mise en place d'une autorité indépendante chargée d'émettre un avis sur les projets de lois relatifs aux collectivités territoriales et de veiller au respect des principes d'équilibre des finances locales, de compensation des transferts de compétences et suppressions de fiscalité et de réduction des inégalités entre collectivités ;

la consolidation du comité des finances locales (CFL) comme instance de concertation sur les mesures du projet de loi de finances ayant un impact sur les collectivités territoriales et une déclinaison de ce comité par niveau de collectivités pour renforcer le dialogue sur les critères de répartition des impôts nationaux et sur la péréquation horizontale.

Les associations d'élus auditionnées par la commission des finances qui ont abordé la question ont indiqué leur préférence pour la seconde option, qui présente l'avantage de partir de l'existant et du CFL. Selon François Rebsamen, entendu au nom de France urbaine, celui-ci reste en effet une « émanation des collectivités territoriales » qui, cependant « ne doit pas se perdre dans des analyses de décrets » et « doit plutôt se concentrer sur les lois de finances ».

Les rapporteurs rejoignent pleinement la Cour sur la nécessité de refonder la gouvernance des finances locales, en associant le Parlement, l'Exécutif et les élus locaux. Pour porter pleinement ses fruits, la coopération doit également être mieux structurée et intervenir dès le premier semestre de l'année, afin que les collectivités territoriales puissent réellement être associées à la préparation du projet de loi de finances pour les mesures qui les intéressent, ainsi qu'à celle du débat d'orientation des finances publiques pour lui conférer une dimension pluriannuelle.

L'enjeu de la gouvernance revêt une importance particulière dans un contexte de recours croissant à la fiscalité partagée. En effet, pour prendre un exemple, toute décision affectant désormais les recettes de TVA aurait un impact direct sur les collectivités territoriales. La piste évoquée par la Cour de « clauses de rendez-vous » sur les critères de partage d'impôt nationaux, par exemple sur la durée de la programmation, adossée à « un suivi de la correcte compensation des transferts de compétences en vertu de l'article 72-2 de la Constitution » est à cet égard tout à fait intéressante. Elle fait écho à la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat en 2020, tendant notamment à modifier cet article de façon à prévoir un « réexamen régulier » des droits à compensation13(*), dont la mise en oeuvre suppose une gouvernance appropriée.

2. Des recommandations pour rendre le système plus simple et lisible, dont certaines sont toutefois discutables

La Cour des comptes formule en outre plusieurs recommandations visant à rendre le système de financement des collectivités territoriales plus simple et plus lisible.

Elle préconise notamment d'engager un travail d'actualisation des dispositifs hérités du passé.

En premier lieu, la Cour souligne l'importance de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation, dont la vétusté porte atteinte à la légitimité et partant à l'acceptabilité sociale de l'impôt local. Les rapporteurs ne peuvent que la rejoindre à cet égard, et rappellent que la commission des finances s'était fortement opposée, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, au décalage de deux ans du calendrier de révision issu de la loi de finances initiale pour 202014(*) et devant initialement prendre pleinement effet à compter de 2026, mais n'avait pas été suivie15(*).

La Cour évoque la suppression des dotations figées issues de la compensation de la fiscalité dite « morte », telles que la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) ou encore la dotation pour transferts de compensation d'exonérations de fiscalité locale (DTCE). Cette piste est également intéressante, à condition qu'elle fasse elle-même l'objet d'une compensation aux collectivités territoriales, par exemple via la fiscalité partagée.

Les rapporteurs ajoutent que le chantier, mentionné supra, de réforme de la DGF et en particulier de la dotation forfaitaire en son sein, contribuerait également à cet objectif d'actualisation du système.

Il est plus difficile de suivre la Cour dans ses recommandations tendant à simplifier les règles de répartition des impôts locaux.

L'objectif de simplification de la fiscalité partagée par l'attribution d'une fraction unique par strate et par impôt paraît difficile d'atteinte. En l'état, une fraction de TVA est en effet déjà affectée aux communes, intercommunalités, départements et régions. Un travail pourrait toutefois utilement être engagé pour déterminer les conditions dans lesquelles les différentes fractions du même impôt affectées à une même strate pourraient être refondues (à titre d'exemple, les régions perçoivent des fractions de la TVA au titre de la compensation de la suppression de leur DGF et de la CVAE, les départements et EPCI perçoivent également des fractions de ce même impôt au titre de la compensation de la réforme de la taxe d'habitation et de la suppression de la CVAE). Un tel travail impose une certaine vigilance car ces compensations obéissent aujourd'hui à des règles distinctes, qui correspondent à des engagements pris par le Gouvernement auprès des collectivités territoriales dans les contextes particuliers des réformes dont elles sont issues.

De même, la suppression de toute multi-affectation d'impôt local implique, au nom de l'objectif de simplification, de porter atteinte à l'autonomie fiscale d'une strate au profit d'une autre. Ainsi en est-il de la proposition de la Cour de mettre fin à la multi-affectation des IFER au profit du seul bloc communal.

Plus problématique encore est la proposition de supprimer les pouvoirs de taux existants à plusieurs niveaux pour un même impôt. Cette situation existait à l'échelle de deux strates différentes s'agissant de la TFPB avant la réforme de la taxe d'habitation et la redescente aux communes de la part départementale. À cet égard, seules les taxes foncières sont concernées par une superposition de pouvoirs de taux, exercés par les communes et les intercommunalités. À nouveau au nom du seul objectif de simplification, la Cour va jusqu'à « envisager de confier la fixation du taux uniquement au niveau intercommunal, charge à lui de répartir ensuite les recettes fiscales selon une répartition décidée avec les communes ». Il s'agirait là d'une atteinte très forte et sans précédent à l'autonomie financière des communes, et la constitutionnalité d'une telle mesure n'est pas assurée16(*).

3. La nécessité de renforcer la capacité du système à faire face aux crises

Enfin, la Cour des comptes, instruite par l'expérience des crises pandémique et inflationniste, rappelle l'importance de renforcer la capacité du système de financement des collectivités à faire face aux retournements conjoncturels.

Elle relève à ce titre la nécessité de renforcer les dispositifs de péréquation.

Les rapporteurs ne peuvent qu'y souscrire, cette préoccupation entrant pleinement en résonnance avec des travaux récents de la commission des finances17(*). Comme expliqué supra, les années récentes ont donné lieu à des avancées en la matière pour les régions et surtout les départements, avec l'institution du fonds national de péréquation des DMTO, doté de 1,6 milliard d'euros et constituant ainsi le premier dispositif en volume.

Les rapporteurs soulignent que la péréquation verticale doit également jouer son rôle. Dans le contexte de diminution puis de stabilité de la DGF qui a caractérisé la période récente, la progression des dotations de péréquation (DSU, DSR...) était de fait, conformément aux règles de répartition de la DGF, financée par l'écrêtement des dotations forfaitaires des autres collectivités territoriales, ce qui constitue une forme de dévoiement de la péréquation verticale. La loi de finances initiale pour 2023 a représenté une avancée à cet égard, avec une progression du montant global de la DGF correspondant à la croissance de ses composantes péréquatrices.

L'autre piste évoquée par la Cour est celle du développement de mécanismes d'auto-assurance, avec notamment la possibilité de déroger aux règles de la gestion budgétaire pour pouvoir mettre en réserve une partie des recettes fiscales des « bonnes années » et les réinjecter dans le budget de la collectivité en cas de retournement conjoncturel. Un dispositif de cette nature, applicable aux DMTO des départements, a été institué pour la première fois en 202218(*) à la demande de l'ADF. Une réflexion pourrait être engagée à cet égard au sein des autres strates de collectivités.

TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITIONS POUR SUITE À DONNER

I. AUDITION DU PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES

Réunie le mercredi 12 octobre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

M. Claude Raynal, président. - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, accompagné de M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour, et de plusieurs magistrats qui ont préparé cette enquête.

Ces dernières années ont vu de profondes modifications des ressources des collectivités locales, caractérisées par une stabilité des transferts financiers de l'État, une diminution de la fiscalité locale et un renforcement de la péréquation. L'autonomie fiscale se réduit fortement, et de nouvelles propositions sont formulées, dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, sur l'encadrement des dépenses des collectivités locales. Une réflexion doit donc être engagée sur la réalité de leurs charges de fonctionnement, mais aussi d'investissement, qui détermineront leurs besoins de financement et sur le panier de ressources dont elles pourraient bénéficier pour répondre aux évolutions prévisionnelles de leurs charges.

Compte tenu de l'ampleur de ces questions, nous avons, avec le rapporteur général et mon collègue Charles Guené, corapporteur spécial avec moi de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », choisi de confier à la Cour des comptes une mission de réflexion approfondie sur ce sujet. Je remercie les magistrats de la Cour pour les échanges nombreux que nous avons eus tout au long de la préparation de leur rapport.

M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. - Conformément à la mission constitutionnelle d'assistance de la Cour des comptes au Parlement, vous nous avez demandé, au mois de janvier 2022, de réaliser cette enquête sur les scénarios d'évolution du financement des collectivités territoriales. Sa publication intervient à un moment opportun de la discussion parlementaire sur la loi de finances et sur la loi de programmation des finances publiques. J'espère que ce rapport contribuera à éclairer le débat budgétaire. Au terme d'une instruction menée avec diligence et qui a associé à trois reprises certains membres éminents de votre commission, je suis heureux de pouvoir vous présenter nos conclusions.

Ce rapport a été délibéré par une formation interjuridictions, associant des chambres de la Cour et des chambres régionales des comptes. C'était indispensable pour bénéficier d'un double éclairage, à la fois national et territorial.

Il intervient, à la demande du Sénat, dans un contexte particulier pour les finances publiques locales. La suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et la baisse des impôts de production ont profondément modifié le panier de recettes de tous les niveaux de collectivités depuis 2021, avec notamment une part croissante des impôts nationaux partagés avec l'État. Il en a résulté, pour les exécutifs locaux, une certaine maîtrise de leur financement.

De même, la loi de programmation des finances publiques qui s'achève avait prévu un mécanisme de contractualisation entre l'État et les grandes collectivités territoriales visant à encadrer l'évolution de leurs dépenses. Ce mécanisme, connu sous le nom de « contrats de Cahors », a été suspendu avec la crise sanitaire, mais le projet d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques (LPFP) prévoit un mécanisme d'inspiration comparable pour faire participer les collectivités territoriales au redressement des finances publiques. Enfin, le retour de l'inflation crée une tension et une inquiétude nouvelles sur les budgets des collectivités.

Ce rapport n'a pas vocation à traiter de ces deux derniers sujets, mais, dans la perspective de définition d'une trajectoire soutenable des finances publiques, il vise à examiner les évolutions possibles des modalités de financement des collectivités territoriales - les régions, les départements, les communes et leurs groupements.

Tout d'abord, il met en évidence la nécessité de réformer le système de financement des collectivités territoriales. Ensuite, il présente plusieurs options possibles, dont il vous appartiendra de débattre et à partir desquelles la Cour, pour répondre à une demande explicite de votre commission, dresse un scénario de réforme possible. Enfin, il identifie plusieurs conditions - le dialogue, le partage de données, la simplification, l'anticipation - nécessaires pour bâtir une nouvelle gouvernance des finances publiques locales, qui soit la base d'un pacte de confiance renouvelé entre l'État, les élus et les citoyens.

Comme nous l'avions déjà souligné dans notre rapport sur les finances publiques locales, la Cour observe qu'après une année 2020 marquée par la crise sanitaire, les collectivités territoriales ont vu leur situation financière s'améliorer en 2021. La reprise de l'activité et les crédits consacrés aux mesures de soutien par l'État, en 2020 et 2021, à hauteur de 2,6 milliards d'euros, leur ont permis d'atteindre un niveau d'épargne supérieur à celui d'avant crise, soit 41,4 milliards d'euros. Leur situation financière est favorable, avec un excédent de 4,7 milliards d'euros fin 2021.

Le contexte du retour de l'inflation, qui pèse sur les achats des collectivités, et la hausse du point d'indice des fonctionnaires décidée pour maintenir leur pouvoir d'achat, vont probablement modifier cette situation favorable en 2022 et 2023, même si les ressources fiscales des collectivités, notamment les taxes foncières s'agissant du bloc communal, sont dynamiques.

Le manque de lisibilité d'une part, et l'évolution profonde des sources de financement d'autre part, appellent désormais une réflexion d'ensemble sur les finances locales. Des ressources issues d'une sédimentation historique, sans révision d'ensemble, rendent aujourd'hui ce financement peu compréhensible tant pour les responsables locaux que pour les contribuables, avec des inégalités qui se creusent entre les territoires.

La structure de financement des collectivités a connu des réformes nombreuses, affectant les trois principales ressources - fiscalité locale, fiscalité nationale et dotations. Ces réformes n'ont pas toujours été accompagnées d'une réflexion sur le modèle de financement des collectivités. L'augmentation de la part des impôts nationaux partagés avec l'État, avec le transfert de parts de TVA décidé depuis 2017, a en partie brouillé la distinction entre impôts locaux et nationaux. La suppression de la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à partir de 2021 conduit également à ce que les régions ne disposent plus de ressources directement rattachées à l'activité économique sur leur territoire. Quant aux départements, ils ont perdu l'essentiel de leur pouvoir de taux avec le transfert des taxes foncières aux communes. Enfin, avec la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, la fiscalité du bloc communal repose désormais principalement sur le propriétaire du foncier et non plus sur l'habitant.

Ce système de financement est assez unanimement critiqué. Les principes fondateurs des finances locales ont en effet perdu de leur pertinence. En raison de la part croissante de la fiscalité nationale au sein de leurs ressources propres, l'autonomie financière des collectivités, telle que mesurée par les ratios définis en 2004, progresse, mais ne rend pas compte de la perception par les élus locaux d'une perte de maîtrise de leurs ressources. La péréquation des ressources entre collectivités souffre d'un manque d'objectifs clairement définis et évalués, et la solidarité horizontale reste trop peu développée au sein de chaque niveau de collectivités. Les modalités de compensation des transferts de compétences ont conduit à émietter les transferts de fiscalité au prix de la lisibilité d'ensemble. Enfin, le système de répartition des dotations et subventions apparaît complexe et peu prévisible, sans corriger non plus suffisamment les écarts de ressources.

Au total, alors que les élus ont plus que jamais besoin de pouvoir se projeter et anticiper, à mesure que leur rôle d'investisseur public prend de l'ampleur, le système de financement est devenu peu lisible, faiblement maîtrisé, et ne garantit pas l'équilibre des budgets locaux. Une réflexion globale sur l'adéquation entre les missions et les ressources est aujourd'hui nécessaire.

Pour cela, nous avons souhaité présenter trois options « polaires » selon chaque type de financement et qui reposent sur plusieurs critères d'appréciation. À partir de cette grille d'analyse, la Cour présente un scénario de réforme possible pour rendre le financement des collectivités territoriales plus lisible et résilient.

Nous nous sommes inspirés de modèles retenus à l'étranger et, après échange avec les associations d'élus locaux, nous avons identifié trois critères d'évaluation de la réforme du financement des collectivités. Premièrement, l'équilibre pour renforcer la lisibilité et la prévisibilité des financements, garantir la soutenabilité des finances locales et la maîtrise des ressources ; deuxièmement, la territorialisation des ressources pour renforcer le lien entre territoire et contribuable et la capacité d'agir des collectivités ; troisièmement, la solidarité pour réduire les inégalités entre collectivités, par une répartition équitable à la base des ressources jusqu'à des mécanismes correcteurs de péréquation.

Pour susciter la réflexion, la Cour a examiné trois options polaires, en portant à son maximum la part du financement des collectivités territoriales résultant d'un des trois types de ressources : soit un financement essentiellement par des ressources locales - impôts locaux ou redevances - dans l'objectif d'une véritable territorialisation des ressources ; soit un financement accru par des impôts nationaux partagés, par lequel les collectivités gagneraient en prévisibilité et en dynamisme des recettes ; soit un financement renforcé par des dotations de l'État dans le respect du principe d'autonomie financière des collectivités.

Ces scénarios polaires sont volontairement théoriques et permettent, d'une part, d'identifier le bon curseur d'une réforme du modèle de financement - quel type de ressource pour quel niveau de collectivités - et , d'autre part, de définir les principes fondamentaux de cette réforme.

Au terme de son analyse, la Cour constate que les marges de progression des ressources locales dans le financement des collectivités territoriales sont désormais limitées - sauf à recréer un impôt résidentiel touchant le plus grand nombre, ce qui relève d'un choix politique lourd. Par ailleurs, la Cour estime que ces marges seraient essentiellement mobilisables pour le bloc communal.

L'augmentation du partage des impôts nationaux est une option possible, en mobilisant sans doute d'autres impôts nationaux que ceux aujourd'hui partagés. Ainsi, si la part de la TVA partagée peut sans doute être encore un peu augmentée - comme l'a annoncé le Gouvernement pour compenser la suppression progressive de la CVAE -, il serait dangereux de priver l'État d'une ressource dynamique. D'autres impôts nationaux pourraient être sollicités comme l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés, à l'image de ce que font certains de nos voisins. À l'inverse, la Cour estime qu'il serait préférable de concentrer sur l'État les impôts liés à l'énergie ou à la voiture, afin de pouvoir mobiliser plus facilement cette fiscalité dans le cadre de la transition écologique.

Enfin, tout en notant que certains pays y ont largement recours et que ce type de financement paraît adapté pour certaines dépenses décentralisées, la Cour constate que l'augmentation de la part des dotations dans le financement des collectivités locales resterait contrainte par les ratios d'autonomie financière prévus par la loi et qu'elle ne remporterait pas l'adhésion des associations d'élus.

À partir de ces scénarios polaires, la Cour tire des principes qui devraient éclairer une réforme du cadre de financement des collectivités territoriales. Le premier principe d'une réforme serait de contribuer à la libre administration des collectivités territoriales avec un système de financement renforçant la lisibilité et facilitant l'exercice des responsabilités.

Ensuite, afin de renforcer le lien entre le contribuable et le territoire, il convient de recentrer la fiscalité locale restante sur le bloc communal, échelon de proximité et seul doté d'une compétence générale, et de supprimer autant que possible les multi-affectations d'impôts locaux. Pour tous les échelons, il est prioritaire de mettre les ressources en adéquation avec les missions exercées. Par exemple, les missions sociales des départements exigent plus de stabilité et de solidarité nationale dans leur financement, par contraste avec la situation actuelle marquée par des fluctuations importantes des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans le temps et selon les territoires. Par ailleurs, les régions, dont le rôle dans le développement économique est croissant, devraient pouvoir bénéficier de ressources en lien avec l'activité économique.

Enfin, les critères de répartition des ressources entre collectivités ne devraient plus être liés à des situations héritées du passé, avec le risque de consolider les inégalités, mais doivent se fonder sur les besoins des territoires, évalués à partir de critères socio-économiques.

À partir de ces options polaires et en prenant en compte leurs limites, la Cour a élaboré un scénario possible, équilibré, par niveau de collectivité et pour l'État. Une réforme pragmatique du financement des collectivités locales devrait viser à combiner les différentes ressources en conciliant les objectifs d'autonomie et de solidarité et en priorisant différemment ces enjeux selon les niveaux de collectivités et leurs missions.

Le scénario présenté à titre illustratif par la Cour conduirait à recentrer la fiscalité locale sur le bloc communal pour plus d'autonomie et de responsabilité, à mettre en place un système plus solidaire de financement des départements pour leur permettre de faire face à leurs dépenses sociales et de renforcer le financement des régions par la fiscalité nationale économique.

S'agissant des communes tout d'abord, le scénario intègre la suppression de la CVAE et vise à recentrer toute la fiscalité locale restant sur le bloc communal : les taxes foncières, la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, mais également les impositions forfaitaires des entreprises de réseaux (IFER) dont bénéficient aujourd'hui les départements et les régions. Ces recettes seraient complétées par une dotation de fonctionnement. Le bloc communal verrait son ratio d'autonomie progresser de 70 % à 76 %. Les DMTO, impôt local aujourd'hui partagé, seraient transformés en impôt national et affectés au bloc communal avec des critères de répartition permettant une affectation plus équilibrée en fonction des caractéristiques socio-économiques et non plus en fonction du lieu des transactions immobilières. Pour les départements, le scénario proposé conduit à affecter un panier d'impôts nationaux - TVA, taxe spéciale sur les conventions d'assurances, ainsi qu'une fraction d'impôt sur le revenu - et à créer une dotation d'action sociale pour sécuriser et garantir le financement des dépenses sociales des départements. Enfin, les régions pourraient être financées par deux impôts nationaux partagés à dominante économique, la TVA et l'impôt sur les sociétés.

Dans cette réforme, le partage de la fiscalité nationale augmenterait, mais sa répartition reposerait progressivement sur des critères reflétant les caractéristiques sociales et économiques des territoires et non sur la recette collectée localement ou les ressources historiques remplacées.

Ce scénario est en effet fondé sur une part croissante de TVA - 24 % au lieu de 20 % - et inclut également un partage d'une fraction de 12 % d'impôt sur les sociétés (IS) pour les régions et 10 % d'impôt sur le revenu (IR) pour les départements. Le partage de l'IS et de l'IR permet d'associer les collectivités à la dynamique d'impôts nationaux cohérents avec leurs missions, en lissant les évolutions par la diversification du panier de recettes.

Dernier point, les dotations de l'État seraient rationalisées selon trois finalités : assurer la transition vers le nouveau modèle de financement pour les régions, financer l'action sociale pour les départements et assurer l'équilibre financier du bloc communal. Par ailleurs, le scénario devrait viser également une simplification en supprimant notamment les compensations de fiscalité ancienne.

Ainsi, ce scénario illustratif répond aux trois objectifs d'équilibre financier, de territorialisation des ressources pour le bloc communal et de solidarité, en fonction de la rationalisation des dotations et de la clef de répartition des impôts nationaux.

Ce scénario a été présenté aux différentes associations d'élus. Nous avons senti un point de sensibilité particulier concernant la proposition de transformer les DMTO en impôt national partagé. L'association des départements de France a notamment critiqué cette orientation considérant qu'elle conduirait à supprimer le dernier impôt territorialisé des départements.

Trois raisons ont justifié cette orientation proposée par la Cour et par d'autres. Tout d'abord, les DMTO sont une ressource très instable : ils sont en forte croissance en 2020 et 2021, mais ils avaient vu leur produit s'effondrer de 40 % après la crise financière de 2008-2009 et les perspectives ne sont pas favorables pour les prochains mois. Ensuite, c'est un impôt qui crée de fortes inégalités, car l'assiette territoriale est très inégalement répartie : malgré les dispositifs de péréquation horizontale, l'écart de recettes par habitant varie de 1 à 7 selon les départements. Enfin, si l'assiette est territorialisée, le taux est aujourd'hui largement uniforme : aucune modulation n'est possible pour les communes et la quasi-totalité des départements ont adopté le taux plafond.

Mais, je le répète, le scénario présenté par la Cour est illustratif, donc non exclusif d'autres options possibles d'évolution. Il vise surtout à dégager quelques principes pour nourrir votre réflexion. Pour la Cour, il doit être vu comme un cadre de référence en vue d'un ajustement progressif des règles de financement : rien de plus et rien de moins.

Sur la méthode, au-delà de ce scénario proposé, la Cour propose dans son rapport de renouveler la gouvernance des finances publiques locales et identifie les conditions d'une réforme.

En effet, une réforme du financement des collectivités territoriales ne sera possible que par le rétablissement du dialogue entre l'État et les représentants de celles-ci dans la préparation des textes financiers nationaux et une concertation mieux structurée et fondée sur un plus fort partage des données sur les finances locales, avec une implication forte du Parlement.

Dans son rapport sur la gouvernance des finances publiques de novembre 2020, la Cour avait proposé la création d'une instance pérenne de dialogue entre l'État et les autres administrations publiques - sécurité sociale et collectivités locales - pour examiner les grands textes financiers en amont de leur présentation au Parlement.

En complément, la Cour souligne dans ce rapport la nécessité d'une instance pérenne spécifique consacrée aux finances locales, à laquelle seraient présentés non seulement les textes financiers intéressant les collectivités locales, mais aussi les modalités de compensation des suppressions d'impôts ou des transferts de compétences, et les règles d'évolution ou de partage des impôts et des dotations. Cette instance pourrait être soit le comité des finances locales, profondément rénové, soit une autorité indépendante nouvelle dotée de moyens d'expertise renforcés.

Une réforme du financement des collectivités territoriales devrait également reposer sur quelques principes forts : la simplification, pour plus de lisibilité et de responsabilité, la prévisibilité et l'équilibre financier. Quel que soit le scénario de réforme choisi, il sera nécessaire de rationaliser l'affectation de la fiscalité, pour éviter les multi-affectataires, et de procéder à la révision de dispositifs trop anciens qui complexifient le financement des collectivités et, partant, nuisent à la démocratie locale. Par ailleurs, l'équilibre dans la durée entre la dynamique des recettes et des dépenses de chaque niveau de collectivités devra être recherché, avec des clauses de rendez-vous au niveau national et une refonte progressive des critères de répartition pour mieux tenir compte des charges à partir d'indicateurs socio-économiques des territoires.

Même si chacun sait ici que le projet de loi de programmation n'a pas encore été voté, je persiste à dire que nous avons besoin de cette vision pluriannuelle, notamment pour gagner en transparence et en prévisibilité. Une bonne loi de programmation des finances publiques devrait contenir des engagements réciproques entre l'État et les collectivités, à la fois pour renforcer la prévisibilité des ressources locales et pour définir, après une concertation approfondie avec les représentants des collectivités, les modalités de participation des collectivités locales au redressement des finances publiques.

Dernier point non négligeable, l'analyse des données et le partage de l'information sont à renforcer. Un dialogue plus équilibré entre l'État et les collectivités locales exige des outils partagés et des données de qualité, facilement accessibles sur les recettes et les dépenses. Il nécessite de développer des capacités d'analyse, au niveau national comme local.

Ainsi en définitive, le rapport de la Cour tire de ces analyses sept recommandations essentielles. La première vise à renouveler la gouvernance des finances locales en créant une autorité indépendante ou en réformant en profondeur le comité des finances locales. Les six autres recommandations reprennent les améliorations évoquées pour rendre le système de financement des collectivités plus lisible et résilient, notamment clarifier la responsabilité sur les impôts locaux, simplifier le partage des impôts nationaux et mieux tenir compte de la réalité socio-économique dans la répartition des impôts nationaux.

Pour conclure, s'il fallait retenir deux choses de ce rapport, je soulignerais tout d'abord le fait que le système de financement des collectivités territoriales a montré ses limites alors que des évolutions fiscales majeures restructurent la distribution des recettes. Nous avons proposé des critères objectifs, méthodologiques et transparents, pour guider le débat qu'il vous appartient désormais de mener.

Ensuite, et c'est une des conclusions essentielles de notre rapport, ce nouveau modèle doit précisément faire l'objet d'une concertation structurée autour d'objectifs communs, pour garantir la lisibilité pour les citoyens, la prévisibilité pour les collectivités et la soutenabilité pour les finances publiques.

J'insiste sur la notion de durabilité. La construction de ce nouveau modèle doit aussi permettre de construire une trajectoire des finances locales. Comme j'ai eu l'occasion de le dire en présentant, en juillet dernier, le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, toutes les administrations doivent prendre part à la réduction du déficit et l'effort de chacun doit être posé clairement au début de chaque cycle budgétaire.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions pour cette présentation du rapport de la Cour des comptes, ce d'autant plus que plus le sujet est complexe, plus sa synthèse est difficile.

Cette audition est traditionnelle en ce qu'elle répond à une demande d'enquête que nous vous avons adressée conformément à l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Elle ne l'est pas toutefois pas complètement dans la mesure où les représentants d'associations d'élus n'y assistent pas. Nous avons décidé, après cet échange avec vous, d'ouvrir dans un deuxième temps le débat avec eux. Puis, avec Jean-François Husson et Charles Guené, mes co-rapporteurs, nous publierons un rapport sur le sujet.

Ce sujet est particulier en ce qu'il touche au financement des collectivités territoriales et non aux missions de l'État. Il s'agit - il faut le dire - d'un sujet impossible, et c'est d'ailleurs pour cette raison que nous vous l'avons confié...

Tout le monde reconnaît que le système arrive à son terme et qu'on n'a fait ces dernières années que le rafistoler à coups d'amendements de dernière minute. Un autre constat largement partagé porte sur le refus global de tout changement. D'où la difficulté du débat, et mes remerciement aux équipes de la Cour qui ont bien voulu se livrer à cet exercice.

Une partie du dossier reste « classique », présentant des comparaisons internationales et un état des lieux. Toutefois, la Cour des comptes est allée plus loin en avançant des scénarios dits « polaires » et en se risquant à formuler une proposition. Celle-ci suscitera indubitablement des réactions, mais il était important de suggérer ce premier cadre de référence pour nos débats futurs, même s'il est destiné à évoluer.

Il est également nécessaire de redonner toute sa place au Parlement dans cette réflexion. En effet, celui-ci s'est trop souvent retrouvé saisi d'une proposition émanant d'une concertation directe entre l'exécutif et les associations d'élus. C'est pourtant le rôle du Parlement de se saisir de ces sujets et de formuler des interrogations. Le président du Sénat l'a d'ailleurs récemment rappelé à l'occasion de la mise en place d'une groupe de travail chargé de dresser le bilan de la décentralisation et formuler des propositions pour la renforcer, dans la cadre duquel la question financière a été clairement identifiée, notre rapporteur général ayant à ce titre été désigné corapporteur.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je m'associe aux remerciements exprimés par le président Raynal. Ce rapport n'a pas vocation à être exclusif, mais à aborder la question de l'évolution du financement des collectivités territoriales le plus sereinement possible et dans un cadre bien déterminé. Ce financement est devenu bien compliqué au fil des ans et vous avez mentionné à juste titre la nécessité d'une plus grande lisibilité.

La présentation de trois scénarios polaires permet de donner un cadre à la discussion.

De mon point de vue, le scénario intermédiaire proposé par la Cour a quant à lui le mérite d'ouvrir et de nourrir le débat. La proposition qui est faite de concentration de la fiscalité locale sur le bloc communal serait en réalité assez modeste dans ses effets puisqu'elle se limiterait au transfert des IFER départementales et régionales, représentant 1 milliard d'euros.

Vous avez à juste titre mentionné l'opposition probable des départements à la mesure qui porte sur les DMTO : ils se verraient en effet privés de leur dernier impôt local, ce qui n'irait par ailleurs pas sans poser certaines difficultés compte tenu de l'importance de cet impôt dans leur système de péréquation.

Je partage votre souci affiché de rationaliser la fiscalité locale et de supprimer les multi-affectations tout en simplifiant le dispositif.

Les éléments du débat sont posés. À nous de nous saisir de ce rapport, car c'est là notre rôle. Dialogue, échange et partage, telles sont les valeurs cardinales pour construire un chemin. Le dialogue est à l'honneur, parfois de manière sans doute surprenante, comme par exemple avec les « dialogues de Bercy », où on ne peut manquer pas de relever une certaine contradiction dans le format choisi mais je préfère toutefois y voir un motif d'optimisme. Toute réforme qui consiste à modifier les paradigmes implique d'abandonner les postures hostiles au changement. La période est difficile pour les finances publiques. Il faudra également concilier notre réflexion avec l'effort collectif de redressement des finances publiques dont personne ne doit s'exonérer.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Je fais mienne l'analyse du président Raynal : ce travail doit être transpartisan.

Je souhaite m'attarder sur certains éléments qui manquent dans ce rapport, au demeurant excellent et à la méthodologie remarquable - il devrait faire date. Les scénarios proposés sont audacieux et vont au-delà des consensus.

J'aurais toutefois aimé que le constat d'obsolescence du système actuel soit plus prononcé. Il faut développer la pédagogie sur ce sujet.

Vous avez beaucoup travaillé sur le panier de ressources des collectivités, mais au risque d'une confusion entre les dotations et la fiscalité. En effet, la fiscalité, lorsqu'elle est nationale et partagée selon des critères territorialisés définis par la loi, s'assimile à des dotations. Une telle réflexion aurait dû vous inciter à aller plus loin, en travaillant plus finement les critères de répartition de ces nouvelles ressources. Je suis en effet convaincu de la nécessité de revoir le système de la répartition des ressources en ce sens. Lorsque les ressources dépendaient principalement de la fiscalité locale, un effort de péréquation important était nécessaire pour corriger les inégalités de richesse entre les territoires. Dans un système fondé sur des ressources nationales, il est en revanche indispensable de faire reposer leur répartition sur les charges réelles supportées par les collectivités territoriales.

La définition de tels critères ne va pas sans poser de nombreuses difficultés. D'autres ont refusé l'obstacle, dont les parlementaires eux-mêmes et les associations d'élus. Faudrait-il un deuxième rapport pour creuser le sujet ?

En revanche, je salue votre recommandation, précise et concrète, de refonder la gouvernance des finances locales. La mise en place d'une nouvelle gouvernance systémique, fondée sur le dialogue entre les parties prenantes et le partage de l'information, est pour moi le corollaire indispensable du système vers lequel nous nous dirigeons, qui repose de plus en plus sur la répartition de ressources nationales.

M. Claude Raynal, président. - Encore une fois, nous n'en sommes qu'au début de la réflexion et nous aurons aussi l'occasion de débattre avec les associations d'élus ainsi qu'entre nous.

M. Michel Canevet. - À la page 42 de votre excellent rapport vous évoquez la progression des ratios d'autonomie financière entre 2003 et 2020. Mon sentiment est pourtant qu'ils ont plutôt tendance à diminuer, car le pouvoir des assemblées délibérantes s'atténue et le lien fiscal entre le citoyen et son territoire se délite.

La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) n'a pas encore été actée. Est-ce une mesure opportune ? Est-il judicieux de la remplacer par une fraction de TVA ? Avez-vous d'autres pistes à suggérer ?

M. Thierry Cozic. - Je vous remercie d'avoir proposé ces premières pistes d'évolution. Le système est à bout de souffle, chacun en convient.

Le Gouvernement a la volonté d'entrer dans une relation transactionnelle avec les collectivités territoriales et de personnaliser les relations qu'elles entretiennent avec l'État, accélérant une forme de mise sous tutelle budgétaire. Dans le prochain projet de loi de programmation des finances publiques, il fait une distinction entre les collectivités qu'il considère comme bien gérées et celles qui ne le seraient pas, perdant à ce titre la possibilité de bénéficier des dotations d'investissement de l'État.

Certaines évolutions prévues dans les scénarios que vous présentez sont pertinentes. Toutefois, compte tenu de ce contexte que j'ai évoqué, n'y aurait-il pas un scénario alternatif plus global et innovant ? Ne faudrait-il pas engager une réflexion plus générale sur le financement des collectivités territoriales ?

Mme Isabelle Briquet. - Je m'associe aux remerciements adressés par mes collègues. Ma question porte sur la quatrième recommandation du rapport : refondre progressivement les critères de répartition des impôts nationaux partagés pour mieux tenir compte des charges des collectivités évaluées sur la base de critères socio-économiques.

Est-ce à dire qu'il faudra estimer les charges d'une collectivité territoriale pour lui attribuer le niveau de ressources dont elle aurait besoin pour les assumer ?

Cela me semble toutefois remettre en cause le principe de libre administration des collectivités territoriales en limitant leurs perspectives de développement et en figeant leurs possibilités financières. Pourriez-vous clarifier ce point ?

M. Antoine Lefèvre. - L'objectif du « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols, introduit dans la loi Climat et résilience, a pour conséquence de freiner l'implantation de zones d'activité et d'équipements publics, de sorte que le panier de recettes fiscales perçues par les communes en sera modifié et qu'il faudra revoir complètement la fiscalité locale.

Sans la CVAE et la taxe d'habitation et s'il n'y a pas de perspective de développement économique des territoires, comment faire perdurer le lien entre les collectivités territoriales et les contribuables ? Comment éviter que les collectivités ne deviennent dépendantes de l'État ? Comment leur assurer de meilleures recettes pour les accompagner dans ce schéma prévisionnel ?

M. Jean-François Rapin. - À la lecture de votre rapport, on pourrait considérer que la France est un paradis fiscal en matière de fiscalité locale. Il semble en effet que la recette fiscale locale ne soit pas à la hauteur des exigences des collectivités territoriales. Je me ferais lyncher si je disais cela dans une assemblée d'élus locaux. Toutefois, les pistes du scénario que vous proposez sont sans aucun doute associées à cette réflexion.

Concernant la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, pour avoir eu en gestion une commune du littoral pendant de nombreuses années, elle n'aura d'efficacité pour les collectivités territoriales que si on délie la fixation de son taux de celui de la taxe foncière. Il est nécessaire de redonner un peu de marges fiscales aux élus à cet égard. Je porte là la voix de nombreux élus.

La spécialisation de l'impôt semble être une grossièreté au sein du comité des finances locales, dont j'ai été membre par le passé. Pourtant cela permettrait de donner une visibilité plus forte pour nos finances publiques.

M. Didier Rambaud. - Je partage le propos de Claude Raynal quant à la complexité du débat.

Toutefois, ne le prend-on pas à l'envers ? Ne faudrait-il pas commencer par définir le type de collectivités territoriales que nous souhaitons avoir ?

Durant la campagne présidentielle, le président a fait, en matière de décentralisation, une proposition concrète, celle de la création du conseiller territorial, qui permettrait de décanter la situation. Il reste à définir son mode d'élection, au niveau départemental ou régional. La répartition de l'impôt entre les collectivités territoriales serait plus facile dans un tel contexte.

Parmi les scénarios que vous nous avez proposés, quel serait le plus efficace pour tenir la trajectoire de rétablissement des finances publiques ?

M. Stéphane Sautarel. - Je vous remercie pour les éclairages que vous nous livrez.

Les scénarios que vous suggérez pour faire face aux difficultés nous conduisent à souhaiter une réforme systémique et un nouveau modèle. Vous rappelez l'objectif de l'autonomie financière, premier principe de la libre administration des collectivités territoriales.

La territorialisation est essentielle tout comme le système de péréquation qui va de pair. La prise en compte de la réalité des charges est une autre piste à travailler, comme l'a rappelé Charles Guené.

Vous avez bien montré la relative faiblesse de la dépense publique locale dans notre pays, sur laquelle on pourrait s'interroger.

Quant au pacte de confiance, il doit être partagé et non imposé, et s'inscrire dans le respect de la libre administration de chaque collectivité territoriale. C'est un sujet essentiel dans une réforme difficile à mener, pour donner des garanties de lisibilité à nos concitoyens et aux collectivités territoriales.

M. Hervé Maurey. - À mon sens, il faut rester prudent sur la situation financière des collectivités territoriales. La catégorie est très hétérogène et recouvre une diversité de situations considérable. En ce moment, l'apparente bonne santé des collectivités territoriales sert d'argument à l'État pour ne pas faire les efforts nécessaires face à la montée de l'inflation.

Selon vous, les financements des impôts nationaux sont plus prévisibles. Pourriez-vous clarifier ce point ? Idem sur la possibilité de renforcer les dotations tout en respectant le principe d'autonomie.

Je nourris également une certaine insatisfaction quant aux critères envisagés pour répartir les impôts nationaux. J'imagine qu'il s'agit des dépenses sociales pour les départements. Qu'en est-il pour les régions et pour les communes ?

Enfin, je regrette que la question de la dotation globale de fonctionnement (DGF), dont le calcul reste très opaque, n'ait pas été abordée. Il est important que nous puissions également avancer sur ce sujet.

M. Christian Bilhac. - Vous avez dit vouloir cesser les rafistolages de dernière minute. Effectivement, il faut soigner le malade autrement qu'avec du sparadrap, de manière plus pérenne.

La bonne santé des collectivités territoriales est réelle si l'on considère les 4,7 milliards d'euros d'excédent réalisés en 2021.

Vous avez rappelé les principes d'équilibre du bloc communal. L'essentiel de ses ressources provient de l'impôt local. Comment concilier territorialisation de l'impôt et solidarité, sachant qu'il y a de grandes inégalités entre les communes ? La péréquation pourra-t-elle se faire par le biais de la dotation de solidarité rurale (DSR), de la dotation de solidarité urbaine (DSU) ou du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) ?

Charles Guené a mentionné la question des charges réelles. Je souhaiterais ajouter que cette notion est trop souvent confondue avec celle de charges constatées, alors que ces dernières dépendent en réalité avant tout du niveau de richesse d'une collectivité, et non pas nécessairement de ses besoins.

Même si l'impôt local reste essentiel, je regrette la disparition de l'impôt universel qu'était la taxe d'habitation. En effet, je reste convaincu que c'est l'universalité de l'impôt qui fait sa valeur.

Quant à la suppression de la CVAE, envisagera-t-on quand même une taxe sur les nuisances ? L'activité économique est souvent source de nuisances. Sans contrepartie, les élus locaux et la population tendent à la rejeter.

M. Vincent Delahaye. - Le sujet est compliqué et il faut chercher la clarté et l'efficacité plutôt que le consensus, si l'on veut avancer.

La suppression des taxes locales au cours des dernières années a eu des conséquences néfastes : elle a coupé les citoyens de la dépense et de la vie locales et a rendu les collectivités territoriales plus dépendantes de l'État.

Il faudrait réussir à inverser ces tendances. S'agissant plus spécifiquement de la dépendance vis-à-vis de l'État, je regrette, comme Hervé Maurey, que la Cour n'ait pas davantage creusé la question de la rationalisation des dotations. À force de changer les références des dotations, le système finit par devenir incompréhensible au niveau local. Êtes-vous partisan d'une réforme de ces dotations ?

M. Éric Bocquet. - J'ai toujours souligné la qualité des rapports de la Cour des comptes, malgré parfois quelques irritants. Celui-ci est particulièrement intéressant et tombe à point nommé alors que les élus s'interrogent pour savoir comment boucler l'année.

Je partage l'interrogation d'Hervé Maurey : selon vous les impôts nationaux donneraient plus de visibilité aux élus locaux. Or les collectivités ne les maîtrisent pas et ils sont sujets à variation. En quoi sont-ils le gage d'une plus grande visibilité ?

Je trouve également judicieux d'avoir fait figurer à la page 27 du rapport le tableau comparatif de six pays de l'Union européenne. La France n'est pas celui qui dépense le plus en euros par habitant pour ses collectivités. Il est bon de le rappeler pour mettre fin à la petite musique des « collectivités obèses et dispendieuses ».

Enfin, je suggère d'envoyer ce rapport au ministre des comptes publics, Gabriel Attal, pour éclairer sa réflexion. Dans une interview accordée à la presse, il disait récemment - je cite - « il faut qu'il y ait un cadre qui s'installe pour que, si jamais les collectivités et les strates ne font pas l'effort de maîtrise de la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, il puisse y avoir une incitation. La première année, ce sera l'absence d'accès à toute dotation de l'État - dotation de soutien à l'investissement local, dotation d'équipement des territoires ruraux, fonds vert - pour les collectivités n'ayant pas respecté l'objectif au sein d'une catégorie qui ne l'a pas atteint non plus. Ensuite, si manifestement il n'y a pas de volonté de s'inscrire dans cet trajectoire alors que les autres collectivités le font, il pourrait y avoir des reprises mais je ne me place pas dans cette optique-là ». Tout cela est dit dans un langage typique de « Bercy », mais constitue une forme de mise sous tutelle des collectivités territoriales.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je n'ai pas vu que le rapport faisait mention du FPIC. Considérez-vous qu'il faille réévaluer les clés de répartition du dispositif ? Dans mon département, 80 % des flux vont à la métropole, ce qui ne manque pas d'interroger sur la justice fiscale de cette répartition.

Vous préconisez un retour de la fiscalité de l'énergie à l'État. Cela concerne-t-il l'IFER? L'accélération des projets d'énergie non renouvelables (ENR) rend la chose difficile, notamment en cas d'absence de retour financier de ces projets, qui génèrent par ailleurs des externalités négatives pour les habitants des territoires concernés.

En matière de gouvernance, n'a-t-on pas d'autres remèdes dans notre pays que de créer de nouvelles structures, notamment une autorité administrative indépendante, sans supprimer les organismes existants ?

M. Victorin Lurel. - Je félicite notre commission d'avoir commandé ce rapport, ainsi bien sûr que la Cour des comptes pour son travail.

Le président a évoqué la situation favorable des collectivités territoriales. N'oublions pas qu'il existe des strates différentes de collectivités et des situations très diverses parmi les communes.

Je regrette que rien ne figure dans le rapport sur la Corse et l'outre-mer. Peut-être faudrait-il un rapport spécifique sur le sujet ?

Je ne comprends pas bien le premier scénario. S'agit-il de préserver un équilibre entre la territorialisation de l'impôt et la solidarité ? Pouvez-vous clarifier ce point ?

Le second scénario qui aurait la préférence de la Cour prévoit une rationalisation de la fiscalité partagée. Y a-t-il d'autres possibilités que la suppression de la CVAE, par exemple celle de la C3S comme le suggère l'Association des maires de France ? On préserverait ainsi mieux les communes.

Dans le troisième scénario, intégrez-vous la DGF ? Pourquoi limiter à 63 % de leurs dépenses la dotation d'action sociale pour les départements ? Est-ce une raison mathématique ou statistique qui justifie ce ratio ?

Enfin, sur la gouvernance, certains ont évoqué une possible loi de financement des collectivités territoriales. Vous proposez de créer une autorité indépendante ou de renforcer le comité des finances locales. Serait-il inefficace de prévoir une nouvelle loi de financement ouvrant une possibilité de dialogue entre les échelons central et local ?

M. Jean-Baptiste Blanc. - Je salue à mon tour la qualité de ce travail. Le rapport évoque le financement de la transition écologique, et, en creux, la question de la fiscalité liée à l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN). Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) consacré à ce sujet, que notre commission a demandé, est attendu avec impatience.

M. Bernard Delcros. - Depuis la fin de la crise sanitaire, les collectivités enregistrent un excédent de 4,7 milliards d'euros. Derrière cette moyenne se cachent toutefois des disparités très importantes. Les plus petites collectivités territoriales connaissent des difficultés, notamment pour faire face à l'inflation actuelle.

Ma question porte sur le thème de la solidarité. Vous avez indiqué que la péréquation manquait d'objectifs clairs. Selon vous, la péréquation horizontale est largement insuffisante. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Aujourd'hui, seule la TVA sert à financer les recettes de ces collectivités. Vous estimez qu'il convient de diversifier le panier de recettes des échelons départementaux et régionaux en faisant appel à plusieurs impôts nationaux - l'impôt sur les sociétés (IS) pour les départements et l'impôt sur le revenu (IR) pour les régions. Je souhaite comprendre l'intérêt de cette démarche. À titre personnel, je ne suis pas opposé par principe au partage d'impôts nationaux. Toutefois, à l'instar de plusieurs collègues, je m'interroge : pourquoi la prévisibilité d'un impôt national serait-elle meilleure que celle d'un impôt local ?

M. Marc Laménie. - Je remercie la Cour pour ce travail, ainsi que nos rapporteurs. Les communes restent l'échelon de base du bloc intercommunal. De nombreuses compétences ont toutefois été transférées aux intercommunalités.

Concernant les dotations, l'État reste le premier partenaire financier des collectivités territoriales. L'investissement des conseils départementaux, qui font face à des dépenses sociales importantes, diffère selon les territoires.

Le rapport évoque la création d'une autorité indépendante. Est-elle réellement nécessaire ?

Nous devons faire en sorte que les collectivités territoriales soient en capacité d'investir. Vous n'avez pas non plus évoqué le plan France Relance, qui a également concouru au financement des collectivités.

M. Pierre Moscovici. - J'ai écouté avec attention l'ensemble des questions, qui constituent également l'amorce d'un débat entre vous sur la base du rapport de la Cour. Certaines trouvent leur réponse dans le rapport et sur d'autres, je ne souhaiterai pas improviser, mais nous restons disponibles pour de futurs travaux.

Vous avez dit, Monsieur le Président, que c'est un sujet impossible. Il l'est ! Parce que c'est un sujet complexe, un sujet qui divise. Dès que vous envisagez de réformer l'un de ses éléments, des forces contraires se mettent immédiatement en mouvement. Ce rapport est une modeste contribution visant à éclairer votre débat.

Monsieur le rapporteur général, je souscris à votre analyse : le dialogue et les échanges sont fondamentaux. Les propositions de la Cour sur la gouvernance sont essentielles. Sur un tel sujet la méthode et le fond sont si étroitement imbriqués qu'on ne peut avancer sur l'un sans avoir progressé sur l'autre.

Plusieurs d'entre vous ont souligné que le rapport insistait sur la bonne santé financière des collectivités. Or vous estimez que cette analyse est trop générale. Cela ne fait aucun doute. La Cour publiera son rapport sur la situation financière des collectivités en 2022 à la fin du mois d'octobre. Le retour de l'inflation et la hausse du point d'indice des fonctionnaires pèsent sur les finances des collectivités. Leurs ressources fiscales sont toutefois dynamiques. En outre, le Gouvernement a adapté ses mesures de soutien dans le projet de loi de finances rectificative pour 2022.

Nul doute que le contexte de l'année 2022 sera différent de celui de 2021. Soyons attentifs au contexte macroéconomique et aux situations individuelles. L'épargne brute des collectivités atteint toutefois un niveau inédit en 2021 : 41,4 milliards d'euros en 2021, contre 39 milliards d'euros en 2019, année du précédent record. Je ne nie pas l'hétérogénéité de la situation des collectivités territoriales. Nous pouvons néanmoins être confiants quant à la situation globale, sans nier l'hétérogénéité des situations individuelles.

J'ai senti dans les propos du rapporteur général une interrogation sur la position de la Cour des comptes quant aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Pourquoi nationaliser le seul levier fiscal des conseils départementaux ? Trois raisons justifient cette orientation. Premièrement, cette ressource est très volatile et difficile à prévoir. Deuxièmement, son assiette est inégalement répartie entre les territoires. Troisièmement, elle ne confère pas un réel pouvoir de levier aux conseils départementaux : si son assiette est territorialisée, son taux est déjà quasiment uniforme. En lui affectant les DMTO, toute la fiscalité liée au foncier serait affectée au bloc communal, en cohérence avec les compétences de cet échelon. Leur répartition en fonction des critères socio-économiques des territoires réduirait les inégalités à la base et renforcerait la solidarité. Certes, une recette mal répartie, volatile et incertaine est retirée aux conseils départementaux. En échange, ceux-ci récupèreraient une imposition dynamique. La dotation d'action sociale couvrirait au moins 63 % des dépenses sociales constatées dans chaque département. Bien sûr, nous ne privilégions pas une strate de collectivité par rapport à une autre.

Bien sûr, des choses manquent dans ce rapport. Sur la refonte des critères de répartition, une mission conduite par la députée Christine Pires Beaune avait formulé plusieurs propositions qui, malheureusement, n'ont pas abouti. Notre système actuel est dépassé, voire, dans certains cas, source d'inégalités. Cette réforme est indispensable. Il convient de définir précisément les critères présidant à l'attribution de près de 30 milliards d'euros aux collectivités territoriales. De telles décisions doivent être prises par le Gouvernement et le Parlement. La Cour pourrait creuser ce sujet dans un prochain rapport, mais ce sujet découle du système de financement retenu, il ne le précède pas.

Vous m'avez interrogé sur les missions de l'autorité indépendante proposée et sur ce qui la distingue du comité des finances locales (CFL). Toute réforme du financement des collectivités exige de rétablir la confiance, qui se fonde sur des analyses objectives et un partage des informations. La création d'une autorité indépendante ne serait pas un haut conseil d'experts ni un clone de la Cour des comptes. Celle-ci devrait disposer d'une présidence indépendante. Plusieurs missions lui seraient confiées : un rôle de garant des principes de financement des collectivités locales, d'avis sur les textes financiers, ainsi que de production d'études et des analyses. À défaut de création d'une autorité administrative indépendante (AAI), le rapport préconise une réforme des missions et de la composition du CFL, en vue de renforcer son indépendance, sa représentativité, et ses moyens d'analyse.

Dans ce rapport, la Cour a travaillé à cadre de compétences inchangé. Une réflexion globale doit néanmoins s'engager sur le processus de décentralisation. C'est pourquoi j'ai souhaité que la Cour consacre son prochain rapport public annuel au bilan de la décentralisation. Je sais que le Sénat a relancé un groupe de travail consacré à cette question.

Vous m'avez interrogé sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Je ne sais pas ce que le Gouvernement décidera. Sa suppression progressive s'inscrit dans une volonté de réduire les impôts de production. Je n'ai pas à me prononcer sur ce choix politique. Je peux en revanche affirmer que la situation de nos finances publiques ne permet pas de poursuivre les baisses d'impôt sans contrepartie, par l'augmentation d'un autre impôt ou la baisse d'une dépense. Le pays ne peut pas se le permettre. Personne ne peut s'exonérer de sa juste part d'effort. La compensation par la TVA est sans doute la solution la plus simple. Toutefois, cet impôt est partagé à plus de 50 % avec la Sécurité sociale et les collectivités territoriales. Les marges de manoeuvre sont donc limitées.

La prévisibilité de l'impôt national n'est pas parfaite, mais elle est meilleure que celle des dotations. Les évolutions de la TVA et l'IR sont globalement stables. C'est moins le cas, j'en conviens, de l'IS. L'État préfère supprimer les impôts des autres plutôt que les siens propres. En contrepartie, il compense cette suppression par des impôts partagés.

Les dotations de péréquation sont insuffisamment sélectives. Nous ne les avons toutefois pas étudiées dans le détail.

La réattribution de la fiscalité énergétique à l'État ne concerne pas l'IFER, qui serait transféré au bloc communal.

Nous n'avons pas examiné les ressources spécifiques de l'outre-mer et de la Corse.

Les conséquences de la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) sont moins importantes, car celle-ci est très concentrée.

La Cour souscrit à l'objectif de disposer d'une vision plus globale des finances locales, constatant que le Parlement ne dispose pas de document unique synthétisant l'ensemble des moyens alloués aux collectivités. Nous avons raisonné à cadre constitutionnel constant, ce qui ne permet pas d'envisager une loi de financement des collectivités territoriales. Nous préconisons cependant de rassembler dans une mission budgétaire unique les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » avec les subventions des ministères, les prêts d'avance sur recettes et la fiscalité partagée. La loi organique du 28 décembre 2021 n'a pas retenu cette proposition. Toutefois, un rapport sur les finances locales sera annexé au projet de loi de finances.

J'en viens aux conséquences de la transition écologique. Dans notre scénario, nous avons proposé de transférer à l'État la fiscalité écologique aujourd'hui affectée aux collectivités, notamment la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou la taxe sur les certificats d'immatriculation. La Cour estime que l'État doit être en mesure de mener une politique globale sur cette question primordiale.

Le conseil des prélèvements obligatoires présentera prochainement un diagnostic et des pistes de réforme sur l'objectif ZAN.

Monsieur Bocquet, je tiens à vous préciser que le ministre chargé des comptes publics recevra bien sûr ce rapport. Ses services en ont d'ores et déjà pris connaissance.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Concernant la dotation d'action sociale des départements, le taux de 63 % a été retenu afin de respecter le seuil d'autonomie financière prévu par la loi organique.

Nous considérons qu'il convient de maintenir un certain encadrement de l'évolution de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, afin d'éviter une trop grande inégalité par rapport au reste de la fiscalité locale. Mais ce sujet pourra être étudié.

Nous émettons des critiques sur la péréquation : le montant de la péréquation verticale s'élève à 8,5 milliards d'euros, essentiellement via la dotation globale de fonctionnement (DGF), et la péréquation horizontale représente un montant de 4 milliards d'euros. Nous pensons que nous pouvons faire mieux. La dotation de solidarité urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR) ne sont pas suffisamment sélectives : le nombre de bénéficiaires de ces dotations est trop important.

Je tiens à préciser l'esprit de la recommandation n° 4 du rapport. Bien sûr, nous ne remettons pas en cause la libre administration. Nous préconisons de recourir à des critères socio-économiques objectifs pour répartir ces impôts partagés le plus efficacement possible. Il appartient ensuite aux collectivités d'allouer leurs ressources comme elles l'entendent.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de MM. Charles Guené, Jean-François Husson et Claude Raynal.

II. AUDITION DES ASSOCIATIONS D'ÉLUS DU BLOC COMMUNAL

Réunie le mercredi 18 janvier 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition de MM. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, Pierre Breteau, co-président de la commission finances de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF), Denis Durand, membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France, et François Rebsamen, co-président de la commission « Finances et fiscalité » de France urbaine, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

M. Claude Raynal, président. - Je salue la présence dans les tribunes d'une délégation de la Chambre des conseillers du Maroc, composée du président de sa commission des finances et de plusieurs de ses membres. Je les remercie de l'intérêt qu'ils portent à nos travaux.

Nous nous réunissons une deuxième fois au sujet de l'enquête, réalisée par la Cour des comptes à notre demande sur le fondement de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

Le rapport de la Cour des comptes nous avait été présenté en octobre dernier par son Premier président, ce qui avait constitué un éclairage utile dans la perspective de l'examen des textes budgétaires de l'automne.

La méthodologie retenue, convenue avec la Cour, est fondée sur la présentation de scénarios « polaires » de financement des collectivités territoriales. Elle a le mérite de poser sereinement les enjeux et, surtout, de fournir une grille d'analyse précieuse des futures évolutions du panier de ressources des collectivités.

C'est une étape nécessaire si nous voulons enfin réformer un système dont nous constatons chaque jour les limites, sans être pour autant en mesure de dégager un consensus sur les solutions à apporter. En optimiste convaincu, je ne doute pas que nous y parviendrons. J'espère que nos échanges nuancés permettront à la fois d'identifier des thèmes sur lesquels avancer et des lignes rouges à ne pas franchir.

Le caractère systémique des scénarios de réformes, qui n'avaient pas vocation à trouver une traduction immédiate, justifie que nous remettions l'ouvrage sur le métier, à tête reposée. Sans présenter de nouveau les travaux de la Cour des comptes, il nous a paru indispensable d'inviter les représentants des différentes strates de collectivités territoriales à nous faire part publiquement de leurs réactions. Avant l'audition de Régions de France et de l'Assemblée des départements de France la semaine prochaine, la présente audition est consacrée aux observations de représentants du bloc communal.

Outre le président de la première chambre, Christian Charpy, et Mme la rapporteure Mathilde Lignot-Leloup, qui l'accompagne, nous avons le plaisir d'accueillir Pierre Breteau, coprésident de la commission Finances de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF), Denis Durand, membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France - en visioconférence et en remplacement de Sébastien Martin, président, empêché - et, enfin, François Rebsamen, coprésident de la commission Finances et fiscalité de France urbaine.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous poursuivons nos travaux autour des propositions mais aussi des pistes examinées par la Cour des comptes - je pense en particulier à la question de la création d'un nouvel impôt résidentiel. Si le Gouvernement clame que les collectivités locales sont dans une bonne situation financière - tout irait même pour le mieux ! -, les questions de l'autonomie financière et des ressources fiscales des collectivités continuent en particulier de se poser avec acuité.

Les travaux de la Cour, conformément à la commande que nous lui avions faite, arrivent ainsi à point nommé pour nourrir le débat. Chacun va pouvoir s'exprimer pour donner son avis.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Parmi ses recommandations, la Cour des comptes nous invite à réfléchir, au-delà du débat sur le panier de ressources des collectivités, à une nouvelle gouvernance des finances publiques locales.

Il me paraît important que les associations d'élus nous donnent leur avis sur la question, qui est aujourd'hui essentielle alors que le recours à la fiscalité partagée entre l'État et les collectivités territoriales s'est fortement accru.

En règle générale, le Gouvernement s'adresse tour à tour à chacune des parties pour négocier les règles de partage de la fiscalité. Nous sommes nombreux à penser qu'il est temps de fixer un cadre institutionnel plus sérieux à cette pratique. Plus généralement, chacun a constaté l'obsolescence du système de financement des collectivités territoriales. Peut-être cette réflexion permettra-t-elle d'accélérer certaines réformes.

M. Claude Raynal, président. - Depuis trente ans que je m'intéresse à la question, je ne compte plus le nombre de fois où nous avons constaté des difficultés considérables et trouvé des équilibres en urgence, grâce à des solutions bricolées. Tout le monde s'accorde à dire que les choses doivent bouger, mais personne n'est d'accord sur les solutions.

C'est pourquoi le Parlement s'autorise, en quelque sorte, à pousser les feux, afin de sortir par le haut de cette situation et de trouver des solutions de meilleure qualité, et sur lesquelles l'ensemble des parties pourront se retrouver.

François Rebsamen, coprésident de la commission Finances et fiscalité de France urbaine. - La démarche engagée par la commission des finances du Sénat est d'autant plus pertinente et stimulante qu'elle s'inscrit dans une perspective de moyen terme visant à dégager plusieurs scénarios.

Permettez-moi également de saluer le rapport de la Cour des comptes, à l'élaboration duquel France urbaine a participé par ses réponses. Les propositions que ses auteurs formulent sont intéressantes, nouvelles et, pour certaines - je pense aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO) -, disruptives même si bien entendu, France Urbaine n'en partage pas l'intégralité.

Dans la recherche du consensus qu'appelle de ses voeux le président Raynal, la nécessité, pour le bloc communal, de disposer de recettes territorialisées devrait au moins nous rassembler. Un autre impératif, souligné depuis de nombreuses années, est la complète remise en cause des relations financières entre l'État et les collectivités.

Force est de constater que, quarante ans après la mise en oeuvre des premières lois de décentralisation - j'étais alors simple conseiller de Pierre Joxe -, bien des questions n'ont toujours pas trouvé de réponse.

Les « réformettes » fiscales qui se sont accumulées depuis ont toujours été conçues selon le seul point de vue de l'État, qui continue de considérer les collectivités locales comme étant par essence dépensières. La question des besoins des allocataires de l'impôt local que sont les collectivités locales est rarement posée. Il en a résulté une architecture des ressources totalement déresponsabilisée, qui est à l'origine d'une perte d'efficacité de l'action publique locale.

J'en veux pour preuve l'exemple de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales ou encore le combat que j'ai dû mener, en tant que rapporteur de la Commission pour la relance durable de la construction de logements, pour obtenir des compensations raisonnables au bénéfice des collectivités.

Le rapport de la Cour des comptes met en avant le renforcement de l'autonomie fiscale, qui paraît plus adaptée au bloc communal. La loi ayant donné la compétence générale aux communes, cette piste devrait réunir un large consensus. Elle doit cependant s'accompagner d'une solidarité territoriale plus efficace et des péréquations que le Sénat a longtemps défendues.

Il n'est pas acceptable que la gouvernance des finances locales demeure aussi archaïque et soit placée sous le signe permanent de la défiance, en raison de la verticalité des relations entre l'État et les collectivités. L'absence de concertation sur la durée est un obstacle à l'installation d'une gouvernance efficace et responsable des finances locales.

Il importe de mieux associer les collectivités à la préparation des lois de finances, comme le précise l'enquête de la Cour des comptes. Il s'agit d'une priorité pour l'État. Plusieurs propositions ont été faites au fil du temps sur ce sujet. On ne peut pas accepter, par exemple, que les collectivités découvrent, au détour d'un « 49.3 », le report de deux ans de la révision des valeurs locatives.

La Cour des comptes propose notamment de mettre en place une autorité indépendante, qui émettrait un avis sur les projets de loi relatifs aux collectivités, dans le souci de veiller au respect du principe d'équilibre, ainsi qu'à la compensation des transferts de compétences, à la perte de fiscalité et à la réduction des inégalités entre les collectivités.

Cela étant, on écarte un peu facilement le Comité des finances locales (CFL), qu'il est impossible de balayer d'un revers de main. Il faut peut-être réfléchir aussi à un rôle renforcé et différent pour le CFL, qui est une émanation des collectivités locales. Comment lui donner plus de responsabilités ?

Autorité indépendante, CFL renforcé : les options sont devant nous. En tout état de cause, il faut trouver des solutions opérationnelles.

M. Claude Raynal, président. - La Cour des comptes mentionne justement les deux possibilités : création d'une autorité indépendante ou renforcement du CFL. Avez-vous une préférence ?

M. François Rebsamen. - J'ai tendance à craindre les autorités indépendantes, et j'aurais donc une préférence à titre personnel pour le renforcement du CFL, qui est une émanation des collectivités locales. Cependant, même si le CFL fonctionne correctement, il ne doit pas se perdre dans des analyses de décrets, qui sont souvent subalternes : il doit plutôt se concentrer sur les lois de finances.

Le rapport formule l'idée de faire des DMTO un impôt national. C'est une proposition à examiner, et en tout cas pertinente. Les collectivités ont en effet besoin de visibilité, or leurs recettes sont aléatoires et très différentes d'un territoire à l'autre. Surtout, c'est pour l'essentiel l'action communale ou intercommunale qui est le moteur de la dynamique des DMTO. Il est, selon moi, curieux que le département perçoive des DMTO qui découlent du travail communal. Je prendrai un exemple : la ville de Dijon compte un grand centre commercial, Toison d'or, qui a été vendu pour 400 millions d'euros et contre lequel le département a engagé plusieurs recours. Ce centre a été installé par mon prédécesseur et conforté par moi-même en tant que maire. Je trouve pour le moins étrange que le département touche plus de 20 millions d'euros de DMTO quand la ville n'en perçoit que 4,5 millions, alors qu'il s'agit vraiment d'un projet communal consolidé au fil du temps... Votre travail permettra de clarifier les relations entre le bloc communal et le département.

Parmi les propositions que nous avons portées au cours de la campagne présidentielle, nous avons souhaité que soient revues les dotations de compensation, qui ne sont qu'une manière d'appauvrir un peu plus les collectivités. Ces dotations constituent ce que nous appelons une fiscalité « morte » : non seulement elles n'évoluent pas comme les taxes et les impôts lorsqu'ils étaient en place, mais elles sont de surcroît rognées année après année par des décisions gouvernementales en loi de finances. L'idée de les remplacer par une fraction de TVA permettrait de redonner une dynamique, au service de la réduction des inégalités territoriales.

L'un des diagnostics posés sur les subventions d'investissement, c'est qu'il faut mettre un terme aux appels à projets. Ça suffit ! On a redonné du pouvoir à l'État central à travers les préfets. Or ceux-ci ont des politiques différentes suivant les territoires. Il n'y a pas de lignes directrices, et l'accès des collectivités aux investissements peut être très divers suivant l'interprétation qu'en fera le préfet, qu'il s'agisse de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou encore de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

J'en viens maintenant aux points de désaccord avec le rapport. Je suis contre la banalisation du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) : je ne veux pas qu'on le transforme en une subvention d'investissement. Par ailleurs, les petites taxes ne sont pas des impôts de rendement, contrairement à ce que l'on peut croire. La taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE), par exemple, permet aux communes d'agir concrètement et d'orienter leurs politiques au plus près de nos concitoyens. Il ne s'agit donc pas d'impôts à négliger.

M. Pierre Breteau, coprésident de la commission Finances de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités. - En ce qui concerne les points de consensus, je partage globalement l'analyse de la Cour des comptes sur le niveau des dépenses locales et sur leur évolution. Il y a notamment eu toute une série de transferts de compétences ou de modifications structurelles de l'organisation, qu'il convient de souligner.

Le premier constat partagé est lié à l'augmentation des ratios d'autonomie financière et à la diminution des ratios d'autonomie fiscale. C'est un point clé. Les ratios d'autonomie financière, c'est un problème de dénominateur : la réduction drastique de la dotation globale de fonctionnement (DGF) augmente l'autonomie financière. Mais le fond du sujet, qui doit conduire notre réflexion, c'est la diminution de l'autonomie fiscale. François Rebsamen l'a rappelé, c'est un vieux rêve pour un certain nombre de ministères... Pour autant, il s'agit d'un point essentiel dans la construction même de la décentralisation et dans la façon de faire vivre une République décentralisée.

Au-delà de l'aspect technique du ratio entre autonomie financière et autonomie fiscale se pose une question politique : la capacité du bloc communal ou des élus locaux à infléchir les politiques publiques et à appeler l'impôt pour mettre en oeuvre les choix opérés. On nous oppose parfois le modèle allemand, qui est un modèle par dotation. Mais je rappelle que la chambre haute allemande ne joue pas le même rôle sur la question de la visibilité des dépenses ni en matière de cadrage des finances publiques locales. Il est essentiel pour nous de redonner une forme d'autonomie fiscale aux collectivités locales.

Le deuxième point de consensus extrêmement important est la visibilité. Les collectivités du bloc communal ont cette particularité de porter à la fois les services publics du quotidien et 70 % des investissements publics : écoles, routes, réseaux d'eau et d'assainissement, transports en commun, etc. La plupart de ces investissements ont pour caractéristique de nécessiter du temps long. Or, quels que soient les gouvernements, nous apprenons toujours au dernier moment - à la fin du mois de décembre - comment vont évoluer les finances l'année suivante, au 1er janvier... Cette dissymétrie temporelle pose un problème majeur.

Trois paramètres devraient fonder notre réflexion collective : la lisibilité - le fait que le système fiscal soit compréhensible par le contribuable est un enjeu démocratique -, la prévisibilité et la responsabilité. Comme l'AMF a eu l'occasion de le souligner à de très nombreuses reprises, on ne peut se satisfaire d'un système dans lequel celui qui décide ne finance pas, car cela entraîne une confusion démocratique.

La question de la responsabilité est politique et financière : politique parce qu'elle implique que le citoyen puisse identifier celui qui porte telle ou telle politique publique et financière car elle implique que dès lors qu'une politique a été transférée ou que des normes ont été imposées, celles-ci fassent l'objet pour leur mise en oeuvre d'un financement de celui qui a en a pris la décision. La responsabilité que j'invoque pour les collectivités locales, je la revendique aussi pour le Gouvernement. Tout cela pose la question du pilotage des finances publiques : nous appelons de nos voeux à la fois une loi de programmation dédiée aux collectivités locales et la création d'une instance de contrôle. Je partage les mêmes réserves que François Rebsamen sur les hautes autorités indépendantes, dont on ne sait finalement plus de qui elles sont l'émanation ni quelle est leur indépendance réelle. En revanche, j'ai confiance en une instance qui émanerait des élus de la République pour s'assurer de la qualité de la construction financière dans la relation entre les collectivités territoriales et l'échelon central.

Une telle instance pourrait résulter de la fusion du CFL et du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Elle serait l'émanation des collectivités territoriales.

M. Jérôme Bascher. - Cela s'appelle le Sénat !

M. Dominique de Legge. - C'est dans la Constitution !

M. Pierre Breteau. - Elle doit être garante de l'équilibre, dans la durée, des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Si elle est parlementaire, c'est encore mieux.

J'en viens au contenu de la réforme fiscale avancée. Nous ne partageons pas, globalement, les propositions formulées par la Cour des comptes. En effet, la logique dans laquelle elles s'inscrivent - recentralisation, puis répartition - ne nous semble pas pertinente. Je pense par exemple aux DMTO, même s'il faut travailler à la péréquation : il s'agit, pour ainsi dire, de la seule recette dynamique que conservent les départements et les régions.

À cet égard, nous aurions espéré un rapport encore plus disruptif, car il faut territorialiser l'impôt en totalité. Les actions que nous menons sont au bénéfice des usagers des services publics, qu'il s'agisse des habitants ou des entreprises ; dès lors, leur financement ne saurait faire l'impasse sur telle ou telle catégorie de bénéficiaires. C'est tout le débat relatif à la suppression de la taxe d'habitation ou encore, plus récemment, à celle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Pour sa part, l'AMF défend un impôt clair et simple pour les différents niveaux de collectivités territoriales, le cas échéant sur une base commune. C'est ainsi que l'on retrouvera de la lisibilité et une forme d'autonomie fiscale.

La péréquation ne saurait être strictement horizontale. Les présidents de région et de département s'efforcent précisément de corriger un certain nombre d'inégalités territoriales. L'ensemble des paramètres de péréquation ne peuvent pas reposer les collectivités. La péréquation horizontale réduit, en partie, les écarts de richesse ; quant à la péréquation verticale, elle garantit l'équité territoriale, et l'une ne va pas sans l'autre. Or, ces dernières années, on s'est concentré sur la péréquation horizontale, puisque les enveloppes correspondantes étaient figées.

Ce problème majeur s'est encore accru, depuis quelques mois, avec le retour de l'inflation. Dans un tel contexte, si les dotations de l'État restent inchangées, les seuls dispositifs de péréquation porteront sur la fiscalité dans le cadre d'une péréquation horizontale ; on aboutira tout simplement à la négation des politiques d'équité territoriale que l'État doit mener.

M. Denis Durand, membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France. - Au sujet du rapport de la Cour des comptes, nous faisons globalement nôtres les propos de M. Breteau.

Aujourd'hui, on observe une fracture territoriale très profonde entre les métropoles et le reste du pays. Les conséquences de cette situation sont incalculables : les problèmes causés, d'un côté, par la concentration des richesses et des populations et, de l'autre, par la désertification sont nombreux. L'une des missions de l'État est de résorber cette fracture, ce qui suppose une péréquation.

L'organisation administrative de la France date, pour l'essentiel, de 1789. Les communes, créées à partir des anciennes paroisses, sont alors devenues les cellules de base de la République. En parallèle, les départements ont été préférés aux régions, associées, à l'époque, aux logiques féodales. Excepté ceux que l'on a créés en région parisienne dans les années 1960, ils ont tous à peu près la même taille, ce qui fait d'eux un outil essentiel à l'aménagement du territoire.

Aujourd'hui encore, nos concitoyens connaissent bien ces trois niveaux d'administration : la commune, le département et l'État. J'en veux pour preuve que les scrutins nationaux et municipaux sont ceux qui recueillent la plus forte participation. En revanche, les structures créées depuis sont mal connues d'eux ; je pense aux régions, qui plus est depuis la dernière réforme, et aux structures intercommunales.

Ces trois niveaux d'intervention doivent donc être renforcés.

Avant tout, il faut mettre un terme aux outils antipéréquateurs. La DGF communale par habitant varie de 64 euros, dans les communes rurales, à 128 euros dans les communes de plus de 200 000 habitants : c'est contraire aux principes de la République. De même, la DGF intercommunale varie de 20 à 60 euros par habitant, selon que l'on se trouve à la campagne ou dans les métropoles, ce qui aggrave la fracture territoriale. Il est grand temps de respecter le principe républicain « un homme, une voix » si l'on ne veut pas que les forces extrêmes arrivent au pouvoir.

De leur côté, les communes et leurs 500 000 conseillers municipaux bénévoles accomplissent un grand travail au quotidien. La vie d'une commune ne saurait se réduire à une série de chiffres, ce que la Cour des comptes semble un peu ignorer.

Je le confirme, les communes ont besoin d'une réelle autonomie fiscale. Elles ont également besoin de prévisibilité et de responsabilité. La suppression de la taxe d'habitation a rompu un lien fort entre les communes et leurs habitants. Aujourd'hui, un habitant sur deux ne paie plus d'impôt local. À terme, cette situation affaiblira notre socle républicain.

La révision des valeurs locatives est une fois de plus reportée. Nous le regrettons. La base actuelle date de 1970 pour le foncier bâti et de 1961 pour le foncier non bâti, alors que la mécanisation a transformé l'agriculture depuis lors. En 1961, les prés avaient bien plus de valeur que les terres agricoles ; c'est aujourd'hui l'inverse. Les commissions communales et départementales avaient pourtant accompli un important travail en vue de la révision des valeurs locatives. J'espère que ce report de deux ans n'est pas, en fait, un report aux calendes grecques : il est urgent de revoir ce système.

Enfin, la coopération intercommunale libre et volontaire ne saurait en aucun cas céder place à une coopération forcée, s'apparentant à une mise sous tutelle. Si les DGF communales étaient reversées aux intercommunalités et réparties par ces dernières, c'en serait fini des communes. De même, permettre aux conseils communautaires de modifier les attributions de compensation à la majorité, serait une autre manière de placer les communes sous tutelle. Avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la coopération intercommunale a déjà changé de nature, puisque les transferts de compétences sont désormais possibles sans l'accord des conseils municipaux. À ce titre, nous dénonçons une recentralisation - je pense notamment au transfert des compétences « eau » et « assainissement » au plus tard au 1er janvier 2026. Une coopération est d'autant plus vivante qu'elle est libre et volontaire. Déposséder les conseils municipaux c'est, in fine, déposséder nos concitoyens.

M. Sébastien Miossec, président délégué d'Intercommunalités de France. - La Cour des comptes s'est efforcée de répondre à un certain nombre de questions, parfois très anciennes. Prenons garde à ce que ce travail indispensable ne tourne pas à la polémique entre les différentes associations d'élus et strates de collectivités territoriales, qui plus est dans le contexte budgétaire actuel, marqué par la hausse des coûts de l'énergie. Nous devons prendre à la fois du recul et de la hauteur, sur la base de constats que nous dressons tous.

La fiscalité locale est bel et bien « à bout de souffle », pour citer le titre d'un chapitre du rapport. Bousculée à maintes reprises, elle est désormais illisible pour nos concitoyens et même pour nous, élus locaux. On déplore un certain nombre d'incohérences entre les compétences et les ressources des différentes collectivités territoriales. De même, le déséquilibre va croissant entre la fiscalité des ménages et celle des entreprises, surtout avec la suppression de la CVAE, alors que tous les bénéficiaires des services publics doivent contribuer aux budgets locaux de manière équilibrée.

Le déséquilibre entre les territoires nourrit lui aussi une inquiétude générale. Nous soulignons à notre tour l'importance des principes d'autonomie, de solidarité et de responsabilité.

Globalement, nous approuvons le scénario central retenu par la Cour des comptes, lequel reprend d'ailleurs un certain nombre de nos propositions. Il permet de redonner du souffle au bloc communal. Le rôle primordial des intercommunalités dans l'aménagement du territoire exige des ressources fiscales correspondantes. Nous avons également en commun le souhait de recouvrer un pouvoir de taux accru.

Si, dans son ensemble, ce scénario fonctionne plutôt bien, il faut faire attention à sa déclinaison locale. La suppression de la taxe d'habitation l'a montré : ce qui est pertinent techniquement, sur le papier, ne vaut pas forcément localement. De surcroît, cette suppression ne fonctionne pas du tout dans le temps long.

De même, soyons vigilants à l'hétérogénéité de nos territoires. Beaucoup de territoires ruraux sont fragiles ; d'autres, au contraire, connaissent un fort dynamisme. La péréquation a, de ce fait, toute son importance. Le partage d'impôts nationaux est également une solution, même s'il doit rester marginal. Dans un panier de ressources, une part de TVA peut ainsi avoir des effets positifs.

Denis Durand a évoqué l'histoire de notre organisation territoriale, mais reconnaissons que la France a beaucoup changé depuis quelques décennies, notamment grâce à la coopération intercommunale, née des syndicats et de la volonté des élus.

La Cour des comptes le note avec raison dans son rapport : il faut travailler davantage à l'échelle intercommunale, notamment face aux écarts de richesses et de charges. Bien sûr, le respect de l'autonomie communale est une exigence absolue - à ce stade, la gestion et la redistribution par l'intercommunalité de l'ensemble de la DGF du bloc communes-communautés de communes ne saurait être une obligation -, mais il est impératif de voir la diversité de la France à travers le prisme intercommunal.

J'ai conscience des inquiétudes que cette nécessité inspire ; c'est pourquoi il faut travailler en confiance. Dans certains endroits, l'intercommunalité ne fonctionne pas très bien, mais ces situations sont rares ; dans beaucoup d'autres cas, elle permet d'apporter des solutions adaptées aux réalités des territoires par l'exercice de certaines compétences, le partage des ressources ou encore la fiscalité. Nous devons nous doter d'outils pour construire ces solidarités territoriales.

À ce titre, le « zéro artificialisation nette » (ZAN) pose un certain nombre de questions, qu'il s'agisse d'urbanisme ou de fiscalité ; il faut en tenir compte en matière de financement. Quant au report de la révision des valeurs locatives, il constitue évidemment une très mauvaise nouvelle.

Selon nous, c'est au sein du CFL qu'il faut travailler à la péréquation. Mais il faut également s'interroger sur la manière dont ce comité organise ses travaux et, peut-être, ajuster sa composition, ce qui demandera du temps.

Enfin, en matière de soutien à l'investissement, la Cour des comptes insiste sur la nécessité de développer les dispositifs contractualisés, ce qui nous semble tout à fait pertinent. Nous devons également travailler avec l'État en ce sens, dans une logique pluriannuelle.

M. Pascal Savoldelli. - Monsieur Charpy, le rapport de la Cour des comptes propose de « rationaliser » les dotations de l'État : ce terme mérite d'être explicité. En outre, vous insistez sur la nécessité pour le bloc communal d'atteindre l'équilibre financier, tout en fixant d'autres objectifs pour les départements et les régions : pourquoi ? Selon moi, il faut commencer par traiter du bloc communal avant de se pencher sur les compétences des départements et des régions.

J'appelle votre attention sur les DMTO, qui suivent une dynamique spéculative, et sur la TVA, qui est un impôt des plus injustes. Quelle est la part de ces deux impôts dans les ressources fiscales des collectivités territoriales ?

J'entends régulièrement l'impôt être qualifié d'intrinsèquement « confiscatoire » : défendre de telles idées, c'est porter atteinte à l'impôt local en tant que tel. Nous tous, dans notre diversité, devons souligner le lien entre impôt et démocratie locale ; à mon sens, c'est aussi le rôle de votre rapport.

Dans vos différents scénarios, la part de l'emprunt reste estimée à 7 % des recettes des collectivités locales : pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

M. Éric Bocquet. - François Rebsamen a rappelé le postulat, permanent depuis plusieurs décennies, selon lequel les collectivités territoriales seraient par définition dépensières et qu'il faudrait s'efforcer de réduire leurs dépenses.

De leur côté, les maires nous parlent de leurs projets et de leurs actions concrètes. La réponse aux problèmes que nous connaissons vient en grande partie des territoires et dépend de l'investissement des communes. Leur budget est équilibré et leur endettement est parfaitement maîtrisé : il ne représente, au maximum, que 8 % à 9 % de la dette publique globale. Elles ne sont en rien responsables de nos quelque 3 000 milliards d'euros de dette publique.

André Laignel l'a rappelé il y a quelques semaines : les collectivités territoriales ont même économisé 46 milliards d'euros au cours des dernières années. Nous avons besoin d'elles pour répondre aux grands défis du moment.

M. Antoine Lefèvre. - Les communes vont devoir faire un certain nombre d'investissements en faveur des mobilités douces. Peut-on envisager de faire évoluer l'assiette de la taxe d'aménagement, en exonérant les infrastructures susceptibles d'être reconnues d'utilité publique et en compensant ces pertes par des augmentations de taux portant sur d'autres infrastructures moins vertueuses en matière environnementale ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Le fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), censé être temporaire, est toujours en vigueur. Il fait désormais partie du modèle financier des communes et des intercommunalités. Or de nombreux élus ruraux critiquent sa clé de répartition, qui favorise les plus grandes intercommunalités : qu'en pensez-vous ?

En parallèle, les dotations de l'État aux collectivités territoriales sont censées financer des politiques publiques. Or certaines communes les perçoivent sans que l'on examine l'affectation réelle de ces fonds. Je pense par exemple à la dotation pour la protection de la biodiversité.

Enfin, la mobilisation de nouvelles sources de financements, notamment privés, n'apparaît nulle part dans le rapport. Cette troisième voie ne pourrait-elle pas être explorée ? Je pense notamment à l'ouverture du mécénat aux communes forestières, que j'ai proposée par voie d'amendement.

M. Sébastien Meurant. - Nous sommes au moins tous d'accord sur un point : le millefeuille territorial français est proprement indigeste. Que faut-il garder ? Que faut-il supprimer ? Répondre à ces questions est essentiel. Ensuite seulement, on pourra répartir intelligemment les ressources.

Heureusement que nous pouvons compter sur les maires et les conseillers municipaux de nos villes et de nos villages, dont les millions d'heures de bénévolat font vivre la démocratie au plus près de nos concitoyens.

M. Dominique de Legge. - Je souscris aux propos de Pascal Savoldelli et d'Éric Bocquet. Je me concentrerai donc sur d'autres sujets.

Tout d'abord, qu'appelle-t-on l'autonomie financière et fiscale ? Par rapport à qui et à quoi est-on autonome ? On peut être tout à fait favorable à l'autonomie fiscale mais lorsque les bases fiscales sont faibles, on espère dans le même temps qu'il y ait de la péréquation. Les collectivités territoriales ont régulièrement recours aux fonds de l'État, qu'il s'agisse de la DETR ou de la DSIL. La notion d'autonomie mériterait, à tout le moins, d'être précisée.

Ensuite, il existe déjà de nombreuses instances de concertation. On peut bien sûr en créer une de plus, mais, à l'instar du CFL, le Sénat lui-même peine souvent à faire entendre sa voix, malgré la qualité de son travail. Cette réponse n'est sans doute pas la bonne.

Enfin, plus on réforme, plus on crée d'exceptions afin de préserver des droits acquis : peut-on faire une véritable réforme à enveloppe constante ? Chacun espère avoir plus et personne n'imagine avoir moins...

M. Daniel Breuiller. - Les lois de décentralisation ont beaucoup renforcé la solidarité et la cohésion sociale dans les territoires, auxquels elles ont apporté un souffle incroyable : nos concitoyens eux-mêmes en ont la conviction. Or, depuis un certain nombre d'années, par un étrange mariage entre jacobinisme et libéralisme économique, on s'efforce d'affaiblir cette vision décentralisatrice pour transformer les maires en sous-préfets anémiés, aux moyens sans cesse affaiblis.

Laissons vivre le bloc communal ; laissons-le inventer. Beaucoup de communes sont confrontées aux problèmes provoqués par l'accumulation de logements vacants ou encore par les difficultés du ZAN. Je ne crois pas que l'État jacobin soit à même d'y apporter les meilleures réponses.

De leur côté, les collectivités territoriales ne sont pas de simples dépensières : elles créent de la cohésion sociale. Face à la crise démocratique que nous vivons, et qui devrait être considérée comme le problème prioritaire, la confiance accordée aux collectivités territoriales est peut-être la réponse la plus efficace, même si, bien sûr, nous avons aussi besoin de l'État. Vive la biodiversité, y compris en matière d'action territoriale !

M. Stéphane Sautarel. - Les finances publiques locales sont bien un sujet politique et démocratique, car elles sont au service des politiques et des libertés locales. Leur gouvernance ne saurait, dès lors, émaner que des élus.

Au titre de l'autonomie fiscale, que pensez-vous de la piste d'un impôt résidentiel ? Pour ce qui concerne les niveaux de charges, quel est l'avis des représentants des associations du bloc communal au sujet d'une norme de dépenses ? Enfin, s'il ne saurait devenir une dotation, le FCTVA doit-il selon vous évoluer ?

M. Christian Bilhac. - Tout le monde s'accorde à reconnaître le manque de lisibilité dont souffrent les finances locales. Tout le monde sait aussi que, dans tous les domaines, le maire est en première ligne : pour nos concitoyens, lui seul émerge du magma administratif.

Toutes les dotations correspondent à un impôt supprimé ; faut-il y voir une défiance envers les élus ? Comme le souligne Pascal Savoldelli, il faut bel et bien distinguer autonomie financière et autonomie fiscale.

Depuis que je suis élu, je garde la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affichée dans mon bureau. J'y reviens toujours, car c'est le fondement de notre République. « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » : ne l'oublions pas.

Au sujet d'un nouvel impôt résidentiel, la Cour des comptes botte en touche : restent la TVA, qui n'est effectivement pas très juste, la taxe foncière, qui a les mêmes bases que la taxe d'habitation, et la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, qui frappe de plein fouet nos concitoyens.

Avec les réflexions de la Cour, on avance un peu, mais si, en matière financière, on ne veut pas faire de politique, on ne fait rien. Les finances publiques ne sont ni plus ni moins que la traduction des choix politiques.

M. Marc Laménie. - De nombreuses instances sont déjà compétentes en matière de finances locales : la création d'un nouveau comité risque d'accroître encore la complexité actuelle.

L'Union européenne peut elle aussi apporter une aide aux collectivités. Malheureusement, nombre d'entre elles renoncent à la solliciter, tant les dossiers sont complexes.

M. Vincent Éblé. - Tout en réclamant de l'autonomie fiscale, les collectivités veulent des dispositifs de péréquation : nous sommes bien face à une contradiction.

Pourquoi ne pas retenir un modèle de péréquation reposant, non pas sur le produit, mais sur les bases ? Cette solution suppose qu'une part du produit fiscal soit régie par un taux fixe, tous territoires confondus. Elle permettrait, en outre, de maintenir la responsabilisation des élus dans leur territoire. A-t-elle été examinée ?

M. Claude Raynal, président. - Quand elles dressent leur bilan de mandat, 80 % des équipes municipales soulignent qu'elles n'ont pas augmenté les impôts. Quand ils présentent leur projet de mandat, les candidats des diverses listes assurent qu'ils ne vont pas les augmenter. Bref, on défend l'autonomie fiscale de collectivités qui n'entendent pas employer l'outil de la fiscalité : il y a la une forme de contradiction.

M. Jean-Marie Mizzon. - La Cour des comptes observe qu'à partir de 2014 les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ont nettement augmenté. C'est la conséquence, non pas d'un mouvement de décentralisation marqué, mais de la création des grandes régions. Ces dernières étaient censées permettre des économies d'échelles, mais, comme toujours en pareil cas, les regroupements se sont révélés onéreux pour tout le monde : on le voit clairement dans le Grand Est.

Le Président de la République a supprimé la taxe d'habitation au nom de la justice. Or la taxe foncière sur les propriétés bâties est assise pour moitié sur la même base que la taxe d'habitation. La moitié d'une injustice, c'est encore une injustice : si, demain, cette taxe est supprimée, à quoi servira l'excellent rapport de la Cour des comptes ?

M. Claude Raynal, président. - Les élus locaux ont eux-mêmes creusé la tombe de la taxe d'habitation en insistant très largement sur son caractère injuste, ce qui doit nous inciter à la prudence.

M. Jean-Claude Requier. - Je suis totalement d'accord avec le constat de la Cour des comptes : ce système de financement est à bout de souffle. Chaque fois que la DGF, créée par Valéry Giscard d'Estaing, a été réformée, tous les droits antérieurs ont été garantis. À force de tout garantir, on ne garantit plus rien et, dès lors que l'on doit travailler à budget constant, toute possibilité de réforme disparaît.

Il faut sans doute travailler sur la question de la création d'un nouvel impôt résidentiel.

Enfin, le transfert des DMTO des départements aux communes est une véritable bombe fiscale.

M. Didier Rambaud. - Je salue l'honnêteté intellectuelle du président Raynal au sujet de l'autonomie fiscale. Qui, parmi les candidats aux dernières élections municipales, a affiché l'intention d'actionner le levier de la fiscalité ? Tous se sont empressés d'annoncer qu'ils ne toucheraient pas aux impôts locaux. Certains ont même émis l'intention de les baisser. Il faut mettre un terme à cette hypocrisie.

M. Claude Raynal, président. - Vous observerez que je ne me suis pas exprimé en ces termes, même si nous pouvons nous accorder sur un certain nombre de constats...

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Tout le monde reconnaît que le système est à bout de souffle et que, pour les responsables locaux, le besoin de visibilité est un sujet majeur. Or, aujourd'hui, cette dernière n'est pas assurée.

Nous avons formulé plusieurs propositions. Une loi de programmation des finances publiques permettrait de fixer un cadre, mais, à l'évidence, elle est difficile à obtenir.

Le mandat actuel du CFL est trop restreint et sa composition n'est pas parfaite : soit il faut le réformer en profondeur, soit il faut créer une autre instance, plus politique et plus générale. Un tel choix ne relève bien sûr pas de nous, mais il nous paraissait important de rappeler cette piste.

Nous avons travaillé sur la base de l'existant, marqué, depuis plusieurs années, par un effort de réduction et de suppression des impôts locaux. L'impôt local devenant, sinon résiduel, du moins relativement restreint, nous avons proposé de le concentrer sur le bloc communal, ce qui nous a valu beaucoup d'ennemis, en particulier du côté des départements.

J'en viens à l'impôt résidentiel, en relevant que, au rugby, botter en touche est aussi une manière d'avancer ! Il me semble très difficile de revenir sur la suppression de la taxe d'habitation en créant un tel impôt. S'il est appliqué largement, il posera problème pour les classes moyennes ; s'il est concentré sur les ménages les plus aisés, il manquera son objectif, à savoir faire contribuer le plus grand nombre.

Plus largement, la question est celle de l'autonomie fiscale et financière, qui comprend les impôts nationaux partagés. Dans cette logique, il ne serait pas absurde d'attribuer une fraction d'impôt sur les sociétés aux régions, ou une part d'impôt sur le revenu aux départements, compte tenu de leur rôle dans la mise en oeuvre des politiques sociales.

Si les intercommunalités peuvent jouer un plus grand rôle dans la répartition des ressources, je comprends parfaitement le sentiment de dépossession que peuvent éprouver les représentants des communes rurales, que M. Durand a exprimé.

Au sujet des niveaux de charges, nous insistons sur la nécessité de rétablir les impôts nationaux et les dotations selon les charges objectives, comme le nombre d'habitants, la composition de la population ou encore l'étendue du réseau routier.

Les DMTO sont un sujet extrêmement sensible et ce n'est pas la première fois que leur renationalisation est évoquée. La mission Richard-Bur, à laquelle j'ai appartenu, l'a ainsi mentionnée très clairement, sans conclure en ce sens. Insistons sur le caractère extrêmement fluctuant de cette ressource ; il me semble préférable de laisser l'État supporter cet aléa, tout en accordant aux collectivités territoriales des recettes plus stables.

Le faible niveau d'emprunt constaté aujourd'hui, à hauteur de 7 % des ressources des collectivités territoriales, contraste très fortement avec la situation qui avait cours il y a trente ans. Nous sommes arrivés à un système relativement sain. Même s'il peut être mobilisé pour l'investissement, l'emprunt doit rester une ressource limitée.

Au sujet de la taxe d'aménagement, je ne suis pas compétent pour vous répondre, cette question ne relevant pas de notre rapport.

Avant de conclure, j'évoquerai le millefeuille territorial. Il fut un temps où l'exécutif cherchait à faire disparaître progressivement les départements au profit des régions et des intercommunalités. Or la création des grandes régions, qui - je le confirme - n'a pas engendré d'économies, a considérablement revitalisé les départements. Nous nous inscrivons donc assez durablement dans un système à quatre niveaux de collectivités territoriales. Dès lors, mieux vaut répartir entre elles les ressources de la manière la plus efficace possible, en fonction de leurs compétences.

M. Claude Raynal, président. - Je m'adresse à présent aux quatre représentants des associations d'élus. Quel est le premier point d'attention que vous retenez des débats d'aujourd'hui ? Sur quelle base vous semble-t-il judicieux d'avancer et quelles lignes rouges tracez-vous ?

M. Sébastien Miossec. - Il semble effectivement indispensable d'augmenter l'enveloppe globale destinée aux collectivités territoriales pour accompagner la mise en oeuvre d'une réforme du financement des collectivités locales.

Nous pouvons envisager une véritable réforme. Selon nous, le rapport de la Cour des comptes constitue une bonne base.

La concurrence entre les différents niveaux de collectivités territoriales est mortifère. Nous devons avancer ensemble. Avant d'être président d'intercommunalité, je suis maire, et je suis parfaitement conscient que le maire est le premier interlocuteur de beaucoup de nos concitoyens ; mais, seul, le maire se révèle souvent désarmé. Voilà pourquoi nous avons besoin d'une intercommunalité respectueuse des communes, dont l'action complète celle des départements et des régions.

M. Denis Durand. - La loi NOTRe n'a précisément pas promu une intercommunalité respectueuse des communes. Il n'est pas possible de confier aux intercommunalités le soin de répartir la DGF entre les communes : telle est, pour nous, la ligne rouge.

De même, il faudrait supprimer l'échelle logarithmique utilisée dans le cadre du fonctionnement du Fpic et de la DGF, qui me semble antirépublicaine. Mieux vaudrait selon moi opter pour deux fonds distincts - un Fpic entre communautés de communes et un Fpic entre communes - pour assurer davantage de solidarité.

M. Pierre Breteau. - La territorialisation de l'impôt relevant du bloc communal est essentielle. À cet égard, la question de l'inégale répartition de l'assiette pose toutefois problème en effet.

En parallèle, on ne peut pas réformer la fiscalité locale à enveloppe constante. À ce titre, l'inflation peut être une chance.

Pour ce qui concerne la gouvernance et le pilotage des finances publiques locales, il faut se montrer innovant, ce qui suppose une réforme constitutionnelle.

Enfin, en matière d'autonomie fiscale, la question n'est pas : « les élus veulent-ils utiliser le levier de l'impôt ? », mais : « le peuvent-ils ? » Je puis vous assurer que, cette année, un certain nombre d'élus de mon département vont l'actionner, notamment pour assumer leurs choix politiques, alors même qu'il n'avait pas été utilisé depuis six, dix ou douze ans.

M. François Rebsamen. - Dans une République qui se dit décentralisée, l'État jacobin continue d'imposer ses règles à un bloc communal, qui doit faire face aux besoins croissants de la population. Il y va de la cohésion sociale et de la lutte contre le changement climatique, ni plus ni moins ! Sur ce plan, ce rapport contient de bonnes propositions.

N'oublions pas que c'est à l'échelle communale que l'on résout les problèmes. C'est pourquoi il faut renforcer le bloc communal. Les intercommunalités sont désormais présentes sur l'ensemble de notre territoire ; ce qu'il nous faut, ce sont d'abord des intercommunalités de projet. C'est, je crois, ce que nous cherchons tous.

M. Claude Raynal, président. - Merci à tous pour la qualité de vos interventions.

III. AUDITION DE L'ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE

Réunie le mercredi 25 janvier 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition de M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, Mmes Mathilde Lignot-Leloup, conseillère maître à la Cour des comptes et Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse et secrétaire adjointe de l'Assemblée des départements de France (ADF) pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse et secrétaire générale adjointe de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Comme cela a été rappelé, l'une des idées majeures qui se dégage du rapport de la Cour des comptes est de concentrer la fiscalité locale sur le seul bloc communal. Une telle évolution aurait notamment pour conséquence de soustraire aux départements le bénéfice des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui constituent leur dernière grande ressource de fiscalité directe. Je ne doute pas que ce sujet complexe donnera lieu à des échanges cordiaux, mais animés.

Cette audition constitue également l'occasion de connaître les observations des départements sur les autres propositions et pistes esquissées par la Cour, par exemple en matière de gouvernance des finances locales ou de simplification de la fiscalité transférée.

M. Charles Guené, rapporteur. - S'agissant de la gouvernance des finances locales, le rapport de la Cour des comptes préconise soit la mise en place d'une autorité indépendante, soit la consolidation du Comité des finances locales (CFL) actuel, afin de garantir la qualité d'arbitrages de plus en plus difficiles à rendre, compte tenu notamment de la part croissante d'impôts nationaux versés aux collectivités. Quelle solution aurait votre préférence, en sachant que l'ensemble des représentants des collectivités que nous avons entendus privilégient la piste d'une évolution du CFL ?

J'aimerais avoir votre sentiment sur une autre préconisation de la Cour, celle de mettre fin à l'affectation des DMTO aux départements, ce qui pose par ailleurs un certain nombre de questions compte tenu du fait que le fonctionnement du système de péréquation des départements repose sur cet impôt, ainsi que sur la piste d'un transfert d'une fraction de l'impôt sur le revenu (IR), qui serait réparti en fonction de critères de ressources et de charges. Il me semble en effet qu'un tel mode de répartition apparenterait davantage cette ressource à une dotation plutôt qu'à une recette fiscale territorialisée. Cependant, comme on l'a rappelé plus tôt, la territorialisation entraîne un besoin de péréquation accru, raison pour laquelle je ne considère pas à titre personnel que le financement par dotations soit nécessairement un mal.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Il serait intéressant que vous livriez une analyse rétrospective de l'évolution des ressources des départements dans le temps, ainsi que de l'impact de ces réformes - je pense notamment à celle de la taxe d'habitation - sur leur manière de fonctionner, avant de réagir aux recommandations de la Cour des comptes.

Après avoir attendu un certain nombre d'années que les élus locaux se mettent d'accord sur la question du financement de leurs collectivités, nous, parlementaires, considérons qu'il est temps d'agir. C'est ce que nous avons fait en commandant à la Cour des comptes, que je qualifierai à nouveau de « tiers de confiance », un rapport comportant un certain nombre de propositions. Confrontés au constat d'échec que je viens d'évoquer, nous avons demandé à la Cour de faire part de sa préférence pour un modèle de financement plutôt qu'un autre, bousculant un peu ses habitudes.

Mme Valérie Simonet, présidente du conseil départemental de la Creuse, secrétaire générale adjointe de l'Assemblée des départements de France. - Conseillère départementale depuis 2004, j'ai connu un certain nombre de réformes importantes.

Mon département, la Creuse, est très rural : il ne compte que 116 000 habitants. J'estime que la réponse au vieillissement de la population est le grand défi auquel la nation devra répondre. Chez moi, les gens vieillissent très bien.

Je vous remercie pour l'accueil que vous réservez à l'ADF. Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de François Sauvadet et de Jean-Léonce Dupont. Je salue également la qualité du travail de la Cour des comptes.

Le Comité des finances locales est un lieu d'échanges, au sein duquel les différentes strates de collectivités territoriales expriment leur point de vue. Jean-Léonce Dupont y a récemment formulé des observations claires : l'ADF considère que le panier de recettes des collectivités doit être repensé. Nous regretterions cependant une la perte des droits de mutation à titre onéreux - après celle de tant d'autres impôts locaux.

Les ressources des départements seraient uniquement issues d'une redistribution de la fiscalité nationale partagée et de dotations. Or le principe constitutionnel d'autonomie financière des collectivités devrait supposer que celles-ci disposent de ressources de fiscalité directe. Nous en sommes loin, comme en témoignent la suppression de la taxe d'habitation et celle de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) départementale. Alors que les bases avaient été revalorisées, l'année 2021 fut une année blanche. Tous les conseils départementaux ont pourtant pris leur part lors de la crise sanitaire.

Depuis la suppression de la TFPB départementale, une fraction de la TVA est versée aux départements en guise de compensation. En 2022, nous avons construit nos budgets en nous fondant sur une hausse de 5,5 % de cette taxe perçue par l'État. Mais les taux ont évolué plusieurs fois au cours de l'année, entraînant autant de décisions modificatives dans nos collectivités : nous sommes ensuite passés d'une hausse des versements mensuels de 2,9 % en début d'année à une hausse de 9,6 %. Cet accroissement compense peu ou prou les nouvelles charges qui nous ont été imposées, notamment la hausse du point d'indice des fonctionnaires, celle du revenu de solidarité active (RSA) ou encore la revalorisation des aides à domicile. Or nous apprenons aujourd'hui que la hausse de TVA s'élèvera finalement à 8,56 % : on nous annonce qu'il nous faudra rendre une partie de l'argent, alors que nos budgets pour 2023 sont votés ou sont en passe de l'être. Il est difficile de bâtir des budgets dans de telles conditions.

Les comptes administratifs pour 2022 ne sont pas encore votés, mais il est clair que la capacité d'autofinancement des conseils départementaux est en baisse. Nous sommes inquiets : serons-nous en mesure de répondre aux grands défis de la transition écologique, de la rénovation du bâti ou de l'attention devant être portée au grand cycle de l'eau ? Les conseils départementaux sont en mesure d'offrir une ingénierie adaptée à nos territoires. Or une suppression des DMTO nous priverait d'un lien avec eux.

Entre 2014 et 2017, la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) a représenté une perte de 6 millions d'euros pour ma collectivité. Si nous n'avions pas créé le fonds national de péréquation des DMTO sur la base du volontariat, nous serions très en retard sur nos investissements, notamment sur le développement d'un réseau de très haut débit grâce à la fibre optique. Les intercommunalités sont incapables d'assumer une telle charge.

Chaque année, nous débattons de nos engagements en faveur du fonds au sein du CFL. Lorsque la somme collectée dépasse 1,6 milliard d'euros, nous plaçons l'argent supplémentaire en réserve. Nous décidons d'affecter l'enveloppe en fonction des besoins, surtout pour répondre aux difficultés. Nous assumons nos compétences sociales, mais nous aidons aussi les autres strates de collectivités. La perte d'une nouvelle ressource serait pour nous difficile à admettre : le contrat local est en passe d'être rompu. L'État doit nous faire confiance. La crise sanitaire a montré que nous étions capables de faire face collectivement. Les temps sont difficiles : si l'État ne favorise pas le contrat entre les collectivités, je pense que le Gouvernement rencontrera des difficultés - il en ira de même pour ceux qui lui succéderont. Veillons à pérenniser notre modèle de démocratie locale et favorisons la participation de nos concitoyens à la vie de notre pays.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Vos propos témoignent d'une inquiétude sous-jacente sur l'avenir des conseils départementaux : les débats sur leur remise en cause, sur le millefeuille territorial ou encore sur le conseiller territorial y ont contribué. Aujourd'hui cependant, à l'heure des grandes régions, le conseil départemental est réhabilité et l'État territorial recrée même des sous-préfectures.

Nous n'avons pas la même analyse du rapport de la Cour des comptes. Nous ne croyons pas que ses propositions impliquent une forme de contestation de l'existence des conseils départementaux. L'enjeu est plutôt de mieux organiser les choses afin d'assurer à l'ensemble des strates de collectivités territoriales une visibilité financière suffisante pour exercer leurs compétences et engager les investissements nécessaires.

Bénéficier durant un temps de DMTO élevés n'offre aucune garantie de leur maintien à ce niveau sur le long terme, d'où le mécanisme de mise en réserve institué à la demande de l'ADF pour pouvoir faire face aux situations difficiles dans le futur. Dans son rapport, la Cour des comptes considère que le côté incertain de la recette justifierait sa prise en charge par l'État : j'estime que cette réflexion est plutôt de bon aloi.

Madame Simonet, je me réjouis que ce soit vous qui représentiez aujourd'hui l'ADF, car vous représentez un département pauvre.

Mme Valérie Simonet -. Disons qu'il est peu riche !

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Le mien, la Haute-Garonne, est riche. L'autonomie fiscale est surtout utile pour les collectivités dont les moyens sont importants. Les départements peu riches, mais aussi les petites communes, gagneraient à une répartition nationale plus claire et moins tributaire d'un accord au sein du CFL : il conviendrait d'introduire ces dispositions dans la loi.

À cet égard, il est proposé que les sujets à risque, tels que les DMTO, soient mutualisés. La position négative de l'ADF sur ce point s'explique peut-être par l'accumulation de décisions ayant réduit l'autonomie fiscale des conseils départementaux. En tout état de cause, les DMTO n'y contribuent pas, car leur taux est plafonné par la loi et la très grande majorité des départements applique déjà le taux plafond ...

Je n'ai pas remarqué une grande inquiétude des conseils départementaux sur la hausse de la fraction de TVA. Certes, un coup de rabot a été décidé après que le Gouvernement eut considéré que certains d'entre eux avaient bénéficié d'un effet d'aubaine. Certains départementaux abritant des métropoles très dynamiques ont peut-être reçu un peu moins, mais faut-il s'en émouvoir ?

M. Stéphane Sautarel. - Je rejoins en partie les propos du président Raynal. Je vous félicite, car les conseils départementaux ont été capables de s'entendre afin de créer une péréquation horizontale au titre des DMTO, sans doute aussi pour éviter de subir une péréquation verticale dont le contrôle aurait échappé aux départements.

Plus que pour les autres collectivités, le financement des conseils départementaux est lié à leurs compétences. Les dépenses sociales sont en grande partie subies. La question sera encore plus prégnante si une grande loi relative à l'autonomie est votée demain.

Madame Simonet, vous évoquiez un contrat de confiance : la question de l'exercice des compétences et des charges afférentes est en lien avec les ressources du niveau départemental. À l'inverse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) allouée aux intercommunalités, les DMTO ne sont pas directement liés aux politiques publiques menées par les conseils départementaux.

M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes. - Nous avons organisé de nombreuses auditions en vue de préparer notre rapport. Sans conteste, la plus animée a été celle durant laquelle le président du conseil départemental du Calvados a qualifié l'État de « voleur » et de « menteur ». Ce sujet est très sensible.

Nous n'avons pas de position idéologique sur les DMTO. Nous nous sommes demandé si des critères justifiaient leur maintien au niveau départemental. Nous n'en avons pas trouvé, si ce n'est que ces droits leur sont attribués depuis 1983. De plus, cette ressource est très inégalitaire d'un département à l'autre, avec un rapport variant de 1 à 7 après péréquation. Elle n'a pas de lien avec la compétence sociale, qui figure au coeur de l'action des conseils départementaux. Ces constats nous ont conduits à proposer un transfert au niveau national, assorti d'une répartition en fonction des besoins.

Je suis toutefois conscient que les DMTO constituent le dernier impôt territorialisé des départements. Je reconnais également que les conseils départementaux ont fait des efforts importants, comme en témoigne leur mécanisme de mise en réserve et de péréquation. D'un point de vue technique, il nous a semblé que c'était la solution la plus simple. Concentrons les vrais impôts locaux sur le bloc communal et faisons supporter par l'État les risques portant sur deux impôts aujourd'hui répartis, les DMTO ou la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Mais il ne faut pas que ce soit un marché de dupes. Or je reconnais que c'est parfois le cas. D'où les contreparties que nous proposons, comme les mécanismes garantissant la prévisibilité, la juste compensation et l'équité entre les bénéficiaires. Une instance rénovée pourrait le garantir : cela pourrait être un CFL rénové, par exemple. En tout état de cause, la Cour des comptes n'a pas de position idéologique contre les départements.

M. Charles Guené, rapporteur. - Les DMTO sont certes très volatils. Les conseils départementaux s'occupent de la misère du monde ; il est très difficile de trouver une compensation fiscale qui soit contracyclique en contrepartie. L'impôt sur le revenu, dont les recettes sont plutôt stables, pourrait être une solution.

L'histoire des conseils départementaux est marquée par une grande défiance à l'égard de l'État. Maintenir la libre administration des collectivités territoriales suppose que celles-ci et l'État s'entendent. Certains pays voisins y parviennent bien. Dès lors, quelles seraient pour vous les conditions d'une meilleure gouvernance des finances locales ?

Mme Valérie Simonet -. Nous parlons tous de confiance ou de défiance dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales. Vous avez le poids des dépenses d'allocations individuelles de solidarité dans nos budgets, qu'il faut tout de même relativiser : elles représentent un tiers du budget au maximum. Dans mon département, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est la dépense la mieux compensée par l'État, à hauteur de 49 % ; celle liée au RSA l'est beaucoup moins. Quelque 50 % des dépenses que nous engageons ne sont pas compensées.

Entre 2014 et 2017, l'effort de réduction de la DGF était le même pour la Creuse que pour les Yvelines, sans prise en compte des écarts de richesse entre les départements. L'État a tendance à aller trop vite : il oublie que nous ne sommes pas tous au même niveau et que nous n'avons pas tous les mêmes besoins. De plus, nous n'avons pas obtenu l'indexation de la DGF sur l'inflation : est-ce là le signe d'une relation de confiance avec l'État ? En outre, certaines dotations compensatoires telles que la dotation compensatoire péréquée (DCP) et la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) chuteront énormément en 2023 : nous constatons déjà que la compensation de l'État ne sera pas au rendez-vous.

Certes, les DMTO sont volatils, mais, en trois ans, leur produit a tout de même doublé dans mon département. Nous récoltons les fruits des efforts que nous menons en faveur de l'attractivité de nos départements, notamment grâce au déploiement de la fibre comme je le disais, mais aussi à l'accompagnement au développement des bourgs dans le cadre de programmes comme « petites villes de demain ». Nous sommes persuadés que nos territoires seront une réponse aux difficultés des zones urbaines. Ces ressources nous incitent à agir ; ce ne serait pas les cas si, demain, l'État nous versait des dotations à la place.

Monsieur Guené, le CFL est une organisation partenariale dans laquelle nous pouvons débattre et élaborer des stratégies. Il faudrait peut-être travailler sur le poids relatif des différentes strates de collectivités dans sa gouvernance.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Il y aurait beaucoup de choses à dire. Madame Simonet, je suis sûr que vous n'avez pas besoin de récompense sous forme de retour fiscal par les départements pour que les départements s'engagent pleinement dans l'exercice de leurs compétences. Les fonctions politiques supposent par nature un tel engagement.

J'ajoute que le produit des DMTO est important lorsque les ventes sont nombreuses : les métropoles, qui sont des pelotes de mouvements, en profitent à plein, du fait de la vente à de nombreuses reprises des mêmes biens plus que par la construction de nouvelles habitations.

Mme Valérie Simonet. - C'est une difficulté inhérente à toute réforme : nous savons ce que nous perdons, mais nous ne savons pas ce que nous allons récupérer. La réforme des indicateurs financiers utilisés pour la répartition de la DGF qui avait été engagée entraînait notamment une perte pour l'un des départements les moins riches de France : cela n'est pas de nature à me rassurer.

Je n'ignore pas que la répartition territoriale des DMTO est très inégale mais, pour les raisons que j'ai évoquées, cela ne suffit pas à me rendre favorable à leur nationalisation.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - L'heure est en effet à la défiance, car les départements avaient vu leur existence remise en cause au cours de la dernière décennie. Pourtant, aujourd'hui, les grandes régions ont conforté les conseils départementaux. Ces derniers devront tôt ou tard quitter le terrain de la crainte pour rejoindre celui de la confiance.

IV. AUDITION DE RÉGIONS DE FRANCE

Réunie le mercredi 25 janvier 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition de M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, Mme Mathilde Lignot-Leloup, conseillère maître à la Cour des comptes et M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne et président délégué finances de la commission administration générale de Régions de France (RF) pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi nos travaux sur l'enquête réalisée par la Cour des comptes, à notre demande, sur le fondement de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

Après la présentation du rapport par son Premier président au début du mois d'octobre dernier, et l'audition, la semaine dernière, de représentants d'élus du bloc communal, nous auditionnons aujourd'hui Régions de France (RF), puis l'Assemblée des départements de France. Il ne s'agit pas de présenter à nouveau dans le détail les travaux de la Cour, dont vous avez déjà pu prendre connaissance. Il convient cependant de souligner que l'une des idées majeures qui se dégagent du rapport de celle-ci est de concentrer la fiscalité locale, ou du moins ce qu'il en reste, sur le seul bloc communal.

De nouvelles sources de financement sont envisagées pour les autres strates de collectivités, comme un partage de l'impôt sur le revenu avec les départements ou de l'impôt sur les sociétés (IS) avec les régions.

Ces auditions sont l'occasion de connaître les observations des représentants des régions et des départements sur ce sujet ainsi que sur les autres propositions et pistes esquissées par la Cour, par exemple en matière de gouvernance des finances locales ou de simplification de la fiscalité transférée.

Notre première audition de l'après-midi est consacrée aux régions. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne et président délégué Finances de la commission Administration générale de Régions de France. Je remercie également le président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, M. Christian Charpy, et la rapporteure générale de la formation commune qui a préparé cette enquête, Mme Mathilde Lignot-Leloup, de s'être rendus à nouveau disponibles pour participer à nos échanges.

Je tiens par ailleurs à excuser notre rapporteur général.

Monsieur Perrin, nous avons évidemment souhaité prendre une initiative sur le sujet du financement des collectivités territoriales, c'est en effet une litote que de dire que les élus locaux ont du mal à trouver des convergences en la matière. On peut le comprendre : chacun a d'abord en vue de préserver son domaine. Les seuls points sur lesquels nous convergeons tous, c'est, premièrement, la nécessité de tout changer et, deuxièmement, le fait que nous ne savons pas comment nous y prendre.

Le Parlement a jugé utile de poser un acte, un acte courageux, consistant à prendre un « tiers de confiance » pour exposer un certain nombre de points de vue, puis, éventuellement, à mettre sur la table une proposition avec des éléments qui nous paraissent suffisamment intéressants pour que nous poursuivions la réflexion le plus loin possible.

Avec cette audition, nous avons l'objectif de bien comprendre le point de vue de Régions de France sur ce qui s'est déjà passé pour les régions, dont le mode de financement a été très largement chamboulé dans les années passées - nous nous souvenons tous des cris d'orfraie que la peur du changement avait suscités. On a l'impression, peut-être fausse, que la question du financement des régions ne se pose plus dans les mêmes termes désormais, compte tenu du fait que l'on a limité vraiment très fortement leurs capacités d'autonomie fiscale.

Comment les régions relisent-elles cette période aujourd'hui ? Quelles réflexions vous inspirent les propositions de la Cour ?

M. Charles Guené, rapporteur. - Je veux adresser mes remerciements à la Cour, pour la qualité du travail qu'elle nous a fourni, et à vous, monsieur Perrin, pour être venu devant nous aujourd'hui évoquer ces sujets.

Je travaille particulièrement sur la gouvernance des finances locales. Comme l'a souligné la Cour, la question de la nécessité d'une sorte de nouvelle gouvernance systémique se pose, à plus forte raison dans un contexte où le partage d'impôts nationaux a pris une part importante dans le financement des collectivités territoriales.

Le rapport envisage soit la création d'une autorité indépendante, soit une transformation du Comité des finances locales (CFL). Lors de la réunion que nous avons eue avec vos collègues du bloc communal, ces derniers étaient plutôt favorables à une évolution du CFL. Quelle est votre préférence sur ce point ?

Il est vrai que toutes vos ressources n'étaient pas nécessairement en adéquation avec vos compétences. Se profile notamment l'idée d'un transfert de l'impôt sur les sociétés. Comment envisageriez-vous la répartition de cet impôt : territorialisé au niveau des régions ou réparti au plan national en fonction de critères de développement économique du territoire régional ?

M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne, président délégué Finances de la commission Administration générale de Régions de France. - Vous avez utilisé, monsieur le président, l'expression « tiers de confiance ». Nous dialoguons fréquemment avec la Cour - j'étais encore auditionné par elle ce lundi. Le rôle de la Cour, dans ces exercices où il faut commencer par objectiver une situation de départ, nous paraît essentiel. La mobilisation de la disposition de la Lolf que vous avez évoquée me semble donc tout à fait opportune, et j'espère, à titre personnel, qu'elle fera école et que le rôle de la Cour en tant que tiers de confiance sera bien identifié.

Dans ces périodes où il faut tout changer, il faut au moins se mettre d'accord sur les termes du débat. Dans la période récente, sur la situation financière des régions, par exemple, nous avons parfois eu des difficultés à nous mettre d'accord sur les constats de départ, et c'est la Cour qui, finalement, a été le juge de paix. C'est essentiel pour débuter les discussions en projet de loi de finances (PLF) ou de loi de finances rectificative.

Je veux donc saluer le rôle de la Cour ainsi que votre initiative, d'autant plus bienvenue que le modèle de financement des régions est appelé à mourir à court terme. La crise et l'inflation que nous connaissons ont été un puissant accélérateur de cette marche vers la mort du système de recettes des régions. En effet, pour une bonne part, nos recettes sont assises sur de la fiscalité liée à l'automobile : part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et taxe sur la carte grise, qui est notre dernier levier fiscal, à hauteur de 10 % des recettes des régions - c'est donc un tout petit levier fiscal.

Pourquoi ce système est-il mort ? Il était, déjà, absurde. En effet, les mobilités collectives - ferroviaire, trains express régionaux (TER), transport interurbain - sont l'une des compétences majeures des régions. Or, par hypothèse, plus nous allons développer le transport collectif, moins nous allons susciter de besoins en véhicules automobiles et en carburants. Par conséquent, plus nous mènerons des politiques vertueuses, moins nous aurons de recettes.

Nous allons connaître des diminutions très fortes du produit de la taxe sur la carte grise, liées au fait que le marché de l'automobile s'effondre - nos décisions modificatives de fin d'exercice 2022 et la construction des budgets pour l'année 2023 le reflètent. À cela, plusieurs facteurs : augmentation du coût des véhicules, arrêt des aides pour l'achat d'un véhicule... De fait, ce secteur était fortement mobilisateur de crédits publics. Tout cela, que ce soit sur le véhicule neuf ou, par effet de bord, sur le véhicule d'occasion, explique qu'il y ait beaucoup moins de transactions, donc beaucoup de pertes de recettes. S'y ajoute l'ambition européenne de fin du véhicule thermique à l'horizon 2035. L'assiette va donc fondre, puis disparaître complètement. Quelques régions, dont la mienne, vont relever le taux de la taxe sur la carte grise cette année pour compenser les effets de l'inflation, mais c'est une fuite en avant : plus l'assiette va fondre, plus nous allons devoir augmenter le taux. Nous savons très bien que cela ne nous mènera nulle part.

Le modèle de recettes est donc appelé à mourir. Il va falloir en changer à très court terme pour les régions, sans quoi nous serons dans l'incapacité de financer les politiques publiques, que ce soit en fonctionnement ou en investissement.

Vous m'avez appelé, monsieur le président, à faire un retour sur le passé. Il se trouve que j'ai vécu la bascule de la dotation globale de fonctionnement (DGF) vers la TVA pour les régions. Cette bascule nous a offert un bol d'air frais, sa dynamique étant sans commune mesure avec les perspectives d'évolution de la DGF, qui avait beaucoup diminué. Ainsi, si nous parvenons à assumer, pour 2022, les puissants surcoûts liés à l'inflation - factures d'énergie de nos lycées, factures d'électricité sur les mobilités, factures de carburant des mobilités par car -, c'est parce que nous avons eu, cette année-là, une bonne dynamique de TVA. Je le dis de manière très claire : cette bascule a été la bienvenue, quand bien même elle ne nous a pas redonné de l'autonomie fiscale. Cependant, il faut bien dire que la dynamique de la TVA est annulée par l'évolution de la fiscalité sur l'automobile, qui est appelée à diminuer.

Pour l'année 2023, nous anticipons une dégradation de l'épargne des régions, car la dynamique de TVA ne sera pas au niveau de 2022, et encore moins des années précédentes. Dans le même temps, nous aurons toujours cette attrition des recettes sur la fiscalité automobile. Nous anticipons plutôt une dégradation du solde.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Malgré une bonne dynamique d'évolution de la TVA cette année ?

M. Stéphane Perrin. - Je m'en suis ouvert auprès de la Cour pas plus tard que lundi. Pour 2023, nous anticipons, en année pleine, un surcoût lié à l'inflation, en additionnant les lycées, les TER, le transport interurbain et l'effet point d'indice sur la masse salariale, de 977 millions d'euros pour l'ensemble des régions, et un surplus de recettes à hauteur de 786 millions d'euros, que nous calculons pour l'instant uniquement sur le surplus de TVA - nous partons d'une hypothèse de stabilité sur la carte grise et les certificats d'immatriculation, alors que l'on aura vraisemblablement une baisse. Le solde serait donc négatif d'environ 200 millions d'euros. En 2022, la situation était inverse, avec plus de 1,1 milliard d'euros de recettes supplémentaires du fait d'une très bonne dynamique de TVA, contre 957 millions d'euros de surcoût en dépenses, donc un solde globalement positif, même si, comme la Cour l'avait établi - c'est en cela que j'évoquais un rôle de tiers de confiance -, la région était le seul niveau de collectivité à ne pas avoir retrouvé son niveau d'épargne d'avant-covid. De fait, c'est le niveau de collectivité qui a été le moins accompagné au cours de cette crise, hormis les 600 millions d'euros de soutien à l'investissement, qui doivent cependant être mis en regard des 2,4 milliards d'euros de hausse de l'investissement des régions sur la même période, liés à leurs politiques volontaristes.

Comme le modèle de recettes paraît dépérir au fil du temps, nous risquons d'avoir une difficulté à terme, qui se traduira, non par un surendettement des régions, mais par une diminution de l'investissement, alors que nous n'avons pas encore ouvert le volet « mobilité » des contrats de plan État-région (CPER), par exemple, et que les besoins en la matière sont extraordinairement importants.

La période passée nous inspire donc à la fois la satisfaction d'avoir cette recette de TVA et le constat que le modèle de recettes, au global, ne nous permet pas d'assumer les politiques publiques en tendance longue, l'inflation et à la crise économique ayant accéléré les choses.

Il est vrai que nous n'avons quasiment plus d'autonomie fiscale. Nous avons inauguré le modèle, aujourd'hui largement répandu, de l'affectation d'une part d'impôt national. Celui-ci ouvre des questions qui dépassent largement ma condition d'élu régional, pour s'adresser aux représentants de la nation que vous êtes. D'une part, la TVA est un impôt qui présente des inconvénients compte tenu de son caractère régressif. Surtout, le fait que l'État soit aujourd'hui attributaire d'une part minoritaire du produit de la TVA et la généralisation d'un système où les collectivités sont affectataires d'une part d'impôt national interrogent sur la capacité qu'aura l'État à financer ses propres politiques publiques.

On voit bien que les choix de politique fiscale cherchent un peu à faire disparaître l'impôt. On a beaucoup recours aux impôts indirects. On réduit les assiettes. On supprime la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour ne plus avoir d'impôt sur la production. Quoi que l'on pense de ces choix, le système qui consiste à affecter aux collectivités une part d'impôt national sera-t-il tenable dans le temps ? L'État aussi a besoin de financer ses politiques publiques ! Ce sont des choix qui appartiennent au Parlement, puisque c'est lui qui est décisionnaire en dernier ressort sur les lois de finances.

M. Claude Raynal, président, rapporteur spécial. - Quand le « 49.3 » n'est pas déclenché...

M. Stéphane Perrin. - Quoi qu'il en soit, c'est une vraie question. Il faut aussi avoir ces choses à l'esprit quand on choisit un scénario de financement. Pour ma part, je m'interroge sur l'opportunité de réduire les assiettes que l'on souhaite imposer ou de distribuer les produits d'impôts entre plus de bénéficiaires au moment même où la demande d'investissement et les besoins découlant des compétences régaliennes de l'État sont très forts, mais je répète que ces choix appartiennent avant tout aux représentants de la nation, même si nous en supporterons les effets en dernier ressort.

Partant de là, la question se pose du modèle vers lequel nous devons aller. La proposition que fait la Cour a globalement reçu l'assentiment de Régions de France, comme la présidente Carole Delga a eu l'occasion de le dire. En effet, l'impôt sur les sociétés est plus en lien avec nos compétences que les recettes que nous pouvions avoir jusqu'à présent. La Cour a souligné la complexité et la faible lisibilité du système. Il existe des bizarreries, comme la compensation par des parts de TICPE de dépenses relatives à l'apprentissage. Tout cela devient très tortueux. La sédimentation née de la succession de réformes rend le panier de recettes complètement illisible pour les citoyens et parfois même pour les élus. Il est donc probablement temps de passer à autre chose aussi pour des raisons démocratiques.

L'affectation d'une part d'impôt sur les sociétés appelle deux précisions.

Premièrement, avec la TVA et l'impôt sur les sociétés, nos recettes seraient intégralement liées à la conjoncture économique. Autrement dit, dans les périodes de retournement économique, l'ensemble de nos recettes connaîtrait une dépression, puisque nous n'aurions pas de « fiscalité de stock », alors même que les régions ont aujourd'hui des compétences en matière de service à la population - sur les mobilités, sur la formation professionnelle, sur les lycées -, qui, elles, ne sont pas dépendantes du cycle économique.

Comment assure-t-on le financement des politiques en période de vaches maigres ? Une des demandes formulées par Carole Delga, qui n'a pour l'instant pas été suivie en loi de finances, mais qui paraîtrait d'autant plus nécessaire dans un nouveau modèle tel que celui que propose la Cour, est d'avoir a minima la capacité de mettre en réserve la dynamique, comme cela a été fait pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) des départements. Si j'ai bien compris, ces derniers ont activement mobilisé ce système. Nos collègues élus des départements savent bien qu'ils sont dépendants du marché de l'immobilier alors même qu'ils ont des politiques pérennes à financer, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou le revenu de solidarité active (RSA). Un mécanisme prudentiel paraît donc absolument indispensable, au moins pour préserver les capacités d'intervention en période de crise.

Deuxièmement, vous avez posé la question, monsieur le rapporteur Charles Guené, de la gouvernance, de la codécision, de la territorialisation. Il est clair que, dans le modèle proposé, les régions, qui avaient exprimé une demande de codécision dans leur livre blanc, n'auraient pas d'autonomie fiscale. L'organisation territoriale et l'organisation fiscale d'un État sont deux choses distinctes. J'ai l'habitude de citer l'exemple de notre voisin allemand, où les Länder n'ont pas forcément d'autonomie, mais sont dans un dialogue avec l'État fédéral sur l'attribution des parts d'impôt national. Il faudrait, a minima, créer les conditions de ce dialogue, qui, il faut bien le dire, n'existe pas aujourd'hui.

J'ai siégé au CFL le jour de la présentation du projet de loi de finances : les ministres y viennent l'après-midi consacrer une heure à sa présentation, après la réunion du conseil des ministres du matin. Autant dire que l'on a peu de temps pour poser des questions ! Le PLF vit ensuite sa vie parlementaire.

Il faut que nous puissions avoir un espace de discussion, d'échange et de codécision qui n'existe pas aujourd'hui, dans un format à définir. Dans le processus de révision constitutionnelle qui avait été engagé, l'idée a circulé d'une loi de financement des collectivités territoriales, mais votre collègue Françoise Gatel m'avait expliqué que cette solution pouvait être piégeuse, y compris pour les collectivités. Le lieu de discussion que nous appelons de nos voeux peut être un CFL rénové, mais il faudra alors en regarder la composition avec précision : si les collectivités y sont minoritaires, l'exercice s'avérera assez rapidement vain et décevant. Cela ne créerait pas la confiance que nous recherchons, ce qui constituerait une difficulté.

La solution peut passer par la contractualisation, mais évidemment pas sur le modèle des contrats de Cahors - qui n'étaient d'ailleurs pas des contrats - ou du dispositif proposé il y a peu, qui reposait sur une norme de dépenses de fonctionnement à respecter.

En revanche, l'intérêt d'une contractualisation globale, intégrant un volet financier mais pas uniquement, est indéniable. Elle serait envisageable dans le cadre d'expérimentations et selon des mécanismes de différenciation à définir, même si j'ai des doutes sur le fait que l'État y soit prêt.

Je comprends parfaitement que le Gouvernement s'efforce prioritairement de crédibiliser la trajectoire budgétaire de nos finances publiques - après tout, régions et État sont dans le même bateau -, mais je suis convaincu de la nécessité d'une contractualisation plus dense que par le passé. C'est d'autant plus vrai que, si l'on porte un regard rétrospectif sur les contrats de Cahors - cet exercice inutilement vexatoire -, on observe que les régions, qu'elles les aient signés ou non, ont toutes, sans exception, respecté leur trajectoire budgétaire.

Cela étant, une contractualisation plus poussée impliquerait que l'État mette en place les outils nécessaires, y compris à l'échelon local, pour piloter les politiques conduites dans le cadre de ces contrats. Or l'actuel ministre des comptes publics a qualifié de « micro-management » le fonctionnement des contrats de Cahors. Un dialogue entre les présidents de régions et les préfets, ça ne s'appelle pas du « micro-management », ça s'appelle la République. Ces propos m'ont choqué, car une contractualisation efficace suppose un État déconcentré bien « outillé » et ouvert au dialogue.

Réfléchir à la territorialisation du financement des régions nécessite de s'interroger en parallèle sur les mécanismes de péréquation à mettre en oeuvre, même si le panier actuel des recettes des régions rend moins utile un tel travail, même si nous l'avons fait.

La territorialisation est, par ailleurs, très complexe à mettre en place, comme l'a prouvé le transfert d'une part de la CVAE aux régions. Elle peut notamment créer des effets de siège, auxquels on ne pourra échapper qu'en mettant en place une grille de lecture efficace et des critères qui permettent d'éviter des distorsions supplémentaires.

Pour Régions de France, je le redis, le travail engagé par votre commission est d'autant plus opportun que le dossier du financement des régions doit absolument trouver une issue dès l'examen du prochain projet de loi de finances, surtout en raison des graves problèmes de financement de la compétence « mobilité ».

Le fonctionnement de ce volet, qui découle de la coordination et de l'articulation entre les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), pose un vrai sujet : nos concitoyens ne comprendraient pas que l'on maintienne l'actuel fractionnement des opérateurs, alors que les déplacements, notamment professionnels, ont très souvent lieu d'un territoire à un autre et que les besoins en termes de mobilité s'accentuent. Ce point mérite qu'une réflexion plus poussée soit menée en urgence.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Je vous remercie pour ce propos clair et structuré.

M. Stéphane Sautarel. - Ma question est simple : si l'on créait un nouveau panier d'impôts dédié aux régions, qui repose sur une fraction des impôts nationaux que sont l'impôt sur les sociétés et la TVA, quel devrait être selon vous le taux de cette part régionalisée ? Une telle hypothèse a-t-elle un sens pour vous ?

Je partage votre avis sur la nécessité d'une contractualisation plus large entre l'État et les régions, ainsi que vos inquiétudes concernant le financement des AOM, d'autant que la contribution des régions aux CPER dépend directement de la capacité d'autofinancement de celles-ci. Notre commission a d'ailleurs décidé de créer une mission d'information sur le sujet.

M. Michel Canevet. - Avez-vous identifié des ressources fiscales qui permettraient d'accroître l'autonomie fiscale ou financière des collectivités, objectif auquel nous sommes tous attachés ici et corollaire indispensable d'une responsabilisation des élus ?

M. Marc Laménie. - Le sujet abordé est essentiel tant les collectivités territoriales investissent dans de nombreux domaines.

Concernant une question qui m'intéresse plus particulièrement, celle de l'intervention des régions dans le secteur ferroviaire, je tiens à rappeler les importants efforts réalisés par les collectivités pour renouveler les matériels, maintenir et gérer les infrastructures de réseaux. Les investissements existent : quid des recettes ? Quelles ressources devraient, selon vous, être perçues par les régions, hormis la TVA et éventuellement l'IS ? Enfin, pensez-vous que la fusion des régions a eu des effets positifs en matière de mobilité ?

M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes. - Tout d'abord, je tiens à dire que nous sommes tout à fait conscients des difficultés financières que pourraient rencontrer à terme les régions du fait d'une fiscalité essentiellement assise sur les hydrocarbures - la TICPE et la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules. C'est du reste l'une des raisons pour lesquelles nous considérons qu'il est préférable que l'État prenne en charge lui-même ces deux taxes, et plus généralement les impôts et taxes dont la part a vocation à diminuer ou qui fluctuent beaucoup, plutôt qu'il les verse directement aux collectivités locales. Nous estimons, en effet, que l'État a des capacités de réaction et d'emprunt plus importantes que ne le sont celles des collectivités.

Ensuite, j'ai eu plaisir à entendre M. Perrin dire que l'impôt national partagé n'était pas nécessairement une abomination. La TVA, pour prendre cet exemple, est un impôt relativement dynamique et très résilient aux crises, puisqu'il repose essentiellement sur la consommation des ménages. Je reconnais que l'on peut émettre davantage de réserves concernant l'IS, dont les fluctuations sont plus significatives.

Il conviendrait peut-être de réfléchir à des mécanismes de « mise en réserve », qui sont certes quelque peu contraires aux principes généraux des finances publiques, mais qui permettraient d'avancer sur un sujet sur lequel il est urgent de trouver des solutions.

S'agissant de la territorialisation de l'IS, je suis moi aussi très attentif aux effets de siège que M. Perrin a mentionnés. En territorialisant complètement cet impôt national, on favoriserait de fait les régions Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, quand d'autres régions seraient très pénalisées. Une telle réforme conduirait à la mise en place de mécanismes de péréquation très lourds.

Cela étant, je suis conscient qu'il est difficile d'inciter une région à favoriser le développement économique sur son territoire, tout en ne lui permettant pas d'en tirer profit au niveau de ses ressources. C'est pourquoi nous avions imaginé deux hypothèses : la première consiste à chercher des modes de répartition qui poussent à la création d'entreprises - pourquoi ne pas imaginer qu'une part de l'IS soit répartie en fonction du nombre d'entreprises créées ? La seconde repose sur la mise en place d'un taux complémentaire d'IS. La difficulté, dans ce dernier scénario, est que les acteurs économiques sont très mobiles et qu'ils risquent de se déplacer en fonction de l'application ou non d'un tel taux dans les territoires.

Par ailleurs, je souhaite insister sur la question de l'instance de concertation et de dialogue qui, dans notre esprit, doit notamment veiller à ce que l'État respecte les règles du jeu. En effet, le partage du bénéfice des impôts nationaux présente des risques. Je pense à la décision que l'État a prise concernant la CVAE et au fait qu'il pourrait prendre une décision similaire s'agissant de l'IS dans un futur proche. De manière générale, les décisions qui affecteront l'IS au niveau national - par exemple, la baisse progressive du taux de cet impôt jusqu'à 25 % - affecteront aussi les ressources des régions.

L'instance de concertation devra donc veiller à ce que les efforts ou les compensations soient correctement partagés pour éviter tout jeu de dupes. C'est indispensable, pour assurer tant une juste compensation des baisses d'impôts qu'un certain équilibre dans l'élaboration des éventuels outils de péréquation ou l'égalité de répartition des impôts et des dotations entre collectivités en fonction de leurs besoins objectifs.

Le Comité des finances locales peut-il être cette instance ? S'il en est capable, pourquoi pas ? Cela étant, j'ai bien entendu que, selon M. Perrin, ce comité n'est pas pleinement représentatif des différents niveaux de collectivités. Il est, en outre, un peu pénalisé par le rôle de chambre d'enregistrement et de récriminations qu'il a endossé depuis quelques années.

Il est peut-être préférable de réfléchir à la mise en place d'une haute autorité, bien que le Sénat soit par principe assez réticent à la création de ce type de structures. J'observe malgré tout que le Haut Conseil des finances publiques trouve un certain écho lorsqu'il livre ses prévisions. Nous aurons en tout cas besoin d'une autorité ayant suffisamment de poids pour se faire entendre dans le cas où la loi de finances ne respecterait pas le principe de prévisibilité des ressources.

Pour terminer, permettez-moi d'évoquer la question de la contractualisation. J'ai bien noté que M. Perrin estimait que les contrats de Cahors n'étaient pas la panacée. Ce que je constate, de mon côté, c'est que beaucoup d'instruments de contractualisation se superposent aujourd'hui et que l'on a tendance à s'y perdre. Je partage, en outre, l'avis de M. Perrin au sujet des services déconcentrés de l'État : ils doivent absolument disposer des moyens de gérer ces contrats au niveau des territoires, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Stéphane Perrin. - Pour être totalement transparent, il n'existe pas de consensus entre présidents de région sur le sujet de l'autonomie fiscale. Personnellement, j'y suis favorable, car, comme M. Canévet, je considère que l'autonomie fiscale des collectivités et la responsabilité des élus vont de pair. Pour autant, il faut être conscient des effets pervers que cela peut entraîner, à savoir une concurrence fiscale accrue ou des effets anti-péréquateurs, qu'il faut ensuite corriger. Bref, le système parfait n'existe pas. En l'absence de consensus, il faudra a minima une codécision, dans un cadre qui reste à définir.

S'agissant de la compétence « mobilité », les difficultés actuelles résultent du fait que les CPER ont été dévitalisés - les derniers contrats en date ont d'ailleurs été conclus sans volet « transports ». Aujourd'hui, les régions sont dans l'inconnu, puisqu'elles doivent intégrer dans leur plan pluriannuel d'investissement des dépenses qu'elles ne sont pas en mesure d'évaluer.

Avant de parler des recettes, je pense qu'il faut aborder le modèle économique. Le modèle de financement du secteur ferroviaire est extrêmement opaque et défavorable aux collectivités. Prenons le cas des infrastructures de transport : il arrive que SNCF Réseau ne participe à leur financement qu'à hauteur de 8 %, ce qui implique que les collectivités locales investissent des sommes très élevées pour des infrastructures qui, majoritairement, ne leur appartiennent pas. C'est assez injuste d'un point de vue financier, d'autant qu'elles doivent ensuite payer une redevance ferroviaire pour faire rouler leurs TER.

À cela s'ajoute un problème conjoncturel, à savoir que la SNCF répercute, pour une large part, la hausse des tarifs de l'énergie sur les régions, alors même que nous ne savons pas si cette augmentation, que M. Farandou a évaluée à 1,6 milliard d'euros, repose sur des critères objectifs. Avant d'envisager de nouvelles ressources, il faudra donc corriger ce modèle de financement du ferroviaire, au niveau tant des investissements que du fonctionnement.

Aujourd'hui, nous sommes arrivés au bout d'un système. Les régions ne bénéficient pas du versement mobilité, alors qu'elles contribuent aux déplacements de salariés vers des métropoles où ils ne résident pas. Pourquoi ne pas explorer certaines pistes ? Je pense par exemple à la création d'un versement additionnel ou à des mécanismes de mobilité gérés à l'échelon d'aires de vie infrarégionales. Un travail de fond est nécessaire sur ce dossier.

Enfin, je répondrai à M. Laménie que la taille d'une région a une incidence sur le mode d'organisation des transports de la collectivité concernée, et bien évidemment sur la mise en oeuvre des politiques publiques. C'est d'ailleurs pourquoi les mécanismes de contractualisation devront être différenciés à l'avenir. En revanche, j'observe, sur un plan budgétaire plus général, que les économies d'échelle qui devaient découler de la création de grandes régions ne sont pas au rendez-vous.

M. Claude Raynal, président, rapporteur. - Il faudra nous montrer attentif au décret relatif à la nouvelle répartition de la fraction du produit de la TVA attribuée au bloc communal, consécutive à la suppression de la CVAE, dont une part est fixe, mais dont l'autre part doit découler du niveau de développement économique local. On aurait gagné à ce que la clé de répartition précise soit fixée dans l'article de la loi de finances pour 2023 qui, je le rappelle, n'a fait l'objet d'aucun vote à l'Assemblée nationale et n'a pas été adopté par le Sénat, ce qui est assez inédit pour être souligné s'agissant d'une réforme fiscale de cette ampleur. Les modalités de répartition retenues pourraient être en effet de nature à influencer le choix que nous pourrions faire concernant une éventuelle répartition du produit de l'impôt national qu'est l'IS.

ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À LA COMMISSION DES FINANCES

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* 1 Conseil Constitutionnel, 29 juillet 2004, n° 2004-500 DC, considérant 10.

* 2 La part des ressources propres est calculée en rapportant le montant de ces dernières à celui de la totalité de leurs ressources, à l'exclusion des emprunts, des ressources correspondant au financement de compétences transférées à titre expérimental ou mises en oeuvre par délégation et des transferts financiers entre collectivités d'une même catégorie.

* 3 Mission de la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale de mai 2018- Rapporteurs : Christophe Jerretie et Charles de Courson.

* 4 Imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER).

* 5 Rapport d'information n° 806 (2021-2022) de MM. Charles Guené et Claude Raynal, fait au nom de la commission des finances, déposé le 20 juillet 2022.

* 6 Décisions du Conseil Constitutionnel n°2003-487 DC du 18 décembre 2003 et n°2003-489 DC du 29 décembre 2003.

* 7 Article 16 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 8 Loi nº 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

* 9 Voir le compte-rendu de l'audition par la commission des finances du 23 janvier 2023 pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes de M. Christian Charpy, président de la 1ère chambre de la Cour des comptes, Mme Mathilde Lignot-Leloup, conseillère maître à la Cour des comptes et M. Stéphane Perrin, vice-président du conseil régional de Bretagne et président délégué finances de la commission administration générale de Régions de France.

* 10 Rapport au Premier ministre, Pour une dotation globale de fonctionnement équitable et transparente : osons la réforme, Christine Pires Beaune, députée et Jean Germain, sénateur, juillet 2015.

* 11 Voir par exemple le compte-rendu de leur communication devant la commission des finances du 8 juillet 2020 sur la refonte de la péréquation.

* 12 MM. Charles Guené et Claude Raynal, Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la réforme des « besoins de financement standard » des collectivités italiennes, 20 novembre 2019.

* 13 Proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales déposée par MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues, adoptée par le Sénat en première lecture le 20 octobre 2020.

* 14 Article 146 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 15 Article 106 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 16 Dans une décision récente, le Conseil constitutionnel a considéré que les EPCI ne constituaient pas des collectivités territoriales au sens de l'article 72 de la Constitution, de telle sorte qu'au sein du bloc communal, le principe d'autonomie financière ne s'applique qu'aux communes (Décision n° 2022-1013 QPC du 14 octobre 2022, Communauté d'agglomération Vienne Condrieu Agglomération).

* 17 Voir le rapport d'information n° 73 (2021-2022) de MM. Charles Guené et Claude Raynal « Pour un fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales plus proche des réalités locales », fait au nom de la commission des finances, déposé le 20 octobre 2021.

* 18, Article 12 du décret n° 2022-1008 du 15 juillet 2022 portant diverses mesures relatives aux dotations de l'État aux collectivités territoriales, à la péréquation des ressources fiscales, à la fiscalité locale et aux règles budgétaires et comptables applicables aux collectivités territoriales, codifié à l'article R. 3321-4 du code général des collectivités territoriales.