B. INNOVER EN FAVEUR DE MODES DE LIVRAISON PLUS RESPECTUEUX DE L'ENVIRONNEMENT
1. Donner davantage de choix au consommateur pour faciliter la mutualisation des flux et réduire les échecs de livraison
Les livraisons aux particuliers génèrent d' importants flux de transport, dont l' optimisation est souvent difficile.
Les livraisons aux particuliers se caractérisent par un éclatement des flux , lié à la dispersion des demandes et à des délais de livraison souvent brefs. La Fédération du commerce et de la distribution (FCD) souligne à ce sujet que la difficulté de s'adapter à la fragmentation des flux engendrée par le développement des livraisons rapides (Jour + 1) voire instantanées (heure + 1 ou heure + 2).
Par ailleurs, les délais de livraison , souvent brefs, ne favorisent pas le remplissage des véhicules de livraison. Selon des chiffres avancés par l' Ademe en 2018, en zone urbaine, 25 % des kilomètres parcourus par des véhicules de livraison le sont à vide et le taux de remplissage moyen des véhicules ne dépasse pas 67 % 128 ( * ) .
En outre, les sites de ventes en ligne ne permettent pas de manière systématique à l'acheteur de choisir entre plusieurs délais et modes de livraison (livraison à domicile, sur rendez-vous, en point-relais), la livraison rapide et à domicile restant un modèle largement dominant . L'absence de choix entre diverses solutions de livraison pose deux difficultés :
- elle ne permet pas la responsabilisation de l'acheteur et ne lui offre pas la possibilité d'opter pour des modalités de livraisons à l'impact environnemental réduit ;
- elle accroît le phénomène des échecs de livraison , lorsque l'acheteur est contraint de recourir à la livraison à domicile alors qu'il ne peut être présent pour réceptionner le colis. Selon l'Ademe, dans un cas sur deux, le livreur d'un achat en ligne opéré par un particulier sur internet trouve porte close lors de la livraison.
Les rapporteures encouragent donc les acteurs du commerce en ligne à donner davantage de possibilités aux consommateurs dans le choix du mode de livraison de leur marchandise, conformément à un amendement 129 ( * ) , adopté par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi « Climat et résilience », qui proposait d'imposer à certaines entreprises de permettre au consommateur, dès lors que la vente d'un produit s'accompagne d'un service de livraison, de choisir entre des modalités de livraison différenciées en fonction de leur impact environnemental.
Toutefois, la mise en place d'une telle mesure soulève plusieurs difficultés :
- la nécessité de distinguer entre les plateformes de vente en ligne et les entreprises qui vendent en ligne leurs propres produits ;
- la nécessité de ne pas pénaliser les TPE/PME, qui n'ont pas nécessairement les moyens de proposer différentes alternatives de livraison à leurs clients. À ce sujet, fixer un seuil au-delà duquel l'entreprise serait soumise à cette obligation pourrait s'avérer difficile (si établir un seuil en fonction du chiffres d'affaires peut sembler une idée intéressante, appliquer des critères plus fins pourrait être nécessaire - cibler le chiffre d'affaires réalisé par la vente en ligne notamment).
Afin de concilier les enjeux de préservation de l'environnement et de protection des acteurs économiques les plus fragiles, cette mesure devra donc faire l'objet de réflexions plus avancées, notamment s'agissant de son périmètre d'application.
2. Des innovations à encourager pour favoriser des livraisons plus propres en ville
En complément de la responsabilisation accrue des particuliers à l'impact environnemental de leurs livraisons, les rapporteures estiment primordial d'encourager les initiatives permettant de mieux mutualiser les livraisons du dernier kilomètre .
• D'une part, la mutualisation des véhicules servant à la livraison des marchandises constitue une piste intéressante pour réduire les flux de transport de marchandises en ville.
Pour encourager cette pratique, la LOM 130 ( * ) a autorisé le cotransportage de colis qui se définit comme « l'utilisation en commun, à titre privé, d'un véhicule terrestre à moteur effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, pour transporter des colis dans le cadre d'un déplacement qu'un conducteur effectue pour son propre compte » 131 ( * ) .
À l'inverse du covoiturage de colis qui permet uniquement des livraisons entre particuliers, le cotransportage de colis permet de recourir aux services d'un particulier ou d'un transporteur (par exemple, un transporteur effectuant un trajet à vide). Il permet donc d' optimiser le chargement des véhicules en utilisant l'espace vide dans les camions, camionnettes, utilitaires ou voitures. Le nombre de véhicules à affréter pour le transport s'en trouve donc réduit. Il permet en outre des économies pour le conducteur, les frais de route étant partagés.
Le décret en Conseil d'État devant préciser les modalités d'application des dispositions introduites par la LOM, « notamment la nature des frais pris en considération » pour le partage des frais, n'a toutefois pas encore été publié par le Gouvernement.
Afin de désengorger la circulation et de tirer pleinement parti des mobilités peu polluantes, certaines agglomérations européennes expérimentent l'utilisation des lignes de tramway pour le transport de marchandises.
Le tramway de marchandises - Quelques expérimentations européennes
* Karlsruhe (Allemagne)
Depuis mars 2021, la ville de Karlsruhe expérimente, pour une durée de trois ans, l'utilisation du tramway pour le transport de marchandises. Dans le cadre de ce projet dénommé « LogiKTram », le transport des marchandises depuis les terminaux ferroviaires jusqu'à la livraison finale s'effectue sur des trams ou des véhicules ferroviaires légers, en utilisant les infrastructures existantes.
L'opérateur local (AVG) met à disposition un tram-train, relativement ancien, adapté aux exigences du transport de colis. À terme, l'objectif est de concevoir un tram « voyageurs » qui puisse être utilisé uniquement pour le transport de passagers aux heures de pointes et faire l'objet d'une utilisation combinée entre transport de passagers et de marchandises aux heures creuses. L'intérieur des trams devra donc être aménagé de manière à créer des espaces de chargement dédiés .
* Zürich (Suisse)
Depuis plusieurs années, la ville de Zürich dispose d'un service de « reverse logistics » basé sur l'utilisation du tramway . Ce service consiste à utiliser le tramway pour collecter les déchets encombrants (Cargo-tram), les produits métalliques et électroniques (E-Tram). Onze arrêts sont prévus en ville, à une fréquence de quinze jours. Chaque arrêt doit durer une demi-journée voire une journée entière. Le tramway est composé d'une voiture datant des années 1990 et de deux voitures permettant la collecte.
Le TramFret présente de nombreux atouts : il permet de massifier les flux, d'assurer une desserte fine du coeur de ville, et ce, à partir d'un moyen de transport parmi les plus propres. Son développement se heurte toutefois à des difficultés tenant principalement à son coût élevé pour la collectivité et aux ruptures de charge qu'il occasionne.
En France, peu de projets de TramFret ont été mis en oeuvre. Une expérimentation a eu lieu à Saint-Etienne en 2017, en association avec le groupe Casino, mais le projet n'a pas été pérennisé. Le développement de ce type de solution logistique pourrait être amené à se renforcer, la mise en place des ZFE-m conduisant à repenser les modes d'acheminement des marchandises en ville.
• D'une part, le développement des lieux permettant la mutualisation des marchandises à livrer dans les agglomérations est à encourager.
Ces lieux, qui constituent un type d' espace logistique urbain (ELU), permettent de rassembler les biens destinés à la livraison dans un ou plusieurs secteurs de l'agglomération (ville, quartier, centre-ville...) afin de concentrer les flux . Une plateforme de mutualisation organise ensuite des livraisons sur la base de tournées optimisées pour l'ensemble des prestataires. Idéalement, afin de limiter encore davantage l'impact de la livraison, les tournées sont effectuées avec des véhicules propres (GNV, électriques, vélo-cargos, selon la distance vis-à-vis de la zone de livraison et la quantité de marchandises).
Les espaces logistiques urbains (ELU)
Il existe une typologie d'espaces de logistique urbaine, avec différents périmètres logistiques de pertinence. De la plus large à la plus petite échelle, ils peuvent se définir comme suit :
- la zone de logistique urbaine (ZLU) qui permet de réunir, sur un site d'au moins deux hectares pour les agglomérations de 100 000 habitants, différentes plateformes de logistique, au plus proche des secteurs à desservir ;
- le centre de distribution urbaine (CDU) qui permet la consolidation des marchandises dans un secteur de l'agglomération ;
- les espaces situés à l'échelle du quartier en zone dense, tels que les espaces logistiques de proximité (ELP), les points d'accueil de véhicules (PAV) qui permettent de mettre à disposition des transporteurs des places réservées et sécurisées, les points d'accueil de marchandises (PAM) qui constituent des points de dépôt des marchandises pour les clients et les boîtes de logistique urbaine (BLU).
Les CDU et ELP sont des exemples intéressants d'ELU permettant la mutualisation des tournées de livraison au plus près des clients finaux.
* Les centres de distribution urbains (CDU)
Le modèle des « Centres de distribution urbains » (CDU) a été initié durant les années 1990 dans certains pays d'Europe. Il permet de mutualiser les livraisons de marchandises à l'échelle de la zone dense .
Source : Logicités .
En pratique, toutefois, le CDU s'avère complexe et lourd à mettre en oeuvre dans les zones urbaines :
- consolider les flux de plusieurs transporteurs nécessite d' importants développements informatiques ;
- obtenir l' adhésion des professionnels du transport en vue de mutualiser leurs flux avec des concurrents peut s'avérer difficile. Dans un article publié en 2016, Logicités 132 ( * ) note d'ailleurs que les « les CDU qui ont une chance de fonctionner sont ceux qui ont choisi comme opérateur un groupe qui maîtrise une partie significative des flux de l'agglomération (La Poste par exemple) » ;
- les coûts de mise en oeuvre s'avèrent élevés.
Au total, le modèle des CDU en France offre un bilan très mitigé , les expériences menées à La Rochelle et à Saint-Etienne ont par exemple été abandonnées. Si cette solution logistique apparaît positive et innovante, elle semble difficile à mettre en oeuvre. L' adhésion des acteurs économiques constitue un facteur déterminant pour assurer la viabilité économique de ce modèle de massification des flux. Or, à La Rochelle et Saint-Etienne, il semble que les transporteurs n'aient pas adhéré au projet de manière suffisamment large.
* Les espaces logistiques de proximité (ELP)
Les ELP sont situés à une plus petite échelle que les CDU, au niveau d'un quartier ou d'un centre-ville. Ils permettent de transférer les marchandises de véhicules poids lourds vers des modes doux. Il s'agit de petites espaces qui sont plus faciles à mettre en oeuvre que des CDU, qui constituent une infrastructure plus lourde.
La ville de Bordeaux a mis en place un ELP dès 2004 , afin d'approvisionner une zone rendue inaccessible par les travaux de construction d'une ligne tramway. En 2017, le dispositif a été remis en place dans le cadre de travaux sur cette ligne de tramway. Le projet a alors mobilisé la métropole de Bordeaux (qui a financé le projet à hauteur de 80 %), la CCI (financeur à 20 %), le groupe La Poste chargé d'exploiter l'ELP à la suite d'un appel d'offre et les commerçants du secteur.
L'ELP était implanté à proximité de la zone en chantier. Un bungalow a servi de base d'accueil au personnel en charge de l'ELP : deux personnes assuraient l'accueil des chauffeurs/livreurs (un agent de La Poste et un employé de l'ELP) et proposaient une aide au stationnement et au déchargement pour le véhicule et le prêt de matériel de manutention pour réaliser la livraison des derniers mètres. Le conducteur pouvait alors effectuer lui-même la livraison au moyen du matériel prêté par l'ELP ou confier la marchandise à l'ELP (la Poste réalisait alors la livraison).
Les rapporteures souscrivent pleinement à la recommandation formulée par la mission « LUD » d'inciter à la mutualisation des livraisons à partir de sites qui consolident les flux et organisent des tournées de distribution . Toutefois, elles constatent que les expériences de ELU suscitent un intérêt contrasté selon les territoires et que les difficultés de mise en oeuvre sont nombreuses s'agissant des CDU. Si l'instauration d'ELP semble moins lourde, du fait de son échelle réduite, la volonté politique et la capacité à susciter une adhésion suffisante des transporteurs demeurent déterminantes .
Dans ce contexte, la consolidation des tournées de livraison du dernier kilomètre est rendue plus facile lorsqu'elle est le fait d'un seul opérateur, représentant une grande partie des flux. Ainsi, les rapporteures saluent l'initiative du groupe La Poste à travers la mise au point du dispositif « Urby » , permettant d'implanter des centres de mutualisation en entrée de ville qui concentrent et distribuent ensuite les marchandises aux entreprises et commerçants. Les livraisons sont effectuées avec des véhicules à faible émission ou à vélo. 22 communes disposent désormais d'un centre Urby (Paris, Orléans, Tours, Lyon, Saint-Etienne, Nice, Aix-Marseille, Annecy ou encore Strasbourg). De même, la société FedEx a indiqué aux rapporteures qu'elle organisait ses livraisons de manière à optimiser le remplissage des véhicules de livraison.
Afin d'encourager les opérateurs de transport à davantage concentrer les flux de livraisons, les rapporteures recommandent de valoriser ce type d'initiatives à travers, par exemple, la mise en place d'un label de logistique durable .
En 2021, le rapport d'information de Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau préconisait l'instauration d'un label destiné à valoriser les entreprises engagées dans une démarche de logistique urbaine durable . Les rapporteures soutiennent pleinement cette proposition, et considèrent que ce label pourrait notamment prendre en compte l'engagement de l'entreprise dans une démarche de mutualisation des flux de livraison du dernier kilomètre. Afin de prendre en compte l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et pas uniquement le dernier kilomètre, elles souhaitent que ce label porte sur la logistique durable dans sa globalité, et pas uniquement sur son segment urbain .
• D'autre part, le développement des livraisons aux particuliers au sein d'un « hub » final plutôt qu'à domicile doit être encouragé.
Ce mode de livraison peut prendre la forme d'une livraison en points-relais , des PAM ( cf . supra ) ou dans des consignes automatiques, qui présentent l'intérêt d'être accessibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Le PAM , également appelé « bureau de ville », permet de consolider la livraison des marchandises d'un quartier ou d'une typologie de produits. Au lieu de desservir le client final, les livreurs déposent la marchandise au PAM. Les clients, situés à 100 à 200 mètres du PAM, se déplacent pour récupérer leur marchandise. Ce service comprend par exemple les points-relais . On décombre environ 22 000 point-relais en France selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) .
S'agissant enfin des consignes automatiques, aussi appelées « boîtes de logistique urbaine » (BLU) , le colis est livré dans un casier automatique situé dans un lieu public (gare, magasin, centre commercial...). Un code reçu par SMS ou mail permet au particulier d'ouvrir le casier. Ces consignes peuvent compléter l'offre de point-relais existante en ville.
En audition, l' Ademe a exprimé son souhait de voir le recours à des consignes pour le dépôt ou la réception de colis se développer en ville.
Cette solution de réception permet de réduire les flux de livraison sur les derniers mètres et d'éviter les échecs de livraison. Elle implique toutefois pour les collectivités de préserver des espaces accessibles 24 heures sur 24 et proches de points de passages, pour installer des blocs de consigne.
En complément, les rapporteures souscrivent à la proposition formulée par la mission d'information sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale dans le cadre des travaux conduits par les rapporteurs Bruno Belin et Serge Babary sur le commerce en zone rurale 133 ( * ) , tendant à instaurer une tarification inférieure pour les livraisons effectuées en point-relais. Cette proposition permettra d'inciter les acheteurs à recourir à la livraison en point-relais.
Proposition n° 14 - Encourager la massification des livraisons aux particuliers par l'instauration d'un label destiné à valoriser les entreprises engagées dans une démarche de logistique durable, prenant notamment en compte l'engagement de l'entreprise dans une démarche de mutualisation des flux de livraison du dernier kilomètre [État] .
* 128 https://expertises.ademe.fr/professionnels/entreprises/organiser-demarche-environnementale/optimiser-logistique
* 129 Amendement n° 1107 rect bis, présenté par Nicole Bonnefoy et Rémy Pointereau, adopté en séance publique.
* 130 Article 40 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2020 d'orientation des mobilités.
* 131 Article L. 3232-1 du code des transports.
* 132 https://www.logicites.fr/2016/11/28/cdu-solution-magique-de-logistique-urbaine/
* 133 Proposition n° 8 du rapport d'information n° 577 (2021-2022) du 16 mars 2022 au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques sur les perspectives de la politique d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale, sur le volet « attractivité commerciale en zones rurales ».