D. PENSER L'ÉCOLE MATERNELLE DE DEMAIN
1. L'accueil des enfants dès l'âge de 2 ans
Aux termes de l'article L. 113-1 du code de l'éducation, « les enfants peuvent être accueillis dès l'âge de deux ans révolus dans des conditions éducatives et pédagogiques adaptées à leur âge visant leur développement moteur, sensoriel et cognitif, précisées par le ministre chargé de l'éducation nationale. Cet accueil donne lieu à un dialogue avec les familles. Il est organisé en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne et dans les régions d'outre-mer . »
À la rentrée 2020, le taux de scolarisation des enfants de deux ans est de 9,4 % . Il varie fortement en fonction des départements : s'il est important dans l'Ouest, le Nord et le Massif central, où près d'un enfant sur cinq de deux ans est scolarisé, il est en revanche très faible dans le Loiret ou en Corse du Sud. Les réseaux de l'éducation prioritaire accueillent également une proportion plus élevée d'enfants de 2 ans (15,5 % en REP et 18,3 % en REP + à la rentrée 2020).
Taux de scolarisation à deux ans par département à la rentrée 2020
Source : ministère de l'éducation nationale
Ce taux a très fortement diminué depuis 2000, où près de 35 % des enfants de 2 ans étaient scolarisés . Interrogé, le ministère a indiqué que cette baisse est la conséquence du développement de systèmes de modes d'accueil des très jeunes enfants.
Les rapporteurs constatent une accélération de la diminution de ce taux de scolarisation en 2019 et 2020 : le taux a chuté de deux points, passant sous la barre des 10 %.
La scolarisation précoce des enfants peut être intéressante pour les jeunes enfants qui ne sont pas accueillis en crèche ou chez un assistant maternel. Si la scolarisation des enfants précoce est une priorité du gouvernement, il est urgent de prévoir les moyens adéquats en termes d'accueil et de formation. Sur ce dernier point, le développement de l'accueil précoce doit s'accompagner d' une politique de formation des enseignants et des ATSEM (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) à la spécificité de l'accueil de ces très jeunes enfants.
Proposition n° 4 :
Accompagner l'accueil précoce des enfants en maternelle par une politique de formation commune des enseignants et des ATSEM à la spécificité de l'accueil de ces très jeunes enfants .
2. La formation des enseignants de maternelle
À plusieurs reprises, le Sénat a souligné la nécessité de mieux former les enseignants aux spécificités de la maternelle . Avec l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire, puis à partir de septembre 2022, de la scolarisation obligatoire dès 3 ans sauf autorisation d'instruction en famille, prévoir dans les INSPÉ un module dédié à l'enseignement en maternelle est plus que jamais nécessaire.
Les rapporteurs notent avec intérêt les directives données dans certaines circonscriptions académiques départementales afin d'éviter de nommer des enseignants peu expérimentés dans les classes de petites sections . À l'image de l'Ain, de la Loire-Atlantique, ou du Morbihan, certains DASEN indiquent n'avoir aucun enseignant stagiaire ou contractuel en petite section. La gestion de ces classes nécessite une maîtrise professionnelle particulière : le rapport de l'inspection générale de juillet 2021 sur l'évaluation de la mise en place de l'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire note que « les cas de renouvellement de stage prononcés par le jury du diplôme professionnel des écoles sont régulièrement liés aux difficultés d'exercice des stagiaires en petite section ».
Propositions n° s 5 et 6 :
Introduire un module spécifique à la maternelle dans les INSPÉ ;
Éviter l'affectation d'enseignants peu expérimentés en petite section .
Pour accompagner les enseignants, le ministère a édité en février 2019 deux guides : « pour enseigner le vocabulaire à l'école maternelle » et « pour préparer l'apprentissage de la lecture et de l'écriture à l'école maternelle ». Au lieu de multiplier ces guides, qui limitent la liberté pédagogique des enseignants, les rapporteurs jugent plus pertinents de produire des efforts massifs en termes de formation initiale et continue . L'intégration au sein des INSPÉ de modules spécifiques à la maternelle serait de nature à mieux préparer les futurs enseignants sur la spécificité de ces classes, que la lecture de guides au moment de la prise de poste.
En matière de formation continue, la spécificité des classes de maternelle doit mieux être prise en compte.
Malheureusement, comme souvent dans l'éducation nationale, les rapporteurs constatent que les offres de formation ne répondent pas aux besoins exprimés par les professeurs de maternelle, notamment des petites classes. Trop peu de plans départementaux de formation continue proposent des formations à destination des enseignants exerçant en maternelle, et quasiment aucun de ces plans ne contient de formation relative à la pédagogie spécifique pour enseigner en petite section de maternelle.
De même, très peu de formations portent sur l'accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers en maternelle, alors même qu'il s'agit d'une demande forte des enseignants. Or, selon l'IGÉSR dans son rapport de juillet 2021 précité, l'inclusion scolaire des 3-6 ans demeure toujours difficile à mettre en oeuvre. Les raisons sont multiples : des relations complexes avec les partenaires, des moyens humains insuffisants - notamment le recrutement des AESH -, un diagnostic difficile à établir dès la maternelle. Ce rapport d'inspection se fait également l'écho d'un IEN AESH qui note que « il lui paraît plus difficile d'inclure en maternelle qu'en élémentaire. Les équipes lui semblent, en effet, plus démunies ou moins volontaires que dans l'élémentaire ; peut-être parce que l'usage était de ne pas scolariser les enfants porteurs d'un handicap en maternelle où la pratique inclusive est moins habituelle ».
Alors que l'école maternelle a été présentée comme une priorité par le ministère - « tout commence à l'école maternelle » rappelle le ministre à plusieurs reprises - les rapporteurs constatent que les moyens, en termes de formation, d'accompagnement des enseignants et des personnels n'ont pas suivi .
Proposition n° 7 :
Prévoir, dans chaque plan départemental et académique de formation, des formations continues spécifiques à la maternelle, et notamment à l'accueil des élèves à besoins particuliers .
3. Mieux prendre en compte les besoins logistiques découlant de l'instruction obligatoire l'année des trois ans
L'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire pose des difficultés logistiques pour les collectivités territoriales, qu'il convient de recenser et de mieux prendre en compte .
Tel est notamment le cas des transports scolaires . En effet, certaines autorités organisatrices de la mobilité (AOM) n'acceptent pas le transport scolaire des enfants de moins de 3 ans. Or, les enfants nés entre le 1 er septembre et le 31 décembre ont moins de trois ans révolus au moment où ils commencent leur scolarité. L'enquête réalisée par l'association nationale pour les transports éducatifs de l'enseignement public sur l'accompagnement dans les transports scolaires montre qu'à la rentrée 2020, 13 % des AOT demandaient que l'enfant ait trois ans révolus pour pouvoir utiliser les transports scolaires . Les rapporteurs se félicitent de la forte mobilisation des AOM , afin de répondre à cette nouvelle obligation légale en matière d'instruction : lors de la dernière enquête réalisée en 2012, ils étaient 81 % à imposer d'avoir 3 ans révolus pour pouvoir prendre les transports scolaires.
La présence d'enfants très jeunes dans les transports scolaires pose la question de la présence d'un accompagnateur . Comme le rappelle le ministère de l'éducation nationale, « aucun accompagnateur n'est réglementairement imposé lors des transports scolaires réguliers des élèves de maternelle. Du fait de l'absence d'obligation réglementaire imposant la présence d'un adulte dans les transports scolaires, le financement des accompagnateurs est pris en charge de façon variable par les communes, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou les régions » 11 ( * ) . Cette problématique - et sa charge financière potentielle - se posent principalement pour les communes rurales les plus petites, dans lesquelles une école maternelle n'a pas pu être maintenue, et leurs EPCI.
De même, certaines communes n'acceptent pas, actuellement, des enfants âgés de moins de 3 ans révolus à la cantine ou encore pendant les temps périscolaires - ou alors à la suite d'une démarche spécifique des parents demandant une dérogation.
Autre contrainte matérielle du fait de l'abaissement de l'âge d'instruction : les équipements des écoles. L'évaluation de la mise en place de l'abaissement de l'âge de début d'instruction obligatoire par l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) montre qu'un peu plus de 20 % des DASEN constatent des équipements insuffisants, en nombre de lits par exemple, ou encore avec des dortoirs trop petits. Des solutions sont trouvées au cas par cas, par exemple, en transformant le temps de la sieste un autre espace en dortoir. Néanmoins, ces difficultés peuvent conduire à des demandes d'aménagement d'assiduité.
Il s'agit d'autant de coûts annexes à l'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire supportés par les collectivités. Les rapporteurs saluent leur rôle essentiel dans le bon fonctionnement de l'institution scolaire - elles constituent après l'État les premiers financeurs des dépenses d'éducation - et dans le cas présent, dans la mise en oeuvre concrète de l'abaissement de l'âge scolaire obligatoire. Ils jugent nécessaire d'évaluer l'ensemble des coûts annexes que peut engendrer le plein déploiement de la loi pour une école de la confiance pour les collectivités locales.
Proposition n° 8 :
Évaluer les conditions et la qualité d'accueil, ainsi que les coûts directs et indirects pour les collectivités locales de l'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire .
* 11 Réponse du ministère de l'éducation nationale du 15 octobre 2020 à la question n° 17493 du Sénateur Jean Louis Masson.