B. UN PREMIER BILAN EN DEMI-TEINTE

1. Des choix novateurs pour 50 % des lycéens
a) 426 triplettes

Pour le ministre de l'éducation nationale, « les lycéens se sont emparés de la réforme : en effet, plus de la moitié des lycéens opèrent un choix de triplettes qui ne correspond pas aux anciennes séries » .

Les rapporteurs constatent en effet une très grande diversité dans le choix des élèves : à la rentrée 2019, 426 triplettes ont été choisies par au moins un élève au niveau national. Il faut désormais 15 triplettes pour retrouver 80 % des élèves de première .

Les 15 triplettes les plus choisies à la rentrée 2019 par les élèves de première

Nombre d'élèves

% d'élèves

Mathématiques, physique-chimie, SVT

109 398

28,3

Histoire-géo-politique, mathématiques, SES

31 175

8,1

Histoire-géo-politique, langues littérature, SES

27 725

7,2

Histoire-géo-politique, humanités littérature philo, SES

17 200

4,4

Histoire-géo-politique, humanités littérature philo, langues-littérature

16 992

4,4

Mathématiques physique, chimie, sciences de l'ingénieur

16 558

4,3

Mathématiques numérique, sciences informatiques, physique-chimie

16 045

4,2

Langues littérature, mathématiques, SES

13 046

3,4

Mathématiques, SVT, SES

12 829

3,3

Mathématiques, physique-chimie, SES

12 246

3,2

Histoire-géo-politique, SVT, SES

8 143

2,1

Langues et littérature, mathématiques, physique-chimie

8 078

2,1

Humanités littérature et philo, langues littérature, SES

7 136

1,8

Histoire-géo-politique, mathématiques, physique-chimie

5 862

1,5

Langues-littérature, mathématiques, SVT

4 756

1,2

Autres

79 406

20,5

ENSEMBLE

386 595

100,0

Source : DEPP

Si la triplette la plus choisie - « mathématiques, physique-chimie, SVT » - regroupe en 2019 28 % des élèves de première, 70 triplettes ont été choisies par un seul élève.

Pour le ministère, cette réforme permet une souplesse et une adaptabilité plus importante , en permettant de créer des spécialités qui n'existaient pas auparavant. Tel est le cas de la spécialité « science de l'ingénieur », suivie par 10 % des élèves en première, ou encore de la nouvelle spécialité « éducation physique, pratiques et cultures sportives » présente dans une centaine d'établissements depuis cette rentrée.

b) Par défaut de conseil, un risque d'un choix d'une triplette inadéquate conduisant à des impasses dans la poursuite des études

Mieux préparer les élèves à leurs études supérieures et réduire le taux d'échec en licence : tel est l'un des objectifs de la réforme du lycée. Malheureusement, les conditions de mise en oeuvre de cette réforme, précipitée et non accompagnée, risquent de conduire aux effets inverses à ceux recherchés pour certains élèves . En effet, les rapporteurs alertent sur le manque criant d'accompagnement des élèves dans leurs choix de spécialités en lien avec leur poursuite d'études. Des choix de triplette de spécialités, peuvent ainsi conduire des élèves à de grandes difficultés au moment de leurs voeux dans le supérieur. « L'ouverture des possibles » promise par cette réforme se transforme alors pour ces derniers en « fermeture des débouchés » .

c) Une baisse historique d'élèves en mathématiques

La réforme du lycée a entraîné une chute historique du nombre d'élèves suivant des cours de mathématiques en première et en terminale. À la rentrée 2020, 64 % des élèves de première générale avaient choisi la spécialité « mathématiques », soit une baisse de 5 points par rapport à la rentrée 2019. Cette diminution continue à la fin de la première : entre la rentrée 2020 et le rentrée 2021, la part des élèves ayant choisi de conserver la spécialité mathématiques en terminale a chuté de près de 4 points 19 ( * ) . En outre, 61 % des élèves ont fait le choix de ne suivre aucun enseignement optionnel, notamment mathématiques expertes ou mathématiques complémentaires.

Du fait de ces éléments, 59 % des élèves de terminale suivent un enseignement de mathématiques en terminale - sous la forme d'une spécialité ou d'une option. Ils étaient 90 % avant la réforme 20 ( * ) . S'il existe dans le tronc commun un enseignement scientifique de deux heures hebdomadaires, celui-ci se situe plutôt à la croisée des sciences et vie de la terre, et de la physique-chimie. La part des mathématiques est réduite, en moyenne, à une heure par mois . Or, de très nombreux débouchés nécessitent des connaissances en mathématiques, au-delà des seuls études et métiers « scientifiques ». Pour les rapporteurs, tous les élèves de première et terminale doivent suivre un enseignement de mathématiques, qui peut notamment prendre la forme de mathématiques appliquées.

Proposition n° 19 :

Introduire pour tous les élèves de première et de terminale un enseignement de mathématiques, pouvant prendre la forme de mathématiques appliquées .

d) Une réforme révélatrice de choix genrés

Cette réforme du lycée souligne l'existence de choix genrés par les élèves. Ainsi, les filles sont sous-représentées dans les enseignements scientifiques . Seuls 14 % des élèves suivant la spécialité « numérique et sciences numériques » et 13 % de ceux qui ont choisi la spécialité « sciences de l'ingénieur » sont des filles, alors qu'elles représentent 56 % des élèves de terminale. En outre, elles sont plus nombreuses que les garçons à abandonner la spécialité mathématiques en fin de première. Alors que l'on comptait 43 % de filles dans la filière S, elles ne sont plus que 24 % à suivre l'enseignement de spécialité « mathématiques » en terminale. Ce pourcentage est le plus bas depuis 20 ans, et pose la question à moyen terme du pourcentage de filles dans les filières scientifiques de l'enseignement supérieur .

Néanmoins, pour Olivier Sidokpohou, inspecteur général, chargé d'une mission d'expertise et de suivi des voeux formulés par les lycéens pour la session 2021 de Parcoursup, la réforme du lycée révèle une réalité qui se manifestait auparavant au niveau des classes préparatoires . Au sein même du baccalauréat S, qui était devenu généraliste, on constatait une différence dans le choix des spécialités ajoutant 2 heures de cours. La spécialité mathématiques comptait 60 % de garçons, celle de SVT 60 % de filles. Dans la nouvelle mouture du lycée, la proportion de filles augmente lorsque la spécialité « mathématiques » est choisie en doublette avec une spécialité autre que scientifique.

Proportion de filles à la rentrée 2021 dans les triplettes
contenant la spécialité mathématiques (DEPP, note 21.41, décembre 2021)

Triplettes

Part de filles (%)

Mathématiques, physique-chimie, SVT

57,1 %

HGGSP, mathématiques, SES

51,4 %

Mathématiques, NSI, physique-chimie

14,0 %

Mathématiques, physique-chimie, SES

37,2 %

Mathématiques, physique-chimie, SI

15,4 %

LLCER, mathématiques, SES

62,9 %

Mathématiques, SVT, SES

57,6 %

LLCER, mathématiques, physique-chimie

44,1 %

HGGSP, mathématiques, physique-chimie

36,4 %

Mathématiques, NSI, SES

18,5 %

LLCER, mathématiques, SVT

69,7 %

HGGSP, LLCER, mathématiques

68,2 %

HGGSP, mathématiques, SVT

54,2 %

HGGSP : histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques ; NSI : numérique et sciences informatiques ; LLCER : langues, littératures et civilisations étrangères et régionales

Inversement les garçons sont sous représentés en littérature/ langues et cultures antiques, humanités/littérature et philosophie ainsi qu'en littératures, cultures étrangères et régionales.

Propositions n° s 20 et 21 :

Garantir une information et un accompagnement de qualité pour les élèves sur les enseignements de spécialité et les options, afin d'éviter tout choix les conduisant dans une impasse pour la poursuite de leurs études ;

Lutter contre les stéréotypes de genre associés à certains enseignements et favoriser l'orientation des filles vers les spécialités et poursuites d'études scientifiques.

2. Choix des spécialités, inégalités territoriales et dotation horaire globale rationnée

L'accessibilité aux spécialités existantes est l'une des clés de la réussite de la réforme du baccalauréat . La note de service n° 2018-108 relative aux enseignements de spécialité de septembre 2018 organise la mise en place de ces nouveaux enseignements.

Elle prévoit que le recteur d'académie arrête la carte académique des enseignements de spécialité « en veillant à l'équilibre et à leur bonne répartition dans le cadre géographique adapté au territoire ». L'offre d'enseignement de spécialités doit être « la plus riche possible et soutenir les établissements les moins attractifs ou les plus isolés » . Certains enseignements très spécifiques font l'objet d'une carte académique voire nationale. Les spécialités « dont les combinaisons représenteraient une architecture en cohérence avec les études supérieures aujourd'hui les plus classiques » 21 ( * ) doivent être accessibles « dans un périmètre raisonnable » .

Dans le cas d'un enseignement isolé, l'enseignement de spécialité peut être assuré via le CNED . Enfin, deux établissements voisins peuvent passer une convention pour organiser collectivement l'offre des enseignements de spécialité.

Or, il ressort des auditions menées que les élèves choisissent leurs spécialités en fonction de celles présentes dans l'établissement . Comme l'indique Bruno Bobkiewicz, proviseur de la cité scolaire Berlioz à Vincennes et secrétaire général du syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN), « il y a un effet établissement. Une fois présents dans l'établissement en seconde, les élèves veulent y rester. Ils font le choix des spécialités en fonction de ce qui est proposé. Seuls 2 à 3 élèves (sur les 1 400 élèves du lycée) ont changé d'établissement ».

Certains lycées ont passé des conventions avec d'autres établissements pour que leurs élèves puissent y suivre des enseignements de spécialité spécifiques. Certains établissements de zone rurale affrètent un bus pour les y amener. Cela peut se traduire par des trajets longs (jusqu'à trois heures) et l'ensemble des heures hebdomadaires (4 à 6 heures) à la suite.

Enseignement non disponible dans l'établissement de l'élève : conventionnement avec un autre lycée et recours au CNED

Pour l'année 2020-2021, 3 785 élèves ont été accueillis dans un autre lycée afin d'y suivre une spécialité non offerte dans leur propre lycée, soit 0,4 % des élèves de première et terminale de la voie générale. 11,8 % des établissements (publics et privés sous contrat) ont accueilli à la rentrée scolaire 2020 des élèves qui ne pouvaient pas suivre l'enseignement de spécialité de leur choix dans leur établissement. En moyenne, un établissement (public et privé sous contrat) accueille 18 élèves issus d'un établissement différent afin de leur permettre de bénéficier de leur offre d'enseignement de spécialité.

Les enseignements « numérique et sciences informatiques » (NSI), « sciences de l'ingénieur » (SI), et « humanités, littérature et philosophie » (HLP) sont les 3 spécialités pour lesquelles les élèves sont les plus accueillis dans un autre établissement.

En ce qui concerne l'enseignement à distance, 2 478 élèves de lycée suivent des cours optionnels ou de spécialité via le CNED, incluant la voie technologique et professionnelle. Ils sont par exemple en 2020-2021 152 à suivre l'option « droit et enjeux du monde contemporain », et 310 à suivre la spécialité « numérique et sciences informatiques ».

Source : questionnaire budgétaire dans le cadre du PLF 2022

Pour le SNPDEN, cette réforme est plus facile à mettre en place dans les gros établissements . Les moyens affectés peuvent s'avérer insuffisants pour les établissements de petite taille. Le récent rapport de l'inspection générale sur l'évaluation de la mise en oeuvre des enseignements optionnels au sein du nouveau lycée général et technologique 22 ( * ) partage cette analyse : « la mission a pu identifier l'existence d'une taille critique d'établissement nécessaire pour permettre le plein déploiement de la réforme. Selon les avis de certains secrétaires généraux rencontrés, cette taille pourrait être proche d'une capacité de 950 à 1 000 élèves ou de neuf divisions par niveaux. Pour les lycées d'une taille inférieure, il est très difficile de parvenir avec la seule marge d'autonomie à remplir à la fois l'objectif d'accompagnement des élèves, de financement des dédoublements et de proposition d'une offre d'enseignements optionnels » . La commission de la culture avait alerté très tôt sur l'écueil de la réforme du lycée pour les établissements de petite taille.

Certains établissements sont confrontés au choix de proposer une option, importante pour l'accès à certaines filières d'enseignement supérieur mais prise par peu d'élèves. Tel est le cas du lycée Pasteur au Blanc (56 élèves en première et 56 en terminale), dont la proviseure Catherine Azéma a été auditionnée par les rapporteurs : l'option « mathématiques expertes » était suivie par trois élèves l'année dernière et un seul cette année, mais a été maintenue à la demande des familles en raison de son importance pour l'accès aux classes préparatoires scientifiques.

Les options « mathématiques expertes », « mathématiques complémentaires » ou encore de « droit et grands enjeux du monde contemporain » sont des pré-requis pour l'accès à de très nombreuses formations post-bac .

Aussi, les rapporteurs souhaitent que ces options puissent être suivies dans tous les établissements et ne soient pas comptabilisées dans leur dotation horaire globale .

La dotation horaire globale

La dotation horaire globale est une enveloppe attribuée aux établissements en fonction des effectifs ainsi que des options et spécialités prévues. Elle est normalement l'expression de l'autonomie des établissements en matière pédagogique puisqu'il revient au chef d'établissement, dans le respect des obligations horaires réglementaires de proposer leurs utilisations au conseil d'administration. Les heures de soutien scolaire, d'orientation mais aussi les dédoublements de classes en langues vivantes ou encore la constitution de groupes se font dans le cadre de cette dotation horaire globale.

Dans le cas contraire, et tel que c'est le cas actuellement, certains chefs d'établissement doivent prioriser entre les options proposées - nécessaires à la poursuite des études -, les dédoublements de classe ou encore les dispositifs d'accompagnement des élèves.

Propositions n° s 22 et 23 :

Prévoir une dotation horaire spécifique pour les établissements isolés ou de petite taille, afin de garantir un déploiement équitable de la réforme du lycée ;

Garantir la présence des options « mathématiques expertes », « mathématiques complémentaires » ou encore de « droit et grands enjeux du monde contemporain » dans tous les établissements et les exclure du calcul de la dotation horaire globale .

Le nombre de combinaisons de spécialités proposées par académie est 2,6 fois plus important dans l'académie de Versailles que dans celle de Corse. 14 académies proposent plus de 200 combinaisons de triplettes, 5 en ont moins de 150.

Nombre de triplettes par académie (2019), DEPP (note 19.48)

Les rapporteurs s'interrogent sur l'opportunité de développer le recours à l'enseignement à distance ou l'enseignement hybride afin de faciliter l'accès à des spécialités non présentes dans les établissements et permettre à ceux-ci de rester attractifs, tel que préconisé par l'inspection générale ou encore la mission flash de l'Assemblée nationale sur les spécialités en terminale dans le cadre de la réforme du baccalauréat. La question de l'accompagnement et de l'encadrement des élèves potentiellement concernés est primordiale afin de leur garantir une équité dans leur formation : matériel mis à disposition, lieu de suivi des cours, encadrement et soutien scolaire dédié ... De même, cette mesure ne doit pas être perçue par le ministère comme un moyen de contraindre davantage la dotation horaire globale .

Proposition n° 24 :

Permettre, à titre dérogatoire et pour un nombre restreint d'établissements, le recours à un enseignement hybride (en alternant enseignements présentiel et à distance) et en évaluer le résultat du point de vue de l'élève, de l'établissement et de l'enseignant .

3. L'orientation : clé de voute du nouveau système, mais parent pauvre de l'Éducation nationale

La fin des séries fait de la classe de seconde un pivot de l'orientation de l'élève et de ses choix pour la poursuite de ses études. Une orientation de qualité, au collège et au lycée est donc nécessaire . En effet, pour de nombreux élèves, et notamment les plus fragiles ou les moins favorisés, l'institution scolaire est le principal vecteur d'accompagnement et de conseil dans l'orientation.

Lors des auditions, les rapporteurs ont pu relever trois difficultés majeures en matière d'orientation :

• Des heures utilisées pour finir les programmes

Certes, les programmes prévoient des heures d'orientation dès le collège, dont le volume horaire est indicatif : 12 heures annuelles en 4 ème , 36 heures en 3 ème , 54 heures annuelles au lycée général et technologique. Non inscrites dans l'emploi du temps, les heures d'orientation sont souvent des heures d'ajustement des programmes . Un représentant d'un syndicat lycéen a ainsi indiqué aux rapporteurs : « nous sommes début novembre, et je n'ai eu encore aucune de mes heures d'orientation. Ces heures sont théoriquement obligatoires, mais elles ne sont pas mises en place. En raison du contrôle continu, ma professeure principale ne peut pas prendre sur ses heures pour faire de l'orientation » .

Proposition n° 25 :

Inscrire les 54 heures annuelles d'orientation dans la grille horaire des enseignements des lycées généraux et technologiques .

• Un manque de dotation horaire pour prévoir ces heures d'orientation

Traditionnellement, les établissements financent sur leur marge d'autonomie - la dotation horaire globale - des heures d'orientation. Or, la réforme du lycée est fortement consommatrice de dotation horaire globale pour les enseignements de spécialité et les options. Comme l'a indiqué Bruno Bobkiewicz, proviseur de la cité scolaire Hectore Berlioz à Vincennes, « une fois les heures de spécialités et d'options posées, il ne me reste quasiment plus de dotation horaire globale pour faire de l'orientation » .

Pour les rapporteurs, les heures d'orientation doivent être exclues de la dotation horaire globale . Ce double caractère d'heures indicatives, non inscrites dans la grille horaire, conjugué à une mise en concurrence de ces heures avec les options, les dédoublements de classes ou l'aide personnalisée, risque d'accroître les inégalités territoriales , entre des lycées où la culture de l'orientation existe et d'autres moins mobilisés et dont l'équipe pédagogique préfère utiliser ces heures pour d'autres projets pédagogiques.

Il est également source d'inégalités sociales : on voit en effet apparaître ces deux dernières années des « coachs en orientation » privés, pour les familles qui peuvent se le permettre.

Proposition n° 26 :

Sanctuariser les heures d'orientation en plus de la dotation horaire globale afin de permettre à chaque établissement de disposer des marges de manoeuvre suffisantes pour les mettre en place .

• Un manque d'information et de formation des professeurs principaux et référents

Les professeurs principaux manquent d'information et de formation pour accompagner leurs élèves dans le contexte de la réforme du lycée. Il est notamment difficile de renseigner les élèves, lorsque les attendus de la formation post-bac ne sont pas connus. À titre d'exemple, les avis divergent sur la nécessité de prendre les enseignements de spécialité de SVT et de physique-chimie pour des études de médecine.

Selon la Cour des comptes 23 ( * ) , dans le précédent système des filières, 65 % des proviseurs et 85 % des professeurs principaux déclarent n'avoir reçu aucune formation spécifique pour exercer leur mission d'orientation, qu'il s'agisse de formation initiale ou continue. Or la Cour des comptes constate que les récentes formations mises en place par les rectorats à la suite de la loi « orientation et réussite des étudiants », concernent plus des points pratiques - procédure d'affectation des élèves, utilisation de la plateforme Parcoursup - qu'une formation du professeur principal à l'accompagnement et au conseil des élèves dans leur choix de formation et de métier.

Les rapporteurs soulignent également la nécessité de mobiliser et de coordonner l'ensemble des acteurs de l'orientation - équipe éducative, établissements de l'enseignement supérieur, CIO, les régions - afin d'accompagner au mieux les élèves dans leurs choix d'études. La faiblesse de l'accompagnement et du conseil empêchent de nombreux élèves de procéder à un choix éclairé sur leurs spécialités et options, et peut les conduire dans une impasse dans la poursuite de leurs études. Lors du débat sur la réforme du baccalauréat, organisé à la demande de la commission de la culture le 3 octobre 2018, Jean-Michel Blanquer a indiqué : « À partir de la seconde, et jusqu'à l'enseignement supérieur, les élèves passent à une autre étape, plus autonome, fondée sur des choix responsables, en étant accompagnés . C'est le sens de la réforme » . Or cet accompagnement n'est pas une réalité aujourd'hui pour tous les collégiens et lycéens, posant par conséquent la question du sens de cette réforme .

Propositions n° s 27 et 28 :

Renforcer la formation des professeurs principaux et référents en matière de conseil pour la poursuite d'études ;

Mieux mobiliser et coordonner l'ensemble des acteurs de l'orientation - équipe pédagogique, CIO, régions, établissements de l'enseignement supérieur - afin d'accompagner au mieux les élèves .

4. Une réforme complexe à mettre en oeuvre pour les établissements

La réforme du lycée se caractérise par la complexité de sa mise en oeuvre pour les établissements.

Elle a tout d'abord conduit à une explosion du groupe classe . Alors qu'en 2018, l'enseignement en groupe de première rassemblait 1,9 classe, en 2019 un groupe est composé en moyenne de 3,4 classes. Le nombre de groupes d'élèves en classe de première a augmenté de 30 %. Pour une classe donnée, on dénombre désormais en moyenne 36 groupes dans lesquels des élèves de cette classe suivent des cours, contre 14,5 avant la réforme. D'ailleurs, dans certains établissements, l'ensemble des élèves d'une classe ne sont pas réunis pour tous les enseignements du tronc commun. Ce brassage permanent des élèves n'est pas sans conséquence dans la gestion actuelle de la pandémie et le protocole applicable aux cas contacts .

Cette réforme implique de nouvelles conditions d'enseignement pour certaines disciplines : 86 % des heures des professeurs de mathématiques en première générale sont désormais effectués en groupe, alors qu'avant la réforme 63 % de ces heures étaient devant la classe entière (37 % des heures effectuées en groupe). 89 % des heures pour les professeurs de sciences économiques et sociales sont désormais en groupe, contre 33 % auparavant.

Cette réforme est également particulièrement complexe pour l'élaboration des emplois du temps : périodes longues sans cours, cours tard le soir, organisation des quatre à six heures de spécialité en un bloc, pause déjeuner fortement limitée, limitation du nombre d'enseignement optionnel par élève, réduction de l'horaire hebdomadaire des enseignements optionnels, regroupement des élèves de niveaux différents au sein d'une même classe (pour le latin et le grec par exemple), regroupement des élèves des langues vivantes A et B. Les contorsions sont nombreuses pour faire coïncider les emplois du temps de chaque élève avec ses choix et les obligations horaires des programmes. Certains établissements ont fait le choix d'imposer des « menus de triplette » et de « doublettes » : le choix de tel enseignement de spécialité impose d'en prendre un autre déterminé. De telles méthodes sont à rebours de l'esprit de la réforme qui vise à laisser le choix aux élèves, mais peuvent peut-être permettre d'éviter des choix de triplettes et doublettes inadéquates pour la poursuite des études.

La complexité de la réforme du lycée à la lumière d'un lycée de l'Indre accueillant 56 élèves en terminale - témoignage de la proviseure

« Afin que tous les élèves puissent avoir leurs enseignements de spécialité, il n'y a plus de groupe classe. Il y a un mélange dans les cours classiques. Les 5 enseignements de spécialité ont lieu de 10 heures à 12 heures. Je dois dédoubler les classes, car sinon je n'arrive pas à respecter tous les choix des élèves. Pour les langues, il n'y a plus de distinction entre les langues vivantes A et les langues vivantes B. J'ai un élève qui ne peut pas suivre le cours d'enseignement civique et moral.

En ce qui concerne les cours qui ont lieu de 12 heures à 14 heures : leur durée a été réduite à 45 minutes pour ménager aux élèves un temps pour manger.

À 17 h 15, les cours doivent être terminés, car les élèves doivent prendre les transports scolaires pour rentrer chez eux (le lycée accueille des élèves sur un rayon de 20 km). Mon problème majeur est d'assurer tous les enseignements de spécialité et les options dans un cadre horaire contraint de 8 heures à 17 h 15. Je ne suis pas dans la même logique d'un lycée de centre-ville qui peut placer l'option latin de 17 heures à 18 heures » .

La complexité de la mise en oeuvre de cette réforme a également des répercussions sur le recrutement des chefs d'établissement : les lauréats des concours de chefs d'établissement préfèrent prendre des postes en collèges. Les proviseurs ont de plus en plus de mal à recruter pour des postes d'adjoints.

5. Une prise en compte perfectible de la réforme par l'enseignement supérieur

L'un des objectifs des réformes du lycée et du baccalauréat est de permettre une meilleure articulation entre le lycée et l'enseignement supérieur .

À l'occasion des auditions menées, les rapporteurs ont entendu que l'enseignement supérieur est en train de s'emparer de la réforme. Les rapporteurs ne peuvent se satisfaire de cette réponse.

Ils ont alerté de longue date sur le fait que la réforme sur l'orientation et la réussite des étudiants (ORE) et celle de la réforme du lycée aient été conçues en silo et mises en oeuvre de manière parallèle, alors qu'elles auraient dû être liées. De manière transpartisane lors du débat sur la réforme du baccalauréat d'octobre 2018, la commission de la culture avait critiqué ce calendrier et cette mise en oeuvre non coordonnée. Plusieurs sénateurs avaient même évoqué une réforme mettant « la charrue avant les boeufs  en mettant au point Parcoursup avant le nouveau bac » . Les rapporteurs tiennent à le souligner : une politique publique doit se prévoir en amont et ne peut s'expérimenter sur plusieurs générations « d'élèves cobayes » .

Quelques aménagements ont été mis en place par l'enseignement supérieur :

- des formations ont été créées afin d'aider les bacheliers dans leurs orientations, à l'image de Paréo : pendant un an, l'étudiant alterne les périodes de stages dans des entreprises différentes ;

- les diplômes sont en cours d'évolution. Certains nouveaux diplômes sont créés. Les attendus des formations sont précisés.

Néanmoins, trop de questions demeurent. Elles sont liées :

- au calendrier : les évolutions majeures des diplômes se font au moment de la préparation des contrats d'accréditation, soit tous les cinq ans . Certains établissements, qui ont renouvelé leur accréditation juste avant l'entrée en vigueur de la réforme ne se sont donc pas forcément immergés dans cette nouvelle démarche ;

- à l'impression de « naviguer à vue » pour les élèves et les professeurs principaux, dans le choix des spécialités et des options à prendre pour accéder à certaines filières.

Selon Olivier Sidokpohou auditionné par les rapporteurs, certaines formations - seulement - ont anticipé la réforme, réfléchi à une évolution des parcours afin de prendre en compte des profils plus variés. Les rapporteurs s'étonnent de cette mise en oeuvre plus que partielle . Ils regrettent l'attitude attentiste de certaines filières : en effet certaines d'entre elles n'ont pas commencé ce travail et attendent de voir quels étudiants elles vont accueillir avant de modifier leurs maquettes. D'autres, enfin, estiment de pas avoir besoin de le faire . Au final, la réflexion semble plus avancée dans les filières scientifiques , que dans celles des sciences humaines qui peuvent estimer que le tronc commun suffit . Pour les rapporteurs, cette position va à l'encontre de l'objectif de la réforme du lycée.

Les rapporteurs appellent à une mobilisation de l'ensemble des filières du supérieur pour prendre en compte la réforme du lycée et la diversité des profils, afin d'accompagner les nouveaux bacheliers dans la réussite de leurs études. Cela peut notamment prendre la forme d'un aménagement des maquettes de formation.

L'analyse des voeux et des affectations pour les bacheliers 2021 - première cohorte issue de la réforme du lycée - témoigne également d'un bilan mitigé :

- le degré d'appropriation par les formations du supérieur est inégal. Pour de nombreuses filières, les résultats du tronc commun sont mis en avant, alors que les spécialités sont peu valorisées, ce qui va à l'encontre de la réforme . En effet, l'un de ses objectifs est de faire émerger des parcours plus personnalisés pour les élèves dans une perspective de réussite des étudiants dans le supérieur. Cette réforme est donc sur ce point un échec ;

- de nombreux élèves ont abandonné les nouvelles spécialités « sciences de l'ingénieur » ou « numérique et sciences numériques » par crainte de ne pas être pris en classe préparatoire , alors même que les écoles d'ingénieur sont désireuses de ces spécialités. Ces deux spécialités ont été abandonnées par plus de la moitié des élèves entre la première et la terminale.

La réforme du lycée a des conséquences importantes sur quatre filières :

- les profils scientifiques ont pratiquement disparu des voeux pour les instituts d'études politiques (2 %), alors que le bac scientifique représentait 25 % des candidatures ;

- 80 % des profils sont « adaptés » pour la candidature à la filière PASS , les élèves n'ayant pas fait de sciences au lycée candidatent très peu. On constate une très forte présence des profils mathématiques, physiques, avec ou sans mathématiques expertes ;

- pour les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques (MPSI, PCSI), plus de 97 % des élèves ont un profil mathématiques, physique chimie ou sciences de l'ingénieur et 85 % ont suivi l'option « mathématiques experts » ;

- elle a nécessité une réorganisation des classes préparatoires aux grandes écoles économiques, qui avaient une organisation très liée aux séries. Les équipes doivent désormais s'habituer à ne plus accueillir les mêmes profils d'élèves.

En revanche, pour les autres filières, la réforme du lycée reste au milieu du gué et ne permet pas de créer le continuum -3/+3 appelé de ses voeux par le Gouvernement .

*

* *

Deux ans après l'entrée en vigueur de la réforme du lycée, le premier bilan est mitigé. Certes, les rapporteurs constatent une diversification des parcours : il faut désormais 15 triplettes de spécialités pour regrouper 80 % des élèves de première .

Néanmoins, cette réforme a été menée dans la précipitation laissant aux élèves et aux enseignants une impression de « naviguer » à vue.

Alors que l'orientation devient un facteur essentiel, elle reste un parent pauvre de l'éducation nationale. Trop peu de proviseurs et d'enseignants principaux ont suivi une formation pour accompagner leurs élèves dans leurs choix, et éviter qu'ils ne les conduisent dans une impasse pour la poursuite de leurs études .

Les établissements se retrouvent également contraints dans le déploiement de la réforme, face à une dotation horaire globale limitée, leur imposant des choix entre spécialités et options proposées, y compris pour des enseignements nécessaires pour poursuivre leurs études dans un nombre important de filières .

Enfin, les réformes sur l'orientation et la réussite des étudiants d'une part et celle du lycée d'autre part ont été conçues en silo et mises en oeuvre de manière parallèle, alors qu'elles auraient dû être liées. L'enseignement supérieur s'est trop peu saisi de la réforme du lycée, alors même que celle-ci a pour objectif de faire émerger des parcours plus personnalisés afin de mieux préparer les élèves à leurs études supérieures .


* 19 À la rentrée 2021, des choix d'enseignements de spécialité en première et en terminale générale proche de ceux de 2020, DEPP, note 21.41, décembre 2021.

* 20 Source : association des professeurs de mathématiques de l'enseignement public.

* 21 Humanités, littérature et philosophie ; langues, littératures et cultures étrangères ; histoire géographie, géopolitique et sciences politiques ; sciences économiques et sociales ; mathématiques ; physique-chimie ; SVT.

* 22 Évaluation de la mise en oeuvre des enseignements optionnels au sein du nouveau lycée général et technologique, IGÉSR n° 2021-106, juin 2021.

* 23 Un premier bilan de l'accès à l'enseignement supérieur dans le cadre de la loi orientation et réussite des étudiants, communication au comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, Cour des Comptes, février 2020.

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