D. ENTRE « RÉTORSIONS » ET PLAN DE SORTIE DE FLOTTE, LE « EN MÊME TEMPS » DIFFICILE À SUIVRE DU GOUVERNEMENT

Davantage encore que la passivité européenne, c'est l'inconstance de la France et en particulier l'indécision de son chef de l'État qui peuvent expliquer l'échec de l'application de la rubrique « pêche » de l'accord post-Brexit . La stratégie de négociation française s'est avérée erratique, alternant entre annonces de mesures de « rétorsion » d'une particulière sévérité et appels à la désescalade, sans aucune incidence visible sur la doctrine britannique en matière d'octroi des licences.

1. L'annonce de « rétorsions » : une stratégie apparemment offensive du Gouvernement français

La France n'étant pas parvenue à convaincre la Commission européenne de l'opportunité de prendre des mesures de rétorsion, elle a masqué son échec par des menaces de « rétorsions » bilatérales, sans base légale puisque la France n'est pas partie à l'accord de commerce et de coopération . Ces mesures seraient probablement illégales au regard de l'impératif de proportionnalité qu'exige le droit international . Aussi est-il difficile de les qualifier de rétorsions.

Au lieu de prendre des mesures plus circonscrites mais efficaces, car ayant un impact direct sur l'économie britannique, la France a annoncé des mesures de « rétorsion » manifestement irréalistes comme l'arrêt de la fourniture d'électricité, ou contrevenant clairement à l'accord de commerce et de coopération et au droit de l'Union européenne, comme le blocage au moyen de contrôles douaniers systématiques de toutes les marchandises en provenance du Royaume-Uni.

Dans ce contexte, le Royaume-Uni a eu beau jeu de qualifier les menaces françaises de « disproportionnées » et de souligner leurs effets de bord (comme des coupures de courant dans les hôpitaux) ou leur injustice (refus de l'accueil d'étudiants jersiais), prenant à témoin les opinions publiques des deux pays pour souligner la « logique de confrontation » du gouvernement français .

Liste des « rétorsions » envisagées

Avril 2021 : annonce de mesures de rétorsion sur les services financiers.

Septembre 2021 : menaces de l'arrêt de l'approvisionnement énergétique pour les îles anglo-normandes (dépendantes à 95 % de l'énergie française), mais aussi menaces de l'arrêt d'accueil d'étudiants anglo-normands en France, d'interruption de flux ferroviaires et commerciaux.

2 novembre 2021 : « contrôles douaniers et sanitaires systématiques sur les produits débarqués en France », « interdiction de débarquement de produits de la mer », menaces réitérées d'un arrêt de l'approvisionnement énergétique.

Liste des « rétorsions » effectivement mises en oeuvre

octobre 2021 : un bateau battant pavillon britannique pêchant en baie de Seine a été détourné par les autorités françaises et est resté arrimé au port du Havre pendant vingt-quatre heures.

Preuve que ces annonces étaient dispensables, elles n'ont jamais été suivies d'effets. Contre-productives dans la négociation, elles n'ont fait qu'entamer la crédibilité de la parole publique des autorités françaises.

Elles ont révélé que le président de la République naviguait à vue, obligeant ses ministres à virer de bord à plusieurs reprises. Ainsi, alors que la ministre de la mer, Annick Girardin, et le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, Clément Beaune, avaient annoncé un paquet de mesures de rétorsion pour le 2 novembre, ils ont été désavoués au dernier moment par le président de la République , indiquant lors du G20 de Rome, le 31 octobre 2021, avoir pour objectif « d'obtenir une désescalade ».

Le chef de l'État a fait le choix de nationaliser et même de personnaliser un différend européen, ce qui n'a pu que perturber les négociations.

Au-delà de la méthode contestable, il convient enfin de souligner que les sanctions annoncées par voie de presse auraient dû aller de pair avec une réflexion plus globale sur l'impact de contrôles sanitaires renforcés sur les débarquements de poissons, afin d'éviter, autant que faire se peut, que le secteur de la transformation, dépendant des importations de poissons, en soit la victime collatérale.

Cela atteste l'idée que l'aval a été le grand oublié de la crise. Les entreprises du mareyage, trait d'union entre l'amont et l'aval, ont déjà eu à souffrir des lourdeurs administratives liées au renforcement des contrôles sanitaires dans le cadre du Brexit , portant leurs marges à des niveaux historiquement faibles. La dépendance aux eaux britanniques de la zone économique de Capécure à Boulogne-sur-Mer, premier port européen de transformation de produits de la pêche et de la mer, est presque totale s'agissant de la pêche hauturière. Or, si 30 000 tonnes de poisson sont débarquées chaque année par les pêcheurs français, les navires battant pavillon étranger débarquent des volumes dix fois plus importants . La région Normandie a, elle aussi, attiré l'attention du rapporteur sur les difficultés d'approvisionnement de ce secteur, liées aux contrôles sanitaires renforcés et à l'incertitude liée à l'octroi des licences de pêche.

2. L'annonce d'un plan de sortie de flotte : la reculade du Gouvernement français

À la surprise générale, en pleine négociation avec les autorités britanniques, la ministre de la mer, Annick Girardin, a rappelé publiquement, lors des Assises de la pêche et des produits de la mer qui se sont tenues le 18 novembre dernier à Saint-Pol-de-Léon, la perspective d' un plan de sortie de flotte pour les navires n'ayant pas obtenu de licence - indemnisation de pêcheurs pour la destruction de leur navire, sur la base du volontariat -, déjà annoncé en décembre 2020 par le Gouvernement. Ce rappel n'était pas opportun, et a donné le signal d'un renoncement des autorités françaises.

S'il est du ressort de l'administration de parer à toutes les éventualités, même les pires, et de provisionner à cette fin les montants les plus élevés possible, l'ampleur du plan, entre 40 et 60 millions d'euros, a surpris . D'après les informations données par la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture lors des auditions budgétaires menées par la commission des affaires économiques, le plan pourrait couvrir plus de 180 navires éligibles, soit plus de la moitié des navires dépendants des eaux britanniques , pour une somme forfaitaire proche de 300 000 euros par bateau détruit.

Il est à noter que le président de la République n'a en aucune manière démenti sa ministre. Dans un « en même temps » caractéristique, il a affirmé le lendemain : « nous allons continuer de nous battre, nous ne lâcherons pas nos pêcheurs 20 ( * ) », tout en confirmant ultérieurement le plan de sortie de flotte .

En lançant dans ce même discours aux professionnels de la pêche que « plus encore qu'obtenir la totalité des licences, c'est d'une visibilité dont vous avez besoin », la ministre de la mer a montré que le gouvernement se méprenait sur l'enjeu des négociations. Surtout, elle a mis la Commission européenne dans la position intenable de devoir poursuivre les négociations pour les licences restantes après avoir signalé qu'elle était prête à renoncer .

Le rapporteur juge en outre particulièrement inapproprié que le Gouvernement envisage d'utiliser la Réserve d'ajustement au Brexit 21 ( * ) pour financer le plan de sortie de flotte annoncé. Alors que la Réserve était censée compenser les conséquences de l'application de l'accord de commerce et de coopération , le Gouvernement la transforme en outil de dédommagement de la non-application de l'accord , la détournant de son objet initial . Au lieu d'aider les pêcheurs à surmonter la diminution de 25 % de quotas dans les eaux britanniques d'ici juin 2026, en application de l'accord , la Réserve servirait à détruire les bateaux auxquels le Royaume-Uni n'a pas octroyé de licence, en violation de l'accord .

Cet usage à contre-emploi est d'autant plus regrettable que le rapporteur spécial de la commission Pêche sur le texte qui a créé ce fonds, François-Xavier Bellamy, avait, au cours de l'examen de ce texte au Parlement européen, en septembre 2021, insisté pour augmenter la part revenant à la France. Le Sénat, par sa résolution européenne du 16 avril 2021, avait déjà plaidé en ce sens. Finalement, la part française dans ce fonds est effectivement passée de 400 à 780 millions d'euros, soit une somme plus conforme au fort impact du Brexit sur la France, relativement à d'autres pays .

En outre, a été retenu le principe d'une affectation obligatoire (« earmarking ») d'une certaine part de la Réserve vers la pêche, fléchage sans équivalent pour d'autres secteurs . Ce « mini-plan de relance pour la pêche » avait pour vocation d'aider la pêche française à se tourner vers l'avenir en accompagnant la modernisation des techniques de capture, la réorientation de l'effort de pêche, ou encore l'attractivité des métiers de la filière.

Quelles échéances ?

10 décembre 2021 : les négociations sur les totaux admissibles de capture (TAC) dans les eaux britanniques devaient selon l'Accord aboutir au plus tard à cette date, chaque année. En cas d'échec des négociations au 10 décembre, l'accord prévoit un délai supplémentaire de dix jours, et en cas de nouvel échec des TAC provisoires s'appliqueraient, à l'instar du système en vigueur au premier semestre 2021. Cette dernière option a finalement été retenue, pour les trois premiers mois de l'année 2022.

La date de l'« ultimatum » fixé par la Commission européenne aux Britanniques pour l'obtention des licences de pêche, date que le Premier ministre britannique a écartée comme étant non pertinente, mais au lendemain de laquelle 30 nouvelles licences ont été accordées.

12-13 décembre 2021 : comme chaque année en décembre, les négociations au sein du Conseil des ministres de l'Union européenne « Agriculture et pêche 22 ( * ) » devaient déterminer les totaux admissibles de capture et les quotas dans les eaux de l'Union européenne. Une étape cruciale pour envisager d'éventuels reports de l'effort de pêche.

« d'ici Noël 2021 » : le Président de la République Emmanuel Macron a déclaré que la crise des licences devait s'achever avant cette date, car sinon « on sortira du dialogue ». La ministre de la mer, Annick Girardin, a, elle, affirmé que « décembre serait la dernière limite de négociation », ce qui laisse entendre que la date limite des autorités françaises est en réalité fixée au 31 décembre, et non au 25 décembre.

1 er janvier 2022 : début de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, qui sera de facto écourtée en raison des élections présidentielles.

31 janvier 2022 : fin de validité des licences temporaires (catégorie orange) dans les 6-12 milles britanniques.

31 mars 2022 : fin de l'application des TAC temporaires pour les stocks partagés par le Royaume-Uni et l'Union européenne dans les eaux britanniques.

30 juin 2026 : fin de la période de transition prévue par la rubrique « pêche » de l'accord de commerce et de coopération, et notamment de la sécurisation de 75 % des quotas dans les eaux britanniques au profit des pêcheurs européens.


* 20 https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1461778741395443717

* 21 https://ec.europa.eu/regional_policy/fr/funding/brexit-adjustment-reserve/

* 22 https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/agrifish/2021/12/12-13/

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