III. L'ENTRETIEN PROGRAMMÉ DU MATÉRIEL : UN RYTHME DE DÉPLOIEMENT ILLISIBLE POUR LE PARLEMENT
LPM 2019-2023 |
Exécuté |
Prévu |
Annuité |
LPM |
des annuités de |
2019-2021 |
en PLF 2022 |
2023 |
2024-2025 |
12,3 Md€ |
||||
pour un total de |
Manque |
Manque |
Une progression annuelle par rapport à 2022 de |
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22 Md€ |
0,9 Md€ |
0,85 Md€ |
0,85 Md€ |
2,05 Md€ |
La LPM 2019-2025 tirait les leçons de l'accroissement des besoins et portait une réelle ambition pour l'entretien programmé du matériel (EPM) en lui dédiant 35 milliards sur la période de programmation, dont 22 Mds entre 2019 et 2023 (soit des annuités de 4,4 Mds), puis 13 milliards entre 2024 et 2025 (soit des annuités de 6,5 milliards). La LPM reportait ainsi une partie décisive de l'effort après 2022, or ce report a encore été accentué par les premières années d'exécution.
Les montants inscrits en LFI en 2019, 2020 et 2021 ont en effet été inférieurs à l'annuité moyenne de 4,4 Mds d'EPM fixée par la LPM : soit 4,2 Mds en 2019 et 4 Mds en 2020 et 4,1 Mds en 2021. Le rythme d'inscription des crédits dédiés à l'EPM en loi de finances initiales connaît donc un retard de 900 millions par rapport à l'annuité moyenne arithmétique. Dans le PLF 2022, l'EPM représente 57 % des AE du P178 , et 41 % de ses CP , soit 4,448 Mds€ .
Pour respecter la LPM, le PLF 2023 devra prévoir une augmentation de 850 M€ sur l'EPM, le PLF 2022 n'ayant réduit que de 50 M€ l'écart constaté entre les objectifs et la réalisation de la programmation militaire depuis 2019.
Or une telle accélération ne se décrète pas aisément. Il n'est pas certain qu'elle soit compatible avec les rythmes de réalisation des contrats verticalisés. Surtout, elle accroît encore l'effort budgétaire décisif qui doit porter les dernières annuités de la période de programmation à une accélération inédite de consommation de crédits d'EPM (soit une augmentation initiale prévue par la LPM de 2,1 milliards par an par rapport aux premières années de programmation ).
IV. LE SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES TOUJOURS FRAGILE FACE À L'OBJECTIF DE LA HAUTE INTENSITÉ
Le modèle de soutien , réformé pour accentuer son caractère interarmées il y a une dizaine d'années, a souffert du double effet de la révision générale des politiques publiques et de la LPM 2014-2019, mettant en oeuvre de fortes attritions des ressources humaines des services de soutien . Or la pandémie a rappelé que la Résilience (nom donné à l'opération associant les forces armées à l'effort de lutte contre la pandémie) de la nation passait par l'engagement de ses forces armées , lequel dépend largement de la capacité de ses services de soutien à faire face, dans l'urgence, aux objectifs assignés . Il ne s'agit pas de remettre en cause le modèle de soutien déployé mais de veiller à l'adéquation des moyens aux impératifs d'efficacité pesant sur les services de soutien dans un contexte de plus en plus exigeant , comprenant l'accroissement de la population soutenue avec la remontée de la force opérationnelle terrestre (FOT), le réinvestissement du territoire national avec Sentinelle et Résilience, la multiplicité des théâtres extérieurs et enfin, l'objectif de faire face à la haute intensité à l'horizon 2030.
Durant la précédente LPM, le service de santé des armées ( SSA) a perdu 8 % de ses effectifs, soit 1 600 personnels . La remontée de la FOT et le niveau élevé de l'engagement de la France sur les théâtres extérieurs, supérieur aux objectifs de construction de la LPM et du modèle SSA 2020, ont mécaniquement induit un besoin supplémentaire de soutien par le SSA. La LPM 2019-2025 s'est concrétisée par l'arrêt de la déflation des effectifs du SSA dès 2019 et prévoit leur stabilisation jusqu'en 2023, puis leur remontée modérée au-delà . La difficulté centrale tient à la trop lente remontée en puissance de la médecine des forces . Le service dispose de 700 médecins des forces. Entre le plafond ministériel des emplois autorisés et l'effectif moyen réalisé, on constate un écart de « 100 médecins manquants » (ce chiffre correspond à un effectif lissé qui évolue en cours de gestion au gré des départs, des mutations et des indisponibilités). Les tensions sur les effectifs concernent également la composante hospitalière, où certaines spécialités font l'objet d'une réelle tension : chirurgie (orthopédique, viscérale, vasculaire, thoracique, urologique, tête et cou), médecine d'urgence en exercice hospitalier, psychiatrie et radiologie. Plusieurs spécialités paramédicales essentielles se révèlent également sous tension, à l'instar des infirmiers de bloc opératoire, ou encore des masseurs-kinésithérapeutes.
Au 1 er juillet 2021, manquaient 125 personnes : |
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médecins de la médecine des forces, essentiellement dans les centres médicaux des armées de la région parisienne et du Grand Est |
praticiens hospitaliers en chirurgie viscérale, anesthésie réanimation, biologie, radiologie et médecine interne |
Dans les spécialités sous tension, le SSA est confronté à une très forte concurrence du secteur civil, qui se montre très attractif et réactif, notamment dans le domaine de la rémunération, ce qui contribue à entretenir le flux de départs prématurés subi par le SSA . En conséquence, pour remplir son contrat opérationnel, le SSA sur-projette ses personnels soignants , avec un risque d'usure et d'épuisement accentué depuis mars 2020 par la crise sanitaire. La concentration sur les mêmes personnels de la charge de projection du service se traduit par des taux de projection supérieurs à 100 %, malgré l'apport des réservistes. Ce taux atteint 200 % pour les équipes chirurgicales .
Cette sur-sollicitation du personnel a des conséquences néfastes sur la fidélisation des professionnels de santé militaires. Elle a également un impact notable sur le parcours professionnel du personnel de santé, notamment à travers la difficulté de satisfaire à l'obligation de développement professionnel continu. Elle pèse sur les perspectives d'évolution des effectifs du SSA.
Les priorisations sont revues régulièrement pour satisfaire aussi bien que possible, dans ce contexte de pénurie de personnels, les besoins des forces armées , en fonction des activités effectives et des possibilités de renforcement ponctuelles.
La situation du SSA doit faire l'objet d'un suivi particulier tout au long de la période de programmation militaire. La commission avait appelé au renforcement des moyens du SSA dans le cadre de l'actualisation de la LPM.
En juillet 2021, les rapporteurs se sont rendus à Chanteau. Ils ont visité la pharmacie centrale du SSA et se sont fait présenter la chaîne du ravitaillement médical au sein de l'établissement central des matériels du SSA (ECMSSA). Ils ont pu constater que le SSA était parvenu, malgré les attritions subies, à conserver l'entièreté de ses compétences et pouvait fabriquer, à hauteur des besoins des forces, tous les types de produits médicaux nécessaires, quelle que soit leur forme (baume, pilule, injection, produits lyophilisés, etc.). De même, ils ont pu apprécier la réactivité de la Direction des approvisionnements en produits de santé des armées (DAPSA) qui prépare et déploie notamment les « Éléments Militaires de Réanimation » (EMR-SSA), dont le premier, installé à Mulhouse, avait très efficacement renforcé l'hôpital de Mulhouse.
Le directeur central du SSA, le Médecin général des armées Philippe Rouanet de Berchoux, a présenté « L'ambition stratégique SSA 2030 » qui vise, à la lumière des enseignements de la crise sanitaire actuelle et en cohérence avec l'ambition 2030 des armées, redonner au SSA les moyens de répondre aux attentes des armées et de la gendarmerie nationale , tout en assurant sa propre résilience constitutive de celle des armées et de la Nation. Cette ambition stratégique a pour vocation de bâtir un SSA « de tous les engagements », en garantissant un soutien médical de très haut niveau pour tous les engagements opérationnels et en renforçant le soutien santé au plus près des forces armées sur le territoire national .
La mise en oeuvre du nouveau modèle hospitalier militaire sera l'un des axes de cette stratégie . L'un de ses enjeux essentiels est la redéfinition des perspectives d'insertion du parc hospitalier militaire à l'offre publique de soins à l'aune des leçons tirées de la pandémie . Les huit hôpitaux d'instruction des armées (HIA) (HIA Bégin à Saint-Mandé, HIA Clermont-Tonnerre à Brest, HIA Desgenettes à Lyon, HIA Laveran à Marseille, HIA Legouest à Metz, HIA Percy à Clamart, HIA Robert Picqué à Bordeaux et HIA Sainte-Anne à Toulon), ouverts à tous les assurés sociaux, sont assimilés par le ministère de la Santé à des centres hospitaliers et universitaires . Ces hôpitaux, établissements polyvalents de soins pour adultes, sont soumis aux procédures de certification de la santé publique et participent à l'offre de soins à l'échelle d'un territoire.
Renforcer l'attractivité du SSA après le
Ségur de la santé, sans attendre la fin de
la LPM.
En s'appuyant sur la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, qui vise une stabilisation de ses effectifs, le SSA s'attache à équilibrer ses recrutements initiaux et complémentaires par spécialité et à maîtriser ses flux de sortie, afin de préserver sa capacité à assurer son contrat opérationnel . Malgré l'intérêt qu'il suscite auprès de nombreux candidats potentiels, le SSA rencontre des difficultés pour attirer des professionnels de santé sous contrat. Le contexte concurrentiel important vis-à-vis de la santé publique et un déficit chronique dans la santé publique des spécialités d'intérêt pour le SSA, en particulier de médecins généralistes, freinent le recrutement.
Ceci impose un haut niveau d'attractivité et des efforts de fidélisation . Le recrutement d'élèves en formation initiale est essentiel pour le bon équilibre du modèle RH du SSA. Il est ainsi prévu d'ouvrir 15 postes d'élèves médecins et 10 postes d'élèves infirmiers supplémentaires chaque année à compter de 2019 au titre de la formation ab initio . De même, la possibilité de recruter dans le corps des internes des hôpitaux des armées des étudiants inscrits en 3 e cycle des études médicales, a été ouverte en 2020. Ce sont 36 postes supplémentaires d'élèves médecins destinés à des étudiants civils déjà inscrits en cursus universitaire qui ont été ouverts par concours à compter de l'année 2019.
Le recrutement complémentaire de praticiens contractuels , bien que difficile dans un contexte de forte concurrence entre employeurs, a connu une nette amélioration en 2020 et doit permettre de compenser les sous-effectifs conjoncturels en praticiens.
Il est déjà établi que l'écart de rémunération qui existait antérieurement à la crise sanitaire entre les praticiens des armées et leurs pairs de la fonction publique hospitalière s'est à nouveau creusé depuis juillet 2020 et la mise en oeuvre des premières mesures du Ségur de la santé. Le SSA est associé aux travaux relatifs à la Nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) menés par le Ministère, cela doit conduire à l'ajustement au bon niveau des conditions statutaires et financières des personnels du SSA. À défaut, les effets sur l'attractivité et la fidélisation du personnel pourraient être délétères alors qu'il est essentiel de maintenir le niveau d'excellence et d'engagement qui caractérise le SSA , dont les forces armées ont besoin, au quotidien, mais aussi pour maintenir leur compétence à « entrer en premier » sur les théâtres d'opération.