EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet , président, en remplacement de M. Henri Leroy, rapporteur . - Henri Leroy m'a demandé de vous présenter en son nom ses observations sur les crédits relatifs à trois des quatre programmes de la mission « Sécurités » inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour 2022 : le programme 152, « Gendarmerie nationale », le programme 176, « Police nationale » et le programme 207, « Sécurité et éducation routières ».
Le budget de la mission « Sécurités » prend une importance particulière cette année, alors que la sécurité constitue une préoccupation majeure des Français en vue de l'élection présidentielle. Dans ce contexte, l'examen du budget alloué aux forces de sécurité intérieure nécessite de notre part une attention renforcée, puisqu'il conditionne directement la capacité de notre pays à répondre aux menaces auxquelles il est confronté.
Depuis plusieurs années, nous dénonçons la stratégie suivie par le Gouvernement, qui consiste à mettre l'accent sur le renforcement des effectifs au détriment de l'amélioration de l'équipement et des conditions de travail des policiers et gendarmes.
Le PLF pour 2021 constituait à cet égard une première exception puisque, grâce aux crédits issus du plan de relance, les dépenses de fonctionnement et d'investissement bénéficiaient d'une hausse conséquente. Si nous nous en étions félicités, nous avions aussi déploré que cette augmentation ne soit pas portée par la mission « Sécurités », mais par le plan de relance.
Le PLF pour 2022 constitue une nouvelle rupture. Il fait suite à la publication le 16 novembre 2020 du Livre blanc pour la sécurité intérieure, et au Beauvau de la sécurité, dont les conclusions ont été rendues publiques le 14 septembre 2021. Pour la première fois, la part des dépenses de personnel dans les dépenses totales de la mission diminue, grâce au dynamisme des dépenses de fonctionnement et d'investissement. Cette évolution résulte à la fois de l'impact des nouvelles mesures liées au Beauvau de la sécurité, et de la réintégration de crédits exceptionnels issus du plan de relance.
Ainsi, les crédits alloués aux programmes 176 et 152 permettraient une augmentation des budgets de fonctionnement et d'investissement de 31,63 % dans la police et de 18,23 % dans la gendarmerie par rapport à 2021. Ces augmentations, fortement attendues par policiers et gendarmes, permettront de faire face à une situation aujourd'hui critique, et de redonner à nos forces de sécurité de plus grandes marges de manoeuvre.
Henri Leroy souhaite tout particulièrement saluer le renouvellement en cours des parcs automobiles, dont le vieillissement constitue une préoccupation forte. En 2021 et 2022, les crédits prévus sont en effet supérieurs à la dépense annuelle nécessaire pour assurer le renouvellement courant et rattraper le retard accumulé dans le remplacement des véhicules. La police nationale devrait donc être en mesure d'acquérir 4 470 véhicules en 2021 et 5 503 véhicules en 2022, tandis que la gendarmerie nationale devrait pouvoir acheter 3 707 véhicules en 2021 et 5 500 en 2022.
Parallèlement, l'augmentation des dépenses d'équipement permettra de poursuivre la mise à niveau et le renforcement des équipements individuels des policiers et gendarmes, ainsi que le déploiement des équipements numériques, l'objectif étant de doter chacun d'un nouvel équipement opérationnel (NEO) et d'une caméra-piéton.
Enfin, les crédits inscrits au PLF pour 2022 en matière d'investissement immobilier, combinés à la poursuite du plan « Poignées de porte », devraient permettre de poursuivre la mise en oeuvre du programme de rénovation du parc immobilier.
Henri Leroy souhaite toutefois attirer notre attention sur plusieurs points. En premier lieu, nous devrons nous montrer attentifs à la répartition des crédits entre les deux forces. La gendarmerie, qui couvre 95 % du territoire et dispose d'un parc immobilier et automobile conséquent, bénéficie en effet d'une augmentation de ses crédits moins favorable que celle de la police. Il est nécessaire que les besoins soient pleinement objectivés pour expliquer ces différences.
Par ailleurs, une grande vigilance s'impose afin d'assurer la bonne allocation des moyens budgétaires. Nous avons en effet assisté ces dernières années au fiasco du premier marché de caméras-piétons, et à celui du logiciel de rédaction de procédure SCRIBE.
Enfin, les efforts en matière d'équipement et d'investissement immobilier doivent s'inscrire dans la durée, et il serait bénéfique de formaliser une stratégie immobilière et un plan de renouvellement des véhicules qui soient pluriannuels.
En ce qui concerne les dépenses de personnels, malgré la diminution de leur proportion dans les dépenses totales, les crédits de masse salariale augmentent dans le PLF pour 2022, de 1,64 % dans la police nationale et de 1,08 % dans la gendarmerie nationale. L'année 2022 verra l'achèvement de la mise en oeuvre du plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes sur la durée du quinquennat. Entre 2017 et 2022, 8 446 emplois de policiers et 2 083 emplois de gendarmes auront ainsi été créés.
Comme Henri Leroy vous l'indiquait déjà lors de l'examen de précédents budgets, nous ne sommes pas convaincus par la pertinence de ces embauches massives. Elles mettent sous tension l'appareil de formation, sans que leur effectivité en matière de présence sur la voie publique soit avérée.
En ce qui concerne les mesures catégorielles, elles sont plus maîtrisées cette année que les précédentes, ce dont nous pouvons nous féliciter. Parmi les crédits dédiés aux mesures indemnitaires et catégorielles, près de la moitié devraient financer les mesures issues du Beauvau de la sécurité.
Henri Leroy souhaite toutefois souligner un point d'attention en matière de titre 2. Alors que nous venons de voter la création d'une réserve opérationnelle pour la police nationale, le développement des réserves opérationnelles des deux forces n'a pas été budgété. L'emploi de ces réserves sera donc fortement contraint, alors même que leur montée en charge est nécessaire dans la perspective des grands événements sportifs de 2023 et 2024.
Pour conclure, si le budget 2021 constituait un premier pas dans l'amélioration des conditions de travail des forces de sécurité intérieure et dans la remise à niveau de leur équipement, le PLF pour 2022 est le signe d'une prise de conscience inédite, et apporte un début de réponse aux questions soulevées par le Sénat depuis de nombreuses années.
Cependant, il arrive bien trop tardivement, en toute fin de quinquennat, et cela fait peser trois risques principaux sur ces crédits. Tout d'abord, l'élaboration en cours d'un projet de loi d'orientation et de programmation pour les sécurités reprend une recommandation ancienne du Sénat, mais cette dynamique aurait dû être enclenchée bien plus tôt pour être réellement effective. En outre, ce budget étant présenté juste avant les élections présidentielle et législatives, nous devrons nous montrer attentifs à ce qu'il soit effectivement exécuté.
Enfin, Henri Leroy souhaite insister sur la nécessité d'une revalorisation pérenne des crédits de la mission « Sécurités ». Le budget défini pour l'année 2022 devra servir de base à l'élaboration du budget des années suivantes pour la mission, et ne pas être considéré comme un effort ponctuel répondant à une situation d'urgence. Il s'agit de privilégier une évolution structurelle plutôt que conjoncturelle, afin de pouvoir maintenir l'effort.
M. Jérôme Durain . - Je commencerai par citer le ministre de l'intérieur qui demandait en septembre 2020 « plus de bleu sur le terrain », récidivant par ce tweet d'avril 2021 : « Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu'en 2017. » Visiblement, ces belles paroles n'ont pas convaincu la Cour des comptes, qui pointait la semaine dernière dans une publication que l'évolution du taux d'engagement des effectifs sur le terrain depuis 2011 mettait en évidence une baisse continue de la présence sur la voie publique, davantage marquée pour la police nationale que pour la gendarmerie. Nouvelle doctrine d'emploi annoncée en 2017, la police de sécurité du quotidien ne s'est pour l'instant pas traduite par une plus grande présence policière sur le terrain. L'honnêteté me pousse tout de même à préciser que tout n'est pas conséquence des actions entreprises lors de ce quinquennat, ce qui rejoint d'ailleurs la préoccupation d'Henri Leroy au sujet des évolutions et inscriptions de crédits qui devraient être structurelles. Cependant, connaissant la propension de cette majorité à se présenter comme sortie de la cuisse de Jupiter, cette mise en perspective me paraît tout de même bienvenue.
Par ailleurs, j'attire l'attention sur les recrutements massifs et précipités, qui génèrent des interrogations quant au niveau de recrutement, dont nous ont fait part de nombreux syndicats de policiers. Ce constat de départ permet de relativiser les félicitations qui pourraient accompagner les crédits alloués cette année à la mission « Sécurités ». En effet, les hausses de crédits sont manifestes et bienvenues. Néanmoins, on ne peut résumer cette mission à l'antienne : « Du fric pour nos flics » et, si j'évacue le procès du budget de campagne, je voudrais souligner que des versements massifs de crédits, même s'ils sont utiles, ne peuvent tenir lieu de doctrine. Il me semble en outre que le Beauvau de la sécurité n'a pas permis de trouver des réponses à quelques questions majeures, comme celles de la présence de terrain, de la réconciliation des forces de l'ordre et de la population, des images ou encore du contrôle interne.
Nous passons du Beauvau de ce quinquennat au projet d'une loi de programmation pour le prochain. Entre les deux, nous avons beaucoup dépensé, et Marlène Schiappa a rappelé au cours de son audition de la semaine dernière que 2,3 milliards d'euros supplémentaires avaient été consacrés à cette mission lors de ce quinquennat. Néanmoins, j'insiste sur le fait que cela n'a pas été linéaire et qu'il nous manque une vision globale. J'ai évoqué les recrutements, mais on pourrait mentionner aussi la formation, dont le financement a successivement baissé et augmenté au cours de ces cinq ans.
Dans le détail des programmes, les crédits sont en augmentation de 7 %, pour parvenir à un total de 22,7 milliards d'euros. L'effort est conséquent et prend une dimension de rattrapage, qui bénéficie principalement à la police nationale avec environ 12 milliards d'euros, et à la gendarmerie nationale avec près de 10 milliards d'euros. Nous saluons ce rattrapage des crédits de fonctionnement et d'investissement par rapport aux dépenses de personnel qui concentraient jusque-là l'essentiel des efforts. J'insisterai néanmoins sur ce que Henri Leroy a évoqué en matière de juste dépense, et rappellerai que les premières commandes de caméras-piétons ont coûté 4 millions d'euros pour l'obtention de modèles inopérants raillés par le Président de la République lui-même, et que le logiciel SCRIBE a généré 11,7 millions d'euros de dépenses qui n'ont servi à rien. Il s'agit de deux ratés magistraux, et il faudra se montrer d'autant plus attentif à l'exécution de ce budget.
M. Ludovic Haye . - Je serai un peu plus optimiste que mon collègue et me félicite que pour une fois, une vision globale nous soit présentée. Ce sujet est en effet trop souvent appréhendé sous un angle particulier, que ce soit celui de la flotte automobile, de l'équipement ou du personnel. De plus, il me semble que nous avons tous constaté, pour cette période 2017-2022, un meilleur équipement de nos forces de l'ordre sur le terrain.
Certes, tout n'est pas parfait, et vous évoquiez notamment l'engorgement des formations. Cependant, tout attendre de l'échelon central me semble relever d'un mal actuel et à ce titre, je tiens à rappeler qu'il existe une hiérarchie aux niveaux régional et départemental et que, une fois les moyens donnés, certaines directives pourraient être prises afin qu'ils soient utilisés à bon escient et de manière équilibrée.
Enfin, nous avons tous connu la période pendant laquelle police nationale et gendarmerie nationale étaient en compétition. Aujourd'hui, si tout n'est pas réglé, les relations se sont améliorées et ce budget démontre une volonté d'équilibre que je salue, notamment en termes de moyens et de reconnaissance du travail effectué.
M. François-Noël Buffet , président . - Pour tenter de répondre sur la présence sur le terrain de nos forces de l'ordre, je précise que les gendarmes passent 60 % de leur temps sur le terrain, ce qui semble satisfaisant, même s'ils essayent naturellement de faire mieux. En revanche, le taux n'est que de 30 % chez les policiers. Les leviers possibles pour modifier cette réalité sont notamment le développement des équipements numériques et la simplification de la procédure pénale.
Enfin, je précise que, compte tenu du rejet hier de la première partie du PLF, nous ne votons pas ici les crédits, mais autorisons la publication du rapport sous forme de rapport d'information.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.