EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 29 septembre 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sur le financement des aires protégées et sur la révision des tarifs d'achats des contrats photovoltaïques signés entre 2006 et 2011.
M. Claude Raynal , président . - Nous en venons à la communication de Christine Lavarde, rapporteur spécial du programme « Service public de l'énergie », sur la révision des tarifs d'achats des contrats photovoltaïques signés entre 2006 et 2011.
Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial . - Nous avons été interpellés par la révision des arrêtés tarifaires publiés en 2006 (l'arrêté dit « S06 ») et en 2010 (les arrêtés « S10 » et « S10B »). Nous en avions discuté lors du projet de loi de finances pour 2021 : un amendement du Gouvernement déposé à l'Assemblée nationale prévoyait une remise en cause des tarifs d'achat pour les installations d'une puissance crête supérieure à 250 kilowatt (kW). Les tarifs d'obligation d'achat fixés en 2006 et 2010 ont été surévalués : ils pouvaient aller jusqu'à 300 euros par mégawattheure (MWh) pour les installations non intégrées au bâti, voire 550 euros par MWh pour les installations intégrées au bâti, contre 138 euros par MWh depuis 2002, avec une indexation sur l'inflation, si bien qu'en 2009, des tarifs dépassaient les 600 euros par MWh, alors que les coûts d'exploitation avaient été divisés par quatre. Le Gouvernement avait voulu donner une incitation financière à la filière, mais sans avoir de vision du coût.
Une révision à la baisse des tarifs a eu lieu en 2010, avec les arrêtés S10 et S10B, mais ils restaient très attractifs. Les demandes de raccordement au réseau ont continué à affluer pour bénéficier du tarif avantageux. En catastrophe, l'État a alors instauré un moratoire, avec le décret du 9 décembre 2010. En 2011, la procédure a été refondue pour que l'État retrouve ses capacités de pilotage de la filière.
Lors de l'examen du projet de loi de finances, le Sénat avait suivi la position de notre commission pour rejeter la disposition à cause du risque associé à cette remise en cause de la parole de l'État et du flou entourant le périmètre des installations concernées. Depuis, l'information a progressé mais de façon incomplète. Nous ne disposons toujours pas d'une visibilité parfaite.
Environ 235 000 contrats ont été signés entre 2006 et 2010, avec un coût de soutien public moyen de 480 euros par MWh. Ces contrats représentent à eux seuls près de 30 % des charges de service public liées aux énergies renouvelables, pour seulement 1 % de l'électricité produite en France et 5 % de la production d'énergies renouvelables. La sur-rentabilité est manifeste et on comprend pourquoi l'État cherche à renégocier les tarifs. Les enjeux sont plus d'ordre micro que macro-économique. Les associations soutenant les énergies renouvelables dénoncent une remise en cause qui introduirait une prime de risque et compliquerait l'accès aux financements bancaires, mais nous n'avons pas trouvé d'exemples corroborant cette analyse. Le marché est tel que les acteurs sont toujours prêts à se lancer.
La situation est différente, en revanche, au niveau micro, celui des exploitations. Mais il faut faire du cas par cas pour distinguer le cas des exploitations agricoles, pour lesquelles l'installation photovoltaïque n'est qu'un élément parmi d'autres de l'exploitation ; le cas des installations construites dans les zones insulaires (les zones non-interconnectées ou ZNI), qui ne sont pas connectées au réseau national ; le cas des contrats qui ont été cédés ; et le cas des contrats repris par des investisseurs étrangers.
Le dispositif finalement adopté concerne les installations d'une puissance installée supérieure à 250 kilowatt-crête (kWc), avec comme principe que la révision des tarifs doit toujours permettre une « rémunération raisonnable des capitaux » ; un examen individuel est prévu pour éviter de compromettre la viabilité économique du détenteur du contrat.
Des textes réglementaires d'application sont attendus : un décret et un arrêté. Le décret précisera la notion de « rémunération raisonnable », les paramètres pris en compte pour déterminer la révision tarifaire, le principe d'un tarif minimal ; il fixera la procédure et son calendrier, ainsi que le faisceau d'indices sur lequel la Commission de régulation de l'énergie (CRE) devra s'appuyer pour examiner les situations individuelles dans le cadre de la clause de sauvegarde. L'arrêté précisera principalement les modalités de calcul du tarif révisé. C'est là que les choses se sont corsées cet été.
Après plusieurs échanges informels, une consultation sur les deux textes a eu lieu du 2 au 28 juin, de même qu'une consultation sur les lignes directrices de la CRE concernant l'application de la procédure de la clause de sauvegarde, entre le 9 et le 21 juillet. Comme je vous l'ai déjà signalé, ce dossier souffre d'impréparation depuis son origine. Celle-ci se poursuit puisqu'il a été constaté que les documents soumis à consultation comportaient des erreurs, du fait notamment de la complexité de la formule de calcul. Les résultats donnaient des baisses moyennes de 55 % et de 95 % pour un quart des exploitations visées, suscitant la fronde de la filière.
Un nouveau projet d'arrêté a été élaboré le 15 juillet et une nouvelle consultation sur les lignes directrices de la CRE pour la clause de sauvegarde a été organisée jusqu'au 8 septembre. Aujourd'hui, les textes d'application ne sont toujours pas publiés. La date d'application des nouveaux tarifs au 1 er octobre, un temps envisagée, est caduque compte tenu du retard pris par la procédure. Le Conseil d'État n'a pas encore émis son avis sur le projet de décret. Selon nos dernières informations, le Gouvernement envisagerait désormais une publication de l'ensemble des textes d'ici le 15 octobre... Le Gouvernement s'y est mal pris. Il aurait fallu que tout soit prêt en amont pour que la mesure puisse être acceptable. Le flou et les erreurs matérielles relevées ont suscité l'inquiétude parmi les acteurs. C'est plus que compréhensible.
On en sait plus sur les enjeux financiers de la disposition : 1 071 contrats sont concernés par le dispositif, pour une puissance de 2020 mégawatt-crête (MWc), dont 80 % en métropole et 20 % en zones non interconnectées (ZNI) et 89 % ont été mises en service après 2010. Cela représente 9,3 milliards d'euros de charges de service public de l'énergie (CSPE) pour les 10 ans à venir.
59 % de ces 1 071 exploitations ne subiraient pas de baisse tarifaire ; finalement seules 400 exploitations seraient concernées par les baisses de tarifs, essentiellement les plus grosses, celles qui ont bénéficié d'effets d'échelle et de la baisse des coûts d'installation, et qui ont été mises en service entre 2011 et 2013, lorsque la baisse des coûts était la plus forte. La CRE estime que la révision tarifaire pourrait réduire le montant de CSPE pour les 10 prochaines années de 3,7 milliards d'euros. La baisse moyenne pour les 400 exploitations concernées serait de 47 %.
Un tarif plancher est prévu par le projet de décret et défini par le projet d'arrêté. Il devra compenser les coûts d'exploitation avec une marge de 10 %. Selon la CRE, 4 % des exploitations seraient concernées, avec des baisses de tarifs de 95 %, passant de 570 euros par MWh à 30 euros par MWh. Il faut donc s'attendre à ce qu'elles activent la clause de sauvegarde et que des contentieux apparaissent. L'État a refusé de prendre en compte les coûts réels dans la détermination du tarif révisé, préférant retenir des hypothèses normatives de coûts, dont certaines sont basées sur des coûts moyens internationaux. Le risque de contentieux est donc élevé. Le modèle est aussi très sensible à la date de mise en service et au lieu d'implantation. La CRE n'aura qu'un an et demi pour examiner les dossiers déposés au titre la clause de sauvegarde et définir un nouveau prix. Au terme d'un délai de seize mois, et même si la CRE n'a pas achevé son instruction, le nouveau tarif s'appliquera. Cela ressemble à une usine à gaz... Si les économies ne sont pas certaines, le coût en ressources humaines, lui, est certain pour gérer le dispositif et étudier les dossiers au cas par cas : sept emplois seront créés à la CRE et trois à la direction générale de l'énergie, soit un coût budgétaire de 5 millions d'euros en année pleine pour la gestion administrative du dispositif.
Il aurait donc sans doute été plus judicieux de prendre son temps, de connaître précisément la nature des producteurs concernés - nul ne connaît le nombre de contrats détenus par de gros acteurs du secteur : on allègue le secret des affaires, alors qu'il suffit d'utiliser les données réelles qui figurent dans les comptes des sociétés. On aurait aussi pu demander aux 400 exploitations concernées de fournir leurs données, avec des sanctions élevées en cas de fausse déclaration, et de procéder à un contrôle aléatoire. La procédure aurait donc pu être plus simple et plus proche de la situation réelle de chaque exploitation, mais on a simplement voulu aller vite...
M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis des crédits de la mission « Énergie, climat et après-mines » pour la commission des affaires économiques. - Je partage l'avis de votre rapporteur spécial. On a voulu remettre en cause les contrats signés, mais sans avoir une connaissance précise des exploitants concernés : est-ce des multinationales, des entreprises françaises, des exploitants agricoles, etc. ? C'est incroyable. Il faut faire la distinction entre ceux qui sont intervenus en pionniers pour développer le photovoltaïque, et ceux qui sont intervenus après et ont bénéficié d'une baisse des coûts. Enfin, je crains que les contentieux ne s'accumulent, avec le risque que le gain de 3,7 milliards d'euros escompté soit réduit.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Le Sénat vient d'adopter une proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Les rapports que nous examinons ce matin montrent bien que ce n'est pas tant d'un printemps de l'évaluation dont nos assemblées ont besoin, que d'un travail de contrôle comme nous en menons au Sénat : voilà deux dossiers où l'on découvre des abîmes de complexité, de méconnaissance, de désorganisation, des dérives des coûts, etc. Le Gouvernement, en voulant remettre en cause une partie des contrats, ouvre une boîte de Pandore. Mais le plus grave c'est qu'une telle mesure soit prise sans que l'on ait une vision consolidée du dispositif. Cela fait froid dans le dos ! Voilà qui illustre toute la pertinence du contrôle parlementaire.
M. Victorin Lurel . - Merci pour ce rapport complet et synthétique. J'ai l'impression que l'on a peu évolué depuis la discussion sur le projet de loi de finances : à l'époque, on évoquait un chiffre de 1 047 entreprises concernées ; il serait aujourd'hui de 1 071. Les économies envisagées s'élevaient entre 2 et 3 milliards d'euros ; elles sont aujourd'hui estimées à 3,7 milliards. Je crois que les contentieux seront nombreux comme en Italie ou en Espagne, car la procédure remet en cause quelques principes, notamment l'article 2 du code civil. Des contrats de plus de 10 ans sont susceptibles d'être modifiés. Nul ne peut être favorable à la rente. Je peux donc comprendre la démarche, sans approuver la méthode, très opaque. Le texte du Gouvernement était dépourvu d'étude d'impact. Ce sont toujours les mêmes approximations, les mêmes usines à gaz. Plutôt que d'analyser la comptabilité des entreprises, on va appliquer des normes et des standards pour décider si tel projet est « sur-rentable » ou non. Ce rapport vient donc à point nommé.
À l'époque, j'avais pointé l'asymétrie ente l'Hexagone et les outre-mer. Il faut donc rester vigilant et voir quelle position nous adopterons : en commission et en séance, nous avions rejeté l'article 225, lequel avait été réintroduit par l'Assemblée nationale, avec une clause de sauvegarde et une possibilité de rappel et de contentieux.
M. Vincent Segouin . - Issu du monde de l'entreprise, je déplore que l'État se soit engagé à payer 60 centimes d'euro le kilowattheure, alors qu'EDF le revendait au consommateur 12 centimes. À cette époque, l'État s'engageait sur des contrats de vingt ans, sans révision possible du tarif. Personne ne s'est dit que cela posait un problème ?
Ce tarif a été révisé dans la dernière loi de finances, sans que le contrat soit honoré. Or le même gouvernement s'offusque que l'Australie ne respecte pas ses contrats. Comment peut-il se le permettre, alors que lui-même ne respecte pas les contrats qu'il a passés ?
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Félicitations à Mme le rapporteur spécial pour son travail, très intéressant. Comme l'a dit Vincent Segouin, l'État fait preuve d'impéritie. Au tout début de cette période, il était même possible de défiscaliser son ISF-PME en investissant dans une installation photovoltaïque. Donc on a fait payer par l'impôt notre déficit commercial et l'importation de panneaux chinois. On refait toujours les mêmes erreurs.
Comment peut-on signer un contrat sur vingt ans sans prévoir des clauses de révision des prix et des indices, qui sont basés sur les coûts du génie civil, sur les évolutions technologiques des matériaux ?
Qui a profité de ces effets d'aubaine ? Qui a racheté ces contrats ? Cette erreur remonte à 2006. Notre rôle, en tant que parlementaires, est de mener ces investigations. Mais les conventions tenant lieu de loi entre ceux qui les ont faites, l'État doit respecter sa signature. Nous verrons si des aménagements sont possibles. Je les appelle de mes voeux s'agissant des agriculteurs à travers la clause de sauvegarde, eux qui, de bonne foi, ont essayé de trouver des modèles économiques complémentaires à leur activité, déficitaire. En revanche, dans le monde de la finance, ils sont nombreux à avoir profité de ces contrats, y compris de grands groupes.
Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial . - Monsieur Lurel, vous avez raison. Il existe des précédents en matière de renégociation des contrats, mais la France n'en a tiré aucune analyse avant d'adopter cette nouvelle disposition. Et vous avez cité fort justement les cas de l'Italie et de l'Espagne. Ce sujet reviendra indirectement dans le prochain projet loi de finances quand il faudra abonder les crédits de fonctionnement de la Commission de régulation de l'énergie et de la direction générale de l'énergie et du climat, mais sans qu'il soit possible de revenir sur l'article de la loi de finances adopté l'année dernière.
Les uns et les autres, vous remettez en cause la manière dont la France a construit sa politique de soutien aux énergies renouvelables. Les précurseurs ont pris des risques, lesquels ont été compensés par un contrat signé pour vingt ans.
La loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc) prévoit un dispositif de renégociation des contrats qui ne sont pas encore effectifs. Cela concerne l'éolien en mer. Si la différence entre le prix d'achat de l'électricité produite par les installations photovoltaïques et le prix de vente par EDF au consommateur était énorme, elle l'est encore plus pour les installations qui ont été retenues à l'issue du premier appel d'offres pour l'éolien en mer. Avant même que ces parcs ne soient mis en service, une clause de renégociation a donc été introduite dans la loi Essoc.
Dans ce domaine, les innovations sont nombreuses, entraînant une baisse importante des coûts. Il faut donc prévoir des mécanismes de révision des contrats. L'État a quand même tenu compte des errements du passé dans la période post-moratoire, puisque désormais les tarifs photovoltaïques sont révisés trimestriellement pour une meilleure régulation des implantations, selon un mécanisme complexe. Les appels d'offres ont intégré le bilan carbone des panneaux justement pour essayer de développer une filière industrielle française de cellules photovoltaïques.
Aujourd'hui, on mesure les conséquences de cette période d'emballement. C'est facile de le dire a posteriori , mais peut-être aurait-il fallu que le moratoire intervienne avant 2011. Surtout, l'État devrait tenir compte de ce qu'on a observé avec la filière photovoltaïque pour ne pas reproduire les mêmes erreurs dans le développement d'autres filières. Je pense à la filière méthanisation, qui sera confrontée aux mêmes problèmes si l'on ne fait rien. Nos finances publiques sont déjà dans un état désastreux.
La commission autorise la publication de la communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sous la forme d'un rapport d'information.