II. UN SYSTÈME QUI NE PERMET PAS AUJOURD'HUI AUX CITOYENS EUROPÉENS DE FAIRE CORRECTEMENT ENTENDRE LEUR VOIX
Un constat s'impose : la proportion de citoyens européens qui considèrent que leur voix est prise en compte dans l'Union européenne ne dépasse pas 45 %, après avoir atteint un pic inédit de 55 %, lors des élections européennes de 2019. L'opinion des Français suit à peu près la même courbe et, en 2020, seuls 41 % d'entre eux partageaient cet avis.
« Ma voix compte dans l'Union
européenne »
(réponse de l'ensemble des citoyens
de l'Union)
(en pourcentage des réponses)
Source : Commission des affaires européennes du Sénat à partir de l'eurobaromètre 94.2 de février 2021
De même, en 2018, seulement 56 % des Français considéraient que le qualificatif « démocratique » décrivait bien l'Union européenne.
A. DES ÉLECTIONS « DE SECONDE ZONE » ?
À bien des égards, les élections européennes peuvent apparaître comme des « élections de seconde zone », selon la formule de Karlheinz Reif et Hermann Schmitt22(*). Cette caractéristique se reflète ainsi dans le choix des partis politiques nationaux d'affecter à cette élection des budgets sensiblement moins importants que pour les élections nationales (inférieurs de 50 % à 80 %)23(*).
Elle s'illustre surtout dans les taux de participation, dans les effets limités que le résultat de ces élections a sur la nomination du personnel politique européen et dans la place des débats nationaux lors de la campagne, au détriment des préoccupations européennes.
1. Un taux de participation bas et inférieur à celui des élections nationales
Le taux de participation aux élections européennes et traditionnellement assez bas. S'élevant à 62 % en 1979, ce taux a ensuite diminué autour de 50 % à la fin du siècle dernier, avant d'atteindre son niveau le plus bas en 2014 (42,6 %) et de remonter (50,7 %) en 2019.
Les chiffres français sont très proches, mais systématiquement inférieurs. Le graphique ci-dessous dévoile les grandes disparités qui se cachent derrière cette moyenne, le taux maximum étant atteint en Belgique (où le vote est obligatoire) avec 89 % et le taux le plus bas en Slovaquie, avec 22,7 %. La Croatie, dernier État ayant rejoint l'Union, connaît un taux de participation d'à peine 29,9 %, toutefois meilleur que les 25,2 % de 2014. Sept États membres ont un taux de participation inférieur à celui du Royaume-Uni, qui a quitté l'Union quelques mois plus tard.
Taux de participation aux élections européennes de 2019
Source : Commission des affaires européennes du Sénat à partir des données du Parlement européen
N.B. Le vote est obligatoire en Belgique, en Bulgarie, au Luxembourg, à Chypre et en Grèce.
De plus, ces taux de participation sont assez systématiquement inférieurs à ceux des élections législatives nationales, faisant des élections européennes « des élections de seconde zone ». Le graphique ci-dessous détaille cela pour la France. À l'exception de leur dernière occurrence (respectivement 2019 et 2017), les élections européennes attirent toujours moins d'électeurs que les élections législatives (premier tour). Cet écart se situe entre 10 et 20 points ; il serait plus important encore si l'on prenait en considération le second tour. La participation aux élections européennes est cependant supérieure par rapport aux élections locales : 34,7 % au second tour des dernières élections régionales.
Taux de participation aux élections
européennes
et aux élections législatives en
France
Source : Commission des affaires européennes du Sénat à partir des données du Parlement européen et du ministère de l'Intérieur
2. Un effet limité sur le choix des dirigeants et les politiques publiques menées
Comme on l'a vu précédemment, les élections européennes n'ont pas un effet aussi direct et visible sur le fonctionnement de l'Union européenne que peuvent l'avoir des élections législatives nationales, dans un système parlementaire.
Si l'électeur national sait - la plupart du temps - en glissant son bulletin dans l'urne à quel parti ou quelle coalition il confie le pouvoir, la lecture du jeu politique européen est plus complexe. La Commission européenne est investie par le Parlement européen, mais sa composition politique est plus dépendante de celle du Conseil européen que de celle du Parlement. De même, le Conseil européen adopte un agenda stratégique qui dans les faits détermine une grande partie du programme de travail de la Commission. Enfin, la majorité - si l'on peut employer l'expression - du Parlement européen est si large (quatre groupes au moins dans la mandature actuelle), si transpartisane et si stable dans le temps qu'il est difficile pour l'électeur d'avoir le sentiment d'envoyer un message clair. Enfin, la difficulté à déterminer individuellement les responsables d'une décision de l'Union européenne rend difficile la possibilité de sanctionner un Parlement sortant dont on désapprouverait l'action.
3. La prédominance des enjeux nationaux
À défaut d'enjeux européens clairs, ces élections ont tendance à se transformer en 27 élections nationales, sur des enjeux nationaux. Les programmes présentés par les partis nationaux ne reprennent pas forcément les manifestes des partis européens, ce qui empêche d'avoir des propositions proprement européennes. De même, la couverture médiatique privilégie une lecture politique nationale du scrutin. L'enjeu des élections européennes de 2019 s'est ainsi focalisé, dans les médias français, sur qui d'Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen arriverait en tête24(*)... aucune de ces personnalités n'étant au demeurant candidate aux élections européennes.
Quand on demande aux Européens les raisons qui ont justifié leur vote aux élections européennes (trois réponses maximum), ils considèrent certes à 18 % qu'ils « peuvent changer les choses en votant aux élections européennes » ou à 8 % qu'ils veulent « influencer le choix du Président de la Commission européenne ». Mais les questions purement nationales demeurent prégnantes : 22 % souhaitent « soutenir le parti politique dont ils se sentent proche », 11 % soutenir leur Gouvernement national et 9 % sanctionner leur Gouvernement national.
Le graphique ci-dessous montre bien qu'à quelques exceptions près (Belgique, Suède, Luxembourg), les thèmes strictement européens ne représentent qu'autour d'un tiers des sujets de la campagne des élections européennes et qu'ils sont même, dans certains États membres, quasiment absents : dans plus d'un tiers des États membres, ils représentent moins de 10 % des thèmes de la campagne.
Horizon des messages de la campagne des élections européennes de 2019
(en pourcentage du nombre de messages total)
Source : Étude « Europeanising European Public Spheres » précitée
* 22 Karlheinz Reif et Hermann Schmitt, « Nine Second-Order National Elections - A Conceptual Framework for the Analysis of European Election Results », in European Journal of Political Research, mars 1980.
* 23 Laura Sudulich, Matthew Wall et David Farrell, « Why bother campaigning? Campaign effectiveness in the 2009 European Parliament Elections », in Electoral Studies, Vol. 32, No 4, 2013.
* 24 Voir par exemple « Aux européennes, Macron et Le Pen veulent rejouer le duel de 2017 », in Le Monde du 29 mars 2019.