LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
1. Auditions en commission
Mercredi 17 mars 2021
Mme Florence PARLY , ministre des armées.
Mercredi 7 avril 2021
M. Joël BARRE , Délégué général pour l'armement.
Mardi 8 juin 2021
Général François LECOINTRE , Chef d'état-major des armées.
2. Auditions des rapporteurs pour avis
Les rapporteurs pour avis ont procédé à 15 auditions entre le 11 mars et le 9 juin 2021.
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE MME FLORENCE PARLY, MINISTRE DES ARMÉES (17 MARS 2021)
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .
M. Christian Cambon, président. - Madame la Ministre, il y a quelques semaines, vous nous avez proposé de venir nous présenter l'actualisation de la Revue stratégique. Nous vous en sommes reconnaissants, la Revue stratégique étant le fondement théorique de l'actuelle loi de programmation militaire (LPM).
Nous avons quelques regrets néanmoins : le Parlement n'a pas été associé à cet exercice, contrairement à ce qui s'est fait dans le passé. On est passé d'un Livre blanc en 2008 et en 2013 à une Revue stratégique en 2017, et, enfin, on nous soumet un exercice interne à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) en 2020. Cela pose un problème de méthode.
La Revue stratégique présente les menaces dirigées contre notre sécurité, mais il convient d'aller plus loin sur un certain nombre de points. Il est très utile que vous soyez avec nous pour en parler.
Parmi les points de préoccupation figure la Turquie. Le positionnement de ce pays devrait être analysé plus directement, notamment les conséquences de ses agissements pour la cohésion de l'OTAN et ce à quoi il faut se préparer. Nous sommes un certain nombre de collègues à siéger à l'AP-OTAN et on voit bien les tiraillements, les difficultés qu'il peut y avoir avec nos collègues turcs sur certains sujets. Même s'il y a, semble-t-il, un apaisement provisoire et des contacts de haut niveau depuis la semaine passée, rien n'est réglé sur le fond. Que pensez-vous de l'évolution de la relation franco-turque ?
La Russie est présentée comme une menace, mais on ne perçoit pas le projet de tenter de maintenir un dialogue, que le Sénat s'efforce pour sa part de préserver, notamment à travers les deux rapports de notre commission. Nous ne sommes pas dupes, mais nous considérons qu'aucune crise à l'heure actuelle ne peut être réglée sans ce pays. C'est pourquoi il nous apparaît nécessaire, conformément aux engagements du Président de la République au lendemain des entretiens de Brégançon, qu'un dialogue soit maintenu avec lui. Nous vous remercions de faire le point sur l'actualité de cette relation, dont nous mesurons la difficulté, notamment du fait de la situation de l'opposant dont le monde entier a parlé.
L'optimisme européen, qui était déjà un point central de la LPM en 2018, nous apparaît de plus en plus en décalage avec la réalité.
Au cours de trois auditions que nous avons récemment effectuées, nous avons discuté de la coopération franco-allemande dans le domaine capacitaire. Nous avons reçu la semaine dernière le Président-Directeur général de Dassault, nous nous sommes entretenus ce matin avec le directeur de la stratégie, des fusions-acquisitions et des affaires publiques d'Airbus et le président exécutif (CEO) d'Airbus Defence and Space. Nous entendrons prochainement le Délégué général pour l'armement. Nombre de difficultés méritent encore d'être étudiées, d'autant plus que l'on ignore comment la situation va se stabiliser en Allemagne à l'issue des prochaines élections. Les résultats des élections de dimanche dernier laissent planer l'incertitude sur les résultats des élections générales prochaines.
S'agissant de notre coopération dans le domaine capacitaire, la situation nous interpelle. Quelle explication donnez-vous à l'accumulation des difficultés : sur le SCAF, bien sûr, mais encore sur le MGCS, le Tigre Mark III ; l'Eurodrone MALE, le programme MAWS... On en vient à se demander si le pari allemand du Président de la République, que nous avons soutenu, n'est pas en passe d'être perdu et si, comme cela est suggéré dans une tribune parue aujourd'hui dans Le Figaro, les Allemands sont véritablement demandeurs de cette coopération européenne. Ne préfèreraient-ils pas plutôt une assurance américaine ?
Ces exemples montrent précisément que la situation stratégique a considérablement évolué en quatre ans.
Cela étant, là n'est pas le fond du sujet. L'essentiel, c'est la loi de programmation militaire.
Lorsque nous avons débattu de la LPM, je vous avais dit, Madame la Ministre : « aidez-nous à vous aider ». Or le Gouvernement a refusé la loi d'actualisation qui était inscrite dans le texte que nous avons voté - à 95 % je le rappelle - en 2018. Ce n'est pas vous qui êtes en cause, car je crois savoir que, à titre personnel, vous aviez plaidé pour une loi. Dans la situation actuelle, Bercy pourrait être tenté de revoir des engagements sur lesquels le Président de la République s'est pourtant constamment prononcé.
Le Parlement se sent mis à l'écart, alors que nous aimerions pouvoir vous aider. Je tiens d'ailleurs à vous rendre hommage, car les engagements budgétaires ont été tenus à l'euro près au cours des trois derniers exercices budgétaires. Nous savons toutefois que les dernières marches seront plus hautes et l'escalier plus raide. Au-delà de 2022, c'est une augmentation de près de 3 milliards par an qui est prévue !
Nous avons donc considéré qu'il était indispensable de lancer une mission d'information sur l'actualisation de la LPM. À cette fin, nous vous avons adressé un questionnaire détaillé. Vous venez de nous remettre des réponses ; nous espérons qu'elles seront davantage à la hauteur de nos attentes que les premières qui nous avaient été adressées. Nos rapporteurs reviendront sur ce sujet.
Madame la Ministre, alors que vous travaillez sur les arbitrages de la programmation militaire, dans le cadre de l'ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM), nous attendons de la clarté et de la transparence. La commission n'a nullement la volonté de mettre le Gouvernement en difficulté. L'actualisation de la LMP nous semble nécessaire compte tenu de l'évolution des menaces, de l'apparition de nouvelles priorités et des conséquences de la pandémie sur les finances publiques, mais nous souhaitons disposer d'éléments à cet égard afin que le Parlement puisse remplir sa mission d'évaluation et de contrôle.
Je vous propose donc de faire le point sur l'actualisation de la Revue stratégique et d'engager le dialogue sur celle de la LPM. Dialogue qui a été souhaité par le Président de la République, qui, lors de ses voeux aux armées à Brest, a précisément dit qu'il souhaitait que cette actualisation se fasse en liaison avec le Parlement.
Mme Florence Parly, ministre des armées. - Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui pour dresser le panorama de notre environnement stratégique. Comme vous le savez, lors de son élection, le Président de la République avait souhaité procéder à une actualisation du Livre blanc - c'était la revue stratégique de 2017 -, avec un objectif : effectuer une analyse fine et complète de la situation stratégique internationale pour en tirer les conséquences pour notre défense.
Face à un monde totalement bouleversé par la crise sanitaire, il nous a semblé indispensable de procéder à une nouvelle analyse des menaces. La pandémie a été particulièrement révélatrice de l'incertitude et de l'imprévisibilité de l'environnement dans lequel nous évoluons. Le travail d'actualisation qui a été conduit a mis en lumière la persistance des menaces que nous avions identifiées en 2017. Dans certains domaines, on constate un renforcement, voire une accélération de ces menaces. Je pense en particulier au délitement de l'ordre international, à l'effritement du multilatéralisme, qui se traduisent par un repli sur soi dangereux et par l'affirmation de logiques de puissance.
La première menace à laquelle nous sommes confrontés et contre laquelle nous devons lutter, c'est le terrorisme. Sur le territoire national comme à l'étranger, il menace la sécurité des Français, ainsi que nos intérêts nationaux. Nous le combattons au Levant, au Sahel, ainsi que sur notre propre sol. Nous sommes militairement engagés pour empêcher que ne s'implante un arc djihadiste du golfe de Guinée jusqu'au théâtre irako-syrien, qui serait en mesure de projeter des attentats jusque sur notre territoire national.
La déstabilisation du monde que nous vivons est aussi due à l'émergence de nouveaux espaces de confrontation - le cyberespace et la maîtrise de l'information, les fonds sous-marins, l'espace exo-atmosphérique -, devenus indispensables à la conduite de nos opérations et où certaines puissances réalisent déjà des manoeuvres stratégiques. Nos compétiteurs y développent des stratégies hybrides qui s'inscrivent sous l'ombre portée de leurs forces conventionnelles, voire nucléaires, ce qui renforce l'ambiguïté de ces menaces et brouille les lignes entre guerre, crise et paix.
Ainsi, la Russie applique ce mode d'action hybride en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Ces activités opaques nous obligent à accroître nos capacités de renseignement pour les déceler, les caractériser et les attribuer et nous conduisent à renouveler nos postures pour prendre en compte ces évolutions du jeu international.
Près de nous, sur les flancs nord et est de l'Europe, la Russie développe depuis plusieurs années une stratégie de défiance afin de maîtriser son environnement proche. Ses démonstrations de force se multiplient à mesure que ses capacités militaires se renouvellent. La Russie s'est par ailleurs imposée comme l'un de nos principaux compétiteurs stratégiques au sud de la Méditerranée, au Levant et en Afrique, où elle cherche à sécuriser ses implantations et où elle n'hésite pas à contester notre action, ainsi que le modèle français, en s'appuyant sur des acteurs non étatiques et sur des manoeuvres de désinformation.
Parmi ces compétiteurs stratégiques au sud de la méditerranée, on compte, et vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, la Turquie qui a également été ces derniers mois un acteur déstabilisant et perturbateur. Elle a mené une politique extérieure offensive et agressive, notamment par l'organisation de campagnes de prospection gazière en Méditerranée orientale, escortées par de nombreux navires de guerre. Elle cherche à s'imposer par la force et par le fait accompli, en violant l'embargo sur les armes en Libye ou en s'immisçant dans le conflit au Haut-Karabakh, où elle a apporté un appui décisif à l'Azerbaïdjan, face à l'Arménie.
Enfin, la Chine avance ses pions partout où elle le peut dans le monde, son objectif étant de se hisser au rang de première puissance mondiale d'ici 2049. Sur les routes de la soie, dans la région indo-pacifique, en Afrique, en Arctique et jusque dans nos territoires outre-mer, elle investit massivement et étend sa présence. Elle n'hésite plus à imposer son propre système de valeurs et à bafouer les règles internationales, notamment celles de la libre-circulation dans les airs et sur les mers. Depuis le 1er février, une loi autorise les garde-côtes chinois à employer des armes en vue de contraindre les navires étrangers à quitter les eaux revendiquées par la Chine. Dans le détroit de Formose, les avions chinois réalisent régulièrement des incursions dans l'espace aérien, qui est contrôlé par Taïwan.
Toutes ces stratégies de puissance s'appuient sur des dynamiques de réarmement, et ce malgré la pandémie. On estime ainsi que les budgets de défense ont atteint en 2020 dans le monde 1 830 milliards de dollars, soit une progression de 3,9 % par rapport à 2019. C'est d'autant plus impressionnant qu'en 2019 le montant total des budgets de la défense à l'échelle mondiale avait déjà augmenté de 4 %, ce qui était considéré à l'époque comme la plus forte progression de toute la décennie.
Ces augmentations sont naturellement tirées par la rivalité entre la Chine et les États-Unis, dont les budgets de défense ont respectivement augmenté de 5,2 % et de 6,3 %. Les États-Unis représentent à eux seuls 40,3 % des dépenses mondiales, avec 738 milliards de dollars, et la Chine 10,6 %, avec 208 milliards de dollars.
Il y a évidemment de la part de la Chine une volonté très forte de remettre en cause la puissance des États-Unis. Des concurrences se développent dans tous les secteurs, du domaine commercial au domaine militaire. La Chine est ainsi devenue au troisième trimestre 2020 le premier partenaire commercial de l'Union européenne, doublant pour la première fois les États-Unis, ce qui est la conséquence directe de l'épidémie de covid-19. Nos importations en provenance de Chine ont augmenté de 4,5 % par rapport à 2019, notamment dans les domaines médicaux et électroniques. Nous devons absolument réduire notre dépendance à l'égard de la Chine, en particulier dans les domaines critiques. À titre d'exemple, nous sommes dépendants en minerais critiques et en terres rares, indispensables à la fabrication de nos matériels de défense, du Rafale aux drones, en passant par les équipements de télécommunications et les batteries mobiles de nos soldats.
Cet enjeu d'accès aux ressources constitue un sujet très important pour nos armées. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu qu'il soit au coeur de notre stratégie énergétique de défense. Malgré ses efforts pour développer le recyclage et l'éco-conception, l'Union européenne importe entre 75 % et 100 % des matières premières dont elle a besoin, comme le cobalt, le nickel, le lithium ou le graphite naturel, qui sont utilisés pour la fabrication des batteries électriques.
Nous ne devons pas regarder ce contexte, certes stratégique et très sombre, avec fatalité, car nous avons les moyens d'agir. Nos forces armées sont très performantes, très entraînées et se perfectionnent chaque jour pour rester à la pointe des combats qui émergent. Nous avons ainsi réalisé un exercice spatial la semaine dernière, AsterX, auquel a assisté le Président de la République vendredi dernier, et qui est le tout premier exercice spatial au cours duquel nous avons simulé une attaque de nos satellites.
Il est un autre exercice dont je voudrais vous révéler maintenant les grandes lignes. Les forces armées françaises ont également effectué le 13 mars dernier un exercice inédit de contre-terrorisme en Méditerranée, au large de la Crète, et simulé une prise d'otages par des terroristes sur un navire commercial ainsi transformé en base de tir sur l'eau. Toute la palette du haut du spectre de nos moyens terrestres, navals et aériens a été mobilisée. En seulement quelques heures, des commandos de la marine ont été projetés par avion sur zone avec une embarcation légère d'assaut ; des Rafales et des hélicoptères Caracal ont décollé de France pour rejoindre le navire sous le contrôle des terroristes à 2 000 kilomètres de nos bases et se sont engagés directement dans sa libération. Cette manoeuvre a mobilisé 450 militaires, des soldats de l'armée de terre, des aviateurs, des bâtiments de la marine qui opèrent régulièrement dans cette zone, ainsi que d'importants moyens de commandement et de contrôle. L'assaut a été bref, grâce à la très forte réactivité de nos forces et à la capacité de projection de nos armées. Avec cet exercice, nous portons un message : sous la vigilance française et européenne, la Méditerranée ne sera jamais un espace de non-droit.
J'attire votre attention sur le fait que seules trois nations dans le monde sont capables de conduire une telle opération. La France est l'une d'elles. Elle a la volonté de participer à la préservation de la sécurité et de la stabilité du bassin méditerranéen, aux côtés de ses alliés. En projetant à longue distance ses moyens d'intervention et en mettant en oeuvre son savoir-faire exceptionnel, la France montre qu'elle a les moyens de se défendre avec ses alliés. Oui, nous en avons les moyens, mais nous devons le faire ensemble : c'est essentiel pour ne pas subir de déclassement stratégique. Le renforcement de l'autonomie stratégique européenne est la solution pour faire face à ces nombreux défis, en bonne intelligence avec l'OTAN, évidemment, car une Alliance atlantique forte suppose une Europe forte.
Cette Europe forte, c'est d'abord une Europe de terrain. La force Takuba que nous opérationnalisons en ce moment au Sahel est une grande réussite de ce point de vue. De nombreux militaires issus des forces spéciales de différents pays européens combattent quotidiennement côte à côte contre le terrorisme. J'aurai l'occasion de m'entretenir prochainement à ce sujet avec mes homologues suédois, tchèques, estoniens et italiens, ainsi qu'avec des représentants d'autres pays qui réfléchissent à nous rejoindre.
L'engagement des Européens au Sahel va évidemment bien au-delà de Takuba. Ils sont très nombreux au sein de l'opération Barkhane, ainsi que dans les missions de l'Union européenne et des Nations unies. De plus en plus d'Européens s'engagent pour lutter contre l'expansion de ces mouvements terroristes, qui menacent directement le territoire européen. C'est une excellente nouvelle que l'Europe ose s'élever pour défendre ses intérêts, son territoire et ses citoyens.
Cette dynamique européenne, nous la forgeons tous les jours davantage grâce à l'initiative européenne d'intervention. La présence maritime coordonnée qui sera prochainement expérimentée dans le Golfe de Guinée, où la piraterie reste malheureusement prégnante et qui fait l'objet d'un pillage de ses ressources, procède exactement de la même logique. Elle permettra de renforcer notre culture d'engagement en commun tout en défendant le principe fondamental de liberté de circulation sur les mers.
Une Europe forte, c'est aussi une Europe industrielle et innovante. À cet égard, le renforcement de notre interopérabilité se fera par le développement de capacités communes et par la réduction de notre dépendance technologique et industrielle. Aujourd'hui, nous devons mener à bien les projets capacitaires en cours avec l'Allemagne, vous l'avez rappelé. Je pense bien entendu au SCAF, au MGCS, mais également au Tigre avec l'Espagne et à l'Eurodrone avec l'Italie.
Concernant le SCAF, ma collègue Annegret Kramp-Karrenbauer et moi avons demandé aux industriels de poursuivre leurs discussions pour aboutir à un accord concernant le démonstrateur de l'avion. C'est une phase essentielle, qui doit absolument tenir compte des grands principes que nous avions actés en 2017 : l'identification de responsables pour chaque chantier du programme et le principe du meilleur athlète. On ne peut pas transiger sur ce principe pour nos militaires, pour les jeunes ingénieurs ou techniciens qui s'engageront dans ce projet, mais aussi pour nos concitoyens. Nous devons être absolument certains que c'est bien la performance qui guide notre choix quand il s'agit de notre défense et que nos militaires seront équipés du meilleur armement possible.
Une Europe forte, c'est également une Europe stratège, capable de nouer des partenariats forts, qui lui permettront d'affirmer sa place sur la scène internationale. C'est enfin une Europe solidaire et résiliente, capable de mieux se défendre face aux tentatives extérieures de division ou d'affaiblissement.
Pour construire cette Europe forte, nous avons évidemment besoin d'être plus forts à l'échelon national. Cela implique de poursuivre les efforts de remontée en puissance de nos armées que nous mettons en oeuvre depuis plus de trois ans maintenant. Je pense que nous pouvons avoir collectivement la satisfaction de dire que nous sommes sur la bonne voie. Le strict respect de la loi de programmation militaire en est la preuve. En 2020, les investissements d'équipements de défense se sont élevés à 28,1 milliards d'euros. On estime qu'un chiffre d'affaires d'un million d'euros dans le domaine de la défense génère entre sept et huit emplois, sans compter ceux qui sont créés dans les domaines du bâtiment, des travaux publics et des infrastructures. Ainsi l'évolution de la ressource budgétaire prévue en LPM conduirait à la création d'environ 25 000 emplois directs supplémentaires d'ici à 2022 et jusqu'à 70 000 à l'horizon 2025.
Il faut bien comprendre que ces dépenses profitent à tous. Une industrie de défense performante, ce sont des emplois pour les Français et des armées plus fortes. Des armées fortes, ce sont des Français protégés, et ce en toutes circonstances. Nous pourrons peut-être évoquer, en réponse à vos questions, notre récente participation aux opérations coups de poing en termes de vaccination qui ont été menées en France ou bien le soutien particulier que nous apportons aux outre-mer pour faire face à la crise sanitaire.
Dans cet environnement stratégique dégradé, la vitalité, la force et l'agilité de nos armées seront essentielles pour garantir la sécurité et la protection de nos intérêts, de la France et des Français.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions et compléter, le cas échéant, certains points.
M. Cédric Perrin. - Madame la ministre, nous avons examiné les réponses qui ont été adressées au questionnaire des rapporteurs « Défense » de la commission. Je dois vous dire que je ne comprends pas le choix qui est fait. Pour faire simple, un tiers des questions ont reçu une réponse, un tiers une réponse partielle et un tiers des réponses qui n'en sont pas. Certaines informations ont été prises dans le bleu budgétaire, parfois les réponses ne sont même pas au niveau d'information figurant dans les documents budgétaires.
Le Président Cambon l'a dit, le Sénat a voté la LPM à 95 %. Dès lors, pourquoi avoir fait le choix de nous tenir à l'écart ?
À aucun moment la décision de ne pas faire la loi d'actualisation qui était prévue dans la LPM n'a été annoncée, encore moins expliquée. En décembre encore, au moment du budget, vous nous disiez que la décision n'était pas prise. Dès la fin de l'été pourtant, de premiers signes laissaient présager du contraire.
Pendant que la direction générale de l'armement (DGA) et les armées devaient travailler, à la fin de 2020, à actualiser la LPM sous le radar, c'est-à-dire hors de la vue du Parlement, on nous laissait encore envisager qu'une loi interviendrait peut-être.
Aujourd'hui, vous êtes engagée dans l'A2PM : quels en sont les enjeux principaux ? Pourquoi ne pas avoir choisi la transparence à l'égard du Parlement, avec le Sénat, qui vous a toujours soutenue depuis votre prise de fonctions ? Pourquoi ne pas nous avoir dit, à la fin de 2020, que vous aviez demandé une loi d'actualisation, mais que vous n'aviez pas obtenu satisfaction, et que vous alliez procéder à une actualisation non législative, en nous présentant les enjeux et les priorités retenues ? En tant qu'élus, nous aurions parfaitement compris ce discours de réalité. Au lieu de cela, vous avez fait le choix de ne pas communiquer, de ne pas nous donner d'informations et malheureusement, les réponses au questionnaire qui vous a été adressé semblent aller dans le même sens. Il semblerait que quelques réponses supplémentaires soient arrivées ce soir, nous espérons qu'elles correspondront à nos attentes.
Madame la ministre, vous êtes pleinement engagée dans votre mission et nous avons toujours salué votre mobilisation et vos efforts pour nos armées et notre défense, mais vous comprenez bien que nous aussi devons remplir notre mission constitutionnelle. Cela passe notamment par le recueil et l'analyse des informations, par la vigilance sur la trajectoire de la LPM. Je tenais à vous faire part de notre incompréhension, mais aussi de notre mobilisation pour la suite du travail sur l'actualisation de la LPM et sur l'A2PM.
Enfin, j'ai deux questions. Ma première porte sur les droits de propriété intellectuelle du chasseur de nouvelle génération (NGF), notamment sur le background que les Allemands et les Espagnols exigent aujourd'hui. Que comptez-vous faire pour protéger le savoir-faire français ? Quelles assurances avez-vous que les missions nucléaire et aéronavale seront prise en compte face au refus assez systématique de l'Allemagne et de l'Espagne ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Madame la ministre, vous avez parlé d'une Europe et d'une France fortes avec les meilleurs équipements, je vais donc vous interroger sur le programme 146. Il existe des besoins nouveaux, qui devront bien sûr être financés à enveloppe constante. Comment financer ces besoins, sans ralentir d'autres programmes ? C'est mathématiquement compliqué voire impossible. C'est pourquoi nous nous interrogeons sur les arbitrages réalisés ou à réaliser.
Certains grands projets, financièrement très lourds, seront probablement sanctuarisés, je parle du renouvellement de la dissuasion nucléaire qui doit intervenir après 2023, le SCAF, nous en parlons beaucoup en ce moment, le porte-avions de nouvelle génération qui a été annoncé par le Président de la République. Nous craignons des effets de ponction sinon d'éviction sur d'autres programmes. D'autant que l'apparition de nouvelles menaces génère des besoins capacitaires dans le domaine spatial et cyber, ou encore dans le domaine de la lutte anti-drones. Nous avons 12 nouveaux Rafale qui ont été commandés récemment pour compenser les effets de l'export grec. S'agissant de l'armée de terre, le traitement des obsolescences du char Leclerc sera coûteux, mais indispensable si l'on veut être prêt pour la haute intensité. Pour réaliser l'ambition 2030, cette remise à niveau devra se faire sans effet d'éviction sur d'autres aspects du programme Scorpion.
Hors programme à effet majeur, les opérations à hauteur d'homme doivent aussi bien sûr être préservées. Les évolutions de la programmation sont naturelles dans un contexte stratégique fluctuant s'agissant de programmes industriels lourds et technologiquement complexes, mais ce dont nous avons besoin, Madame la Ministre, c'est de clarté et de visibilité, puisque pour l'instant la revoyure législative est reportée et que nous devons nous contenter de réponses à un questionnaire.
À combien estimez-vous les besoins nouveaux ? Quels sont les programmes sanctuarisés et ceux pour lesquels vous envisagez un ralentissement ? Quels seront les effets de ces arbitrages sur la mise en oeuvre des objectifs de la LPM à l'horizon 2025 ?
M. André Guiol. - Les militaires demeurent une cible privilégiée du terrorisme, comme le montre l'arrestation la semaine dernière d'un homme qui projetait un attentat contre la citadelle de Lille. Comment évaluez-vous la menace pour nos forces sur notre territoire ? N'est-il pas prématuré de réduire les effectifs de l'opération Sentinelle à 3000 militaires et de repasser le plan Vigipirate au niveau risque attentat ? N'est-ce pas baisser la garde ? Ce choix est-il compensé par un renfort des moyens des services de renseignement ?
Par ailleurs, comment se déroule la stratégie vaccinale au sein de la défense ? Quel bilan faites-vous de la pandémie et de ses effets éventuels sur les capacités opérationnelles de nos forces ?
M. Olivier Cigolotti. - Dans le cadre de la Revue stratégique, vous avez parfaitement décrit, Madame la Ministre les risques de conflit de haute intensité et dans ce cadre le programme 178 dont je suis corapporteur est le coeur de la mission « Défense », puisqu'il porte sur la préparation et l'emploi de nos militaires. Vous comprendrez donc que nos demandes en ce domaine soient assez précises.
Ma première question porte sur les crédits dédiés à l'entretien programmé du matériel (EPM). Une bosse budgétaire d'environ 900 millions d'euros non inscrite sur les trois premières années de la LPM semble se profiler. Quelle est votre vision sur ce point ? S'y ajoutent bien sûr des dépenses conjoncturelles, je pense notamment à la réparation de la Perle pour 701 millions d'euros et au surcoût induit par la livraison des douze Rafale destinés à la Grèce. D'autres facteurs sont structurels, tels que la multiplication des opérations extérieures et l'usure importante des matériels qui en découle. En exécution, les dépenses sont d'ailleurs largement supérieures aux prévisions en loi de finances initiale pour un montant cumulé proche du milliard depuis le début de la LPM. Les crédits alloués à l'EPM peuvent-ils être inchangés dans ces conditions ?
Nous avions demandé que nos engagements dans le cadre de l'OTAN se traduisent par une augmentation conséquente de l'enveloppe de la LPM. La réassurance et nos engagements vis-à-vis de nos alliés doivent être financés, et ce sans obérer la programmation. Des propositions ont été faites par le secrétaire général de l'OTAN. Quelles pourraient en être les incidences selon vous ? Le dispositif protégeant l'enveloppe de la LPM pourrait-il dans ces conditions être appliqué ?
M. Jean-Marc Todeschini. - Madame la ministre, le président l'a dit : nous sommes là pour vous aider. L'intérêt que nous manifestons par nos questions vise à vous aider, vous et nos forces armées. Vous avez décidé de ne pas recourir à l'article 7 de la LPM et de ne pas soumettre l'actualisation de la LPM à la représentation nationale. Pour quelles raisons ? Est-ce qu'il y a un danger, un risque budgétaire ? En effet, les crises sanitaire et économique ont pour effet que le budget de la défense va atteindre, mécaniquement, le niveau des 2 % du PIB. Bercy pourrait-il alors considérer que les efforts budgétaires sont déjà fournis ? Les objectifs politiques de la LPM, eux, ne sont pas remplis et ne peuvent pas l'être. Vous aviez insisté lors de l'adoption de la LPM sur la nécessaire cohérence des moyens avec les enjeux identifiés par la Revue stratégique de 2017.
La Revue stratégique a été récemment actualisée et vous nous dites que ce ne sera pas le cas de la LPM, en tous cas, pas devant le Parlement. Pourquoi et comment garantir que les efforts budgétaires seront à la hauteur des ambitions de la LPM 2019-2025 ? En un mot, ne sommes-nous pas dans la situation où le médecin pose le bon diagnostic, tout en sachant qu'il n'aura pas les moyens de soigner son patient ? Quelle méthode proposez-vous ? Je le souligne, il ne s'agit nullement d'une mise en cause. Je cherche à comprendre comment procéder et quelles solutions mettre en oeuvre pour garantir la bonne exécution de la LPM qui avait fait l'objet d'une si grande adhésion parlementaire.
J'ai quelques questions. La LPM prévoyait des recrutements de personnels. Qu'en est-il à ce stade ? Le ministère a-t-il bien les capacités d'attirer les meilleurs profils et de les conserver ?
Après Louvois, où en est-on avec le logiciel Source Solde ? Sera-t-il pleinement opérationnel et les soldats peuvent-ils être rassurés ?
Enfin, quelles mesures entendez-vous prendre à la suite des révélations de l'enquête récemment publiée par Mediapart, en termes de prévention et de sanctions éventuelles ? Je souhaite entendre votre voix sur ce sujet ancien, peut-être même réchauffé. Le ministère a répondu clairement sur ce sujet. Pouvez-vous nous dire quels moyens seront mis en oeuvre face à cette révélation qui n'en est pas vraiment une ?
Mme Florence Parly, ministre des armées. - Vous me reprochez, monsieur Perrin, de ne pas avoir répondu convenablement à vos questions, je l'entends - et c'est pourquoi je viens de communiquer à la commission un document qui, je l'espère, permettra de progresser dans la qualité des réponses qui sont fournies. Nous voulons tous que nos armées bénéficient des engagements qui ont été pris très solennellement dans de cadre de la LPM que vous avez très largement votée.
Nous voulons tous avancer. Je n'ai rien caché, j'ai fait valoir des arguments, nous avons débattu, une décision a été prise et annoncée par le Président de la République lors de ses voeux aux armées. Il a indiqué souhaiter que nous trouvions les bonnes modalités pour associer les parlementaires à cet exercice. Notre réunion d'aujourd'hui marque la première étape, peut-être d'une série, mais je ne veux pas me substituer à votre initiative, c'est vous qui en déciderez - je me plie avec plaisir et très volontiers à ces séances de travail, qui, je crois, ont pour vocation d'éclairer la représentation nationale et qui sont essentielles pour que chacun ait la conviction et la preuve que les engagements pris sont tenus. Je ne voudrais pas revenir sur le passé, mais vous savez que cela n'a pas toujours été le cas, tant s'en faut ! Mais depuis 2017, la mission « Défense » n'a cessé de progresser, de 7 milliards d'euros en niveau par rapport à 2017, en masse, c'est 18 milliards d'euros de plus au moment où l'on se parle. Je ne parle même pas des annuités qui sont à venir. C'était indispensable et, c'est important de le souligner, nous exécutons le budget de façon conforme, nous le vérifierons encore ensemble dans le cadre de la loi de finances rectificative, et ce malgré les perturbations dues à la crise sanitaire. Je ne reviens pas sur la méthode, chaque assemblée, l'Assemblée nationale d'un côté, le Sénat de l'autre, définira souverainement la méthode pour que nous travaillions ensemble. Ces questionnaires sont l'amorce d'un débat et, s'il y a des questions complémentaires, nous restons bien évidemment à votre entière disposition pour y répondre. .
La propriété intellectuelle dans le cadre du SCAF fait l'objet de discussions en cours. Des situations comparables ont été réglées pour d'autres programmes de coopération, par exemple de manière assez récente pour l'eurodrone. Je ne vois pas pourquoi ce qui a pu fonctionner pour l'eurodrone ne fonctionnerait pas pour le SCAF. Évidemment nous veillerons à ce que la propriété intellectuelle, constituée année après année par des industriels talentueux, ne soit pas considérée comme facilement acquise. En revanche, la propriété intellectuelle qui sera construite par la coopération a vocation à être partagée.
Les investissements que nous allons consentir dans le cadre du SCAF devront être parfaitement cohérents avec nos besoins dans le domaine de la dissuasion. C'est une évidence ! Rien dans nos discussions actuelles ne laisse présager de difficultés pour intégrer ces spécificités. Je vous propose de nous donner rendez-vous très prochainement pour faire un point sur l'aboutissement des discussions qui ont lieu entre les industriels, dans le respect des principes que j'ai rappelés dans mon propos liminaire.
Des besoins nouveaux émergent sur le programme 146, l'exercice de revue stratégique que nous avons conduit le montre bien. Comment y répondre à enveloppe constante ? C'est notre travail et notre défi d'y parvenir et nous avons, pour nous y aider, l'avantage de la programmation pluriannuelle. Nos programmes sont des programmes de long terme et nous avons besoin, pour des investissements sur d'aussi longues durées, d'avoir cette visibilité pluriannuelle. Année après année, dans le cadre des révisions que nous faisons, dans le cadre de l'A2PM, nous vérifions que nous tenons bien les programmes et nous identifions les programmes qui peuvent être amenés, pour des raisons très variées, à prendre un certain retard pour permettre de redonner des marges de manoeuvre dans d'autres secteurs. C'est d'ailleurs ce qui nous a permis en 2020, dans le cadre de la crise sanitaire, de pouvoir identifier des moyens à enveloppe constante pour contribuer au plan de soutien aéronautique.
Cela ne veut pas dire que nous allons renoncer à des investissements qui interviendront un peu plus tard. Mais cela permet d'être certains que tous les euros qui nous sont consentis année après année, plutôt que de créer des reports sur le futur, ont un impact immédiat et direct au moment où notre économie et notre industrie en ont besoin. Cet exercice d'A2PM est extrêmement important pour permettre d'identifier les marges de manoeuvres dont nous disposons à l'instant T pour pouvoir réallouer temporairement sur les programmes qui sont en situation de pouvoir avancer plus vite des crédits qui sont normalement alloués à d'autres programmes. Ceci se fait sous le contrôle étroit du Parlement et du ministère des finances. Je ne crois pas qu'il y ait de crainte à avoir sur la manière dont nous pilotons ces crédits et la façon dont nous pouvons identifier des moyens supplémentaires à l'intérieur d'une enveloppe qui elle est finie, c'est l'enveloppe de la loi de programmation militaire et de la loi de finances annuelle.
Nous avons identifié un certain nombre de besoins nouveaux, Nous ne pouvons pas toujours tout prévoir. Voyez par exemple la vente de Rafale à la Grèce. Cela n'était pas attendu. Nous nous en réjouissons. La conséquence de cet export, c'est que nous allons devoir remplacer les Rafale que l'armée de l'air et de l'espace va transférer à l'armée de l'air grecque. Mais nous avons obtenu que les produits de la cession soient intégralement restitués au ministère des armées. Nous avons devant nous un programme lourd, mais qui était connu, celui de la rénovation des chars Leclerc. On ne peut pas dire que la LPM découvre des programmes et des coopérations que nous avions annoncés, tels que le SCAF ou le MGCS, ou le porte-avions de nouvelle génération. Ce sont des capacités nouvelles à horizon de 20 ou 30 ans dont nous démarrons les études et que la LPM avait intégré dès le départ. Les investissements essentiels liés à ces programmes relèvent plutôt d'une LPM future, mais les crédits d'études dont nous avons besoin aujourd'hui participent bien de l'actuelle loi de programmation. Pour ce qui est des besoins nouveaux identifiés sur le programme 146, j'entends ne pas leur sacrifier les investissements que nous avons souhaité consentir ensemble à hauteur d'homme, car c'est ma priorité absolue.
S'agissant de Sentinelle et de la protection de nos soldats en général, nous adaptons Vigipirate, qui avait été relevé au niveau maximum après les attentats fin octobre et que nous ramenons au niveau de sécurité renforcée, soit un niveau adapté à celui de la menace terroriste. Nous adaptons Sentinelle, en passant à 3 000 militaires engagés en permanence avec une capacité de 4 000 hommes mobilisables après un très court préavis.
Nous protégeons aussi nos soldats dans le cadre de la pandémie. Nous nous souvenons des difficultés rencontrées au printemps dernier. Ainsi lorsque nous avons travaillé à la politique de vaccination du ministère, en parfaite cohérence avec la stratégie vaccinale nationale, nous avons pris en compte un certain nombre de particularités des forces. Par exemple, le départ du porte-avions dans le cadre de Chammal nécessitait la vaccination de la totalité de son équipage. Il en a été de même pour l'équipage du SNLE partant en mission. Nous avons réservé les doses - dont nous disposons encore en trop faible nombre - aux militaires embarqués sur les navires, les porte-avions et les sous-marins, sachant que tout le personnel embarqué doit être vacciné.
Les crédits réservés à l'entretien programmé des matériels ont une importance cruciale après des années de fuite en avant où l'on a surtout recherché à disposer de matériels nouveaux. Nous essayons désormais d'investir dans les matériels nouveaux, mais aussi de mieux prendre soin des matériels en usage, trop souvent immobilisés par manque de pièces et autres causes. Nous avons fait un état des lieux dans les domaines aérien, naval et terrestre. Nous mettons en place une stratégie dans chacun de ces trois domaines pour remonter le niveau de disponibilité de ces équipements. Elle s'accompagne d'un effort budgétaire bien réel, prévu par la LPM : entre 2017 et 2021, les crédits consacrés à l'EPM ont progressé de 20 %, pour atteindre en 2021 4,1 milliards d'euros. Cet effort budgétaire conséquent doit se traduire en termes d'amélioration de la disponibilité des équipements. Dans l'aérien, par lequel a commencé l'effort, nous avons vu les premiers éléments positifs sur les flottes d'hélicoptères, en particulier les Fennec et les Caracal. Nous achevons la renégociation de contrats « verticalisés », qui prévoit un industriel responsable de l'entretien global par flotte. Ce travail n'est pas encore achevé mais pour les contrats déjà mis en oeuvre, les résultats s'inscrivent bien dans la trajectoire que nous avons souhaitée. Cela fait sans doute partie des sujets sur lesquels, dans le cadre des questions que vous nous posez, vous approfondirez votre propre analyse. Ils sont au coeur de nos préoccupations.
Respectons-nous nos engagements pris dans le cadre de l'OTAN ? Notre trajectoire est conforme, même si les choix étaient moins dictés par l'OTAN que par les besoins de nos armées. Il y a de nombreuses années que la France consacre au moins 20 % de son budget à l'investissement et nous sommes sur la trajectoire des 2 % du PIB en 2025. Cependant, ces 2 % ne sauraient constituer notre seule boussole, car dès 2020, compte-tenu de l'évolution du dénominateur que constitue le PIB, nous constaterons sans doute que nous avons atteint cet objectif avant l'heure. Pour autant, nos armées auront-elles réalisé le rattrapage et la remontée en puissance que nous avons tous souhaité ? La réponse est non et il faudra donc poursuivre l'effort. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cet objectif de 2 %, s'il doit rester notre repère, a montré qu'il ne peut être la seule boussole de la remontée en puissance.
Les recrutements ont continué malgré la crise sanitaire : 21 400 militaires ont été recrutés l'an passé. C'est conforme au plan de recrutement et à notre trajectoire, comme vous pourrez le constater dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Cependant, les flux de départs se sont ralentis en 2020, manifestement du fait du contexte économique.
Les problèmes du logiciel Louvois sont derrière nous, j'en suis heureuse. Nous avons basculé progressivement vers le logiciel Source Solde et en avons terminé en janvier dernier. Désormais, les quelque 250 000 militaires reçoivent leur solde de manière fiable, juste et satisfaisante. C'est une victoire, mais c'est le minimum que l'État leur doit.
Mme Michelle Gréaume. - Vous savez notre profond respect pour le dévouement de nos militaires et notre pleine reconnaissance pour leurs sacrifices. Nous leur devons d'exercer pleinement et avec engagement notre mandat parlementaire. Et pour cela, nous avons besoin de précisions.
Sur la préparation opérationnelle, impérative pour la sécurité de nos troupes, la commission demande le bilan des efforts fournis et les objectifs de progression de la préparation opérationnelle pour la fin de la période de programmation, comme le prévoit le rapport annexé à la LPM, amendé en ce sens. Il n'est pas cohérent de manquer de perspective en la matière alors que le chef d'état-major de l'armée de terre nous a présenté un projet de durcissement de l'armée de terre, pour aller vers les conflits de haute intensité.
En ce qui concerne les services de soutien dont l'excellence doit être saluée, nous nous inquiétons. En effet, le renforcement du Service de santé des armées, sollicité tant en projection que sur le territoire national avec l'opération Résilience, est indispensable. Mais les chiffres sont incertains, la création d'emplois sera-t-elle de 87 ou 187 postes ? Cette progression nécessaire est-elle financée à enveloppe constante ?
Le Commissariat des armées perdrait pour sa part 1 530 emplois, soit 6,65 % de ses effectifs. La commission avait obtenu l'arrêt des déflations en 2018 alors que le service était exsangue. Comment se justifie une telle attrition ?
M. Ludovic Haye. - La crise sanitaire a mis en exergue la question de la souveraineté, qu'elle soit sanitaire, alimentaire, numérique, énergétique ou stratégique, mais elle a démontré aussi combien le secteur de la défense est lui aussi dépendant, pour ses fournitures courantes, de fabricants étrangers, souvent monopolistiques, en particulier chinois - pour le matériel informatique, les médicaments, les masques - comme pour les approvisionnements des industriels de l'armement. Notre ambition de souveraineté doit intégrer l'accès indépendant, en temps maîtrisé et en qualité, aux technologies transverses indispensables à nos systèmes majeurs. Je pense à la maîtrise des aciers à haute performance, à la conception des circuits imprimés et des composants électroniques qui sont omniprésents dans tous les objets connectés et sur lesquels nous avons totalement perdu la main. Je pense, enfin, aux métaux rares et minerais critiques, dont les besoins sont croissants et tout aussi essentiels. À son arrivée à la présidence, Joe Biden a lancé un inventaire exhaustif de la dépendance des États-Unis : la France entend-elle faire de même, en particulier pour sa défense ? Pourrions-nous vous y aider ? L'inventaire peut-il être conduit à l'échelon national, ou serait-il plus pertinent à l'échelon européen ?
M. Yannick Vaugrenard. - Évoquant le poids croissant de la Chine, qui est devenu le premier pays importateur de produits européens, et dont les dépenses militaires ne cessent d'augmenter - les dépenses militaires chinoises représentent 10 % des dépenses mondiales, contre 40 % pour les États-Unis. Vous dites que cela justifie une Europe forte et stratège, capable de se défendre et que nous en sommes sur la voie. N'est-ce pas optimiste, quand on voit les dernières nouvelles de la coopération militaire franco- allemande, la vente de cinq avions américains de patrouille maritime à la marine allemande, pour 1,8 milliard d'euros ? Quels seront les programmes franco-allemands, dans ces conditions ? Les Allemands ne risquent-ils pas de remplacer leurs hélicoptères par des Apache américains, plutôt que par nos Tigre modernisés ? Nous sommes inquiets, également, d'entendre l'un de nos interlocuteurs parler d'un plan B dans le cadre du SCAF, car cela signifie que le plan actuel risque de s'enliser. Quant au projet commun de chars de bataille, il est aujourd'hui bloqué. À tous ces indices s'ajoutent les déclarations d'Angela Merkel, indiquant que la coopération militaire franco-allemande devait être revue et corrigée. La nouvelle autonomie stratégique de l'Europe ne risque-t-elle pas d'en prendre un sérieux coup, sans parler de l'Europe de la défense, contrairement à la volonté exprimée par le Président de la République ?
Mme Vivette Lopez. - Il y a des difficultés de recrutement dans la marine, alors que l'avenir s'écrira avec la mer. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la France n'a pas connu de combats navals de haute intensité. Croyez-vous qu'une confrontation en mer soit possible dans le contexte géopolitique agité que nous connaissons ? Le maritime entre-t-il dans les projets de la présidence européenne française en 2022 ?
M. Joël Guerriau. - Le bâtiment de l'ancien hôpital militaire du Val-de-Grâce doit, compte tenu des besoins d'hébergement, passer dans le giron de la santé pour en faire un Campus de la santé numérique. À nos questions, l'administration répond que les modalités financières liées au transfert n'ont pas été arbitrées, alors que cette ressource pourrait abonder les dépenses nouvelles nécessaires dans le cadre de l'actualisation de la LPM : qu'en est-il ? Plus largement, les militaires signalent le problème du logement. Vous avez lancé un appel d'offres pour la restructuration et la reconstruction de milliers de logements, où en êtes-vous ? Les projets immobiliers intègrent-ils des logements à Paris ?
Et s'agissant de besoins de recrutement qui s'ajoutent aux 6 000 ETP supplémentaires prévus par la LPM, pour le renseignement, le SSA, la cyberdéfense mais aussi le SOUTEX, est-on bien certain qu'on parle encore à budget constant et de simple réorganisation au sein du ministère ?
Mme Nicole Duranton. - Vous relevez, dans la Revue stratégique, que la Russie est devenue une puissance opportuniste, capable de se projeter rapidement : comment envisagez-vous les relations entre la France et la Russie, à travers ce nouveau prisme de la « boussole stratégique » ? Comment, ensuite, la France développe-t-elle sa propre stratégie envers la Chine, distincte du prisme américain et de la bipolarité qui semble se mettre en place entre Chine et États-Unis ? En focalisant l'attention, cette bipolarité ne risque-t-elle pas de conduire à négliger la menace persistante du terrorisme djihadiste ? Comment la France développe-t-elle une stratégie efficace en la matière, en toute autonomie par rapport aux États-Unis ?
Enfin, quel est l'état de notre stratégie dans la région indopacifique, d'une part pour encourager nos partenaires européens à s'investir dans la zone et d'autre part pour nous insérer dans la coopération régionale, portée par des acteurs régionaux tels que l'ASEAN, l'IONS (Indian Ocean Naval Symposium), ou l'IORA (Indian Ocean Rim Association) ?
Mme Florence Parly, ministre des armées. - J'ai omis de répondre à l'une des questions de du sénateur Todeschini, je m'en excuse. Un article récent de Mediapart fait état de pratiques relevant d'une idéologie tout à fait inadmissible dans les armées et que je condamne fermement. Le comportement de ces individus constitue une insulte à nos valeurs et n'a pas sa place dans nos armées. Il n'en a jamais eu et n'en aura jamais. J'ai demandé un état des lieux sur les individus mentionnés ; ces comportements graves sont le fait de dérives individuelles, et non pas de filières. Il s'agit de cas déviants et isolés, nullement représentatifs des militaires français, et qui seront traités au cas par cas. Sur les cinquante noms cités, sept cas inquiétants n'avaient pas été détectés. Nous avons pris l'alerte au sérieux. Dans ces domaines, il faut être ferme, mais aussi humble. Les armées reflètent la population française et ne peuvent pas échapper à 100 % à ses travers les plus odieux. Et il n'y a pas de dispositif de détection totalement infaillible. Nous investissons beaucoup d'énergie et de moyens pour lutter contre ces fléaux. Ces révélations nous incitent à redoubler de vigilance. Le mot d'ordre est clair : nous ne voulons pas de cela dans nos rangs, et j'y veillerai, vous pouvez compter sur moi. Quand on aime son pays et ses armées, on se bat pour que leur dignité ne soit pas entachée par le comportement odieux de quelques individus.
Sur les effectifs des services de soutien, et en particulier sur les effectifs du SCA, il faut regarder les choses dans leur ensemble, car nous avons changé la gestion de la restauration en externalisant une partie du service, notamment pour pouvoir mettre aux normes ces équipements. Ceci a pour effet de diminuer les effectifs, au fil des départs à la retraite. Les charges d'externalisation ne se traduisent pas en emplois supplémentaires mais en crédits de fonctionnement.
Nous souhaitons donner une impulsion à la préparation opérationnelle de l'armée de terre, en particulier, y compris dans la perspective de conflits de très haute intensité, afin d'atteindre les normes d'entraînement fixées pour 2025. C'est une reconquête de l'ensemble des compétences du haut du spectre que nous devons conduire et c'est pourquoi l'entraînement va être rehaussé pour pouvoir faire face à des menaces conventionnelles plus fortes.
L'analyse des dépendances françaises doit être conduite, la DGA mène ce travail et l'Agence européenne de défense a élaboré une cartographie des manques à combler sur le continent. Nous avons travaillé sur les dépendances énergétiques, nous renouvelons notre stratégie énergétique depuis l'automne dernier pour consommer moins, mieux et de façon plus sûre - des ruptures d'approvisionnement paralyseraient notre outil de défense. Nous sommes dépendants pour bien des composants, nous pouvons nous féliciter que l'Union européenne, dans le cadre d'un projet de coopération structurée permanente, ait pris le sujet à bras-le-corps. Il s'agit de réduire nos dépendances, y compris à l'égard de composants fabriqués aux États-Unis, c'est un travail de longue haleine ; l'étape de la cartographie est en cours et nous commençons à répondre à ces défis.
Sur la coopération franco-allemande, je commencerai par dire que toute coopération peut passer pour difficile, nous avons eu ce débat lors de la discussion de la LPM, et nous avons pourtant choisi d'y recourir. Elle demande de la détermination, de l'énergie, mais je la considère comme nécessaire. On ne doit pas, pour autant, coopérer à n'importe quel prix, ou bien on court le risque de programmes trop onéreux, hors calendrier ou ne répondant pas aux besoins de forces. Je fais confiance aux industriels pour dire quels processus sont efficaces. Oui, la coopération est difficile, mais ce risque vaut la peine d'être pris.
M. Christian Cambon, président. - L'arrivée des Espagnols, si elle est bonne pour l'Europe de la défense, n'a-t-elle pas perturbé cette coopération qui avait été conçue à deux partenaires ?
Mme Florence Parly, ministre. - Le président de Dassault Aviation l'a dit, cette coopération s'avère plus difficile à trois qu'à deux. C'est pourquoi nous avons voulu consolider la coopération à deux sur le SCAF avant de l'ouvrir à d'autres partenaires. Nous faisons de même pour le char de combat. Beaucoup de pays souhaitent rallier ce projet et il nous semble que le moment n'est pas encore venu. Le moment viendra d'une ouverture plus grande, mais il n'est pas encore venu. Pour le SCAF, on peut toujours se dire que le moment n'était pas le bon pour associer un nouvel État. Mais il faut aussi examiner la participation à l'échelle des industriels, or l'un d'entre eux est au moins trinational : Airbus a une composante allemande et espagnole, en plus de Dassault. C'est une donnée avec laquelle nous devons composer.
J'espère que nous trouverons le bon accord qui permettra à ces industriels de travailler de manière harmonieuse et efficace. Il sera intéressant de voir également quelles conclusions retireront les personnalités allemandes auditionnées par vos homologues de l'Assemblée nationale. Le Parlement français a autant sa place que le Bundestag pour s'exprimer sur ce sujet.
Concernant l'autonomie stratégique européenne, la question est de savoir si nous voulons continuer à exister collectivement dans un monde marqué par la crise du multilatéralisme et la compétition entre la Chine et les Etats-Unis. Nous recherchons l'émergence d'une culture stratégique européenne pour être en mesure d'agir si cela s'avérait nécessaire. Cela passe par des décisions et des projets en matière de coopérations dans le domaine capacitaire et dans la construction d'une base industrielle technologique et de défense européenne ainsi que par des engagements opérationnels. L'Europe mène aujourd'hui 6 opérations dont les missions de formation de l'Union européenne en République centrafricaine (EUTM-RCA) et au Mali (EUTM-Mali). Cela passe aussi par l'initiative européenne d'intervention que nous avons portée sur les fonts baptismaux et qui vise à créer les bases indispensables à ces futurs engagements communs.
Sur le volet maritime et la présidence française début 2022, il s'agit d'un sujet majeur pour l'Europe de la défense en réalité assez consensuel. J'ai évoqué à cet égard la présence européenne coordonnée qui va faire l'objet d'une expérimentation dans le golfe de Guinée. Chacun comprend que l'espace maritime est un espace de libre circulation qui recèle des ressources à protéger des trafics et pillages et au sein duquel nous veillons à faire respecter le droit international. L'engagement de l'Union européenne est multiple, à l'exemple des opérations IRINI pour l'application de l'embargo sur les armes destinées à la Libye, ATALANTA contre la piraterie au large de la Corne de l'Afrique et AGENOR pour sécuriser la navigation dans le détroit d'Ormuz. Je confirme donc qu'il s'agira d'un axe de travail de la présidence française de l'Union européenne.
Le Val-de-Grâce est toujours propriété de l'Etat. Il héberge les militaires qui assurent l'opération Sentinelle et, probablement en 2024, les forces de sécurité affectées à la surveillance des Jeux olympiques. Même si le bâtiment a été libéré par le service de santé des armées en 2016, il reste donc à la disposition de l'Etat. La reconversion du site en un campus dédié à la santé numérique (ParisSanté Campus) a été annoncée par le Président de la République en décembre 2020. Les parties prenantes du programme sont à la fois des acteurs publics de la recherche (Inserm, Université PSL, Inria), et des opérateurs dédiés au développement des usages du numérique en santé (le Health Data Hub et l'Agence du Numérique en Santé). Les modalités financières liées au transfert n'ont, à ce jour, pas été arbitrées.
Nous avons réservé un milliard d'euros d'investissement pour l'hébergement de nos militaires. Il y a des besoins dans la région parisienne, et nous essaierons d'y répondre le mieux possible.
La boussole stratégique a été initiée sous la présidence allemande et a vocation à aboutir sous la présidence française. La première étape a été conclue sous présidence allemande et consiste à avoir une évaluation commune des menaces - c'est-à-dire une déclinaison à l'échelle européenne de l'actualisation de notre revue stratégique nationale. La Russie y fait évidemment l'objet de réflexions, la France défendant une position équilibrée qui consiste à maintenir une posture de fermeté face à des agissements mettant en cause notre sécurité, tout en restant ouverte au dialogue. Aujourd'hui, force est de constater que les conditions ne sont pas pleinement réunies pour une relance significative de ce dialogue.
Pour ce qui concerne la Chine, il y a une tentation de bipolarisation et une focalisation sur la rivalité américano-chinoise. La France et l'Europe doivent pouvoir faire valoir une stratégie d'équilibre fondée sur des partenariats solides. C'est pourquoi la France entend promouvoir une stratégie indopacifique à l'échelle nationale et nous souhaitons, dans le cadre de l'exercice de la boussole stratégique dont je parlais à l'instant, pousser à l'émergence d'une stratégie indopacifique européenne. Ce serait une contribution significative pour éviter d'être pris dans cette confrontation entre la Chine et les États-Unis.
Sur la nécessaire poursuite de la lutte contre le terrorisme, nous ne baissons clairement pas la garde et nous considérons que notre engagement au Levant n'est pas terminé au regard des résurgences de Daech en Irak, en Syrie et, de même, au Sahel où nous avons décidé avec les pays du G5 Sahel de ne pas relâcher l'effort.
M. Guillaume Gontard. - Je souhaite revenir sur les révélations de Mediapart, auxquelles vous avez déjà répondu, relatives à la présence d'individus néo-nazis dans les rangs de nos armées. Vous avez raison d'être très claire et de condamner ces agissements. Je partage également le fait qu'on ne peut échapper à ce phénomène à 100 %. La réponse doit être très ferme et intransigeante. Je voudrais savoir également si une réflexion est menée pour assurer la détection de ce type d'idéologie lors des recrutements, de la formation et en cours de carrière. C'est un problème important sur lequel nous devons être très vigilants.
Sur les essais nucléaires en Polynésie et au Sahara, nous avons appris le 9 mars qu'un rapport remis au Gouvernement polynésien établissait une causalité claire entre les retombées de ces essais et la fréquence des cancers et contredisant le rapport de l'Inserm. La problématique est similaire en Algérie où les victimes des essais n'ont pour la plupart pas bénéficié de réparation. Dans les deux cas, que compte faire le ministère des armées pour assumer notre responsabilité sur ces conséquences sanitaires et environnementales ?
M. Philippe Folliot. - La France comme ses alliés ont voulu bénéficier de ce que l'on appelle les dividendes de la paix après la chute du mur de Berlin, en pratiquant une baisse continue des budgets de la défense. Vous resterez, Madame la Ministre, la première à avoir augmenté le budget de la défense. J'ai en mémoire que 65 % des diminutions d'effectifs de la révision générale des politiques publiques (RGPP) étaient supportées par votre seul ministère. Je préfère donc la situation actuelle où nous pouvons vous interpeller sur la projection de la loi de programmation militaire, sachant que les marches les plus hautes des dépenses prévues interviendront après 2022. L'important était d'inverser la tendance antérieure, non que le budget de la défense soit une fin en soi. C'est un moyen pour notre pays d'assumer ses responsabilités en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies vis-à-vis de la communauté internationale et de nos concitoyens.
Au regard de la rivalité stratégique qui se dessine entre la Chine et les Etats-Unis, est-ce que nous serons acteurs ou spectateurs ? La France a un atout particulier et pourrait s'appuyer davantage sur l'atout singulier que représentent nos outre-mer. Force est de constater qu'il n'y a jamais pourtant eu de réelle stratégie pour nos forces de souveraineté, lesquelles demeurent résiduelles ou peu importantes. Elles pourraient devenir de véritables appuis dans ce contexte. Vous avez fait allusion à l'accès aux minerais rares et stratégiques. Or la France est le premier producteur mondial de nickel par le biais de la Nouvelle-Calédonie. Au regard des difficultés que connait ce secteur, ne pouvons-nous pas nous coordonner avec nos partenaires européens pour soutenir cette filière stratégique ?
M. Hugues Saury. - Je souhaite vous interroger sur le point 9 de l'actualisation de la revue stratégique relatif à la résilience de la Nation. En dépit de l'épidémie de Covid-19, nos soldats ont poursuivi l'essentiel de leurs missions. Dans quelle mesure le retour d'expérience des effets de cette pandémie sur nos armées est-il pris en compte dans l'actualisation ? En outre, vous avez annoncé la mise en oeuvre d'une fonction stratégique de résilience devant concourir à reconstituer des stocks dits « d'épaisseur organique », la défense étant mise à contribution pour fournir 5 millions de masques. Ces stocks ont-ils été reconstitués ? Quand on voit les conséquences dramatiques de cette pandémie sur notre jeunesse, notre économie, et notre souveraineté, pensez-vous que la revue stratégique prend en compte à sa juste mesure le risque sanitaire et son anticipation ?
M. Jacques Le Nay. - Le site Naval Group de Lorient s'inquiète d'une baisse de charge en 2022 et s'interroge sur la possibilité pour le ministère de la défense d'avancer le programme de construction des frégates d'intervention et de défense. Cela permettrait d'augmenter la cadence de production et de combler cette baisse de charge. Qu'en est-il de ce projet au sein de votre ministère ? La Grèce prévoit-elle toujours d'acheter ces frégates ?
M. Robert del Picchia. - Notre président a abordé diplomatiquement la question de l'actualisation de la loi de programmation militaire tandis que notre collègue Cédric Perrin a tapé fort, si je puis me permettre. Pour ma part, je voudrais remercier la ministre pour son introduction sur l'éventail des menaces mondiales pesant sur la France et l'Europe. Je partage mon doute sur la bonne coopération des Européens sur la stratégie à adopter. À l'aune de l'opération Barkhane, les Européens commencent à comprendre le danger terroriste que représente le Sahel. Croyez-vous à l'amélioration de cette coopération ?
Ensuite, je vous félicite de la mort du logiciel Louvois, dont les difficultés causées à votre ministère préexistaient à votre prise de fonction et qui vont maintenant prendre fin.
Mme Florence Parly, ministre des armées. - Concernant la détection des personnes dont le recrutement pourrait présenter des risques de radicalisation ou d'extrémisme, tels que ceux énoncés par Mediapart, nous avons, au niveau du recrutement, un avis de sécurité préalable pour chaque individu. Par la suite, en raison du mode de vie des militaires, qui évoluent auprès des cadres de proximité, le commandement prête une attention particulière à tout comportement ou signal faible qui pourrait laisser transparaître une idéologisation extrémiste ou radicale. Bien sûr, cette veille constante est rendue plus difficile par l'usage croissant de réseaux sociaux privatifs, souvent cryptés et qui ne sont pas détectables. Si, au total, le système n'est donc pas infaillible à 100 %, je crois que le ministère des armées s'est doté de moyens qui permettent de maîtriser globalement la situation.
Concernant les essais nucléaires, je ne suis pas certaine de comprendre à quel rapport faisait référence le sénateur Gontard. Je pense qu'il convient ici de rappeler les faits. Un rapport de l'INSERM a été rendu public le 23 février, un livre a été publié un peu plus tard, mais je n'ai pas connaissance de rapport remis au gouvernement polynésien. Comme vous le savez, des essais nucléaires ont été réalisés entre 1966 et 1996, c'est-à-dire pendant 30 ans, en Polynésie française. Lorsque les essais ont pris fin, les installations ont été complètement démantelées, puis une expertise biologique a été réalisée par l'Agence internationale à l'énergie atomique, qui associait des experts de très nombreuses nationalités. Le ministère des armées a rendu publics les suivis radiologiques et géologiques des atolls concernés afin de tenir informées, dans la transparence, la population polynésienne et la communauté scientifique. Par ailleurs, l'évaluation des doses reçues par la population a été faite par les experts du commissariat à l'énergie atomique, la méthodologie suivie ayant elle-même été évaluée par des experts internationaux de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Il existe en outre une commission d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui était jusqu'en 2013 sous l'autorité du ministère des armées, avant de devenir totalement indépendante. Depuis 2018, cette commission a vu le nombre de demandes d'indemnisation fortement augmenter, plus de 50 % d'entre elles ont été acceptées. Je crois donc pouvoir dire que le ministère des armées fait le maximum, dans le cadre des lois et règlements en vigueur, pour satisfaire aux demandes formulées par les Polynésiens, afin que leurs droits puissent devenir effectifs. Je conçois que des débats puissent survenir, surtout à la faveur de nouvelles publications, dont nous prendrons évidemment connaissance. Mais je voudrais insister sur le fait que le ministère des armées a toujours été à l'initiative pour apporter de la clarté dans ces domaines, dont on sait à quel point ils sont douloureux.
Concernant le rôle très important de nos outre-mer, c'est à juste titre que vous l'avez évoqué. Il s'inscrit dans le cadre de la stratégie indopacifique que j'ai mentionnée. C'est en partie du fait de nos outre-mer que la France peut se considérer comme une nation de l'indopacifique, et c'est bien du fait des territoires d'outre-mer présents dans l'Océan indien et dans l'Océan pacifique que nous avons la deuxième zone économique exclusive du monde. J'insiste donc : nous ne les considérons pas comme quantité négligeable, elles sont au coeur de notre stratégie indopacifique. Il y a une forte conscience de la part des partenaires avec lesquels nous travaillons de plus en plus à cette stratégie - je pense en particulier à l'Australie ou à l'Inde - de l'enjeu que constituent ces outre-mer pour cette grande région. Nous l'avons vu encore récemment dans le cadre des discussions sur l'évolution de l'actionnariat des entreprises qui exploitent le nickel en Nouvelle-Calédonie : cette question est suivie de très près par les pays de la région, bien entendu la Chine, mais aussi des pays tels que l'Inde.
Avons-nous tenu suffisamment compte des leçons de la pandémie dans le cadre de l'actualisation de la loi de programmation militaire ? Il est tout à fait clair que nous avions identifié dès 2017 le risque NRBC, le risque nucléaire, radiologique, biologique et chimique, comme étant important et auquel il nous fallait répondre. La crise sanitaire est passée par là et a montré que ce risque était encore beaucoup plus prégnant que nous ne l'imaginions, et nous allons en tenir compte.
Concernant les stocks de masques, ils ont été entièrement renouvelés, nous disposons de plus de 40 millions de masques anti-projection, ce qui représente 20 semaines d'autonomie, nous disposons de 4 millions de masques grand public et de plus de 7 millions de masque FFP2, soit 6 mois d'autonomie pour le service de santé des Armées. Nous sommes donc désormais bien équipés. Évidemment il n'y a pas que les masques, et c'est l'ensemble de la problématique NRBC que nous devons, sans doute, mieux traiter encore que ce que nous avions envisagé initialement. Mais si vous vous référez à l'ambition 2030, cette question apparaît comme ayant été tout à fait identifiée.
Concernant la question portant sur le plan de charge de Naval Groupe à Lorient, c'est un sujet sur lequel nous travaillons d'arrache-pied - nous avons parfaitement en tête la crainte exprimée par Naval Group d'une baisse de ce plan de charge - afin d'éviter une perte de compétence, de savoir-faire, qui serait extrêmement dommageable pour l'industrie navale française.
Concernant l'interrogation sur la prise de conscience européenne des enjeux du Sahel, je pense que personne n'aurait imaginé, il y a 10 ans, que des pays européens tels que l'Allemagne ou l'Estonie auraient pu s'y intéresser. Aujourd'hui, des pays de plus en plus nombreux prennent conscience de ce qu'il faut, non pas aider la France, mais s'aider soi-même, et qu'en s'engageant au Sahel, on contribue à la sécurité de l'Europe. C'est un travail de conviction qui commence à porter ses fruits, et que nous voyons s'illustrer de manière très concrète, puisque nous avons près de 3 000 personnels européens engagés au Sahel à des titres divers, au sein de la mission des Nations unies, de la mission européenne EUTM, ou bien en soutien de Barkhane ou de Takuba. C'est un motif de satisfaction de voir que les Européens sont de plus en plus présents, avec par ailleurs des moyens extrêmement importants - je pense aux équipements : les Danois ont engagé des hélicoptères, les Britanniques ont renouvelé leur engagement et vont ajouter un hélicoptère Chinook supplémentaire, les Espagnols sont des soutiens indéfectibles depuis le début de Serval en matière de transport. Et puis nous avons de plus en plus de pays qui demandent dans un premier temps à avoir des officiers de liaison au sein de Takuba, avant d'envisager la participation en hommes et en matériels que nous espérons.
Pour ce qui concerne Louvois, j'en profite pour, moi aussi, tirer un coup de chapeau aux équipes du ministère des armées qui se sont mobilisées pour faire de Source Solde un grand succès. Nous avons préféré ne pas en parler tant que nous n'en avions pas terminé, car nous ne voulions pas crier victoire avant que celle-ci ne soit acquise.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie, madame la ministre, de vous êtes prêtée à cette assez longue audition qui a permis, je l'espère, d'apporter un certain nombre d'éclaircissements. Je note l'importante information d'une réduction des effectifs de Sentinelle, qui va libérer un effectif de l'ordre de 4 000 hommes, ce qui est appréciable dans la conjoncture actuelle. J'insiste également sur le renforcement de la remise en condition opérationnelle de nos matériels, spécialement les plus anciens. Nous sommes heureux d'entendre parler de la manoeuvre qui a eu lieu en Crète, et qui n'avait pas donné lieu à communication.
Enfin, notre réunion se situant, comme je l'ai dit, dans le cadre de l'actualisation de la loi de programmation militaire, je sollicite auprès de vous un entretien immédiat, car nous venons de comparer les deux versions des documents qui nous ont été transmis, et leur lecture, à ce stade, suscite un peu d'étonnement.
Concernant le dispositif mis en place au sein de la commission, nous avons lancé un rapport sur l'actualisation de la loi de programmation militaire. J'aurai l'honneur de présider ces travaux, bien que, habituellement, je ne prenne pas la charge de rapports. Mais l'importance du texte le justifie, ainsi que le fait d'avoir été rapporteur de ladite loi de programmation militaire. J'y associe les équipes de rapporteurs budgétaires des programmes de la mission « Défense », au sein desquelles toutes les sensibilités politiques s'expriment, dans la perspective de publier, avant l'été, un travail contributif qui donnera la vision du Sénat de l'actualisation de la loi de programmation militaire. Celle-ci tiendra compte des observations que vous avez formulées sur l'évolution de la situation, sur les menaces nouvelles qui se font jour, tout en cherchant à rester assurés que des programmes essentiels en termes d'équipement ou de préparation des forces ne passent pas par pertes et profits, car nous considérons, comme vous, que la loi de programmation militaire est un ensemble.