L'ESSENTIEL
Philippe Dallier, rapporteur spécial des crédits de la mission « Cohésion des territoires » (logement et urbanisme) a présenté le mercredi 26 mai 2021 les conclusions de son contrôle budgétaire sur la politique d'hébergement d'urgence.
Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » porte les crédits du budget de l'État consacrés à la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées . Ce rapport fait suite à un précédent travail conduit par le rapporteur spécial sur la même politique en 2016 2 ( * ) .
I. LA CRISE SANITAIRE A ACCENTUÉ LES LIMITES DÉJÀ EXISTANTES DE LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT
A. L'ANNÉE 2020 A MOBILISÉ LE SECTEUR DE L'HÉBERGEMENT D'URGENCE À UN NIVEAU INÉDIT
L'instauration du confinement le 16 mars 2020 a entraîné une mobilisation de l'ensemble des acteurs afin de mettre à l'abri les personnes à la rue . La capacité totale du parc d'hébergement généraliste dépassait les 200 000 places à la fin décembre 2020, par un recours massif aux places temporaires et surtout aux hôtels.
Évolution du parc hôtelier et du parc temporaire d'hébergement
(en nombre de places)
Source : commission des finances, à partir de données DGCS
B. L'ÉCART RÉCURRENT ENTRE LE BUDGET DE LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT ET LES CRÉDITS RÉELLEMENT CONSOMMÉS APPELLE À UN TRAVAIL EN PROFONDEUR SUR LA GESTION BUDGÉTAIRE DE CETTE POLITIQUE
Malgré la mise en oeuvre d'un « rebasage » des crédits en 2018, tendant à fonder le budget de la politique d'hébergement sur des prévisions réalistes des dépenses, la budgétisation initiale au cours des années suivantes s'est révélée de plus en plus éloignée des besoins effectifs constatés en cours d'année . Le budget alloué pour une année est systématiquement inférieur aux dépenses réalisées l'année précédente.
Prévision et exécution
(en millions d'euros) |
Ouvertures de crédits
(en millions d'euros en crédits
|
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires |
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires |
Il en résulte des ouvertures de crédits importantes en cours d'année , mais aussi des difficultés importantes pour les associations et organismes en charge de l'accueil et de l'hébergement des personnes précaires . En 2020, l'État n'a pas pu régler 100 millions d'euros environ dus à ces organismes, qui ont été contraints de faire appel à leur trésorerie ou de solliciter des prêts bancaires. Les grands organismes actifs en Île-de-France ont été les plus fortement concernés.
Ces dépenses sont décalées sur 2021 et s'ajoutent à une sous-budgétisation importante en loi de finances initiale, estimée à plus de 700 millions d'euros par le contrôleur budgétaire comptable et ministériel : il est donc important que le prochain collectif budgétaire ouvre les crédits nécessaires afin d'éviter que les organismes se retrouvent dans les mêmes difficultés en fin d'année. Un nouveau rebasage des crédits devra également être effectué afin de fonder les demandes de crédit sur une véritable connaissance des besoins. En outre, la pratique de la réserve de précaution paraît inadaptée pour un budget constitué principalement de dépenses contraintes.
C. LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT NE PEUT SE CONCEVOIR SANS UNE AMÉLIORATION DE L'INFORMATION SUR SON PUBLIC
La connaissance des personnes sans abri est insuffisante . Si les Nuits de la Solidarité, mises en oeuvre à l'initiative de plusieurs grandes métropoles, apportent des éléments utiles, il est indispensable de mettre à jour l'enquête « Sans domicile » de l'INSEE , qui apporte une information qualitative sur la population concernée au niveau national et dont la dernière réalisation remonté à 2012.
La population hébergée dans des centres est mieux connue. En forte augmentation dans les places permanentes (+ 60 % entre 2009 et 2017, donc avant la présente crise sanitaire), elle comprend de plus en plus de mineurs et de personnes étrangères non ressortissantes de l'Union européenne. 19 % des personnes hébergées sont des demandeurs d'asile et 3 % sont des réfugiés , qui ne devraient pas relever de l'hébergement d'urgence financé par le programme 177, mais du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés, mieux adapté à leur situation.
Effectifs des personnes hébergées en places d'urgence permanentes
(en nombre de personnes)
Source : commission des finances, à partir des données DREES, enquêtes auprès des établissements et services en faveur des adultes et familles en difficulté sociale (ES-DS)
D. L'ACCUEIL ET L'ORIENTATION MANQUENT ENCORE DES MOYENS QUI LEUR PERMETTRAIENT D'ASSURER PLEINEMENT LEURS MISSIONS
Les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO), point de contact des personnes sans abri au numéro de téléphone 115, peinent à accomplir leurs missions . La mobilisation exceptionnelle du dispositif d'hébergement au printemps 2020 a certes réduit le nombre de demandes d'hébergement, mais la difficulté la plus grande concerne l'orientation vers le logement , notamment adapté, dont les SIAO n'ont qu'une connaissance incomplète.
Demandes d'hébergement et demandes non pourvues
(DNP)
en moyenne par jour sur l'année 2020
Source : commission des finances, à partir de données DGCS
En outre, l'action des SIAO a été entravée depuis le mois de septembre 2020 par de graves dysfonctionnements de leur système d'information , suite à une mise à jour mal préparée, l'administration centrale se révélant incapable d'assurer le retour à un fonctionnement correct dans des délais acceptables.
II. LA TENSION CONCERNE CHACUNE DES CATÉGORIES D'HÉBERGEMENT D'URGENCE
A. LES CENTRES D'HÉBERGEMENT SE DÉVELOPPENT ET SE DIVERSIFIENT
La création de places d'hébergement se heurte aux coûts du foncier , surtout en zone dense, mais aussi à l'identification et la mobilisation de locaux existants et aux difficultés croissantes de recrutement des travailleurs sociaux .
Les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ont bénéficié en 2020 de la suspension du processus de convergence de leurs tarifs, mais doivent achever celui de signature des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) qui améliorent la visibilité des financements.
Les centres d'hébergement répondent également à une diversification des besoins , avec l'augmentation de 70 % des places dédiées à des femmes victimes de violences depuis 2015. La crise sanitaire a entraîné la création d'une nouvelle catégorie d'établissements, les centres d'hébergement spécialisés (CHS) qui assurent les soins et l'isolement de personnes malades du Covid dont l'état ne nécessite pas une hospitalisation. Ces centres ont répondu à une vraie nécessité, mais n'ont connu qu'un taux d'utilisation limité.
Évolution du nombre de places en centre d'hébergement spécialisé (CHS)
(en nombre de places)
Source : commission des finances, à partir de données DGCS
B. LES NUITÉES HÔTELIÈRES ONT JOUÉ À UNE NOUVELLE ÉCHELLE LEUR RÔLE HABITUEL DE VARIABLE D'AJUSTEMENT DE LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT D'URGENCE
Le recours aux nuitées hôtelières connaît une hausse continue , malgré les tentatives de l'administration d'en réduire le nombre ou en tout cas d'en infléchir la croissance. Par leur flexibilité et l'opportunité donnée par leur sous-occupation en période de confinement, les hôtels ont été fortement sollicités par la politique d'hébergement en 2020 . Début mars 2021, le nombre de nuitées hôtelières s'élevait à plus de 74 000, contre moins de 50 000 en 2019.
Alors que ce mode d'hébergement , qui ne permet pas un accompagnement satisfaisant, ne devrait être que très temporaire , de nombreuses personnes y sont hébergées pendant de longues durées . Il importe donc de faciliter le passage de ces personnes vers une forme de logement plus pérenne, voire de reconvertir certains hôtels en structures d'hébergement ou de logements, ce qui pourrait correspondre également à l'intérêt de certains hôteliers qui risquent d'être confrontés à un risque de baisse durable de leur fréquentation, notamment pour le tourisme d'affaires.
Évolution du nombre des nuitées hôtelières
(en nombre de places et en pourcentage)
Lecture : le taux de croissance annuel moyen a été de + 16,2 % entre 2007 et 2012, de 19,8 % entre 2012 et 2017 et de 5,0 % entre 2016 et 2019.
Source : commission des finances
III. POUR ÉVITER L'ASPHYXIE, LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT DOIT SE COORDONNER AVEC LES AUTRES POLITIQUES PUBLIQUES ET SE TOURNER VERS L'ACCÈS AU LOGEMENT
La politique d'hébergement doit être conçue en lien étroit avec les autres politiques : sanitaire, sociale mais aussi d'asile.
A. LA CRISE SANITAIRE A PLUS QUE JAMAIS SOULIGNÉ LA NÉCESSITÉ DE MIEUX ARTICULER LA POLITIQUE DE L'HÉBERGEMENT AVEC LES POLITIQUES SANITAIRE, SOCIALE ET DE L'ASILE
Si l'accompagnement social fait partie depuis longtemps des missions de la politique d'hébergement, la crise a renforcé le sentiment selon lequel la dimension sanitaire doit être mieux prise en compte . La majorité des personnes à la rue souffrent ainsi de problèmes de santé et il est donc important que les maraudes puissent disposer de compétences sanitaires. Des équipes sanitaires ont également travaillé avec les acteurs de l'hébergement depuis le début de la crise du Covid, dans les centres d'hébergement traditionnels comme dans les nouveaux CHS. La spécificité des personnes sans abri doit enfin être prise en compte dans l'actuelle campagne de vaccination de la population.
Par ailleurs, le parc d'hébergement , en application du principe d'accueil inconditionnel, est souvent le point d'accueil par défaut des demandeurs d'asile et des réfugiés , en raison de la saturation des centres qui leur sont dédiés. Le partage des responsabilités et des financements devrait être mieux identifié.
B. L'OBJECTIF DE LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT DOIT ÊTRE LA SORTIE VERS LE LOGEMENT
La réduction du parc d'hébergement passe nécessairement par une amélioration de la fluidité du parcours vers le logement , ce qui va dans l'intérêt des personnes tout en permettant une meilleure maîtrise du budget de la politique d'hébergement.
L'attribution de logements sociaux à des personnes précaires reste toutefois limitée et une progression nécessiterait d'abord une relance de la construction de logements sociaux qui est loin d'être acquise à l'heure actuelle.
Nombre de personnes sans abri ou en hébergement
ayant obtenu un logement social
(en nombre de personnes)
Lecture : le nombre de personnes sans abri ou en hébergement ayant obtenu un logement social a été de 6 492 au cours du mois de décembre 2019 et de 598 au cours du mois d'avril 2020. Entre octobre 2019 et septembre 2020, il a été de 46 501, en baisse de 8,1 % par rapport à la même période un an auparavant. Le nombre de personnes est estimé en multipliant par 2,2 le nombre de logements sociaux attribués à ces ménages.
Source : commission des finances, à partir des données du Gouvernement 3 ( * )
* 2 Philippe Dallier, L'hébergement d'urgence sous forte tension : sortir de la gestion dans l'urgence , rapport d'information n° 193 (2016-2017), fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 décembre 2016.
* 3 Service d'information du Gouvernement, Baromètre des résultats de l'action publique , data.gouv.fr.