IV. POUR RÉDUIRE LE NOMBRE D'AGRICULTEURS PARTIS TROP TÔT, IL CONVIENT DE TRAITER LA PROBLÉMATIQUE DE FAÇON GLOBALE

Les dispositifs existants présentent tous des avantages certains : sensibilisation des acteurs agricoles, détection des symptômes, encouragement à la prise de parole, renforcement de l'écoute, aide à la relance de l'exploitation, sont autant d'axes incontournables pour parvenir à circonscrire les situations de détresse en agriculture.

Mais si ces mesures sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes.

Non seulement elles doivent être améliorées, objectif que poursuivent les recommandations mentionnées supra , mais elles doivent être en outre complétées par de nouvelles mesures relatives à des aspects du sujet jusqu'alors peu abordés par les politiques mises en place.

Il ressort en effet des auditions réalisées, des déplacements effectués, des contributions écrites reçues et de la somme de témoignages déposés, que de nombreux éléments, parfois indirects mais toujours concrets, concourent alternativement et souvent simultanément au sentiment de détresse ressenti par certains agriculteurs et leurs familles, et que ces derniers ne sont pas réellement traités par les dispositifs existants : déshumanisation des procédures, complexité administrative, agribashing, sentiment d'échec, difficultés à engager une reconversion professionnelle, en sont quelques exemples.

Par ailleurs, nombre d'alertes sont parvenues aux rapporteurs au sujet de l'accompagnement des familles endeuillées, aujourd'hui peu développé et insuffisamment connu.

Les recommandations ci-dessous, si elles ne prétendent pas résoudre d'un coup les situations de détresse en agriculture tant ces dernières sont variées et relèvent souvent de l'intime, visent néanmoins à traiter cette problématique de façon globale. Élaborées à partir des constats de terrain, leur mise en oeuvre commune permettra, à tout le moins, de réduire l'ampleur de ce phénomène dramatique.

A. MIEUX RECONNAÎTRE LE PHÉNOMÈNE

En préalable, le monde agricole attend que la société dans son ensemble, de plus en plus urbaine, prenne conscience que tout un monde d'exploitants, avec leur famille, de salariés, d'entrepreneurs, de services, d'enseignants, de vétérinaires etc., est mobilisé toute l'année, week-end compris et sans période de vacances, le jour, et bien souvent la nuit, pour nourrir les Français.

Qu'elle sache que leur capacité à s'alimenter tous les jours avec des denrées diversifiées, à la qualité sanitaire reconnue mondialement, accessibles à tous, est le fruit d'une passion de tout un monde silencieux.

Que la société prenne également conscience que toutes ces femmes et ces hommes sont producteurs d'externalités positives pour l'environnement et pour la conservation de la biodiversité sauvage et cultivée.

Qu'elle apprenne que ce « monde de taiseux » incarne, le plus souvent, la voix de tout un monde rural, de plus en plus désertifié, et dans lequel le monde agricole joue un rôle essentiel de pourvoyeur d'activités économiques, culturelles et sociales.

Qu'elle découvre que l'agriculture est un fleuron d'innovations remarquables, où un bouillonnement d'idées modifie, tous les jours, la face de notre rapport à la terre.

Qu'elle s'éveille au fait que l'agriculture est un secteur stratégique pour la France en matière de sécurité alimentaire, en matière géopolitique mais aussi en matière sanitaire.

Qu'elle se rende compte que son agriculture, jugée par beaucoup comme un roc infaillible, vacille mais s'adapte, sous l'effet des vagues de révolutions exigées par les enjeux du XXI e siècle, au premier rang desquels figure le défi du changement climatique, mais que ces changements prennent du temps.

Qu'elle s'alerte du fait que, si tout un pan de la jeunesse s'engage, toujours plus fort, dans l'agriculture de demain, ses paysans sont confrontés à un défi de taille : renouveler près de la moitié des exploitants en dix ans en raison de la pyramide des âges.

Qu'elle n'oublie pas les milliers d'emplois directs et indirects que l'agriculture génère, dans le secteur agro-alimentaire, bancaire, comptable, etc.

Et, bien entendu, que l'ensemble des Français apprennent qu'une partie du monde agricole va mal. Et qu'une part non négligeable de ses paysans, dont l'étymologie les rattache à tous les habitants de ce pays, qui ont tant fait leur fierté, en viennent à commettre l'irréparable, au terme d'un désespoir de plus en plus criant.

Ce suicide des agriculteurs est la face la plus terrible d'un problème plus global de déconnexion entre les agriculteurs et les citoyens, eux-mêmes atteints d'une certaine schizophrénie lorsqu'ils enfilent leur casquette de consommateurs.

Un véritable travail est à faire pour recréer le lien entre l'urbain et le rural, le citoyen et l'agriculteur, le travailleur de la terre et le jardinier du dimanche, l'entrepreneur du vivant et l'admirateur de la diversité animale.

Ce travail passe par une communication d'ampleur, menée par les professionnels appuyés par l'État, afin de recréer ces liens essentiels entre la société française et son agriculture.

L'impulsion doit venir d'en haut, infuser massivement les esprits, ouvrir tous les débats, sans tabou, y compris celui du suicide. Elle bénéficiera aux agriculteurs eux-mêmes, en favorisant une prise de conscience globale de leur vie quotidienne, de leurs problématiques particulières. Elle créera, sans nul doute, une mobilisation collective permettant de mieux communiquer sur les outils en place.

C'est pourquoi il apparaît essentiel de faire de « l'avenir de l'agriculture française » une grande cause nationale dans les années à venir .

Ce label, octroyé par le Premier ministre au terme d'un appel à candidatures, permettrait d'une part à l'ensemble des acteurs de se constituer en un collectif en vue de l'obtention du label. Ce collectif permettrait de créer une dynamique et des synergies entre les acteurs.

D'autre part, ce label permettrait à ce collectif d'obtenir des diffusions gracieuses de campagnes de communication, sur les radios et les chaînes de télévision publiques, afin de recréer ce lien entre les citoyens et les agriculteurs, tout en communiquant sur des problématiques particulières rencontrées par les agriculteurs, y compris la problématique suicidaire, en mettant massivement l'accent sur les outils en place.

Recommandation n° 1 : faire de l'avenir de l'agriculture française une grande cause nationale.

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