C. LA POLITIQUE DU LOGEMENT SOCIAL DOIT S'APPUYER SUR LES ACTEURS LOCAUX

1. Les mécanismes de sanction ne doivent pas conduire à décourager les communes mettant en oeuvre une politique du logement volontariste

D'une manière générale, le rapporteur spécial appelle à ne pas décourager les maires qui construisent .

À cet égard, les prélèvements ont un effet incitatif fort, mais l'accroissement des sanctions risquerait de rater son objectif lorsque des contraintes locales constituent des raisons objectives à la difficulté d'atteindre les objectifs.

Le montant des prélèvements SRU a déjà augmenté de manière considérable, selon les données de la Cour des comptes : alors qu'ils étaient inférieurs à 30 millions d'euros par an en 2011 et 2012, ils atteignaient 51 millions d'euros au milieu des années 1990 et 90 millions d'euros en 2018 et 2019.

Or la non-atteinte des objectifs ne résulte pas toujours d'une mauvaise volonté. D'autres facteurs entrent en jeu : manque de foncier, demande pour du logement privé qui rend plus difficile l'accroissement du taux de logement sociaux...

M. Repentin attire en outre l'attention, comme le fait régulièrement le rapporteur spécial, sur les coûts induits par les efforts entrepris par les communes pour respecter ces critères : l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), qui n'est que partiellement compensée par l'État. Le rapporteur spécial partage à cet égard le souhait du président de la commission nationale SRU que cette part non compensée soit évaluée, suivie, et comparée au montant du prélèvement opéré sur les communes déficitaires.

Pour mémoire, la durée d'exonération de TFPB est de 25 ans pour la construction d'un logement social neuf, voire de 30 ans pour les constructions respectant certains critères de qualité environnementale. Le coût pour les communes et les groupements à fiscalité propre des exonérations de TFPB en faveur du logement social était estimé à 524 millions d'euros en 2019 22 ( * ) .

Au total, certaines communes pourraient même avoir intérêt à ne pas construire de logement social, trouvant moins coûteux de payer les pénalités SRU . M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, a confirmé devant la commission, lors de l'audition « pour suite à donner », que le risque d'« optimisation financière » pointé par M. Repentin existait effectivement.

Il convient toutefois de faire observer que le calcul, pour la commune, ne peut pas être uniquement financier : lorsqu'une commune est carencée, elle ne fait pas seulement l'objet de prélèvements majorés, elle perd aussi certaines prérogatives urbanistiques comme le droit de préemption, voire le droit d'accorder les permis de construire 23 ( * ) .

2. L'atteinte des objectifs dépend aussi des bailleurs sociaux

Enfin, si l'État impose un haut niveau de production de logement sociaux, il n'en crée pas les conditions .

Le rapporteur spécial s'interroge à cet égard sur l'objectif très ambitieux affiché par le Gouvernement de création de 250 000 logements sociaux en deux ans.

Si le Gouvernement espère peut-être atteindre une partie de cet objectif par un « effet rebond », avec le déblocage de dossiers non aboutis pendant l'année 2020, la capacité des bailleurs sociaux à lancer des opérations plus importantes en 2021 et en 2022 qu'au cours des années précédentes dépend de leurs capacités de financement.

Or celles-ci ont été amputées depuis 2018 avec la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), comme l'a souligné le directeur des études de la fondation Abbé-Pierre lors de l'audition « pour suite à donner ».

La Cour des comptes elle-même a récemment 24 ( * ) critiqué la complexité et le manque de lisibilité du dispositif , entraînant une charge de travail et donc des coûts de gestion supplémentaire pour les bailleurs sociaux qui doivent notamment identifier les bénéficiaires de la RLS qui ne sont pas allocataires des aides personnalisées au logement (APL), ce que la réforme dite de contemporanéisation des APL, entrée en vigueur le 1 er janvier dernier, rend encore plus difficile.

Surtout, elle rappelle que la réduction de loyer de solidarité qui, en dépit de son intitulé, est quasiment neutre pour les locataires de logements sociaux, constitue une perte nette de recette locative pour les bailleurs, estimée par la Cour à 4,5 % des rendements locatifs. La RLS affecte donc directement le modèle de financement de la construction de logement social , qui repose sur les prévisions de recettes locatives futures.

Ainsi, l'autofinancement du secteur HLM a diminué, conduisant à une réduction des investissements . Les premiers effets se traduisent par un retard d'engagement des bailleurs dans le nouveau programme de rénovation urbaine (NPNRU), mais aussi, comme s'en est inquiété le rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 25 ( * ) , par une diminution de 7 % en valeur des dépenses d'entretien et de gros entretien. Or ces économies à court terme pourraient être porteuses de besoins d'investissements beaucoup plus importants à moyen et long terme, ce qui risquerait de réduire encore la capacité des bailleurs à financer de nouveaux logements .

Le rapporteur spécial craint que l'ensemble de ces difficultés ne facilite pas l'atteinte des objectifs de la loi SRU , que ce soit en 2025 ou dans les nouveaux délais qui pourraient être fixés.


* 22 Calcul commission des finances du Sénat, à partir du rapport au Parlement sur le coût pour les collectivités territoriales des mesures d'exonération et d'abattement d'impôts directs locaux, en application de l'article 33 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.

* 23 Ce constat fait dire à Grégoire Fauconnier que « dans ces conditions, l'idée reçue selon laquelle les élus récalcitrants préféreraient « payer des amendes plutôt que de construire des HLM » ne tient plus » en raison du renforcement progressif du cadre d'application de la loi SRU.

* 24 Cour des comptes, Premiers constats tirés de la conception et de la mise en oeuvre du dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS) , référé, envoyé aux ministres le 22 décembre 2020 et publié le 5 mars 2021.

* 25 Philippe Dallier, Projet de loi de finances pour 2021 : Cohésion des territoires - Logement et ville , rapport spécial annexé au rapport général n° 138 (2020-2021), fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.

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